Le bio, entre norme & label par le pr. V. Ndior

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Le bio, entre norme & label par le pr. V. Ndior

Voici la 63e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 23e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Cet ouvrage forme le vingt-troisième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».

Volume XXIII :
Droit(s) du Bio 

direction : M. Touzeil-Divina
H. Hoepffner, C. Hermon
S.Douteaud, D. Löhrer, J. Schmitz
(collectif)

– Nombre de pages : 176
– Sortie : octobre 2018
– Prix : 25 €

  • ISBN  / EAN : 979-10-92684-32-2
    / 9791092684322
  • ISSN : 2259-8812

Mots-Clefs : Unité(s) du Droit – Bio – Agriculture biologique – Droit de l’environnement – Vin – Huile d’olive – droit constitutionnel – marchés publics – droit rural

Présentation :

« Les présents actes proviennent d’un colloque qui s’est tenu à Toulouse le 23 mars 2018 dans le cadre du « Marathon du Droit » organisé par le Collectif L’Unité du Droit et succédant à cinq premières « 24 heures du Droit ». Le « Bio » ou « la » « Bio » (pour l’agriculture biologique) se révèle en plein essor sur l’ensemble du territoire français et ce, en termes non seulement de production mais également de consommation. En bref, le « Bio » dépasse aujourd’hui ce qui apparaissait autrefois comme un marché « de niche » ou de « Bourgeois Bohème ». Les revendications en faveur de ce mode de production ne cessent de se multiplier et une telle demande sociale justifie que l’on s’interroge sur les rapports qu’entretiennent le(s) droit(s) et la culture Bio ainsi qu’en témoigne le récent règlement Ue du 30 mai 2018 (relatif à la production et à l’étiquetage en matière de « Bio »).

Dans cette perspective, les présents actes, qui réunissent les contributions d’universitaires, de praticiens du monde et de l’économie du Bio mais aussi d’étudiants, invitent, en tout premier lieu, à réfléchir à l’emploi du préfixe ou du substantif « Bio » en droit (biopouvoir, biocarburant, agriculture biologique, etc.) afin d’en interroger les multiples sens. Indispensable, ce travail préalable de définition(s) (Partie I) offre la possibilité d’analyser, dans un second temps, l’environnement juridique de l’agriculture « Bio » (Partie II) puis les manifestations juridiques concrètes du « Bio » à travers la multitude des branches académiques (Partie III). Une réflexion est ainsi engagée sur un ou des droit(s) « au » Bio puis « du » Bio et ce, en s’intéressant plus particulièrement à l’agriculture biologique en illustrant cette recherche à partir de deux cas concrets : le vin et l’huile d’olive (Partie IV). Ces contributions éditées sont, en définitive, l’occasion de dresser un premier état des lieux de la place que réservent le(s) droit(s) et, par voie de conséquence, la puissance publique comme les collectivités publiques à la culture et à l’agriculture biologiques. Enfin, l’ouvrage se clôture, comme lors du colloque, par une exceptionnelle réflexion / ouverture engagée par le professeur Eric Naim-Gesbert qui embarque le lecteur dans un merveilleux voyage aux confins du droit de l’environnement.

Le bio,
entre norme & label

Valère Ndior
Professeur de droit public,
Université de Bretagne occidentale, Lab-Lex (Ea 7480)

La présente contribution restitue les brèves réflexions formulées durant le colloque « Droit(s) du bio », en réponse à la communication présentée par les étudiants issus du Master 2 toulousain Droit international et comparé[1]. L’analyse qu’ils ont menée a permis à l’auteur de ces lignes de comprendre que, proche du terme « naturel » – qui suppose l’absence d’intervention humaine sur un objet d’origine végétale ou animale –, le « bio » renvoie à l’absence de transformation d’un objet. Plus précisément, faire du « bio » reviendrait à prévenir l’ingérence de l’artificiel dans le naturel, donc à respecter le processus de développement du produit visé. Pour rebondir sur les éléments de définition dégagés par les précédents contributeurs en droit français et en droit comparé, il convient de rappeler que plusieurs instruments issus du droit international et du droit de l’Union européenne se sont saisis de la question « bio », essentiellement dans le but de protéger les attentes des consommateurs.

Les normes et standards internationaux. Bien qu’il n’existe pas de définition juridique du « bio » à l’échelle universelle, la Convention des Nations Unies du 5 juin 1992 appréhende la notion de « diversité biologique » comme recouvrant les « (…) organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie[2] ». Ce texte ne vise pas le « bio » au sens courant du terme mais a le mérite de fournir une délimitation utile du champ sémantique biologique, renvoyant à la sphère du naturel – en d’autres termes, aux ressources biotiques et abiotiques[3]. D’autres instru-ments internationaux, certes non conventionnels, offrent une perspective qui correspond davantage aux enjeux de consommation courante. Ainsi, le Comité sur les labels alimentaires (Committee on Food Labelling) de la Commission Fao/Oms du Codex Alimentarius a adopté en 1999 des « Directives pour la production, la transformation, l’étiquetage et la commercialisation des aliments produits de manière biologique[4] ». Selon le point 6 du document, le terme « biologique » est un « terme d’étiquetage indiquant que les produits ont été obtenus dans le respect de normes de production biologique et certifiées comme telles par un organisme ou autorité d’inspection dûment constitué. L’agriculture biologique repose sur les principes suivants : utiliser le moins possible d’apports de l’extérieur, et éviter l’emploi d’engrais et pesticides de synthèse[5] ». L’accent est mis sur l’intégrité du processus de production, attestée par une certification et un étiquetage adéquats. Dans ce prolongement, la Fao (l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) a publié en 2001 un rapport intitulé « Les marchés mondiaux des fruits et légumes biologiques », dans lequel il est indiqué que les « produits au label « biologique » sont ceux certifiés comme ayant été produits avec des méthodes de production biologique clairement définies. En d’autres termes, bio-logique est un label qui se réfère au processus de production plus qu’au produit lui-même[6] ». Les normes et directives développées à l’échelle internationale pour appréhender le « bio » sont rédigées en des termes semblables, d’autant que nombre d’entre elles dérivent des directives pour la production biologique produites par l’International Federation of Organic Agriculture Movements (Ifoam), une fédération composée d’organisations non gouvernementales et d’autres acteurs publics et privés se fixant pour objectif de dégager un cadre commun pour la définition de produits « bio[7] ».

La lecture de textes adoptés tant par l’Ifoam que par des organisations internationales[8], révèle que l’agriculture biologique est considérée comme un procédé d’exploitation ou de production excluant l’introduction de produits synthétiques tels que les engrais ou pesticides. Ainsi, pour être considéré comme biologique, un procédé de production ou d’exploitation doit favoriser le respect de « la biodiversité, [d]es cycles biologiques et [de] l’activité biologique[9] ». Le droit de l’Union européenne confirme cette tendance[10], comme le montre le règlement du 24 juin 1991 concernant le mode de production biologique de produits agricoles et sa présentation sur les produits agricoles et les denrées alimentaires, qui a été étendu en 1999 aux produits d’origine animale[11]. Preuve de l’activisme durable des Etats européens en la matière, un nouveau règlement européen relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques a été adopté récemment, le 30 mai 2018[12].

L’encadrement de l’activité « bio » n’est donc pas uniquement l’apanage des législateurs nationaux, même s’il convient de souligner que les instruments développés à l’échelle internationale sont dotés d’une portée juridique variable et relèvent parfois davantage du standard ou du code de conduite que de la norme contraignante. L’analyse de ces instruments montre par ailleurs que le « bio » est avant tout une question d’étiquette, autrement dit de transparence dans l’information fournie au consommateur final.

L’instrumentalisation du label « bio ». Les instruments susmentionnés n’ignorent pas le risque que la transparence promise au consommateur soit compromise. Gage réel ou allégué de qualité, le label « bio » est susceptible d’être détourné par des marques désireuses de promouvoir leurs produits en exagérant leurs vertus ou en culpabilisant les consommateurs au régime alimentaire peu diététique[13]. Dans cette hypothèse, le « bio » n’est plus un moyen juridique de certifier la conformité du processus de production aux normes et standards pertinents, mais un simple label marketing destiné à suggérer que le produit est sain. Cette problématique a été bien illustrée par le cas de produits laitiers qualifiés à tort de « bio ». Certains lecteurs se souviendront certainement de la saga publicitaire de la marque Danone (des années 1980 au début des années 2000), laquelle mettait en avant les vertus de son produit phare, le yaourt intitulé « Bio », d’ailleurs paré d’un emballage vert, synonyme de bien-être. Selon les communications de la marque, ce produit contenait du bifidus actif, ferment naturel contenu dans le corps, permettant au consommateur d’équilibrer son alimentation et d’assainir son organisme[14]. Or, non seulement les vertus du bifidus actif pour la flore intestinale ont été contestées par plusieurs études, mais en plus, le simple fait de suggérer que le produit soit biologique avait pour effet d’induire le consommateur en erreur sur le processus de production employé[15].

Le droit européen contribue à protéger les consommateurs contre ce type de pratiques. En effet, le règlement n° 2092/91, tel que modifié par le règlement n° 1804/1999, a réservé l’utilisation du terme « bio » sur les étiquetages, aux produits issus de l’agriculture biologique, imposant de facto aux marques de s’abstenir de toute communication laissant entendre, à tort, qu’un produit serait « bio ». Toutefois, une dérogation, prenant la forme d’une période transitoire destinée à « permettre aux détenteurs de marques d’adapter leur production aux exigences de l’agriculture biologique », a été prévue par le règlement européen n° 1804/1999[16]. Sur son fondement, les marques enregistrées avant le 22 juillet 1991 (sauf pour la Scandinavie : 1995) pouvaient continuer à utiliser les mentions « biologique » et assimilées jusqu’au 1er juillet 2006, dans l’étiquetage et la publicité des produits ne satisfaisant pas au règlement, à condition d’intégrer une mention indiquant que le produit n’était pas issu de l’agriculture biologique[17]. Pour se conformer à la réglementation européenne, la marque Danone a donc été contrainte de renommer son yaourt « Activia » en 2005, avant la date fatidique. Elle a respecté cette obligation tant pour se conformer aux exigences du droit européen que pour répondre aux attentes de la société civile qui dénonçait ce type de pratiques[18]. L’adoption d’instruments encadrant le recours à des étiquetages non con-formes apparaît donc comme le moyen le plus efficace pour prévenir le détournement du label « bio » aux dépens des attentes des consommateurs.

Néanmoins, il n’est pas certain que le droit puisse également protéger leurs finances. Le règlement européen n° 2092/91 susmentionné rappelle que « les consommateurs demandent de plus en plus des produits agricoles et des denrées alimentaires obtenus d’une manière biologique ; (…) ce phénomène crée donc un nouveau marché pour les produits agricoles ».

La multiplication des enseignes commerciales spécialisées (Naturalia, Bio c’Bon, Biocoop, etc.) et des rayons dédiés dans les lieux de grande distribution prouve l’attrait des consommateurs pour les produits obtenus grâce à des procédés naturels. En prime, l’encadrement juridique du recours au label « bio » par les marques devait contribuer à restaurer la confiance des consommateurs dans la filière et à démocratiser cette dernière[19]. Pourtant, le « bio » ne semble pas être totalement accessible au grand public. Dans une étude publiée le 29 août 2017, l’association Ufc – Que choisir ? considère qu’un panier bio est en moyenne 79 % plus onéreux que son équivalent en produits dits « conventionnels ». Cette différence est attribuée aux marges brutes de la grande distribution, lesquelles seraient « en moyenne deux fois plus élevées (+96 %) sur les produits bio que sur les produits conventionnels[20] ». A l’heure où les consommateurs sont présentés comme étant de plus en plus demandeurs d’une offre à la fois accessible et diversifiée[21], et malgré l’encadrement juridique des pratiques d’étiquetage et de communication, le coût élevé des produits reste l’un des principaux obstacles à la généralisation de l’alimentation biologique.


[1] Voyez supra la contribution des étudiants du Madic aux pages 19 et s.

[2] Article 2 de la Convention : « Emploi des termes ».

[3] Formulation reprise par la loi française n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

[4] Document GL 32-1999. La Commission du Codex Alimentarius est présentée comme « un organisme intergouvernemental de plus de 170 membres, relevant du Programme mixte FAO/OMS sur les normes alimentaires tel qu’établi par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et l’Organisation mondiale de la Santé dans le but de protéger la santé des consommateurs et d’assurer des pratiques loyales dans le commerce alimentaire (…) », tandis que le Codex Alimentarius, élaboré par la Commission, est un « recueil de normes alimentaires, lignes directrices, codes d’usages et autres recommandations internationalement adoptés ».

[5] Il est toutefois affirmé qu’une harmonisation internationale des dispositions relatives aux produits biologiques ne pourra être réalisée sans difficulté, dans la mesure où « la perception que les consommateurs ont des méthodes de production biologique diffère d’une région à une autre dans le monde ».

[6] Chapitre 1, Point 1, « Définition de l’agriculture biologique », doc. Fao/Cci/Cta 2001. Nous soulignons.

[7] L’Ifoam a été fondée en 1972 et réunit plus d’un millier d’organisations membres dans 120 pays. Son objectif est de promouvoir le recours à des procédés de production biologique.

[8] Voir infra les exemples issus du droit de l’Union européenne.

[9] Codex Alimentarius, volume 1A, « Avant-propos », point 7.

[10] Article 2 : « Aux fins du présent règlement, un produit est considéré comme portant des indications se référant au mode de production biologique lorsque, dans l’étiquetage, la publicité ou les documents commerciaux, le produit, ses ingrédients ou les matières premières pour aliments des animaux sont caractérisés par les indications en usage dans chaque Etat membre, suggérant à l’acheteur que le produit, ses ingrédients ou les matières premières pour aliments des animaux ont été obtenus selon les règles de production énoncées à l’article 6 (…) » (nous soulignons). Le règlement envisage le recours à des diminutifs tels que « bio », « éco » ou « organique ».

[11] Le règlement (Cee) n° 2092/91 du Conseil, du 24 juin 1991, concernant le mode de production biologique de produits agricoles et sa présentation sur les produits agricoles et les denrées alimentaires interdit de faire référence au mode de production biologique dans l’étiquetage ou la publicité de produits agricoles et de denrées alimentaires qui n’ont pas été obtenus en conformité avec les règles de production prévues par ledit règlement. Alors que dans sa version initiale, il s’appliquait uniquement aux produits végétaux ou d’origine végétale, son champ d’application a été étendu aux productions d’origine animale par le règlement n° 1804/1999.

[12] Règlement (Ue) n° 2018/848 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques, et abrogeant le Règlement (Ce) n° 834/2007 du Conseil, adopté le 30 mai 2018. Il entrera en application en janvier 2021.

[13] de Peyrelongue Bénédicte, Le rôle de la culpabilité ressentie dans le consentement à payer : application aux achats pour l’enfant et à l’achat de produits alimentaires bio, thèse de doctorat en sciences de gestion, Université de Bourgogne, 2011.

[14] La marque s’était d’ailleurs adjoint les services de personnalités (chanteurs, sportifs) au physique aguicheur pour vanter les mérites de son produit phare.

[15] « Le bifidus est-il vraiment actif ? », Le Temps, 1er novembre 2011, renvoyant à Gordon Jeffrey et al., « The Impact of a Consortium of Fermented Milk Strains on the Gut Microbiome of Gnotobiotic Mice and Monozygotic Twins », Science Translational Medicine, 26 oct 2011, vol. 3, issue 106. Voir aussi « Danone, le boniment des alicaments », Libération, 16 avril 2010.

[16] Considérant n° 27.

[17] Article 1er, point 7 du règlement 1804/1999, modifiant l’article 5 du règlement 2092/91. Voir aussi l’ordonnance Cjce (cinquième ch.), 10 mai 2001, Fédération nationale d’agriculture biologique des régions de France (Fnab) et autres c. Conseil de l’Union européenne, aff. C-345/00 P, qui interprète ces dispositions.

[18] A l’instar de la marque Yoplait, Danone était la cible d’une menace de boycott initiée par les professionnels français de l’agriculture biologique, dans l’éventualité où elle ne s’engagerait pas à modifier ses étiquetages d’ici la fin de la période transitoire. Voir « La filière biologique menace Yoplait et Danone de boycottage », terre-net.fr, 25 avril 2005.

[19] Règlement n° 2018/848, précité, considérant n° 1.

[20] Ufc-Que Choisir, « Fruits et légumes bio en grandes surfaces – Une consommation freinée par une offre indigente et des marges indigestes », Service des études, 29 août 2017, 35 p., spéc. p. 3.

[21] Règlement n° 2018/848, précité, considérant n° 1.

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