Archive mensuelle 4 mai 2020

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Le 1er prix de thèse de l’Unité du Droit

Voici la 57e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’une présentation du 22e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

Cet ouvrage forme le vingt-deuxième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XXII :
Du discours sur l’office
de la Cour de cassation.
Contribution à l’analyse réaliste
de la justice française 

Premier prix de thèse de l’Unité du Droit – 2018

Auteur :
Jean-Benoist Belda

Préface : M. le Premier Président Bertrand Louvel
Postface : M. le Professeur Rémy Cabrillac

Avant-propos des professeurs Daniel Mainguy
& Alexandre Viala

– Nombre de pages : 348
– Sortie : juillet 2018
– Prix : 49 €

– ISBN  / EAN : 979-10-92684-31-5
/ 9791092684315
– ISSN : 2259-8812

Présentation :

L’ouvrage que le Collectif l’Unité du Droit a le plaisir et l’honneur de présenter au sein de sa collection « Unité du Droit » a reçu le premier prix de thèse de cette association qui fête en 2019 ses quinze premières années d’existence.

Alors que les débats (parfois houleux) se sont récemment multipliés en doctrine à propos du rôle et de l’office du juge de cassation (spécialement en matière judiciaire mais aussi devant le Conseil d’Etat), M. Belda offre à la lecture une thèse non seulement contextualisée, posée, et scientifiquement argumentée mais qui fait état – surtout – d’une connaissance affinée de ce que la Cour de cassation n’est pas une institution hors-sol mais bien un produit de l’histoire tant juridique que politique et culturelle. Hors de l’argument passionnel qui fleurit sur les réseaux sociaux et parfois même en doctrine, M. Belda démontre et place son argumentation et ses pas dans ceux du courant dit de l’analyse réaliste (depuis l’intuition de Gény à la théorie de l’interprétation qu’en systématisa le professeur Troper et ce, en ayant notamment pour guides les professeurs de Bechillon, Deumier, Jamin, Mainguy & Molfessis). Partant, l’auteur explique et justifie les distances qu’il prend parfois avec certaines de ces doctrines réalistes. C’est ici sa propre grille d’analyse(s) qu’il propose au moyen de l’outil théorique réaliste.

L’ouvrage – qui ne reprend pas in extenso – la thèse de doctorat soutenue à l’Université de Montpellier mais qui la sublime en tenant compte des normes et des débats les plus récents en la matière, se compose de deux parties. D’abord, M. Belda présente ce qui lui semble être l’ambivalence des discours sur l’office de la Cour de cassation (Première Partie) ce qui le conduit à adopter les théories réalistes selon lesquelles ce juge judiciaire serait volontaire mais avec pragmatisme, loin de l’imagerie d’Epinal du juge « bouche de la Loi » ou du spectre maudit du « gouvernement des juges ». Par suite, il ose tirer les conséquences de son analyse en faisant état de ce qui lui sembleraient être les réaménagements nécessaires de l’office de la Cour française de cassation (Deuxième Partie). Ce sont alors – très concrètement et de façon prospective – de véritables propositions pour un renouvellement de la fonction de juger que propose ici l’auteur.

Et si l’on osait enfin, aux côtés de l’auteur, dire de la Cour de cassation qu’elle est une Cour suprême et qu’il faut désormais cesser de croire qu’elle n’est qu’une gardienne de la Loi et ne juge « que » le Droit de façon détachée et non conséquentialiste ? Et si l’on ne craignait plus – en l’assumant – le pouvoir normatif du juge ? C’est le pari heureux du présent ouvrage.

Ouvrage honoré du premier Prix de thèse de l’Unité du Droit (2018) & publié par le Collectif L’Unité du Droit.


Profession :
Enseignant-Chercheur à l’Université catholique de l’Ouest de Nantes

Thèmes de recherche(s) :
Justice – Interprétation – Droit animalier – Théorie / Philosophie du droit

Quelle a été votre première collaboration / publication aux Editions L’Epitoge ?
La publication de ma thèse après l’obtention du 1er prix du CLUD ! : Du discours sur l’office de la Cour de cassation – Contribution à l’analyse réaliste de la justice française, Edition L’Epitoge-Lextenso, Volume XXII, Juillet 2018

Y en a-t-il eu d’autres ? 

Oui, il y a eu le colloque Droit(s) du bio, volume XXIII publié en octobre 2018 avec une intervention intitulée « Agriculture biologique et condition animale : une approche anthropocentrée du bien-être animal » ; le colloque « En-droit(s) & Liberté(s) : lectures juridiques de Webséries » avec une allocution de clôture de la journée publiée dans l’ouvrage « Lectures juridiques de fictions. De la Littérature à la Pop-culture ! » (volume XXVII).

Quelle est votre dernière publication ?

« Statut et missions du juriste- assistant : l’être et l’avoir d’un auxiliaire du magistrat, Revue Lamy Droit Civil, n°173, septembre 2019″, un article sur le poste de juriste-assistant et une critique à peine voilée du système universitaire concernant les débouchés et la précarité des jeunes docteurs et docteures.

Quelle sera (en 2020, 21, etc.) votre future publication ?

J’espère pouvoir publier un article fraîchement terminé intitulé : « Réflexions sur la notion de nécessité et son application en droit animalier ».

Quelle est la publication dont vous êtes le.la plus fier.e / heureux.se ?

 Indéniablement ma thèse, remaniée, sur l’office de la Cour de cassation aux éditions Lepitoge-Lextenso.

Quel est – en droit – votre auteur.e préféré.e ? 

Difficile de répondre une seule personne. Deux personnes ont cependant été une belle inspiration pendant mes études et mon travail de thèse : le professeur Christophe Jamin et le Premier président Bertrand Louvel (qui a fait doctrine pendant son activité juridictionnelle).

Quel est – en littérature – votre auteur.e préféré.e ? 

Là encore, difficile, mais à choisir je dirai  Eric-Emmanuel Schmitt.

Quel est – en droit – votre ouvrage préféré ? 

« La philosophie du droit » de Michel Troper ou « La doctrine » de Christophe Jamin et Philippe Jestaz.

Quel est – en littérature – votre ouvrage préféré ?

« Lettres à Lucilius » de Sénèque ou « Le Petit Prince » d’Antoine de Saint-Exupéry, que je peux lire et relire sans me lasser.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Transparence !

Voici la 50e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’une présentation du 25e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

Cet ouvrage forme le vingt-cinquième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XXV :
La transparence,
un droit fondamental ?

Ouvrage collectif sous la direction de
Vanessa Barbé, Odile Levannier-Gouël & Stéphanie Mauclair

– Nombre de pages : 224
– Sortie : printemps 2020
– Prix : 39 €

– ISBN  / EAN : 979-10-92684-36-0
/ 9791092684360

– ISSN : 2259-8812

Présentation :

La transparence est une notion de plus en plus employée en droit, particulièrement dans les démocraties contemporaines. En témoignent par exemple en France les lois du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, créant la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (Hatvp), du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, ainsi que les lois organique et ordinaire du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie publique, qui complètent les missions de la Hatvp notamment.

En dépit de l’engouement pour cette notion, la transparence est une notion difficile à définir. Seuls certains des éléments qui la composent ont une valeur constitutionnelle ou sont consacrés par des traités internationaux, comme l’accès aux documents publics (conséquence du droit de recevoir des informations ou du droit de savoir) ou la participation du public à l’élaboration des textes juridiques. La transparence n’est toutefois pas consacrée en tant que telle dans les Constitutions ou les traités internationaux. A ce titre, elle pourrait ne pas être considérée comme un droit fondamental.

Néanmoins, la transparence évoque de nombreux aspects qui peuvent faire l’objet d’un traitement judiciaire, comme notamment : la lutte contre la corruption et la prévention des conflits d’intérêts (par exemple l’encadrement des lobbies) ; l’alerte éthique (whistleblowing) ; la lutte contre les paradis fiscaux ; la participation à l’élaboration des décisions ; le contrôle de la gestion des entreprises par les salariés… Cet ouvrage vise donc à tracer les contours de la définition d’un droit à la transparence, afin de se demander si la transparence peut être considérée comme un droit fondamental invocable devant les tribunaux en France ou dans d’autres systèmes (droit de l’Union européenne, systèmes internationaux ou droits étrangers). Il traite du droit à la transparence en droit international et européen, en droit public interne et en droit privé, mais aussi des limites du droit à la transparence.

La présente publication a reçu le soutien du Centre de Recherche Juridique (Crj) Pothier de l’Université d’Orléans & du Collectif L’Unité du Droit


Nota Bene
:
le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso.
Vous pourrez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Costume, morale(s) & ordre public par le Dr. Guillerminet

Voici la 56e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 15e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

Cet ouvrage, paru en janvier 2016,
est le quinzième
issu de la collection « L’Unité du Droit ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XV : Chansons & Costumes
« à la mode »
juridique & française

Ouvrage collectif

Direction : Pr. Hélène Hoepffner
& Pr. Mathieu Touzeil-Divina 

– Nombre de pages : 220
– Sortie : 18 décembre 2015 / 2016
– Prix : 39 €

– ISBN  / EAN : 979-10-92684-12-4 / 9791092684124
– ISSN : 2259-8812

Présentation :

Voici la publication de la – déjà – quatrième édition des actes du colloque des « 24 heures du Droit » qui s’est tenu au Mans le 03 avril 2015. Celui-ci portait sur deux univers juridiques analysés par l’ensemble des contributeurs : « Chansons » mais aussi « Costumes » « à la mode juridique & française ».

Chansons françaises. Il s’y est agi de chansons dites engagées, de liberté(s) d’expression(s), d’idées politiques et de Droit(s) mais aussi de féminisme(s) de Marseillaise ou encore de slam dans la Cité.

Costumes juridiques. « Rien ne serait plus faux que d’assimiler la justice au théâtre au prétexte que les costumes occultant les apparences quotidiennes donneraient au rituel un tour extra- ordinaire. Ils ne sont pas portés pour l’éclat mais pour l’allure. On ne les revêt pas pour faire impression mais pour honorer ceux au nom desquels elle est rendue : les citoyens ». Ces par ces mots que conclut Philippe Bilger, ancien avocat général à la Cour d’Appel de Paris sur le second versant de l’ouvrage qui a réuni des contributions relatives à la symbolique du costume juridique, des costumes d’audience et d’Université, aux questions de propriété intellectuelle, de morale, de religion(s) ou encore de droit du travail confrontées au vêtement et au costume.

Costume, morale(s)
& ordre public

Cédric Guillerminet
Maître de conférences
en droit public à l’Université d’Orléans

Traiter de la question du costume, de la morale et de l’ordre public, nécessite un effort préalable et indispensable de définition à commencer par savoir de quel costume l’on parle. S’agit-il du vêtement masculin composé d’un pantalon et d’une veste ? Du déguisement porté à l’occasion d’un défilé ou d’une pièce de théâtre ? Du vêtement folklorique typique d’un pays ? C’est en définitive l’ensemble de ces acceptions qui sont ici visées et plus largement l’ensemble de vêtements que l’on porte.

En la matière, selon le décret du 8 Brumaire an II, toute personne est libre de se vêtir comme elle le souhaite[1]. Toutefois, cette liberté de se vêtir à sa convenance souffre, en droit public, de deux exceptions.

D’une part, elle reçoit application sous la réserve de ne pas porter atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs. En effet, certains costumes, par eux mêmes (taille, inscription, référence historique, etc.) ou du fait de leur port, peuvent en effet porter atteinte à l’ordre public. Si l’ensemble des composantes de ce concept central du droit public peut être concerné, c’est principalement la sécurité, la tranquillité et la moralité publique (spécifiquement la décence)[2] qui justifieront l’interdiction du port de tel ou tel vêtement dans l’espace public.

D’autre part, cette liberté rencontre une limite dans l’interdiction de porter certains costumes et uniformes réservés à certains agents investis de l’autorité publique. En effet, selon la nature du travail effectué, certaines professions se caractérisent par le port obligatoire d’un « costume » ou d’un « uniforme ». Le costume peut, dans ce cadre, être défini comme un vêtement typique, « l’habillement qui sert à distinguer les fonctionnaires et officiers publics, soit les uns des autres, soit des simples citoyens »[3]. Il s’agit donc d’un « symbole d’autorité et de distinction »[4]. Porte ainsi un costume, les magistrats, les avocats, les enseignants chercheurs, … L’uniforme, quant à lui « évoque instantanément l’exercice d’une fonction régalienne »[5]. En effet, il s’agit d’« une variété de costume réservé à certains corps de l’Etat, principalement au corps militaire et de certains corps civils »[6]. Alors, le port du costume ou de l’uniforme « permet d’incarner l’image d’une profession et non plus simplement sa propre individualité »[7]. Mieux, ces vêtements constituent « la représentation symbolique [et extérieure] de l’autorité publique, (…) l’expression visible de l’autorité publique »[8]. C’est bien pour cela que leur port est réglementé par l’autorité publique et que leur usurpation ou leur imitation sera sanctionnée.

Il existe donc des costumes qui symbolisent l’ordre public car portés par ceux qui sont chargé de sa protection. Inversement, la protection de l’ordre public justifie que le port de certains costumes soit interdit. Ainsi, le costume peut apparaître tout autant au service de l’ordre public (I) qu’au préjudice de ce dernier (II).

I. Le costume au service de l’ordre public

Les agents en charge de la protection de l’ordre public doivent, la plupart du temps, revêtir un costume ou un uniforme afin que, dans l’espace public, chacun puisse les reconnaître. Le costume ou l’uniforme sont, ainsi, une marque extérieure de l’autorité publique. C’est la raison pour laquelle le port de ces derniers est réglementé (A) et leur usurpation sanctionnée (B).

A. Le port réglementé du costume

De nombreux textes réglementent le port, la taille, la couleur des costumes des agents publics en charge de faire respecter l’ordre public.

Sans se vouloir exhaustif, on peut citer : les décrets n°95-655 et 95-656 du 9 mai 1995 portant statut particulier du corps de commandement et d’encadrement de la police nationale[9] ; le décret n° 2004-102 du 30 janvier 2004 relatif à la tenue des agents de police municipale[10] ; l’article D. 4137-2 du code de la défense[11] ; le décret n° 2011-1600 du 21 novembre 2011 relatif au régime d’habillement du personnel militaire des armées, des services et directions du ministère de la défense et de certaines formations spécialisées de la gendarmerie nationale[12] ; le décret n° 2010-878 du 26 juillet 2010 relatif à l’acquisition et au renouvellement des effets d’habillement et d’équipement des officiers et des sous-officiers de la gendarmerie nationale[13] ; l’instruction n° 10300/Def/Emat/Log/Ash – Def/Dccat/Log/Reg du 13 juin 2005 relative aux tenues et uniformes des militaires des armes et services de l’armée de terre[14] ; l’instruction n° 900/Def/Emaa/Bsoutien/Pers du 30 juin 2011 relative aux tenues du personnel militaire de l’armée de l’air[15] ; l’instruction n°1/Def/Emm/Rh/Cpm du 15 juin 2004 relative aux uniformes et tenues dans la marine[16] ; l’article 2 du décret n°90-850 du 25 septembre 1990 portant dispositions communes à l’ensemble des sapeurs-pompiers professionnels[17] et l’arrêté du 8 avril 2015 fixant les tenues, uniformes, équipements, insignes et attributs des sapeurs-pompiers[18] ; l’arrêté du 11 décembre 1996 fixant la tenue d’uniforme des fonctionnaires du corps préfectoral[19] ; l’article 20 du Décret n°89-655 du 13 septembre 1989 relatif aux cérémonies publiques, préséances, honneurs civils et militaires[20] ; l’arrêté du 17 floréal an VIII, repris par le décret du 1er mars 1852, instituant un costume officiel pour les élus locaux (maires[21] et adjoints[22])[23].

B. L’usurpation sanctionnée du costume

L’usurpation de costume est « le fait d’utiliser sans droit d’authentiques marques de l’autorité publique »[24]. C’est donc le fait, pour une personne, de revêtir un costume destiné exclusivement à certains agents habilités par l’Etat sans y avoir été autorisé. Ces costumes sont, en effet, la marque de l’autorité de la puissance publique, son expression visible[25]. Ils permettent ainsi de distinguer ces agents de tout un chacun. L’usurpation porte donc atteinte à l’autorité de la puissance publique et sera, par conséquent, sanctionnée par la loi pénale. Celle-ci distingue selon que l’usurpation ait été commise par les agents eux-mêmes (i) ou par un particulier (i).

i. L’usurpation commise par les agents publics eux-mêmes

Il arrive que des agents publics se rendent coupables d’usurpation en portant un costume ou un uniforme qu’ils n’ont pas été autorisés à revêtir.

C’est, par exemple, le cas d’unofficier du ministère public près le tribunal de police (qui est un commissaire ou un officier de police) qui porte, pendant l’audience, la robe de magistrat. En effet, selon l’article R 741-6 du code de l’organisation judiciaire, le costume d’audience est réservé aux seuls magistrats de l’ordre judiciaire[26].

Il arrive également que des agents publics se rendent coupables d’usurpation en portant leurs propres costumes ou uniformes mais dans des circonstances à l’occasion desquelles ils ne sont pas habilités à les porter.

Par exemple, l’article 2 du décret du 25 septembre 1990 interdit aux sapeurs-pompiers de « porter l’une des tenues réglementaires (uniforme ou tenue de feu) à l’occasion de manifestations sur la voie publique soumises au régime de déclaration préalable prévu par les articles L211-1 à L211-4 du code de la sécurité intérieure »[27].

Ce texte a été attaqué devant le Conseil d’Etat par la fédération CGT des services publics comme portant atteinte aux libertés d’opinion et d’expression. Le Conseil a pour autant jugé que ce texte n’était pas « contrairement à ce que soutient la requérante, une mesure relative au renforcement du maintien de l’ordre public mais a pour seul objet d’interdire à des fonctionnaires, dont l’un des éléments du statut qui les régit est le port d’un uniforme réglementaire dans l’accomplissement de leurs missions de service public, d’utiliser cet uniforme dans des manifestations sur la voie publique »[28]. Le port de l’uniforme de sapeur pompiers doit donc être réservé aux missions dévolues à ces derniers. On retrouve bien ici l’idée que le costume ou l’uniforme sont bien la marque visible de l’autorité publique. Le juge en conclut « qu’en édictant cette règle de caractère statutaire, le décret attaqué ne porte aucune atteinte aux libertés d’opinion et d’expression telles qu’elles sont garanties par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales »[29]. Il souligne même « que la circonstance que d’autres corps de fonctionnaires astreints au port d’une tenue ne seraient pas soumis à une telle interdiction est sans incidence sur la légalité du décret attaqué »[30].

L’article L. 322-15 al. 1er du code de justice militaire prévoit que « le fait pour tout militaire, toute personne embarquée de porter publiquement des décorations, médailles, insignes, uniformes ou costumes français, sans en avoir le droit, est puni d’un emprisonnement de deux ans »[31]. Tel est le cas de celui qui ne peut justifier d’aucune décision le nommant dans la fonction correspondante au port du costume en question ou de celui qui, ayant été déchu, suspendu ou radié, a perdu tout droit à porter l’uniforme. La logique reste la même : éviter, par une telle usurpation, de discréditer la puissance publique dont le costume – au même titre que les décorations – est le symbole visible. Encore faut-il, pour que l’infraction soit pleinement constituée, démontrer l’intention délictueuse de la part du prévenu.

ii. L’usurpation commise par les particuliers

Traitant « de l’usurpation de signes réservés à l’autorité publique », la section 8 du code pénal prévoit plusieurs délits d’usurpation commis par un particulier[32].

L’article 433-14 du code pénal « constitue l’incrimination de base en ce qu’il interdit l’usurpation proprement dite des signes réservées à l’autorité publique »[33]. Il vise l’usurpation pure et simple d’un costume réservé à un agent représentant l’autorité publique[34]. Par le biais de cette disposition, on retrouve encore une fois l’idée que « la forme et les conditions d’attribution de ces vêtements sont uniquement réservés aux pouvoirs publics, car ils expriment des fonctions dont l’autorité publique est la seule dispensatrice »[35].

Pour que l’infraction soit constituée, plusieurs conditions doivent être remplies :

En premier lieu, qu’il soit civil ou militaire[36], le costume ou l’uniforme en question devra constituer le signe caractéristique et extérieur de l’autorité publique, c’est à dire de la participation de l’agent à l’exercice de la puissance publique et son port devra avoir été réglementé par l’autorité publique[37].

En deuxième lieu, celui-ci doit avoir été porté. Ainsi, « il ne suffit [donc] pas de le détenir ou de l’exhiber, il faut s’en revêtir »[38]. Toutefois, la jurisprudence n’exige pas un port complet du costume ou de l’uniforme. Le port d’une partie seulement suffit au juge pour constater l’usurpation[39].

En troisième lieu, ce port doit avoir été réalisé publiquement, c’est à dire dans un lieu public ou dans tout endroit où se trouve réuni du public, c’est à dire plusieurs personnes. Sont donc concernés non seulement la voie publique mais également tous les lieux accessibles au regard du public (café, restaurant, salle de spectacle, transport public, etc.)[40] et les lieux privés où se tiennent des réunions ouvertes à un nombreux public (réception, conférence, bal, funérailles[41]). Seul échappe à l’incrimination, celui qui porte le costume à son domicile ou dans une réunion purement privée.

En quatrième lieu, ce port doit être réalisé « sans droit ». Autrement dit, le porteur du costume ne doit pas ou plus remplir les conditions légales ou réglementaires qui légitiment ce port. Plusieurs situations peuvent donc se présenter :

– le costume ou l’uniforme est porté sans autorisation soit parce que le port n’a pas été précédé d’une autorisation officielle émanant de l’autorité publique[42] ou parce que les formalités préalables nécessaires au port n’ont pas été réalisées[43]. La charge de la preuve de l’autorisation ou de l’accomplissement des formalités légales incombe au prévenu.

– Bien qu’ayant été autorisé, le port se déroule dans des conditions autres que celles fixées par la loi ou les règlements[44].

– L’autorisation permettant le port a disparu du fait de la démission de l’intéressé de sa fonction, de sa destitution ou de sa radiation[45].

En dernier lieu, ce port illégal doit être intentionnel. L’intéressé doit avoir conscience de ne pas avoir le droit de porter le costume ou l’uniforme et agir avec la connaissance que son acte peut porter atteinte à la dignité et au prestige du costume officiel[46]. Le port par erreur ou sans en voir conscience ne saurait donc être constitutif d’une usurpation[47]. Si le fait de revêtir un uniforme à l’occasion d’une représentation théâtrale ne peut être considéré comme dolosif, la question est plus délicate concernant les soirées costumées ou autres carnavals. Si, à cette occasion, le costume ou l’uniforme est porté en ridicule, l’intention dolosive ne fera aucun doute[48].

Bien souvent, l’individu poursuivi pour le délit d’usurpation de costume ou d’uniforme l’est également pour usurpation de titre[49]. Ainsi, « par exemple, un individu [qui] porte indûment la robe d’avocat (…) se rend coupable de port illégal de costume et, en même temps (…) se réclame indûment du titre d’avocat, attaché à une profession réglementée, sans remplir les conditions légales exigées pour s’en prévaloir »[50].Dans ce cas, le juge procédera à un cumul de qualifications[51] et donc de condamnations[52]. Toutefois, un tel cumul doit être manié avec précaution[53].

L’article 433-15 du code pénal prévoit une incrimination accessoire en sanctionnant non plus le port d’un costume ou d’un uniforme réglementé par l’autorité publique mais le port d’un accoutrement imitant ce dernier avec suffisamment de vraisemblance pour créer, dans l’esprit du public, une méprise[54]. Cet article ne vise, cependant, qu’à protéger les costumes et uniformes revêtis par la police nationale et les militaires. Pour les autres costumes ou uniformes, tels ceux des avocats, magistrats, universitaires, maires, pompiers, douaniers ou autres corps, c’est l’article R. 643-1 du Code pénal[55] qui assure leur protection.

Pour que ces infractions soient constituées, la réunion de plusieurs conditions est nécessaire :

Tout d’abord, le costume revêtu doit présenter une certaine ressemblance avec un costume ou un uniforme dont le port est réglementé par l’autorité publique. Parler de ressemblance, implique, indubitablement, l’existence de différence, plus ou moins importante, entre les deux et ce même si cette différence ne peut être décelée que par un œil exercé[56]. En fait, il faut que cette ressemblance puisse être de nature à provoquer une méprise dans l’esprit du public[57]. L’infraction ne sera donc pas consommée si le costume porté est très différent de l’uniforme officiel ou bien que les circonstances de son utilisation sont telles qu’aucune confusion n’est possible (tel le port d’un costume de policier sur une scène de théâtre)[58]. Contrairement à l’article 433-14, ces incriminations visent donc nécessairement l’usurpation de l’intégralité et non pas de n’importe quel élément de la tenue[59]. C’est finalement au juge qu’il reviendra d’apprécier et de démontrer en quoi une méprise pourrait résulter de l’imitation en question. A cette fin, il utilisera le standard du « citoyen normalement raisonnable et avisé » afin de démontrer que celui-ci aurait pu être trompé. Il devra également tenir compte des circonstances de lieu, de temps et du milieu social et culturel dans lequel l’imitation a été commise[60].

Ensuite, le port doit intervenir en public[61]. Libre donc à chacun de se déguiser en policier ou en militaire à l’occasion d’un bal costumé privé ou d’un spectacle[62].

Enfin, il faut également que l’intéressé ait volontairement voulu faire naître, par une telle imitation, une confusion dans l’esprit du public que cela soit à des fins politiques[63], d’affabulation, de provocation ou pour commettre une autre infraction[64]. En matière de répression des infractions délictuelles venant d’être présentées (articles433-14 et 433-15), il pourra être prononcé, en plus des peines principales encourues, une ou plusieurs des peines complémentaires prévues à l’article 433-22 du Code pénal[65]. Paradoxalement, la confiscation du costume n’est curieusement prévue que dans le cadre de la contravention[66] (qui est d’ailleurs la seule peine complémentaire prévue[67]). Ces délits se verront aggraver lorsqu’ils auront eu pour objet de préparer ou de faciliter la commission d’un crime ou d’un délit[68]. Dans ce cas, au terme de l’article 433-16 du code pénal, ces délits seront punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende[69]. Classiquement, si la prescription de l’action publique en matière de contravention sera acquise au bout d’un an à compter de l’utilisation publique du costume, le délai de prescription en cas d’infractions successives ne commencera à courir qu’au moment où cesse le port ou l’usage illégal. En cas de récidive, le maximum des peines d’emprisonnement et d’amende encourues sera doublé lorsque l’intéressé commettra, dans le délai de cinq ans à compter de l’expiration ou de la prescription de la précédente peine, soit le même délit, soit un délit qui lui est assimilé[70]. Pour les contravention, le maximum de la peine d’amende encourue est porté à 3 000 euros lorsque l’intéressé commet, dans le délai d’un an à compter de l’expiration ou de la prescription de la précédente peine, la même contravention[71].

II. Le port du costume au préjudice de l’ordre public

Si certains costumes symbolisent l’ordre public – ceux qui les portent étant responsables de sa protection – d’autres, au contraire, viennent, par eux-mêmes ou du fait de leur port, perturber l’ordre public. Cela justifie que le port de ces costumes soit interdit et sanctionné afin d’inciter ceux qui les revêtissent à ne pas ou ne plus les porter (A) ou, inversement et dans certaines situations, à se costumer davantage (B).

A. Déshabillez-vous, oui mais tout de suite ![72]

L’ordre public peut être troublé dans toutes ses composantes par le port d’un vêtement que cela soit en raison du lieu où celui-ci est porté, des épisodes historiques qu’il rappelle ou bien encore à cause du costume lui même. Il sera donc nécessaire d’interdire et de sanctionner son port.

Les règlements intérieurs des maisons d’arrêt doivent ainsi prévoir que, pour les mouvements hors des cellules, « la tenue portée (…) doit faciliter, pour des raisons de sécurité, le contrôle des personnes ainsi que leur identification. [Ainsi], le port (…) du peignoir, de la robe de chambre, de la djellaba, et, de manière générale, de tout vêtement ample pouvant permettre de dissimuler des objets et rendant malaisé le contrôle visuel des personnes, est interdit lors des déplacements. (…) Hors de la cellule, la personne détenue doit conserver une tenue décente et appropriée. Il est interdit de se déplacer torse nu ou en sous vêtements. De manière générale, sont interdit en détention« pour des raisons de sécurité et de bon ordre (…) les vêtements : dont les inscriptions sont, par leur nature provocante ou outrancière, de nature à porter atteinte au bon ordre ou à la sécurité de l’établissement ; pouvant provoquer une confusion avec un intervenant ou un visiteur extérieur[73] ; pouvant provoquer une confusion avec l’uniforme pénitentiaire ou tout autre uniforme ;à imprimé « camouflage » ; pouvant servir à masquer une identité (cagoule, capuche, casquettes, …) ; en cuir, doublés ou matelassés qui protégeraient suffisamment pour franchir des dispositifs de sécurité et faciliter ainsi une évasion (gants, ceinture,.) ; chaussures munies d’une structure métallique (tige, boucle,…) ou facilitant le franchissement des dispositifs de sécurité. (…) Les vêtements ou chaussures qui déclenchent le signal des détecteurs de masses métalliques sont déposés au vestiaire »[74].

Sur la voie publique et en public, s’il est loisible à tout un chacun de s’habiller comme il le souhaite et de déambuler ainsi, le port de certains accoutrements peuvent toutefois être sanctionné car potentiellement porteur de troubles à l’ordre public soit en raison du costume lui même soit en raison du message que le port de celui-ci engendre.

Au nom du respect du principe constitutionnel de liberté d’expression, chacun est libre d’exprimer, par sa tenue, une opinion, de faire passer un message que celui-ci soit contenu dans un mot, une inscription, un dessin ou un logo inscrit sur ledit costume (souvent sur un tee-shirt) ou dans le port du vêtement lui même. Le costume est ainsi utilisé par son porteur comme un vecteur d’opinion. S’il est difficile pour l’autorité publique de prohiber la fabrication de tels vêtement[75] ou de demander à son porteur de l’ôter (au risque de causer un trouble à l’ordre public encore plus grand que celui pouvant résulter de son port), elle est toutefois autorisée à demander au juge de sanctionner le porteur s’il elle estime que tel ou tel message a causé ou aurait pu causer un trouble à l’ordre public. Mais encore faut-il que ce message puisse être rattaché à une infraction pénalement répréhensible et pas simplement qu’il perturbe une certaine bienséance[76]. Par exemple, le porteur d’un tee shirt orné d’une feuille de cannabis a été condamné pour provocation à l’usage illicite de stupéfiants puni à l’article 3421-4 du Code de la santé publique[77]. De même, un supporteur de football a été condamné pour apologie du terrorisme en raison du port, lors d’un match, d’un maillot floqué au nom de « Ben Laden »[78]. Il en irait de même, de celui qui, même à l’occasion d’un carnaval ou d’un bal, se déguiserait en djihadiste ou porterait un masque du dit « Ben laden »[79].

Qu’il s’agisse de se déguiser ou de faire état publiquement de ses opinions, un sort particulier doit être réservé aux uniformes rappelant ceux d’organisations ou de personnes responsables de crimes contre l’humanité. Leur port ou leur exhibition[80] est en effet proscrit au nom du respect de l’ordre et de la moralité publique[81]par l’article R 645-1 du Code pénal[82]. Pour que cette infraction soit constituée, il faut, d’une part, que le port ou l’exhibition de ces uniformes aient eu lieu en public[83] et que, d’autre part, ces derniers rappellent soit ceux qui ont été portés ou exhibés par les membres d’une des organisations déclarées criminelles en application de l’article 9 du statut du tribunal militaire international annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945[84], soit ceux qui ont été portés par une personne reconnue coupable par une juridiction française ou internationale d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité prévus par les articles 211-1 à 211-3 du Code pénal, ou mentionnés par la loi du 26 décembre 1964[85]. En conséquence, l’article R. 645-1 doit pouvoir s’appliquer à l’égard de tous ceux qui porteront ou exhiberont, en public, un uniforme, insigne ou emblème porté par une personne reconnue coupable par l’une de ces juridictions internationales (Tpi Y, Tpi Rwanda, Cpi). Evidemment, ne tombe pas sous cette incrimination le port ou l’exhibition de tels costume pour les besoins d’un film, d’un spectacle ou d’une exposition comportant une évocation historique. Les contrevenants seront punis de la peine d’amende prévue pour les contraventions de 5e classe, soit 1 500 € au plus[86]. Au surplus, des peines complémentaires pourront être prononcées[87].

De manière générale, par l’entremise de ses pouvoirs de police administrative définis à l’article L. 2212-2 du CGCT, le maire pourra aussi prendre en amont les mesures nécessaires pour préserver l’ordre public en interdisant le port de tel ou tel costume dans l’espace public en raison de son indécence sur la tranquillité, la sécurité ou la moralité publique ou d’un autre motif (provocation à la haine, atteinte à la dignité de la personne humaine…) ainsi que des circonstances locales.

B. Rhabillez-vous oui mais très vite !

Dans certain cas, le trouble à l’ordre public et aux bonnes mœurs peut naître non pas du port d’un costume mais plutôt de l’absence de tout costume – la tenue d’Adam – ou du port d’une tenue plutôt légère.

C’est notamment le cas lorsque le délit de racolage est constaté sur la voie publique ou dans un lieu accessible au public[88]. L’analyse de la jurisprudence démontre que, parfois, ce délit peut être constitué par le simple port d’une tenue vestimentaire que l’on pourrait qualifier de suggestive[89]. Pour autant, cette dernière est, dans la plupart des cas, jugée comme insuffisante pour caractériser une tentative de racolage[90]. En effet, à l’image de l’ancienne infraction d’incitation à la débauche[91], ni le lieu de stationnement, ni la tenue vestimentaire[92], ni l’état de « prostituée notoire » de la prévenue, ni l’acte de prostitution lui-même ne sont en général, à eux seuls, suffisants pour permettre à la juridiction de caractériser l’infraction[93]. Contrairement au dicton bien connu et aux pratiques policières, l’habit ne fait en effet pas le moine[94]. Encore faut-il démontrer que le port de cette tenue s’est accompagné d’une proposition de relations charnelles tarifées et ce par différents moyens de preuve (photographies, témoignages des riverains et du client, etc). Même si le « minimalisme vestimentaire est souvent suffisant pour la police pour présumer de l’existence d’un délit de racolage, le juge se refuse [donc] à franchir le pas, de la provocation vestimentaire à l’incitation à la débauche »[95].

L’ordre public et les bonnes mœurs peuvent également être troublé dans l’espace public, spécifiquement dans les stations balnéaires et durant la saison estivale, par des individus se croyant autorisés à se promener torse nu et en maillot de bain dans les rues ou à pratiquer le naturisme n’importe où. La protection de la décence permet au maire d’utiliser ses pouvoirs de police afin de prescrire les mesures nécessaires pour assurer le maintien de l’ordre public notamment sur le rivage de la mer et ses alentours. Toutefois, en la matière, « l’intervention du maire est permise en deçà du scandale »[96]. En effet, « le seul caractère immoral allégué desdites tenues, à le supposer même établi, ne peut fonder légalement leur interdiction »[97]. Le maire « n’est en effet pas chargé d’assurer la prévalence d’une morale abstraite, il n’est autorisé à intervenir qu’en cas de trouble de l’ordre public dans sa commune. Il doit ainsi aussi invoquer des circonstances locales de nature à démontrer que ce qu’il prétend atteindre et qui passerait ailleurs éventuellement inaperçu, constitue bien un trouble à la moralité publique dans sa commune »[98]. Ainsi, l’exigence de ce critère cumulatif vise à éviter l’instauration d’un ordre moral autochtone, attentatoire à la liberté de se vêtir à sa guise »[99]. Le juge se fonde donc non seulement sur la protection des bonnes mœurs mais aussi sur la protection de l’ordre matériel. C’est ainsi que, par exemple, le TA de Montpellier a jugé que « le port d’une tenue de bain ou le torse nu sur la voie publique [n’a pas] été susceptible de provoquer (…) des troubles matériels sérieux »[100]. Il en va de même concernant les arrêtés des maires réglementant la pratique du naturisme sur les plages de leurs communes[101].

De telles pratiques, spécifiquement le naturisme, dans des lieux publics qui ne seraient pas spécialement aménagés à cet effet, pourront être qualifiées par le juge pénal d’exhibition sexuelle[102]. Cette incrimination suppose la réunion de trois éléments : l’acte matériel d’exhibition sexuelle lui-même ; sa commission en public et le fait d’offenser volontairement ou par négligence la pudeur publique. L’acte incriminé doit en effet être constitué d’un geste ou une attitude déplacés au regard de la pudeur publique, d’une attitude lubrique[103]. Exhiber sa nudité ne suffit pas[104]. Et c’est bien là la différence avec l’outrage à la pudeur – le délit plus restrictif qu’elle remplace dans le nouveau Code pénal – pour lequel le simple fait de se montrer complètement et publiquement nu suffisait à constituer le délit. C’est l’évolution des mœurs qui a fait évoluer, tout d’abord, la jurisprudence puis, ensuite, le législateur. Si auparavant on considérait que la nudité était en elle même source de scandale[105], l’attitude de certains magistrats[106] a incité le législateur a modifié sa position. Dernièrement, ce sont les activistes des Femen qui ont pu être jugées et condamnées pour exhibition sexuelle[107]. Cette infraction s’applique également à la nudité présentée dans le cadre d’un spectacle[108].

Qu’il soit d’Eve ou d’Adam, de sapeur-pompier ou de gendarme, de magistrat ou d’universitaire, de militaire ou de criminel contre l’humanité, d’avocat ou de fille de joie, le costume ou l’uniforme est donc, selon le cas, tout aussi bien un élément perturbateur de l’ordre public qu’une représentation extérieure et symbolique de la puissance publique chargée d’assurer la protection de cet ordre public.

Mais comment ne pas conclure avec Alain qu’en définitive « l’homme qui se sent réellement puissant ne veut rien devoir au costume ; il prétend être reconnu sans les insignes, et être acclamé tout nu »[109].


[1] « Nulle personne de l’un ou l’autre sexe ne pourra contraindre aucun citoyen ou citoyenne à se vêtir d’une manière particulière, sous peine d’être considérée et traitée comme suspecte et poursuivie comme perturbatrice du repos public. Chacun est libre de porter le vêtement et ajustement de son sexe qui lui convient ». Ce principe traduit, en matière d’habillement, la philosophie libérale des révolutionnaires. Plus spécifiquement, il s’agissait à l’époque de tirer les conséquences de l’article 9 de la loi du 7 août 1792 interdisant le port des habits ecclésiastiques.

[2] L’ordre public général municipal inclut depuis longtemps la protection de la moralité publique. Il s’agit de « prévenir les scandales publics… les atteintes publiques au minimum d’idées morales naturellement admises, à une époque donnée, par la moyenne des individus (P.-H. Teitgen, La police municipale, Sirey 1934). [La protection de la moralité publique s’entend aussi de la protection de la décence]. Les appréciations de ce qui est on non contraire au bon ordre et à la décence sont donc dépendantes des évolutions sociales et locales ». D. Maillard Desgrées du Loû, Police municipale – Compétences, JurisClasseur coll. terri., fasc. 705, n°40.

[3] R. Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal français, 3e éd., 1913-1935, Recueil Sirey, IV, n° 1727, p. 656.

[4] A. Bouzon-Roulle, Uniforme – Costume, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, n°1.

[5] Ibid.

[6] « Gardiens de la paix, membres des compagnies républicaines de sécurité, services de police ne relevant pas de l’Etat comme la police municipale, gardes-chasse et gardes-pêche ». C. Ribeyre, Usurpation de signes réservés à l’autorité publique, JurisClasseur Pénal, Fasc. 20, n°11.

[7] A. Bouzon-Roulle, Uniforme – Costume, op. cit., n°1.

[8] Ibid. n°5.

[9] Jorf n°109 du 10 mai 1995 page 7703.

[10] Jorf n°28 du 3 février 2004 page 2360, texte n° 1.

[11] « Tout militaire en service porte l’uniforme [qui] ne doit comporter que des effets réglementaires. Il doit être porté, au complet, avec la plus stricte correction ».

[12] Jorf n°0271 du 23 novembre 2011 texte n° 3.

[13] Jorf n° 172 du 28 juillet 2010, texte n° 19.

[14] Boc, 2005, p. 4797.

[15] Boc N°39 du 23 septembre 2011, texte 18.

[16] Boc, 2004, p. 3793. ; Boem 557-1.1.

[17] Jorf n°223 du 26 septembre 1990 page 11645.

[18] Jorf n°0094 du 22 avril 2015 page 7076.

[19] Jorf n°303 du 29 décembre 1996 page 19417.

[20] Jorf du 15 septembre 1989 page 11648.

[21]« Habit bleu, broderie en argent, branche d’olivier au collet, parements et taille, baguette au bord de l’habit, gilet blanc, chapeau français à plumes noires, ganse brodée en argent, épée argentée à poignée de nacre, écharpe tricolore avec glands à franges d’or. Petite tenue : même broderie au collet et parements ».

[22]« Coins brodés au collet, parements, taille et baguette” ; petite tenue : “coins au collet et parements, écharpe tricolore à franges d’argent ».

[23] S’il faut bien reconnaître que ces costumes « ne correspondent plus toujours aux mœurs de notre temps » (E. Landot, Statut protocolaire des élus locaux, JurisClasseur Collectivités territoriales, fasc. 24) et ont pu être critiqués pour leur côté « folklorique » (Rép. min. à L. Deprez n° 27083 : Joan Q 17 mai 1999, p. 3007), il faut toutefois rappeler que ce décret n’ayant jamais été abrogé, ils restent théoriquement en vigueur. Théoriquement car, en réponse à une question relative aux perspectives d’abrogation de ce décret, le ministre de l’Intérieur a répondu que ce texte n’était qu’une survivance historique et que le port de ces costumes est tombé en désuétude depuis de nombreuses décennies. Ce texte étant donc devenu sans objet, il n’apparaît pas nécessaire de l’abroger (Rép. min. à M. S. Mathieu, n° 35693 : JO Sénat Q 13 déc. 2001, p. 3947.). D’ailleurs, dès l’origine, il semble que personne n’entendait réellement faire obligation aux maires de porter ce costume. Si aux termes de l’article 2 de ce décret, le port du costume officiel de maire demeurerait « obligatoire dans les cérémonies publiques et toutes les fois que l’exercice de la fonction peut rendre nécessaire ce signe distinctif de son autorité », la méconnaissance de ce texte n’a jamais été sanctionnée. L’écharpe tricolore est, en fait, le seul signe distinctif dont le port est obligatoire pour les maires et leurs adjoints « dans les cérémonies publiques et toutes les fois que l’exercice de leurs fonctions peut rendre nécessaire ce signe distinctif de leur autorité » (Cgct, art. D. 2122-4), mais la méconnaissance de cette formalité n’a aucune conséquence juridique.

[24] C. Ribeyre, Usurpation de signes réservés à l’autorité publique, op. cit.,n°2. « L’étymologie du terme « usurpation » est instructive : ce dernier vient de la contraction du latin usus « usage » et rapere « enlever », « prendre en se servant », « faire usage de », ou encore « se servir de ». Il signifie à l’origine « prendre possession par l’usage » ». A. Bouzon-Roulle, Uniforme – Costume, op. cit., n°11.

[25] « Le pouvoir (…) d’autoriser le port de costumes ou d’uniformes (…) est un attribut de la puissance publique. De même que celle-ci a, seule, le pouvoir de nommer à des fonctions publiques, de même il dépend exclusivement d’elle d’établir, entre les citoyens, des distinctions manifestant extérieurement les fonctions officielles exercées. C’est afin de protéger le prestige et la dignité des marques officielles instituées par la puissance publique et d’éviter les abus qui pourraient résulter d’une usurpation ou d’une imitation de ces marques que le Code pénal incrimine [ces] comportements ». C. Ribeyre, Usurpation de signes réservés à l’autorité publique, op. cit., n°1.

[26]N’étant pas magistrat, il portera donc sa tenue d’uniforme.

[27] Art. 2 du décret n°90-850 du 25 septembre 1990 portant dispositions communes à l’ensemble des sapeurs-pompiers professionnels.

[28] CE 4 novembre 1994, Féd. C.G.T. des services publics, req. N°121313, Droit adm 1994, n°12, p. 4.

[29] Ibid.

[30] Ibid.

[31] L’alinéa 2 de l’article étend cette protection aux décorations, médailles ou insignes étrangers mais pas aux costumes d’armées étrangères.

[32] Cette section est insérée dans le chapitre III réservé aux atteintes à l’administration publique commises par les particuliers, lui-même inclus dans le titre III consacré aux atteintes à l’autorité de l’Etat du livre IV réservé aux crimes et délits contre la nation, l’Etat et la paix publique.

[33]C. Ribeyre, Usurpation de signes réservés à l’autorité publique, op. cit., n°2.

[34] Art. 433-14 c. pén. : Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « le fait, par toute personne, publiquement et sans droit : De porter un costume, un uniforme ou une décoration (ou un insigne) réglementés par l’autorité publique (…) ».

[35] A. Bouzon-Roulle, Uniforme – Costume, op. cit., n°11.

[36] Uniformes de Préfet ou de diplomate ; robes de la magistrature professionnelle ou élue, des professeurs d’universités, des personnels des greffes, des avocats ; uniformes des agents de l’administration pénitentiaire, uniformes des policiers nationaux ou municipaux, des gendarmes, des gardes-champêtres, des sapeurs-pompiers, des douanes, de l’armée, etc.

[37] Leur port n’étant pas réglementés par l’autorité publique, mais par la tradition ou une réglementation propre à l’entreprise, ne sont donc pas concernés par cette incrimination : les costumes de confréries honorant certains produits locaux (taste-vins, taste-fromages,…), les costumes ou uniformes correspondants à des professions privés (tenues des professions médicales notamment), les costumes des ecclésiastiques, les uniformes d’autrefois (comme l’uniforme d’un grognard napoléonien), les uniformes des agents de sociétés nationalisées ou de services publics (tenue des préposés des postes, des agents d’ERDF, des employés de la SNCF, des huissiers des administrations, des gardiens de musées, des uniformes du personnel des compagnies maritimes ou aériennes,…). Sont également exclus les uniformes ou costumes étrangers car le port sans droit de ces tenues ne porte pas atteinte à l’autorité publique française (T. corr. Seine, 9 déc. 1936, S. 1937. 2. 133).

[38] « de même la simple possession d’une décoration n’est pas suffisante, encore faut-il l’avoir fixée sur un vêtement, bref en faire usage » C. Ribeyre, Usurpation de signes réservés à l’autorité publique, op. cit., n°26.

[39] Ainsi, une danseuse de cabaret a-t-elle pu être condamné pour avoir revêtu en public la tunique et la casquette d’un client officier (T. corr. Orléans, 20 janv. 1932, inédit, cité par A. Bouzon-Roulle, Uniforme – Costume, op. cit., n°19).

[40] Ainsi en va-t-il de celui qui porte sans droit une robe d’avocat dans un palais de justice (Cass. crim., 5 nov. 1997).

[41] T. corr. Seine, 9 déc. 1936 : S. 1937, 2, p. 133 ; Gaz. Pal. 1937, 1, p. 555.

[42] Comme, par exemple, une nomination dans la fonction ou le grade correspondant. Par exemple, pour le port illicite d’un pull-over de sapeur-pompier, cf. Ca Caen, 31 mai 2010, RG n° 09/00971 et 10/00449.

[43] Pour porter une robe d’avocat ou de magistrat, il faut, par exemple, avoir prêté serment.

[44] C’est par exemple le cas d’un policier qui revêt son uniforme en dehors des heures de son service ou d’un militaire qui porte son uniforme au cours d’un bal par exemple.

[45] Ainsi en va-t-il d’un avocat qui, rayé du tableau, continuait à se présenter en robe pour plaider devant le tribunal de commerce (T. corr. Alger, 5 mars 1898 : S. 1898, 2, p. 287 ; DP 1899, 2, p. 33. – Ca Alger, 16 déc. 1898 : DP 1899, 2, p. 38).

[46]C’est par exemple le cas de celui qui porte illégalement un uniforme de sapeur-pompier afin de voler et escroquer une caserne (Metz, chambre correctionnelle, 7 nov. 1991, Juris-Data no 1991-052340). Il s’agit donc d’un dol général et non spécial. Ce dernier nécessiterait d’apporter la démonstration de « la volonté de faire croire à l’existence en la personne du prévenu de la fonction ou de la qualité dont le costume ou l’uniforme est la représentation extérieure » (A. Chauveau et F. Hélie, Théorie du Code pénal, 5e éd., III, n° 1065. – R. Garraud, op. cit., IV, n° 1727, p. 659). Or, « admettre la nécessité d’un dol spécial affaiblirait considérablement la répression en permettant à des personnes de tourner en ridicule les signes protégés à l’occasion de manifestations publiques (carnaval par exemple) alors que précisément c’est l’atteinte à l’autorité publique qui est protégée ». C. Ribeyre, Usurpation de signes réservés à l’autorité publique, op. cit., n°38.

[47] L’erreur consiste « dans la méprise de l’agent sur une règle de droit l’ayant conduit à croire à tort qu’il pouvait légitimement accomplir son acte. Cette erreur exonérera le prévenu de sa responsabilité pénale seulement s’il parvient à justifier qu’il n’a pas été en mesure de l’éviter. Tel serait le cas d’un militaire qui, suspendu de ses fonctions, continuerait à porter son uniforme, cette interdiction ayant été omise dans la décision de suspension. Il conviendrait alors au prévenu de prouver qu’il s’était préalablement renseigné sur les conséquences de cette décision ». A. Bouzon-Roulle, Uniforme – Costume, op. cit., n°24.

[48] Ibid. n°23 : « car, dans pareille situation, la volonté de l’auteur est d’exhiber sciemment et sans droit un signe de l’autorité publique dans des circonstances pouvant lui porter atteinte. L’infraction devrait ainsi être retenue, notamment s’il s’agit d’une séance qui n’a pas un caractère strictement privé, comme, par exemple, lors d’une manifestation à caractère festif ou dans le cadre d’un défilé ».

[49] Article 433-17 c. pén. : « L’usage, sans droit, d’un titre attaché à une profession réglementée par l’autorité publique ou d’un diplôme officiel ou d’une qualité dont les conditions d’attribution sont fixées par l’autorité publique est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Les personnes physiques ou morales coupables du délit prévu à la présente section encourent également la peine complémentaire suivante : interdiction de l’activité de prestataire de formation professionnelle continue au sens de l’article L. 6313-1 du code du travail pour une durée de cinq ans ».

[50] Un juriste est condamné aux motifs qu’il avait été retiré du tableau de l’ordre des avocats du barreau de Paris à la suite d’un arrêt prononçant sa liquidation judiciaire, et qu’il a malgré tout reçu un client dans ce cabinet en faisant état de sa qualité d’avocat puis s’est présenté, en robe d’avocat, au parquet pour se faire remettre un double de la procédure concernant ce client (Ca Paris, ch. 11, sect. B, 3 avr. 2009, n° 08/09596 : JurisData n° 2009-004668). « De même, les personnes qui se font passer pour des policiers, en portant un brassard caractéristique, pour procéder à des contrôles de véhicules ». A. Vitu, Usurpation de titres, JurisClasseur pénal des affaires, fasc. 10, n°45.

[51] Ces deux infractions sont donc complémentaires. « D’autant que, « l’usurpation des titres, diplômes et qualités (…) était autrefois réprimée par le même texte que celui punissant l’usurpation de costumes, d’uniformes et de décorations – article 259 de l’ancien Code pénal ». C. Ribeyre, Usurpation de signes réservés à l’autorité publique, op. cit., n°2.

[52]Les peines sont d’ailleurs de fermeté identique

[53]« En effet, l’usage sans droit ni titre, d’un diplôme ou d’une qualité, au sens de l’article 433-17, est largement entendu. Par conséquent, le danger existe de considérer que celui qui porte indûment un costume, un uniforme ou une décoration usurpe, ipso facto, le titre correspondant. Autrement dit, ce seul fait pourrait constituer les deux infractions à la fois. C’est la raison pour laquelle il semble qu’en cumulant les qualifications, on risque de punir deux fois ce seul et même fait. Le cumul répressif ne devrait être admis qu’à la condition de caractériser un fait d’usurpation de titres distinct du port d’un costume, d’un uniforme ou d’une décoration réglementés. Par exemple, l’intéressé a non seulement porté la robe d’avocat, mais il a également mentionné le titre dans des lettres à en-tête : l’usurpation dudit titre existe indépendamment du port illégal du costume correspondant ». A. Vitu, Usurpation de titres, op. cit., n°45.

[54] Art. 433-15 c. pén. : « Est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende le fait, par toute personne, publiquement, de porter un costume ou un uniforme ou de faire usage d’un insigne ou d’un document présentant, avec les costumes, uniformes, véhicules, insignes ou documents distinctifs réservés aux fonctionnaires de la police nationale ou aux militaires, une ressemblance de nature à causer une méprise dans l’esprit du public ». « Les faits sont donc moins graves que ceux qui viennent d’être étudiés, dans la mesure où ils offensent moins directement les prérogatives de l’autorité publique, qui trouvent néanmoins dans le texte à présent commenté une protection complémentaire ». C. Ribeyre, Usurpation de signes réservés à l’autorité publique, op. cit., n°49.

[55] Art. R. 643-1 c. pén. : « Hors les cas prévus par l’article 433-15, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 3e classe (450 euros) le fait de porter publiquement un costume ou un uniforme ou de faire usage d’un insigne ou d’un document présentant avec des costumes, uniformes, insignes ou documents réglementés par l’autorité publique une ressemblance de nature à causer une méprise dans l’esprit du public. Les personnes coupables de la contravention prévue au présent article encourent également la peine complémentaire de confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit ».

[56] L’infraction sera« consommée si le vêtement revêtu par le prévenu diffère uniquement par des détails secondaires du costume ou de l’uniforme authentique ». A. Bouzon-Roulle, Uniforme – Costume, op. cit., n°46.

[57] Une imitation grossière, trop éloignée de la réalité, ne saurait donc suffire pour caractériser le délit. Il en ira de même si le costume ou l’uniforme imité est tombé en désuétude. De plus, il n’est pas nécessaire que la méprise ait effectivement eu lieu, il suffit qu’elle ait été possible.

[58] L’infraction délictueuse s’adresse plus particulièrement aux agents de société de surveillance et de sécurité privée, de sociétés privées de gardiennage, de transport de fonds, de protection. Il est vrai que la tenue de ces derniers est parfois difficile à distinguer de certaines tenues militaires ou policières. Toutefois, on peut se demander si elle ne fait pas doublon avec les dispositions du Code de la sécurité intérieure qui prohibe toute confusion provoquée avec les uniformes portés par les agents des services publics, notamment de police nationale et municipale, de la gendarmerie, des douanes avec ceux des agents de surveillance, de gardiennage, de transport de fonds et de protection (article L. 613-4) et ceux des services de sécurité des bailleurs d’immeubles (article L. 614-3).

[59] Ainsi, « une tenue disparate, même comportant des éléments ressemblants, ne saurait causer de méprise, sauf si la ressemblance d’un certain nombre d’éléments est suffisante à créer la confusion dans l’esprit du public. Ainsi, n’est pas incriminé au titre de la ressemblance le port d’une partie seulement d’un uniforme, puisque l’absence du tout ne peut créer aucune ressemblance véritable ». A. Bouzon-Roulle, Uniforme – Costume, op. cit., n°32-33.

[60] Ibid. n°33 : « Les juges disposent ainsi d’un large pouvoir d’appréciation d’ordre subjectif. En effet, ils devront déterminer l’éventuelle méprise, en s’adaptant à la mentalité du public courant, moins exercé que ces professionnels ».

[61] Cet élément s’analyse comme précédemment.

[62] Ainsi par exemple est-il exclu que soit réprimé le port, par des acteurs de théâtre, sur scène, de costumes ou d’uniformes imitant ceux de la police nationale ou de militaires. En revanche si les acteurs, après la manifestation, décidaient de se rendre sur la voie publique dans leurs costumes de scène, l’infraction pourrait être constituée.

[63] « V. par exemple le rapport de l’Assemblée nationale relatif au « DPS », Département protection sécurité, groupe de protection lié à un parti politique et dont, dans l’esprit de certains citoyens, les membres ont pu être pris pour des gendarmes, Rapp. AN n° 1622, G. Hermier et B. Grasset, au nom de la commission d’enquête sur les agissements, l’organisation, le fonctionnement, les objectifs du groupement de fait dit « Département protection sécurité » et les soutiens dont il bénéficierait, 26 mai 1999 ». C. Ribeyre, Usurpation de signes réservés à l’autorité publique, op. cit., n°4.

[64] Classiquement, à la différence d’un délit et en l’absence de précision contraire, une contravention est purement matérielle et non intentionnelle. Il n’est donc pas nécessaire d’apporter la preuve que le prévenu a agi soit intentionnellement soit même par imprudence. Le simple fait matériel suffit. Toutefois, l’article R. 643-1 du Code pénal venant en complément de l’infraction délictuelle prévue à l’article 433-15, il est permis d’affirmer que l’élément intentionnel doit se retrouver dans les deux cas.

[65] Interdiction des droits civiques, civils et de famille ; interdiction, soit définitive, soit de dix ans au plus, d’exercer une fonction publique ou d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise ; affichage ou diffusion de la décision.

[66] La confiscation de plein droit prévue à l’article 131-21 c. pén. n’est ici par applicable au regard de la faible peine d’emprisonnement encourue (elle ne s’applique qu’aux délits sanctionnés d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à un an).

[67] Seront confisqués, non seulement, le costume imitant l’uniforme protégé mais également les sommes d’argent ou les biens que l’auteur des faits se serait fait remettre grâce à l’usage de ce costume.

[68] Ce sera, par exemple, le cas pour un voleur ou un escroc qui, pour réaliser son méfait, s’est vêtu d’un costume réservé à un personne dépositaire de l’autorité publique. « Il s’agit de tenir compte de la particulière dangerosité des malfaiteurs qui cherchent à provoquer, chez la victime notamment, une confusion avec une qualité d’agents publics. Peu importe alors que le prévenu se soit arrêté au niveau des actes préparatoires, qu’il ait au contraire atteint l’étape du commencement d’exécution constitutif d’une tentative ou qu’il ait pleinement consommé l’infraction vers laquelle il tendait ». C. Ribeyre, Usurpation de signes réservés à l’autorité publique, op. cit., n°44.

[69]La peine complémentaire de confiscation de plein droit sera donc ici applicable.

[70]Art. 132-10 c. pén.

[71]Art. 132-11 c. pén.

[72] En clin d’œil aux différentes thématiques du colloque, les titres de cette partie sont inspirés de la chanson de J. Greco « déshabillez-moi ».

[73] Comme, par exemple, porter une veste de costume (Cour Administrative d’Appel de Nantes, N° 13NT01644, 4 déc 2014).

[74] article R. 57-6-18 c. proc. pén.

[75] « Cette posture n’est pas sans danger car si la police et la justice commencent à opérer le tri de ce qui est ou non imprimable sur tissu, l’état de droit pourrait se chiffonner avant que de se flétrir ». C. Kleitz, « Couvrez ce tee-shirt que je ne saurais voir », Gaz. Pal., 04 octobre 2012 n° 278, p. 3.

[76] Aux Etats-Unis, un passager a été contraint de masquer l’inscription « FUCK » qu’il arborait sur son tee-shirt afin de pouvoir monter dans son avion.

[77] T. corr. Lorient, 25 juill 2012.

[78] T. corr. Paris, 21 déc 2012.

[79] On aurait pu craindre que l’article 1er de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 qui prévoit que « nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage » mette un terme à la tradition de se masquer lors du carnaval. L’article 2 II de la loi prévoit heureusement que « l’interdiction prévue à l’article 1er ne s’applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles »

[80] Sont donc concernés non seulement le port mais également l’exhibition de ces uniformes, insignes ou emblèmes lors d’une vente aux enchères avec exhibition de ces uniformes sur un site internet (Tgi Paris, 26 févr. 2002 : Juris-Data n° 2002-169041 ; Gaz. Pal. 2002, 2, somm. p. 1639). L’exhibition peut consister en une exposition dans la vitrine d’un magasin ou de tout lieu visible du public.

[81]« Le port en public d’uniformes, insignes ou emblèmes rappelant le régime nazi ne constituant pas d’infraction particulière, et devant l’émotion légitime de tous ceux qui gardaient en mémoire les atrocités vécues, le législateur a comblé cette lacune en sanctionnant [ce] port » R. Pugnière, Contraventions contre la Nation, l’Etat ou la paix publique (cinquième classe) – Port ou exhibition d’uniformes, insignes ou emblèmes rappelant ceux d’organisations ou de personnes responsables de crimes contre l’humanité, JurisClasseur Pénal, n°2.

[82]Art. R645-1 c. pén. : « est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe le fait (…) de porter ou d’exhiber en public un uniforme, un insigne ou un emblème rappelant les uniformes, les insignes ou les emblèmes qui ont été portés ou exhibés soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, soit par une personne reconnue coupable par une juridiction française ou internationale d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité prévus par les articles 211-1 à 212-3 ou mentionnés par la loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964 ».

[83] Dans les mêmes conditions que vu plus haut.

[84] La Charte du Tribunal militaire international prévoit, dans son article 9, l’autorisation de mise en accusation des organisations déclarées criminelles par le jugement du Tribunal de Nuremberg du 1er octobre 1946 (le corps des chefs du parti nazi ; la Gestapo et le SD ; les SS).

[85] Sont ainsi visés, le génocide, la déportation, la torture et l’enlèvement avec la disparition de personnes, la torture ou des actes inhumain.

[86]Article 131-13 c. pén. En cas de récidive, les régles présentées supra s’appliquent.

[87] Art. 131-18 c. pén. :« 1° L’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de trois ans au plus, une arme soumise à autorisation ; 2° La confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition ; 3° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit ; 4° Le travail d’intérêt général pour une durée de vingt à cent vingt heures. La juridiction peut ne prononcer que l’une ou plusieurs des peines complémentaires encourues ».

[88] Art. 225-10-1 c. pén. : « Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération est puni de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende ».

[89] Il a, par exemple, été jugé que tel était le cas d’une demoiselle qui, assise sur le siège conducteur d’un fourgon, était vêtue d’une nuisette non fermée et transparente de couleur rose, laissant apparaître un body en dentelles (Ca Paris, 13e ch. corr., 9 février 2005) ou bien encore d’une autre se promenant vêtue d’une mini-jupe noire et d’un tee-shirt blanc moulant dans une voie de bus afin de se faire aborder (Ca Paris, 13e ch. corr., 3 février 2004).

[90] Ainsi en est-il d’une demoiselle stationnant vers minuit au bord d’un trottoir légèrement vêtue dans un endroit connu pour la prostitution (Ca Caen, ch. corr., 21 juin 2004) ou de celle qui, vêtue d’une mini-jupe, se penche de manière ostentatoire vers un automobiliste. C’est également le cas d’un homme travesti portant une longue perruque rousse, un manteau long en renard noir, une mini-jupe noire, des bas résille et des bottes montantes à talon aiguille en se tenant dans une posture non équivoque sur la voie publique (Ca Toulouse, 3e ch. corr., 24 novembre 2005).

[91]Anc. Art. R. 34, 13° c. pén.

[92]Cf. Cass. crim., 13 nov. 1963 : Bull. crim. 1963, n° 320.

[93] La prostitution n’étant pas en soit une infraction en France, « le seul stationnement, même prolongé, sur un trottoir connu comme lieu de prostitution d’un travesti décrit légèrement vêtu et connu pour se prostituer n’est pas suffisant pour caractériser le délit de racolage » (Ca Rouen, 10 mars 2004). Ainsi, une prévenue interpellée dénudée dans une voiture avec un client, ayant déclaré qu’elle marchait en direction de la gare lorsqu’une voiture s’était arrêtée à sa hauteur avant que le chauffeur lui demande le prix de sa prestation a été relaxée au motif que l’infraction de racolage « ne résulte pas du seul acte de prostitution lui-même » et que « les déclarations du client sont insuffisantes à caractériser » le délit (Ca Riom, ch. corr., 30 nov. 2005 : Juris-Data n° 2005-307365).

[94]« Le quidam devient une cible privilégiée des contrôles d’identité inopinés, « quel que soit son comportement » pour « prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens », en vertu de l’article 78-2 du Code de procédure pénale. Encouragés à en faire une lecture ciblée, les forces de l’ordre ne cantonnent plus leurs contrôles à des territoires potentiellement dangereux mais à des individus virtuellement « suspects ». Dorénavant, la police se focalise plus sur l’habit que sur l’habitat… Le premier devient un objet de contrôle non plus en tant qu’obstacle à l’identification mais comme tel. C’est la tenue vestimentaire qui fait le délinquant potentiel. Nul n’est besoin d’être versé en sociologie urbaine pour deviner que certains accessoires textiles jouent le rôle de marqueurs à l’instar des sweat-shirts, cagoules, bref, de toute la panoplie du « (d)jeune de banlieue ». Le contrôle d’identité a tendance à se fonder sur des identifiants : le faciès et/ou le look. Là réside le danger, quand de l’apparence vestimentaire se déduit une appartenance identitaire, puis, de fil en aiguille, une présomption de culpabilité. En l’occurrence, l’habit ferait bien le moine. Chacun est libre de se vêtir à sa guise et le choix d’une garde-robe n’a pas à être régenté d’avance par un quelconque code de l’habillement. Le look ressortit à la liberté individuelle et tous les goûts ont droit de cité, fussent-ils odieux. Au nom de l’apparence vestimentaire, aucun ordre public esthétique ne peut s’imposer ». R. Hanicotte, « « Pandore et saint-frusquin », à quand une police du textile ? », Jcp A, n°28, 8 juill. 2013, p. 2211, n°14 et 19.

[95] Ibid. n°6.

[96] D. Maillard Desgrées du Loû, Police municipale – Compétences, op. cit., n°40.

[97] Ibid. n°45.

[98] Ibid.

[99] R. Hanicotte, « « Pandore et saint-frusquin », à quand une police du textile ? », art. préc., n°5.

[100] TA Montpellier, 18 déc. 2007, n° 053863, Bauer. Ce jugement, « fidèle à la jurisprudence Commune d’Arcueil, n’a censuré l’arrêté municipal prohibant la déambulation, torse nu, sur la voie publique, que dans la mesure où son immoralité alléguée ne s’accompagnait d’aucune circonstance locale particulière. Ainsi, au regard de la juridiction administrative, l’éventuelle atteinte à la décence vestimentaire ne suffit pas, au titre de l’ordre public immatériel. Elle y ajoute la condition restrictive afférente aux circonstances locales ». R. Hanicotte, « « Pandore et saint-frusquin », à quand une police du textile ? », art. préc., n°5.

[101] « Il appartient au maire, en vertu des pouvoirs de police (…) de prescrire les mesures nécessaires pour assurer le maintien du bon ordre et de la décence sur le rivage de la mer ; (…) dès lors, le maire de Biarritz, en raison de la disposition naturelle et de la fréquentation des plages et falaises de cette commune, a pu, sans excès de pouvoir, interdire aux baigneurs de se déshabiller et de se rhabiller sur lesdites plages et falaises »(CE, sect., 30 mai 1930, Beaugé : Rec. CE 1930, p. 582. – V. aussi CE, 7 déc. 1938, Sté « Castillon-Plage » : Rec. CE 1938, p. 915). « Le maire de la commune de Trois Bassins tenait de ces dispositions le pouvoir de prévenir les troubles à l’ordre et à la tranquillité publiques sur l’ensemble du territoire communal y compris le domaine public maritime et avait compétence pour réglementer, par une mesure de police administrative, la pratique du naturisme sur les plages de la commune » (Caa Bordeaux, 10 janv. 2012, n° 10BX02480, Boutet c/ Cne Trois-Bassins).

[102] Art. 222-32 c. pén. : « L’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».

[103] Se rend coupable d’exhibition sexuelle toute personne qui, ostensiblement, offre le spectacle de la nudité des parties les plus intimes de son corps, dans un lieu public ou tout simplement accessible au public qui peut en être le témoin volontaire ou involontaire. En l’espèce, le délit est constitué par le comportement du prévenu qui caressait son sexe sur une plage publique et pratiquait le naturisme sur une zone rocheuse proche de celle-ci, non réservées aux adeptes du naturisme (Ca Aix en Provence, 27 nov 1996).

[104] C’est ainsi qu’on a considéré comme outrage public à la pudeur le fait de se mettre nu pour pêcher dans une rivière (Ca Montpellier, 8 août 1859 : DP 1860, 5, p. 29 ; S. 1859, 2, p. 490).

[105] Les juges estimant « qu’en France, dans l’état actuel de nos mœurs, le spectacle d’une femme s’exhibant la poitrine entièrement nue [et en monokini] dans les rues d’une ville, même à proximité d’une plage, est de nature à provoquer le scandale et à offenser la pudeur du plus grand nombre » (T. corr. Grasse, 20 mai 1965 : Jcp G 1965, II, 14323 ; Rev. sc. crim. 1965, p. 881). Ont ainsi été condamné pour outrage à la pudeur une femme qui, dans une voiture automobile arrêtée au bord d’une route, était seins nus pour être photographiée dans cette tenue sommaire (Cass. crim., 9 mai 1962 : Rev. sc. crim. 1965, p. 881), une jeune femme, qui avait accepté de jouer une partie de ping-pong les seins nus sur la Croisette, à Cannes (Cass. crim., 22 janv. 1965, n° 65-91.997), une nudiste qui se promenait, complètement dévêtue sur une route, dans l’île du Levant (Ca Aix-en-Provence, 10 déc. 1953 : Jcp G 1954, II, 7943).

[106] Traduisant l’évolution des mœurs, la personne qui s’était mise nue pour plonger dans un port a été relaxé au motif que « la simple nudité d’un individu sans attitude provocante ou obscène ne suffit pas à constituer le délit d’outrage public à la pudeur » (Ca Douai, 28 sept. 1989 : JurisData n° 1989-052784). Aussi, il a été jugé que le port du monokini ne pouvait être une occasion de scandale à une époque où le spectacle de la nudité du corps humain est fréquent pour des raisons de sports, d’hygiène ou d’esthétique et n’a rien en soi qui puisse « outrager une pudeur normale, même délicate », la seule réserve condamnable étant soit l’exhibition des parties sexuelles, soit des attitudes ou gestes lascifs ou obscènes, conditions qui n’étaient pas réalisées en l’espèce » (Ca Aix-en-Provence, 5e ch., 20 janv. 1965 : Jcp G 1965, II, 14143 bis ; Gaz. Pal. 1965, 1, p. 208). Mais la Cour de cassation a été d’un avis contraire, estimant qu’il y avait là une exhibition provocante de nature à offenser la pudeur publique et à blesser le sentiment moral de ceux qui ont pu en être les témoins (Cass. crim., 22 déc. 1965 : D. 1966, p. 144). La jurisprudence de la Cour de cassation a toujours été plus sévère en la matière. Dans cette lignée, certaines Cours d’appel ont condamné un baigneur qui se trouvait nu sur des rochers qui n’étaient pas réservés aux adeptes du naturisme (Ca Aix-en-Provence, 27 nov. 1996 : JurisData n° 1996-046519) ou bien un automobiliste qui bronzait nu dans sa voiture (Ca Grenoble, 27 août 1997 : JurisData n° 1997-043082).

[107] A l’image de cette jeune femme qui a été condamnée par le tribunal correctionnel de Paris à un mois de prison avec sursis et à payer 2000 euros de dommages et intérêts au curé de la Madeleine ainsi que 1500 euros au titre des frais de justice pour avoir fait irruption seins nus dans l’église de la Madeleine, le 20 décembre 2013 et simulé un avortement près de l’autel en brandissant des morceaux de foie de veau sanguinolents pour figurer « le fœtus avorté de Jésus ».

[108]Jusque dans les années 1950, la nudité en elle même présentée dans le cadre d’un spectacle était considérée par la jurisprudence comme en soi inadmissible. Puis, elle a évolué en distinguant selon la nature et le lieu des productions (plus acceptable sur une scène de théâtre que dans une foire), l’intérêt artistique, selon que la nudité était mobile ou immobile.

[109] Alain, Propos : Texte établi, présenté, et annoté, Tome 2, Gallimard, 1970, p. 53.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

N comme Nutella par le Dr. F. Bin

Voici la 52e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 6e livre de nos Editions dans la collection « Académique » :

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Cet ouvrage est le sixième
issu de la collection « Académique ».

Volume VI :
Les « mots » d’Annie Héritier.
Droit(s) au coeur

& à la Culture

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina
Delphine Espagno-Abadie & Thierry Garcia)

– Nombre de pages : 236
– Sortie : juillet 2017
– Prix : 49 €

  • ISBN / EAN : 979-10-92684-21-6 /  9791092684216
  • ISSN : 2262-8630

Présentation :

Mots-Clefs : Mélanges – Hommage(s) – Annie Héritier – Culture(s) – Université – Droit public – Histoire du Droit – Patrimoine – Nutella – Souris – Fleurs – Bijoux – Amitiés – Etudiant(e)s – Varia

« Cet opus est une déclaration d’amitié(s) pour célébrer celle qui s’est endormie en décembre 2015 et qui a marqué tous les contributeurs et toutes les contributrices, tous les soutiens aux présents Mélanges.

Toutefois, ces Mélanges accueillis par les Editions L’EPITOGE sont à l’image de leur dédicataire : étonnants et même détonants, généreux, amoureux, créatifs, parfois espiègles mais toujours respectueux, ils célèbrent Annie HERITIER en mots, en vers, en prose et même en images. Ils célèbrent le Droit et son Histoire mais aussi l’amitié et la personnalité d’Annie.

Ce sont alors « les mots d’Annie » eux-mêmes entre Droit(s), cœur(s) & culture(s) qui ont – à la manière et sur la présentation alphabétique d’un dictionnaire – guidé l’ensemble de celles et de ceux qui ont voulu ici partager leurs souvenirs, leurs amitiés et leurs reconnaissances. Se mêlent alors les uns aux autres avec la reproduction d’une contribution inédite de l’auteure (à propos de « l’invention du droit du patrimoine culturel ») et sans discontinuité(s) les expressions et mots d’Annie suivants : ALF, amitié & authenticité, bijoux, chat(s) (de la Nation), coca-cola, comparaison,  couleurs de la ville, culture & Corse, doctorantes, droit international, échange, environnement, être sensible, fidélité, grenouille, histoire, imagination, infirmière corse, instants, littérature, nutella, patrimoine(s), perles, poème, reflet, sincérité, souris, troublantes grenouilles, utopie et … Z comme Z’Annie !

N comme Nutella

Fabrice Bin
Maître de Conférences de droit public,
Université Toulouse 1 Capitole, Irdeic
Membre du Collectif L’Unité du Droit

Annie, Nutella
& Finances publiques

Il n’est pas nécessaire de justifier la présence d’une entrée « Nutella » dans un volume d’hommage à Annie Héritier. Elle n’a jamais caché son goût pour cette pâte à tartiner mêlant cacao et noisette[1], créée le 20 avril 1964 dans le Piémont par la société Ferrero[2].

Ce n’était pas le seul point commun entre la destinataire de ces hommages et l’auteur de ces lignes. Si Annie Héritier est connue pour ses compétences en droit de la culture où elle s’est notamment illustrée par sa thèse[3], elle était titulaire, outre un Dea d’Histoire du droit, des institutions et des faits sociaux, de l’Université Lyon III, du Dea de Finances publiques et fiscalité, diplôme alors commun aux Université d’Aix-Marseille et de Lyon III. Elle avait d’ailleurs consacré son mémoire d’Histoire du droit à l’histoire des projets d’impôts sur le revenu[4] et avait publié plusieurs articles remarqués dans ce domaine de l’histoire de la fiscalité où elle montrait tout l’intérêt de replacer les questions techniques de l’impôt dans un contexte historique, économique et social[5]. C’est une démarche qu’on ne saurait trop recommander.

Ainsi elle était spécialiste de finances publiques, domaine qu’elle a beaucoup enseigné. Cependant, en retournant à Lyon, elle ressentait pour cette matière ce qu’un excès de consommation de Nutella peut provoquer[6]. Il peut donc légitimement sembler paradoxal de parler de fiscalité pour lui rendre hommage, fut-ce pour rappeler ses travaux d’histoire des finances publiques.

Il n’est en réalité pas de meilleur moyen de rester fidèle à sa mémoire que de réunir les finances publiques (dont elle s’était donc détournée) et le Nutella (dont elle ne s’est jamais détournée). En effet, la fiscalité du chocolat est des plus indigestes et provoque un profond dégoût (I). Ce sera l’occasion de s’interroger sur les buts assignés (ou pas) à la fiscalité (II).

I. Tva et chocolat

Malgré la réalité d’une composition donnant une plus large place au sucre et à l’huile de palme[7], le Nutella est largement associé au chocolat (et aux noisettes, ce qui nous fait du praliné). Or le chocolat « bénéficie », au même titre que certains produits alimentaires de luxe (mais pas tous) d’un régime fiscal particulier en matière de Taxe sur la valeur ajoutée (Tva). Un rapide examen de ce régime qui mériterait d’être allégé (A) permettra de comprendre tous les enjeux de la détermination du taux de Tva qui lui est applicable (B).

A. Un régime fiscal alourdi par des subtilités byzantines

Le taux de Tva applicable au chocolat relève de l’article 278-0 bis du Code général des impôts (Cgi). Aux termes de cet article, A, 1°, le taux réduit de 5,5 % s’applique aux produits destinés à l’alimentation humaine à l’exception des produits de confiserie, des margarines et graisses végétales, du caviar et des chocolats et tous les produits composés contenant du chocolat ou du cacao. Ces produits sont donc soumis au taux normal de 20 %, ce qui constitue donc le principe en matière de chocolat.

Mais exception à l’exception, le même article 278-0 bis b) précise que « le chocolat, le chocolat de ménage au lait, les bonbons de chocolat, les fèves de cacao et le beurre de cacao sont admis au taux réduit de 5,5 % ». La doctrine fiscale administrative est venue préciser à ce propos que pour bénéficier de ce taux réduit il faut comprendre que le chocolat de ménage au lait doit être présenté en tablettes, alors que les « chocolats » (donc les chocolats noirs) sont admis « quelle que soit leur présentation (c’est-à-dire les tablettes, mais également, par exemple, les moulages de sujets ou d’objets composés de « chocolat »[8]). Quant aux bonbons, ils doivent avoir la taille d’une bouchée, ce qui correspond aux « produits dont la dimension maximale n’excède pas cinq centimètres et dont la masse n’excède pas vingt grammes[9] ». Ainsi, les œufs de Pâques en chocolat seront soumis à la Tva au taux réduit s’ils sont en chocolat noir et au taux normal s’ils sont en chocolat au lait ou en chocolat blanc !

Comme le précise le sénateur Barbier dans un rapport déposé en 1997 à l’appui d’une proposition de loi tendant à unifier le taux de Tva du chocolat, il s’agit d’un « héritage des années de pénurie aggravé par des distinctions byzantines[10] ». Ainsi la notion de chocolat a été étendue par la jurisprudence[11] puis de façon plus large par une directive européenne du 23 juin 2000 relative aux produits de cacao et de chocolat qu’un décret n° 2003-702 du 29 juillet 2003 a transposé. Désormais bénéficient aussi du taux réduit le chocolat en vermicelle ou en flocons, le chocolat de couverture et le chocolat aux noisettes gianduja[12]. Qu’elle est la place du Nutella dans tout ça ?

B. Le taux de Tva appliqué au Nutella

Compte tenu de tout ce qui vient d’être dit, quel taux de Tva appliquer au Nutella ? Le taux normal ou le taux réduit ? Logiquement, le Nutella ne correspond à aucun des cas d’application du taux réduit aux produits en chocolat. C’est d’ailleurs ce qui avait donné lieu en 1977 à une décision du Conseil d’Etat, décision plus remarquée par son apport à la protection des contribuables qu’au statut fiscal du Nutella puisqu’elle avait à l’époque conclu à l’application du taux normal, malgré l’avis passagèrement contraire de l’administration fiscale[13].

Cependant, dans sa grande bonté, le législateur modifia en 1982[14] les taux réduits et ce fut l’occasion pour la doctrine fiscale administrative d’introduire de nouvelles catégories. En effet, en bénéficient aussi du taux réduit les pâtisseries fraîches, y compris les produits à base de pâtes qui sont fourrées de crèmes ou autres pâtes au chocolat permettant d’obtenir des gâteaux dits « marbrés »[15]. De même bénéficient du taux réduit « les farines composées pour enfants, petits déjeuners en poudre, entremets et desserts à préparer même s’ils contiennent du chocolat ou du cacao[16] ». Le lecteur appréciera qu’en la matière, il est bien précisé que cette application du taux réduit est possible malgré la présence de chocolat. C’est une louable simplification qui permet à l’administration de préciser que l’on peut y inclure « les farines composées pour enfants, les préparations en poudre pour petits déjeuners, les crèmes desserts et les pâtes à tartiner (…) même si elles contiennent du chocolat ou du cacao. Ce taux s’applique également aux préparations liquides pour petits déjeuners[17] ». Comme pour les croissants, la contribution du Nutella aux petits déjeuners permet à cette pâte à tartiner de bénéficier du taux réduit de Tva. Dès lors, le pot de Nutella étant soumis au taux réduit de Tva avec la plupart des produits alimentaires, en consommer ne nuit pas au pouvoir d’achat. Mais la fiscalité n’ignore-t-elle alors pas d’autres questions d’intérêt général ? Notamment, en ce qui concerne les grands singes, la vie des orangs-outangs et notre santé ?

II. La fiscalité protège-t-elle les orangs-outangs ?

Sans parler du manque à gagner et du désavantage compétitif pour les chocolatiers français (à Bayonne ou ailleurs)[18], cette casuistique fiscale en matière de chocolat pose plusieurs problèmes que ce soit en matière d’environnement (A), de qualité des aliments ou de santé publique (B). Elle ne subsiste, assez logiquement, qu’en raison de l’objectif financier, objectif premier de tout impôt[19].

A. Le droit fiscal contre l’environnement : vie et morts de la « Taxe Nutella »

Tout amateur de Nutella est désormais confronté à un dilemme moral supplémentaire à celui de son tour de taille : la question environnementale. C’est moins la question de l’empreinte carbone qui se pose que celle de la survie des orangs-outangs. A ce sujet, une certitude : il n’y a pas de morceaux d’orang-outang dans le Nutella. Par contre, il y a beaucoup d’huile de palme et cette huile est issue de cultures intensives pratiquées notamment à Bornéo sur les territoires déboisés où survivent les orangs-outangs, appelés ainsi à disparaître d’ici quelques années.

Cette question de l’huile de palme amena plusieurs parlementaires à proposer une fiscalité portant spécifiquement sur ce produit considéré comme néfaste, tant sur le plan environnemental que sur celui de la santé. Une première tentative eut lieu au sein de la commission des affaires sociales du Sénat qui adopta le 7 novembre 2012 un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013 visant à tripler la fiscalité de l’huile de palme.

Les tentatives plus récentes allèrent plus loin à l’occasion de la loi sur la biodiversité permettant aux députés d’adopter un amendement déposé par le groupe Vert au Sénat[20] et instaurant une taxe additionnelle de 300 euros par tonne à partir de 2017 à la taxe spéciale prélevée par les douanes sur les huiles destinées à l’alimentation humaine[21]. Successivement adopté au Sénat le 21 janvier 2016 et à l’Assemblée nationale en commission le 19 février 2016[22], il finit, le 22 juin, par être rejeté par les députés en troisième lecture du projet de loi sur la biodiversité à la demande du gouvernement, inquiet notamment de ses répercussions diplomatiques avec l’Indonésie et la Malaisie[23], ainsi qu’avec l’Organisation mondiale du Commerce.

Cette taxe additionnelle sur l’huile de palme était explicitement surnommée « taxe Nutella ». Ce projet avait clairement pour objectif de mieux protéger l’environnement par une fiscalité considérée comme insuffisante mais il pouvait aussi être rattaché à une problématique de santé publique.

B. Le droit fiscal contre la qualité des aliments et la santé publique

En plus de la question environnementale qui l’englobe, le problème du régime fiscal du Nutella renvoie aussi à un problème de qualité alimentaire et de santé publique.

L’apport (négatif) de la Tva à ces questions ne doit pas être sous-estimé. Pour prendre un exemple étranger, si le Royaume-Uni connaît aussi un régime de Tva complexe (avec des distinctions assez similaires à celles connues en France mais pour l’application d’un taux de 0% ou du taux normal[24]), une jurisprudence anglaise relative aux chips apéritives montre l’étendue du problème. Dans une affaire relative aux biscuits apéritifs dénommés « Pringles », la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles appliqua de façon stricte la distinction introduite par le législateur au sein des produits alimentaires. Si ceux-ci sont normalement taxés à 0%, le Parlement en a exclu les chips aux pommes de terre, vraisemblablement pour des raisons de santé bien que cela ne soit pas clair[25]. Son produit pour l’apéritif ayant été inclus par le tribunal fiscal (« Vat and duties Tribunal ») dans les produits assimilables aux chips aux pommes de terre (et donc soumis au taux normal de 17,5 % à l’époque), la société Procter & Gamble saisit la Cour d’appel qui opéra le 20 mai 2009 une distinction en considérant que les « Pringles » n’étaient pas des chips mais des produits réalisés à partir de pommes de terre, notamment parce que celles-ci représentent seulement 42% de l’ensemble des ingrédients contenant par ailleurs du gras, du sel et des émulsifiants[26]. Donc, le taux à 0% devait s’appliquer. Par cette décision, très commentée par une doctrine dubitative[27], la Cour d’appel choisit donc en pratique de privilégier fiscalement un produit résultant d’une addition d’éléments plutôt par rapport à un produit plus simplement issu de la friture d’un tubercule. Comme le souligne Rita De La Feria, ce désavantage compétitif ne peut qu’inciter les producteurs à privilégier les produits ne contenant qu’une part réduite de pommes de terre[28]. Même si les chips ne sont pas recommandées pour la santé, une telle décision n’améliore pas les choses, bien au contraire.

La même problématique se retrouve avec la Tva appliquée aux produits chocolatés et aux Nutella. En effet, la doctrine fiscale administrative précitée admet au taux réduit de 5,5 % « la pâtisserie sèche, y compris les biscuits qui sont additionnés de chocolat » à condition que le chocolat et/ou le succédané et/ou le « produit de confiserie consommable isolément en tant que tel (caramel, pâte de fruits, fruits confits, nougat, etc.) » additionnel « représentent « au maximum 50 % du poids total du produit »[29]. Bref, pour éviter d’être taxé à 20 %, les industriels doivent limiter la part du fourrage, chocolaté ou pas, dans leurs biscuits. Or, les nombreux éléments rajoutés dans les préparations tels que gras, sucres et autre huile de palme ne sont pas spécialement plus favorables à la qualité des aliments, ni à la santé publique. Le sénateur Barbier remarquait d’ailleurs dans son rapport précité que « l’argument de santé publique n’est certainement pas pertinent en l’occurrence. Une consommation excessive de chocolat ou de confiseries est certes susceptible d’avoir des effets dommageables. Mais cela est aussi vrai de la plupart des aliments bénéficiant du taux réduit de 5,5 %. A l’inverse, par sa teneur en magnésium et en vitamines diverses, le chocolat possède des vertus stimulantes et antidépressives reconnues qui pourraient tout aussi bien, dans une stricte perspective de santé publique, le rendre justiciable du taux super-réduit de 2,1 % réservé aux médicaments[30] ».

En somme, si les amateurs de Nutella peuvent se féliciter de ne payer qu’une Tva à taux réduit, il est tout de même écœurant que le droit fiscal n’en fasse pas aussi bénéficier l’ensemble des produits chocolatés.


[1] Mais surtout beaucoup de sucre et d’huile de palme. Nous y reviendrons.

[2] https://www.nutella.com/fr/fr/histoire-de-nutella

[3] Thèse Lyon III, 20000 : Héritier Annie, Genèse de la notion juridique de patrimoine culturel, 1750-1816, préf. de Nicole Dockès, Paris, L’Harmattan, coll. « Droit du patrimoine culturel et naturel », 2003, 304 p.

[4] Héritier Annie, Un catalogue raisonné des projets d’impôts sur le revenu de 1848 à 1914, sous dir. N. Dockes, Université Jean Moulin, 1996, 178-XLVI f. Elle en avait tiré un article : « Un catalogue des projets d’impôt sur le revenu. Une analyse fiscale de 1848 à 1914 », La Revue du Trésor, 1999, n°7, pp. 418-437.

[5] V. Héritier Annie, « Création fiscale et réaction des contribuables. Exemple de l’impôt sur le revenu face au monde des affaires (1848-1920) », Cheff, Etudes et doc., vol. VIII, 1996, pp. 223-257 et « Les aspects sociaux du mécanisme fiscal à travers un catalogue des projets d’impôts sur le revenu », Cheff, Etudes et doc., vol. XI, 2002, pp. 135-148.

[6] Compte tenu du sujet, le lecteur voudra bien excuser les métaphores culinaires, qui appartiennent à un genre vulgaire alors qu’il faut privilégier les métaphores empruntant aux domaines antique, architectural, maritime ou poliorcétique. Les fiscalistes ne seront cependant guère choqués compte tenu de l’illustration de grands auteurs en ce domaine, fut-il réprouvé : V. M. Cozian, « Propos désobligeants sur une « tarte à la crème »: l’autonomie et le réalisme du droit fiscal », Dr. fisc., 1980, n° 41, ét. 100056, reproduit in Les Grands principes de la fiscalité des entreprises, Litec, 1999, 4e éd., document n°1, pp. 3-12.

[7] La composition du Nutella pour la France (cette composition varie pour s’adapter aux goûts et à la fiscalité des pays, d’où les récriminations récentes de pays d’Europe de l’Est considérant leur Nutella comme moins onctueux) est la suivante : Sucres, huile végétale (huile de palme), noisettes (13 %), cacao maigre en poudre (7,4 %), lait écrémé en poudre (6,6 %). Donc par déduction, sucre et huile de palme occupent plus de 70% d’un pot.

[8] Boi-Tva-Liq-30-10-10-20160302 n°170.

[9] Ibid. n°180.

[10] Rapport n°353, Sénat, 12 juin 1997 : https://www.senat.fr/rap/l96-353/l96-353_mono.html.

[11] Ainsi le cas du « Napolitain » accompagnant le café, mentionné par le sénateur Barbier dans son rapport précit. V. TA Strasbourg, 21 avr. 1998, req. n° 94-1426, Cie française de chocolaterie et de confiserie : Dr. fisc. 1998, n° 42, comm. 903.

[12] V. Rép. min. éco., fin. et ind. n° 9242 à M. Gélard : JO Sénat Q, 12 févr. 2004, p. 364 ; Dr. fisc. 2004, n° 11, act. 43.

[13] CE, 11 juill. 1977, SA Ferrero France, req., n° 1929 : RJF 1977, n°10, comm. 536 ; Dr. fisc. 1977, n°51, comm. 1850 ; Dr. fisc., 1978, n°27, comm. 1116, concl. Lobry.

[14] L. de fin. rect. pour 1982, n° 82-540, 28 juin 1982 : JO, 29 Juin 1982 ; Dr. fisc. 1982, n° 28, comm. 1459.

[15] Boi-Tva-Liq-30-10-10-20160302 n°210.

[16] Ibid., n°220.

[17] Ibid.

[18] V. Alvarez et R. Roquebert invoquent aussi le principe d’égalité devant la loi fiscale : F. Le Mentec et al., « Fiscalité et fêtes de fin d’année », Dr. fisc. 2012, n°51-52, ét. 562.

[19] Dans son rapport précit., le sénateur Barbier reproduit les échanges intervenus sur le même sujet en 1996. Le rapporteur général de la commission des finances, Alain Lambert, et le ministre délégué au budget, Alain Lamassoure, avaient tous deux repoussé l’amendement simplificateur au nom de la sauvegarde du Trésor public face à une perte à gagner de plus de deux milliards de francs : V. JO Débats Sénat, séance du 25 nov. 1996, pp 5.948-5.949.

[20] Amendement n° 367, présenté par les membres du groupe écologiste au projet de loi sur la Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. M. Roumégas a déposé le 13 oct. 2016 un amendement n° AS 114, semblable au précédent, au Projet de Loi de financement de la Sécurité sociale. Il fut rejeté.

[21] Cette taxe est régie par l’art. 1609 vicies du Cgi. V. BOFIP TCA-THA-20140314 du 14 mars 2014. La taxe additionnelle aurait doublé le montant de la taxe pour les huiles de palme, de palmiste et de coprah.

[22] Les députés conservèrent le principe mais en ramenèrent la taxe à 90 euros afin simplement de permettre à la fiscalité de l’huile de palme de rattraper le tarif de la taxe appliquée à l’huile d’olive : amendement Gaillard n° CD 130 : http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/3442/CION-DVP/CD130.asp.

[23] V. Réponse Min. à la question n° 98619 de M. Jean-Marie Sermier : JO, 18 oct., 2016, p. 8512.

[24] V. le document mis en ligne par le département du Trésor (HM Revenue & customs) : https://www.gov.uk/government/publications/vat-notice-70114-food/vat-notice-70114-food

[25] V. De La Feria Rita, « EU VAT rate structure: towards unilateral convergence? », in Querol Francis (dir.), La réorientation européenne de la Tva, Toulouse, Presses UT1, 2014, p. 105.

[26] The Commissioners for Her Majesty’s Revenue & Customs v. Procter & Gamble UK [2009] EWCA Civ 407.

[27] V. les références mentionnées par Rita De la Feria : G. Morse, « Procter & Gambre UK v Hmrc (Pringles Two) – a very peculiar UK practice – the characterisation of food products for zero-rating », Britsh Tax Review 1, 2009, pp. 59-67; G. Morse, « Hmrc v Procter & Gambre UK v (Pringles Two) in the Court of Appeal: determining classification cases for Vat – a short practical answer and an end to “almost mind-numing legal analyses”? », Britsh Tax Review 4, 2009, pp. 401-405; I. Roxan, « Interpreting exceptional Vat legislation: or, are there principles in Pringles ? » Britsh Tax Review 6, 2010, pp. 699-716.

[28] Art. précit. pp. 105-106.

[29] Boi-Tva-Liq-30-10-10-20160302 n°310.

[30] Rapport préc. I, A, 2.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Le bio, entre norme & label par le pr. V. Ndior

Voici la 63e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 23e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Cet ouvrage forme le vingt-troisième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».

Volume XXIII :
Droit(s) du Bio 

direction : M. Touzeil-Divina
H. Hoepffner, C. Hermon
S.Douteaud, D. Löhrer, J. Schmitz
(collectif)

– Nombre de pages : 176
– Sortie : octobre 2018
– Prix : 25 €

  • ISBN  / EAN : 979-10-92684-32-2
    / 9791092684322
  • ISSN : 2259-8812

Mots-Clefs : Unité(s) du Droit – Bio – Agriculture biologique – Droit de l’environnement – Vin – Huile d’olive – droit constitutionnel – marchés publics – droit rural

Présentation :

« Les présents actes proviennent d’un colloque qui s’est tenu à Toulouse le 23 mars 2018 dans le cadre du « Marathon du Droit » organisé par le Collectif L’Unité du Droit et succédant à cinq premières « 24 heures du Droit ». Le « Bio » ou « la » « Bio » (pour l’agriculture biologique) se révèle en plein essor sur l’ensemble du territoire français et ce, en termes non seulement de production mais également de consommation. En bref, le « Bio » dépasse aujourd’hui ce qui apparaissait autrefois comme un marché « de niche » ou de « Bourgeois Bohème ». Les revendications en faveur de ce mode de production ne cessent de se multiplier et une telle demande sociale justifie que l’on s’interroge sur les rapports qu’entretiennent le(s) droit(s) et la culture Bio ainsi qu’en témoigne le récent règlement Ue du 30 mai 2018 (relatif à la production et à l’étiquetage en matière de « Bio »).

Dans cette perspective, les présents actes, qui réunissent les contributions d’universitaires, de praticiens du monde et de l’économie du Bio mais aussi d’étudiants, invitent, en tout premier lieu, à réfléchir à l’emploi du préfixe ou du substantif « Bio » en droit (biopouvoir, biocarburant, agriculture biologique, etc.) afin d’en interroger les multiples sens. Indispensable, ce travail préalable de définition(s) (Partie I) offre la possibilité d’analyser, dans un second temps, l’environnement juridique de l’agriculture « Bio » (Partie II) puis les manifestations juridiques concrètes du « Bio » à travers la multitude des branches académiques (Partie III). Une réflexion est ainsi engagée sur un ou des droit(s) « au » Bio puis « du » Bio et ce, en s’intéressant plus particulièrement à l’agriculture biologique en illustrant cette recherche à partir de deux cas concrets : le vin et l’huile d’olive (Partie IV). Ces contributions éditées sont, en définitive, l’occasion de dresser un premier état des lieux de la place que réservent le(s) droit(s) et, par voie de conséquence, la puissance publique comme les collectivités publiques à la culture et à l’agriculture biologiques. Enfin, l’ouvrage se clôture, comme lors du colloque, par une exceptionnelle réflexion / ouverture engagée par le professeur Eric Naim-Gesbert qui embarque le lecteur dans un merveilleux voyage aux confins du droit de l’environnement.

Le bio,
entre norme & label

Valère Ndior
Professeur de droit public,
Université de Bretagne occidentale, Lab-Lex (Ea 7480)

La présente contribution restitue les brèves réflexions formulées durant le colloque « Droit(s) du bio », en réponse à la communication présentée par les étudiants issus du Master 2 toulousain Droit international et comparé[1]. L’analyse qu’ils ont menée a permis à l’auteur de ces lignes de comprendre que, proche du terme « naturel » – qui suppose l’absence d’intervention humaine sur un objet d’origine végétale ou animale –, le « bio » renvoie à l’absence de transformation d’un objet. Plus précisément, faire du « bio » reviendrait à prévenir l’ingérence de l’artificiel dans le naturel, donc à respecter le processus de développement du produit visé. Pour rebondir sur les éléments de définition dégagés par les précédents contributeurs en droit français et en droit comparé, il convient de rappeler que plusieurs instruments issus du droit international et du droit de l’Union européenne se sont saisis de la question « bio », essentiellement dans le but de protéger les attentes des consommateurs.

Les normes et standards internationaux. Bien qu’il n’existe pas de définition juridique du « bio » à l’échelle universelle, la Convention des Nations Unies du 5 juin 1992 appréhende la notion de « diversité biologique » comme recouvrant les « (…) organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie[2] ». Ce texte ne vise pas le « bio » au sens courant du terme mais a le mérite de fournir une délimitation utile du champ sémantique biologique, renvoyant à la sphère du naturel – en d’autres termes, aux ressources biotiques et abiotiques[3]. D’autres instru-ments internationaux, certes non conventionnels, offrent une perspective qui correspond davantage aux enjeux de consommation courante. Ainsi, le Comité sur les labels alimentaires (Committee on Food Labelling) de la Commission Fao/Oms du Codex Alimentarius a adopté en 1999 des « Directives pour la production, la transformation, l’étiquetage et la commercialisation des aliments produits de manière biologique[4] ». Selon le point 6 du document, le terme « biologique » est un « terme d’étiquetage indiquant que les produits ont été obtenus dans le respect de normes de production biologique et certifiées comme telles par un organisme ou autorité d’inspection dûment constitué. L’agriculture biologique repose sur les principes suivants : utiliser le moins possible d’apports de l’extérieur, et éviter l’emploi d’engrais et pesticides de synthèse[5] ». L’accent est mis sur l’intégrité du processus de production, attestée par une certification et un étiquetage adéquats. Dans ce prolongement, la Fao (l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) a publié en 2001 un rapport intitulé « Les marchés mondiaux des fruits et légumes biologiques », dans lequel il est indiqué que les « produits au label « biologique » sont ceux certifiés comme ayant été produits avec des méthodes de production biologique clairement définies. En d’autres termes, bio-logique est un label qui se réfère au processus de production plus qu’au produit lui-même[6] ». Les normes et directives développées à l’échelle internationale pour appréhender le « bio » sont rédigées en des termes semblables, d’autant que nombre d’entre elles dérivent des directives pour la production biologique produites par l’International Federation of Organic Agriculture Movements (Ifoam), une fédération composée d’organisations non gouvernementales et d’autres acteurs publics et privés se fixant pour objectif de dégager un cadre commun pour la définition de produits « bio[7] ».

La lecture de textes adoptés tant par l’Ifoam que par des organisations internationales[8], révèle que l’agriculture biologique est considérée comme un procédé d’exploitation ou de production excluant l’introduction de produits synthétiques tels que les engrais ou pesticides. Ainsi, pour être considéré comme biologique, un procédé de production ou d’exploitation doit favoriser le respect de « la biodiversité, [d]es cycles biologiques et [de] l’activité biologique[9] ». Le droit de l’Union européenne confirme cette tendance[10], comme le montre le règlement du 24 juin 1991 concernant le mode de production biologique de produits agricoles et sa présentation sur les produits agricoles et les denrées alimentaires, qui a été étendu en 1999 aux produits d’origine animale[11]. Preuve de l’activisme durable des Etats européens en la matière, un nouveau règlement européen relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques a été adopté récemment, le 30 mai 2018[12].

L’encadrement de l’activité « bio » n’est donc pas uniquement l’apanage des législateurs nationaux, même s’il convient de souligner que les instruments développés à l’échelle internationale sont dotés d’une portée juridique variable et relèvent parfois davantage du standard ou du code de conduite que de la norme contraignante. L’analyse de ces instruments montre par ailleurs que le « bio » est avant tout une question d’étiquette, autrement dit de transparence dans l’information fournie au consommateur final.

L’instrumentalisation du label « bio ». Les instruments susmentionnés n’ignorent pas le risque que la transparence promise au consommateur soit compromise. Gage réel ou allégué de qualité, le label « bio » est susceptible d’être détourné par des marques désireuses de promouvoir leurs produits en exagérant leurs vertus ou en culpabilisant les consommateurs au régime alimentaire peu diététique[13]. Dans cette hypothèse, le « bio » n’est plus un moyen juridique de certifier la conformité du processus de production aux normes et standards pertinents, mais un simple label marketing destiné à suggérer que le produit est sain. Cette problématique a été bien illustrée par le cas de produits laitiers qualifiés à tort de « bio ». Certains lecteurs se souviendront certainement de la saga publicitaire de la marque Danone (des années 1980 au début des années 2000), laquelle mettait en avant les vertus de son produit phare, le yaourt intitulé « Bio », d’ailleurs paré d’un emballage vert, synonyme de bien-être. Selon les communications de la marque, ce produit contenait du bifidus actif, ferment naturel contenu dans le corps, permettant au consommateur d’équilibrer son alimentation et d’assainir son organisme[14]. Or, non seulement les vertus du bifidus actif pour la flore intestinale ont été contestées par plusieurs études, mais en plus, le simple fait de suggérer que le produit soit biologique avait pour effet d’induire le consommateur en erreur sur le processus de production employé[15].

Le droit européen contribue à protéger les consommateurs contre ce type de pratiques. En effet, le règlement n° 2092/91, tel que modifié par le règlement n° 1804/1999, a réservé l’utilisation du terme « bio » sur les étiquetages, aux produits issus de l’agriculture biologique, imposant de facto aux marques de s’abstenir de toute communication laissant entendre, à tort, qu’un produit serait « bio ». Toutefois, une dérogation, prenant la forme d’une période transitoire destinée à « permettre aux détenteurs de marques d’adapter leur production aux exigences de l’agriculture biologique », a été prévue par le règlement européen n° 1804/1999[16]. Sur son fondement, les marques enregistrées avant le 22 juillet 1991 (sauf pour la Scandinavie : 1995) pouvaient continuer à utiliser les mentions « biologique » et assimilées jusqu’au 1er juillet 2006, dans l’étiquetage et la publicité des produits ne satisfaisant pas au règlement, à condition d’intégrer une mention indiquant que le produit n’était pas issu de l’agriculture biologique[17]. Pour se conformer à la réglementation européenne, la marque Danone a donc été contrainte de renommer son yaourt « Activia » en 2005, avant la date fatidique. Elle a respecté cette obligation tant pour se conformer aux exigences du droit européen que pour répondre aux attentes de la société civile qui dénonçait ce type de pratiques[18]. L’adoption d’instruments encadrant le recours à des étiquetages non con-formes apparaît donc comme le moyen le plus efficace pour prévenir le détournement du label « bio » aux dépens des attentes des consommateurs.

Néanmoins, il n’est pas certain que le droit puisse également protéger leurs finances. Le règlement européen n° 2092/91 susmentionné rappelle que « les consommateurs demandent de plus en plus des produits agricoles et des denrées alimentaires obtenus d’une manière biologique ; (…) ce phénomène crée donc un nouveau marché pour les produits agricoles ».

La multiplication des enseignes commerciales spécialisées (Naturalia, Bio c’Bon, Biocoop, etc.) et des rayons dédiés dans les lieux de grande distribution prouve l’attrait des consommateurs pour les produits obtenus grâce à des procédés naturels. En prime, l’encadrement juridique du recours au label « bio » par les marques devait contribuer à restaurer la confiance des consommateurs dans la filière et à démocratiser cette dernière[19]. Pourtant, le « bio » ne semble pas être totalement accessible au grand public. Dans une étude publiée le 29 août 2017, l’association Ufc – Que choisir ? considère qu’un panier bio est en moyenne 79 % plus onéreux que son équivalent en produits dits « conventionnels ». Cette différence est attribuée aux marges brutes de la grande distribution, lesquelles seraient « en moyenne deux fois plus élevées (+96 %) sur les produits bio que sur les produits conventionnels[20] ». A l’heure où les consommateurs sont présentés comme étant de plus en plus demandeurs d’une offre à la fois accessible et diversifiée[21], et malgré l’encadrement juridique des pratiques d’étiquetage et de communication, le coût élevé des produits reste l’un des principaux obstacles à la généralisation de l’alimentation biologique.


[1] Voyez supra la contribution des étudiants du Madic aux pages 19 et s.

[2] Article 2 de la Convention : « Emploi des termes ».

[3] Formulation reprise par la loi française n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

[4] Document GL 32-1999. La Commission du Codex Alimentarius est présentée comme « un organisme intergouvernemental de plus de 170 membres, relevant du Programme mixte FAO/OMS sur les normes alimentaires tel qu’établi par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et l’Organisation mondiale de la Santé dans le but de protéger la santé des consommateurs et d’assurer des pratiques loyales dans le commerce alimentaire (…) », tandis que le Codex Alimentarius, élaboré par la Commission, est un « recueil de normes alimentaires, lignes directrices, codes d’usages et autres recommandations internationalement adoptés ».

[5] Il est toutefois affirmé qu’une harmonisation internationale des dispositions relatives aux produits biologiques ne pourra être réalisée sans difficulté, dans la mesure où « la perception que les consommateurs ont des méthodes de production biologique diffère d’une région à une autre dans le monde ».

[6] Chapitre 1, Point 1, « Définition de l’agriculture biologique », doc. Fao/Cci/Cta 2001. Nous soulignons.

[7] L’Ifoam a été fondée en 1972 et réunit plus d’un millier d’organisations membres dans 120 pays. Son objectif est de promouvoir le recours à des procédés de production biologique.

[8] Voir infra les exemples issus du droit de l’Union européenne.

[9] Codex Alimentarius, volume 1A, « Avant-propos », point 7.

[10] Article 2 : « Aux fins du présent règlement, un produit est considéré comme portant des indications se référant au mode de production biologique lorsque, dans l’étiquetage, la publicité ou les documents commerciaux, le produit, ses ingrédients ou les matières premières pour aliments des animaux sont caractérisés par les indications en usage dans chaque Etat membre, suggérant à l’acheteur que le produit, ses ingrédients ou les matières premières pour aliments des animaux ont été obtenus selon les règles de production énoncées à l’article 6 (…) » (nous soulignons). Le règlement envisage le recours à des diminutifs tels que « bio », « éco » ou « organique ».

[11] Le règlement (Cee) n° 2092/91 du Conseil, du 24 juin 1991, concernant le mode de production biologique de produits agricoles et sa présentation sur les produits agricoles et les denrées alimentaires interdit de faire référence au mode de production biologique dans l’étiquetage ou la publicité de produits agricoles et de denrées alimentaires qui n’ont pas été obtenus en conformité avec les règles de production prévues par ledit règlement. Alors que dans sa version initiale, il s’appliquait uniquement aux produits végétaux ou d’origine végétale, son champ d’application a été étendu aux productions d’origine animale par le règlement n° 1804/1999.

[12] Règlement (Ue) n° 2018/848 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques, et abrogeant le Règlement (Ce) n° 834/2007 du Conseil, adopté le 30 mai 2018. Il entrera en application en janvier 2021.

[13] de Peyrelongue Bénédicte, Le rôle de la culpabilité ressentie dans le consentement à payer : application aux achats pour l’enfant et à l’achat de produits alimentaires bio, thèse de doctorat en sciences de gestion, Université de Bourgogne, 2011.

[14] La marque s’était d’ailleurs adjoint les services de personnalités (chanteurs, sportifs) au physique aguicheur pour vanter les mérites de son produit phare.

[15] « Le bifidus est-il vraiment actif ? », Le Temps, 1er novembre 2011, renvoyant à Gordon Jeffrey et al., « The Impact of a Consortium of Fermented Milk Strains on the Gut Microbiome of Gnotobiotic Mice and Monozygotic Twins », Science Translational Medicine, 26 oct 2011, vol. 3, issue 106. Voir aussi « Danone, le boniment des alicaments », Libération, 16 avril 2010.

[16] Considérant n° 27.

[17] Article 1er, point 7 du règlement 1804/1999, modifiant l’article 5 du règlement 2092/91. Voir aussi l’ordonnance Cjce (cinquième ch.), 10 mai 2001, Fédération nationale d’agriculture biologique des régions de France (Fnab) et autres c. Conseil de l’Union européenne, aff. C-345/00 P, qui interprète ces dispositions.

[18] A l’instar de la marque Yoplait, Danone était la cible d’une menace de boycott initiée par les professionnels français de l’agriculture biologique, dans l’éventualité où elle ne s’engagerait pas à modifier ses étiquetages d’ici la fin de la période transitoire. Voir « La filière biologique menace Yoplait et Danone de boycottage », terre-net.fr, 25 avril 2005.

[19] Règlement n° 2018/848, précité, considérant n° 1.

[20] Ufc-Que Choisir, « Fruits et légumes bio en grandes surfaces – Une consommation freinée par une offre indigente et des marges indigestes », Service des études, 29 août 2017, 35 p., spéc. p. 3.

[21] Règlement n° 2018/848, précité, considérant n° 1.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

A propos du vin biologique (par le Dr. Georgopoulos)

Voici la 49e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 23e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Cet ouvrage forme le vingt-troisième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».

Volume XXIII :
Droit(s) du Bio 

direction : M. Touzeil-Divina
H. Hoepffner, C. Hermon
S.Douteaud, D. Löhrer, J. Schmitz
(collectif)

– Nombre de pages : 176
– Sortie : octobre 2018
– Prix : 25 €

  • ISBN  / EAN : 979-10-92684-32-2
    / 9791092684322
  • ISSN : 2259-8812

Mots-Clefs : Unité(s) du Droit – Bio – Agriculture biologique – Droit de l’environnement – Vin – Huile d’olive – droit constitutionnel – marchés publics – droit rural

Présentation :

« Les présents actes proviennent d’un colloque qui s’est tenu à Toulouse le 23 mars 2018 dans le cadre du « Marathon du Droit » organisé par le Collectif L’Unité du Droit et succédant à cinq premières « 24 heures du Droit ». Le « Bio » ou « la » « Bio » (pour l’agriculture biologique) se révèle en plein essor sur l’ensemble du territoire français et ce, en termes non seulement de production mais également de consommation. En bref, le « Bio » dépasse aujourd’hui ce qui apparaissait autrefois comme un marché « de niche » ou de « Bourgeois Bohème ». Les revendications en faveur de ce mode de production ne cessent de se multiplier et une telle demande sociale justifie que l’on s’interroge sur les rapports qu’entretiennent le(s) droit(s) et la culture Bio ainsi qu’en témoigne le récent règlement Ue du 30 mai 2018 (relatif à la production et à l’étiquetage en matière de « Bio »).

Dans cette perspective, les présents actes, qui réunissent les contributions d’universitaires, de praticiens du monde et de l’économie du Bio mais aussi d’étudiants, invitent, en tout premier lieu, à réfléchir à l’emploi du préfixe ou du substantif « Bio » en droit (biopouvoir, biocarburant, agriculture biologique, etc.) afin d’en interroger les multiples sens. Indispensable, ce travail préalable de définition(s) (Partie I) offre la possibilité d’analyser, dans un second temps, l’environnement juridique de l’agriculture « Bio » (Partie II) puis les manifestations juridiques concrètes du « Bio » à travers la multitude des branches académiques (Partie III). Une réflexion est ainsi engagée sur un ou des droit(s) « au » Bio puis « du » Bio et ce, en s’intéressant plus particulièrement à l’agriculture biologique en illustrant cette recherche à partir de deux cas concrets : le vin et l’huile d’olive (Partie IV). Ces contributions éditées sont, en définitive, l’occasion de dresser un premier état des lieux de la place que réservent le(s) droit(s) et, par voie de conséquence, la puissance publique comme les collectivités publiques à la culture et à l’agriculture biologiques. Enfin, l’ouvrage se clôture, comme lors du colloque, par une exceptionnelle réflexion / ouverture engagée par le professeur Eric Naim-Gesbert qui embarque le lecteur dans un merveilleux voyage aux confins du droit de l’environnement.

Le vin biologique :
réflexions autour d’un paradoxe

Théodore Georgopoulos
Programme Vin & Droit – Chaire Jean Monnet (Université de Reims)
Institut Georges Chappaz

de la Vigne et du Vin en Champagne

Le vin biologique relève d’un paradoxe. Contrairement aux autres produits agricoles qui par définition bénéficient d’une présomption d’innocuité, le vin est traité, à plusieurs égards, avec circonscription par les autorités publiques.

C’est ainsi que la ministre de la Santé Agnès Buzyn déclarait sur France 2 le 7 février 2018) : « aujourd’hui, le vrai message de santé publique serait : l’alcool est mauvais pour la santé. [Consommer avec modération] est un message ancien » ou que « l’industrie du vin laisse croire aujourd’hui que le vin est différent des autres alcools. En termes de santé publique, c’est exactement la même chose de boire du vin, de la bière, de la vodka ou du whisky ». De la sorte, certifier une boisson alcoolique, souvent diabolisée, comme « biologique », et donc bon pour la santé, semble contradictoire.

Si on regarde de plus près cependant, la possibilité de qualifier un vin de « biologique » est une nécessité pour plusieurs raisons.

D’abord, du fait exactement des méfaits de l’abus d’alcool : le vin bio n’est pas censé être moins alcooleux mais au demeurant il peut, le cas échéant, revendiquer d’être un produit débarrassé de substances susceptibles de nuire davantage à la santé.

Ensuite, du fait de la complexité du processus de production. Peu de produits agricoles (Annexe I du Traité Fue) sont potentiellement soumis à autant de complexité et de variété de procédés que le vin. Cela vaut en partie pour la viticulture mais il est particulièrement pertinent pour la vinification. Et même si la loi fixe des règles précises par rapport à ce qui est permis afin de prétendre à la dénomination de vente « vin », nul doute que la marge laissée aux producteurs est large. D’autant plus lorsque le vin est d’origine étrangère. Dans ces conditions, apposer le label « bio » sur une étiquette de vins est rassurant.

De surcroît, la possibilité de qualifier un vin comme biologique permet de diversifier les produits vinicoles, au profit de la concurrence, dans un domaine qui est strictement réglementé. Rappelons que dans l’affaire Deutsches Weintor, la Cjue avait souligné que « compte tenu des risques de dépendance et d’abus ainsi que des effets nocifs complexes avérés liés à la consommation d’alcool, notamment la survenance de maladies graves, les boissons alcooliques représentent une catégorie spéciale de denrées alimentaires soumise à une régulation particulièrement stricte[1] ». Le vin ne fait pas figure d’exception : l’affaire en question concernait effectivement les produits d’une coopérative vitivinicole allemande. Face à ce souci, la législation prévoit au niveau européen des règles strictes en matière d’allégations nutritionnelles et de santé figurant sur les conteneurs de boissons alcooliques. Pour les allégations de santé, la règle est celle de la prohibition. Avec la mise en place du régime de vin biologique, on introduit pour les vins (où les informations à caractère nutritionnel ou sanitaire sont soit strictement limitées soit interdites[2]) un critère distinctif et, par cela, un potentiel avantage compétitif.

De ce point de vue, il faut nuancer les propos de la position doctrinale selon laquelle la législation agriculture biologique ne porte « aucun jugement de valeur sur les différents modes de productions agricoles possibles[3] ». Un vin conventionnel n’est pas néces-sairement « meilleur » ou « pire ». Il n’empêche que si le droit reste neutre, le qualificatif « bio » s’adresse au consommateur qui, lui, est susceptible de ne pas rester indifférent à la qualification d’un vin comme « biologique ». De la sorte, le régime juridique du vin biologique présente de multiples facettes, tantôt complémentaires tantôt en concurrence, des facettes dictées par la position paradoxale du produit. Ainsi, consacré par le droit (I), le vin biologique se promet aussi d’être un instrument au service d’objectifs et de politiques d’intérêt autres que purement commerciaux (II). Et pourtant, à la période de sa consécration, le vin biologique s’avère, et à plusieurs égards, déjà dépassé (III).

I. Le vin bio consacré

Posée comme un corollaire de la mise en place du marché intérieur, la consécration du vin biologique en Europe relève au fond d’une démarche négative, consistant à vérifier l’inexistence de facteurs qui s’opposeraient à la certification d’un vin comme « biologique ».

A. Le vin bio, vin européen

En Europe, le vin bio est une affaire du droit de l’Union. Cela est une conséquence de l’« européanisation » de la compétence en matière vitivinicole. Tant la mise en place de l’Organisation Commune des Marchés que la libre circulation des marchandises (vinicoles), dictent la mise en place de règles communes en matière de labellisation des produits.

La Cour de justice des Communautés européennes, dans sa jurisprudence fondamentale « Cassis de Dijon[4] » avait bien cerné le rapport entre la libre circulation et le besoin d’édicter des règles communes en matière d’étiquetage.

Cependant, il faut se rendre à l’évidence : le vin biologique n’est pas fondamentalement une question d’étiquetage mais un régime de régulation de procédés. Ce sont les pratiques de production autorisées qui permettront (ou pas !) la qualification d’un produit vinicole comme « bio ». L’utilisation, par ailleurs facultative, de la mention n’est que la certification du respect du cahier des charges homologué des vins biologiques. En dépit de son apparente « banalité », ce constat est décisif pour déterminer la compétence normative de l’Union en la matière : contrairement, par exemple, aux mentions traditionnelles, le droit l’Union ne se confine pas en une homologation des choix nationaux ou même locaux ; il organise la production du vin biologique, en excluant la mise en place de systèmes nationaux appliqués « parallèlement » qui prétendraient à la même certification (ou même, à notre avis, à une dénomination similaire, susceptible de générer de la confusion chez le consommateur).

Au fond, la réglementation sur le vin biologique relève de l’application du principe de subsidiarité. Principe fondamental en matière de répartition des compétences entre l’Union européenne et ses Etats membres, la subsidiarité exige que les décisions de régulation soient adoptées au niveau le plus adéquat. Il s’avère que pour la détermination des conditions de certification du vin comme « biologique » dans le cadre du marché intérieur, le niveau adéquat est celui de l’Union. Au regard des risques de distorsion de concurrence que provoquerait un régime de vin biologique à géométrie variable, la compétence européenne en la matière s’impose. Par ailleurs, cela est en adéquation avec l’européanisation du secteur vitinicole : de la régulation des pratiques œnologiques à l’étiquetage des produits, la régulation européenne a remplacé en grande partie la compétence nationale.

Sur cette base, le régime du vin biologique est régi par le Règlement horizontal n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 et le règlement d’application (Ce) n° 889/2008 de la Commission du 5 septembre 2008. Cependant, le vin n’était pas initialement inclus dans le champ d’application de ces textes, preuve des difficultés d’arriver à un consensus. De la sorte, au début, il n’existait que la possibilité de marquer sur les étiquettes que le produit vinicole était issu de raisins biologiques : de la même manière que ce n’est pas l’œnologie mais le droit qui détermine ce qu’est le vin (la définition légale permettant d’utiliser le mot « vin » comme dénomination de vente), de la même manière, c’est le droit qui détermine ce qu’est le « vin biologique ». Faute d’une telle réponse, le terme était proscrit et la filière vin se contentait de commercialiser ses produits, le cas échéant, sous l’expression de « vin issu de raisins biologique » ou « de l’agriculture biologique ». Le jeu de la concurrence mais également la protection du consommateur européen récusaient l’idée d’une définition au niveau national.

Le législateur européen a mis fin à ce silence. Par son Règlement d’exécution (Ue) n° 203/2012 du 8 mars 2012[5], il a donné une existence juridique aux vins biologiques. Le nouveau Règlement (Ue) no 2018/848 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement (Ce) no 834/2007, applicable à partir du 1er janvier 2021 perpétue ce régime juridique[6].

Le Règlement (Ue) n° 2018/848 précise que le vin biologique est issu des matières premières biologiques et suivant les pratiques œnologiques non-interdites par ce même texte[7]. Ce dernier élément est significatif. D’une manière générale, en matière de vinification, le droit de l’Ue inverse la présomption de la liberté d’entreprendre « in dubio pro libertate », laquelle est la règle dans le domaine du marché intérieur. Selon l’article 80 § 1 du Règlement (Ue) 1308/2013[8], seules les pratiques œnologiques explicitement mentionnées en annexe du Règlement sont autorisées afin que le produit puisse prétendre à la dénomination de vente « vin » (et bénéficier du régime applicable à celui-ci). Il s’agit ici d’une spécificité, par rapport à la plupart des produits agroalimentaires qui bénéficient, quant à eux, d’une plus grande liberté dans les procédés légaux pour leur fabrication. Avec le vin biologique, on ajoute une « couche » supplémentaire de restrictions car, parmi les pratiques œnologiques admises selon le droit commun du vin, certaines sont interdites afin de pouvoir bénéficier du label « bio ». On comprend aisément le régime juridique particulièrement complexe auquel le vin biologique européen est soumis.

B. Une consécration négative

Comme pour les autres produits « bio », le vin biologique relève donc de certains procédés de production mais surtout d’une labellisation spécifique. Effectivement, du point de vue du droit de l’Union, la certification « bio » figure parmi les indications « facultatives » de l’étiquetage des vins, en tant que « mention relative à certaines méthodes de production » (art. 120 § 1f). L’apposition du logo officiel, suite aux contrôles exigés, est la preuve de la qualification du vin comme biologique.

Or, il s’avère que la définition donnée au vin « bio » est une définition négative : on ne précise pas ce qu’est le vin biologique mais on détermine quelles sont les pratiques dont l’exercice empêche la certification du vin comme biologique. Ce constat a une importance capitale pour appréhender la logique du régime mis en place : le caractère biologique d’un vin ne dépend pas de sa certification en tant que telle. C’est plutôt l’inverse qui se produit : c’est le processus de certification qui vérifie le caractère légitime de l’utilisation du label « bio » sur l’étiquette (et les supports de promotion et de communication) du produit vinicole.

Ceci étant, la consécration du statut juridique pour le « vin biologique » relève d’une double certification : celle relative à la viticulture biologique et celle concernant le processus de vinification. Les raisins (et le moût concentré ou, le cas échéant, le sucre) doivent être issus de l’agriculture biologique et, de surcroît, les pratiques œnologiques doivent s’abstenir de ce qui est explicitement interdit dans la législation européenne : taux de souffre, interdiction de concentration partielle par le froid, désalcoolisation partielle etc.

II. Le vin bio instrumentalisé

L’essor que connaissent les produits « bio » aujourd’hui permet de réfléchir sur leur rôle potentiel au-delà du rapport entre le produit et le consommateur. S’ouvre notamment la perspective d’« instrumentaliser » la tendance pour les produits bio, en amont. Pour le vin cela prend une signification particulière, au vu de ses rapports si étroits avec le terroir et, partant, les territoires. Le régime juridique en la matière peut effectivement se transformer en outil pour mener des politiques publiques locales, en s’appuyant sur ses rapports avec le développement durable et l’identité du vignoble.

A. Vin bio et développement durable

Du fait de sa valeur ajoutée présumée et de ses affinités avec le développement durable, la viticulture biologique se transforme en outil d’incitation pour une gouvernance responsable du vignoble. Ainsi, « les superficies dont les vignobles contribuent à la préservation de l’environnement » (Art. 64 § 2b du Règlement 1308/2013) sont reconnues par le législateur européen comme l’un des critères de priorité que les Etats membres peuvent retenir pour accorder de nouvelles autorisations de plantation de vignes.

Dans un sens analogue, la jurisprudence de la Cour de Cassation semble encourager la contractualisation de la viticulture biologique, les parties pouvant préciser la destination contractuelle du bien loué, ce qui pourrait fonder indirectement un certain contrôle du bailleur sur l’activité du locataire[9].

De même, les risques de mise en cause d’une viticulture biologique par les activités d’agriculture conventionnelle sur des parcelles avoisinantes poussent à terme vers un aménagement du territoire sur du regroupement des parcelles et des producteurs concernés en zones de production dédiée à la viticulture biologique. A terme, c’est une perspective qui s’impose par le coût et les problèmes qu’engendre aujourd’hui l’éparpillement des vignobles « bio ».

B. Vin bio et identité du vignoble recherché

Le régime du vin bio demeure aujourd’hui inachevé. Comme nous l’avons vu, sa définition repose sur l’interdiction de certaines pratiques et non pas sur un cahier des charges homologué. Cela empêche l’intégration de la certification « bio » dans la gouvernance du vignoble par les organismes de défense et de gestion (Odg) sous contrôle d’organismes de certification. Pour l’instant, on opte pour une gestion de la question « bio » au niveau national sans véritable osmose avec les certifications qui relèvent des Aop/Igp et d’autres signes d’identification de la qualité et de l’origine (par ex. les mentions traditionnelles).

Une telle décentralisation faciliterait l’appréhension de la certification « biologique » comme un élément inhérent de l’identité du vin, tandis qu’à terme il serait envisageable que cette certification soit intégrée, là où cela serait scientifiquement et économiquement possible, dans le cahier des charges de l’Aop/Igp (valable donc pour tous vins sous telle ou telle appellation). Il faudra sans doute tenir également compte dans les années à venir des conséquences du changement climatique qui semble tout de même faciliter la reconversion des vignobles, notamment dans les espaces septentrionaux, à la viticulture biologique.

Par ailleurs, on relève une nette tendance dans la pratique des cahiers de charges pour des vins d’y inclure, sous forme d’exigences pour accéder au droit d’utilisation du nom d’Aop/Igp, le respect de standards en matière de protection de l’environnement et de pratiques culturales respectueuses des traditions ou du développement durable dans le vignoble concerné[10]. Le passage généralisé au « bio » à travers l’homologation des conditions de production pour certaines appellations d’origine est une perspective à ne pas sous-estimer. Mais, admettons-le, cela signifierait aussi une « banalisation » de la certification « bio » et donc une nette diminution pour l’intérêt commercial d’afficher ce caractère « biologique » du produit vinicole. Mais ce n’est pas parce qu’on n’affichera plus avec la même ferveur le label « bio » que le vin sera moins biologique… La communication sur la labellisation des produits n’est qu’une conséquence du respect du cahier des charges. Ce constat nous amène à examiner les limites dans la certification et l’usage du label « bio » en matière vitivinicole.

III. Le vin bio dépassé

En dépit du succès des produits biologiques au niveau commercial, on constate une mise en cause de la certification en question. Les doutes exprimés ne valent pas exclusivement pour le vin biologique. Cependant, du fait des spécificités du produit, ils acquièrent une force particulière en matière vitivinicole. Outre la définition à géométrie variable de vins biologiques à l’échelle internationale, on constate que la labellisation « bio » s’inscrit dans une pléthore de certifications de produits dont l’identification devient de plus en plus complexe pour les consommateurs.

A. La relativité de l’appréhension européenne du vin biologique

On ne peut omettre de signaler les difficultés qui découlent de l’absence d’harmonisation par rapport aux vins biologiques au niveau international. Ce qui peut être qualifié de « bio » selon la législation d’un Etat tiers, ne correspond pas nécessairement aux exigences fixées par le droit européen et vice versa. Certes, on peut compter en partie sur les accords internationaux d’équivalence que l’Ue souscrits avec des Etats tiers et qui consiste à reconnaître les systèmes de production biologique nationaux comme équivalents.

Mais les problèmes persistent. Le cas du désaccord entre l’Ue et les Etats-Unis au lendemain de l’adoption du Règlement 203/2012 (sur le vin bio) est significatif : tandis que pour les vins biologiques européens, la législation tolère la présence de sulfites jusqu’à une quantité maximale[11], le sulfitage n’est pas permis selon le droit fédéral américain pour la labellisation d’un vin comme « organic[12] ». Aux Etats-Unis, on opte pour une certification « graduée » avec le qualificatif « 100% organic » au sommet, suivi de labels moins exigeants : « organic », « made with organic grapes », ou simplement mentionner seulement le caractère biologique de certains de ses ingrédients[13]. De la sorte, on relève des obstacles au commerce international que l’accord d’équivalence passé entre l’Ue et les Etats-Unis n’a pas pu effacer : un vin bio européen ne peut être commercialisé aux Etats-Unis que comme un vin issu des raisins biologiques et à condition que le taux de sulfites corresponde aux exigences de la législation américaine. Et même si ces difficultés ne pourraient pas être qualifiées de « barrières techniques au commerce » au regard du droit de l’Omc, du fait des considérations de protection du consommateur, il n’empêche que ces divergences sont des obstacles aux transactions de vin.

D’où le besoin d’une harmonisation en la matière au niveau international. Or, en l’occurrence les résultats demeurent plutôt décevants. L’Oiv, l’instance de normalisation internationale du secteur vitivinicole, n’a qu’une résolution bien trop générale à présenter sur les « principes de vitiviniculture biologique[14] ». Il est fort probable qu’au moment où le consensus sur la question sera assuré, l’intérêt pour la certification des vins comme « bio » soit déjà estompé.

Que l’on nous permette, par ailleurs, d’aller plus loin que l’analyse de textes juridiques pour voir la pratique d’application du régime de vin biologique. La mise en œuvre des règles communes en la matière dépend des administrations nationales et des organismes certifiés en charge du respect de ces conditions uniformes. Il n’y a pas de doute que la demande croissante pour des produits labellisés « bio » – encore plus, par ailleurs pour le vin, dont le caractère « sain » est à faire valoir face à un consommateur de plus en plus dubitatif sur l’innocuité du produit – accentue le risque d’abus, voire de fraude dans l’utilisation du qualitatif « bio ». Le phénomène est par ailleurs loin d’être propre au cas européen[15]. Faute d’un mécanisme européen de contrôle de la certification, la crédibilité du système de labellisation dans un marché unique dépend de la performance des maillons les plus « faibles » de la chaîne. Contrairement, par exemple, au cas du respect du cahier des charges de telle ou telle Aop/Igp, toute défaillance du système de certification des vins « biologiques », même limitée sur une partie du territoire européen, ébranle la confiance en la labellisation « bio » dans son ensemble. Mais, assurer cette unité est en réalité un véritable défi, au vu des différences culturelles et des capacités de surveillance différenciées entre les administrations nationales au sein de l’Europe unie. Le problème récurrent de la performance du principe de co-administration, sur lequel repose largement la mise en œuvre du droit de l’Union[16], trouve sur le cas du « vin biologique » une expression parlante.

B. Le vin biologique entre « pollution » des signes de qualité et opacité

On assiste déjà à une « pollution » de labellisation et de certification : que ce soit sur la base de dispositions réglementaires comme celles pour le vin biologique ou à partir de certifications d’origine privée (marques de certification), les produits agroalimentaires, le vin y compris, font l’objet de plusieurs strates de certification et portent une multitude de signes de qualité : Aop/Igp, mentions traditionnelles, marques de certification… Cette pléthore d’informations affaiblit sans doute la clarté des messages à adresser au consommateur[17].

Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que la mention « vin biologique » n’est que facultative. Elle ne figure pas parmi les informations qui doivent nécessairement apparaître sur la bouteille (mentions obligatoires). Cela signifie que sa fonction, d’un point de vue juridique, se contente de certifier, une fois apposée, la véracité de la déclaration que véhicule son utilisation.

En revanche, son absence n’exclut pas que les conditions fixées par la loi ne soient malgré tout remplies. Pour les amateurs de vins c’est connu : pour les vins produits dans des régions viticoles du bassin méditerranéen, la viticulture biologique n’engendre pas les mêmes difficultés que celles rencontrées dans les vignobles septentrionaux. De la sorte, le vin biologique éprouve une certaine banalisation, d’un point de vue commercial. On se demande même si « le bio commercial (n’appauvrirait) pas la qualité bio[18]». Face à ce découplage entre la certification d’un vin comme biologique et son caractère « sain » ou « authentique », nombreux sont les producteurs aujourd’hui qui n’affichent pas le caractère « bio » du vin, mais préfèrent mettre l’accent sur des qualifications plus « radicales » (« biodynamie », « vins naturels [19]») ou plus solides dans le temps (l’appellation ou tout simplement la marque).

En réalité, le régime juridique du vin biologique révèle un deuxième paradoxe, tendant à annuler le caractère distinctif de la labellisation en question. Du fait de son instrumentalisation commerciale, il existe un décalage entre le message que véhicule la qualification du produit comme « bio » et la réalité scientifique et sanitaire. Pour le consommateur moyen, nul doute qu’un produit biologique présente une « innocuité » notable par rapport aux produits conventionnels similaires. Les études montrent que « (c)’est bien le « sans », le « 0 % », qui semble vraiment faire la différence pour les consommateurs[20] ». Cela vaut pour tous les produits mais acquiert une importance particulière pour le vin du fait du danger inévitable lié à la présence d’alcool. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue la complexité des procédés de viticulture et de vinification, par rapport par exemple à la production de fruits, de céréales ou même de viandes. Une complexité qui s’accentue par la diversité de terroirs et le besoin d’adapter la production vinicole à leurs spécificités. De la sorte, il est inévitable que le cahier de charges des vins biologiques ne réussisse à couvrir que certains aspects du processus de production sans pour autant assurer le niveau de « pureté » qu’un consommateur moyen aurait potentiellement attendu d’un vin qualifié de « biologique ».

Voici donc le véritable enjeu pour le droit en matière de vin biologique : lever l’opacité sur l’utilisation du terme « bio » et renforcer la transparence en la matière. Aujourd’hui, la qualification du produit vinicole comme « bio » est un agrégat qui fait écran entre le consommateur et les procédés de fabrication. Il est important de permettre aux consommateurs l’accès à des informations plus précises sur le caractère « biologique » du produit (par exemple sur le taux exact de sulfites). Ceci est conforme à l’idée, dominante aujourd’hui, d’assurer une meilleure information pour les consommateurs tandis qu’il s’inscrit à l’effort d’assainir la concurrence entre les opérateurs économiques. Au vu du surcoût de la viticulture et la vinification biologiques, il est légitime que le « degré » d’adhésion au « bio » soit communiqué. La société civile pose la question de manière qui sera de plus en plus pressante à l’avenir[21], tandis que la discussion engagée au sein de la filière vins autour de l’étiquetage numérique pour des informations d’intérêt sanitaire ouvre des perspectives intéressantes pour la gestion logistique des éléments « biologiques » à transmettre au consommateur. Pour audacieuse qu’elle puisse paraître à première vue, la proposition est pour autant nécessaire afin que la qualification « biologique » défende sa crédibilité par rapport à un produit dénoncé, souvent de manière exagérée, comme une menace de santé publique.

Ainsi, le « chantier » juridique autour du vin bio n’est pas clos en Europe. Il vient peut-être même tout juste de s’ouvrir…


[1] Cjue, arrêt du 6 septembre 2012, Deutsches Weintor, aff. C-544/10, ECLI:Eu:C:2012:526.

[2] Deutsches Weintor, op. cit.

[3] H. Boualili, « Le statut de l’agriculture biologique » : RD rur. 2008, étude no 4.

[4] Cjce, 20.02.1979, Rewe Zentral (« Cassis de Dijon »), aff. 120/78, Rec. p. 43.

[5] Règlement d’exécution (Ue) n ° 203/2012 de la Commission du 8 mars 2012 modifiant le Règlement (Ce) n°889/2008 portant modalités d’application du règlement (Ce) n ° 834/2007 du Conseil en ce qui concerne le vin biologique, JO L. 71 du 9.3.2012, p. 42 ; pour une analyse pertinente et approfondie du règlement, on peut se référer à F. Rimbaud, De la vigne à la bouteille : le droit européen du vin biologique, Mémoire de recherche, Master 2 Droit du vin et des spiritueux, Université de Reims, 2012.

[6] Joue n° L150 du 14 juin 2018, p. 1 ; sur ce nouveau Règlement et son importance en matière vitivinicole, v. L. Touzeau-Mouflard, « Un nouveau Règlement pour l’agriculture biologique », in Jus Vini – Revue de droit du vin et des spiritueux, 2018/2 (à paraître).

[7] Annexe II, Partie VI.

[8] Règlement (Ue) n° 1308/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (Cee) n° 922/72, (Cee) n° 234/79, (Ce) n° 1037/2001 et (Ce) n° 1234/2007 du Conseil (JO L. 347 du 20.12.2013, p. 671).

[9] Cass. 3e civ., 21 janv. 2014, n° 12-25.311 : RD rur. 2014, comm. 38, note S. Crevel.

[10] Th. Georgopoulos, « La protection renforcée des terroirs viticoles en droit positif », in J.-M. Bahans et N. Hakim (sous la dir.), Le droit du vin à l’épreuve des enjeux environnementaux – Histoire et actualité du droit viticole, Feret, Bordeaux, 2015, p. 107 et s., sp. p. 112.

[11] 100 milligrammes par litre pour les vins rouges et 150 milligrammes par litre pour les vins blancs, selon le point 7 de l’Annexe du Règlement (Ue) 203/2012.

[12] « How Are Organic Wine Labels Regulated in the U.S.? », On Reserve – A Wine Law Blog, 6.8.2014 : https://www.winelawonreserve.com/2014/08/06/how-are-organic-wine-labels-regulated-us/#commentform.

[13] Sur le régime américain d’ « organic wines » : G.G. Jones et E. Grandjean, « Creating the Market for Organic Wine: Sulfites, Certification, and Green Values », Harvard Business School General Management Unit Working Paper, 18-048, 6.12.2017.

[14] Résolution Oiv-Eco 460-2012, du 22.06.2012, consultable sur le site de l’Oiv : www.oiv.int.

[15] Tel a été le cas de la National Association of Sustainable Agriculture (Nasaa) en Australie qui s’est opposée, avec succès, à l’utilisation frauduleuse par un domaine viticole de la mention « organic » sur ses produits : R.J. Whitehead, « Organic chief: We will discredit firms who claim false certification », 31 juillet 2014 : https://www.foodnavigator-asia.com/Article/2014/07/31/Organic-chief-We-will-discredit-firms-who-claim-false-certification?utm_source=copyright&utm_medium=OnSite&utm_campaign=copyright.

[16] Sur l’application du principe européen de co-administration en matière de régulation du secteur vitivinicole, voir O. Dubos, « Les pouvoirs de la Commission dans l’attribution des appellations d’origine : la co-administration au service de la qualité », in Th. Georgopoulos, Les appellations vitivinicoles à l’épreuve de l’intégration européenne,Mare & Martin, Paris, 2016, p. 91 et s.

[17] G. Firmin, « La labellisation du droit vitivinicole : trop de labels tuent le label – À propos de la déchéance d’une aristocratie », in T. Leleu (sous la dir.), Alcool & Droit, Mare & Martin (coll. Vin & Droit), Paris, 2018, p. 13 et s.

[18] G. Teil, S. Barrey, P. Floux, A. Hennion, Le vin et l’environnement – Faire compter la différence, Presses de Mines, Paris, 2011, p. 151.

[19] L. Dawid, « Ethique du vin et ²vide juridique² : le défi des vains naturels », Droit et Patrimoine, juin 2018, n° 281, p. 34 et s.

[20] Y. Raineau, S. Pérès, A. Pons, S. Tempère, E. Giraud-Héraud, « Vins bio, vins sans sulfites ajoutés, vins nature : quelles demandes réelles des consommateurs ? », Droit et Patrimoine, juin 2018, n° 281, p. 37, 41.

[21] Tel est par exemple déjà l’objectif du réseau T.o.w.a. (Transparency for Organic Wine Association) : https://www.transparencyorganicwine.org/fr/home.html .

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Entre art(s), cadavre(s) & droit(s) (par Mme le pr. A. Cheynet de Beaupré)

Voici la 46e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait des 11 & 12e livres de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XI : Traité des nouveaux droits de la Mort
Vol I. La Mort, activité(s) juridique(s)

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina,
Magali Bouteille-Brigant & Jean-François Boudet)

– Sortie : 02 novembre 2014
– 430 pages
– Prix : 69 €

  • ISBN : 979-10-92684-05-6
  • ISSN : 2259-8812

Volume XII : Traité des nouveaux droits de la Mort
Tome II – La Mort, incarnation(s) cadavérique(s)

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina,
Magali Bouteille-Brigant & Jean-François Boudet)

– Sortie : 02 novembre 2014
– 448 pages
– Prix : 69 €

  • ISBN : 979-10-92684-06-3
  • ISSN : 2259-8812

Présentation :

« « Il ne suffit (…) pas au jurisconsulte de se préoccuper des vivants » affirme Gabriel Timbal dans l’introduction à sa célèbre (et controversée) thèse sur la condition juridique des morts (1903). Le Droit – ou plutôt les droits – s’intéressent en effet à toutes les activités humaines et sociétales. « L’objet du Droit, c’est l’homme » expliquait déjà en ce sens le doyen Foucart. Il importait donc de s’intéresser de la façon la plus exhaustive possible et ce, à travers le prisme de l’Unité du / des droit(s) à la matérialisation positive du ou des droit(s) relatif(s) à la Mort. A cette fin, les trois porteurs du Traité des nouveaux droits de la Mort ont réuni autour d’eux des juristes publicistes, privatistes et historiens mais aussi des praticiens du funéraire, des médecins, des anthropologues, des sociologues, des économistes, des artistes et des musicologues. Tous ont alors entrepris de présenter non seulement l’état positif des droits (publics et privés) nationaux concernant la Mort, le cadavre & les opérations funéraires mais encore des éléments d’histoire, de droit comparé et même quelques propositions normatives prospectives. Et si l’opus s’intitule Traité des « nouveaux » droits de la Mort, c’est qu’effectivement l’activité funéraire et le phénomène mortel ont subi depuis quelques années des mutations cardinales (statut juridique du cadavre, mort à l’hôpital, tabous persistants et peut-être même amplifiés devant le phénomène, service public des pompes funèbres, activité crématiste, gestion des cimetières, « prix » de la Mort, place et représentation de celle-ci et de nos défunts dans la société, rapports aux religions, professionnalisation du secteur funéraire, etc.). Matériellement, le Traité des nouveaux droits de la Mort se compose de deux Tomes : le premier envisage la Mort et ses « activités juridiques » et le second la Mort et ses « incarnations cadavériques » ».

Crucifixion :
mort & vie

présentation de Mme Aline Cheynet de Beaupre
Professeur de Droit privé – Université d’Orléans

554. Guido Reni. Cette « Crucifixion » est attribuée à Guido Reni, dit « Le Guide » (né à Calvenzano le 04 novembre 1575, décédé le 18 août 1642 à Bologne), peintre italien de l’école de Bologne. Entre baroque et classicisme, il fut influencé par Le Caravage et Raphaël. Sa peinture marquée par la religiosité, lui attira un certain nombre de commandes du Vatican, notamment les fresques du palais Quirinal.

Crucifixion attribuée à Guido Reni (1575-1642).
Collection particulière (30 x 45 cm).

Crucifixion. Thème majeur dans l’art pictural classique européen, la crucifixion est une provocation à tous égards.

La cruauté de ce mode d’exécution est peu supportable : clous enfoncés dans le corps vivant du condamné pour l’accrocher sur la croix qu’il aura préalablement portée lui-même, supplice souvent « abrégé » en brisant les jambes pour provoquer une asphyxie[1], tortures préalables… Ce cadavre exhibé après d’atroces souffrances est, théoriquement, peu propice à la représentation artistique. Les premiers chrétiens ont, d’ailleurs, évité le thème de la crucifixion qui n’apparaîtra que vers l’époque carolingienne pour s’imposer un peu plus tard vers l’an mille. Les crucifix catholiques ou orthodoxes, portés ou accrochés dans les habitations ne comportent pas qu’une croix, mais également le corps du Christ crucifié, et donc un cadavre.

La religion chrétienne considère que le Christ, Fils de Dieu, a pris la condition d’homme, est mort pour le pardon des péchés, puis est ressuscité. La Pâque chrétienne, consécutive à la Passion, est dès lors une certitude de victoire sur la mort et d’espérance en une Vie éternelle.

La mort fait pleinement partie de la vie. Qu’est-ce qu’un vivant, si ce n’est quelqu’un qui va mourir (« Memento mori »[2]) ? L’humanité du Fils de Dieu passe ainsi obligatoirement par sa mort, provocation incompréhensible face à un Dieu éternel. Mais cette mort (et sa représentation) n’est admissible et supportable que parce qu’elle annonce la Vie éternelle pour chacun.

555. Description. Le ciel noir et crépusculaire de fin de journée (« A partir de la sixième heure, l’obscurité se fit sur toute la terre, jusqu’à la neuvième heure »[3]) fait ressortir la blancheur cadavérique du crucifié. Le Christ, homme, est bien mort : la résurrection qui suivra est, dès lors, un véritable miracle et il est fondamental pour le peintre d’insister sur l’état de cadavre : tête penchée d’un corps sans vie, yeux clos, sang qui ne coule presque plus, côté droit percé par une lance pour vérifier le décès du condamné. D’autres représentations picturales traditionnelles de la crucifixion se placent quelques instants plus tôt, avant la mort de Jésus. Il a alors la tête tournée vers le ciel, il est encore vivant et crie un extrait du Psaume 22 : « Eloi, Eloi, lama sabachtani ? » (Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?) [4].

Au pied de la croix, la Vierge Marie témoigne de sa souffrance de mère. Le manteau bleu la désigne comme protégée par le ciel et est devenu la couleur mariale. Elle porte ici une robe rose, de couleur plus douce que le rouge habituel préfigurant la passion du Christ. Le bleu, dans la symbolique iconographique, signifie l’essence terrestre de Jésus, le rouge manifeste sa divinité. Dénudé sur la croix, ses couleurs traditionnelles sont réparties sur Marie et Jean.

L’apôtre Jean (« le disciple que Jésus aimait »[5]), nouveau fils spirituel de Marie (« Femme voici ton fils »[6]), est dans une posture de contemplation, drapé d’un manteau rouge (couleur des martyrs), mais symbole également de la passion et de la royauté du Christ.

Les visages livides des deux seuls présents au pied de la croix reflètent une profonde détresse face au cadavre impensable du Fils de Dieu. Les mains de chacun sont douloureusement nouées, entre prière et crispation de souffrance.

Le volume et la couleur des vêtements de Marie et de Jean contrastent avec la nudité[7] du cadavre, malgré un perizonium lui-même ample. Le titulus, ordonné par Pilate, inscrit Inri : Jésus de Nazareth, Roi des Juifs[8], motif de condamnation mêlé d’ironie (« Es-tu le roi des juifs ? »[9], puis : « Si tu es le fils de Dieu, sauve-toi toi-même »[10]).

556. Interprétation de l’œuvre. La corporéité du christianisme est un point essentiel de la religion, Jésus, vrai homme et vrai Dieu. Le Fils de Dieu s’est fait homme : « Et le Verbe s’est fait chair et Il a habité parmi nous »[11]. Sa vie d’homme devait impliquer également de connaître la mort humaine, le Fils de Dieu n’y échappe pas. Souffrance et peur l’accompagnent :« Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi… »[12] ; mais, le soir du Vendredi saint, « Il rendit l’esprit [13] ».

La religion chrétienne a donc fortement encouragé les représentations artistiques de la Crucifixion, cœur de la foi, en attendant, trois jours plus tard, la Résurrection : « Il est vivant, Il est vraiment ressuscité [14] ! ». Jésus, par sa mort, rachète les hommes, les sauvant du péché originel d’Adam. Les églises catholiques sont ainsi logiquement « ornées » de cette représentation d’échec, ignominieuse[15], douloureuse et macabre.

Les artistes, par la représentation de la grande souffrance de cette scène classique, cherchent à augmenter la dévotion des fidèles ; la grande humiliation associée à ce mode d’exécution d’un condamné à mort vient, quant à elle, accroître la Gloire du Christ.

Le corps est celui d’un condamné à mort, dans sa nudité et dans les traces des supplices (plaies des mains, des pieds et du côté droit, couronne d’épines) marquant de sang un cadavre cireux et inerte (les yeux sont fermés, la tête et les mains sont tombantes).

Le décor et la composition sont réduits à l’essentiel pour concentrer les regards sur les trois acteurs de ce drame ; le fond noir du tableau souligne le caractère lugubre. Le faible crépuscule au pied de la croix ancre la mort dans la terre. Jésus descendra ensuite au séjour des morts[16], puis ressuscitera. Pourtant, l’attention est attirée vers la tête inclinée du crucifié, ornée d’une fine aura d’un blanc lumineux.

Les représentations de la crucifixion sont ainsi des messages de foi, d’humilité et de commémoration du sacrifice divin. Le cadavre du crucifié annonce la Rédemption humaine par la Résurrection du Fils de l’Homme.

Rites funéraires. Le corps de Jésus est enseveli après la déposition de croix, respectant pieusement les rites funéraires de l’époque. Le respect du Sabbat ne permettait pas d’ensevelir les morts ce jour et conduisit à hâter la mise au tombeau dès le vendredi soir. Joseph d’Arimathie[17] demanda le corps du condamné à Pilate qui le lui accorda, sous bonne garde. Il sera descendu de la croix (déposition), enveloppé dans un linceul blanc et déposé dans le caveau neuf que Joseph d’Arimathie venait d’acheter. Puis, par sécurité, une grosse pierre fut roulée devant le tombeau. Les Evangiles poursuivent leurs précisions sur les rites funéraires, puisqu’après le Sabbat, de grand matin, les femmes allèrent au tombeau poursuivre les rites incomplets du vendredi soir. Elles s’y rendent avec des aromates pour embaumer Jésus[18], mais ne trouvent pas le corps. La pierre du tombeau était roulée, les bandelettes posées par terre et « le linge qui avait recouvert sa tête non pas posé avec le linceul, mais roulé à part à sa place »[19]. Il ne resta donc pas de cadavre du Christ sur terre.

557. Représentations chrétiennes de la mort[20]. D’autres représentations chrétiennes associées à la mort et au cadavre se retrouvent sous le pinceau des artistes pour Jésus lui-même ou ses disciples. La Résurrection de Lazare (cadavre de l’ami de Jésus sortant du tombeau, alors qu’il sentait déjà[21]) ; les martyrs des différents apôtres et disciples ; la Pietà[22] (Marie portant seule dans ses bras le corps de son fils mort après la déposition de croix) ou enfin, concernant le Christ : la Déposition de Croix (l’exercice périlleux[23] de la descente de la croix du cadavre du Christ par plusieurs intervenants) et la Mise au tombeau du corps du Christ.

Cependant, la crucifixion est de loin le thème majeur ornant les églises catholiques. Les protestants réduiront les représentations artistiques, se contentant le plus souvent d’une croix symbolisant la crucifixion, sans représentation humaine, et donc sans cadavre.

Seule personne jamais représentée sous forme de cadavre[24], Marie. De dormition en Assomption, la « Mère de Dieu », pour l’Eglise catholique, ne connaîtra pas la corruption physique de la mort entrant directement « dans la Gloire du ciel ».


[1] Tel ne fut pas le cas pour Jésus.

[2] Souviens-toi que tu vas mourir.

[3] Matthieu, 27, 33-50.

[4] Matthieu, 27, 46 et Marc 15, 34.

[5] Jean, 21, 20-25.

[6] Jean 19, 25-27.

[7] Pour cacher la nudité vraisemblable tant de l’homme que du Dieu, les artistes ont recours au perizonium, linge entourant les reins.

[8] Acronyme de l’expression latine : Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum.

[9] Marc, 15, 2.

[10] Matthieu, 27, 40.

[11] Jean, 01, 14.

[12] Matthieu, 26, 36-46.

[13] Jean 19, 17-30.

[14] Acclamation traditionnelle du jour de Pâques.

[15] La croix est un instrument de condamnation à mort comparable à une guillotine.

[16] Ac. 03, 15 ; Rm. 08, 11 ; 01 Co. 15, 20 en évocation de He. 13, 20.

[17] Matthieu, 27, 60.

[18] Marc 16, 1.

[19] Jean 20, 7-8.

[20] De façon plus générale sur la représentation de la mort, cf. : Ariès Ph., Image de l’homme devant la mort, Seuil, 1983.

[21] Jean, 11, 33-40 : Marthe, la sœur de celui qui était mort, lui dit : « Seigneur il sent déjà, car il y a quatre jours qu’il est là ».

[22] Not. la Pietà de Michel Ange (1475-1564), Basilique Saint-Pierre de Rome et les remarquables photographies de Hupka R., Michel Angelo – Pietà, éd. Marstella, 1964.

[23] Not. Rubens Pierre Paul (1577-1640), palais des Beaux arts de Lille.

[24] Il convient d’ajouter l’enlèvement du prophète Elie : 02 Rois 02.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

« La mère de Maurice, et celle des autres » par le pr. F. Linditch

Voici la 45e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 5e livre de nos Editions dans la collection « Académique » :

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume V :
Le(s) droit(s) selon & avec
Jean-Arnaud Mazères

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina
Delphine Espagno, Isabelle Poirot-Mazères
& Julia Schmitz)

– Nombre de pages : 220
– Sortie : novembre 2016
– Prix : 49 €

  • ISBN / EAN : 979-10-92684-19-3 / 9791092684193
  • ISSN : 2262-8630

Présentation :

Un professeur, un maître, un père, un ami, un guide, un modèle, un inspirateur, un trouvère et, à toutes les pages, un regard. Tous ces qualificatifs pour un seul homme, un de ces êtres doués pour le langage, le partage, l’envie de transmettre, le goût de la recherche et de l’analyse, l’amour des livres et de la musique, l’attention aussi aux inquiets et aux fragiles. La générosité de Jean-Arnaud, l’homme aux mille facettes, est aujourd’hui célébrée, à travers le regard de ses amis. Tous ceux qui ont contribué à cet ouvrage ont quelque chose à dire, à écrire, à expliquer aussi, de ce moment où leur trajectoire a été plus claire, parfois s’est infléchie lors d’un cours ou d’un entretien, où leurs doutes ont rencontré non des réponses mais des chemins pour tenter d’y répondre. Chacun a suivi sa voie, chacun aujourd’hui a retrouvé les autres. Cet ouvrage est pour toi Jean-Arnaud ! Cela dit, si tu ne t’appelles pas Jean-Arnaud, toi – lecteur – qui nous tient entre tes mains, tu peux aussi t’intéresser non seulement au professeur Jean-Arnaud Mazères mais encore t’associer aux hommages et aux témoignages qui lui sont ici rendus. L’ouvrage, qui se distingue des Mélanges académiques, est une marque de respect et d’affection que nous souhaitons tous offrir à son dédicataire et ce, pour ses quatre-vingt ans. L’opus est alors bien un témoignage : celui de celles et de ceux qui ont eu la chance un jour de rencontrer le maestro, de partager les moments plus ou moins délicats du passage de l’innocence estudiantine à celui de la vie d’adulte, voire de faire une partie de ce chemin à ses côtés comme collègue et / ou comme ami. Des vies différentes pour chacun d’entre nous, des choix que le professeur Mazères a souvent directement inspirés, influencés, compris, soutenus mais pour nous tous ce bien commun partagé : celui d’avoir été, et d’être toujours, son élève, son ami, son contradicteur parfois. Par ce « cadeau-livre », nous souhaitons faire part de notre affection, du respect et de l’amitié que nous avons à son égard. Bel anniversaire, Monsieur le professeur Jean-Arnaud Mazères !

Ont participé à cet ouvrage (qui a reçu le soutien de Mme Carthe-Mazeres, des professeurs Barbieri, Chevallier, Douchez, Février, Lavialle & Mouton) : Christophe Alonso, Xavier Barella, Jean-Pierre Bel, Xavier Bioy, Delphine Costa, Abdoulaye Coulibaly, Mathieu Doat, Arnaud Duranthon, Delphine Espagno-Abadie, Caroline Foulquier-Expert, Jean-François Giacuzzo, Philippe Jean, Jiangyuan Jiang, Jean-Charles Jobart, Valérie Larrosa, Florian Linditch, Hussein Makki, Wanda Mastor, Eric Millard, Laure Ortiz, Isabelle Poirot-Mazères, Laurent Quessette, Julia Schmitz, Philippe Segur, Bernard Stirn, Sophie Theron & Mathieu Touzeil-Divina.

Ouvrage publié par le Collectif L’Unité du Droit avec le concours de l’Académie de Législation de Toulouse, du Centre de Recherches Administratives (ea 893) de l’Université d’Aix-Marseille et avec le soutien et la complicité de nombreux amis, anciens collègues, étudiants, disciples…

La mère de Maurice,
et celle des autres.
« Contribution au thème
de la mère de l’auteur »

Florian Linditch
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille, Cra

I. Aux origines du sujet

La mère. Pourquoi pas le père ? Pas de réponse. Pas le temps. Nous laissons le sujet à quelqu’un d’autre. Quant à la mère, le sujet s’est imposé à la suite de deux évènements déjà anciens.

Un « taxi africain » pour commencer, on pardonnera à l’anecdote ce qu’elle a d’autobiographique. Deux décennies plus tôt, l’auteur de ces lignes reçu depuis quelques heures au concours d’agrégation emprunte un taxi à Paris. A cette époque, point de téléphone portable : impossible d’annoncer la bonne nouvelle à ses proches. Trop de joie. Le premier venu fera l’affaire. Un chauffeur de taxi. Celui-ci, bonhomme, accepte la confidence du succès. Mais au lieu des congratulations attendues, le voilà qui explique doctement qu’« en Afrique, chaque réussite est toujours celle de la mère : c’est elle qu’il faut féliciter en premier ». Etonnement du jeune agrégé, et même légère déception. Son succès ne serait-il donc pas le sien propre ?

Deuxième anecdote, non moins discutable scientifiquement, la découverte de Lanza del Vasto, illustration de l’humanisme (courant de pensée que notre maître, Jean-Arnaud, tenait à distance à une certaine époque : suspicion des catégories génériques, suspicion des droits de l’Homme avec un grand « H », abstraction générique qu’il ne coûte rien de mobiliser, certains s’en souviendront…). Une grande respiration philosophique pourtant, et sans doute velléité d’émancipation de l’ancien doctorant. Peut-être s’échappera-t-il ainsi de l’antre de Cyclope pour voguer à sa guise sur la pensée humaniste et l’idéalisme philosophique. Mais, nouvelle surprise : le Maître connaît tout. Il parle de l’œuvre, mais également de l’homme. Stupéfaction : le grand philosophe et poète fut jadis invité par sa mère lors de semaines spirituelles dans les piémonts pyrénéens. Plusieurs années de suite et plusieurs jours en suivant. Illumination, le maître avait donc également une mère. Et celle-ci lui avait fait rencontrer Lanza del Vasto. Voilà l’explication, le maître n’est maître que parce qu’il avait une maîtresse mère. Il n’en fallait pas moins pour s’interroger sur la place de la mère dans la construction intellectuelle d’un homme. Les bibliothèques d’ailleurs, débordent de livres sur les mères et ceux-ci forment « un genre difficile, aux références prestigieuses, d’emblée décourageantes[1] ».

II. La mère de Maurice H.

La mère de Maurice Hauriou se prénommait Marie. Marie, Eugénie, Trouiller. Elle était née à Ladiville (Vendée) le 25 février 1836. Elle appartenait sans doute à une famille de notables ruraux, eu égard à la profession du père attestée dans les actes notariés : « propriétaire [2] » et au fait qu’il fut maire de la même commune lorsqu’elle avait vingt ans.

Marie, Eugénie est décédée à l’âge de 43 ans, à Deviat, commune voisine, le 6 avril 1879. Maurice Hauriou avait à peine 23 ans. La même année, il est docteur en droit (Faculté de Bordeaux). Avant, après le décès, on ne sait. Sans doute simultanément, les deux thèses soutenues en 1879 auront-elles quelque peu rendu supportable cette épreuve, en accaparant le jeune étudiant.

Une autre femme encore qu’on ne peut laisser dans l’ombre, la sœur. Sa cadette de trois ans, Catherine, Louise, Edmée, également née à Ladiville le 17 janvier 1859. Huit ans plus tard après le décès de sa mère, elle épouse à 28 ans, en 1887 Jean Malet, professeur à l’Ecole vétérinaire de Toulouse. Simple coïncidence, ce rapprochement géographique du frère et de la sœur, ou mariage arrangé, influencé par Maurice ou pourquoi pas son épouse ? On ne sait, mais on voit difficilement comment de Vendée, elle aurait pu rencontrer un autre professeur toulousain.

Une dernière, l’épouse. Une autre Marie bien entendu, de son nom de jeune fille, Andrieux. Beaucoup plus jeune que Maurice : 16 ans, écart assez fréquent à l’époque. Née le 28 juin 1872, à Blanzac-Porcheresse (Charente). Sûrement pas une étudiante, en cette fin du XIXe siècle. Du reste, elle est bordelaise. Ils auront six enfants, dont André Hauriou, professeur de droit.

Nous n’en savons rien de plus. Comme du reste.

III. Avec Sainte-Beuve

Il faut relire le Contre Sainte-Beuve pour réaliser que le prétendu interdit posé par Marcel Proust du recours à la biographie pour comprendre l’œuvre n’est pas celui qu’on enseigne trop rapidement. Proust ne remet jamais en cause l’utilité de la biographie, il moque simplement (car l’ouvrage ne dépasse pas, le plus souvent, le niveau du pamphlet) la volonté du critique de mettre en fiche les données essentielles d’une vie, pour en extraire des déterminismes qui expliqueraient l’œuvre. Accablant le pauvre Sainte-Beuve, le jeune Marcel ne craint d’ailleurs pas de se contredire lui-même. A l’occasion, il convoque sa propre mère pour mieux démontrer l’insensibilité du critique : « sans doute n’avait-il pas vu l’émotion du débutant, qui a depuis longtemps un article dans un journal, qui ne le voyant jamais quand il ouvre un journal, finit par désespérer… Mais un matin, sa mère, en entrant dans sa chambre, a posé près de lui le journal d’un air plus distrait que de coutume… mais néanmoins, elle l’a posé tout près de lui, pour qu’il ne puisse manquer de le lire et s’est vite retirée et a repoussé vivement la vieille servante qui allait entrer dans la chambre. Et il a souri, parce qu’il a compris que sa mère bien aimée voulait qu’il ne se doutât de rien, qu’il eut toute la surprise de sa joie, qu’il fut le seul à la savourer et ne fût pas irrité des paroles des autres, pendant qu’il lisait et obligé, par fierté, de cacher sa joie à ceux qui auraient indiscrètement demandé à la partager avec lui[3] ». Quelles lectures, ou lesquels de nos actes et pensées, nos mères ont-elles préparés de cette façon ? Le fils lui-même le sait-il ? Ce qui importe au fond est de savoir que cela pu être ainsi, de laisser ouverte la fenêtre, d’y regarder de temps en temps. Ce frémissement, cette énergie vitale, cette trace d’humanité que l’on guette sur le silex ou le moindre tesson arraché à la terre, pourquoi ne pas la chercher ici ? Dans toutes les autres disciplines, y compris les sciences exactes (voir les innombrables biographies d’Einstein), les témoins se mirent, se comparent, s’y retrouvent, ils aperçoivent derrière la plume, la main, l’auteur et peut-être le secret du génie.

Revenons à la mère de Maurice. Il avait donc une mère. Pourrait-elle avoir joué un rôle dans son œuvre intellectuelle ? Perdue à l’âge de 23 ans on l’a dit, ce qui signifie que Maurice vivra encore 50 ans sans elle. Mais la présence des mères n’est pas présence physique. Elle ne se mesure même pas aux citations, surtout chez les professeurs de droit. Nous la croyons plus diffuse, mais non moins importante.

Entreprise périlleuse : où est-il démontré que les auteurs devraient quelque chose à leur mère ? Si l’on peut en douter pour les juristes, dont l’objet d’études est nécessairement extérieur, à la rigueur on veut bien l’admettre pour les poètes (Baudelaire, Rimbaud), les romanciers (Balzac, Flaubert, Maupassant). La littérature suppose un engendrement, quelque chose qui vient de l’intérieur, une sensibilité qui pourrait alors devoir quelque chose à la mère, et ce même lorsque le fils entre en réaction (Sartre, Jules Renard ; Hervé Bazin). Mais le juriste qui se doit à l’instar du scientifique à l’art du dépouillement, au renoncement à l’égo, dura lex, sed lex, comment sa mère pourrait-elle jouer un rôle dans ses idées ?

C’est en pleine conscience de ces limites méthodologiques que l’entreprise doit être tentée. Au pire on les récusera, au mieux certains éléments, relevant sans doute de la pure coïncidence, permettront-ils de créer un temps d’arrêt, une hésitation, vite balayée par la course à l’information qui gouverne aujourd’hui la discipline juridique.

IV. Amour, le faux objet

La classification la plus courante se plait à opposer, les Mères pathologiques, monstrueuses (Valles, Jules Renard ou Hervé Bazin, del Castillo), et les mères admirables, le plus souvent (Hugo, Colette, Romain Gary, Marcel Pagnol, Albert Cohen, et tant d’autres).

Si l’on en croit Guy de Maupassant « Il y a deux sortes d’écrivains : ceux qui étaient aimés de leur mère et ceux qui ne l’étaient pas ». Telle est souvent l’opinion commune qui considère que :

– la mère était aimante, ou du moins une relation pleine et de qualité s’est établie entre elle et son enfant, et l’on peut supposer que celui-ci en retirera sensibilité et talent, voire génie. Romain Gary en fournit l’exemple, après de brèves études de droit à Aix en Provence, le voilà aviateur, suivant la voie de la France Libre, puis de l’Ecriture, toujours plus libre. Son absolue fantaisie le guide de succès en succès, nimbé qu’il est de l’amour maternel et de la fameuse Promesse de l’Aube que constitue l’amour maternel ;

– à l’inverse la relation mère/fils était plus difficile, et dans ce cas, il faut s’attendre à la révolte, au ressentiment, peut-être à moins d’autosatisfaction, on pense à Baudelaire.

Vulgate psychologisante qui doit bien comporter une part de vérité, mais qui peut être discutée à l’infini, tant cette causalité paraît rudimentaire. Les relations ne sont jamais si simples, les bilans sont toujours constitués d’actifs et de passifs. Et puis, on ne peut exclure les paradoxes. Une mère peu aimante ne conduira-t-elle pas son enfant à rechercher ailleurs l’affection dont il a manqué ? Ne s’ouvrira-t-il pas à de nouvelles fraternités, avec les vivants, comme avec les morts. Ne recherchera-t-il pas toujours une humanité dont il s’est senti privé depuis l’origine. On pense à Dickens, pleuré par toute l’Angleterre et littéralement mort d’épuisement à la suite de lectures de son œuvre qu’il donnait à son public.

Bien entendu, si l’on définit l’amour maternel comme cette abnégation, ce don inconditionnel de soi à l’enfant, à son développement, nul doute qu’il ne doive tenir une place importante dans la fabrique de l’homme[4] et forcément de l’auteur.

Tant d’incertitudes conduisent à renoncer à identifier de puissants déterminismes. Mieux vaut considérer quelques situations clés (distance, abandon, accompagnement de tous les instants, etc.).

V. Présence – Absence

D’abord, il y a l’absence volontaire, l’abandon. La littérature en fournit de nombreuses illustrations. Il faudrait voir du côté de Miguel del Castillo pour la crainte de l’abandon maternel, et l’abandon lui-même. Abandon signifiant pour lui, monstrueux égoïsme de sa mère (abandon d’un enfant, en Allemagne durant la guerre, puis dans les camps pour républicains de l’Espagne franquiste). Celui également de la mère de Dickens qui oublie de récupérer le petit Charles, placé dans une fabrique humide du Londres misérable du début du XIXe siècle.

Mais le plus souvent, mieux vaut parler d’absence que de manque d’amour maternel. L’absence de la mère peut d’ailleurs n’être pas volontaire. Mouvements sociaux, guerres, maladie, mort peuvent l’expliquer…. La mère n’a pas vraiment choisi la séparation, mais peu importe, l’enfant lui, le vivra comme une déréliction. On est troublé de constater que la distance, l’abandon, la séparation engendrent un mieux, la fameuse « résilience » de Boris Cyrulnik[5]. Au point que si elle n’existe pas, l’enfant l’imaginera, lui donnera une importance que peut-être elle n’avait pas. L’enfant se construit dans cette séparation. Alors on imagine l’enfant en pensionnat ou simplement chez sa grand-mère. Il y a les lettres qu’on attend, les quais de gare, les valises trop lourdes qu’on porte pour faire homme. Il a également les lettres qu’il lui écrit car elle travaille ailleurs, les bulletins de notes, la perspective heureuse de se retrouver bientôt ou dans longtemps. La mère qu’on oublie peu à peu, puis la mère qui réapparaît, à laquelle on se réhabitue si aisément. Si désespérément, car on sait qu’elle n’est là que pour quelques jours, quelques heures. Apprivoiser le temps qui dure, et celui qui s’enfuit. Admettre le transitoire, lui donner toute la densité possible.

Tout un apprentissage de la séparation si nécessaire. Presque, une philosophie du temps et de la durée.

Puisque les mères s’en vont (jamais si loin qu’on le pense, mais on le pense), comment ne pas être seul ? Il faut rêver, créer, aimer. Rêve d’une idée qui s’incarnerait et durerait, d’un groupe d’hommes et de femmes qui la partageraient. Plus jamais seul….

VI. L’Accompagnatrice

Oui les leçons se révisent idéalement sous la lampe du salon et se récitent à la mère. Image exaspérante de banalité. Mais l’enfant pourrait aussi bien les apprendre ailleurs, de même que l’étudiant. Et toujours, la mère n’est pas loin. Même pour l’étudiant parti faire ses études ou sa carrière à Paris, Bordeaux ou Toulouse. Innombrables sont les romans qui mettent en scène l’aventure parisienne et le jugement de la mère qui doit tomber à un moment donné (v. les biographies de Balzac, Le petit Chose de Daudet, ou les lettres à sa mère, de Baudelaire). La mère est partout, même si elle est absente. Que cet accompagnement puisse prendre des formes extrêmes, celle de la mère possessive (Gary), ou de l’indifférence (Léautaud), les conséquences sur l’œuvre demeurent.

Il faudrait parler de la vigilance omnisciente des mères. Prévert se plaisait à opposer ses parents là-dessus : « mon père comme je l’amusais, le fâchais, le décevais et l’intriguais tout à la fois, il m’expliquait, il me disait comment j’étais dans le fond. Ma mère jamais : elle me savait[6] ». Mieux encore, ce petit dialogue de Julien Green et de sa mère qui laissera rêveur plus d’un lecteur :

« Que fais tu ? disait-elle

– Rien, répondait, Julien

– Ne le fais plus[7] ».

Parfois, cette surveillance prend des tours originaux. A l’occasion, la mère se fait auteur : elle écrit à son enfant. Elle ne craint pas d’user de stratagèmes. Tel celui que raconte Niki de Saint-Phalle: « je me rappelle avoir lu dans son journal intime (que je pouvais lire parce qu’elle le laissait sciemment à la portée de tous, qu’elle craignait que je finisse mal[8] ». Ou bien, les deux cent cinquante lettres écrites à l’avance par sa mère, à Romain Gary, et qu’il recevait encore à Londres alors qu’il la savait morte depuis trois ans[9]. Ou encore George Sand bourrant ses commodes de manuscrits à publier après sa mort afin de préserver ses enfants du besoin, et pour leur rester présente.

Pour certains, ces forces de l’esprit maternel demeurent après la mort, même sans stratagèmes. Plusieurs auteurs l’ont éprouvé. Jean-Marie Rouart : « ma mère en me quittant dans son apparence réelle s’est glissée en moi et je sens sa présence. Il n’est pas un instant que j’y pense ou non, que je ne ressente cette impression qu’elle est non seulement là, mais qu’elle s’est tissée dans les fibres de mon être[10] ». Hector Biancotti, encore plus explicite relève que même si l’enfant révolté décide de rompre le fameux cordon, « on ne quitte jamais tout à fait une mère, on s’en va, on s’en éloigne, on se sent délivré, affranchi, exempt. Et un beau jour, à cause d’un rien, vous découvrez que vous avez un fil à la patte qui vous relie à elle, à la mère. Quelle abomination la nature. On ne peut haïr définitivement une mère[11] ».

VII. Ambitions croisées

Ce que recouvre l’ambition des parents pour leur enfant, désir d’une situation, projection de leurs propres ambitions non réalisées, nombre de livres de psychologie en traitent abondamment. Mais, contrairement à ce qu’affirme l’opinion commune, ne serait-ce pas là, simplement l’éducation due à l’enfant ? De sorte que l’ambition deviendrait alors la norme : « tu seras un homme mon fils »…

Reste que les voies de l’ambition sont parfois imprévisibles, voire paradoxales, lorsqu’elles passent par la séparation :

Le sanatorium, « j’ai sept ans. Elle m’emmène à Dieulefit, pour me laisser dans une maison de repos. Quatre moi sans elle. C’est dur, beaucoup plus douloureux que cette maladie des bronches qui me poignarde de temps à autre – infiniment moins que l’absence, l’éloignement de ceux que j’aime[12] ».

L’internat à neuf ans, pour d’autres. Les livres sont pleins de récits d’internat, leur grande solitude, comment les mères peuvent-elles se résigner de la sorte ? Ce renoncement « pour le bien » de l’enfant, n’est-il pas preuve d’amour, volonté d’accepter la séparation si elle doit permettre à l’enfant d’acquérir plus vite les clés du monde ?

L’internat encore, et cette volonté que le petit Maurice soit inscrit avec deux ans d’avance sur son âge. Il aura le baccalauréat à seize ans.

Quel parent n’a pas d’ambition pour son enfant ? Mais elle en a plus que les autres. Différente en tout cas, les études sont sacrées, surtout si la mère est enseignante… Non pas sacrées, incontournables, naturelles : « Tu seras enseignant mon fils »…

Violence faite à l’enfant, oubli de son épanouissement personnel ? On ne saurait dire. L’enfant, lui, sait peut-être. Comme si la grande tradition des familles aristocrates et bourgeoises aux XVII et XVIIIe siècles n’avait jamais cessé. Elisabeth Badinter rappelle qu’à cette époque, l’éducation de l’enfant « suit a peu près toujours le même rituel, ponctué par trois phases différentes : la mise en nourrice, le retour à la maison, puis le départ au couvent ou en pension[13] ». Et encore sur les cinq ou six ans que l’enfant passait avec sa famille, il était livré à l’autorité des gouvernantes et percepteurs[14]. Ceci rejoint le grand débat sur la question de savoir s’il faut, ou pas, donner le sein à son enfant, plutôt que de le confier à une nourrice[15].

Poussons plus loin, l’ambition ne traduirait-elle pas une certaine dose d’insatisfaction par rapport à la vie ? La vie est ailleurs (Kundera). Même sans insatisfaction, effet de miroir idéalisé renvoyé par les deux protagonistes.

La mère de Maupassant, décidant que Flaubert ami de son frère décédé en deviendrait l’oncle, le parrain pour ne pas dire le père littéraire de son fils qui serait romancier (elle réussit sur les deux points). La mère de Romain Gary décidant que son fils sera ambassadeur, héros et grand écrivain (triple succès). Mères qui décidaient d’être mères de romancier, d’ambassadeur ou de professeur. Mères qui rêvaient d’une autre vie pour elles, pour leur fils, on ne sait au juste.

Le fils devient alors l’homme que la mère a rêvé. Mais quel homme au juste ? Ce grand provocateur qu’est Philippe Sollers dit quelque part que par le fils, la mère veut remplacer et effacer, non le père de l’enfant (laissons Œdipe tranquille, pour cette fois-ci), mais son propre père à elle. Piste intéressante qui demanderait à être vérifiée…

Mieux même à l’occasion, le fils libère, venge sa mère. Maints passages de Romain Gary en témoignent. Il faudrait relire Marcel Pagnol : tout le monde connaît le final du Château de ma mère, la grosse pierre brisant, trente ans plus tard, la porte du fond du parc du château de la Busine, la porte ouvrant sur le canal. Vengeance, en réalité le mot n’est pas bien choisi. On tâtonne, disons que c’est comme si l’enfant, devenu adulte, avait enfin réalisé son ambition première : protéger sa mère. Il faut réparer, arranger, compenser tout ce qu’on ne pouvait à l’époque. Réparer des maisons, réparer des affronts. Comme cette ultime lettre de Simenon, lettre post-mortem :« ce qui m’a fait le plus plaisir c’est de savoir qu’après ma visite à Liège… les autorités, du maire au gouverneur, non seulement t’ont invitée à toutes les cérémonies et diners officiels, mais qu’ils envoyaient des voitures pour te prendre[16] ».

VIII. Ecrire, écrire, peu importe le sujet, pour réunir…

Mystère, pudeur, égoïsme ? On ne connaît pas une œuvre qui sache exprimer ce qu’il entre dans l’amour de son fils pour sa mère. L’essentiel des œuvres crient la perte de la mère, le manque. Rares sont celles qui parviennent à dire qui était la mère. Certains auteurs le reconnaissent, tels Georges Simenon, pourtant qualifié pour camper un personnage : « nous sommes deux à nous regarder : tu m’as mis au monde, je suis sorti de ton ventre tu m’as donné mon premier lait et pourtant, je ne te connais pas plus que tu ne me connais … vois-tu ma mère, tu es un des êtres les plus complexes que j’aie rencontrés[17] ». Le fils ne sait pas qui était sa mère, et, difficulté supplémentaire, il paraît désarmé pour comprendre son propre sentiment : « l’amour du fils pour la mère ne sait comment se dire. Quels mots choisir pour exprimer l’infinie affection pour celle avec qui il aura fait le plus long chemin[18] ». Il y a là un point aveugle, un défi, des non dits, à dire et à écrire.

Ceci explique que pour certains auteurs, l’écriture elle-même, quel qu’en soit le sujet, ne serait au mieux que le prolongement de leur relation avec leur mère. Non seulement, l’écriture qui la prend pour sujet (Cohen, Pagnol, Gary), mais en réalité n’importe quelle écriture : « avec des mots, peut-on remplir les vides que l’on a laissé derrière soi, les blancs de la mélancolie, les étonnants remords auxquels on ne peut rien… Il y a dans sa vie un grand matin de silence et d’absence[19] ». Même si les pages d’écritures ne sont pas consacrées à la mère, elles en portent encore la marque, parfois difficilement discernable, même par le fils : « écrire un peu pour elle, puisque j’écris par elle[20] ».

Toujours la même ambiguïté, retrouvée plusieurs fois énoncée sous des formes différentes chez Georges Perec : « j’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l’écriture ». Comme si l’écriture constituait alors tout à la fois prolongement de la mère (ou d’autres êtres aimés désormais disparus), mais son remplacement, car « leur souvenir est mort à l’écriture ; l’écriture est le souvenir de sa mort et l’affirmation de ma vie[21] ». Maurice Hauriou l’a-t-il pensé, l’année de ses vingt-trois ans, et les cinquante années qui suivirent ? Avait-il même besoin de le penser, savait-il d’où lui venait cette énergie qui lui ferait écrire des milliers de pages. Telle pourrait être la théorie des littérateurs, gens fort heureusement trop peu sérieux, pour que les juristes s’en préoccupent.

Un pas de plus, dans ce qui pourra paraître relever d’un délire littéraire : si l’acte d’écrire lui-même reproduisait à l’infini les paroles dites, ou non, à sa mère, se pourrait-il que conçues pour elle, les pensées de l’intellectuel soient en réalité inspirées par elle ? Pour certains écrivains, il n’y a pas de doute : « je pense que ce cercle enfermant le fils avec sa mère à jamais est bien réel, et que chacun de nous, aussi loin qu’il s’en aille, demeure sur ce territoire, ne dépasse pas sa frontière. Le cercle s’élargit, s’élargit, et des rênes invisibles nous retiennent, qu’elles soient tressées ou d’amour et de haine, et même si les mains les ont lâchées. L’amour que la mère porte à sa créature n’a nul besoin d’être aimé en retour ; il nous attend interminablement, et je pense qu’il peut nous être une prison, une torture ; mais quand la mère disparaît, toutes les murailles de Chine s’effondrent[22] ».

Poussons plus loin encore : il est des auteurs qui vont jusqu’à prétendre que l’intellectuel comporterait naturellement une part de féminité, cette part maternelle qui continue à vivre, sous d’autres formes. Pour Christian Bobin, l’auteur serait un merveilleux homme raté qui se rapprocherait de la femme par la même quête de l’invisible : « les jeunes mères ont affaire à l’invisible (l’auteur vient d’expliquer que personne ne voit les trésors d’attention prodigués à l’enfant)… L’homme ignore ce qui se passe. C’est même sa fonction, à l’homme de ne rien voir de l’invisible. Ceux parmi les hommes qui voient quand même, ils en deviennent un peu étranges. Mystiques, poètes ou bien rien ? Déchus de leur condition. Ils deviennent comme des femmes : voués à l’amour infini[23] ».

Alors Maurice, cette spiritualité, cette poésie, cette quête de l’invisible, de l’idée, cet amour infini, si on le trouvait dans tes œuvres, ne révèleraient-ils pas cette part de féminité ? Comme un prolongement d’une sensibilité enfantine venue d’on ne sait où ? Quand tu regardes ainsi, par-dessus ton épaule (le fameux regard oblique), n’espères-tu jamais, une fois encore, obtenir son approbation ?

Bien entendu, tu ne le reconnaîtras jamais. Romain Gary lui y était parvenu, rentré couvert d’honneurs à Paris, il écrivait ceci : « mes amis prétendent que j’ai parfois l’étrange habitude de m’arrêter dans la rue, de lever les yeux à la lumière et de rester ainsi un bon moment en prenant un air avantageux, comme si je cherchais à plaire à quelqu’un[24] ».

Tiens pour te consoler, te dire que tu n’es pas tout seul, un petit cadeau de l’ami Perec : écrire c’est une « alternative sans fin entre la sincérité d’une parole à trouver et l’artifice d’une écriture exclusivement préoccupée de dresser ses remparts[25] ».

Toute une épistémologie, la tienne, la sienne, la nôtre…


[1] Delerm Marthe et Philippe, Le miroir de ma mère, Ed. du Rocher, 1998, p. 9

[2] Selon le site : http://siprojuris.symogih.org/siprojuris/enseignant/56873.

On y trouvera également les informations suivantes sur « Hauriou, Maurice, Jean, Claude, Eugène 1856 – 1929, profession du père : notaire, installé à Deviat en 1856. Père : Laurent, Jules Hauriou, né à Cressac (Charente) le 19 avril 1827, fils de Pierre Hauriou, propriétaire (tant au moment de la naissance qu’au moment du mariage de son fils). Mère : Marie, Eugénie, Trouiller, née à Ladiville le 25 février 1836, décédée à Deviat le 6 avril 1879, fille de Jean, Benjamin Trouiller, maire de Ladiville en 1856, propriétaire. Mariage des parents à Ladiville le 16 avril 1855. Une soeur Catherine, Louise, Edmée, née à Ladiville le 17 janvier 1859, elle épouse en 1887 Jean Malet, professeur à l’Ecole vétérinaire de Toulouse. Identité du conjoint : Andrieux, Marie – Date et lieu de naissance : 28 juin 1872 (Blanzac-Porcheresse (Charente)). Six enfants, dont André Hauriou, professeur de droit ».

[3] Proust Marcel, Contre Sainte-Beuve, Gallimard, Coll. Idées, 1954, p. 169.

[4] Voir la grande thèse de « l’amour en plus » d’Elisabeth Badinter ou plus largement le travail de Françoise Dolto.

[5] Cyrulnik B., Un merveilleux malheur, Odile Jacob, 1999.

[6] Prévert Jacques, « Choses et autres » in Toi ma mère, Albin Michel, 2006, p. 291.

[7] Cité par Franz-Olivier Giesbert, Dieu, ma mère et moi, Ed. France Loisirs, 2012, p. 19.

[8] Niki de Saint-Phalle in Toi ma mère, op. cit., p. 268.

[9] Gary Romain, La promesse de l’aube, Gallimard, Folio, p. 368.

[10] Rouart Jean-Marie, « Une jeunesse à l’ombre de la lumière », cité in Toi ma mère, op. cit., p. 227.

[11] Bianciotti Hector, Toi ma mère, op. cit., p. 173.

[12] Delerm Marthe et Philippe, Le miroir de ma mère, Ed. du Rocher, 1998, p. 88.

[13] Badinter Elisabeth, L’amour en plus, Le livre de poche, 1982, p. 150.

[14] Idem, p. 161

[15] Idem, p. 233 et s.

[16] Simenon Georges in Toi ma mère, op. cit. p. 239.

[17] Simenon Georges in Toi ma mère, op. cit., p. 245.

[18] Simon Yves in Toi ma mère, op. cit., p. 251.

[19] Delerm Marthe et Philippe, op. cit., p. 9

[20] Ibid.

[21] Perec Georges in Toi ma mère, op. cit., p. 271.

[22] Bianciotti Hector, « Seules les larmes seront comptées » in Toi ma mère, op. cit., p. 174.

[23] Bobin Christian, « La part manquante » in Toi ma mère, op. cit., p. 138.

[24] Gary Romain, La promesse de l’aube, Gallimard, Folio, p. 391.

[25] Perec Georges, op. cit., p. 277.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Deux auteurs : Nolwenn Duclos & Maxime Charité

Profession :
Enseignant.e.s contractuel.le.s des universités

Thèmes de recherche(s) :
Droits et contentieux constitutionnels et administratifs

Quelle a été votre première collaboration / publication aux Editions L’Epitoge ?

Orléans dans la jurisprudence des « Cours suprêmes »

Y en a-t-il eu d’autres ?
Non, pas pour l’instant. Nous profitons de cette occasion pour annoncer que nous finalisons actuellement un projet de recherche s’inscrivant dans la continuité d’Orléans dans la jurisprudence des « Cours suprêmes » et qui donnera lieu au premier cycle de conférences des jeunes chercheurs en droit de l’université d’Orléans au cours de l’année universitaire 2020/2021 ; projet qui sera rendu public en même temps que la sortie de l’ouvrage.

Quelle est votre dernière publication ?
Une étude sur le « survivant désigné » inspirée de la série éponyme et parue au n° 112 de la Revue française de droit constitutionnel (Nolwenn) ;
un article sur les « besoins essentiels à la vie », version écrite d’une communication orale au colloque virtuel « Droit et Coronavirus », récemment publié à la Revue des droits et libertés fondamentaux (Maxime).

Quelle sera (en 2020, 21, etc.) votre future publication ?
Orléans dans la jurisprudence des « Cours suprêmes », mais également et notamment, nos contributions individuelles à l’ouvrage collectif dirigé par la professeure Catherine Thibierge sur la garantie normative, ainsi que la version écrite d’une communication orale au colloque « Le Berry, hier, aujourd’hui, demain », qui se rattache aussi à mes travaux sur le territoire saisi par le droit et la jurisprudence (Nolwenn). De plus, nous écrivons actuellement une contribution intitulée « De quoi la modernisation du mode de rédaction des décisions de justice est-elle le nom ? », également destinée à paraître au sein d’un ouvrage collectif sur la modernisation du droit.

Quelle est la publication dont vous êtes le.la plus fier.e / heureux.se ? Mon article sur le « survivant désigné » (Nolwenn) ; dans l’attente de la publication de ma thèse, mon étude sur les commentaires autorisés des décisions du Conseil constitutionnel, fruit de mon mémoire de recherche de Master 2, qui a pu paraître à la suite de la Troisième journée de la jeune recherche en droit constitutionnel.

Quel est – en droit – votre auteur.e préféré.e ?
Le professeur Dominique Rousseau, qui nous a éveillé à la recherche en droit constitutionnel lors de notre seconde année de master à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Quel est – en littérature – votre auteur.e préféré.e ?
Double joker !

Quel est – en droit – votre ouvrage préféré ? 
Les grands arrêts de la jurisprudence administrative et La Constitution introduite et commentée par le professeur Guy Carcassonne

Quel est – en littérature – votre ouvrage préféré ? 
Les liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos pour le portrait acerbe qu’il dresse des mœurs de l’aristocratie du XVIIIe siècle (Nolwenn) ; Les forçats de la route d’Albert Londres, amour de la « petite reine » oblige (Maxime).