Entre art(s), cadavre(s) & droit(s) (par Mme le pr. A. Cheynet de Beaupré)

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Entre art(s), cadavre(s) & droit(s) (par Mme le pr. A. Cheynet de Beaupré)

Voici la 46e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait des 11 & 12e livres de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XI : Traité des nouveaux droits de la Mort
Vol I. La Mort, activité(s) juridique(s)

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina,
Magali Bouteille-Brigant & Jean-François Boudet)

– Sortie : 02 novembre 2014
– 430 pages
– Prix : 69 €

  • ISBN : 979-10-92684-05-6
  • ISSN : 2259-8812

Volume XII : Traité des nouveaux droits de la Mort
Tome II – La Mort, incarnation(s) cadavérique(s)

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina,
Magali Bouteille-Brigant & Jean-François Boudet)

– Sortie : 02 novembre 2014
– 448 pages
– Prix : 69 €

  • ISBN : 979-10-92684-06-3
  • ISSN : 2259-8812

Présentation :

« « Il ne suffit (…) pas au jurisconsulte de se préoccuper des vivants » affirme Gabriel Timbal dans l’introduction à sa célèbre (et controversée) thèse sur la condition juridique des morts (1903). Le Droit – ou plutôt les droits – s’intéressent en effet à toutes les activités humaines et sociétales. « L’objet du Droit, c’est l’homme » expliquait déjà en ce sens le doyen Foucart. Il importait donc de s’intéresser de la façon la plus exhaustive possible et ce, à travers le prisme de l’Unité du / des droit(s) à la matérialisation positive du ou des droit(s) relatif(s) à la Mort. A cette fin, les trois porteurs du Traité des nouveaux droits de la Mort ont réuni autour d’eux des juristes publicistes, privatistes et historiens mais aussi des praticiens du funéraire, des médecins, des anthropologues, des sociologues, des économistes, des artistes et des musicologues. Tous ont alors entrepris de présenter non seulement l’état positif des droits (publics et privés) nationaux concernant la Mort, le cadavre & les opérations funéraires mais encore des éléments d’histoire, de droit comparé et même quelques propositions normatives prospectives. Et si l’opus s’intitule Traité des « nouveaux » droits de la Mort, c’est qu’effectivement l’activité funéraire et le phénomène mortel ont subi depuis quelques années des mutations cardinales (statut juridique du cadavre, mort à l’hôpital, tabous persistants et peut-être même amplifiés devant le phénomène, service public des pompes funèbres, activité crématiste, gestion des cimetières, « prix » de la Mort, place et représentation de celle-ci et de nos défunts dans la société, rapports aux religions, professionnalisation du secteur funéraire, etc.). Matériellement, le Traité des nouveaux droits de la Mort se compose de deux Tomes : le premier envisage la Mort et ses « activités juridiques » et le second la Mort et ses « incarnations cadavériques » ».

Crucifixion :
mort & vie

présentation de Mme Aline Cheynet de Beaupre
Professeur de Droit privé – Université d’Orléans

554. Guido Reni. Cette « Crucifixion » est attribuée à Guido Reni, dit « Le Guide » (né à Calvenzano le 04 novembre 1575, décédé le 18 août 1642 à Bologne), peintre italien de l’école de Bologne. Entre baroque et classicisme, il fut influencé par Le Caravage et Raphaël. Sa peinture marquée par la religiosité, lui attira un certain nombre de commandes du Vatican, notamment les fresques du palais Quirinal.

Crucifixion attribuée à Guido Reni (1575-1642).
Collection particulière (30 x 45 cm).

Crucifixion. Thème majeur dans l’art pictural classique européen, la crucifixion est une provocation à tous égards.

La cruauté de ce mode d’exécution est peu supportable : clous enfoncés dans le corps vivant du condamné pour l’accrocher sur la croix qu’il aura préalablement portée lui-même, supplice souvent « abrégé » en brisant les jambes pour provoquer une asphyxie[1], tortures préalables… Ce cadavre exhibé après d’atroces souffrances est, théoriquement, peu propice à la représentation artistique. Les premiers chrétiens ont, d’ailleurs, évité le thème de la crucifixion qui n’apparaîtra que vers l’époque carolingienne pour s’imposer un peu plus tard vers l’an mille. Les crucifix catholiques ou orthodoxes, portés ou accrochés dans les habitations ne comportent pas qu’une croix, mais également le corps du Christ crucifié, et donc un cadavre.

La religion chrétienne considère que le Christ, Fils de Dieu, a pris la condition d’homme, est mort pour le pardon des péchés, puis est ressuscité. La Pâque chrétienne, consécutive à la Passion, est dès lors une certitude de victoire sur la mort et d’espérance en une Vie éternelle.

La mort fait pleinement partie de la vie. Qu’est-ce qu’un vivant, si ce n’est quelqu’un qui va mourir (« Memento mori »[2]) ? L’humanité du Fils de Dieu passe ainsi obligatoirement par sa mort, provocation incompréhensible face à un Dieu éternel. Mais cette mort (et sa représentation) n’est admissible et supportable que parce qu’elle annonce la Vie éternelle pour chacun.

555. Description. Le ciel noir et crépusculaire de fin de journée (« A partir de la sixième heure, l’obscurité se fit sur toute la terre, jusqu’à la neuvième heure »[3]) fait ressortir la blancheur cadavérique du crucifié. Le Christ, homme, est bien mort : la résurrection qui suivra est, dès lors, un véritable miracle et il est fondamental pour le peintre d’insister sur l’état de cadavre : tête penchée d’un corps sans vie, yeux clos, sang qui ne coule presque plus, côté droit percé par une lance pour vérifier le décès du condamné. D’autres représentations picturales traditionnelles de la crucifixion se placent quelques instants plus tôt, avant la mort de Jésus. Il a alors la tête tournée vers le ciel, il est encore vivant et crie un extrait du Psaume 22 : « Eloi, Eloi, lama sabachtani ? » (Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?) [4].

Au pied de la croix, la Vierge Marie témoigne de sa souffrance de mère. Le manteau bleu la désigne comme protégée par le ciel et est devenu la couleur mariale. Elle porte ici une robe rose, de couleur plus douce que le rouge habituel préfigurant la passion du Christ. Le bleu, dans la symbolique iconographique, signifie l’essence terrestre de Jésus, le rouge manifeste sa divinité. Dénudé sur la croix, ses couleurs traditionnelles sont réparties sur Marie et Jean.

L’apôtre Jean (« le disciple que Jésus aimait »[5]), nouveau fils spirituel de Marie (« Femme voici ton fils »[6]), est dans une posture de contemplation, drapé d’un manteau rouge (couleur des martyrs), mais symbole également de la passion et de la royauté du Christ.

Les visages livides des deux seuls présents au pied de la croix reflètent une profonde détresse face au cadavre impensable du Fils de Dieu. Les mains de chacun sont douloureusement nouées, entre prière et crispation de souffrance.

Le volume et la couleur des vêtements de Marie et de Jean contrastent avec la nudité[7] du cadavre, malgré un perizonium lui-même ample. Le titulus, ordonné par Pilate, inscrit Inri : Jésus de Nazareth, Roi des Juifs[8], motif de condamnation mêlé d’ironie (« Es-tu le roi des juifs ? »[9], puis : « Si tu es le fils de Dieu, sauve-toi toi-même »[10]).

556. Interprétation de l’œuvre. La corporéité du christianisme est un point essentiel de la religion, Jésus, vrai homme et vrai Dieu. Le Fils de Dieu s’est fait homme : « Et le Verbe s’est fait chair et Il a habité parmi nous »[11]. Sa vie d’homme devait impliquer également de connaître la mort humaine, le Fils de Dieu n’y échappe pas. Souffrance et peur l’accompagnent :« Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi… »[12] ; mais, le soir du Vendredi saint, « Il rendit l’esprit [13] ».

La religion chrétienne a donc fortement encouragé les représentations artistiques de la Crucifixion, cœur de la foi, en attendant, trois jours plus tard, la Résurrection : « Il est vivant, Il est vraiment ressuscité [14] ! ». Jésus, par sa mort, rachète les hommes, les sauvant du péché originel d’Adam. Les églises catholiques sont ainsi logiquement « ornées » de cette représentation d’échec, ignominieuse[15], douloureuse et macabre.

Les artistes, par la représentation de la grande souffrance de cette scène classique, cherchent à augmenter la dévotion des fidèles ; la grande humiliation associée à ce mode d’exécution d’un condamné à mort vient, quant à elle, accroître la Gloire du Christ.

Le corps est celui d’un condamné à mort, dans sa nudité et dans les traces des supplices (plaies des mains, des pieds et du côté droit, couronne d’épines) marquant de sang un cadavre cireux et inerte (les yeux sont fermés, la tête et les mains sont tombantes).

Le décor et la composition sont réduits à l’essentiel pour concentrer les regards sur les trois acteurs de ce drame ; le fond noir du tableau souligne le caractère lugubre. Le faible crépuscule au pied de la croix ancre la mort dans la terre. Jésus descendra ensuite au séjour des morts[16], puis ressuscitera. Pourtant, l’attention est attirée vers la tête inclinée du crucifié, ornée d’une fine aura d’un blanc lumineux.

Les représentations de la crucifixion sont ainsi des messages de foi, d’humilité et de commémoration du sacrifice divin. Le cadavre du crucifié annonce la Rédemption humaine par la Résurrection du Fils de l’Homme.

Rites funéraires. Le corps de Jésus est enseveli après la déposition de croix, respectant pieusement les rites funéraires de l’époque. Le respect du Sabbat ne permettait pas d’ensevelir les morts ce jour et conduisit à hâter la mise au tombeau dès le vendredi soir. Joseph d’Arimathie[17] demanda le corps du condamné à Pilate qui le lui accorda, sous bonne garde. Il sera descendu de la croix (déposition), enveloppé dans un linceul blanc et déposé dans le caveau neuf que Joseph d’Arimathie venait d’acheter. Puis, par sécurité, une grosse pierre fut roulée devant le tombeau. Les Evangiles poursuivent leurs précisions sur les rites funéraires, puisqu’après le Sabbat, de grand matin, les femmes allèrent au tombeau poursuivre les rites incomplets du vendredi soir. Elles s’y rendent avec des aromates pour embaumer Jésus[18], mais ne trouvent pas le corps. La pierre du tombeau était roulée, les bandelettes posées par terre et « le linge qui avait recouvert sa tête non pas posé avec le linceul, mais roulé à part à sa place »[19]. Il ne resta donc pas de cadavre du Christ sur terre.

557. Représentations chrétiennes de la mort[20]. D’autres représentations chrétiennes associées à la mort et au cadavre se retrouvent sous le pinceau des artistes pour Jésus lui-même ou ses disciples. La Résurrection de Lazare (cadavre de l’ami de Jésus sortant du tombeau, alors qu’il sentait déjà[21]) ; les martyrs des différents apôtres et disciples ; la Pietà[22] (Marie portant seule dans ses bras le corps de son fils mort après la déposition de croix) ou enfin, concernant le Christ : la Déposition de Croix (l’exercice périlleux[23] de la descente de la croix du cadavre du Christ par plusieurs intervenants) et la Mise au tombeau du corps du Christ.

Cependant, la crucifixion est de loin le thème majeur ornant les églises catholiques. Les protestants réduiront les représentations artistiques, se contentant le plus souvent d’une croix symbolisant la crucifixion, sans représentation humaine, et donc sans cadavre.

Seule personne jamais représentée sous forme de cadavre[24], Marie. De dormition en Assomption, la « Mère de Dieu », pour l’Eglise catholique, ne connaîtra pas la corruption physique de la mort entrant directement « dans la Gloire du ciel ».


[1] Tel ne fut pas le cas pour Jésus.

[2] Souviens-toi que tu vas mourir.

[3] Matthieu, 27, 33-50.

[4] Matthieu, 27, 46 et Marc 15, 34.

[5] Jean, 21, 20-25.

[6] Jean 19, 25-27.

[7] Pour cacher la nudité vraisemblable tant de l’homme que du Dieu, les artistes ont recours au perizonium, linge entourant les reins.

[8] Acronyme de l’expression latine : Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum.

[9] Marc, 15, 2.

[10] Matthieu, 27, 40.

[11] Jean, 01, 14.

[12] Matthieu, 26, 36-46.

[13] Jean 19, 17-30.

[14] Acclamation traditionnelle du jour de Pâques.

[15] La croix est un instrument de condamnation à mort comparable à une guillotine.

[16] Ac. 03, 15 ; Rm. 08, 11 ; 01 Co. 15, 20 en évocation de He. 13, 20.

[17] Matthieu, 27, 60.

[18] Marc 16, 1.

[19] Jean 20, 7-8.

[20] De façon plus générale sur la représentation de la mort, cf. : Ariès Ph., Image de l’homme devant la mort, Seuil, 1983.

[21] Jean, 11, 33-40 : Marthe, la sœur de celui qui était mort, lui dit : « Seigneur il sent déjà, car il y a quatre jours qu’il est là ».

[22] Not. la Pietà de Michel Ange (1475-1564), Basilique Saint-Pierre de Rome et les remarquables photographies de Hupka R., Michel Angelo – Pietà, éd. Marstella, 1964.

[23] Not. Rubens Pierre Paul (1577-1640), palais des Beaux arts de Lille.

[24] Il convient d’ajouter l’enlèvement du prophète Elie : 02 Rois 02.

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