A propos du vin biologique (par le Dr. Georgopoulos)

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

A propos du vin biologique (par le Dr. Georgopoulos)

Voici la 49e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 23e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Cet ouvrage forme le vingt-troisième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».

Volume XXIII :
Droit(s) du Bio 

direction : M. Touzeil-Divina
H. Hoepffner, C. Hermon
S.Douteaud, D. Löhrer, J. Schmitz
(collectif)

– Nombre de pages : 176
– Sortie : octobre 2018
– Prix : 25 €

  • ISBN  / EAN : 979-10-92684-32-2
    / 9791092684322
  • ISSN : 2259-8812

Mots-Clefs : Unité(s) du Droit – Bio – Agriculture biologique – Droit de l’environnement – Vin – Huile d’olive – droit constitutionnel – marchés publics – droit rural

Présentation :

« Les présents actes proviennent d’un colloque qui s’est tenu à Toulouse le 23 mars 2018 dans le cadre du « Marathon du Droit » organisé par le Collectif L’Unité du Droit et succédant à cinq premières « 24 heures du Droit ». Le « Bio » ou « la » « Bio » (pour l’agriculture biologique) se révèle en plein essor sur l’ensemble du territoire français et ce, en termes non seulement de production mais également de consommation. En bref, le « Bio » dépasse aujourd’hui ce qui apparaissait autrefois comme un marché « de niche » ou de « Bourgeois Bohème ». Les revendications en faveur de ce mode de production ne cessent de se multiplier et une telle demande sociale justifie que l’on s’interroge sur les rapports qu’entretiennent le(s) droit(s) et la culture Bio ainsi qu’en témoigne le récent règlement Ue du 30 mai 2018 (relatif à la production et à l’étiquetage en matière de « Bio »).

Dans cette perspective, les présents actes, qui réunissent les contributions d’universitaires, de praticiens du monde et de l’économie du Bio mais aussi d’étudiants, invitent, en tout premier lieu, à réfléchir à l’emploi du préfixe ou du substantif « Bio » en droit (biopouvoir, biocarburant, agriculture biologique, etc.) afin d’en interroger les multiples sens. Indispensable, ce travail préalable de définition(s) (Partie I) offre la possibilité d’analyser, dans un second temps, l’environnement juridique de l’agriculture « Bio » (Partie II) puis les manifestations juridiques concrètes du « Bio » à travers la multitude des branches académiques (Partie III). Une réflexion est ainsi engagée sur un ou des droit(s) « au » Bio puis « du » Bio et ce, en s’intéressant plus particulièrement à l’agriculture biologique en illustrant cette recherche à partir de deux cas concrets : le vin et l’huile d’olive (Partie IV). Ces contributions éditées sont, en définitive, l’occasion de dresser un premier état des lieux de la place que réservent le(s) droit(s) et, par voie de conséquence, la puissance publique comme les collectivités publiques à la culture et à l’agriculture biologiques. Enfin, l’ouvrage se clôture, comme lors du colloque, par une exceptionnelle réflexion / ouverture engagée par le professeur Eric Naim-Gesbert qui embarque le lecteur dans un merveilleux voyage aux confins du droit de l’environnement.

Le vin biologique :
réflexions autour d’un paradoxe

Théodore Georgopoulos
Programme Vin & Droit – Chaire Jean Monnet (Université de Reims)
Institut Georges Chappaz

de la Vigne et du Vin en Champagne

Le vin biologique relève d’un paradoxe. Contrairement aux autres produits agricoles qui par définition bénéficient d’une présomption d’innocuité, le vin est traité, à plusieurs égards, avec circonscription par les autorités publiques.

C’est ainsi que la ministre de la Santé Agnès Buzyn déclarait sur France 2 le 7 février 2018) : « aujourd’hui, le vrai message de santé publique serait : l’alcool est mauvais pour la santé. [Consommer avec modération] est un message ancien » ou que « l’industrie du vin laisse croire aujourd’hui que le vin est différent des autres alcools. En termes de santé publique, c’est exactement la même chose de boire du vin, de la bière, de la vodka ou du whisky ». De la sorte, certifier une boisson alcoolique, souvent diabolisée, comme « biologique », et donc bon pour la santé, semble contradictoire.

Si on regarde de plus près cependant, la possibilité de qualifier un vin de « biologique » est une nécessité pour plusieurs raisons.

D’abord, du fait exactement des méfaits de l’abus d’alcool : le vin bio n’est pas censé être moins alcooleux mais au demeurant il peut, le cas échéant, revendiquer d’être un produit débarrassé de substances susceptibles de nuire davantage à la santé.

Ensuite, du fait de la complexité du processus de production. Peu de produits agricoles (Annexe I du Traité Fue) sont potentiellement soumis à autant de complexité et de variété de procédés que le vin. Cela vaut en partie pour la viticulture mais il est particulièrement pertinent pour la vinification. Et même si la loi fixe des règles précises par rapport à ce qui est permis afin de prétendre à la dénomination de vente « vin », nul doute que la marge laissée aux producteurs est large. D’autant plus lorsque le vin est d’origine étrangère. Dans ces conditions, apposer le label « bio » sur une étiquette de vins est rassurant.

De surcroît, la possibilité de qualifier un vin comme biologique permet de diversifier les produits vinicoles, au profit de la concurrence, dans un domaine qui est strictement réglementé. Rappelons que dans l’affaire Deutsches Weintor, la Cjue avait souligné que « compte tenu des risques de dépendance et d’abus ainsi que des effets nocifs complexes avérés liés à la consommation d’alcool, notamment la survenance de maladies graves, les boissons alcooliques représentent une catégorie spéciale de denrées alimentaires soumise à une régulation particulièrement stricte[1] ». Le vin ne fait pas figure d’exception : l’affaire en question concernait effectivement les produits d’une coopérative vitivinicole allemande. Face à ce souci, la législation prévoit au niveau européen des règles strictes en matière d’allégations nutritionnelles et de santé figurant sur les conteneurs de boissons alcooliques. Pour les allégations de santé, la règle est celle de la prohibition. Avec la mise en place du régime de vin biologique, on introduit pour les vins (où les informations à caractère nutritionnel ou sanitaire sont soit strictement limitées soit interdites[2]) un critère distinctif et, par cela, un potentiel avantage compétitif.

De ce point de vue, il faut nuancer les propos de la position doctrinale selon laquelle la législation agriculture biologique ne porte « aucun jugement de valeur sur les différents modes de productions agricoles possibles[3] ». Un vin conventionnel n’est pas néces-sairement « meilleur » ou « pire ». Il n’empêche que si le droit reste neutre, le qualificatif « bio » s’adresse au consommateur qui, lui, est susceptible de ne pas rester indifférent à la qualification d’un vin comme « biologique ». De la sorte, le régime juridique du vin biologique présente de multiples facettes, tantôt complémentaires tantôt en concurrence, des facettes dictées par la position paradoxale du produit. Ainsi, consacré par le droit (I), le vin biologique se promet aussi d’être un instrument au service d’objectifs et de politiques d’intérêt autres que purement commerciaux (II). Et pourtant, à la période de sa consécration, le vin biologique s’avère, et à plusieurs égards, déjà dépassé (III).

I. Le vin bio consacré

Posée comme un corollaire de la mise en place du marché intérieur, la consécration du vin biologique en Europe relève au fond d’une démarche négative, consistant à vérifier l’inexistence de facteurs qui s’opposeraient à la certification d’un vin comme « biologique ».

A. Le vin bio, vin européen

En Europe, le vin bio est une affaire du droit de l’Union. Cela est une conséquence de l’« européanisation » de la compétence en matière vitivinicole. Tant la mise en place de l’Organisation Commune des Marchés que la libre circulation des marchandises (vinicoles), dictent la mise en place de règles communes en matière de labellisation des produits.

La Cour de justice des Communautés européennes, dans sa jurisprudence fondamentale « Cassis de Dijon[4] » avait bien cerné le rapport entre la libre circulation et le besoin d’édicter des règles communes en matière d’étiquetage.

Cependant, il faut se rendre à l’évidence : le vin biologique n’est pas fondamentalement une question d’étiquetage mais un régime de régulation de procédés. Ce sont les pratiques de production autorisées qui permettront (ou pas !) la qualification d’un produit vinicole comme « bio ». L’utilisation, par ailleurs facultative, de la mention n’est que la certification du respect du cahier des charges homologué des vins biologiques. En dépit de son apparente « banalité », ce constat est décisif pour déterminer la compétence normative de l’Union en la matière : contrairement, par exemple, aux mentions traditionnelles, le droit l’Union ne se confine pas en une homologation des choix nationaux ou même locaux ; il organise la production du vin biologique, en excluant la mise en place de systèmes nationaux appliqués « parallèlement » qui prétendraient à la même certification (ou même, à notre avis, à une dénomination similaire, susceptible de générer de la confusion chez le consommateur).

Au fond, la réglementation sur le vin biologique relève de l’application du principe de subsidiarité. Principe fondamental en matière de répartition des compétences entre l’Union européenne et ses Etats membres, la subsidiarité exige que les décisions de régulation soient adoptées au niveau le plus adéquat. Il s’avère que pour la détermination des conditions de certification du vin comme « biologique » dans le cadre du marché intérieur, le niveau adéquat est celui de l’Union. Au regard des risques de distorsion de concurrence que provoquerait un régime de vin biologique à géométrie variable, la compétence européenne en la matière s’impose. Par ailleurs, cela est en adéquation avec l’européanisation du secteur vitinicole : de la régulation des pratiques œnologiques à l’étiquetage des produits, la régulation européenne a remplacé en grande partie la compétence nationale.

Sur cette base, le régime du vin biologique est régi par le Règlement horizontal n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 et le règlement d’application (Ce) n° 889/2008 de la Commission du 5 septembre 2008. Cependant, le vin n’était pas initialement inclus dans le champ d’application de ces textes, preuve des difficultés d’arriver à un consensus. De la sorte, au début, il n’existait que la possibilité de marquer sur les étiquettes que le produit vinicole était issu de raisins biologiques : de la même manière que ce n’est pas l’œnologie mais le droit qui détermine ce qu’est le vin (la définition légale permettant d’utiliser le mot « vin » comme dénomination de vente), de la même manière, c’est le droit qui détermine ce qu’est le « vin biologique ». Faute d’une telle réponse, le terme était proscrit et la filière vin se contentait de commercialiser ses produits, le cas échéant, sous l’expression de « vin issu de raisins biologique » ou « de l’agriculture biologique ». Le jeu de la concurrence mais également la protection du consommateur européen récusaient l’idée d’une définition au niveau national.

Le législateur européen a mis fin à ce silence. Par son Règlement d’exécution (Ue) n° 203/2012 du 8 mars 2012[5], il a donné une existence juridique aux vins biologiques. Le nouveau Règlement (Ue) no 2018/848 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement (Ce) no 834/2007, applicable à partir du 1er janvier 2021 perpétue ce régime juridique[6].

Le Règlement (Ue) n° 2018/848 précise que le vin biologique est issu des matières premières biologiques et suivant les pratiques œnologiques non-interdites par ce même texte[7]. Ce dernier élément est significatif. D’une manière générale, en matière de vinification, le droit de l’Ue inverse la présomption de la liberté d’entreprendre « in dubio pro libertate », laquelle est la règle dans le domaine du marché intérieur. Selon l’article 80 § 1 du Règlement (Ue) 1308/2013[8], seules les pratiques œnologiques explicitement mentionnées en annexe du Règlement sont autorisées afin que le produit puisse prétendre à la dénomination de vente « vin » (et bénéficier du régime applicable à celui-ci). Il s’agit ici d’une spécificité, par rapport à la plupart des produits agroalimentaires qui bénéficient, quant à eux, d’une plus grande liberté dans les procédés légaux pour leur fabrication. Avec le vin biologique, on ajoute une « couche » supplémentaire de restrictions car, parmi les pratiques œnologiques admises selon le droit commun du vin, certaines sont interdites afin de pouvoir bénéficier du label « bio ». On comprend aisément le régime juridique particulièrement complexe auquel le vin biologique européen est soumis.

B. Une consécration négative

Comme pour les autres produits « bio », le vin biologique relève donc de certains procédés de production mais surtout d’une labellisation spécifique. Effectivement, du point de vue du droit de l’Union, la certification « bio » figure parmi les indications « facultatives » de l’étiquetage des vins, en tant que « mention relative à certaines méthodes de production » (art. 120 § 1f). L’apposition du logo officiel, suite aux contrôles exigés, est la preuve de la qualification du vin comme biologique.

Or, il s’avère que la définition donnée au vin « bio » est une définition négative : on ne précise pas ce qu’est le vin biologique mais on détermine quelles sont les pratiques dont l’exercice empêche la certification du vin comme biologique. Ce constat a une importance capitale pour appréhender la logique du régime mis en place : le caractère biologique d’un vin ne dépend pas de sa certification en tant que telle. C’est plutôt l’inverse qui se produit : c’est le processus de certification qui vérifie le caractère légitime de l’utilisation du label « bio » sur l’étiquette (et les supports de promotion et de communication) du produit vinicole.

Ceci étant, la consécration du statut juridique pour le « vin biologique » relève d’une double certification : celle relative à la viticulture biologique et celle concernant le processus de vinification. Les raisins (et le moût concentré ou, le cas échéant, le sucre) doivent être issus de l’agriculture biologique et, de surcroît, les pratiques œnologiques doivent s’abstenir de ce qui est explicitement interdit dans la législation européenne : taux de souffre, interdiction de concentration partielle par le froid, désalcoolisation partielle etc.

II. Le vin bio instrumentalisé

L’essor que connaissent les produits « bio » aujourd’hui permet de réfléchir sur leur rôle potentiel au-delà du rapport entre le produit et le consommateur. S’ouvre notamment la perspective d’« instrumentaliser » la tendance pour les produits bio, en amont. Pour le vin cela prend une signification particulière, au vu de ses rapports si étroits avec le terroir et, partant, les territoires. Le régime juridique en la matière peut effectivement se transformer en outil pour mener des politiques publiques locales, en s’appuyant sur ses rapports avec le développement durable et l’identité du vignoble.

A. Vin bio et développement durable

Du fait de sa valeur ajoutée présumée et de ses affinités avec le développement durable, la viticulture biologique se transforme en outil d’incitation pour une gouvernance responsable du vignoble. Ainsi, « les superficies dont les vignobles contribuent à la préservation de l’environnement » (Art. 64 § 2b du Règlement 1308/2013) sont reconnues par le législateur européen comme l’un des critères de priorité que les Etats membres peuvent retenir pour accorder de nouvelles autorisations de plantation de vignes.

Dans un sens analogue, la jurisprudence de la Cour de Cassation semble encourager la contractualisation de la viticulture biologique, les parties pouvant préciser la destination contractuelle du bien loué, ce qui pourrait fonder indirectement un certain contrôle du bailleur sur l’activité du locataire[9].

De même, les risques de mise en cause d’une viticulture biologique par les activités d’agriculture conventionnelle sur des parcelles avoisinantes poussent à terme vers un aménagement du territoire sur du regroupement des parcelles et des producteurs concernés en zones de production dédiée à la viticulture biologique. A terme, c’est une perspective qui s’impose par le coût et les problèmes qu’engendre aujourd’hui l’éparpillement des vignobles « bio ».

B. Vin bio et identité du vignoble recherché

Le régime du vin bio demeure aujourd’hui inachevé. Comme nous l’avons vu, sa définition repose sur l’interdiction de certaines pratiques et non pas sur un cahier des charges homologué. Cela empêche l’intégration de la certification « bio » dans la gouvernance du vignoble par les organismes de défense et de gestion (Odg) sous contrôle d’organismes de certification. Pour l’instant, on opte pour une gestion de la question « bio » au niveau national sans véritable osmose avec les certifications qui relèvent des Aop/Igp et d’autres signes d’identification de la qualité et de l’origine (par ex. les mentions traditionnelles).

Une telle décentralisation faciliterait l’appréhension de la certification « biologique » comme un élément inhérent de l’identité du vin, tandis qu’à terme il serait envisageable que cette certification soit intégrée, là où cela serait scientifiquement et économiquement possible, dans le cahier des charges de l’Aop/Igp (valable donc pour tous vins sous telle ou telle appellation). Il faudra sans doute tenir également compte dans les années à venir des conséquences du changement climatique qui semble tout de même faciliter la reconversion des vignobles, notamment dans les espaces septentrionaux, à la viticulture biologique.

Par ailleurs, on relève une nette tendance dans la pratique des cahiers de charges pour des vins d’y inclure, sous forme d’exigences pour accéder au droit d’utilisation du nom d’Aop/Igp, le respect de standards en matière de protection de l’environnement et de pratiques culturales respectueuses des traditions ou du développement durable dans le vignoble concerné[10]. Le passage généralisé au « bio » à travers l’homologation des conditions de production pour certaines appellations d’origine est une perspective à ne pas sous-estimer. Mais, admettons-le, cela signifierait aussi une « banalisation » de la certification « bio » et donc une nette diminution pour l’intérêt commercial d’afficher ce caractère « biologique » du produit vinicole. Mais ce n’est pas parce qu’on n’affichera plus avec la même ferveur le label « bio » que le vin sera moins biologique… La communication sur la labellisation des produits n’est qu’une conséquence du respect du cahier des charges. Ce constat nous amène à examiner les limites dans la certification et l’usage du label « bio » en matière vitivinicole.

III. Le vin bio dépassé

En dépit du succès des produits biologiques au niveau commercial, on constate une mise en cause de la certification en question. Les doutes exprimés ne valent pas exclusivement pour le vin biologique. Cependant, du fait des spécificités du produit, ils acquièrent une force particulière en matière vitivinicole. Outre la définition à géométrie variable de vins biologiques à l’échelle internationale, on constate que la labellisation « bio » s’inscrit dans une pléthore de certifications de produits dont l’identification devient de plus en plus complexe pour les consommateurs.

A. La relativité de l’appréhension européenne du vin biologique

On ne peut omettre de signaler les difficultés qui découlent de l’absence d’harmonisation par rapport aux vins biologiques au niveau international. Ce qui peut être qualifié de « bio » selon la législation d’un Etat tiers, ne correspond pas nécessairement aux exigences fixées par le droit européen et vice versa. Certes, on peut compter en partie sur les accords internationaux d’équivalence que l’Ue souscrits avec des Etats tiers et qui consiste à reconnaître les systèmes de production biologique nationaux comme équivalents.

Mais les problèmes persistent. Le cas du désaccord entre l’Ue et les Etats-Unis au lendemain de l’adoption du Règlement 203/2012 (sur le vin bio) est significatif : tandis que pour les vins biologiques européens, la législation tolère la présence de sulfites jusqu’à une quantité maximale[11], le sulfitage n’est pas permis selon le droit fédéral américain pour la labellisation d’un vin comme « organic[12] ». Aux Etats-Unis, on opte pour une certification « graduée » avec le qualificatif « 100% organic » au sommet, suivi de labels moins exigeants : « organic », « made with organic grapes », ou simplement mentionner seulement le caractère biologique de certains de ses ingrédients[13]. De la sorte, on relève des obstacles au commerce international que l’accord d’équivalence passé entre l’Ue et les Etats-Unis n’a pas pu effacer : un vin bio européen ne peut être commercialisé aux Etats-Unis que comme un vin issu des raisins biologiques et à condition que le taux de sulfites corresponde aux exigences de la législation américaine. Et même si ces difficultés ne pourraient pas être qualifiées de « barrières techniques au commerce » au regard du droit de l’Omc, du fait des considérations de protection du consommateur, il n’empêche que ces divergences sont des obstacles aux transactions de vin.

D’où le besoin d’une harmonisation en la matière au niveau international. Or, en l’occurrence les résultats demeurent plutôt décevants. L’Oiv, l’instance de normalisation internationale du secteur vitivinicole, n’a qu’une résolution bien trop générale à présenter sur les « principes de vitiviniculture biologique[14] ». Il est fort probable qu’au moment où le consensus sur la question sera assuré, l’intérêt pour la certification des vins comme « bio » soit déjà estompé.

Que l’on nous permette, par ailleurs, d’aller plus loin que l’analyse de textes juridiques pour voir la pratique d’application du régime de vin biologique. La mise en œuvre des règles communes en la matière dépend des administrations nationales et des organismes certifiés en charge du respect de ces conditions uniformes. Il n’y a pas de doute que la demande croissante pour des produits labellisés « bio » – encore plus, par ailleurs pour le vin, dont le caractère « sain » est à faire valoir face à un consommateur de plus en plus dubitatif sur l’innocuité du produit – accentue le risque d’abus, voire de fraude dans l’utilisation du qualitatif « bio ». Le phénomène est par ailleurs loin d’être propre au cas européen[15]. Faute d’un mécanisme européen de contrôle de la certification, la crédibilité du système de labellisation dans un marché unique dépend de la performance des maillons les plus « faibles » de la chaîne. Contrairement, par exemple, au cas du respect du cahier des charges de telle ou telle Aop/Igp, toute défaillance du système de certification des vins « biologiques », même limitée sur une partie du territoire européen, ébranle la confiance en la labellisation « bio » dans son ensemble. Mais, assurer cette unité est en réalité un véritable défi, au vu des différences culturelles et des capacités de surveillance différenciées entre les administrations nationales au sein de l’Europe unie. Le problème récurrent de la performance du principe de co-administration, sur lequel repose largement la mise en œuvre du droit de l’Union[16], trouve sur le cas du « vin biologique » une expression parlante.

B. Le vin biologique entre « pollution » des signes de qualité et opacité

On assiste déjà à une « pollution » de labellisation et de certification : que ce soit sur la base de dispositions réglementaires comme celles pour le vin biologique ou à partir de certifications d’origine privée (marques de certification), les produits agroalimentaires, le vin y compris, font l’objet de plusieurs strates de certification et portent une multitude de signes de qualité : Aop/Igp, mentions traditionnelles, marques de certification… Cette pléthore d’informations affaiblit sans doute la clarté des messages à adresser au consommateur[17].

Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que la mention « vin biologique » n’est que facultative. Elle ne figure pas parmi les informations qui doivent nécessairement apparaître sur la bouteille (mentions obligatoires). Cela signifie que sa fonction, d’un point de vue juridique, se contente de certifier, une fois apposée, la véracité de la déclaration que véhicule son utilisation.

En revanche, son absence n’exclut pas que les conditions fixées par la loi ne soient malgré tout remplies. Pour les amateurs de vins c’est connu : pour les vins produits dans des régions viticoles du bassin méditerranéen, la viticulture biologique n’engendre pas les mêmes difficultés que celles rencontrées dans les vignobles septentrionaux. De la sorte, le vin biologique éprouve une certaine banalisation, d’un point de vue commercial. On se demande même si « le bio commercial (n’appauvrirait) pas la qualité bio[18]». Face à ce découplage entre la certification d’un vin comme biologique et son caractère « sain » ou « authentique », nombreux sont les producteurs aujourd’hui qui n’affichent pas le caractère « bio » du vin, mais préfèrent mettre l’accent sur des qualifications plus « radicales » (« biodynamie », « vins naturels [19]») ou plus solides dans le temps (l’appellation ou tout simplement la marque).

En réalité, le régime juridique du vin biologique révèle un deuxième paradoxe, tendant à annuler le caractère distinctif de la labellisation en question. Du fait de son instrumentalisation commerciale, il existe un décalage entre le message que véhicule la qualification du produit comme « bio » et la réalité scientifique et sanitaire. Pour le consommateur moyen, nul doute qu’un produit biologique présente une « innocuité » notable par rapport aux produits conventionnels similaires. Les études montrent que « (c)’est bien le « sans », le « 0 % », qui semble vraiment faire la différence pour les consommateurs[20] ». Cela vaut pour tous les produits mais acquiert une importance particulière pour le vin du fait du danger inévitable lié à la présence d’alcool. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue la complexité des procédés de viticulture et de vinification, par rapport par exemple à la production de fruits, de céréales ou même de viandes. Une complexité qui s’accentue par la diversité de terroirs et le besoin d’adapter la production vinicole à leurs spécificités. De la sorte, il est inévitable que le cahier de charges des vins biologiques ne réussisse à couvrir que certains aspects du processus de production sans pour autant assurer le niveau de « pureté » qu’un consommateur moyen aurait potentiellement attendu d’un vin qualifié de « biologique ».

Voici donc le véritable enjeu pour le droit en matière de vin biologique : lever l’opacité sur l’utilisation du terme « bio » et renforcer la transparence en la matière. Aujourd’hui, la qualification du produit vinicole comme « bio » est un agrégat qui fait écran entre le consommateur et les procédés de fabrication. Il est important de permettre aux consommateurs l’accès à des informations plus précises sur le caractère « biologique » du produit (par exemple sur le taux exact de sulfites). Ceci est conforme à l’idée, dominante aujourd’hui, d’assurer une meilleure information pour les consommateurs tandis qu’il s’inscrit à l’effort d’assainir la concurrence entre les opérateurs économiques. Au vu du surcoût de la viticulture et la vinification biologiques, il est légitime que le « degré » d’adhésion au « bio » soit communiqué. La société civile pose la question de manière qui sera de plus en plus pressante à l’avenir[21], tandis que la discussion engagée au sein de la filière vins autour de l’étiquetage numérique pour des informations d’intérêt sanitaire ouvre des perspectives intéressantes pour la gestion logistique des éléments « biologiques » à transmettre au consommateur. Pour audacieuse qu’elle puisse paraître à première vue, la proposition est pour autant nécessaire afin que la qualification « biologique » défende sa crédibilité par rapport à un produit dénoncé, souvent de manière exagérée, comme une menace de santé publique.

Ainsi, le « chantier » juridique autour du vin bio n’est pas clos en Europe. Il vient peut-être même tout juste de s’ouvrir…


[1] Cjue, arrêt du 6 septembre 2012, Deutsches Weintor, aff. C-544/10, ECLI:Eu:C:2012:526.

[2] Deutsches Weintor, op. cit.

[3] H. Boualili, « Le statut de l’agriculture biologique » : RD rur. 2008, étude no 4.

[4] Cjce, 20.02.1979, Rewe Zentral (« Cassis de Dijon »), aff. 120/78, Rec. p. 43.

[5] Règlement d’exécution (Ue) n ° 203/2012 de la Commission du 8 mars 2012 modifiant le Règlement (Ce) n°889/2008 portant modalités d’application du règlement (Ce) n ° 834/2007 du Conseil en ce qui concerne le vin biologique, JO L. 71 du 9.3.2012, p. 42 ; pour une analyse pertinente et approfondie du règlement, on peut se référer à F. Rimbaud, De la vigne à la bouteille : le droit européen du vin biologique, Mémoire de recherche, Master 2 Droit du vin et des spiritueux, Université de Reims, 2012.

[6] Joue n° L150 du 14 juin 2018, p. 1 ; sur ce nouveau Règlement et son importance en matière vitivinicole, v. L. Touzeau-Mouflard, « Un nouveau Règlement pour l’agriculture biologique », in Jus Vini – Revue de droit du vin et des spiritueux, 2018/2 (à paraître).

[7] Annexe II, Partie VI.

[8] Règlement (Ue) n° 1308/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (Cee) n° 922/72, (Cee) n° 234/79, (Ce) n° 1037/2001 et (Ce) n° 1234/2007 du Conseil (JO L. 347 du 20.12.2013, p. 671).

[9] Cass. 3e civ., 21 janv. 2014, n° 12-25.311 : RD rur. 2014, comm. 38, note S. Crevel.

[10] Th. Georgopoulos, « La protection renforcée des terroirs viticoles en droit positif », in J.-M. Bahans et N. Hakim (sous la dir.), Le droit du vin à l’épreuve des enjeux environnementaux – Histoire et actualité du droit viticole, Feret, Bordeaux, 2015, p. 107 et s., sp. p. 112.

[11] 100 milligrammes par litre pour les vins rouges et 150 milligrammes par litre pour les vins blancs, selon le point 7 de l’Annexe du Règlement (Ue) 203/2012.

[12] « How Are Organic Wine Labels Regulated in the U.S.? », On Reserve – A Wine Law Blog, 6.8.2014 : https://www.winelawonreserve.com/2014/08/06/how-are-organic-wine-labels-regulated-us/#commentform.

[13] Sur le régime américain d’ « organic wines » : G.G. Jones et E. Grandjean, « Creating the Market for Organic Wine: Sulfites, Certification, and Green Values », Harvard Business School General Management Unit Working Paper, 18-048, 6.12.2017.

[14] Résolution Oiv-Eco 460-2012, du 22.06.2012, consultable sur le site de l’Oiv : www.oiv.int.

[15] Tel a été le cas de la National Association of Sustainable Agriculture (Nasaa) en Australie qui s’est opposée, avec succès, à l’utilisation frauduleuse par un domaine viticole de la mention « organic » sur ses produits : R.J. Whitehead, « Organic chief: We will discredit firms who claim false certification », 31 juillet 2014 : https://www.foodnavigator-asia.com/Article/2014/07/31/Organic-chief-We-will-discredit-firms-who-claim-false-certification?utm_source=copyright&utm_medium=OnSite&utm_campaign=copyright.

[16] Sur l’application du principe européen de co-administration en matière de régulation du secteur vitivinicole, voir O. Dubos, « Les pouvoirs de la Commission dans l’attribution des appellations d’origine : la co-administration au service de la qualité », in Th. Georgopoulos, Les appellations vitivinicoles à l’épreuve de l’intégration européenne,Mare & Martin, Paris, 2016, p. 91 et s.

[17] G. Firmin, « La labellisation du droit vitivinicole : trop de labels tuent le label – À propos de la déchéance d’une aristocratie », in T. Leleu (sous la dir.), Alcool & Droit, Mare & Martin (coll. Vin & Droit), Paris, 2018, p. 13 et s.

[18] G. Teil, S. Barrey, P. Floux, A. Hennion, Le vin et l’environnement – Faire compter la différence, Presses de Mines, Paris, 2011, p. 151.

[19] L. Dawid, « Ethique du vin et ²vide juridique² : le défi des vains naturels », Droit et Patrimoine, juin 2018, n° 281, p. 34 et s.

[20] Y. Raineau, S. Pérès, A. Pons, S. Tempère, E. Giraud-Héraud, « Vins bio, vins sans sulfites ajoutés, vins nature : quelles demandes réelles des consommateurs ? », Droit et Patrimoine, juin 2018, n° 281, p. 37, 41.

[21] Tel est par exemple déjà l’objectif du réseau T.o.w.a. (Transparency for Organic Wine Association) : https://www.transparencyorganicwine.org/fr/home.html .

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