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ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Z comme Z’Annie par le pr. Garcia

Voici la 59e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 6e livre de nos Editions dans la collection « Académique » :

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Cet ouvrage est le sixième
issu de la collection « Académique ».

Volume VI :
Les « mots » d’Annie Héritier.
Droit(s) au coeur

& à la Culture

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina
Delphine Espagno-Abadie & Thierry Garcia)

– Nombre de pages : 236
– Sortie : juillet 2017
– Prix : 49 €

  • ISBN / EAN : 979-10-92684-21-6 /  9791092684216
  • ISSN : 2262-8630

Présentation :

Mots-Clefs : Mélanges – Hommage(s) – Annie Héritier – Culture(s) – Université – Droit public – Histoire du Droit – Patrimoine – Nutella – Souris – Fleurs – Bijoux – Amitiés – Etudiant(e)s – Varia

« Cet opus est une déclaration d’amitié(s) pour célébrer celle qui s’est endormie en décembre 2015 et qui a marqué tous les contributeurs et toutes les contributrices, tous les soutiens aux présents Mélanges.

Toutefois, ces Mélanges accueillis par les Editions L’EPITOGE sont à l’image de leur dédicataire : étonnants et même détonants, généreux, amoureux, créatifs, parfois espiègles mais toujours respectueux, ils célèbrent Annie HERITIER en mots, en vers, en prose et même en images. Ils célèbrent le Droit et son Histoire mais aussi l’amitié et la personnalité d’Annie.

Ce sont alors « les mots d’Annie » eux-mêmes entre Droit(s), cœur(s) & culture(s) qui ont – à la manière et sur la présentation alphabétique d’un dictionnaire – guidé l’ensemble de celles et de ceux qui ont voulu ici partager leurs souvenirs, leurs amitiés et leurs reconnaissances. Se mêlent alors les uns aux autres avec la reproduction d’une contribution inédite de l’auteure (à propos de « l’invention du droit du patrimoine culturel ») et sans discontinuité(s) les expressions et mots d’Annie suivants : ALF, amitié & authenticité, bijoux, chat(s) (de la Nation), coca-cola, comparaison,  couleurs de la ville, culture & Corse, doctorantes, droit international, échange, environnement, être sensible, fidélité, grenouille, histoire, imagination, infirmière corse, instants, littérature, nutella, patrimoine(s), perles, poème, reflet, sincérité, souris, troublantes grenouilles, utopie et … Z comme Z’Annie !

Z comme Z’Annie

Thierry Garcia
Professeur de droit public,
Université Grenoble Alpes

Z comme Z’Annie

Z’Annie, puisque le Z du Zèbre, du Zébu, du Zéphyr, du Zénith ou encore de Zébulon te plaisait z’énormément. Tu aimais répéter la formule de Philippe Delerm « Le bonheur, c’est d’avoir quelqu’un à perdre ». L’ironie et l’injustice du destin me font mieux comprendre et ressentir son sens à la fois profond et subtil, maintenant que tu as quitté le bas-monde terrestre et t’épanouis dans ton monde céleste. Tu dois admirer de là-haut la nouvelle exposition au Musée Bonnard au Cannet « Bonnard / Vuillard », ouverte depuis le 13 mai 2017, toi qui aimais tant arpenter ce musée, espace de vie comme tu l’écrivais et le vivais si bien.

Tu n’aurais pas voulu que ces Mélanges tournent à l’hagiographie : te voilà comblée par Alf, les bijoux, le chat, Fifi le grand fauve, la grenouille, l’infirmière corse, le Nutella, les perles, et des poèmes que tes vrai(e)s ami(e)s ont magnifiquement restitués. Tu rougiras, et même pleureras, en lisant ces textes si bien sentis et si sensibles sur l’amitié et l’authenticité, la comparaison, les couleurs de la ville, la culture et la Corse, les doctorantes, le droit international, les échanges, l’environnement, la fidélité, l’histoire, l’imagination, les instants, la littérature, le patrimoine, le reflet, la tolérance et la sincérité qui te peignent et dépeignent parfaitement.

Je n’ajouterai pas à ce tableau déjà si riche et si réaliste, d’autres qualités et valeurs, car tu ne le souhaites pas, ta modestie n’étant pas feinte. Je n’écrirai donc pas que tu es une artiste, vraiment désintéressée, d’une grande humilité et gentillesse, pleine d’humour et d’amour, d’une belle générosité, d’une vive curiosité intellectuelle, doublée d’une remarquable originalité, tout en étant idéaliste, rêveuse et intègre, aimant la liberté, l’égalité et la fraternité. Je me contenterai donc d’évoquer tes travaux, qui reflètent si bien ta personnalité, puisqu’ils ont pour matrice commune la culture, que tu aimais définir comme une notion indéfinissable. Tes écrits sur l’impôt[1] et le contrat au regard du juge pénal[2] ne constituent pas des exceptions qui confirment ta règle culturelle mais une preuve, s’il en est besoin, de ton éclectisme. Tu as commis quarante écrits, te conférant au minimum la petite immortalité selon les termes de Milan Kundera, dont trente cinq concernent la culture et son droit.

Cette parenthèse étant fermée, malgré ton ouverture d’esprit, les travaux d’Annie doivent être nécessairement vus depuis les cimaises, mot que tu aimes tant, et ont pour le cadre le patrimoine culturel, dont tu es sans doute l’une des meilleures spécialistes, sans aucune flagornerie bien sûr, ta thèse notamment constituant la référence en la matière[3]. Lors de la soutenance de ton habilitation à diriger des recherches, évidemment dans la ville de Lyon que tu chéris tant, tu avais décomposé et recomposé ce patrimoine culturel en trois volets : sa notion, son exposition et son internationalisation. Ne voulant pas trahir ta pensée, et encore moins tes mots, je ne me permettrai pas de les commenter de manière détaillée, en étant d’ailleurs sans doute incapable à la lumière de mes compétences limitées en la matière, mais de montrer plutôt en quoi le style c’est la femme.

En te lisant, la première impression qui ressort est celle de ta hauteur de vue, de ton recul, de ta vision toujours critique et originale, resituant la part du droit dans ses cadres politique, social, économique et évidemment culturel. Tu fais donc partie du club des juristes navigatrices et non celui des horlogères, même si ta montre à double cadran prouve que tu affectionnes autant le temps que l’espace. Une lecture plus approfondie de tes travaux fait toujours transparaître, et même apparaître, ta double et grande culture d’historienne du droit et de juriste publiciste. La dualité de ta singulière personnalité, mélange de vieille France et de high-tech, est ainsi parfaitement reflétée. Une troisième appréciation est forcément esthétique, parce que tu es une artiste qui fait du droit, sans négliger pour autant la juriste éveillée au beau. Enfin, et surtout peut-être, tu écris pour autrui et non par ego, tes écrits étant toujours des ressentis au service du public, une sorte de don à l’instar d’un mécène, dont tu as si bien traité[4]. Ton sens du service public éclate au grand jour quand tu t’adonnes corps et âme au patrimoine culturel, dans ses dimensions matérielle et immatérielle[5], prônant l’accès pour le plus grand nombre aux biens culturels[6]. A travers ces lieux de vie, ces chemins et cheminements, ces voies menant à l’aporie ou à l’utopie, comme tu aimes l’écrire, figurent les mots et les valeurs d’Annie. Iconoclaste et peu académique, le plan sera à ton image, ne comprenant pas deux parties ni même trois parties. Il en aura donc quatre ! Annie et le local (I), Annie et la Nation (II), Annie et l’Europe (III) et Annie et le Monde (IV) sont en effet au programme…

I. Annie et le local

Dans ton dossier présenté pour l’habilitation à diriger des recherches, tu traitais des identités des collectivités infra-étatiques, donnant l’exemple de la découverte à Lyon, le 18 février 1806, par des ouvriers de la mosaïque des Jeux du cirque, la municipalité demandant la réunion des monuments épars « qui attestent l’antiquité de notre origine ». Lyonnaise jusqu’au bout des ongles, tu es fière de l’être, de ta naissance à l’Hôtel-Dieu jusqu’à ton départ pour un monde meilleur. Pourtant, à part cette brève incursion universitaire dans ta ville de cœur et de raison, aucun de tes travaux n’évoque de près ou de loin Lugdunum. Le paradoxe et Annie ont toujours fait bon ménage…Trois collectivités locales, fort dissemblables sous tous les aspects, sont en revanche bien présentes dans ton parcours de vie, mis en scène dans tes écrits : Paris, la Corse et le Cannet. Paris, d’abord, que tu aimes parcourir, pour t’évader et rencontrer tes ami(e)s, durant les quatre saisons de l’année, selon un rythme qui t’appartient. Le musée d’Orsay est l’incontestable vedette parisienne, comme en attestent en particulier tes deux articles sur l’autorisation ou l’interdiction de photographier au musée[7], ton amour immodéré pour cet art justifiant ton pro domo passionné et engagé. Pour autant, le Louvre, ton musée préféré, n’est pas oublié dans tes travaux, le qualifiant de « musée unique… musée idéal dédié à la Nation »[8]. Le musée est ta muse, le défendant mordicus contre les dangers de sa marchandisation[9] et les affres du pouvoir[10]. Comme Paris, bien qu’à son opposée, la Corse t’a marquée sur les plans professionnel et personnel, ton article sur le patrimoine culturel corse d’Aléria mettant bien en valeur « la synthèse entre la modernisation nécessaire de la politique culturelle et les spécificités culturelles du territoire »[11]. Quant au Cannet, le musée Bonnard, qui est une illustration parfaite de ces musées de province que tu affectionnes tant[12], il n’a plus aucun secret pour toi – tes amies du club des cinq ne me démentiront pas –, ayant vu toutes les expositions, sans hélas avoir pu en photographier les tableaux. Mais cette frustration a été vite évacuée par la voie de l’écrit, tout en la justifiant « par le respect des prérogatives patrimoniales de l’artiste »[13], ce droit s’appliquant sur l’ensemble du territoire national, qui est abondamment pris en compte dans tes recherches.

II. Annie et la Nation

Française, mais pas nationaliste pour un sou, et traitant largement de la Nation : telle est Annie. D’abord, dans ta thèse de référence sur la « Genèse du patrimoine artistique – Elaboration d’une notion juridique (1750-1816) »[14], publiée ensuite sous le titre de « Genèse de la notion juridique de patrimoine culturel »[15], tu consacres tout un titre à « L’affirmation du droit de la Nation sur l’art ». Tu y démontres, de manière irréfragable, que « le patrimoine culturel dans son acception ̎ légale ̎ apparaît alors au XIXe siècle avec la mise en place des Etats Nations, au temps des passions identitaires, avant de connaître sa concrétisation administrative sous la Monarchie de Juillet »[16]. Tu démontres aussi, sans être viscéralement attachée à l’identité nationale, qu’elle a favorisé l’invention du « patrimoine national », selon l’expression de Puthod de Maisonrouge apparue en 1790 à l’Assemblée Nationale. Ce thème du patrimoine national est étudié dans plusieurs de tes articles, le confrontant parfois tant à la souveraineté[17], qu’à la propriété privée[18], tout en l’associant de manière récurrente aux Musées[19]. Tu t’interroges même sur la possibilité de reconnaître un droit fondamental de l’Etat à son patrimoine national, ce droit pouvant être mis en œuvre pour tous les Etats membres de l’Union européenne[20]. L’Annie et la Nation cohabitent alors avec Annie et l’Europe.

III. Annie et l’Europe

Ton goût des voyages et ta soif de découvertes t’ont conduite à Barcelone, Lisbonne, Florence, Genève, Berlin, Cracovie, Prague, Copenhague et Stockholm, fleurons des villes européennes. Tout naturellement, le patrimoine de l’Europe n’ a pas échappé à ta sagacité, racontant qu’« il est juste d’écrire que c’est en Europe, dès ses premiers âges, que l’idée puis la réalité du patrimoine sont imaginées et créées ». Pensant en femme d’action et agissant en femme de pensée, tes deux belles fresques sur « Le respect du patrimoine culturel des Etats membres dans le droit de l’Union européenne »[21] et « Le marché de l’art et le patrimoine culturel – Une histoire juridique européenne »[22] prouvent que l’avenir du patrimoine culturel est européen et que l’Europe sera culturelle ou ne sera pas. Le monde sans culture serait aussi immonde, pour reprendre tes mots.

IV. Annie et le Monde

Les frontières de l’Europe ne te satisfaisant pas, tu parcours le monde, le temps d’un colloque en Chine, en Egypte ou en Tunisie. Ta flamme constante pour la culture et ta passion naissante pour l’international ont permis à nos plumes communes de se rejoindre sur les chemins de la diversité culturelle[23]. Poursuivant ta quête de la mondialisation culturelle, tout en associant nature et culture dans le panier bien garni du patrimoine, tu dissertes sur la préservation de la nature et la protection de la culture, souhaitant sauver le monde de l’uniformité galopante et de la grisaille ambiante[24]. Tu as aussi exploré les contrées méconnues du patrimoine culturel immatériel dans une revue de référence pour les internationalistes[25], le flou artistique et la dynamique échevelée du droit international te captivant. Le dépassement de la souveraineté peut-il donner un sens au patrimoine culturel international ?[26] Les biens culturels sont-ils protégés durant les conflits armés ?[27] L’extraterritorialisation des musées est-elle une aporie ou une utopie (ou aucun des deux ou les deux à la fois !) ?[28] Telles sont quelques-unes des questions posées au fil de tes articles qui ont comme gouvernail la dialectique de la souveraineté et de l’humanité, ton humanisme laissant deviner sans peine ni difficultés de quel côté de la balance penchent ton cœur, ton esprit et ton âme.

Qu’Annie soit saisie dans ses dimensions locale, nationale, européenne ou internationale, la sincérité de tes propos est incontestablement le trait le plus marquant, le faux t’horrifiant dans le domaine de l’art et dans la vie[29]. Comme le souligne d’ailleurs le très bel article d’Olivier Le Bot dans ces Mélanges, ton article sur la sincérité[30] est sans doute le plus pur et le plus beau parce que c’est toi.


[1] « Création fiscale et réaction des contribuables. Exemple de l’impôt sur le revenu face au monde des affaires (1848-1920) », Cheff, Etudes et Documents, 1996, t. VIII, pp. 223-257 ; « Le législateur et l’opinion publique. Le combat de l’impôt sur le revenu », Tribune du droit public, 1997, n° 2, pp. 191-203 ; « Un catalogue des projets d’Impôt sur le revenu. Une analyse fiscale de 1848 à 1914 », La Revue du Trésor, juillet 1999, n° 7, pp. 418-431 ; « Les aspects sociaux du mécanisme fiscal au travers d’un catalogue de projets d’impôt sur le revenu », Cheff, Etudes et Documents, 2000, t. XII, pp. 135-148.

[2] « Une histoire du droit de la consommation. Le juge pénal et le contrat (1851-1905), Cahiers du centre lyonnais d’histoire du droit et de la pensée politique, n° 1, Le contrat : approches historiques et théoriques, 2004, pp. 155-186.

[3] Genèse du patrimoine artistique. Elaboration d’une notion juridique (1750-1816), Thèse pour le Doctorat en droit, Université Lyon III, 31 janvier 2000, 496 p. et XCIV.

[4] « De Mécène à mécénat. Des idées reçues à une réalité sociale et politique. Une approche historique », in Allinne (J.-P.) et Carrier (R.), (dir.), Les deniers de la culture. Le mécénat, nouveau paradigme ?, Paris, L’Harmattan, 2010, pp. 85-105.

[5] V. notamment « Patrimonialisation (processus de) », in Dictionnaire d’administration publique, Kada (N), Mathieu (M), dir., Pug, 2014, p. 369 et s.

[6] « L’accès aux biens culturels – Introduction », in L’accès aux biens culturels, Piatti (M.-C.), Quiquerez (A.), Paris, L’Harmattan, 2016, pp. 15-24.

[7] « Les musées et la photographie : droit du public ou intérêt du service public ? Un dilemme juridique (à ne pas résoudre) » in Serge Chaumier (dir.), Les visiteurs photographes, un outil pour penser le musée, La Documentation française, Collection « Musées-Mondes », 2013, pp. 37-47 et « La guerre des domaines (n’) aurait-elle pu avoir lieu ? », Juris art etc., octobre 2015, pp. 36-40.

[8] « La Révolution française et les musées de province », in Anne-Solène Rolland, Hanna Murauskaya (dir.), Les musées et la nation. Créations, transpositions, renouveaux, Europe XIXe – XXIe siècles, Paris, l’Harmattan, coll. Patrimoines et Sociétés, 2008, pp. 31-45.

[9] « Du musée au marché : de l’objet visité à l’objet contesté. La vente Meyssonnier par la Maison Cornette de Saint-Cyr, ou la valeur culturelle changeante des objets historiques », Revue administrative, n° 391, 2013, pp. 9-16.

[10] « L’édile et le musée : « Je t’aime, moi non plus ? » L’interdiction aux mineurs de l’exposition de Larry Clark », Revue administrative, n° 380, 2011, pp. 1-7.

[11] « Un patrimoine culturel corse. L’exemple d’Aléria », in Olivier Jehasse (dir.), Alaliè-Aleria : connaissance, promotion, développement, Ajaccio, Editions du Journal de la Corse, 2006, pp. 21-32.

[12] « La Révolution française et les musées de province », op.cit.

[13] « La guerre des domaines (n’) aurait-elle pu avoir lieu ?, op.cit., p. 40.

[14] Op.cit.

[15] Genèse de la notion juridique de patrimoine culturel (1750-1816), L’Harmattan, coll. Droit du patrimoine culturel et naturel, 2003, 304 p. 

[16] V. Dossier présenté pour l’Habilitation à diriger des recherches, Université Lyon III, 30 juin 2009, p. 12.

[17] « Patrimoine et souveraineté. La France et son patrimoine culturel, de la Révolution à la Restauration », in Marie Cornu, Nébila Mezghani (dir.), Intérêt culturel et Mondialisation, t. I, Les protections nationales, Paris, L’Harmattan, coll. Droit du patrimoine culturel et naturel, 2004, pp. 39-83 ; en collaboration avec Fabrice Thuriot, « Le patrimoine culturel et la souveraineté politique : une liaison en quête de sens », Groupe de recherche sur les musées et le patrimoine, GRMP, Patrimoine et mondialisation, L’Harmattan, coll. Administration Aménagement du Territoire, 2008, pp. 97-116.

[18] V. « Refus d’exportation et droit de propriété », Juris art etc., avril 2015, p. 27 et « Quand Sade rentre en France », Juris art etc., décembre 2014, pp. 39-43.

[19] « Les guides de voyages et le patrimoine artistique. Quelques éléments pour comprendre le statut juridique des musées de la France, de la fin de l’Ancien Régime à la Restauration », Archives et Bibliothèques de Belgique, 2004, pp. 63-98.

[20] « Le respect du patrimoine culturel des Etats membres dans le droit de l’Union européenne », in Mouton (J.-D.), Barbato (J.-Ch.), (dir.), Vers la reconnaissance de droits fondamentaux aux Etats membres de l’Union Européenne ?Réflexions à partir des notions d’identité et de solidarité, Bruxelles, Bruylant, coll. Droit de l’Union européenne,2010, pp. 73-111.

[21] Ibid.

[22] « Le marché de l’art et le patrimoine culturel – Une histoire juridique européenne », in Giorgini (G.C.), Perez (S.), Droit et marché de l’art en Europe – Régulation et normalisation du risque, Bruxelles, Bruylant, 2015, pp. 47-69.

[23] En collaboration avec Thierry Garcia, « La diversité culturelle à l’aune de la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles », Légicom, 2006/2, n° 36, pp. 35-47.

[24] « La préservation de la nature et la protection de la culture. Ou la sauvegarde de la diversité du monde face à la mondialisation », Actualité juridique, Revue de la Faculté de Droit de Tunis, 2010, 24 p. 

[25] « Convention pour la sauvegarde du Patrimoine culturel immatériel. Quatrième session du Comité intergouvernemental de sauvegarde du Patrimoine culturel immatériel. Abou Dhabi, Emirats arabes unis, 28 septembre – 2 octobre 2009 », Revue Générale de Droit international public, Chronique des faits internationaux, 2010, n° 1, pp. 158-159.

[26] En collaboration avec Fabrice Thuriot, « Le patrimoine culturel et la souveraineté politique : une liaison en quête de sens », Groupe de recherche sur les musées et le patrimoine, GRMP, Patrimoine et mondialisation, L’Harmattan, coll. Administration Aménagement du Territoire, 2008, pp. 97-11,6 avec la deuxième partie sur le lien délié dans l’ordre international entre le patrimoine et la souveraineté.

[27] « Zones de conflits et protection de l’Unesco : l’exemple malien », Juris art etc., octobre 2013, pp. 34-38.

[28] « L’extraterritorialisation des musées » in Barbato (J.-C.), Bories (C.), Européanisation et internationalisation du droit des musées, Paris, Pedone, 2017, pp. 55-64.

[29] « L’œuvre d’art et sa copie. Le faux artistique différemment considéré», in Sueur (J.-J.) (dir.), Le faux, le juste et le droit, Bruylant, 2009, pp. 349-379.

[30] « Le droit et la sincérité. Une recherche historique sur un couple ignoré »,Le Bot (O.), dir., La sincérité en droit, Bruxelles, Larcier, 2011, pp. 21-44.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

N comme Nutella par le Dr. F. Bin

Voici la 52e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 6e livre de nos Editions dans la collection « Académique » :

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Cet ouvrage est le sixième
issu de la collection « Académique ».

Volume VI :
Les « mots » d’Annie Héritier.
Droit(s) au coeur

& à la Culture

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina
Delphine Espagno-Abadie & Thierry Garcia)

– Nombre de pages : 236
– Sortie : juillet 2017
– Prix : 49 €

  • ISBN / EAN : 979-10-92684-21-6 /  9791092684216
  • ISSN : 2262-8630

Présentation :

Mots-Clefs : Mélanges – Hommage(s) – Annie Héritier – Culture(s) – Université – Droit public – Histoire du Droit – Patrimoine – Nutella – Souris – Fleurs – Bijoux – Amitiés – Etudiant(e)s – Varia

« Cet opus est une déclaration d’amitié(s) pour célébrer celle qui s’est endormie en décembre 2015 et qui a marqué tous les contributeurs et toutes les contributrices, tous les soutiens aux présents Mélanges.

Toutefois, ces Mélanges accueillis par les Editions L’EPITOGE sont à l’image de leur dédicataire : étonnants et même détonants, généreux, amoureux, créatifs, parfois espiègles mais toujours respectueux, ils célèbrent Annie HERITIER en mots, en vers, en prose et même en images. Ils célèbrent le Droit et son Histoire mais aussi l’amitié et la personnalité d’Annie.

Ce sont alors « les mots d’Annie » eux-mêmes entre Droit(s), cœur(s) & culture(s) qui ont – à la manière et sur la présentation alphabétique d’un dictionnaire – guidé l’ensemble de celles et de ceux qui ont voulu ici partager leurs souvenirs, leurs amitiés et leurs reconnaissances. Se mêlent alors les uns aux autres avec la reproduction d’une contribution inédite de l’auteure (à propos de « l’invention du droit du patrimoine culturel ») et sans discontinuité(s) les expressions et mots d’Annie suivants : ALF, amitié & authenticité, bijoux, chat(s) (de la Nation), coca-cola, comparaison,  couleurs de la ville, culture & Corse, doctorantes, droit international, échange, environnement, être sensible, fidélité, grenouille, histoire, imagination, infirmière corse, instants, littérature, nutella, patrimoine(s), perles, poème, reflet, sincérité, souris, troublantes grenouilles, utopie et … Z comme Z’Annie !

N comme Nutella

Fabrice Bin
Maître de Conférences de droit public,
Université Toulouse 1 Capitole, Irdeic
Membre du Collectif L’Unité du Droit

Annie, Nutella
& Finances publiques

Il n’est pas nécessaire de justifier la présence d’une entrée « Nutella » dans un volume d’hommage à Annie Héritier. Elle n’a jamais caché son goût pour cette pâte à tartiner mêlant cacao et noisette[1], créée le 20 avril 1964 dans le Piémont par la société Ferrero[2].

Ce n’était pas le seul point commun entre la destinataire de ces hommages et l’auteur de ces lignes. Si Annie Héritier est connue pour ses compétences en droit de la culture où elle s’est notamment illustrée par sa thèse[3], elle était titulaire, outre un Dea d’Histoire du droit, des institutions et des faits sociaux, de l’Université Lyon III, du Dea de Finances publiques et fiscalité, diplôme alors commun aux Université d’Aix-Marseille et de Lyon III. Elle avait d’ailleurs consacré son mémoire d’Histoire du droit à l’histoire des projets d’impôts sur le revenu[4] et avait publié plusieurs articles remarqués dans ce domaine de l’histoire de la fiscalité où elle montrait tout l’intérêt de replacer les questions techniques de l’impôt dans un contexte historique, économique et social[5]. C’est une démarche qu’on ne saurait trop recommander.

Ainsi elle était spécialiste de finances publiques, domaine qu’elle a beaucoup enseigné. Cependant, en retournant à Lyon, elle ressentait pour cette matière ce qu’un excès de consommation de Nutella peut provoquer[6]. Il peut donc légitimement sembler paradoxal de parler de fiscalité pour lui rendre hommage, fut-ce pour rappeler ses travaux d’histoire des finances publiques.

Il n’est en réalité pas de meilleur moyen de rester fidèle à sa mémoire que de réunir les finances publiques (dont elle s’était donc détournée) et le Nutella (dont elle ne s’est jamais détournée). En effet, la fiscalité du chocolat est des plus indigestes et provoque un profond dégoût (I). Ce sera l’occasion de s’interroger sur les buts assignés (ou pas) à la fiscalité (II).

I. Tva et chocolat

Malgré la réalité d’une composition donnant une plus large place au sucre et à l’huile de palme[7], le Nutella est largement associé au chocolat (et aux noisettes, ce qui nous fait du praliné). Or le chocolat « bénéficie », au même titre que certains produits alimentaires de luxe (mais pas tous) d’un régime fiscal particulier en matière de Taxe sur la valeur ajoutée (Tva). Un rapide examen de ce régime qui mériterait d’être allégé (A) permettra de comprendre tous les enjeux de la détermination du taux de Tva qui lui est applicable (B).

A. Un régime fiscal alourdi par des subtilités byzantines

Le taux de Tva applicable au chocolat relève de l’article 278-0 bis du Code général des impôts (Cgi). Aux termes de cet article, A, 1°, le taux réduit de 5,5 % s’applique aux produits destinés à l’alimentation humaine à l’exception des produits de confiserie, des margarines et graisses végétales, du caviar et des chocolats et tous les produits composés contenant du chocolat ou du cacao. Ces produits sont donc soumis au taux normal de 20 %, ce qui constitue donc le principe en matière de chocolat.

Mais exception à l’exception, le même article 278-0 bis b) précise que « le chocolat, le chocolat de ménage au lait, les bonbons de chocolat, les fèves de cacao et le beurre de cacao sont admis au taux réduit de 5,5 % ». La doctrine fiscale administrative est venue préciser à ce propos que pour bénéficier de ce taux réduit il faut comprendre que le chocolat de ménage au lait doit être présenté en tablettes, alors que les « chocolats » (donc les chocolats noirs) sont admis « quelle que soit leur présentation (c’est-à-dire les tablettes, mais également, par exemple, les moulages de sujets ou d’objets composés de « chocolat »[8]). Quant aux bonbons, ils doivent avoir la taille d’une bouchée, ce qui correspond aux « produits dont la dimension maximale n’excède pas cinq centimètres et dont la masse n’excède pas vingt grammes[9] ». Ainsi, les œufs de Pâques en chocolat seront soumis à la Tva au taux réduit s’ils sont en chocolat noir et au taux normal s’ils sont en chocolat au lait ou en chocolat blanc !

Comme le précise le sénateur Barbier dans un rapport déposé en 1997 à l’appui d’une proposition de loi tendant à unifier le taux de Tva du chocolat, il s’agit d’un « héritage des années de pénurie aggravé par des distinctions byzantines[10] ». Ainsi la notion de chocolat a été étendue par la jurisprudence[11] puis de façon plus large par une directive européenne du 23 juin 2000 relative aux produits de cacao et de chocolat qu’un décret n° 2003-702 du 29 juillet 2003 a transposé. Désormais bénéficient aussi du taux réduit le chocolat en vermicelle ou en flocons, le chocolat de couverture et le chocolat aux noisettes gianduja[12]. Qu’elle est la place du Nutella dans tout ça ?

B. Le taux de Tva appliqué au Nutella

Compte tenu de tout ce qui vient d’être dit, quel taux de Tva appliquer au Nutella ? Le taux normal ou le taux réduit ? Logiquement, le Nutella ne correspond à aucun des cas d’application du taux réduit aux produits en chocolat. C’est d’ailleurs ce qui avait donné lieu en 1977 à une décision du Conseil d’Etat, décision plus remarquée par son apport à la protection des contribuables qu’au statut fiscal du Nutella puisqu’elle avait à l’époque conclu à l’application du taux normal, malgré l’avis passagèrement contraire de l’administration fiscale[13].

Cependant, dans sa grande bonté, le législateur modifia en 1982[14] les taux réduits et ce fut l’occasion pour la doctrine fiscale administrative d’introduire de nouvelles catégories. En effet, en bénéficient aussi du taux réduit les pâtisseries fraîches, y compris les produits à base de pâtes qui sont fourrées de crèmes ou autres pâtes au chocolat permettant d’obtenir des gâteaux dits « marbrés »[15]. De même bénéficient du taux réduit « les farines composées pour enfants, petits déjeuners en poudre, entremets et desserts à préparer même s’ils contiennent du chocolat ou du cacao[16] ». Le lecteur appréciera qu’en la matière, il est bien précisé que cette application du taux réduit est possible malgré la présence de chocolat. C’est une louable simplification qui permet à l’administration de préciser que l’on peut y inclure « les farines composées pour enfants, les préparations en poudre pour petits déjeuners, les crèmes desserts et les pâtes à tartiner (…) même si elles contiennent du chocolat ou du cacao. Ce taux s’applique également aux préparations liquides pour petits déjeuners[17] ». Comme pour les croissants, la contribution du Nutella aux petits déjeuners permet à cette pâte à tartiner de bénéficier du taux réduit de Tva. Dès lors, le pot de Nutella étant soumis au taux réduit de Tva avec la plupart des produits alimentaires, en consommer ne nuit pas au pouvoir d’achat. Mais la fiscalité n’ignore-t-elle alors pas d’autres questions d’intérêt général ? Notamment, en ce qui concerne les grands singes, la vie des orangs-outangs et notre santé ?

II. La fiscalité protège-t-elle les orangs-outangs ?

Sans parler du manque à gagner et du désavantage compétitif pour les chocolatiers français (à Bayonne ou ailleurs)[18], cette casuistique fiscale en matière de chocolat pose plusieurs problèmes que ce soit en matière d’environnement (A), de qualité des aliments ou de santé publique (B). Elle ne subsiste, assez logiquement, qu’en raison de l’objectif financier, objectif premier de tout impôt[19].

A. Le droit fiscal contre l’environnement : vie et morts de la « Taxe Nutella »

Tout amateur de Nutella est désormais confronté à un dilemme moral supplémentaire à celui de son tour de taille : la question environnementale. C’est moins la question de l’empreinte carbone qui se pose que celle de la survie des orangs-outangs. A ce sujet, une certitude : il n’y a pas de morceaux d’orang-outang dans le Nutella. Par contre, il y a beaucoup d’huile de palme et cette huile est issue de cultures intensives pratiquées notamment à Bornéo sur les territoires déboisés où survivent les orangs-outangs, appelés ainsi à disparaître d’ici quelques années.

Cette question de l’huile de palme amena plusieurs parlementaires à proposer une fiscalité portant spécifiquement sur ce produit considéré comme néfaste, tant sur le plan environnemental que sur celui de la santé. Une première tentative eut lieu au sein de la commission des affaires sociales du Sénat qui adopta le 7 novembre 2012 un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013 visant à tripler la fiscalité de l’huile de palme.

Les tentatives plus récentes allèrent plus loin à l’occasion de la loi sur la biodiversité permettant aux députés d’adopter un amendement déposé par le groupe Vert au Sénat[20] et instaurant une taxe additionnelle de 300 euros par tonne à partir de 2017 à la taxe spéciale prélevée par les douanes sur les huiles destinées à l’alimentation humaine[21]. Successivement adopté au Sénat le 21 janvier 2016 et à l’Assemblée nationale en commission le 19 février 2016[22], il finit, le 22 juin, par être rejeté par les députés en troisième lecture du projet de loi sur la biodiversité à la demande du gouvernement, inquiet notamment de ses répercussions diplomatiques avec l’Indonésie et la Malaisie[23], ainsi qu’avec l’Organisation mondiale du Commerce.

Cette taxe additionnelle sur l’huile de palme était explicitement surnommée « taxe Nutella ». Ce projet avait clairement pour objectif de mieux protéger l’environnement par une fiscalité considérée comme insuffisante mais il pouvait aussi être rattaché à une problématique de santé publique.

B. Le droit fiscal contre la qualité des aliments et la santé publique

En plus de la question environnementale qui l’englobe, le problème du régime fiscal du Nutella renvoie aussi à un problème de qualité alimentaire et de santé publique.

L’apport (négatif) de la Tva à ces questions ne doit pas être sous-estimé. Pour prendre un exemple étranger, si le Royaume-Uni connaît aussi un régime de Tva complexe (avec des distinctions assez similaires à celles connues en France mais pour l’application d’un taux de 0% ou du taux normal[24]), une jurisprudence anglaise relative aux chips apéritives montre l’étendue du problème. Dans une affaire relative aux biscuits apéritifs dénommés « Pringles », la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles appliqua de façon stricte la distinction introduite par le législateur au sein des produits alimentaires. Si ceux-ci sont normalement taxés à 0%, le Parlement en a exclu les chips aux pommes de terre, vraisemblablement pour des raisons de santé bien que cela ne soit pas clair[25]. Son produit pour l’apéritif ayant été inclus par le tribunal fiscal (« Vat and duties Tribunal ») dans les produits assimilables aux chips aux pommes de terre (et donc soumis au taux normal de 17,5 % à l’époque), la société Procter & Gamble saisit la Cour d’appel qui opéra le 20 mai 2009 une distinction en considérant que les « Pringles » n’étaient pas des chips mais des produits réalisés à partir de pommes de terre, notamment parce que celles-ci représentent seulement 42% de l’ensemble des ingrédients contenant par ailleurs du gras, du sel et des émulsifiants[26]. Donc, le taux à 0% devait s’appliquer. Par cette décision, très commentée par une doctrine dubitative[27], la Cour d’appel choisit donc en pratique de privilégier fiscalement un produit résultant d’une addition d’éléments plutôt par rapport à un produit plus simplement issu de la friture d’un tubercule. Comme le souligne Rita De La Feria, ce désavantage compétitif ne peut qu’inciter les producteurs à privilégier les produits ne contenant qu’une part réduite de pommes de terre[28]. Même si les chips ne sont pas recommandées pour la santé, une telle décision n’améliore pas les choses, bien au contraire.

La même problématique se retrouve avec la Tva appliquée aux produits chocolatés et aux Nutella. En effet, la doctrine fiscale administrative précitée admet au taux réduit de 5,5 % « la pâtisserie sèche, y compris les biscuits qui sont additionnés de chocolat » à condition que le chocolat et/ou le succédané et/ou le « produit de confiserie consommable isolément en tant que tel (caramel, pâte de fruits, fruits confits, nougat, etc.) » additionnel « représentent « au maximum 50 % du poids total du produit »[29]. Bref, pour éviter d’être taxé à 20 %, les industriels doivent limiter la part du fourrage, chocolaté ou pas, dans leurs biscuits. Or, les nombreux éléments rajoutés dans les préparations tels que gras, sucres et autre huile de palme ne sont pas spécialement plus favorables à la qualité des aliments, ni à la santé publique. Le sénateur Barbier remarquait d’ailleurs dans son rapport précité que « l’argument de santé publique n’est certainement pas pertinent en l’occurrence. Une consommation excessive de chocolat ou de confiseries est certes susceptible d’avoir des effets dommageables. Mais cela est aussi vrai de la plupart des aliments bénéficiant du taux réduit de 5,5 %. A l’inverse, par sa teneur en magnésium et en vitamines diverses, le chocolat possède des vertus stimulantes et antidépressives reconnues qui pourraient tout aussi bien, dans une stricte perspective de santé publique, le rendre justiciable du taux super-réduit de 2,1 % réservé aux médicaments[30] ».

En somme, si les amateurs de Nutella peuvent se féliciter de ne payer qu’une Tva à taux réduit, il est tout de même écœurant que le droit fiscal n’en fasse pas aussi bénéficier l’ensemble des produits chocolatés.


[1] Mais surtout beaucoup de sucre et d’huile de palme. Nous y reviendrons.

[2] https://www.nutella.com/fr/fr/histoire-de-nutella

[3] Thèse Lyon III, 20000 : Héritier Annie, Genèse de la notion juridique de patrimoine culturel, 1750-1816, préf. de Nicole Dockès, Paris, L’Harmattan, coll. « Droit du patrimoine culturel et naturel », 2003, 304 p.

[4] Héritier Annie, Un catalogue raisonné des projets d’impôts sur le revenu de 1848 à 1914, sous dir. N. Dockes, Université Jean Moulin, 1996, 178-XLVI f. Elle en avait tiré un article : « Un catalogue des projets d’impôt sur le revenu. Une analyse fiscale de 1848 à 1914 », La Revue du Trésor, 1999, n°7, pp. 418-437.

[5] V. Héritier Annie, « Création fiscale et réaction des contribuables. Exemple de l’impôt sur le revenu face au monde des affaires (1848-1920) », Cheff, Etudes et doc., vol. VIII, 1996, pp. 223-257 et « Les aspects sociaux du mécanisme fiscal à travers un catalogue des projets d’impôts sur le revenu », Cheff, Etudes et doc., vol. XI, 2002, pp. 135-148.

[6] Compte tenu du sujet, le lecteur voudra bien excuser les métaphores culinaires, qui appartiennent à un genre vulgaire alors qu’il faut privilégier les métaphores empruntant aux domaines antique, architectural, maritime ou poliorcétique. Les fiscalistes ne seront cependant guère choqués compte tenu de l’illustration de grands auteurs en ce domaine, fut-il réprouvé : V. M. Cozian, « Propos désobligeants sur une « tarte à la crème »: l’autonomie et le réalisme du droit fiscal », Dr. fisc., 1980, n° 41, ét. 100056, reproduit in Les Grands principes de la fiscalité des entreprises, Litec, 1999, 4e éd., document n°1, pp. 3-12.

[7] La composition du Nutella pour la France (cette composition varie pour s’adapter aux goûts et à la fiscalité des pays, d’où les récriminations récentes de pays d’Europe de l’Est considérant leur Nutella comme moins onctueux) est la suivante : Sucres, huile végétale (huile de palme), noisettes (13 %), cacao maigre en poudre (7,4 %), lait écrémé en poudre (6,6 %). Donc par déduction, sucre et huile de palme occupent plus de 70% d’un pot.

[8] Boi-Tva-Liq-30-10-10-20160302 n°170.

[9] Ibid. n°180.

[10] Rapport n°353, Sénat, 12 juin 1997 : https://www.senat.fr/rap/l96-353/l96-353_mono.html.

[11] Ainsi le cas du « Napolitain » accompagnant le café, mentionné par le sénateur Barbier dans son rapport précit. V. TA Strasbourg, 21 avr. 1998, req. n° 94-1426, Cie française de chocolaterie et de confiserie : Dr. fisc. 1998, n° 42, comm. 903.

[12] V. Rép. min. éco., fin. et ind. n° 9242 à M. Gélard : JO Sénat Q, 12 févr. 2004, p. 364 ; Dr. fisc. 2004, n° 11, act. 43.

[13] CE, 11 juill. 1977, SA Ferrero France, req., n° 1929 : RJF 1977, n°10, comm. 536 ; Dr. fisc. 1977, n°51, comm. 1850 ; Dr. fisc., 1978, n°27, comm. 1116, concl. Lobry.

[14] L. de fin. rect. pour 1982, n° 82-540, 28 juin 1982 : JO, 29 Juin 1982 ; Dr. fisc. 1982, n° 28, comm. 1459.

[15] Boi-Tva-Liq-30-10-10-20160302 n°210.

[16] Ibid., n°220.

[17] Ibid.

[18] V. Alvarez et R. Roquebert invoquent aussi le principe d’égalité devant la loi fiscale : F. Le Mentec et al., « Fiscalité et fêtes de fin d’année », Dr. fisc. 2012, n°51-52, ét. 562.

[19] Dans son rapport précit., le sénateur Barbier reproduit les échanges intervenus sur le même sujet en 1996. Le rapporteur général de la commission des finances, Alain Lambert, et le ministre délégué au budget, Alain Lamassoure, avaient tous deux repoussé l’amendement simplificateur au nom de la sauvegarde du Trésor public face à une perte à gagner de plus de deux milliards de francs : V. JO Débats Sénat, séance du 25 nov. 1996, pp 5.948-5.949.

[20] Amendement n° 367, présenté par les membres du groupe écologiste au projet de loi sur la Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. M. Roumégas a déposé le 13 oct. 2016 un amendement n° AS 114, semblable au précédent, au Projet de Loi de financement de la Sécurité sociale. Il fut rejeté.

[21] Cette taxe est régie par l’art. 1609 vicies du Cgi. V. BOFIP TCA-THA-20140314 du 14 mars 2014. La taxe additionnelle aurait doublé le montant de la taxe pour les huiles de palme, de palmiste et de coprah.

[22] Les députés conservèrent le principe mais en ramenèrent la taxe à 90 euros afin simplement de permettre à la fiscalité de l’huile de palme de rattraper le tarif de la taxe appliquée à l’huile d’olive : amendement Gaillard n° CD 130 : http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/3442/CION-DVP/CD130.asp.

[23] V. Réponse Min. à la question n° 98619 de M. Jean-Marie Sermier : JO, 18 oct., 2016, p. 8512.

[24] V. le document mis en ligne par le département du Trésor (HM Revenue & customs) : https://www.gov.uk/government/publications/vat-notice-70114-food/vat-notice-70114-food

[25] V. De La Feria Rita, « EU VAT rate structure: towards unilateral convergence? », in Querol Francis (dir.), La réorientation européenne de la Tva, Toulouse, Presses UT1, 2014, p. 105.

[26] The Commissioners for Her Majesty’s Revenue & Customs v. Procter & Gamble UK [2009] EWCA Civ 407.

[27] V. les références mentionnées par Rita De la Feria : G. Morse, « Procter & Gambre UK v Hmrc (Pringles Two) – a very peculiar UK practice – the characterisation of food products for zero-rating », Britsh Tax Review 1, 2009, pp. 59-67; G. Morse, « Hmrc v Procter & Gambre UK v (Pringles Two) in the Court of Appeal: determining classification cases for Vat – a short practical answer and an end to “almost mind-numing legal analyses”? », Britsh Tax Review 4, 2009, pp. 401-405; I. Roxan, « Interpreting exceptional Vat legislation: or, are there principles in Pringles ? » Britsh Tax Review 6, 2010, pp. 699-716.

[28] Art. précit. pp. 105-106.

[29] Boi-Tva-Liq-30-10-10-20160302 n°310.

[30] Rapport préc. I, A, 2.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

« La mère de Maurice, et celle des autres » par le pr. F. Linditch

Voici la 45e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 5e livre de nos Editions dans la collection « Académique » :

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume V :
Le(s) droit(s) selon & avec
Jean-Arnaud Mazères

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina
Delphine Espagno, Isabelle Poirot-Mazères
& Julia Schmitz)

– Nombre de pages : 220
– Sortie : novembre 2016
– Prix : 49 €

  • ISBN / EAN : 979-10-92684-19-3 / 9791092684193
  • ISSN : 2262-8630

Présentation :

Un professeur, un maître, un père, un ami, un guide, un modèle, un inspirateur, un trouvère et, à toutes les pages, un regard. Tous ces qualificatifs pour un seul homme, un de ces êtres doués pour le langage, le partage, l’envie de transmettre, le goût de la recherche et de l’analyse, l’amour des livres et de la musique, l’attention aussi aux inquiets et aux fragiles. La générosité de Jean-Arnaud, l’homme aux mille facettes, est aujourd’hui célébrée, à travers le regard de ses amis. Tous ceux qui ont contribué à cet ouvrage ont quelque chose à dire, à écrire, à expliquer aussi, de ce moment où leur trajectoire a été plus claire, parfois s’est infléchie lors d’un cours ou d’un entretien, où leurs doutes ont rencontré non des réponses mais des chemins pour tenter d’y répondre. Chacun a suivi sa voie, chacun aujourd’hui a retrouvé les autres. Cet ouvrage est pour toi Jean-Arnaud ! Cela dit, si tu ne t’appelles pas Jean-Arnaud, toi – lecteur – qui nous tient entre tes mains, tu peux aussi t’intéresser non seulement au professeur Jean-Arnaud Mazères mais encore t’associer aux hommages et aux témoignages qui lui sont ici rendus. L’ouvrage, qui se distingue des Mélanges académiques, est une marque de respect et d’affection que nous souhaitons tous offrir à son dédicataire et ce, pour ses quatre-vingt ans. L’opus est alors bien un témoignage : celui de celles et de ceux qui ont eu la chance un jour de rencontrer le maestro, de partager les moments plus ou moins délicats du passage de l’innocence estudiantine à celui de la vie d’adulte, voire de faire une partie de ce chemin à ses côtés comme collègue et / ou comme ami. Des vies différentes pour chacun d’entre nous, des choix que le professeur Mazères a souvent directement inspirés, influencés, compris, soutenus mais pour nous tous ce bien commun partagé : celui d’avoir été, et d’être toujours, son élève, son ami, son contradicteur parfois. Par ce « cadeau-livre », nous souhaitons faire part de notre affection, du respect et de l’amitié que nous avons à son égard. Bel anniversaire, Monsieur le professeur Jean-Arnaud Mazères !

Ont participé à cet ouvrage (qui a reçu le soutien de Mme Carthe-Mazeres, des professeurs Barbieri, Chevallier, Douchez, Février, Lavialle & Mouton) : Christophe Alonso, Xavier Barella, Jean-Pierre Bel, Xavier Bioy, Delphine Costa, Abdoulaye Coulibaly, Mathieu Doat, Arnaud Duranthon, Delphine Espagno-Abadie, Caroline Foulquier-Expert, Jean-François Giacuzzo, Philippe Jean, Jiangyuan Jiang, Jean-Charles Jobart, Valérie Larrosa, Florian Linditch, Hussein Makki, Wanda Mastor, Eric Millard, Laure Ortiz, Isabelle Poirot-Mazères, Laurent Quessette, Julia Schmitz, Philippe Segur, Bernard Stirn, Sophie Theron & Mathieu Touzeil-Divina.

Ouvrage publié par le Collectif L’Unité du Droit avec le concours de l’Académie de Législation de Toulouse, du Centre de Recherches Administratives (ea 893) de l’Université d’Aix-Marseille et avec le soutien et la complicité de nombreux amis, anciens collègues, étudiants, disciples…

La mère de Maurice,
et celle des autres.
« Contribution au thème
de la mère de l’auteur »

Florian Linditch
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille, Cra

I. Aux origines du sujet

La mère. Pourquoi pas le père ? Pas de réponse. Pas le temps. Nous laissons le sujet à quelqu’un d’autre. Quant à la mère, le sujet s’est imposé à la suite de deux évènements déjà anciens.

Un « taxi africain » pour commencer, on pardonnera à l’anecdote ce qu’elle a d’autobiographique. Deux décennies plus tôt, l’auteur de ces lignes reçu depuis quelques heures au concours d’agrégation emprunte un taxi à Paris. A cette époque, point de téléphone portable : impossible d’annoncer la bonne nouvelle à ses proches. Trop de joie. Le premier venu fera l’affaire. Un chauffeur de taxi. Celui-ci, bonhomme, accepte la confidence du succès. Mais au lieu des congratulations attendues, le voilà qui explique doctement qu’« en Afrique, chaque réussite est toujours celle de la mère : c’est elle qu’il faut féliciter en premier ». Etonnement du jeune agrégé, et même légère déception. Son succès ne serait-il donc pas le sien propre ?

Deuxième anecdote, non moins discutable scientifiquement, la découverte de Lanza del Vasto, illustration de l’humanisme (courant de pensée que notre maître, Jean-Arnaud, tenait à distance à une certaine époque : suspicion des catégories génériques, suspicion des droits de l’Homme avec un grand « H », abstraction générique qu’il ne coûte rien de mobiliser, certains s’en souviendront…). Une grande respiration philosophique pourtant, et sans doute velléité d’émancipation de l’ancien doctorant. Peut-être s’échappera-t-il ainsi de l’antre de Cyclope pour voguer à sa guise sur la pensée humaniste et l’idéalisme philosophique. Mais, nouvelle surprise : le Maître connaît tout. Il parle de l’œuvre, mais également de l’homme. Stupéfaction : le grand philosophe et poète fut jadis invité par sa mère lors de semaines spirituelles dans les piémonts pyrénéens. Plusieurs années de suite et plusieurs jours en suivant. Illumination, le maître avait donc également une mère. Et celle-ci lui avait fait rencontrer Lanza del Vasto. Voilà l’explication, le maître n’est maître que parce qu’il avait une maîtresse mère. Il n’en fallait pas moins pour s’interroger sur la place de la mère dans la construction intellectuelle d’un homme. Les bibliothèques d’ailleurs, débordent de livres sur les mères et ceux-ci forment « un genre difficile, aux références prestigieuses, d’emblée décourageantes[1] ».

II. La mère de Maurice H.

La mère de Maurice Hauriou se prénommait Marie. Marie, Eugénie, Trouiller. Elle était née à Ladiville (Vendée) le 25 février 1836. Elle appartenait sans doute à une famille de notables ruraux, eu égard à la profession du père attestée dans les actes notariés : « propriétaire [2] » et au fait qu’il fut maire de la même commune lorsqu’elle avait vingt ans.

Marie, Eugénie est décédée à l’âge de 43 ans, à Deviat, commune voisine, le 6 avril 1879. Maurice Hauriou avait à peine 23 ans. La même année, il est docteur en droit (Faculté de Bordeaux). Avant, après le décès, on ne sait. Sans doute simultanément, les deux thèses soutenues en 1879 auront-elles quelque peu rendu supportable cette épreuve, en accaparant le jeune étudiant.

Une autre femme encore qu’on ne peut laisser dans l’ombre, la sœur. Sa cadette de trois ans, Catherine, Louise, Edmée, également née à Ladiville le 17 janvier 1859. Huit ans plus tard après le décès de sa mère, elle épouse à 28 ans, en 1887 Jean Malet, professeur à l’Ecole vétérinaire de Toulouse. Simple coïncidence, ce rapprochement géographique du frère et de la sœur, ou mariage arrangé, influencé par Maurice ou pourquoi pas son épouse ? On ne sait, mais on voit difficilement comment de Vendée, elle aurait pu rencontrer un autre professeur toulousain.

Une dernière, l’épouse. Une autre Marie bien entendu, de son nom de jeune fille, Andrieux. Beaucoup plus jeune que Maurice : 16 ans, écart assez fréquent à l’époque. Née le 28 juin 1872, à Blanzac-Porcheresse (Charente). Sûrement pas une étudiante, en cette fin du XIXe siècle. Du reste, elle est bordelaise. Ils auront six enfants, dont André Hauriou, professeur de droit.

Nous n’en savons rien de plus. Comme du reste.

III. Avec Sainte-Beuve

Il faut relire le Contre Sainte-Beuve pour réaliser que le prétendu interdit posé par Marcel Proust du recours à la biographie pour comprendre l’œuvre n’est pas celui qu’on enseigne trop rapidement. Proust ne remet jamais en cause l’utilité de la biographie, il moque simplement (car l’ouvrage ne dépasse pas, le plus souvent, le niveau du pamphlet) la volonté du critique de mettre en fiche les données essentielles d’une vie, pour en extraire des déterminismes qui expliqueraient l’œuvre. Accablant le pauvre Sainte-Beuve, le jeune Marcel ne craint d’ailleurs pas de se contredire lui-même. A l’occasion, il convoque sa propre mère pour mieux démontrer l’insensibilité du critique : « sans doute n’avait-il pas vu l’émotion du débutant, qui a depuis longtemps un article dans un journal, qui ne le voyant jamais quand il ouvre un journal, finit par désespérer… Mais un matin, sa mère, en entrant dans sa chambre, a posé près de lui le journal d’un air plus distrait que de coutume… mais néanmoins, elle l’a posé tout près de lui, pour qu’il ne puisse manquer de le lire et s’est vite retirée et a repoussé vivement la vieille servante qui allait entrer dans la chambre. Et il a souri, parce qu’il a compris que sa mère bien aimée voulait qu’il ne se doutât de rien, qu’il eut toute la surprise de sa joie, qu’il fut le seul à la savourer et ne fût pas irrité des paroles des autres, pendant qu’il lisait et obligé, par fierté, de cacher sa joie à ceux qui auraient indiscrètement demandé à la partager avec lui[3] ». Quelles lectures, ou lesquels de nos actes et pensées, nos mères ont-elles préparés de cette façon ? Le fils lui-même le sait-il ? Ce qui importe au fond est de savoir que cela pu être ainsi, de laisser ouverte la fenêtre, d’y regarder de temps en temps. Ce frémissement, cette énergie vitale, cette trace d’humanité que l’on guette sur le silex ou le moindre tesson arraché à la terre, pourquoi ne pas la chercher ici ? Dans toutes les autres disciplines, y compris les sciences exactes (voir les innombrables biographies d’Einstein), les témoins se mirent, se comparent, s’y retrouvent, ils aperçoivent derrière la plume, la main, l’auteur et peut-être le secret du génie.

Revenons à la mère de Maurice. Il avait donc une mère. Pourrait-elle avoir joué un rôle dans son œuvre intellectuelle ? Perdue à l’âge de 23 ans on l’a dit, ce qui signifie que Maurice vivra encore 50 ans sans elle. Mais la présence des mères n’est pas présence physique. Elle ne se mesure même pas aux citations, surtout chez les professeurs de droit. Nous la croyons plus diffuse, mais non moins importante.

Entreprise périlleuse : où est-il démontré que les auteurs devraient quelque chose à leur mère ? Si l’on peut en douter pour les juristes, dont l’objet d’études est nécessairement extérieur, à la rigueur on veut bien l’admettre pour les poètes (Baudelaire, Rimbaud), les romanciers (Balzac, Flaubert, Maupassant). La littérature suppose un engendrement, quelque chose qui vient de l’intérieur, une sensibilité qui pourrait alors devoir quelque chose à la mère, et ce même lorsque le fils entre en réaction (Sartre, Jules Renard ; Hervé Bazin). Mais le juriste qui se doit à l’instar du scientifique à l’art du dépouillement, au renoncement à l’égo, dura lex, sed lex, comment sa mère pourrait-elle jouer un rôle dans ses idées ?

C’est en pleine conscience de ces limites méthodologiques que l’entreprise doit être tentée. Au pire on les récusera, au mieux certains éléments, relevant sans doute de la pure coïncidence, permettront-ils de créer un temps d’arrêt, une hésitation, vite balayée par la course à l’information qui gouverne aujourd’hui la discipline juridique.

IV. Amour, le faux objet

La classification la plus courante se plait à opposer, les Mères pathologiques, monstrueuses (Valles, Jules Renard ou Hervé Bazin, del Castillo), et les mères admirables, le plus souvent (Hugo, Colette, Romain Gary, Marcel Pagnol, Albert Cohen, et tant d’autres).

Si l’on en croit Guy de Maupassant « Il y a deux sortes d’écrivains : ceux qui étaient aimés de leur mère et ceux qui ne l’étaient pas ». Telle est souvent l’opinion commune qui considère que :

– la mère était aimante, ou du moins une relation pleine et de qualité s’est établie entre elle et son enfant, et l’on peut supposer que celui-ci en retirera sensibilité et talent, voire génie. Romain Gary en fournit l’exemple, après de brèves études de droit à Aix en Provence, le voilà aviateur, suivant la voie de la France Libre, puis de l’Ecriture, toujours plus libre. Son absolue fantaisie le guide de succès en succès, nimbé qu’il est de l’amour maternel et de la fameuse Promesse de l’Aube que constitue l’amour maternel ;

– à l’inverse la relation mère/fils était plus difficile, et dans ce cas, il faut s’attendre à la révolte, au ressentiment, peut-être à moins d’autosatisfaction, on pense à Baudelaire.

Vulgate psychologisante qui doit bien comporter une part de vérité, mais qui peut être discutée à l’infini, tant cette causalité paraît rudimentaire. Les relations ne sont jamais si simples, les bilans sont toujours constitués d’actifs et de passifs. Et puis, on ne peut exclure les paradoxes. Une mère peu aimante ne conduira-t-elle pas son enfant à rechercher ailleurs l’affection dont il a manqué ? Ne s’ouvrira-t-il pas à de nouvelles fraternités, avec les vivants, comme avec les morts. Ne recherchera-t-il pas toujours une humanité dont il s’est senti privé depuis l’origine. On pense à Dickens, pleuré par toute l’Angleterre et littéralement mort d’épuisement à la suite de lectures de son œuvre qu’il donnait à son public.

Bien entendu, si l’on définit l’amour maternel comme cette abnégation, ce don inconditionnel de soi à l’enfant, à son développement, nul doute qu’il ne doive tenir une place importante dans la fabrique de l’homme[4] et forcément de l’auteur.

Tant d’incertitudes conduisent à renoncer à identifier de puissants déterminismes. Mieux vaut considérer quelques situations clés (distance, abandon, accompagnement de tous les instants, etc.).

V. Présence – Absence

D’abord, il y a l’absence volontaire, l’abandon. La littérature en fournit de nombreuses illustrations. Il faudrait voir du côté de Miguel del Castillo pour la crainte de l’abandon maternel, et l’abandon lui-même. Abandon signifiant pour lui, monstrueux égoïsme de sa mère (abandon d’un enfant, en Allemagne durant la guerre, puis dans les camps pour républicains de l’Espagne franquiste). Celui également de la mère de Dickens qui oublie de récupérer le petit Charles, placé dans une fabrique humide du Londres misérable du début du XIXe siècle.

Mais le plus souvent, mieux vaut parler d’absence que de manque d’amour maternel. L’absence de la mère peut d’ailleurs n’être pas volontaire. Mouvements sociaux, guerres, maladie, mort peuvent l’expliquer…. La mère n’a pas vraiment choisi la séparation, mais peu importe, l’enfant lui, le vivra comme une déréliction. On est troublé de constater que la distance, l’abandon, la séparation engendrent un mieux, la fameuse « résilience » de Boris Cyrulnik[5]. Au point que si elle n’existe pas, l’enfant l’imaginera, lui donnera une importance que peut-être elle n’avait pas. L’enfant se construit dans cette séparation. Alors on imagine l’enfant en pensionnat ou simplement chez sa grand-mère. Il y a les lettres qu’on attend, les quais de gare, les valises trop lourdes qu’on porte pour faire homme. Il a également les lettres qu’il lui écrit car elle travaille ailleurs, les bulletins de notes, la perspective heureuse de se retrouver bientôt ou dans longtemps. La mère qu’on oublie peu à peu, puis la mère qui réapparaît, à laquelle on se réhabitue si aisément. Si désespérément, car on sait qu’elle n’est là que pour quelques jours, quelques heures. Apprivoiser le temps qui dure, et celui qui s’enfuit. Admettre le transitoire, lui donner toute la densité possible.

Tout un apprentissage de la séparation si nécessaire. Presque, une philosophie du temps et de la durée.

Puisque les mères s’en vont (jamais si loin qu’on le pense, mais on le pense), comment ne pas être seul ? Il faut rêver, créer, aimer. Rêve d’une idée qui s’incarnerait et durerait, d’un groupe d’hommes et de femmes qui la partageraient. Plus jamais seul….

VI. L’Accompagnatrice

Oui les leçons se révisent idéalement sous la lampe du salon et se récitent à la mère. Image exaspérante de banalité. Mais l’enfant pourrait aussi bien les apprendre ailleurs, de même que l’étudiant. Et toujours, la mère n’est pas loin. Même pour l’étudiant parti faire ses études ou sa carrière à Paris, Bordeaux ou Toulouse. Innombrables sont les romans qui mettent en scène l’aventure parisienne et le jugement de la mère qui doit tomber à un moment donné (v. les biographies de Balzac, Le petit Chose de Daudet, ou les lettres à sa mère, de Baudelaire). La mère est partout, même si elle est absente. Que cet accompagnement puisse prendre des formes extrêmes, celle de la mère possessive (Gary), ou de l’indifférence (Léautaud), les conséquences sur l’œuvre demeurent.

Il faudrait parler de la vigilance omnisciente des mères. Prévert se plaisait à opposer ses parents là-dessus : « mon père comme je l’amusais, le fâchais, le décevais et l’intriguais tout à la fois, il m’expliquait, il me disait comment j’étais dans le fond. Ma mère jamais : elle me savait[6] ». Mieux encore, ce petit dialogue de Julien Green et de sa mère qui laissera rêveur plus d’un lecteur :

« Que fais tu ? disait-elle

– Rien, répondait, Julien

– Ne le fais plus[7] ».

Parfois, cette surveillance prend des tours originaux. A l’occasion, la mère se fait auteur : elle écrit à son enfant. Elle ne craint pas d’user de stratagèmes. Tel celui que raconte Niki de Saint-Phalle: « je me rappelle avoir lu dans son journal intime (que je pouvais lire parce qu’elle le laissait sciemment à la portée de tous, qu’elle craignait que je finisse mal[8] ». Ou bien, les deux cent cinquante lettres écrites à l’avance par sa mère, à Romain Gary, et qu’il recevait encore à Londres alors qu’il la savait morte depuis trois ans[9]. Ou encore George Sand bourrant ses commodes de manuscrits à publier après sa mort afin de préserver ses enfants du besoin, et pour leur rester présente.

Pour certains, ces forces de l’esprit maternel demeurent après la mort, même sans stratagèmes. Plusieurs auteurs l’ont éprouvé. Jean-Marie Rouart : « ma mère en me quittant dans son apparence réelle s’est glissée en moi et je sens sa présence. Il n’est pas un instant que j’y pense ou non, que je ne ressente cette impression qu’elle est non seulement là, mais qu’elle s’est tissée dans les fibres de mon être[10] ». Hector Biancotti, encore plus explicite relève que même si l’enfant révolté décide de rompre le fameux cordon, « on ne quitte jamais tout à fait une mère, on s’en va, on s’en éloigne, on se sent délivré, affranchi, exempt. Et un beau jour, à cause d’un rien, vous découvrez que vous avez un fil à la patte qui vous relie à elle, à la mère. Quelle abomination la nature. On ne peut haïr définitivement une mère[11] ».

VII. Ambitions croisées

Ce que recouvre l’ambition des parents pour leur enfant, désir d’une situation, projection de leurs propres ambitions non réalisées, nombre de livres de psychologie en traitent abondamment. Mais, contrairement à ce qu’affirme l’opinion commune, ne serait-ce pas là, simplement l’éducation due à l’enfant ? De sorte que l’ambition deviendrait alors la norme : « tu seras un homme mon fils »…

Reste que les voies de l’ambition sont parfois imprévisibles, voire paradoxales, lorsqu’elles passent par la séparation :

Le sanatorium, « j’ai sept ans. Elle m’emmène à Dieulefit, pour me laisser dans une maison de repos. Quatre moi sans elle. C’est dur, beaucoup plus douloureux que cette maladie des bronches qui me poignarde de temps à autre – infiniment moins que l’absence, l’éloignement de ceux que j’aime[12] ».

L’internat à neuf ans, pour d’autres. Les livres sont pleins de récits d’internat, leur grande solitude, comment les mères peuvent-elles se résigner de la sorte ? Ce renoncement « pour le bien » de l’enfant, n’est-il pas preuve d’amour, volonté d’accepter la séparation si elle doit permettre à l’enfant d’acquérir plus vite les clés du monde ?

L’internat encore, et cette volonté que le petit Maurice soit inscrit avec deux ans d’avance sur son âge. Il aura le baccalauréat à seize ans.

Quel parent n’a pas d’ambition pour son enfant ? Mais elle en a plus que les autres. Différente en tout cas, les études sont sacrées, surtout si la mère est enseignante… Non pas sacrées, incontournables, naturelles : « Tu seras enseignant mon fils »…

Violence faite à l’enfant, oubli de son épanouissement personnel ? On ne saurait dire. L’enfant, lui, sait peut-être. Comme si la grande tradition des familles aristocrates et bourgeoises aux XVII et XVIIIe siècles n’avait jamais cessé. Elisabeth Badinter rappelle qu’à cette époque, l’éducation de l’enfant « suit a peu près toujours le même rituel, ponctué par trois phases différentes : la mise en nourrice, le retour à la maison, puis le départ au couvent ou en pension[13] ». Et encore sur les cinq ou six ans que l’enfant passait avec sa famille, il était livré à l’autorité des gouvernantes et percepteurs[14]. Ceci rejoint le grand débat sur la question de savoir s’il faut, ou pas, donner le sein à son enfant, plutôt que de le confier à une nourrice[15].

Poussons plus loin, l’ambition ne traduirait-elle pas une certaine dose d’insatisfaction par rapport à la vie ? La vie est ailleurs (Kundera). Même sans insatisfaction, effet de miroir idéalisé renvoyé par les deux protagonistes.

La mère de Maupassant, décidant que Flaubert ami de son frère décédé en deviendrait l’oncle, le parrain pour ne pas dire le père littéraire de son fils qui serait romancier (elle réussit sur les deux points). La mère de Romain Gary décidant que son fils sera ambassadeur, héros et grand écrivain (triple succès). Mères qui décidaient d’être mères de romancier, d’ambassadeur ou de professeur. Mères qui rêvaient d’une autre vie pour elles, pour leur fils, on ne sait au juste.

Le fils devient alors l’homme que la mère a rêvé. Mais quel homme au juste ? Ce grand provocateur qu’est Philippe Sollers dit quelque part que par le fils, la mère veut remplacer et effacer, non le père de l’enfant (laissons Œdipe tranquille, pour cette fois-ci), mais son propre père à elle. Piste intéressante qui demanderait à être vérifiée…

Mieux même à l’occasion, le fils libère, venge sa mère. Maints passages de Romain Gary en témoignent. Il faudrait relire Marcel Pagnol : tout le monde connaît le final du Château de ma mère, la grosse pierre brisant, trente ans plus tard, la porte du fond du parc du château de la Busine, la porte ouvrant sur le canal. Vengeance, en réalité le mot n’est pas bien choisi. On tâtonne, disons que c’est comme si l’enfant, devenu adulte, avait enfin réalisé son ambition première : protéger sa mère. Il faut réparer, arranger, compenser tout ce qu’on ne pouvait à l’époque. Réparer des maisons, réparer des affronts. Comme cette ultime lettre de Simenon, lettre post-mortem :« ce qui m’a fait le plus plaisir c’est de savoir qu’après ma visite à Liège… les autorités, du maire au gouverneur, non seulement t’ont invitée à toutes les cérémonies et diners officiels, mais qu’ils envoyaient des voitures pour te prendre[16] ».

VIII. Ecrire, écrire, peu importe le sujet, pour réunir…

Mystère, pudeur, égoïsme ? On ne connaît pas une œuvre qui sache exprimer ce qu’il entre dans l’amour de son fils pour sa mère. L’essentiel des œuvres crient la perte de la mère, le manque. Rares sont celles qui parviennent à dire qui était la mère. Certains auteurs le reconnaissent, tels Georges Simenon, pourtant qualifié pour camper un personnage : « nous sommes deux à nous regarder : tu m’as mis au monde, je suis sorti de ton ventre tu m’as donné mon premier lait et pourtant, je ne te connais pas plus que tu ne me connais … vois-tu ma mère, tu es un des êtres les plus complexes que j’aie rencontrés[17] ». Le fils ne sait pas qui était sa mère, et, difficulté supplémentaire, il paraît désarmé pour comprendre son propre sentiment : « l’amour du fils pour la mère ne sait comment se dire. Quels mots choisir pour exprimer l’infinie affection pour celle avec qui il aura fait le plus long chemin[18] ». Il y a là un point aveugle, un défi, des non dits, à dire et à écrire.

Ceci explique que pour certains auteurs, l’écriture elle-même, quel qu’en soit le sujet, ne serait au mieux que le prolongement de leur relation avec leur mère. Non seulement, l’écriture qui la prend pour sujet (Cohen, Pagnol, Gary), mais en réalité n’importe quelle écriture : « avec des mots, peut-on remplir les vides que l’on a laissé derrière soi, les blancs de la mélancolie, les étonnants remords auxquels on ne peut rien… Il y a dans sa vie un grand matin de silence et d’absence[19] ». Même si les pages d’écritures ne sont pas consacrées à la mère, elles en portent encore la marque, parfois difficilement discernable, même par le fils : « écrire un peu pour elle, puisque j’écris par elle[20] ».

Toujours la même ambiguïté, retrouvée plusieurs fois énoncée sous des formes différentes chez Georges Perec : « j’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l’écriture ». Comme si l’écriture constituait alors tout à la fois prolongement de la mère (ou d’autres êtres aimés désormais disparus), mais son remplacement, car « leur souvenir est mort à l’écriture ; l’écriture est le souvenir de sa mort et l’affirmation de ma vie[21] ». Maurice Hauriou l’a-t-il pensé, l’année de ses vingt-trois ans, et les cinquante années qui suivirent ? Avait-il même besoin de le penser, savait-il d’où lui venait cette énergie qui lui ferait écrire des milliers de pages. Telle pourrait être la théorie des littérateurs, gens fort heureusement trop peu sérieux, pour que les juristes s’en préoccupent.

Un pas de plus, dans ce qui pourra paraître relever d’un délire littéraire : si l’acte d’écrire lui-même reproduisait à l’infini les paroles dites, ou non, à sa mère, se pourrait-il que conçues pour elle, les pensées de l’intellectuel soient en réalité inspirées par elle ? Pour certains écrivains, il n’y a pas de doute : « je pense que ce cercle enfermant le fils avec sa mère à jamais est bien réel, et que chacun de nous, aussi loin qu’il s’en aille, demeure sur ce territoire, ne dépasse pas sa frontière. Le cercle s’élargit, s’élargit, et des rênes invisibles nous retiennent, qu’elles soient tressées ou d’amour et de haine, et même si les mains les ont lâchées. L’amour que la mère porte à sa créature n’a nul besoin d’être aimé en retour ; il nous attend interminablement, et je pense qu’il peut nous être une prison, une torture ; mais quand la mère disparaît, toutes les murailles de Chine s’effondrent[22] ».

Poussons plus loin encore : il est des auteurs qui vont jusqu’à prétendre que l’intellectuel comporterait naturellement une part de féminité, cette part maternelle qui continue à vivre, sous d’autres formes. Pour Christian Bobin, l’auteur serait un merveilleux homme raté qui se rapprocherait de la femme par la même quête de l’invisible : « les jeunes mères ont affaire à l’invisible (l’auteur vient d’expliquer que personne ne voit les trésors d’attention prodigués à l’enfant)… L’homme ignore ce qui se passe. C’est même sa fonction, à l’homme de ne rien voir de l’invisible. Ceux parmi les hommes qui voient quand même, ils en deviennent un peu étranges. Mystiques, poètes ou bien rien ? Déchus de leur condition. Ils deviennent comme des femmes : voués à l’amour infini[23] ».

Alors Maurice, cette spiritualité, cette poésie, cette quête de l’invisible, de l’idée, cet amour infini, si on le trouvait dans tes œuvres, ne révèleraient-ils pas cette part de féminité ? Comme un prolongement d’une sensibilité enfantine venue d’on ne sait où ? Quand tu regardes ainsi, par-dessus ton épaule (le fameux regard oblique), n’espères-tu jamais, une fois encore, obtenir son approbation ?

Bien entendu, tu ne le reconnaîtras jamais. Romain Gary lui y était parvenu, rentré couvert d’honneurs à Paris, il écrivait ceci : « mes amis prétendent que j’ai parfois l’étrange habitude de m’arrêter dans la rue, de lever les yeux à la lumière et de rester ainsi un bon moment en prenant un air avantageux, comme si je cherchais à plaire à quelqu’un[24] ».

Tiens pour te consoler, te dire que tu n’es pas tout seul, un petit cadeau de l’ami Perec : écrire c’est une « alternative sans fin entre la sincérité d’une parole à trouver et l’artifice d’une écriture exclusivement préoccupée de dresser ses remparts[25] ».

Toute une épistémologie, la tienne, la sienne, la nôtre…


[1] Delerm Marthe et Philippe, Le miroir de ma mère, Ed. du Rocher, 1998, p. 9

[2] Selon le site : http://siprojuris.symogih.org/siprojuris/enseignant/56873.

On y trouvera également les informations suivantes sur « Hauriou, Maurice, Jean, Claude, Eugène 1856 – 1929, profession du père : notaire, installé à Deviat en 1856. Père : Laurent, Jules Hauriou, né à Cressac (Charente) le 19 avril 1827, fils de Pierre Hauriou, propriétaire (tant au moment de la naissance qu’au moment du mariage de son fils). Mère : Marie, Eugénie, Trouiller, née à Ladiville le 25 février 1836, décédée à Deviat le 6 avril 1879, fille de Jean, Benjamin Trouiller, maire de Ladiville en 1856, propriétaire. Mariage des parents à Ladiville le 16 avril 1855. Une soeur Catherine, Louise, Edmée, née à Ladiville le 17 janvier 1859, elle épouse en 1887 Jean Malet, professeur à l’Ecole vétérinaire de Toulouse. Identité du conjoint : Andrieux, Marie – Date et lieu de naissance : 28 juin 1872 (Blanzac-Porcheresse (Charente)). Six enfants, dont André Hauriou, professeur de droit ».

[3] Proust Marcel, Contre Sainte-Beuve, Gallimard, Coll. Idées, 1954, p. 169.

[4] Voir la grande thèse de « l’amour en plus » d’Elisabeth Badinter ou plus largement le travail de Françoise Dolto.

[5] Cyrulnik B., Un merveilleux malheur, Odile Jacob, 1999.

[6] Prévert Jacques, « Choses et autres » in Toi ma mère, Albin Michel, 2006, p. 291.

[7] Cité par Franz-Olivier Giesbert, Dieu, ma mère et moi, Ed. France Loisirs, 2012, p. 19.

[8] Niki de Saint-Phalle in Toi ma mère, op. cit., p. 268.

[9] Gary Romain, La promesse de l’aube, Gallimard, Folio, p. 368.

[10] Rouart Jean-Marie, « Une jeunesse à l’ombre de la lumière », cité in Toi ma mère, op. cit., p. 227.

[11] Bianciotti Hector, Toi ma mère, op. cit., p. 173.

[12] Delerm Marthe et Philippe, Le miroir de ma mère, Ed. du Rocher, 1998, p. 88.

[13] Badinter Elisabeth, L’amour en plus, Le livre de poche, 1982, p. 150.

[14] Idem, p. 161

[15] Idem, p. 233 et s.

[16] Simenon Georges in Toi ma mère, op. cit. p. 239.

[17] Simenon Georges in Toi ma mère, op. cit., p. 245.

[18] Simon Yves in Toi ma mère, op. cit., p. 251.

[19] Delerm Marthe et Philippe, op. cit., p. 9

[20] Ibid.

[21] Perec Georges in Toi ma mère, op. cit., p. 271.

[22] Bianciotti Hector, « Seules les larmes seront comptées » in Toi ma mère, op. cit., p. 174.

[23] Bobin Christian, « La part manquante » in Toi ma mère, op. cit., p. 138.

[24] Gary Romain, La promesse de l’aube, Gallimard, Folio, p. 391.

[25] Perec Georges, op. cit., p. 277.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Dictionnaire amoureux du Clud !

Voici la 3e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 2e livre de nos Editions dans la collection « Académique » : un dictionnaire amoureux du Collectif L’Unité du Droit (Clud) !

Volume II :
Voyages en Unité(s) juridique(s)
pour les dix années du Collectif l’Unité du Droit

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina & Morgan Sweeney
Fabrice Gréau, Josépha Dirringer & Benjamin Ricou)

– Nombre de pages : 392
– Sortie : juillet 2015
– Prix : 69 €

  • ISBN / EAN : 979-10-92684-09-4 / 9791092684094
  • ISSN : 2262-8630

Dictionnaire amoureux  
du Collectif L’Unité du Droit

Dictionnaire réalisé par vingt-et-un membres du Collectif L’Unité du Droit,
le 14 mars 2015, afin de célébrer les 11 années du Clud.

Extraits du site Internet de l’Association
(dir. Sweeney Morgan & Touzeil-Divina Mathieu)
(www.unitedudroit.org ; mars 2015).

Les Présidents du Collectif L’Unité du Droit remercient les vingt-et-un auteurs
du présent dictionnaire amoureux :

Sabrina Alzais (SA), Benjamin Belhadj (BB), Magali Bouteille-Brigant (Mbb), Sébastien Brameret (SB), Thibault Cado (TC), Flavien Croisard (FC), Frédéric Davansant (FD), Josepha Dirringer (JD), Mélina Elshoud (ME), Juliette Gaté (JG), Antonin Gelblat (AG), Max Gemberling (MG), Sara Haidoune-Gasnot (Shg), Hélène Hoepffner (HH), Maxime Meyer (MM), Gérard Pitti (GP), Benjamin Ricou (BR), Catherine Roche (CR), Charikleia Vlachou (CV), Morgan Sweeney (MS) & Mathieu Touzeil-Divina (Mtd).

Ateliers du Clud

Si pour Proudhon l’atelier devait remplacer le gouvernement, pour le Collectif L’Unité du Droit l’atelier, lieu d’échange(s) et de travaux, est la première structure de l’association. Cette dernière a en effet deux objets : d’abord, il s’agit de permettre et de provoquer l’association d’universitaires et de praticiens persuadés d’une nécessaire collaboration des juristes de droits public et privé (par-delà les frontières académiques) ; objectif qui se matérialise notamment par la publication de manuels, d’essais ou l’organisation de manifestations (notamment des colloques) visant à promouvoir l’Unité du / des Droit(s). En outre, les membres du Collectif sont des hommes et des femmes déterminés à faire progresser le système contemporain d’enseignements du Droit. Ces deux objectifs sont déclinés sous forme d’ateliers thématiques. L’activité de recherche de l’association est ainsi déclinée en différents groupes (ou ateliers) ayant des thématiques qui concernent tant les publicistes que les privatistes : droits des travailleurs (publics et privés), enseignement(s) du Droit (Université), libertés fondamentales, droit(s) de l’environnement, droit(s) du football, Laboratoire Méditerranéen de Droit Public, 24 heures du Droit, Editions L’Epitoge, etc. Logiquement (selon son objet social même), le Clud possède deux ateliers principaux et permanents : Université(s) (enseignement(s) du Droit) & Droit des travailleurs (MS / Mtd).

Butinage(s) juridique(s)

L’un des objectifs du Collectif est de provoquer les rencontres entre spécialistes des différentes branches du Droit, par-delà les frontières académiques et intra-académiques même, pour susciter des recherches nouvelles et stimuler les analyses et prospectives des uns et des autres. A cette occasion, le cludien / la cludienne a l’occasion de butiner d’une étude de spécialiste(s) à une autre avec des thèmes ou des notions et concepts en partage(s). Ces rencontres font alors la sève de la recherche cludienne. Le butinage juridique nous nourrit en effet tous et permet l’enrichissement de chacun(e) par un va-et-vient permanent des spécialistes sollicités.

Le Collectif fuit en ce sens le dogme et réaffirme son Droit à l’échange perpétuel et renouvelé. Ainsi, le Clud est-il également persuadé que le métissage juridique est nécessaire. Pour ce faire, l’association ne se veut pas réservée à une parole sublimée et supposée évangélique ou mandarinale et acquise à des universitaires titulaires et agrégés des Facultés de Droit. Initialement fondée par un doctorant convaincu du service public de l’enseignement et de la recherche prêt à s’y investir, l’association reflète encore, y compris dans ses statuts, un dialogue permanent entre l’ensemble des acteurs volontaires de la communauté juridique (universitaire et praticienne). A cette fin, la Présidence du Collectif est-elle multiple et tend-elle à représenter non seulement la summa divisio public / privé mais encore l’intégration au processus de décision d’une Présidence « étudiante » précisément réservée aux usagers du service public concerné (MS / Mtd).

Colloques / conférences

Les colloques et conférences sont au Collectif l’Unité du Droit ce que le ballon est au foot ou le squelette au cadavre… Le « parler ensemble » et la discussion n’y sont pas de vains mots. Elle en constitue la substantifique moelle. Plus encore qu’un simple échange, les colloques et conférences sont un espace de liberté(s) où chacun doit se sentir libre de parler sans entrave, par-delà les frontières souvent trop rigides érigées entre les champs disciplinaires. On y parle de droit privé, de droit public, d’histoire du droit, bien sûr mais surtout on y parle de vie.

Les « 24 heures du droit » ont ainsi depuis 2011 pu mettre en avant le Droit dans les séries télévisées, le parlement aux écrans, le(s) droit du football… Les conférences Levasseur ont pu abolir les esclavages avec Mme la Garde des Sceaux ou encore être le témoin bavard des Révolutions Arabes. Des sujets parfois arides se sont en définitive avérés très fertiles. Les débats autour de la mort ont été des plus vivants. Ceux consacrés à la dissimulation du visage ont fait tomber les masques…Nul doute que les échanges à venir sur les chansons et costumes à la mode juridique se feront à l’unisson ! (Mbb).

Dix ans ! 

L’année 2014 fut un cru exceptionnel pour le Clud. Le 12 mars, en guise d’apéritif, il s’est offert le Conseil d’Etat pour accueillir la conférence Maurice Hauriou, avant de fêter son anniversaire le lendemain, dans les arcanes de la capitale. Le mois suivant, il organisait les désormais traditionnelles et célébrissimes « 24 Heures du Droit », leur conférant cette année une dimension encore plus magiques dans l’écrin du stade manceau MMArena. Et le millésime décennal ne saurait manquer de longueur, puisqu’il conviait la garde des sceaux Christiane Taubira à l’occasion de la conférence Levasseur sur les abolitions des esclavages. Au mois de mai, il se plaisait à abreuver ses jeunes lecteurs de savoir avec la sortie de la seconde édition du bestseller « Initiation au droit » (dont les droits d’adaptation cinématographique auraient été rachetés par Steven Spielberg !), avant de tenir son université d’été en pays sarthois. L’automne bien entamé, il marquait l’après Toussaint d’un colloque… mortel célébrant la sortie du Traité des nouveaux droits de la mort.

Et comme le Clud est touche à tout, il vous prépare même un best-of, comme un coquetel de ses plus belles réalisations ! (TC).

Etudiant(e)

1. « Etudiante », n.f. : le plus souvent ; « Etudiant », n.m. : de moins en moins ; « Etudiant(e)s », pl. : mode de déplacement préféré. Objet principal de l’attention des membres du Clud et, par extension, des enseignants-chercheurs des Facultés de droit. Ex. : les « 24h du Droit » « combinent trois moments-clefs distincts et réalisés en priorité par et pour les étudiants juristes » (extrait de la présentation desdites « 24h du Droit », www.unitédudroit.org, onglet Colloques, point 2).


2.
Adj. : qualité que trop peu d’étudiant(e)s – au sens premier – arrivent à atteindre au cours de l’année universitaire. Par extension, attitude espérée et encouragée par les enseignants-chercheurs, en début de chaque année. Et souvent démentie durant la période de correction des partiels…


3.
Adj. : qualité que recherchent les membres du Clud, à l’invitation de leur cher(s) Président(s). Ex. : « mes cher(e)s ami(e)s, soyons étudiant(e)s ! » (propos rapportés du pr. Mtd, tenus au balcon de l’hôtel de ville du Mans à une date inconnue) (SB).

Faculté de Droit

What’s the Fac ? La Faculté de Droit est l’ancienne dénomination des nos actuelles Unités de Formation et de Recherche (UFR) de Droit et de science(s) juridique(s).

Toutefois, l’usage a perduré, comme parfois en Droit, et l’on parle encore, dans les Universités de « Facultés de Droit et de leurs doyens » (à l’instar des doyens Brameret, Foucart et Bricou) plutôt que d’UFR et de leurs directeurs.

La Fac’ de Droit (ainsi plus communément appelée par ses pratiquants) constitue le lieu de vie(s) et d’étude(s) du Collectif L’Unité du Droit qui espère contribuer non seulement à sa bonne santé mais surtout au perfectionnement de son système d’enseignement.

A la Fac, on apprend le Droit, on le pratique et l’on y reçoit une attestation (un diplôme) reconnaissant ses aptitudes arrachées sinon triomphées des examens. A la Fac se côtoient personnels administratifs, enseignants-chercheurs et étudiants et le Collectif, partant de ce constat simple, affirme – depuis sa création – que ces trois communautés doivent, outre leur cohabitation, échanger et avancer ensemble et non de manières confrontées. La Fac’ de Droit ne doit effectivement pas être qu’un lieu de passage, elle est une étape et parfois une transformation dans la vie des citoyens juristes et elle se doit de s’ouvrir aux citoyens non inscrits à l’Université. La Faculté de Droit n’est donc pas qu’un bâtiment austère et le Collectif essaie, par ses membres, d’en vivifier et parfois d’en bouger un peu les murs. Par ses manifestations (colloques, publications, ateliers, journées d’études, ouvrages, etc.), le Clud met ainsi ses moyens au profit du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche et de sa promotion. Il se bat pour lui et pour son amélioration. Il recherche constamment (critique et propose) tout ce qui pourrait être fait pour que le système d’enseignement du Droit se perfectionne et ce, au profit de tous les membres de la communauté universitaire (enseignants-chercheurs, usagers et personnels administratifs).

L’association est ainsi profondément attachée et attentive à l’enseignement juridique au sein des Facultés devenues UFR de Droit et elle a décidé de faire sienne la maxime d’Edouard de Laboulaye selon laquelle : « le professeur est fait pour l’étudiant et non l’étudiant pour le professeur » (Mtd).

Goodies

1. Qu’est-ce qu’un goody et dans quels cas est-il distribué ? Le goody est soit un produit dérivé de film ou de séries télévisées, soit un cadeau destiné à promouvoir une marque, un label ou une société savante telle que le Clud. Parapluies, mugs, clefs USB, stylos, sacs, ballons et bientôt sans doute chargeurs mobiles de téléphones portables : ces cadeaux sont distribués à l’occasion de manifestations scientifiques ou envoyés pour séduire d’éventuels futurs membres de la communauté scientifique.

2. Comment utiliser le goody ? Le goody est destiné à être utilisé au quotidien (pour boire son café, aller faire ses courses ou aller faire cours) pour promouvoir le rayonnement du Clud grâce au logo de cette société savante apposé sur le goody.

3. Quels sont les effets indésirables éventuels ? Les goodies peuvent provoquer une tendance (aigüe) au « collectionnisme ». En cas d’aggravation des symptômes, consultez votre médecin (addictologue). Par ailleurs, il est recommandé de ne pas utiliser les goodies du Clud avec des goodies distribués par d’autres sociétés savantes ou institutions universitaires, les effets actifs des premiers risquant de limiter ceux des seconds.

4. Mise en garde supplémentaire. Il convient d’être particulièrement vigilant face aux imitations et produits génériques en circulation sur le marché. Ceux-ci peuvent provoquer une aggravation des effets indésirables ci-dessus évoqués (HH).

Histoire(s)

Multiple, comme l’indique le (s) cludien de l’occurrence, l’Histoire ose encore s’immiscer aujourd’hui dans les facultés de droit par le truchement de ses divers avatars juridiques : histoire des institutions, histoire du droit privé, histoire du droit public, droit romain…. L’Histoire du droit est donc doublement maltraitée entre les murs desdites facultés. Elle est tout d’abord perçue comme une matière supplétive, ornementale (si, si, vous savez bien, le truc qui sert à meubler les introductions…) et il est déconseillé aux vrais juristes de s’y égarer aux dépens des matières nobles.

Mais surtout, comble de l’outrage cludien, on s’entête à morceler l’Histoire juridique avec la même compartimentation que celle ayant cours dans le droit positif. Avoir soutenu une thèse sur un sujet d’histoire du droit privé d’Ancien Régime par exemple vous disqualifie encore, d’emblée, pour étudier une coutume médiévale ou une question contemporaine d’ordre constitutionnel. Appliquée à l’Histoire, la conception de l’Unité du droit aboutit pourtant à cette surprenante conclusion qu’il est possible d’être à la fois juriste et historien, et de s’intéresser à l’ensemble des sujets présents et passés, sans que le ciel nous tombe sur la tête… (FD).

Initiation (au Droit)

« Nous entrons dans l’avenir à reculons ». C’est pour conjurer cette malédiction de Paul Valery (Variété) que M. le Professeur Touzeil-Divina a orchestré la naissance de « l’introduction encyclopédique aux études et métiers juridiques » (Paris, Lextenso ; 2011 et 2014). De prime abord, les notions juridiques peuvent paraître tout à la fois obscures et inintéressantes. Une première immersion est alors nécessaire. L’initiation au droit, rédigé par de nombreux contributeurs s’efforce d’atteindre un tel objectif. La 2ème édition de 2014, préfacée par Monsieur Jean-Louis Debré, Président du Conseil constitutionnel, est une première visite du terrain juridique.

L’ouvrage se subdivise en trois parties distinctes. Les matières matricielles et dérivées, les disciplines unité du droit et le glossaire des études et des métiers du droit.

La première partie explore des domaines formant les piliers même du droit comme le droit administratif, le droit européen, le droit constitutionnel, l’histoire du droit… La deuxième partie permet de d’observer des disciplines juridiques exotiques en mouvement au-delà des divisions classiques. La dernière partie oriente l’intérêt vers les professions rendues accessibles par le droit. Les auteurs de cet ouvrage montrent que le droit repose sur des très larges concepts qui ne cessent de se mouvoir et d’évoluer de telle manière que certaines matières sortent des formes juridiques usuelles pour donner naissance à de nouvelles branches. Le Droit devient ainsi un organisme vivant qui ne cesse de se transformer pour tendre vers une structure d’équilibre ; y parviendra-t-il ? (MG).

Justice

La Justice, au sens cludien du terme, ne peut se conjuguer qu’au singulier, principe de parallélisme des formes oblige : l’unité de la Justice répond à l’unité du Droit. Malgré la pluralité des juges – constitutionnel, communautaire, européen, administratif et judiciaire –, le dualisme des ordres juridictionnels et la diversité des régimes juridiques applicables, le « dialogue des juges » – si cher aux membres du Clud – permet une convergence de jurisprudences dans des domaines aussi variés que les libertés fondamentales ou le droit du travail / droit de la fonction publique. L’Unité de la Justice reste ainsi préservée. La Justice demeure, toutefois, avant tout une vertu et un dessein à atteindre. Elle ne peut se fonder uniquement sur des sources juridiques formelles et ne se réalise véritablement qu’avec l’imagination. La Justice ne doit pas être seulement la justice rendue par le Droit mais aussi et surtout la Justice rendue et vue par les hommes. N’est-ce pas justement cette imagination que développe le Clud avec l’analyse des rapports entre l’opéra (ouvrage Droit & Opéra), le cinéma (rencontre du Clud avec le cinéaste Costa-Gavras), les médias (rencontre avec les journalistes de Public Sénat) et la littérature avec le Droit ? Sans imagination du Droit, sans imaginaire du juge, la justice ne serait rendue qu’en pointillés – mais ce ne serait point la Justice (GP).

Kakémono

Le kakemono ou kakémono est originellement une calligraphie accrochée ou suspendue à un mur. Il est par suite devenu un support publicitaire – pour les entreprises – ou de communication – pour les associations comme le Clud. Par extension, il désigne donc désormais tout panneau en général étroit, suspendu ou autoporté voire déroulable. Ce support a alors le grand avantage d’être maniable et de pouvoir véhiculer, en tous lieux, des éléments de communication comme le fameux logo du Clud ou la silhouette, désormais célèbre grâce à un kakémono dressé devant les conférenciers, de René Levasseur lors de toutes les conférences éponymes. En outre, la finition du kakémono permet de créer des effets d’optique qui permettent de le voir distinctement de prêt ou même de loin. Ainsi, pour le colloque de restitution du Traité des droits de la mort, on pouvait voir un kakémono composé de sépultures, elles mêmes composant une seule grande tombe. Au même titre que’avec leurs célèbres goodies, le Clud a toujours voulu (par le biais de leur(s) site(s) Internet également) communiquer et partager : leurs kakémonos en ont été de fiers représentants : présents à chaque importante manifestation du Collectif, ils en rythment la vie et offrent – sur les photographies – un sentiment de continuité (FC).

L’Epitoge

Rouge, vert, noir, violet. Une association de couleurs qui ferait hurler Cristina C. Elle est néanmoins le témoin de ce qu’en dix années, le Collectif L’Unité du Droit a beaucoup grandi. Il fallait en effet pas moins de quatre couleurs pour identifier les quatre collections regroupées par les éditions propres au Collectif : « Unité du Droit », « Revue Méditerranéenne de Droit Public », « Histoire(s) du Droit », « Académique ». La vingtaine d’ouvrages publiés par les Editions L’Epitoge, depuis leur création en 2012 en partenariat avec les Editions Lextenso, atteste de la richesse des membres du Collectif. De l’ouvrage Droits du travail et des fonctions publiques : Unité(s) du Droit au Traité des nouveaux droits de la Mort, la « voix officielle » du Clud résonne en transcendant les frontières académiques. Le catalogue, déjà bien nourri, a évidemment vocation à s’agrandir. Alors à vos plumes ! (BR).

Méditerranée(s)

La Méditerranée est, d’abord, une mer – ou plutôt la « mer au milieu des terres » (« mare medi terra ») – située entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Elle est, ensuite, un espace d’échanges économiques et surtout culturels ayant marqué la physionomie de la civilisation occidentale. Pour les objectifs du Clud, la Méditerranée est, surtout, un espace pertinent pour faire du droit public comparé au sein de l’atelier indépendant « Laboratoire Méditerranéen de Droit Public » (Lm-Dp). Créé en 2012 et basé sur un noyau dur de six pays désormais (France, Espagne, Grèce, Italie, Maroc, Tunisie), le Lm-Dp a en effet vocation à embrasser du bassin méditerranéen comme en témoigne son expansion récente en Grèce. Son objectif est de « comparer les comparaisons » afin de dresser, dans un premier temps, un état des lieux des droits publics autour de la Méditerranée et de proposer, à terme, le premier Traité méditerranéen de droit public. Ses premières réalisations en termes de colloques scientifiques (« Constitution(s) et Printemps arabe(s) » (2011), « Droits des femmes & révolutions arabes (2012), « Justice(s) constitutionnelle(s) en Méditerranée » (2015)) et de publications (« Eléments bibliographiques de droit public Méditerranéen » (2013) et colloque (précité) sur les droits des femmes (2013)) ainsi que ses projets courant 2015-2016 (« Influences et Confluences constitutionnelles en Méditerranée », colloque sur le sujet : « Existe-t-il un droit public méditerranéen ? L’exemple des droits fondamentaux ») ne sont que le début d’un beau voyage (CV).

Novation

Elle pourrait être le leitmotiv de la cludienne et du cludien. Certain(e)s investissent des champs de recherches audacieux : de l’opéra aux séries télévisées, on s’empare autant de la crème des bien-pensants que des paroxysmes de la bêtise. Sans complexe(s). D’autres innovent sur des terrains empestant la naphtaline – le Traité des nouveaux droits de la mort – jusqu’à oser dépoussiérer Duguit et Hauriou, ceux dont on pensait n’avoir plus rien à apprendre. Et pourtant ! La novation n’est pas que re-naissance, elle est aussi naissance. Le droit du football peut alors naitre, paraitre aussi, aux éditions l’Epitoge bien entendu. Qu’à cela ne tienne, les juristes aussi sont des supporters. D’autres préféreront supporter les droits des femmes, à bout de bras et difficilement tant le terrain est miné – révolution arabe oblige : terrain maintes fois exploré mais jamais essoufflé. Heureusement d’ailleurs. Certains s’arrogent même le droit d’étudier des objets non identifiés ou du moins dématérialisés – la communication électronique pour ne pas la citer – d’autres déterritorialisés – brandissant un droit à l’évasion … circulaire… Au demeurant, qu’il soit fragmenté ou unifié, le droit est partout.

C’est bien de cela dont il s’agit au sein du Collectif de l’Unité du droit : des membres unis – sans unanimisme non plus – autour d’une expression libérée du droit, des droits, sur le droit… Bref, un collectif dans l’air du temps ! Et si d’aucuns y perçoivent de la novlangue, alors, elle n’est au Clud qu’un moyen de briser les limites de la pensée – juridique du moins (SA).

Objet social

Contrairement à ce que d’aucuns pourraient dire, l’objet du Clud n’est pas d’organiser des coquetels ou des réceptions annuelles au Conseil d’Etat ou au Conseil constitutionnel (voire à la Cour de cassation ?). L’association vise plus modestement à réunir des juristes, universitaires ou non, spécialisés en droit public ou en droit privé (ou en histoire, etc.) afin d’échanger et de travailler ensemble. Au-delà de la partition juridictionnelle et de la scission académique, le Clud vise à susciter les recherches et les réflexions sur ce qui fait l’unité de ses travaux. L’association connaît un second axe, tourné spécifiquement vers l’université : réfléchir sur de nouvelles manières d’enseigner le Droit, élaborer de nouvelles méthodes pédagogiques et de nouveaux exercices plus didactiques. Le Clud vise également à ouvrir l’université à la société en suscitant des débats au-delà du seul public estudiantin (MS).

Pinardière

« Maison de charme du XIXe avec poutres apparentes et cheminées anciennes, située dans un cadre verdoyant et reposant, au coeur de la campagne sarthoise ». Au départ, La Pinardière c’est ce gîte locatif avec piscine situé sur la petite – toute petite – commune d’Amné, qui a emporté nos suffrages pour recevoir la 1ère « Université d’été du Clud ».

Trois jours et trois nuits d’un mois de juillet 2014 ont alors fait de La Pinardière – et de l’Université d’été dont elle n’est finalement que la matérialisation – une nouvelle institution cludienne. Si le succès de toute Université d’été dépend bien de la capacité des organisateurs à proposer le cadre accueillant et convivial – à l’image du temps estival – qui suscitera les réflexions et discussions des conviés, alors pour cette 1ère édition, le pari semble gagné. L’Université d’été du Clud a rassemblé de nombreux militants de l’Unité du Droit, juristes et amis de juristes qui, toutes générations confondues, sont convaincus de la nécessité de (re)créer du lien entre les acteurs et entre les branches du Droit. Au fil d’assemblées, d’ateliers de travail et de pique-niques champêtres, tous ont pris plaisir à partager expériences et opinions, et à revenir ensemble sur dix années de constructions. Les conseils, les photos et les oliviers se maintiendront bien après juillet, et questionneront dès la rentrée : même loin de la Pinardière, comme nouvelle(s) occasion(s) de butinage(s) juridique(s), le Clud pourra-t-il se passer demain d’Université(s) d’été ? (ME).

Quizz juridique

Il existe des jeux et des quizz juridiques destinés à faire réviser le Droit de façon ludique aux étudiants depuis que le Clud a été créé et ce, en 2004. Dès cette époque, à Poitiers puis à Nanterre, à Paris II et enfin au Mans, sous la houlette des présidents Touzeil-Divina & Sweeney, le Clud a cherché à donner vie à l’idée d’Unité du Droit. Telle est également l’ambition – toujours satisfaite – du Jeu de l’Unité du Droit autrement qualifié (aux « 24 heures du Droit » désormais chaque année) du jeu « Qui veux gagner des Foucart ? ». C’est ainsi que nous pouvons retrouver des quizz juridiques inspirés de jeux de plateau et télévisés, pour l’occasion revisités, tels que les désormais célèbres « Juridical Pursuit », « Mimes-Kelsen », « Le juriste faible », « Qui veut gagner des Duguit ? » et le redoutable « Question pour un juriste ». En 2015, en écho fidèle à la thématique annuelle, cet ordre viendra compléter cette fresque : « N’oubliez pas les paroles juridiques » !

Cet étonnant tableau personnifie remarquablement l’Unité du droit dans une triple dimension. Dimension scientifique d’abord, en ce qu’aucune branche du droit ne sera épargnée aux candidats : droit public et privé, international et interne, positif et historique ; le tout complété par des éléments de culture(s) générale, linguistique et même humoristique. Dimension humaine ensuite, alors que le jeu réunit des étudiants de tout niveau (de la première année de Licence au Doctorat) qui seront jugés par des enseignants-chercheurs parés de leurs atours académiques. Dimension géographique enfin, dans la mesure où cet événement à la fois ludique et savant réunit dans le lieu – quel autre ? – du savoir qu’est l’Université des équipes de toutes la France depuis la deuxième édition. Du local au national, un jour – rêvons-en – du national au global ? (MM).

Recour(s) contentieux

Recours contentieux … l’article aurait tout aussi bien pu avoir pour entrée « action militante ». L’unité du droit n’est pas simplement celle du droit public et du droit privé que les membres du Clud contemplent et promeuvent. Pour certains d’entre eux, l’unité du droit se situe dans l’affirmation du droit comme fait social. Il arrive en effet que le droit saisisse le juriste, en tant que travailleur et en tant que citoyen. En retour, le juriste se saisit aussi de lui.

Il ne s’agit plus alors d’un objet de savoir, ni non plus d’un outil de travail, mais un moyen d’action.

Le Clud a su s’engager et se lancer dans l’arène contentieuse. Il a milité contre la réforme Lru et, doit-on s’en étonner, une de ses armes fut le droit. Le recours contre le décret instituant un nouveau contrat doctoral a certes été rejeté par le Conseil d’Etat, mais ce dernier n’en a pas moins décidé d’appliquer, pour la première fois, les conventions Oit aux agents publics. Ainsi l’unité du droit se voit-elle réalisée par le droit lui-même ? Les recours contentieux auxquels a participé le Clud montrent aussi que l’unité du droit n’est pas une fin en soi. Ce qu’il faut retenir, c’est bien plus l’unité des droits sociaux fondamentaux, et ce qu’il faut viser, c’est l’égalité des travailleurs, qu’ils soient salariés ou agents publics, voire, si l’on se laisse un peu à rêver, une plus grande solidarité entre eux (JD).

« S » cludien

Le « S » cludien ou S entre parenthèses ( « (s) » ) est une technique rédactionnelle très prisée des cludistes alors même qu’il fait l’objet de vives critiques de linguistes intransigeants lui reprochant d’alourdir la phrase dans laquelle il s’insère, de ralentir la lecture et d’obscurcir le message.

Nonobstant, le « S » cludien présente l’immense avantage de laisser ouverte la question de l’unité ou de la pluralité d’une notion, d’un régime juridique, d’une branche du Droit ou du Droit dans son ensemble. Une telle problématique peut donc être suggérée à travers le titre d’une manifestation scientifique ou d’un ouvrage, sans avoir à préjuger de la réponse à y apporter. Le « S » cludien élargit donc le champ des possibles. On parlera ainsi au Clud « de(s) unité(s) du (des) Droits », « d’université(s) », « d’histoire(s) » ou encore « de(s) droit(s) du travail ou du football ».

Cependant, le « S » cludien n’est pas toujours disponible et se heurte, à l’occasion, au pluriel irrégulier, alors honni par le cludiste. Exemple : Ne dites pas « Cette définition était aisée à rédiger » mais plutôt « J’ai écrit cette définition le(s) doigt(s) dans le Clud » (AG).

Travailleur(s) / travailleuse(s)

L’un des axes premiers d’études du Clud a été (et est encore) la congruence ou la confluence entre les droits du travail et celui des fonctions publiques. Sur le fond, de plus en plus de règles sont en effet communes aux salariés, travailleurs de droit dit commun et aux agents des fonctions publiques. Il apparaît nettement que les deux corps de règles s’influencent et se stimulent réciproquement.

On notera cependant que l’expression de « droit des travailleurs » ici prônée pour traiter de toutes les relations de travail (de droit privé comme de droit public) est encore rarement utilisée en doctrine. Le droit du travail applicable aux salariés de droit privé et le droit des fonctions publiques auquel sont soumis les fonctionnaires et autres agents ont en commun d’encadrer une relation de pouvoir. Ils sont assujettis à un lien de subordination qui suppose le respect du pouvoir hiérarchique et du pouvoir de direction. En outre, l’employeur, privé comme public, exerce un pouvoir de contrôle sur la prestation de travail et peut, le cas échéant, sanctionner le travailleur fautif. La subordination permet à l’employeur d’assurer la direction du travail et de coordonner les travailleurs entre eux afin de permettre la réalisation de la finalité de l’organisation : assurer un service public aux usagers, produire un bien, fournir un service, etc. Réciproquement, le droit des travailleurs vise à encadrer l’exercice du pouvoir par l’employeur, afin que celui-ci ne soit pas arbitraire. Le droit des travailleurs dans un même mouvement légitime le pouvoir de l’employeur et protège les travailleurs.

Le Clud, par la rencontre initiale de ses Présidents fondateurs, en a fait l’un de ses objets premiers d’analyse. En résultent, matériellement, un atelier permanent, des actes de colloques ainsi qu’un projet de manuel ou de traité de droit des travailleurs (MS / Mtd).

Unité(s) du droit

L’Unité du Droit n’est pas un dogme. Le Clud est même convaincu qu’en tout endroit où une société d’êtres humains s’est constituée, il y a eu du / des droit(s) (Ubi societas, ibi jus). Nous affirmons de surcroît que si par « droit » (objectif ou même subjectif) on entend un corps de règles et parfois même de normes impératives, force est de constater que toutes les règles juridiques (quelle que soit leur qualification académique de droit privé, public ou autre) ont ceci de commun (d’où la référence à l’Unité) : il s’agit de composantes normatives destinées à régir les activités humaines. « L’objet du droit, c’est l’homme » affirmait déjà un certain doyen Foucart et l’on ne peut, croyons-nous, que partager ce constat des caractères normatifs et sociétaux de toutes les règles de Droit (d’où, là encore, une forme même primaire d’Unité).

Public ou privé, pénal ou international, malgré la diversité des règles et des applications, malgré la « multitude », il s’agit toujours et encore de Droit(s). En outre, ces règles comportent peut-être plus de points communs que leurs différences ne les laissent paraître.

Il existe vraisemblablement alors, selon les mots pertinemment choisis du Conseiller d’Etat Aguila une « grammaire commune » entre les droits (public et privé notamment). Ce sont alors à nos yeux les frontières et les classifications académiques qui sont à repenser car elles nous habituent à considérer le Droit (en son sens objectif et normatif) en tant que droits au pluriel, sans majuscules, et de plus en plus subjectivés (particulièrement en France). De surcroît, « le » Droit et son Unité ne doivent pas être confondus avec l’idée même de Justice ou d’Egalité de jugement qui correspondent à l’application humaine et diversifiée du Droit et non aux règles juridiques proprement dites. Enfin, l’Unité du Droit n’est en rien assimilable à son unicité. Le droit n’est pas « unique » et « uniforme » mais possède de multiples facettes ou visages ce qui rend malaisé sa compréhension. En effet, à regarder a priori et dans l’immédiateté le(s) Droit(s), ce n’est pas l’Unité qui s’impose mais bien la diversité sinon parfois le capharnaüm. Mais l’Unité n’est – redisons-le – pas synonyme d’unicité et – sauf erreur – personne parmi les tenants ou promoteurs de la notion d’Unité du Droit (pas même le Clud !) n’appelle à la réduction de toutes les branches et / ou spécificités juridiques en une seule et unique forme de règles. L’Unité n’empêche en rien la diversité (MS / Mtd).

24 heures du Droit

Temps fort(s) de la vie du Clud, les 24 heures du Droit trouvent logiquement leur place dans le paysage local de l’Université du Maine (Le Mans), dynamisé par les célèbres 24 Heures du Mans.

Si d’emblée l’événement revêt un esprit de compétition, il n’en reste pas moins un moment convivial ouvert à tous (juristes ou non) et poursuit l’objectif d’unité du Droit qui est cher au Clud. Présentant des thèmes artistique, juridiques, ludiques et novateurs, les 24 heures du Droit se veulent dans un premier temps scientifiques, au travers des colloques qui bénéficient de différentes communications de chercheurs, d’universitaires et de praticiens. Tous les intervenants ne sont cependant pas juristes, mais offrent un point de vue précieux pour aborder les thématiques retenues ; telle est la richesse de l’événement.

Les 24 heures du Droit sont aussi l’occasion pour les étudiants de s’affronter dans une ambiance décomplexée. Au travers du jeu, les équipes représentant différentes universités, s’appuient sur les connaissances de chacun pour espérer remporter la victoire.

Enfin, les 24 heures du Droit sont également un temps de fête, qui s’exprime au travers d’un Gala. C’est l’occasion pour tous les participants de se retrouver afin de prolonger les festivités et pouvoir échanger dans un cadre élégant et raffiné. Si la course originale éprouve l’endurance des pilotes, les 24 heures du Droit éprouveront également l’endurance des participants en récompensant ceux qui tiendront jusqu’au bout de la nuit… (BB).

Web

Etait-ce bien sérieux ? Créer un site web pour les juristes ?! En 2004 ? Et en plus sur un sujet relevant de la science fiction, l’Unité du droit ? Mais après une période « belle au bois dormant » c’est devenu du sérieux : les Cahiers du l’Unité du droit publiés en ligne, ça c’est du sérieux, les publications de l’Epitoge et les journées d’étude tout autant : ça paraît même être devenu trop sérieux.

Mais les apparences sont parfois trompeuses (ainsi si on tape le nom du Clud dans un certain moteur de recherches on tombe sur « Collectif l’Unité du droit – boîte de nuit » ou en version anglaise [parce que le cludiste est polyglotte « night-club], preuve qu’on sait toujours s’amuser au Clud). Le site web a comme l’association pris en maturité et en sérieux : encore plus sérieux qu’avant sur le fond, et un peu plus sur la forme. Il s’est étoffé aussi (ce qui comme chacun sait est un signe de maturité), il est devenu encore plus beau (comme ses membres) et tout ça c’est du sérieux ! (CR).

Genre XY

Le genre peut être entendu comme une nouvelle compréhension du mot « sexe », celui-ci ne renvoyant plus seulement à une notion strictement biologique, mâle ou femelle, mais à une notion sociopolitique traitant du féminin et du masculin et de ce que, dans un certain contexte culturel, on y associe. Il s’agit donc de démêler la nature de la culture, juridique notamment. Les travaux récents du Clud ont ainsi, par exemple, permis de montrer qu’être révolutionnaire ou fan de football pouvait être le propre du sexe féminin (« Droits des femmes et révolutions arabes », J. GatÉ, Revue Méditerranéenne de droit public, 2013 ; « Droits du football », M. Touzeil-Divina, 2014) à l’encontre des idées reçues, notamment dans les médias (« Le féminisme au prisme des séries télévisées », J. GatÉ, in Séries télévisées et idées politiques, Dir. M. Touzeil Divina, 2013).

En aucune façon, en revanche, on le comprendra, le genre n’est une théorie mais il peut être un précieux outil d’analyse pour faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes (« Ce que le genre fait au droit », Regine, Dalloz, 2013) (JG).

Z

Z comme Costa-Gravas, réalisateur cinématographique de grande renommée mais aussi comme tous ceux (juristes ou non) célèbres (nationalement ou plus) qui ont accepté de venir à l’un des événements organisés par le Clud (au Conseil d’Etat, au Conseil Constitutionnel, dans de prestigieuses Universités en France ou même en Méditerranée).

Z donc comme Costa-Gavras évidemment (qui nous a fait l’honneur de sa présence et de son soutien) mais aussi comme Christiane Taubira, Garde des Sceaux, comme la chanteuse Francesca Solleville, comme Geneviève Fraisse, comme Guy Carcassonne, comme Robert Badinter, comme Philippe Bilger, comme Jean-Louis DebrÉ, comme Jean-Marc SauvÉ, comme Bernard Stirn, comme de nombreux hommes et femmes politiques ou encore comme Maître Jacques Boedels. Tous sont intervenus dans le cadre des colloques ou conférences du Clud et ont fait partie des conférenciers – non membres du Collectif – ayant participé à un événement organisé par le Clud. Plusieurs personnes, venues ainsi d’horizons différents arrivent à se retrouver autour d’un seul et même sujet. On observe, alors, un Clud déclencheur de rencontre(s) puis d’unité, tant au niveau juridique, qu’au niveau humain.

En rassemblant juristes, économistes, artistes mais aussi – et dans tous les cas – citoyen(ne)s, le Clud permet de montrer une unité, humaine, infaillible autour de notions aussi diverses que le football, les séries télévisées, la mort ou encore l’abolition des esclavages (Shg).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Libres propos sur les prétendues « Ecoles » en droit (par le pr. Millard)

Voici la 38e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 5e livre de nos Editions dans la collection « Académique » :

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume V :
Le(s) droit(s) selon & avec
Jean-Arnaud Mazères

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina
Delphine Espagno, Isabelle Poirot-Mazères
& Julia Schmitz)

– Nombre de pages : 220
– Sortie : novembre 2016
– Prix : 49 €

  • ISBN / EAN : 979-10-92684-19-3 / 9791092684193
  • ISSN : 2262-8630

Présentation :

Un professeur, un maître, un père, un ami, un guide, un modèle, un inspirateur, un trouvère et, à toutes les pages, un regard. Tous ces qualificatifs pour un seul homme, un de ces êtres doués pour le langage, le partage, l’envie de transmettre, le goût de la recherche et de l’analyse, l’amour des livres et de la musique, l’attention aussi aux inquiets et aux fragiles. La générosité de Jean-Arnaud, l’homme aux mille facettes, est aujourd’hui célébrée, à travers le regard de ses amis. Tous ceux qui ont contribué à cet ouvrage ont quelque chose à dire, à écrire, à expliquer aussi, de ce moment où leur trajectoire a été plus claire, parfois s’est infléchie lors d’un cours ou d’un entretien, où leurs doutes ont rencontré non des réponses mais des chemins pour tenter d’y répondre. Chacun a suivi sa voie, chacun aujourd’hui a retrouvé les autres. Cet ouvrage est pour toi Jean-Arnaud ! Cela dit, si tu ne t’appelles pas Jean-Arnaud, toi – lecteur – qui nous tient entre tes mains, tu peux aussi t’intéresser non seulement au professeur Jean-Arnaud Mazères mais encore t’associer aux hommages et aux témoignages qui lui sont ici rendus. L’ouvrage, qui se distingue des Mélanges académiques, est une marque de respect et d’affection que nous souhaitons tous offrir à son dédicataire et ce, pour ses quatre-vingt ans. L’opus est alors bien un témoignage : celui de celles et de ceux qui ont eu la chance un jour de rencontrer le maestro, de partager les moments plus ou moins délicats du passage de l’innocence estudiantine à celui de la vie d’adulte, voire de faire une partie de ce chemin à ses côtés comme collègue et / ou comme ami. Des vies différentes pour chacun d’entre nous, des choix que le professeur Mazères a souvent directement inspirés, influencés, compris, soutenus mais pour nous tous ce bien commun partagé : celui d’avoir été, et d’être toujours, son élève, son ami, son contradicteur parfois. Par ce « cadeau-livre », nous souhaitons faire part de notre affection, du respect et de l’amitié que nous avons à son égard. Bel anniversaire, Monsieur le professeur Jean-Arnaud Mazères !

Ont participé à cet ouvrage (qui a reçu le soutien de Mme Carthe-Mazeres, des professeurs Barbieri, Chevallier, Douchez, Février, Lavialle & Mouton) : Christophe Alonso, Xavier Barella, Jean-Pierre Bel, Xavier Bioy, Delphine Costa, Abdoulaye Coulibaly, Mathieu Doat, Arnaud Duranthon, Delphine Espagno-Abadie, Caroline Foulquier-Expert, Jean-François Giacuzzo, Philippe Jean, Jiangyuan Jiang, Jean-Charles Jobart, Valérie Larrosa, Florian Linditch, Hussein Makki, Wanda Mastor, Eric Millard, Laure Ortiz, Isabelle Poirot-Mazères, Laurent Quessette, Julia Schmitz, Philippe Segur, Bernard Stirn, Sophie Theron & Mathieu Touzeil-Divina.

Ouvrage publié par le Collectif L’Unité du Droit avec le concours de l’Académie de Législation de Toulouse, du Centre de Recherches Administratives (ea 893) de l’Université d’Aix-Marseille et avec le soutien et la complicité de nombreux amis, anciens collègues, étudiants, disciples…

Libres propos
sur les prétendues « Ecoles »
en droit (et un peu en science politique…)

Eric Millard
Professeur de droit public
à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense

Lorsque j’ai rencontré Jean-Arnaud Mazeres (le Jam, comme affectueusement nous le nommions, prononcé djame, comme les mods londoniens qui constituaient davantage la bande son de nos nuits toulousaines que le Schubert qu’il affectionnait), j’étais un étudiant qui apprenait le droit depuis plusieurs années et qui se demandait comment on pouvait perdre autant de temps à apprendre des choses si peu pourvues d’intérêt. Le droit, tel qu’il était enseigné à peu près uniformément au début des années 80 du siècle dernier dans une université française était juste un non sens, au vrai sens du terme. Cela tombait bien car le Jam sous couvert de science administrative tenait un discours critique qui semblait partir d’à peu près le même constat : désert épistémologique, absence d’outils critiques, hermétisme à toute question politique ou sociale sous couvert de technicité. Ce n’est pas peu dire que ses enseignements de science administrative, puis plus tard de droit administratif en Dea m’ont sinon réconcilié avec la matière (à l’impossible nul n’est tenu) du moins incité à creuser pour voir par où et comment saper cette dogmatique juridique. Plus tard bien sûr, nos discussions pendant ma thèse, d’autres rencontres, et un peu mon travail personnel ont permis de construire la posture qui est désormais la mienne. Mais cette rencontre fut décisive, et essentielle.

Philosophie politique, et philosophie des sciences ; sciences juridiques comme sciences sociales ; toutes les questions qui peuvent nourrir une approche un peu distanciée et critique du droit, au nom de l’externalité de la description, ou de l’analyse politique ; toutes les choses que pompeusement on nommait pluridisciplinarité, lorsque le cursus juridique se paraît d’ouverture : méthodes des sciences sociales, sociologie, etc., qui au mieux étaient sérieusement faites et donc n’abordaient guère la question juridique, au pire était un saupoudrage apparemment savant que la dogmatique mobilisait au profit d’une légitimation de son approche conservatrice. Et voilà qu’en science administrative, version Jam, ces questions se confrontaient au droit, à l’Etat, à l’administration, et à bien d’autres choses encore…

La création du Laboratoire des Sciences Sociales du Politique quelques quinze années plus tard, au sein de l’Iep de Toulouse, et autour notamment, côté juristes du moins, d’anciens élèves du Jam, entendait répondre à, outre des questions institutionnelles et biographiques contingentes mais qu’il serait vain de taire, l’idée que des juristes et des spécialistes de science politique, appelés à travailler en commun au sein d’un Institut d’Etudes Politiques, pouvaient et devaient échanger sur leurs objets de recherche, leurs méthodes d’investigation, et que de ces échanges pouvait se dégager une forme de savoir nécessaire : inscrire épistémologiquement la recherche en droit et en sciences politiques dans une conception des sciences sociales dans laquelle le mot sciences n’est pas simplement esthétique ou légitimant. Et cela malgré une histoire de ces disciplines pour le moins compliquée, qui a provoqué une ignorance mutuelle assez radicalisée, et une méfiance.

Il ne m’appartient pas d’évaluer si cette idée avait quelque intérêt, ou si elle a trouvé quelque justification dans l’action et dans les résultats. Je le crois mais je n’entends pas le réaffirmer ni ne peux le démontrer. Je ne suis en vérité pas à l’origine de cette démarche commune : ma route a croisé (avec un plaisir que je ne dissimulerai pas, en raison des amitiés personnelles qui en sont à l’origine) quelques temps celle du Lassp, mais si évidemment le projet dont je viens de tracer à la serpe les contours ne pouvait que me séduire, et faisait écho à ces enseignements que j’ai précédemment évoqués, ce moment partagé ne tenait, comme souvent dans l’université, pas réellement au projet mais une fois de plus à des contingences bureaucratiques, et à des intérêts (institutionnels) communs.

En confrontant ces deux expériences, comme étudiant du Jam, comme chercheur au moment de la mise en forme du Lassp, je réalise que ce que j’ai intuitivement perçu dès le départ au Lassp, et dans d’autres instances dans lesquelles la pluridisciplinarité (à considérer qu’il s’agisse réellement de disciplines, droit et science politique) se trouve de fait convoquée, comme difficulté pratique première, ne me semble toujours pas clarifié, ni même clarifiable : quelle posture adopter pour parler de droit à la fois à des juristes et des politistes, qui échappe aux représentations a priori que s’en font les uns et les autres ? La définition même de l’objet dont je veux parler, qui ici s’étale sur plusieurs années, avec des contacts irréguliers avec plusieurs amis, en témoigne. Je vois que je suis passé, sans que je ne sache trop comment ni pourquoi, d’une lecture de ce que les juristes ont (ou pas) en commun et qui ferait discipline, à la question des écoles et des courants en droit, inscrite dans une réflexion plus large sur la manière de faire preuve en droit et science politique. Il y a dans ce glissement ce que je conçois comme malentendu fondamental, conscient ou non, construit ou non, volontaire ou non, qui ramène les juristes au droit (et réciproquement), et qui établit une frontière stricte entre le regard externe et critique, et l’objet conçu comme discipline, confondu avec le corps disciplinaire. Ce qui justement me faisait fuir lors de mes études, et dont je voyais l’approche du Jam comme réfutation. Là où je voulais poser une question épistémologique : est-ce que le droit fait l’objet d’une construction comme objet de savoir des (et par des) juristes (entendus ici de manière déjà obscure au sens de ceux qui connaissent le droit), supposant une épistémologie minimale commune (et la question ne présuppose pas de réponse positive) ?, apparaît une autre question : quels sont les processus de construction des lieux de pouvoir dans la discipline, et de l’évaluation/validation des discours de connaissance qui y sont produits (une question épistémologique clairement reformulée dans une question des sciences du politique). Ce glissement révèle déjà une difficulté (non une aporie, mais une difficulté) du projet initial : de la présupposée revendication commune d’une épistémologie des sciences sociales dans laquelle s’inscrirait droit et science politique, on passe à la double réduction du droit à un objet et de la science politique à un savoir (critique monopolistique).

Deux stratégies de réaction sont alors envisageables face à cette délimitation du débat, au moins. Je dirais de la première qu’elle est quelque peu épidermique, corporatiste et à proprement parler réactionnaire ; de la seconde qu’elle est offensive et prospective. Il n’y a guère à s’étonner que la première soit plus répandue, plus aisée à mobiliser, mais qu’en même temps elle contienne les éléments pour figer le débat, pour conforter les représentations a priori, et donc pour finalement transformer la difficulté initiale d’un projet du type Lasspien en aporie ; et que la seconde puisse paraître assez utopique tant elle présume un aggiornamento partagé, qui ne paraît guère (actuellement ?) envisageable.

Réaction : Nous les juristes… sommes légitimes à revendiquer une autonomie de nos savoirs.

Prospection : Il n’y a ni juristes ni politistes… dès lors qu’est en jeu la question de l’épistémologie des sciences sociales, au moins sur l’objet droit.

Dans une version préparatoire aux rencontres autour du dixième anniversaire du Lassp, et à partir de laquelle ces lignes ont été conçues, les organisateurs écrivaient : « Certains concepts sont partagés par les disciplines mais restent partiellement indéterminés du fait même de ce nomadisme. De même, certains auteurs et certaines écoles de pensée offrent des cadres d’analyse qui, à défaut d’être pluridisciplinaires peuvent cependant être appropriés et mobilisés mais différemment par plusieurs disciplines des Shs. Car lorsqu’un auteur, un article de référence… sont partagés, ils sont alors généralement lus différemment. Comment dès lors œuvrer à plus d’interdisciplinarité sans velléité hégémonique d’une discipline ou d’une autre ? ». Davantage qu’une réponse dès lors aux questions que j’envisageais ou que l’équipe du Lassp attendait, c’est par rapport à cette forme de problématique que je voudrais me situer, en assumant une forme de libres propos et de subjectivité.

Ecoles, courants, droit, juristes : l’imprécision des mots rendrait en effet ces questions, sans plus de clarification, totalement secondaires. Et si on parvenait à les clarifier, il est probable qu’on les rendrait en grande partie superflues.

Juristes : on se sert communément de ce mot pour désigner au moins deux groupes de personnes, qui ne se superposent pas nécessairement, mais qui ne se séparent pas aisément. Or cette contingence est doublement niée, tant par une revendication d’une autonomie des savoirs des juristes, que par une confusion des juristes et de leur objet.

Pour reprendre une idée assez fondée, on peut parler de droit dès lors qu’apparaît un corps professionnalisé (les juristes) qui développe une méthode spécialisée (un savoir-faire, qui est aussi un discours : une forme d’argumentation, de justification et de décision notamment) avec une certaine effectivité (voir notamment Aldo Schiavone, Ius : L’invention du droit en Occident, Belin, 2009). Le droit est une pratique sociale, et toute autre conception ontologique de l’objet me paraît devoir être repoussée.

Les juristes sont donc, dans ce sens le plus commun, ceux qui participent à cette pratique, qui la mettent en œuvre avec des effets symboliques et des effets matériellement très concrets ; ceux donc qui la produisent, mais également la reproduisent : très simplement les professions que l’on dit juridiques (avocats, juges, consultants, etc.). Bien : il est clair qu’il y a ici une autonomie du savoir (comme savoir-faire méthodologique) comme condition même de la constitution de la pratique, et en même temps une superposition totale entre les juristes et le droit. Connaître le droit, c’est connaître les activités des juristes, qui ne sont pas quant à elles des activités de connaissance.

Mais dans un second sens largement aussi commun, on appelle juristes ceux qui fréquentent les lieux universitaires, au sens large, d’enseignement du droit et de recherche (étudiants – futurs juristes – mais aussi enseignants et chercheurs – qui peuvent aussi être juristes dans le premier sens, praticiens). A l’évidence, l’autonomie universitaire du droit se justifie d’abord par l’idée de formation à cette pratique des juristes, donc à l’acquisition des savoirs-faire méthodologiques ; et participe de la reproduction/légitimation de celle-ci (ce qui n’exclut pas une auto-critique et des propositions d’évolution). Cependant, la logique de cette autonomie comme transmission du savoir-faire n’est que rarement assumée totalement. Il y a le plus souvent une revendication supplémentaire ou concurrente à la constitution d’un savoir comme connaissance, qui constituerait la science juridique ou la science du droit comme discipline doublement autonome : à l’égard d’un objet dont elle se séparerait, et à l’égard d’autres formes de connaissance existantes de la pratique sociale appelée droit (sociologie, histoire, etc.). Il demeure toutefois que cette revendication est rarement totale, et qu’il s’agit davantage de l’idée d’un recul critique sur un savoir-faire (une forme de regard interne critique) que d’une réelle revendication d’externalité, ce que l’auto-qualification des juristes universitaires comme juristes démontre en partie. Il demeure encore que les conditions de possibilité de constitution d’un savoir connaissance ne sont guère partagées, entre scientificité du raisonnement juridique lui-même (l’idée d’une science normative pratique : l’objectivisation de la pratique) et scientificité de l’étude du droit (la construction de cette pratique comme objet d’une connaissance critique, empirique, dans l’analyse logico-linguistique notamment).

Si l’on peut ainsi séparer analytiquement deux conceptions de l’autonomie universitaire du droit, aux conséquences opposées (l’assimilation dans la pratique sociale du droit, et la limitation du savoir à un savoir-faire méthodologique qu’il faut transmettre et reproduire d’un côté ; et d’un autre côté la revendication d’un savoir-connaissance qui peut aller jusqu’à la revendication d’une distinction radicale avec la pratique sociale droit), l’investigation empirique convainc qu’aucune généralisation n’est possible en faveur de l’une ou l’autre de ces revendications, ni même en faveur d’une opposition radicale de ces revendications. C’est là la contingence que je mettais en avant. L’essentiel de l’activité universitaire (enseignement et recherche) des juristes oscille entre reproduction distanciée de la pratique et distanciation limitée, dont résulte ce qu’Antoine Jeammaud nomme très justement l’activité dogmatico-doctrinale (par exemple dans La part de la recherche dans l’enseignement du droit, Jurisprudence Revue Critique, Tome 1, 2010) et Riccardo Guastini la construction juridique des juristes académiques (par exemple dans « Le réalisme juridique redéfini », Droit Prospectif, 2013-3, p. 1123 et s.).

Ecoles : là encore, le mot renvoie à des questions très différentes, d’inégale importance à mes yeux.

Au sens le plus évident, une Ecole est un processus (lieu ou groupe) de transmission de savoirs ou de méthodes, d’une certaine manière. Il ne fait aucun doute que l’enseignement du droit, au sens large, constitue une école et c’est bien pour cela qu’il participe de la construction et reproduction de la pratique sociale appelée droit. Toutefois cela est banal, et parler ici d’école ne nous apprend rien, notamment parce que cette « certaine manière » ne peut être caractérisée qu’a minima, et ne s’inscrit pas dans un processus concurrentiel : s’il peut y avoir localement quelques différences (surestimées : la place de la théorie, l’enseignement clinique, l’internationalisation, etc.), elles demeurent minimes du fait de la massification des études de droit, de l’acceptation largement majoritaire du rôle de l’enseignement du droit dans la formation des juristes (que les différences ne remettent pas en cause) et de leur localisation qui reste fondamentalement dans un cadre national malgré la prétendue autonomie des universités et la supposée globalisation du droit.

Ensuite, dans ce que je crois être le sens le plus directement attendu ici, il s’agit en parlant d’Ecole de la question des réseaux pour l’obtention d’un capital symbolique et professionnel : les carrières universitaires (Cnu, Comités de sélection, Jurys d’agrégation, etc.), l’accès aux revues, aux instances d’évaluation ou de répartition de moyens, etc. Loin de moi l’idée de dire que il n’y a pas en ce sens « d’écoles » en droit : mais le montrer et le démontrer est une démarche de sociologie du monde universitaire au sens large, et je doute qu’il y ait ici une spécificité radicale de la discipline des juristes. Et s’il y a spécificité, elle n’est peut-être pas là où l’on croit : une informalité des réseaux liée à une plus faible syndicalisation et à une moindre importance de la question épistémologique ; une relative richesse du capital disponible (postes et revues) et de moindres besoins d’une recherche encore largement dispensée de matériels lourds et de terrains. Là par exemple où en Science Politique (à l’origine de la reconnaissance institutionnelle de la discipline tout au moins) ou en Economie par exemple ont pu se générer des conflits « d’école » pour la reconnaissance d’une ligne de recherche et d’enseignement spécifique (voir en dernier lieu la revendication de l’éclatement de la section 5 du Cnu), la tentative avortée de créer une section spécifique de criminologie s’est faite à la marge, et dans un pilotage dépassant largement une éventuelle controverse d’écoles au sein des juristes universitaires (qui se sont cependant mobilisés contre cette création au-delà des pénalistes). Ce qui me paraît alors faire défaut, ou tout au moins être plus difficilement saisissable, c’est le fondement épistémologico-politique de ces écoles : en bref la systématisation des critères. Une étude de sociologie des juristes universitaires devrait donc mettre en évidence des éléments explicatifs relativisant les raisons constitutives des réseaux et ne pas présupposer sans davantage d’approfondissement qu’ils révèlent des écoles de pensée.

Car c’est ce troisième sens qui me paraît le plus intéressant. Mais il suppose que l’on envisage les écoles dans une confrontation plurielle : comme fédérant des parties dans des controverses d’un certain type. Une école unique, même non hégémonique, n’est rien d’autre qu’un paradigme, qui éventuellement se substitue à un autre paradigme. Au risque de choquer, je continue à affirmer qu’il n’y a pour moi pas (ou plus) d’écoles dans ce sens en droit : que les controverses, qui me paraissent rares au regard de la démographie de la discipline, ne construisent pas des écoles, et restent anecdotiques dans leurs conséquences de structuration intellectuelle de la discipline (même si évidemment elles agitent la discipline, au moins un moment). En prétendant cela, je ne nie pas, une fois encore, l’existence de réseaux pour l’accès au capital, et je n’entends pas faire preuve d’angélisme : la discipline n’est pas une tour de Babel, un paradis pour chercheurs protégés dans l’université. Je regrette au contraire que la controverse ne soit pas plus présente et ne produise pas davantage d’effets. Mais je constate simplement qu’il me paraît manquer les éléments nécessaires à la généralisation de la controverse : une communauté épistémologique prête à s’accorder et se structurer sur des désaccords, que la prégnance de l’exercice dogmatique interdit. Bien entendu, ce qui précède vaut dès lors que l’on se situe au niveau de la communauté des juristes académiques ; il est vraisemblable qu’à des niveaux plus spécialisés, comme la théorie du droit, ou le droit international privé, puissent apparaître des controverses du type envisagé, et donc des Ecoles. Par exemple en théorie du droit entre le normativisme (l’Ecole française kelsénienne si l’on préfère) et le réalisme (l’Ecole nanterroise). Mais ce niveau présuppose une méta-représentation du droit commune, qui demeure alors extrêmement minoritaire (le positivisme épistémologique et l’affirmation que la science du droit n’est pas le droit) et qui ne s’inscrit pas elle-même dans une controverse d’Ecole : plus on monte en généralité, plus la controverse se dilue au point de ne pas pouvoir constituer un élément structurant de la discipline académique juridique.

Dès lors, les controverses, lorsqu’elles se produisent, révèlent en réalité des enjeux extra-épistémologiques. Je veux pour illustrer en donner quelques exemples, en m’appuyant sur des épiphénomènes qui ont été je crois surestimés (sur le plan épistémologique tout au moins).

La controverse sur la constitutionnalisation du droit me semble être celle qui aurait pu avoir les effets structurants les plus évidents.

A partir des années 1980, un nombre important de spécialistes de droit constitutionnel en s’appuyant sur la montée en puissance du contrôle de constitutionnalité, vont se réunir autour de l’idée que le droit constitutionnel (affaibli par la scission de la science politique) doit être la systématisation dogmatico-doctrinale (donc la description et la systématisation) des décisions du conseil constitutionnel (improprement appelée jurisprudence constitutionnelle voire contentieux constitutionnel). La création d’une association disciplinaire (Association française de droit constitutionnel), l’émergence de plusieurs centres de recherche dont à Aix-en-Provence le Groupe d’Etudes et de Recherches Comparées sur la Justice Constitutionnelle (Gerc, devenu Institut Louis Favoreu du nom de son fondateur), une stratégie de visibilité impressionnante (création de nouvelles revues, et de rubriques dans des revues existantes, relais auprès de l’institution étudiée, prix de thèses, présence au Cnu et dans les jurys d’agrégation de droit public) va permettre la diffusion de cette conception du droit constitutionnel, et (ré-)ancrer cette discipline au cœur de la pratique des juristes universitaires (transformant l’objet institutionnel et politique classique du droit constitutionnel, à la marge de la pratique des juristes, en objet premier des juristes, marqué par le différend juridique).

L’ambition n’est donc pas simplement de constituer une ou des écoles réseaux (ce qui a été immédiatement perçu par les analystes critiques, et nié – sans vraiment convaincre – par les animateurs de cette école – je n’insiste pas sur ce point qui est bien connu et étudié), mais une véritable école de pensée, affichant certains fondements théoriques et épistémologiques (une certaine version simplifiée du positivisme normativiste kelsénien).

Mais la dualité de l’ambition va conduire certains tenants de cette école à pousser au-delà la revendication, notamment en affirmant l’hypothèse d’une constitutionnalisation des branches du droit du fait de cette montée en puissance de la « jurisprudence constitutionnelle » : pour le dire brièvement, l’existence de décisions de constitutionnalité sur des lois régissant des disciplines académiques non constitutionnelles, comme le droit du travail ou le droit civil, aurait « constitutionnalisé » ces disciplines (voir notamment la thèse de Marc Frangi : Constitution et droit privé: les droits individuels et les droits économiques, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 1992, avec pour sous-titre : Contribution à l’étude de la constitutionnalisation du droit privé).

La démarche était critiquable d’un point de vue théorique. La jurisprudence constitutionnelle, sur la base même d’un normativisme même relatif, ne constitutionnalise pas des disciplines académiques, ou si l’on préfère ne substitue pas une discipline académique (par exemple le droit constitutionnel social) à une autre (les sources constitutionnelles et la jurisprudence constitutionnelle en droit social) dans sa prétention à rendre compte de l’unité d’un ordre juridique constitué.

Derrière le débat, comme l’ont compris ceux qui sont entrés dans celui-ci, cristallisant la controverse (dès avant la publication de la thèse : voir notamment Christian Attias, « La civilisation du droit constitutionnel », Journal des Economistes et Etudes Humaines, 1990-1-4 et Jean-Yves Chérot, « Les rapports du droit civil et du droit constitutionnel. A propos de la « civilisation du droit constitutionnel », Journal des Economistes et Etudes Humaines, 1990-1-4), il y a une question d’influence disciplinaire académique : au sein des universités (dans la formation des futurs juristes, comme dans la répartition des moyens), et dans la constitution de méthodes (argumentatives, interprétatives, etc.) dans la pratique sociale qu’est le droit. Pas donc une controverse scientifique, même au sens le plus léger qui soit, mais bel et bien directement des enjeux de pouvoirs. Il n’est d’ailleurs pas neutre que la controverse ne s’est guère située au sein de la communauté disciplinaire du droit constitutionnel (les critiques, présentes et fortes dans ce cadre, comme dans l’association disciplinaire constituée, ne proposant pas une alternative fédérative autour d’une idée concurrente du droit constitutionnel, mais refusant pour des raisons diverses ce qui était devenu le paradigme de la discipline), mais entre tenants de disciplines académiques se voulant autonomes, dans une revendication d’autonomie et de préséance.

Pourtant, il y avait là matière, dans la formalisation des arguments, à dégager une controverse structurante : sur la place du droit constitutionnel et son identité, sur la construction unitaire d’un objet droit ou sur les revendications d’autonomie des disciplines académiques, sur les effets d’une pensée unitaire/divisée de la pratique sociale des juristes notamment. On a désormais largement oublié cette controverse, comme nombre de celles qui avaient précédé (Vedel et Eisenmann sur les bases constitutionnelles du droit administratif par exemple) : elles n’ont ni entraîné l’apparition d’écoles qui s’opposeraient théoriquement (entre droit constitutionnel et autres branches académiques du droit, ou au sein de la discipline académique du droit constitutionnel), ni ne se sont dissoutes dans des résolutions communément acceptées (ce qui aurait supposé une communauté théorique) ; simplement les arguments ont passé de mode, et ne sont ni plus affirmés (s’ils sont utilisés), ni discutés. D’ailleurs, là où les tenants de la constitutionnalisation auraient pu réamorcer la polémique, avec l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité, il n’y eu guère de candidats, et c’est assez heureux ; d’un autre côté, l’européanisation du droit français, depuis une vingtaine d’année, a eu pour effet non un accroissement de la place des publicistes (longtemps en situation de monopole dans l’enseignement du droit européen conçu comme institutionnel), mais la captation du droit communautaire matériel par l’ensemble des disciplines académiques concernées par cette européanisation, et au premier chef les disciplines de droit privé (concurrence, liberté de circulation, etc.). Voilà qui peut inciter à de la prudence dans la manière de vouloir fonder une école sur l’hégémonie disciplinaire.

Toutes choses égales par ailleurs, le même type d’opposition peut se développer à un niveau plus restreint de la discipline (par exemple sur la question du droit international, public et privé unifiés, par opposition au droit interne) ; ou à un niveau plus général, comme dans l’affrontement autour de la question de l’enseignement du droit en dehors des universités (écoles et Iep de Paris principalement), et de la remise en cause de certains monopoles historiques d’accès aux professions juridiques (même si sur ces derniers points l’opposition, qui existe, ne trahit pas des positions uniformes, au moins au sein des universités). Ces affrontements ne transforment pas le débat en controverses d’écoles, car la question épistémologique de l’objet enseigné, si elle est parfois mobilisée formellement, ne se distingue jamais d’un enjeu de protection/conquête de la maîtrise des débouchés professionnels, et donc de l’attractivité des institutions pour les futurs juristes. Même si ces questions pourraient ne pas être sans effet sur des ruptures épistémologiques et pédagogiques (davantage liées par ailleurs à des différences criantes de moyens et de sélection), elles ne se superposent pas, notamment dans le cas de l’opposition entre juristes des universités et juristes de l’Iep de Paris avec une différenciation entre juristes et politistes, telle qu’elle a pu se construire dans les quarante dernières années.

A côté de la logique disciplinaire, un autre type de prétendue controverse est relativement fréquent, qui ne se traduit pas non plus en constitution d’écoles, à partir de positionnements politiques et moraux.

Deux exemples dans les dernières années l’ont montré. Le premier concerne le statut du droit européen et son enseignement dans les cursus juridiques français, le second l’adoption de la loi dite du mariage pour tous.

Ces deux exemples peuvent être regroupés car ils traduisent la même démarche. D’une part une pétition lancée par des universitaires juristes qui arguent de leur statut de juristes universitaires pour s’opposer à des évolutions du droit positif, directement (avant l’adoption de la loi) ou indirectement (en refusant d’enseigner ces évolutions), au moyen d’un texte collectif publié soit dans une revue juridique, soit dans des médias plus larges. La structure de l’argument est dans les deux cas identique, s’appuyant sur le statut et le nombre, à l’adresse d’autorités institutionnelles (Lettre ouverte au président de la République dénonçant l’excès de pouvoir entachant la proposition de règlement communautaire sur la loi applicable aux obligations contractuelles, Jcp G 2006, act. 586 et Lettre ouverte à toutes les sénatrices et tous les sénateurs de la République française afin de les alerter sur les conséquences réelles pour les enfants du projet de loi sur le mariage des personnes de même sexe, notamment dans Libération, 18/03/2013), et reposant sur l’affirmation d’une connaissance a priori du droit ou de ce qu’il doit être (au nom de cette connaissance).

La démarche sur l’excès de pouvoir du droit européen commençait par une affirmation qui à elle seule aurait pu fournir une posture d’école : « Dans une démocratie organisée selon les principes de l’Etat de droit, une règle n’est légitime que si elle émane d’une autorité investie du pouvoir de l’édicter. Comme on l’enseigne aux étudiants de première année des facultés de droit, sinon déjà aux collégiens dans leurs cours d’instruction civique, ce n’est qu’à cette condition qu’elle est une règle de droit et mérite donc obéissance… » ; c’est là le credo du cognitivisme éthique. Elleavait suscité une réaction sur le même plan : une contre pétition dans la même revue (Jcp G ; 2007, act. 18), dans laquelle les signataires (dont je faisais partie) affirmaient de leur côté qu’ : « ils ne considèrent pas qu’ils se déshonorent en enseignant, oralement ou par écrit, le droit communautaire et en le tenant pour du Droit [… et que…] quelles que soient les opinions que l’on peut avoir sur la construction de l’Europe, les problèmes difficiles posés par la transformation de la convention de Rome en règlement appellent des réponses plus constructives que le très excessif procès d’intention intenté par les auteurs de la lettre ». Par la suite, l’un des promoteurs de la première lettre, sous le titre révélateur de L’honneur des professeurs de droit. – Explication d’une lettre ouverte sur l’Union européenne, la démocratie et l’Etat de droit (V. Heuzé, Jcp G ; 2007, I 116), fournissait une explication de la démarche dans laquelle on trouve les affirmations suivantes : « Les auteurs de la lettre ouverte sont tous des professeurs en exercice. Et ils sont tous spécialisés dans les matières qu’affectent les excès de pouvoir qu’ils dénoncent. En tant qu’ils défendent les conditions d’exercice de leur profession, ils ne sont donc guère exposés aux justes observations de Pierre Bourdieu à propos de « ce que parler veut dire » […et…] Enseignant-chercheur, le professeur de droit est aussi un juriste. Ce n’est pas un politologue, un sociologue ou un psychologue qui observe la comédie du pouvoir et cherche à en découvrir les ressorts. Il est au service du droit, en tant que produit d’expériences multiséculaires et instrument de l’organisation sociale, mais non pas des puissants ». Face à cette double affirmation ontologique du droit (ce n’est qu’à cette condition qu’elle est une règle de droit et mérite donc obéissance) et du professeur de droit (au service du droit), il n’y eut pourtant pas de réponse clairement ontologique et épistémologique, seule susceptible de porter l’affrontement du terrain directement politique sur un terrain d’écoles.

C’est en revanche ce que avec Stéphanie Hennette-Vauchez, Véronique Champeil-Desplats et Pierre Brunet nous avons tenté de faire en répondant à laLettre ouverte à toutes les sénatrices et tous les sénateurs de la République française afin de les alerter sur les conséquences réelles pour les enfants du projet de loi sur le mariage des personnes de même sexe non sous forme de pétition mais par une présentation (nécessairement rapide) d’arguments de nature épistémologique, d’abord dans une revue en ligne de philosophie (http://www.raison-publique.fr/article601.html, et il faut ici dire que le texte proposé à des quotidiens, pour demeurer dans le même circuit de communication que la pétition discutée, n’avait pas été accepté, montrant que laquestion épistémologique importait assez peu dans le débat politique naturel ; le titre s’en ressent, Mariage pour tous : juristes, taisons-nous !, tout en se référant tant aux débats dans d’autres communautés de praticiens qu’à des articles essentiels de la réflexion sur la critique des juristes, v. infra), puis repris dans une revue juridique (sous un titre plus adapté à la démarche :« Mariage pour tous: les juristes peuvent-ils parler « au nom du Droit » ? », Recueil Dalloz, 2013, p. 784). A cette prise de position épistémologique, destinée à dessiner des oppositions d’écoles, une réponse fut proposée par quatre des signataires de la première lettre ouverte, qui dut néanmoins pour être acceptée à la publication recourir aux dispositifs juridiques relatifs au droit de réponse (B. Daugeron, A.-M. Le Pourhiet, J. Roux, P. Stoffel-Munck, « Droit de réponse. Mariage pour tous, silence pour quelques-uns », D. 2013, p. 784). Ni la réponse, ni les réactions à cette confrontation (davantage sur les blogs et les réseaux sociaux de juristes, ou non, que dans les écrits universitaires ; mais voir cependant parmi les rares exceptions A. Supiot, « Ontologie et déontologie de la doctrine», Dalloz 2013 p. 1421 ; M. Troper, « Les topographes du droit. A propos de l’argumentation anti-mariage gay : que savent les professeurs de droit ? », Grief ; 2014 n°1) n’ont entendu cependant se situer sur ce terrain. Il y a une véritable réticence semble-t-il à accepter ce recentrement, qui est pourtant le seul moyen de clarifier les fondements d’éventuelles écoles.

Un des points ironiques alors, dans ce minestrone politico-épistémologique, réside dans l’instrumentalisation du débat entre Danièle Lochak et Michel Troper sur le positivisme (voir Curapp, Les usages sociaux du droit, 1989) et plus particulièrement dans l’utilisation de la position prétendument défendue par Danièle Lochak, en défense du cognitivisme éthique et de la dévalorisation de la question épistémologique. Vincent Heuzé, dans son explication écrivait : « Or, comme le rappelle fort opportunément Danièle Lochak dans une étude très récente, « la description « neutre et objective » du droit positif produit des effets de naturalisation et de légitimation », alors que « le juriste est souvent le mieux placé pour démontrer et dénoncer le caractère dangereux ou pervers de certains textes ». Et ces justes remarques, qui concernent le « droit positif », sont l’expression d’un véritable devoir pour les juristes lorsque sont en cause des règles dont les conditions d’élaboration contredisent cette qualification ». Anne-Marie Le Pourhiet, Bruno Daugeron, Jérôme Roux et Philippe Stoffel-Munck achevaient quant à eux leur droit de réponse par ce paragraphe : « Il n’est pourtant jamais venu à l’esprit des 170 signataires de la lettre aux sénateurs d’enjoindre aux collègues de Paris-Ouest de se taire, ni de les accuser de « méthodes fallacieuses », ni encore de leur reprocher de « parler au nom du droit », comme ceux-ci viennent de le faire, en s’abritant derrière un paravent méthodologique et déontologique qui cache très mal leur évident soutien au projet de loi Taubira. D’une part parce que les 170 sont des universitaires tolérants et que certains d’entre eux auraient d’ailleurs fort bien pu signer quelques pétitions des collègues de Nanterre, d’autre part parce que c’est précisément de Nanterre qu’est un jour venue une opportune piqûre de rappel contre « les mésaventures du positivisme ». Outre dans cette dernière réponse la manœuvre stratégique, qui aurait pu être de bonne guerre, de souligner des contradictions ou des incohérences au sein d’une supposée Ecole nanterroise (qui pour exister supposerait une unité qui existe sans doute en partie, mais qu’il convient de ne pas exagérer, et surtout une controverse d’autres Ecoles se situant sur le même terrain pour justifier des postures différentes), il demeure que l’énoncé de prises de position épistémologique suppose qu’on aille un peu au-delà des titres, pour mobiliser des arguments. Danièle Lochak écrivait pourtant (il est vrai dans un texte un peu postérieur : « Ecrire, se taire…, Réflexions sur la doctrine antisémite de Vichy», Le Genre Humain no 30-31, 1996) : « Qu’on m’entende bien : je ne plaide pas pour le mélange des genres. Il est facile d’objecter que prendre parti, c’est tuer la science, et je sais tout ce que la rigueur juridique a à perdre d’y voir mêler sans cesse des jugements de valeur. Il faut savoir distinguer, dans sa propre pratique, ce qui relève respectivement du rôle du juriste, du rôle de l’intellectuel, du rôle du citoyen. Il faut être capable de dire clairement, lorsqu’on s’exprime, « d’où l’on parle », ne pas cultiver la confusion. Mais, pour autant, le juriste ne doit pas ignorer qu’il est aussi un intellectuel et un citoyen, et qu’il a à cet égard des responsabilités ».

Assumer rigueur épistémologique et engagement intellectuel, capacité à dire clairement « d’où l’on parle » ; deux principes d’une épistémologie minimale visiblement non perçue, comme le démontre sa récusation dans la dénonciation d’« un paravent méthodologique et déontologique qui cache très mal [un] évident soutien au projet de loi Taubira ». Je dois avouer que j’ignore encore à l’heure actuelle la position exacte de mes ami-e-s cosignataires sur ce point (qui n’importe en rien dans le recentrage que nous défendions). Pour ma part, m’entendre qualifier de soutien au projet de loi Taubira m’a simplement fait sourire, tant je n’avais pas caché ma position à propos des décisions Qpc antérieures à la loi :

« Si par exemple le conseil constitutionnel avait considéré que l’interdiction du mariage entre personnes de même sexe posait dans son application un problème de discrimination, contraire à la constitution, cela ne revenait pas à admettre de facto la nécessité de décider, juridictionnellement ou législativement, la consécration juridique du mariage entre personnes de même sexe. Mais cela aurait montré qu’un problème de discrimination existe réellement dans le système, qui pourrait être surmonté de différente manière, c’est-à-dire par différentes possibilités de faire évoluer le système : l’évolution de l’interprétation de la loi existante par la Cour de cassation sur les mots « mari » et « femme » aux fins de ne pas y voir un obstacle au mariage qui n’est pas composé d’un « homme » et d’une « femme » au sens biologique ; la modification de l’énoncé du code civil par le législateur pour admettre le mariage entre personnes de même sexe ; mais aussi l’intervention du législateur ou du juge pour gommer les discriminations qui auraient été constatées entre personnes (hétérosexuelles) mariées et personnes non mariées, sans admettre le mariage homosexuel ; voire l’intervention du législateur pour considérer que le mariage, compris comme une institution produisant une discrimination entre couples de même sexe et couples de sexe différent du fait de ses dimensions religieuses ou sociales, ne peut plus être une institution juridique, qui serait renvoyé ainsi à une possibilité de la sphère privée juridiquement reconnue comme objet d’une liberté individuelle sans que des effets juridiques y soient attachés (un mariage religieux sans le mariage civil) ». (« Les premières Qpc en droit civil » in X Philippe et M. Stéfanini, Questions prioritaires de constitutionnalité : premiers bilans , Les cahiers de l’Institut Louis Favoreu, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2011, p. 43 et s.) ; ou sur la question de l’analyse des unions homosexuelles du point de vue du droit des libertés :

« Il est possible qu’il existe de bonnes raisons de refuser le mariage aux personnes du même sexe ; encore faut-il que ces raisons soient publiques, compatibles avec l’affirmation des droits fondamentaux, et que ces raisons conduisent évidemment à l’exclusion. Les raisons classiquement avancées pour considérer qu’un couple homosexuel et un couple hétérosexuel ne peuvent avoir le même droit au mariage sont celles de l’article 12 de la Convention, qui lient le mariage et la fondation de la famille, donc qui dessinent derrière l’institution du mariage la capacité de reproduction. Or les organes européens de protection des droits de l’homme eux-mêmes non seulement se refusent à limiter le droit au mariage à l’exigence de possibilité ou de volonté de reproduction (Comm Edh, 13 déc. 1979, Hamer c/ Royaume Uni : D. et R., 24, p. 5), mais reconnaissent aussi que les termes de l’article 12 n’impliquent pas « que le sexe doive être déterminé selon des critères purement biologiques » (Cedh, gr. ch., 11 juill. 2002, Goodwin c/ Royaume-Uni : Gacedh 2002, n° 38, § 100). Par ailleurs il ne fait aucun doute que le nombre de familles composées de parents non mariés et d’enfants (recomposées ou non) ne peut plus être considéré depuis longtemps comme marginal, et infirme l’idée d’un lien empiriquement nécessaire entre mariage et procréation. Il n’y a rien ici qui puisse justifier l’exclusion du mariage homosexuel. En revanche, il est possible et légitime de considérer que le mariage est un sacrement, et qu’il obéit à des présupposés de type religieux ou moraux, auxquels son extension aux couples homosexuels contreviendrait. Ces raisons ne sont pas nécessairement publiques, mais bien réelles derrière la prohibition. Or ces raisons n’impliquent pas nécessairement cette prohibition. Aussi respectables qu’ils soient, ces présupposés sont relatifs au mariage religieux, et n’ont pas à être pris en compte sans précaution, notamment celles qui imposent d’assurer l’égalité devant la loi, dans la compréhension du mariage civil. Si l’on tient absolument à protéger le lien entre mariage et présupposés religieux ou moraux, la prohibition du mariage homosexuel n’est pas plus légitime que la disparition du mariage civil, qui placerait juridiquement chaque couple dans une situation d’égalité vis-à-vis du droit, et laisserait à chacun de ces couples la responsabilité de sa conscience, en recourant ou non, s’il le veut ou s’il le peut, à un mariage strictement religieux, selon ses croyances. On peut choisir de supprimer le mariage civil, ou d’étendre le mariage aux couples homosexuels : c’est un choix essentiel, et qui mérite attention et prudence. Mais il est douteux que l’on puisse indéfiniment occulter ce choix en voulant préserver une législation établissant une discrimination de moins en moins justifiable ». (« La protection de la vie familiale » in P. Wachsmann et F. Picod (dir.), Encyclopédie Libertés, LexisNexis, Paris, 2007, fascicule 1200.)

Pour qu’il puisse y avoir Ecoles, dans le sens que j’ai adopté, il est donc nécessaire d’avoir au minimum une conception méta-doctrinale commune sur les nécessités d’une épistémologie, sinon partagée, du moins en débat (et sur la nature des arguments en débat). Je ne prétends donc pas qu’il faut une même conception épistémologique (le positivisme critique pour faire court), mais qu’il faut un intérêt pour la question épistémologique. C’est là la condition pour s’accorder sur des désaccords, et permettre une controverse cohérente, constitutive d’Ecoles. Or cette question ne me paraît pas plus centrale aujourd’hui qu’au moment où le Jam la discutait dans ses cours au sein de la communauté des juristes universitaires, qui se définit toujours académiquement (disciplinairement si l’on préfère, par l’appartenance à une même discipline qui n’est pas interrogée, et repose sur l’évidence des anciennes facultés de droit), comme le montre notre capacité à nous fédérer défensivement (contre la remise en cause du monopole de ces facultés) ou offensivement (dans des débats davantage politiques et citoyens que théoriques et scientifiques).

A cet égard, le constat auquel procédait la science politique il y a quarante ans ne peut être considéré comme dépassé, quand bien même l’essor très relatif de la théorie du droit ou de la sociologie du droit offre sans doute des pistes sinon nouvelles, en tout cas possibles ; mais très marginalement empruntées. Pour l’essentiel, il n’y a pas d’Ecoles en droit, mais une Ecole du droit, assez peu discutée de l’intérieur, et fortement attaquée de l’extérieur.

Si c’est donc là que se situe l’unité de la discipline juridique, à l’inverse, celle de la science politique peut faire aussi question. Rupture évidemment disciplinaire au sens académique, la science politique reconnue (Section Cnu, département à l’intérieur des Ufr de droit – et de science politique – le plus souvent davantage qu’autonomie institutionnelle) ne me semble pas pouvoir ni devoir s’unifier sur une épistémologie commune (même si à l’évidence la prise en compte de la question y est plus présente et radicale qu’au sein de la discipline juridique) : entre sociologie critique, histoire, philosophie et autres, la science politique est en réalité plurielle, non au sens d’Ecoles (encore que…) mais au sens de ses objets et de ses méthodes ; de sciences (du politique) ou de sciences sociales. D’une certaine manière, volontiers provocatrice, l’immobilisme des juristes (et sa puissance de feu : sa masse d’enseignants-chercheurs et d’étudiants si l’on veut) continue à unifier la discipline non de manière positive (ce que doit être la science politique) mais de manière négative (ce à quoi, ou à qui, elle – continue à – s’oppose-r). Loin de tuer le père, on conserve son image comme repoussoir, évitant peut-être d’aborder de front la question de sa propre identité.

D’un autre côté, tout cela demeure très franco-français : dans nombre de pays voisins une partie des politistes et des juristes travaillent ensemble autour d’un objet commun et de méthodes partagées : Kelsen n’a pu rejoindre Berkeley qu’en devenant professeur au département de science politique (après avoir été refusé à la faculté de droit de Harvard) ; et Bobbio fonda un département de science politique ; pour des raisons très diverses, deux des grands juristes du XXe siècle, tenants d’une épistémologie du droit rigoureuse, ont travaillé (avec) la science politique sans renoncer à cette épistémologie. Et l’on pourrait multiplier les exemples.

Il y a sans doute matière à dépasser les héritages historiques des deux disciplines du droit et de la science politique, leur clivage fondateur et leurs imprécisions épistémologiques, pour constituer sur des objets communs (quand ces objets sont communs) un travail pluridisciplinaire, voire pour faire émerger sur ces objets communs une épistémologie partagée (autour de l’empirie et de la sociologie du droit en action, autour de l’analyse linguistique critique, etc.). Il est bien sûr possible que cela ne soit plus ni réellement du droit, ni réellement de la science politique : mais c’est un enjeu majeur de la recherche et de l’enseignement. Cela l’était déjà dans les enseignements du Jam ; peu de structures disposent des atouts du Laboratoire des Sciences Sociales du Politique pour proposer une telle démarche et pour ce faisant faire Ecole.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

P. Rossi & les libertés (par Alexis Le Quinio)

Voici la 58e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait des 8e & 9e livres de nos Editions dans la collection « Académique » :

les Mélanges en l’honneur
du professeur Jean-Louis Mestre.

Mélanges qui lui ont été remis
le 02 mars 2020

à Aix-en-Provence.

 

Vous trouverez ci-dessous une présentation desdits Mélanges.

Ces Mélanges forment les huitième & neuvième
numéros issus de la collection « Académique ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volumes VIII & IX :
Des racines du Droit

& des contentieux.
Mélanges en l’honneur du professeur Jean-Louis Mestre

Ouvrage collectif

– Nombre de pages : 442 & 516

– Sortie : mars 2020

– Prix : 129 € les deux volumes.

ISBN / EAN unique : 979-10-92684-28-5 / 9791092684285

ISSN : 2262-8630

Mots-Clefs :

Mélanges – Jean-Louis Mestre – Histoire du Droit – Histoire du contentieux – Histoire du droit administratif – Histoire du droit constitutionnel et des idées politiques – Histoire de l’enseignement du Droit et des doctrines

Présentation :

Cet ouvrage rend hommage, sous la forme universitaire des Mélanges, au Professeur Jean-Louis Mestre. Interrogeant les « racines » du Droit et des contentieux, il réunit (en quatre parties et deux volumes) les contributions (pour le Tome I) de :

Pr. Paolo Alvazzi del Fratte, Pr. Grégoire Bigot, M. Guillaume Boudou,
M. Julien Broch, Pr. Louis de Carbonnières, Pr. Francis Delpérée,
Pr. Michel Ganzin, Pr. Richard Ghevontian, Pr. Eric Gojosso,
Pr. Nader Hakim, Pr. Jean-Louis Halpérin, Pr. Jacky Hummel,
Pr. Olivier Jouanjan, Pr. Jacques Krynen, Pr. Alain Laquièze,
Pr. Catherine Lecomte, M. Alexis Le Quinio, M. Hervé Le Roy,
Pr. Martial Mathieu, Pr. Didier Maus, Pr. Ferdinand Melin-Soucramanien, Pr. Philippe Nélidoff, Pr. Marc Ortolani, Pr. Bernard Pacteau,
Pr. Xavier Philippe, Pr. François Quastana, Pr. Laurent Reverso,
Pr. Hugues Richard, Pr. André Roux, Pr. Thierry Santolini, M. Rémy Scialom, M. Ahmed Slimani, M. Olivier Tholozan,
Pr. Mathieu Touzeil-Divina & Pr. Michel Verpeaux,

… et pour le Tome II :

M. Stéphane Baudens, M. Fabrice Bin, Juge Jean-Claude Bonichot,
Pr. Marc Bouvet, Pr. Marie-Bernadette Bruguière, Pr. Christian Bruschi,
Prs. André & Danielle Cabanis, Pr. Chistian Chêne, Pr. Jean-Jacques Clère, Mme Anne-Sophie Condette-Marcant, Pr. Delphine Costa,
Mme Christiane Derobert-Ratel, Pr. Bernard Durand, M. Sébastien Evrard, Pr. Eric Gasparini, Père Jean-Louis Gazzaniga, Pr. Simon Gilbert,
Pr. Cédric Glineur, Pr. Xavier Godin, Pr. Pascale Gonod,
Pr. Gilles-J. Guglielmi, Pr. Jean-Louis Harouel, Pdt Daniel Labetoulle,
Pr. Olivier Le Bot, Pr. Antoine Leca, Pr. Fabrice Melleray,
Mme Christine Peny, Pr. Laurent Pfister, Pr. Benoît Plessix,
Pr. Jean-Marie Pontier, Pr. Thierry S. Renoux, Pr. Jean-Claude Ricci,
Pr. Albert Rigaudière, Pr. Ettore Rotelli, Mme Solange Ségala,
Pdt Bernard Stirn, Pr. Michael Stolleis, Pr. Arnaud Vergne,
Pr. Olivier Vernier & Pr. Katia Weidenfeld.

Mélanges placés sous le parrainage du Comité d’honneur des :

Pdt Hélène Aldebert, Pr. Marie-Bernadette Bruguière, Pr. Sabino Cassese, Pr. Francis Delpérée, Pr. Pierre Delvolvé, Pr. Bernard Durand,
Pr. Paolo Grossi, Pr. Anne Lefebvre-Teillard, Pr. Luca Mannori,
Pdt Jean Massot, Pr. Jacques Mestre, Pr. Marcel Morabito,
Recteur Maurice Quenet, Pr. Albert Rigaudière, Pr. Ettore Rotelli,
Pr. André Roux, Pr. Michael Stolleis & Pr. Michel Troper.

Mélanges réunis par le Comité d’organisation constitué de :

Pr. Jean-Philippe Agresti, Pr. Florent Blanco, M. Alexis Le Quinio,
Pr. François Quastana, Pr. Laurent Reverso, Mme Solange Ségala,
Pr. Mathieu Touzeil-Divina & Pr. Katia Weidenfeld.

Ouvrage publié par et avec le soutien du Collectif L’Unité du Droit
avec l’aide des Facultés de Droit
des Universités de Toulouse et d’Aix-Marseille
ainsi que l’appui généreux du
Centre d’Etudes et de Recherches d’Histoire
des Idées et des Institutions Politiques (Cerhiip)
& de l’Institut Louis Favoreu ; Groupe d’études et de recherches sur la justice constitutionnelle (Gerjc) de l’Université d’Aix-Marseille.

Pellegrino Rossi
& les libertés

Alexis Le Quinio
Maître de conférences Hdr en droit public,
Institut d’Etudes Politiques de Lyon

Avant d’aborder le sujet de ma contribution, je souhaite profiter de la liberté qu’offrent les Mélanges pour rendre un hommage personnel au dédicataire de cette contribution. N’ayant rejoint la Faculté de droit d’Aix-en-Provence que pour mes études doctorales, je n’ai pas eu la chance d’avoir Jean-Louis Mestre comme Professeur et de pouvoir assister à ses enseignements.

Néanmoins, comme beaucoup de doctorants du Gerjc et du Cerhipp, j’ai été amené à bénéficier de ses conseils et de ses bons mots durant la fin de ma thèse et le début de ma carrière. Si le terme est désuet dans l’Université actuelle et que je n’ai été ni son élève, ni son doctorant, il fait partie de cette poignée d’enseignants qui m’ont marqué et que je considère comme mes Maîtres.

En effet, au-delà de son talent et de son érudition reconnus par tous, je voudrais surtout évoquer sa gentillesse et sa bienveillance. Je raconterai donc une anecdote qui m’amènera vers le sujet que je souhaite traiter pour lui rendre hommage. A la suite de mon rattachement en 2012 à un centre de recherches spécialisé dans l’étude du droit italien et de la parution de la réédition de morceaux choisis par le Professeur Julien Boudon du Cours de droit constitutionnel[1] de Pellegrino Rossi, j’ai proposé à un collègue, Thierry Santolini, que l’on organise un colloque sur plusieurs précurseurs italiens du droit constitutionnel[2].

Dans cette optique, et n’étant pas historien du droit, je décide d’appeler le Professeur Jean-Louis Mestre pour lui demander conseil à propos de cette entreprise. Il me donne rendez-vous dans la salle des Professeurs de la Faculté de droit d’Aix-en-Provence pour, j’imagine, que nous puissions échanger à ce sujet. Ce fut le cas, mais en plus de ces échanges passionnants et de ces conseils, j’ai eu la surprise de voir qu’il m’avait amené plusieurs ouvrages rares, suisse et italien, issus de sa bibliothèque sur le Comte Rossi, mais surtout qu’il m’avait préparé un dossier de plusieurs centaines de pages composé d’une sélection d’articles sur Rossi et Compagnoni qu’il avait pris soin de faire relier, le tout en deux exemplaires puisque nous étions deux à organiser le colloque ! Je pourrais raconter d’autres anecdotes, notamment sur les heures passées au téléphone après chaque leçon du concours d’agrégation, mais celle-ci me paraît la plus révélatrice de l’universitaire et de l’homme qu’est le Professeur Jean-Louis Mestre.

C’est pourquoi le modeste hommage que je vais lui rendre à travers les lignes qui vont suivre porte sur Pellegrino Rossi et les libertés.

Les travaux de Pellegrino Rossi ont été très variés et se sont développés dans de nombreux champs disciplinaires tels que l’économie, la philosophie, l’histoire ou le droit[3]. Ses œuvres les plus connus et les plus étudiées, encore aujourd’hui demeurent ses cours d’économie politique, de droit constitutionnel et de droit pénal.

Son profil de publiciste[4] et de pénaliste[5] le prédisposait à l’étude des libertés et de leur protection. Il ne s’agira évidemment pas, dans la présente contribution, d’étudier chaque liberté évoquée, chaque développement relatif au régime juridique de ces libertés dans le détail, mais de présenter la vision globale de Pellegrino Rossi de cette question, tant dans la manière dont il l’appréhende que dans la classification qu’il propose.

La question de la protection des droits s’inscrit, pour lui, dans une perspective spécifique. En effet, son appréhension des libertés se développe dans une optique englobante dans laquelle les droits individuels sont conçus comme une organisation sociale[6]. C’est le cas lorsqu’il affirme que le principal problème à résoudre, dans la perspective du développement d’une société mature est de « trouver le point d’intersection entre la liberté individuelle d’un homme et celle d’un autre homme son égal, entre la liberté individuelle de chacun et les exigences de l’ordre social qui nous est nécessaire pour le développement et le perfectionnement de notre nature[7] ».

Pellegrino Rossi considère que les libertés individuelles doivent être au cœur de sa pensée libérale revendiquée. Il fait mine de s’interroger, « peut-être ne porte-t-on pas assez d’attention aux questions qui concernent la liberté individuelle, aux questions qui concernent la chose la plus précieuse pour l’individu. Et certes, sans vouloir ôter aux questions politiques proprement dites leur importance, leur portée, leur influence, il est permis de croire que la question de la liberté individuelle mérite autant que tout autre question l’attention des jurisconsultes, des hommes d’Etat[8] ». Rappelons que Pellegrino Rossi était un libéral qui appréhendait la Révolution de manière duale. Il la considérait comme un bienfait qui avait permis d’aboutir à l’unité nationale et à l’égalité civile mais également comme critiquable en ce qu’elle avait abouti à la Terreur qui avait entraîné des violations manifestes des libertés individuelles.

L’approche constitutionnaliste de Rossi est particulièrement intéressante concernant la question des libertés, car indépendamment du sens et de la méthode[9] de son enseignement en la matière, sa théorie du droit constitutionnel « se signale en ce qu’elle est, parallèlement et à un degré égal, une théorie des droits individuels et une théorie de l’Etat[10] ».

Pellegrino Rossi évoque, dans son cours de droit constitutionnel les « principes dirigeants » du droit constitutionnel français qui donnent un « caractère distinctif » à ce dernier[11]. Le premier de ces principes[12], qui domine, d’après lui, l’organisation sociale, est : « l’égalité devant la loi, en d’autres termes, la liberté pour tous[13] ».

Précisons toutefois que s’il met le principe d’égalité au cœur de sa conception de l’Etat, il s’agit bien de l’égalité civile[14]. Pellegrino Rossi est anti-égalitariste, et cela apparaît notamment dans son compte-rendu de la deuxième partie de De la démocratie en Amérique[15]. S’il reconnaît et défend l’intérêt de l’égalité civile, il récuse celle de l’égalité des conditions et critique ce goût dépravé de l’égalité[16].

L’organisation de son Cours de droit constitutionnel est révélatrice de la perception qu’il peut avoir des libertés et de leur fonction sociale. Le rôle essentiel de l’Etat est d’aboutir à l’« ordre social[17] », ce dernier reposant sur l’équilibre entre l’individu, le corps social et le pouvoir social.

Cet ordre social va se matérialiser dans une « organisation sociale[18] » et « une organisation politique[19] ». Dès la leçon inaugurale de son Cours de droit constitutionnel, Rossi, qui aborde toujours l’étude de l’ordre juridique français dans une perspective de maturation, évoque les « irrésistibles efforts de la nation française vers une meilleure organisation sociale et politique ». S’il retient cette dichotomie, c’est parce qu’elle lui semble à la fois la plus pédagogique, mais également la plus conforme avec « la nature des choses[20] ». Pour lui, l’organisation politique ne constitue finalement que le moyen d’aboutir à l’organisation sociale, « la société est le but […] le gouvernement est le moyen[21] ». Il le réaffirme de manière limpide dès la Première leçon de son Cours : « appelé à étudier avec vous le droit constitutionnel du pays, nous avons deux grandes sections devant nous : l’organisation sociale de la France ; l’organisation politique de la France[22] ».

Ce lien entre les deux éléments de sa bipartition justifie pour lui que dans les constitutions les plus récentes et les plus abouties, « l’organisation sociale […] a toujours précédé l’organisation politique[23] » et il appartient au droit public interne de régler les deux[24].

Et bien sûr, la Charte de 1830 n’échappe pas à cette règle, au contraire, elle se fonde sur l’esprit de 1789 : « Sous le titre de droit public, la Charte détermine d’abord les principes de notre organisation sociale ; elle nous apprend quels sont les droits et prérogatives les plus essentielles du Français, ces droits et prérogatives que l’Etat lui garantit, que la puissance publique a mission de lui assurer envers et contre tous. Elle traite ensuite du gouvernement du roi ; elle en détermine les formes, les obligations, les droits : c’est là notre organisation politique[25] ».

Cette première dichotomie est au fondement de sa classification des « classes d’obligations et de droits ». Ainsi, Pellegrino Rossi affirme que « la véritable division, et je vois avec plaisir qu’elle commence à être généralement adoptée[26], me paraît être la division des droits en droits privés, publics et politiques[27] ». Les droits politiques sont rattachables à l’organisation politique tandis que les droits privés et publics[28] découlent de l’organisation sociale.

Pellegrino Rossi ajoute les droits politiques à la classification traditionnelle[29]. Il justifie cet ajout dans les lignes qui suivent sa proposition. D’après lui, les droits privés peuvent être conçus, du point de vue théorique, indépendamment de l’Etat social du fait qu’ils règlent « les transactions privées entre les hommes et les droits de famille[30] ». A contrario, si les droits publics appartiennent pareillement aux individus, leur garantie ne se conçoit que dans l’ordre étatique car « ils sont l’expression du développement des facultés humaines dans l’Etat social, l’expression du développement de l’homme[31] ». D’après lui, il paraît relever de l’évidence qu’ils n’est pas possible de confondre, dans leur essence, la liberté d’acheter ou de vendre avec la liberté individuelle, la liberté de conscience ou le droit de propriété. Ces derniers supposent nécessairement un certain degré d’avancement de la société afin d’assurer le développement des facultés qu’ils supposent : « ce sont des droits dont le germe est dans la nature humaine, mais dont le développement demande une société plus ou moins avancée, et c’est pour cela qu’on pourrait les appeler des droits sociaux[32] ».

Il convient de remarquer que cette conception des droits publics par Pellegrino Rossi est résolument moderne. Si son appréhension des droits relève en partie d’une conception naturaliste – comme le souligne la citation précédente – ces droits ne peuvent connaître une garantie effective que dans le cadre d’un Etat connaissant un développement avancé. Il rejette d’ailleurs de manière tout à fait explicite la doctrine du droit naturel « qu’il faut laisser tomber dans l’oubli », l’expression de « droits innés et naturels » n’ayant point de sens[33]. On en revient toujours à l’idée que la protection des libertés ne peut s’inscrire que dans un cadre étatique qui doit permettre à l’individu de développer librement ses facultés : « pour le législateur tout naît, tout se forme dans l’état social […] il y a des droits et des obligations, parce qu’il y a des règles auxquelles tous les membres de la société se sont assujettis par le fait de leur concours à la formation du corps social[34] ». Le rejet par Pellegrino Rossi de l’existence même des droits naturels[35] le conduit ainsi, dès 1820, à se moquer de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de son aînée des Etats-Unis : « ces déclarations des droits de l’homme, l’une plus absurde que l’autre, qu’on a forgées en France et en Amérique, est-ce dans les écoles de droit qu’on les a apprises[36] ? ».

Pour Rossi, les libertés individuelles ne peuvent être effectivement garanties que dans le cadre d’un régime légal assuré par l’Etat. Ainsi, comme le relève le Professeur Pouthier, Pellegrino Rossi est, avec Serrigny, l’un des publicistes de la Monarchie de Juillet « qui se relèvent le mieux rendre compte du mouvement de constitution progressive d’une législation organique des droits individuels – ce que l’on appelle, à proprement parler, les libertés publiques[37] ». Dans une telle perspective, seul l’Etat, en tant qu’organisation sociale, est à même de garantir la protection des libertés individuelles. Il appartient donc à l’Etat de mettre en place un régime légal de protection pour chaque liberté pour permettre aux individus de développer leurs facultés.

Pour Rossi, la dichotomie classique entre les droits privés et publics nécessite d’être complétée car les droits politiques, qui sont traditionnellement rattachés aux droits publics, doivent en être distingués. Cette distinction repose sur la notion de capacité. En effet, les droits politiques, qui « consistent dans la participation à la puissance publique », nécessitent une condition de capacité :« les droits publics sont la chose, les droits politiques sont la garantie[38] ». Il prend pour exemple la situation des enfants, des femmes et des fous, qui bénéficient tous de droits publics (la liberté individuelle ou la liberté d’opinion) mais qui ne bénéficient pas des droits politiques. Il ne nie pas la proximité entre ces deux catégories de droit, mais il considère qu’ils relèvent de deux ordres, de deux logiques différentes : « Supposez que demain on découvre un moyen certain de garantir les droits de l’Etat et des citoyens, sans gouvernement, il n’y aurait pas de droits politiques mais des droits publics. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas des rapports très étroits entre l’organisation sociale et l’organisation politique, mais ces rapports sont précisément les rapports qui existent entre deux choses diverses, ce ne sont pas des rapports d’identité[39] ».

Pour Rossi, il existe donc trois catégories de libertés. S’il n’aborde pas la première, celle des droits civils, qui relève du cours de droit civil, il présente successivement les droits publics (leçons XXV à LXVII) et les droits politiques associés à l’organisation politique de la France (leçons LXVIII à CV).

Cette division fondamentale sera ensuite précisée et approfondie. Il abordera successivement, pour son exposé relatif aux droits publics des français qu’il définit comme des libertés fondamentales – « la liberté même garantie dans ses diverses manifestations par la loi fondamentale du pays[40] » –, les libertés individuelles, les libertés de l’esprit et les libertés économiques, sa classification des libertés découlant de la typologie des actes auxquels la liberté humaine s’applique.

Pellegrino Rossi identifie comme une première classe d’actes les « actes extérieurs proprement dits, les actes physiques[41] », indépendamment de leur finalité. Ces actes sont notamment couverts par la liberté d’aller et venir, la sureté[42] et « rentrent plus particulièrement sous le chef de la liberté individuelle[43] ». Ces libertés individuelles, qui sont abordées au sein des leçons XXVI à XLV, concernent la liberté d’action, la liberté de circulation, la sécurité. La liberté individuelle peut être appréhendée, pour Rossi, en fonction de trois points de vue différents : du point de vue de son possesseur, du point de vue des autres individus et du point de vue de la puissance publique[44]. S’agissant de ce dernier aspect, s’il implique évidemment l’imposition d’obligations par l’Etat à destination des individus, il implique également l’existence de prestations réclamées par les particuliers à l’Etat.

La deuxième classe d’actes identifiée par Rossi est celle qui concerne les libertés de l’esprit. Il retient de cette dernière une conception assez englobante dans laquelle il inclue la liberté de conscience, la liberté des cultes, la liberté d’expression, la liberté de la presse[45] – ces deux dernières se confondant sous la plume de Rossi[46] – et celle de l’enseignement[47]. S’il ne l’annonce pas explicitement dans sa leçon XXV, d’autres droits et libertés ressortissent, d’après lui, des libertés de l’esprit, tels que le droit de pétition et de la liberté d’association qui sont traités dans les LXe et LXIe leçons.

La troisième classe d’actes est celle des « actes par lesquels nous approprions les choses à notre bien-être matériel[48] », ce que l’on qualifierait aujourd’hui de libertés économiques. Il intègre dans ce périmètre le droit de propriété, les libertés de l’industrie et du commerce[49].

Il précise cette classification : « dans la première catégorie, je comprends, pour ainsi dire, tous les actes qui n’ont pas de classification spéciale, les actes qui ont rapport à la liberté individuelle ; dans la seconde je comprends ceux qui ont rapport à des libertés spéciales très précieuses, la liberté des cultes, la liberté de la presse, la liberté de l’enseignement ; dans la troisième, les actes qui ont un rapport à la propriété, aux moyens d’acquérir, aux moyens d’existence et de bien-être[50] ». Comme l’a souligné le Professeur Tristan Pouthier, chez Pellegrino Rossi, « la liberté juridiquement garantie […], n’est que la forme extérieure qui permet à l’individu de développer ses facultés, selon sa propre spontanéité, mais par l’association avec autrui[51] ».

La classification proposée n’est pas neutre et il convient de rappeler le contexte dans lequel Pellegrino Rossi a élaboré ce premier cours de droit constitutionnel dispensé en France. En effet, la rapidité de l’accession de Rossi aux plus hautes fonctions dans notre pays n’a été possible que grâce au soutien et aux liens privilégiés qu’il entretenait avec le régime en place. Ces liens impliquaient évidemment pour Rossi qu’il soit un défenseur du régime. Et c’est dans cette perspective qu’il doit concevoir son cours de droit constitutionnel. Cela apparaît sous la plume de Guizot pour qui l’objet et le contenu du cours sont très clairs : « c’est l’exposition de la Charte et des garanties individuelles comme des institutions politiques qu’elle consacre. Ce n’est plus là, pour nous, un simple système philosophique livré aux disputes des hommes ; c’est une loi écrite, reconnue, qui peut et doit être expliquée, commentée aussi bien que la loi civile ou toute autre partie de notre législation[52] ».

Cette mission de défense de la Charte implique que son cours mette en avant les vertus et la supériorité du régime. Pour Rossi, la Charte de 1830 a permis de réaliser un idéal social. Il met ainsi en exergue l’originalité du système français qui, pour lui, est celui qui a su le mieux allier les principes de l’unité nationale et de l’égalité civile. Pellegrino Rossi identifie ce qu’il qualifie de « religion politique et sociale de la France »à travers« l’unité matérielle et morale par l’égalité civile[53] ». Ainsi, les institutions de l’Antiquité, mais également celles des Etats-Unis de l’Angleterre ou de la Suisse dans la période moderne n’ont pu atteindre un équilibre équivalent à celui de la France entre ces deux principes[54]. Il considère donc que la réunion de de l’unité nationale et de l’égalité civile, qui constitue un élément central de la réussite d’un régime politique, est un problème que seule la France a su résoudre.

Cet équilibre, qui n’existe qu’en France, justifie son appréhension et sa classification des libertés. Car la Charte, en réussissant là où les autres régimes ont échoué, a placé l’égalité civile à la base de l’organisation sociale de la France. Sur ce fondement, la Charte a mis en place un Etat, un ordre social constituant un idéal rationnel, qui a su apporter aux hommes les garanties juridiques permettant le libre développement de leurs facultés. Et seul un ordre social abouti et constitué en Etat tel que celui mis en place par la Charte peut permettre l’épanouissement réel des droits publics que sont la liberté individuelle, le droit de propriété, la liberté de la presse, la liberté de conscience ou la liberté de culte.

Un autre élément fondamental de l’approche de Pellegrino Rossi réside dans son adhésion aux travaux de l’école historique de Savigny[55]. En effet, l’approche historique est au cœur de la réflexion sur les libertés de Rossi.

Dans une telle perspective, le développement des libertés suit, d’après lui, une trajectoire sinusoïdale – selon que l’Etat privilégie l’ordre ou la liberté – qui doit, au final, aboutir à un certain équilibre. Précisons toutefois que si les principes sont saisis dès l’origine, c’est la concrétisation de leur garantie légale qui va fluctuer selon les périodes et les régimes. Dans la perspective historique qui est celle de Pellegrino Rossi, l’aboutissement de la protection d’une liberté se réalise lorsque la consécration de cette dernière permet, en alternant entre des phases de reculs et d’avancées, un retour au principe initial. Comme Rossi le précise à propos de la liberté de l’enseignement, tout en étendant son analyse aux autres libertés : « en fait de liberté d’enseignement comme de plusieurs autres libertés, après un long détour on est revenu aux principes qui avaient été abandonnés. Seulement on est revenu à ces principes dans un temps où la réalisation, où l’application de ces principes est chose possible[56] ».

Et évidemment, pour Rossi, ce processus de maturation a abouti sous la Monarchie de Juillet[57]. La méthode retenue dans l’exposition de son Cours de droit constitutionnel avait donc pour objectif de parvenir à cette conclusion, « l’art de M. Rossi consistait à partir de principes très libéraux pour arriver à démontrer que la Charte de 1830 contenait la consécration de ces principes[58] ».

Il ressort de ce qui précède que la réflexion relative aux libertés de Pellegrino Rossi relève ainsi d’une approche globale qui irrigue l’ensemble de son œuvre, qui présente, de ce point vue, une certaine unité. En effet, dans son œuvre, la liberté « revêt une importance centrale, même d’un point de vue technique. Ce n’est pas sans raison ni par hasard que ses réflexions en matière de procédure pénale se trouvent surtout dans son Cours de droit constitutionnel qui est par excellence le lieu de l’engagement sur le terrain des libertés publiques, qui fait des règles et des questions de procédure un aspect du « droit public » en tant que droit touchant à l’organisation et la garantie des libertés[59] ».

Si la doctrine de Pellegrino Rossi est orientée par sa défense de la Monarchie de Juillet cela n’enlève rien à l’intérêt et à la modernité de sa conception de la garantie des libertés qui ne peut être assurée que dans Etat légal suffisamment mature pour assurer aux individus la possibilité de développer leurs facultés au sein de l’ordre social.


[1] P. Rossi, Cours de droit constitutionnel, introduction de J. Boudon, Paris, Dalloz, coll. Bibliothèque Dalloz, 2012.

[2] A. Le Quinio, T. Santolini, (dir.), Compagnoni, Filangieri, Rossi : trois précurseurs italiens du droit constitutionnel, préface de Marcel Morabito, Paris, La mémoire du droit, 2019.

[3] Pour une synthèse récente et complète du parcours personnel et intellectuel de Pellegrino Rossi, voir J. Boudon, « Introduction à la réédition », in P. Rossi, Cours de droit constitutionnel, Op. Cit.

[4] H. Baudrillart, « Pellegrino Rossi », in Publicistes modernes, Paris, Didier et Cie, 1862, p. 404-454. A. Dufour, « Pellegrino Rossi publiciste », in Des libertés et des peines, Actes du colloque Pellegrino Rossi organisé à Genève les 23 et 24 novembre 1979, Genève, Georg & Cie, coll. Mémoires publiés par la Faculté de droit de Genève, 1980, p. 213-247.

[5] P. Rossi, Traité de droit pénal, 3 t., Genève – Paris, Barbezat – Sautelet, 1829, 308, 340 et 318 p.

[6] T. Pouthier, Au fondement des droits. Droit naturel et droits individuels en France au XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque de la pensée juridique, n° 10, 2019, p. 272 et s.

[7] P. Rossi, Œuvres complètes de P. Rossi, Cours de droit constitutionnel, t. 2, XXVe leçon, Paris, Guillaumin et Cie, 1866, p. 16.

[8] Ibidem., XLIIIe leçon, p. 339.

[9] A. Dufour, « Sens et méthode de l’enseignement du droit constitutionnel chez Pellegrino Rossi », in A. Le Quinio, T. Santolini, (dir.), Compagnoni, Filangieri, Rossi : trois précurseurs italiens du droit constitutionnel, Paris, La mémoire du droit, 2019, p. 147-172.

[10] T. Pouthier, Op. Cit., p. 272.

[11] P. Rossi, Œuvres complètes de P. Rossi, Cours de droit constitutionnel, t. 1, Leçon inaugurale, Paris, Guillaumin et Cie, 1866, p. LXXIII.

[12] Le second, l’unité nationale (la réunion dans un seul et même tout des diverses parties de l’Etat) domine, pour sa part, l’organisation politique. Ibidem, p. LXXIII-LXXIV.

[13] Idem.

[14] Pour Rossi, cette application de l’égalité civile à l’ensemble des faits de la vie sociale est le principal apport de la Révolution, voir« Observations sur le droit civil français considéré dans ses rapports avec l’état économique de la société », in Mélanges d’économie politique d’histoire et de philosophie. Histoire et philosophie, t. II, Paris, Guillaumin et Cie, 1857, p. 18.

[15] P. Rossi, « De la démocratie en Amérique, par M. Alexis de Tocqueville », Revue des Deux Mondes, Quatrième série, t. XXIII, 1840, p. 886-904.

[16] P. Rossi, Cours de droit constitutionnel, t. 1, Op. Cit., XVIIe leçon, p. 256 : « Ce serait, non l’égalité des hommes libres, mais l’égalité des esclaves qui vivent des mêmes aliments, sont rangés à peu près dans les mêmes cabanes, couverts à peu près des mêmes haillons, chargés à peu près des mêmes chaînes, quelle que puisse être d’ailleurs la diversité de leurs facultés intellectuelles et physiques ».

[17] P. Rossi, « Droit constitutionnel français. Fragment », in Mélanges d’économie politique d’histoire et de philosophie. Histoire et philosophie, t. II, Paris, Guillaumin et Cie, 1857, p. 36 et s.

[18] Ibidem, p. 49 : « Nous appelons organisation sociale l’ensemble des règles qui déterminent et des garanties qui assurent l’ordre social en ce qui concerne les droits et les obligations des individus ».

[19] Idem : « L’ensemble des règles qui déterminent et des garanties qui assurent la constitution du pouvoir social, les droits et les obligations de l’Etat, nous l’appelons organisation politique ».

[20] Idem.

[21] Ibidem, p. 50.

[22] P. Rossi, Cours de droit constitutionnel, t. 1, Op. Cit., Première leçon, p. 12.

[23] Idem.                                                                                                     

[24] Ibidem, p. 9.

[25] P. Rossi, « Droit constitutionnel français. Fragment », Op. Cit., p. 50-51.

[26] Pellegrino Rossi est conscient qu’« ordinairement, on distingue les droits en droits privés ou civils, comme on les appelle, et en droits politiques », P. Rossi, Cours de droit constitutionnel, t. 1, Op. Cit., Première leçon, p. 9.

[27] Idem.

[28] Précisons qu’il évoque de manière indifférente les droits publics ou sociaux du fait que ces derniers ne peuvent exister et être protégés qu’à l’état social.

[29] Alfred Dufour rappelle que cette dichotomie s’inspire de celle établie en 1789 par Sieyes entre les droits naturels et civils et les droits politiques, voir A. Dufour, « Pellegrino Rossi publiciste », in Des libertés et des peines, Op. Cit., p. 238-240.

[30] P. Rossi, Cours de droit constitutionnel, t. 1, Op. Cit., Première leçon, p. 9.

[31] Idem.

[32] Idem.

[33] P. Rossi, « L’étude du Droit dans ses rapports avec la civilisation et l’état actuel de cette science », in Mélanges d’économie politique d’histoire et de philosophie. Histoire et philosophie, t. II, Paris, Guillaumin et Cie, 1857, p. 385.

[34] Idem.

[35] A. Dufour, « Droits de l’Homme, droit naturel et droit public dans la pensée de Pellegrino Rossi », in A. Auer et al., Aux confins du Droit, Essais en l’honneur du Professeur Charles-Albert Morand, Bâle/Genève, Helbing & Lichtenhahn, 2001, p. 193-206.

[36] P. Rossi, « L’étude du Droit dans ses rapports … », Op. Cit., p. 362.

[37] T. Pouthier, Op. Cit., p. 279.

[38] P. Rossi, Cours de droit constitutionnel, t. 1, Op. Cit., Première leçon, p. 11.

[39] Ibidem, p. 10-11.

[40] P. Rossi, Œuvres complètes de P. Rossi, Cours de droit constitutionnel, t. 2, XXVe leçon, Paris, Guillaumin et Cie, 1866, p. 12.

[41] Ibidem, p. 13.

[42] Idem : « la liberté d’action, la liberté locomotive, la liberté qu’on a appelé sécurité ».

[43] Idem.

[44] P. Rossi, Cours de droit constitutionnel, t. 2, Op. Cit., XXVIème leçon, p. 16-19.

[45] Qui fera l’objet de ses leçons LI à LVIII.

[46] P. Rossi, Œuvres complètes de P. Rossi, Cours de droit constitutionnel, t. 3, LIIIe leçon, Paris, Guillaumin et Cie, 1867, p. 34.

[47] Leçon LIX.

[48] P. Rossi, Cours de droit constitutionnel, t. 2, Op. Cit., XXVe leçon, p. 13.

[49] Leçons LXII et LXVII.

[50] P. Rossi, Cours de droit constitutionnel, t. 2, Op. Cit., XXVe leçon, p. 14.

[51] T. Pouthier, Op. Cit.,, p. 274.

[52] Le Moniteur Universel, n° 256, 24 août 1834. Voir Cours de droit constitutionnel, t. 1, Op. Cit., p. V.

[53] Idem., p. 245.

[54] P. Rossi, Cours de droit constitutionnel, t. 2, Op. Cit., XVIème leçon, p. 247-248.

[55] P. Caroni, « Pellegrino Rossi et Savigny. L’école historique du droit à Genève », in Des libertés et des peines, Op. Cit., p. 15-40 ; A. Dufour, « Sens et méthode de l’enseignement du droit constitutionnel chez Pellegrino Rossi », in A. Le Quinio, T. Santolini, (dir.), Op. Cit., p. 147-172.

[56] P. Rossi, Cours de droit constitutionnel, t. 3, Op. Cit., LIXe leçon, p. 157.

[57] Idem : « Le principe […] est posé dans la Charte ».

[58] G. Colmet-Daage, « M. Rossi à l’école de droit », Comptes rendus de l’Académie des sciences morales et politiques, Notice lue par M. Glasson, séance du 22 mai 1886,Picard, Paris, 1886, p. 117.

[59] M. Sbriccoli, « Pellegrino Rossi et la science juridique » in Des libertés et des peines, Op. Cit., p. 186.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Etat & anthropomorphisme (par le pr. G. Bigot)

Voici la 23e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait des 8e & 9e livres de nos Editions dans la collection « Académique » :

les Mélanges en l’honneur
du professeur Jean-Louis Mestre.

Mélanges qui lui ont été remis
le 02 mars 2020

à Aix-en-Provence.

Vous trouverez ci-dessous une présentation desdits Mélanges.

Ces Mélanges forment les huitième & neuvième
numéros issus de la collection « Académique ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volumes VIII & IX :
Des racines du Droit

& des contentieux.
Mélanges en l’honneur du professeur Jean-Louis Mestre

Ouvrage collectif

– Nombre de pages : 442 & 516

– Sortie : mars 2020

– Prix : 129 € les deux volumes.

ISBN / EAN unique : 979-10-92684-28-5 / 9791092684285

ISSN : 2262-8630

Mots-Clefs :

Mélanges – Jean-Louis Mestre – Histoire du Droit – Histoire du contentieux – Histoire du droit administratif – Histoire du droit constitutionnel et des idées politiques – Histoire de l’enseignement du Droit et des doctrines

Présentation :

Cet ouvrage rend hommage, sous la forme universitaire des Mélanges, au Professeur Jean-Louis Mestre. Interrogeant les « racines » du Droit et des contentieux, il réunit (en quatre parties et deux volumes) les contributions (pour le Tome I) de :

Pr. Paolo Alvazzi del Fratte, Pr. Grégoire Bigot, M. Guillaume Boudou,
M. Julien Broch, Pr. Louis de Carbonnières, Pr. Francis Delpérée,
Pr. Michel Ganzin, Pr. Richard Ghevontian, Pr. Eric Gojosso,
Pr. Nader Hakim, Pr. Jean-Louis Halpérin, Pr. Jacky Hummel,
Pr. Olivier Jouanjan, Pr. Jacques Krynen, Pr. Alain Laquièze,
Pr. Catherine Lecomte, M. Alexis Le Quinio, M. Hervé Le Roy,
Pr. Martial Mathieu, Pr. Didier Maus, Pr. Ferdinand Melin-Soucramanien, Pr. Philippe Nélidoff, Pr. Marc Ortolani, Pr. Bernard Pacteau,
Pr. Xavier Philippe, Pr. François Quastana, Pr. Laurent Reverso,
Pr. Hugues Richard, Pr. André Roux, Pr. Thierry Santolini, M. Rémy Scialom, M. Ahmed Slimani, M. Olivier Tholozan,
Pr. Mathieu Touzeil-Divina & Pr. Michel Verpeaux,

… et pour le Tome II :

M. Stéphane Baudens, M. Fabrice Bin, Juge Jean-Claude Bonichot,
Pr. Marc Bouvet, Pr. Marie-Bernadette Bruguière, Pr. Christian Bruschi,
Prs. André & Danielle Cabanis, Pr. Chistian Chêne, Pr. Jean-Jacques Clère, Mme Anne-Sophie Condette-Marcant, Pr. Delphine Costa,
Mme Christiane Derobert-Ratel, Pr. Bernard Durand, M. Sébastien Evrard, Pr. Eric Gasparini, Père Jean-Louis Gazzaniga, Pr. Simon Gilbert,
Pr. Cédric Glineur, Pr. Xavier Godin, Pr. Pascale Gonod,
Pr. Gilles-J. Guglielmi, Pr. Jean-Louis Harouel, Pdt Daniel Labetoulle,
Pr. Olivier Le Bot, Pr. Antoine Leca, Pr. Fabrice Melleray,
Mme Christine Peny, Pr. Laurent Pfister, Pr. Benoît Plessix,
Pr. Jean-Marie Pontier, Pr. Thierry S. Renoux, Pr. Jean-Claude Ricci,
Pr. Albert Rigaudière, Pr. Ettore Rotelli, Mme Solange Ségala,
Pdt Bernard Stirn, Pr. Michael Stolleis, Pr. Arnaud Vergne,
Pr. Olivier Vernier & Pr. Katia Weidenfeld.

Mélanges placés sous le parrainage du Comité d’honneur des :

Pdt Hélène Aldebert, Pr. Marie-Bernadette Bruguière, Pr. Sabino Cassese, Pr. Francis Delpérée, Pr. Pierre Delvolvé, Pr. Bernard Durand,
Pr. Paolo Grossi, Pr. Anne Lefebvre-Teillard, Pr. Luca Mannori,
Pdt Jean Massot, Pr. Jacques Mestre, Pr. Marcel Morabito,
Recteur Maurice Quenet, Pr. Albert Rigaudière, Pr. Ettore Rotelli,
Pr. André Roux, Pr. Michael Stolleis & Pr. Michel Troper.

Mélanges réunis par le Comité d’organisation constitué de :

Pr. Jean-Philippe Agresti, Pr. Florent Blanco, M. Alexis Le Quinio,
Pr. François Quastana, Pr. Laurent Reverso, Mme Solange Ségala,
Pr. Mathieu Touzeil-Divina & Pr. Katia Weidenfeld.

Ouvrage publié par et avec le soutien du Collectif L’Unité du Droit
avec l’aide des Facultés de Droit
des Universités de Toulouse et d’Aix-Marseille
ainsi que l’appui généreux du
Centre d’Etudes et de Recherches d’Histoire
des Idées et des Institutions Politiques (Cerhiip)
& de l’Institut Louis Favoreu ; Groupe d’études et de recherches sur la justice constitutionnelle (Gerjc) de l’Université d’Aix-Marseille.

Etat
& anthropomorphisme

Grégoire Bigot
Université de Nantes

« En vérité, elle est étrange, cette prétention
des juristes de se créer un Etat à eux[1] ».

La recherche en droit, à l’instar de la philosophie, doit cultiver le doute, afin de se départir, comme l’écrivait Descartes, de ces « fausses opinions » que nous tenions pour « véritables ». Or ce que l’on appelle l’Etat fait partie « [d]es choses que l’on peut révoquer en doute[2] » tant les principes sur lesquels on l’a fondé en droit sont incertains.

En un mot deux interrogations : comment le droit public a-t-il prétendu s’ériger en science juridique à partir d’un mot, l’Etat, dont on ne savait pas ce qu’il recouvrait ? Ce qui appelle immédiatement la seconde interrogation : pourquoi cette chose que l’on appelle l’Etat est-elle irréductible au droit conçu comme science pure, prétendument délivrée de tous les autres pans de notre culture ?

I. L’anthropomorphisme évacué

La théorie de la personnalité morale de l’Etat est en soi schizophrénique puisque l’Etat y figure comme une personne juridique sans corps physique. C’est d’ailleurs, nous disent les juristes, tout l’intérêt de cette fiction – à moins qu’il ne s’agisse d’une abstraction : le propre de l’Etat est d’être désincarné. Comme nous le racontent avec amusement nos professeurs aux commencements de nos études de droit : « Je n’ai jamais mangé avec une personne morale ». Et pourtant on lui reconnaît – en droit – les attributs qu’on attache d’ordinaire à la personne physique. Avant même de voir en quoi le débat relatif à la personnalité morale, après 1900[3], fait triompher la fiction de l’Etat (contre la théorie de la réalité de la personne morale), un détour s’impose pour tâcher de dater l’apparition de l’Etat comme catégorie juridique dans le droit public puisqu’il faut, avant même qu’on lui attribue une personnalité, supposer qu’il existe.

A. L’Etat sans existence ? Un siècle d’« oubli » de l’Etat

C’est un fait connu que, à la suite d’Adhémar Esmein, Carre de Malberg, dans sa Contribution à la théorie générale de l’Etat, postule que « l’Etat est la personnification de la nation[4] ». Par cette expression nos deux auteurs croient résoudre la question pourtant insoluble de la constitutionnalité de l’Etat. En outre, ils offrent à cet Etat une origine révolutionnaire dont il est à tout le moins incertain que les révolutionnaires l’aient approuvée.

Il est en effet à tout le moins incertain, du moins pour l’historien du droit d’aujourd’hui, que l’Etat soit, en 1789, la personnification de la nation. D’abord parce que si le mot Etat existe depuis des siècles et a notamment connu un regain d’intérêt avec l’avènement de la raison d’Etat au XVIe siècle, la juridicité de l’Etat est quasi nulle à l’orée de la Révolution. C’est qu’ensuite le débat est ailleurs : il porte sur la légitimité, et donc l’assise, de la souveraineté. C’est un fait suffisamment connu que le propre de la Révolution française est d’avoir opéré le transfert de la titulature de la souveraineté depuis le Roi jusqu’à la Nation. Le 17 juin 1789, le Tiers-Etat se proclame assemblée nationale parce qu’il dit, suivant les idées de l’abbé Sieyès, représenter quatre-vingt-seize centièmes de cette nation ; la logique du chiffre et de la raison, qui fonde le principe représentatif, offre à la souveraineté sa nouvelle assise. L’autorité de l’histoire et de la religion, sur laquelle le Roi fondait la légitimité de sa souveraineté – le sacre de 1774 en témoignait – est rejetée dans une forme à jamais révolue du passé. La souveraineté traverse donc intacte le 17 juin comme l’atteste le fait que la loi – prérogative dont s’emparent immédiatement les députés – reste la première marque d’une souveraineté qui demeure absolue. En revanche, c’est son assise qui est précisément révolutionnée. Or il est essentiel pour notre sujet d’insister sur ce point que la ligne de fracture qui se dessine le 17 juin tient au fait que la souveraineté incarnée de l’Ancien Régime cède à la souveraineté désincarnée du nouveau régime représentatif fondé sur l’élection. La nation souveraine est ainsi une pure fiction parce qu’elle est précisément aux antipodes de la souveraineté royale, visible, incarnée. Sans doute la rupture n’est-elle pas aussi radicale que nous venons de le dire dans la mesure où, depuis la captation de la souveraineté par le roi, les juristes ont su forger une souveraineté perpétuelle abstraite, qui transcendait le corps mortel du roi. C’est la théorie bien connue du double corps du roi au terme de laquelle le corps mystique du roi – siège immortel de la souveraineté – survit toujours au corps mortel du roi. Il n’empêche que même mystique, le siège de la souveraineté a le corps pour principe et pour postulat ; même abstraite, la souveraineté conserve avec l’anthropomorphisme un lien consubstantiel. Il tient bien entendu aux origines religieuses de la monarchie et au fait que la chrétienté ne peut se figurer sa foi autrement que par l’incarnation. Les deux abstractions – nation et corps mystique du roi – ont ceci d’irréconciliables que la nation n’est pas à l’image d’un corps d’homme. Elle est totalement désincarnée. Elle est, pour reprendre la fameuse expression du philosophe Claude Lefort, « le lieu vide du pouvoir ». La concrétisation de la nation en « un tout unique » passe par la départementalisation dont l’objet est à ce titre constitutionnel au sens premier du terme : ce sont des territoires qui constituent la nation de façon ascendante ; nous sommes aux antipodes d’une nation conçue à l’image de l’humain ; c’est d’ailleurs la République, et non la nation, qui empruntera à un anthropomorphisme animal (le lion) ou féminin (sur le modèle d’une déesse grecque) sa mise en images.

Une telle nation souveraine peut-elle être ce que les juristes de la troisième République appelleront l’Etat ? Le doute s’accroit si, à l’instar de ce qu’avait prétendu faire Carre de Malberg, on prend le droit constitutionnel de la Révolution au sérieux. Le premier et simple constat qui s’impose est que l’Etat est un inconnu du constitutionnalisme révolutionnaire. Si l’Etat était tout ce qui fonde le droit public, si l’Etat était vraiment la personnification de la nation, on peut supposer que les révolutionnaires, à tout le moins, auraient employé ce mot. Or aucune des trois constitutions votées avant 1799 n’en font ne serait-ce que mention. Pour cette raison essentielle que la nation, et elle seule, est devenue le siège inexpugnable de la souveraineté. L’article 3 de la Déclaration est sur ce point on ne peut plus clair et ferme : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». La nation n’a donc pas besoin de personnification ; elle est à elle-même suffisante lorsqu’elle délègue ses pouvoirs à ceux qui en émanent.

Le mot Etat est constitutionnellement consacré pour la première fois par le texte de frimaire an VIII qui institue le Consulat. Plus précisément le mot Etat fait son entrée sur la scène du constitutionnalisme écrit par la création du Conseil d’Etat auquel le texte de l’an VIII consacre tout un chapitre. Or cet Etat nommé en 1799 est lourd de signification pour trois raisons qui se combinent. D’abord il consacre le retour à une institution d’Ancien Régime. Il est ensuite présidé par les consuls là où, sous l’ancienne monarchie, il était réputé présidé par le roi. Enfin ce Conseil d’Etat présente la bizarrerie, à rebours de la tradition constitutionnelle de la Révolution, de confondre les pouvoirs en son sein par l’exercice de ses fonctions. Il possède logiquement des attributions dans le domaine exécutif puisqu’il prépare des règlements d’administration publique pour le gouvernement (le mot remplace celui d’exécutif en l’an VIII) et ses sections administratives chapeautent l’administration générale dont les départements sont la première interface. Mais le Conseil d’Etat a également des attributions législatives : il prépare les projets de loi dont le gouvernement a seul l’initiative. Il jouit enfin d’attributions juridictionnelles puisqu’il est chargé dès sa création de résoudre le contentieux administratif en lieu et place de la bureaucratie ministérielle du Directoire. Le fait qu’un corps nommé (qui plus est par le seul premier Consul) détienne une prérogative législative qui jusqu’ici ne pouvait relever que des élus de la nation en dit long sur le fait que le Consulat, par le bais même de son Conseil d’Etat, renie les idéaux révolutionnaires. Il le fait suivant l’objectif assumé de « finir », précisément, la Révolution comme en témoigne la proclamation des consuls de frimaire an VIII. Or, clore la décennie révolutionnaire, c’était mettre un terme à la représentation nationale abstraite qui, posée pour principe en 1789, a échoué à donner satisfaction, tout particulièrement sous le Directoire. Comme l’a très bien analysé Marcel Gauchet dans La Révolution des pouvoirs, la solution consistait à renier la souveraineté abstraite pour la réincarner en un homme, par le retour à une tradition issue de l’Ancien Régime[5]. Chacun sait que les trois constitutions du régime napoléonien avant 1814 consacrent au mieux un « césarisme » ; elles sont monocratiques dans la mesure où elles confient l’essentiel des prérogatives de la souveraineté à un seul et même homme : premier Consul en l’an VIII, Consul à vie en l’an X, Empereur – et donc roi – en l’an XII. Ainsi que l’atteste le fait qu’il préside autant qu’il le peut son Conseil d’Etat, depuis lequel il gouverne, le nouveau César ou l’Empereur ressuscité est le premier chef de l’Etat de l’histoire politique contemporaine. L’Etat, à ce stade, est pétri d’anthropomorphisme : il a à sa tête – sens étymologique de « chef » – un homme en qui se donne à voir le souverain. Ce lien intime entre Etat et anthropomorphisme au sortir de la Révolution tient au fait que l’exécutif domine – voire écrase – de ses prérogatives le législatif (le Tribunat est supprimé en 1807 et le Corps Législatif est un « corps de muets »). L’apparition du mot Etat coïncide avec un renforcement de l’Exécutif au détriment des élus de la nation. L’Etat napoléonien est alors possiblement antinomique de la nation souveraine même si la Constitution de l’an VIII, fort habilement, donne l’illusion de consacrer une démocratie par la reconnaissance d’un suffrage universel à la vérité neutralisé dans ses effets (il ne sert qu’à constituer des listes de confiance). La consécration du mot « gouvernement » en lieu et place de l’ancien « pouvoir » exécutif n’est pas sans lien, elle non plus, avec une représentation du souverain incarné en un homme : le capitaine du vaisseau, en homme providentiel, tient le gouvernail pour braver les éléments et conduire à bon port son vaisseau. Les révolutionnaires avaient longuement débattu de la nécessité d’un gouvernement qui fut fort et les travaux parlementaires font état de longues discussions à ce sujet dès la Constituante[6]. Une évolution notable se produit à l’occasion des débats relatifs à l’adoption de la Constitution de l’an III puisque, dans un souci de bien hiérarchiser les fonctions de gouvernement et d’administration au sein d’un exécutif renforcé, les constituants usent de la métaphore corporelle : le Directoire exécutif serait la tête là où l’administration serait le bras. C’est cette métaphore que constitutionnalise le régime du Consulat au profit du premier Consul en consacrant textuellement le vocable « gouvernement ».

Bien qu’elle renoue en grande partie avec le régime représentatif par le truchement d’une chambre des députés élue qui discute et vote les lois, la Charte de juin 1814 pourrait se prêter au même type d’analyse pour l’emploi symptomatique qu’elle fait du mot Etat. Celui-ci est en effet employé au sujet des très particulières « ordonnances pour la sûreté de l’Etat ». Alors que le pouvoir réglementaire classique, d’exécution des lois, oblige le Roi à une collaboration des pouvoirs, dans le cadre du pouvoir réglementaire autonome des ordonnances pour la sûreté de l’Etat, il exerce une souveraineté déliée puisqu’aussi bien elles lui attribuent l’équivalent d’un pouvoir législatif sans partage. Certes la souveraineté est-elle monarchique au terme de la Charte, mais le gouvernement, comme l’avait promis Louis XVIII en mai 1814, est en principe représentatif : il doit composer avec les élus de départements qui, depuis 1789, constituent la nation abstraite. Avec les pouvoirs exceptionnels que lui confèrent les ordonnances pour la sûreté de l’Etat, le monarque s’écarte du principe représentatif, et donc de la nation : rien d’étonnant à ce titre qu’il figure comme garant non de la nation mais de l’Etat, mot qui depuis 1799 caractérise la confusion des pouvoirs au profit de l’exécutif.

Pour autant que le mot Etat ait fait son intrusion dans le constitutionnalisme écrit, il reste d’usage exceptionnel au profit des catégories et représentations anciennes : à savoir, tant la tradition du constitutionnalisme révolutionnaire est prégnante, les pouvoirs législatif et exécutif. L’Etat ne fonde en rien le droit public du XIXe siècle comme en témoigne la littérature publiciste de ce siècle. Ainsi que l’a souligné Luc Heuschling, il n’existe quasiment aucun ouvrage théorique qui soit consacré à l’Etat avant les années 1900 sous la plume d’un juriste[7]. Le monopole de l’enseignement du droit public appartient aux professeurs de droit administratif, matière qui se généralise dans les Facultés à compter de la monarchie de Juillet. Mais l’Etat ne requiert à aucun moment leur attention en tant qu’il servirait de soubassement à l’élaboration de leur science.

B. L’Etat sans corps ?
Le débat relatif à la personnalité morale de l’Etat

L’Etat ne s’invite sérieusement dans le débat politique en France qu’à compter du second Empire. Du fait que ce second césarisme, qui entend renouer en ses origines avec les principes de l’an VIII, consacre un retour à la centralisation administrative, il réarme le discours décentralisateur. Celui-ci s’était une première fois manifesté sous la Restauration dans la mesure où il exigeait que l’administration napoléonienne, autoritaire puisque nommée, fût réformée sur le modèle libéral de la Charte. En un mot les décentralisateurs exigeaient le retour à l’élection de l’organe délibératif au sein des départements et des communes et la reconnaissance, pour ces administrations, du pouvoir de délibérer librement sur les affaires d’intérêt local. Après que la législation décentralisatrice de la monarchie de Juillet leur procure en partie raison, le second Empire renoue avec la logique centralisatrice, notamment par ses décrets de 1852 et 1861 qui renforcent les pouvoirs de décision de l’administration préfectorale. La contestation décentralisatrice sous le second Empire se distingue néanmoins clairement du discours décentralisateur sous les monarchies censitaires dans la mesure où précisément elle sait dépasser le simple dilemme entre libéralisme du régime représentatif et illibéralisme de l’administration napoléonienne. Ce dont veulent faire prendre conscience les libéraux sous le second Empire, c’est que l’administration de type napoléonienne étoufferait jusqu’aux libertés individuelles et collectives. Il y aurait eu, du fait de l’accroissement continu des domaines d’intervention de l’administration, une mise sous tutelle de ces libertés. Ou pour le dire autrement, suivant une expression qui sera celle de Carre de Malberg, la société française serait devenue une société étatisée. C’est en effet par métonymie, alors qu’ils fustigent le poids de l’administration centrale et, à travers elle, le pouvoir trop important de l’exécutif, que les détracteurs de la centralisation emploient par commodité le mot Etat. Il est donc en grande partie une invention de ses détracteurs comme en témoigne par exemple l’œuvre d’Edouard Laboulaye[8]. L’Etat devient un sujet essentiel de controverse chez les publicistes comme en témoignent les titres même des essais publiés pro ou contra la centralisation entendue comme d’un Etat qui doit ou non instituer le social et administrer les libertés. Là où Charles Dupont-White défend la société étatisée en 1856 dans son ouvrage L’individu et l’Etat, Edouard Laboulaye plaide pour la réduction de la sphère de l’Etat en 1865 dans son essai L’Etat et ses limites.

Mais bien que Laboulaye fût juriste, il ne serait pas venu à l’idée de ces publicistes de fournir de l’Etat une définition purement abstraite parce qu’elle serait exclusivement juridique. Ce souci d’abstraire l’Etat pour l’arrimer dans le champ exclusif de la science juridique est essentiellement l’œuvre des universitaires Allemands. Cette histoire de la qualification juridique de l’Etat outre Rhin est bien connue grâce aux remarquables travaux de Michael Stolleis. Après l’échec du Wormärz, les libéraux cherchent, par des moyens juridiques, à assigner des limites à un modèle politique impérial et autoritaire. Contrairement aux publicistes français du second Empire englués dans les réalités de la centralisation administrative qualifiée d’Etat, les universitaires allemands ont tendance à révéler l’Etat par une approche exclusivement juridique, désengagée en quelque sorte des contingences politiques et/ou institutionnelles. L’Etat est à la fois titulaire de droit mais rencontre des limites qui seraient celles du droit. Le droit public Allemand se structure ainsi tout entier autour d’une science juridique de l’Etat qui, par là même, accède comme abstraction à la vie[9].

Après Sedan, dans le contexte de la crise Allemande de la pensée française, dans le contexte de la montée en puissance de ce que l’on qualifiera par la suite les Etats-nations, les universitaires français s’approprient la science juridique allemande et, entre les années 1890 et 1920, la question de la définition juridique de l’Etat restructure l’ensemble du droit public sur notre territoire, aussi bien le droit constitutionnel naissant que le droit administratif qui trouve dans la définition juridique de l’Etat la possibilité de relégitimer et de refonder sa science. Après que la Revue du droit public a été lancée en 1894 avec pour objectif essentiel de structurer tout ce droit autour de la question de l’Etat, ce dernier fait l’objet d’un premier traité en deux tomes sous la plume acerbe de Léon Duguit[10]. Paradoxalement, alors qu’il entend réfuter complètement les théories allemandes qui attribuent à l’Etat une personnalité juridique, il contribue à acclimater les juristes français à cette fiction.

Si Duguit mène une croisade contre la fiction de l’Etat, c’est qu’il ne supporte pas qu’on puisse lui attribuer la titulature de la souveraineté comme un droit en lieu et place de la nation, qui l’exerçait comme un pouvoir. D’ailleurs Duguit a le mérite de la cohérence : il nie que la nation abstraite ait pu réussir à exercer sa souveraineté[11]. En connaisseur de l’histoire du droit, il s’oppose à la fiction première pour laquelle on cherche à trouver un titulaire, à savoir qu’il lutte contre l’idée de souveraineté elle-même. Issue selon ses propres mots de la théocratie médiévale, elle doit être répudiée comme une sorte de monstruosité métaphysique[12]. Le progrès des sciences juridiques – on sait ce que le positivisme de Duguit doit à Auguste Comte – consiste en ceci qu’il ne peut envisager que la réalité des titulaires de droits. L’Etat et la souveraineté sont des idées inadaptées à une analyse juridique du pouvoir, qui doit être centrée sur les seuls rapports gouvernants/gouvernés.

En réponse, les théoriciens de la personnalité morale de l’Etat ne peuvent faire l’économie d’un débat qui consiste à trancher le point de savoir si l’Etat est une pure immatérialité ou s’il prend appui sur le réel d’organes, pour reprendre un mot qu’affectionne Carre de Malberg. Sur ce point, les écrits de ce dernier ainsi que ceux de Léon Michoud, avant lui, sont pétris d’ambiguïtés. Eric Maulin a parfaitement rendu compte des contorsions intellectuelles de Carre de Malberg : l’Etat n’est pas un organisme vivant mais il se fonde sur une réalité qui serait au moins issue de l’histoire, si ce n’est de la nature[13]. Pour le professeur strasbourgeois, « il y aurait dans l’Etat une double personnalité : une personnalité réelle, antérieure à sa personnalité juridique, et formant le substratum de cette dernière qui viendrait s’ajouter à la première[14] ». Mais l’Etat, in fine, doit être totalement désincarné parce que c’est la condition scientifique pour bâtir ce à quoi aspire Carre de Malberg : une théorie pure, à entendre comme purement juridique. A la suite de Jellinek et de Michoud dont il s’inspire, il peut ainsi écrire que « […] l’Etat ne doit pas être envisagé comme une personne réelle, mais seulement comme une personne juridique, ou plutôt l’Etat, n’apparaît comme une personne qu’à partir du moment où on le contemple sous son aspect juridique[15] ». A ce titre, Carre de Malberg écarte d’un revers de main (en note de bas de page) toute possibilité d’anthropomorphisme, considérant qu’il s’agirait d’une théorie « discréditée » : « Il est superflu d’ajouter que cette notion purement juridique n’a rien de commun avec la théorie naturaliste qui prétend que l’Etat est un organisme vivant tout comme l’homme ou l’animal, et qui fonde sur cette prétendue constatation la réalité de son être et de sa personnalité[16] ».

Du côté de Léon Michoud, qui dès 1906 livre sa somme consacrée à la Théorie de la personnalité morale, les mêmes ambiguïtés produisent les mêmes effets. Les ambiguïtés résultent du fait que, comme l’a souligné Nader Hakim récemment, Michoud ne peut se départir complètement de l’argument d’autorité qu’il tire d’une forme de jusnaturalisme[17] : l’Etat serait né d’un fait (essentiellement historique) que le droit constaterait (on reconnaîtra ici la charge classique des publicistes de la troisième République contre l’anhistoricité de la théorie du contrat social[18]). L’effet à tout le moins paradoxal est que le droit à un moment se défait ou se départi du réel : l’Etat connaît son hypostase dans la fiction de sa personnalité seulement morale.

II. L’anthropomorphisme inévacuable

Le lecteur inattentif nous objectera que nous n’avons rien entendu de la théorie pure (i.e. juridiquement pure) de la personnalité morale de l’Etat : elle consiste seulement à imputer à une unité abstraite, qui a le mérite de la continuité, des actes juridiques, pour la force et la sécurité de ces derniers. Qu’importe si d’un œuf juridique – l’acte – on déduit la poule, à savoir la nature de l’auteur de l’acte, dont pourtant l’acte ne nous dit rien. Il n’y aurait pas là de quoi fouetter un juriste.

Comme l’a minutieusement étudié François Brunet dans une thèse récente[19], et dont il n’a pas été suffisamment rendu compte, toute la limite à la théorie du droit consiste en ceci qu’elle prétend évacuer les considérations qui porteraient sur les valeurs, et donc les croyances, dont le droit pourrait rendre compte.

C’est ainsi qu’il n’est pas dit une fois pour toute, c’est ainsi qu’il n’est pas absolument certain que le droit ne soit qu’une opération de la raison – qui plus est juridique – où par un pur jeu de l’esprit il ne serait par exemple qu’un rapport de normes qui se subsument. Le droit restera toujours confronté à la double problématique de son origine et de sa légitimité. Il s’inscrit ainsi dans une culture qui a plus à lui apprendre qu’il ne l’éclaire en retour. Pour le dire autrement, la méthode logico-déductive de la théorie de l’Etat semble aux antipodes de ce que l’anthropologie dogmatique nous dit de l’Etat.

A. Un détour par l’anthropologie dogmatique :
là où l’Etat recouvre tout autre chose qu’une personne morale

La théorie de l’Etat et l’anthropologie dogmatique partent d’un même constat : l’Etat a pour raison d’être d’éviter, comme l’écrivait Georges Burdeau dans son essai sur L’Etat, qu’un homme s’impose par la force à un autre homme[20]. La pure domination trouve dans l’Etat des limites qui sont celles du droit. C’est ce qui incite les théoriciens du droit à ne qualifier que juridiquement l’Etat. Mais c’est ce qui incite l’anthropologie dogmatique à qualifier l’Etat autrement que par le droit ; à savoir comme un invariant garant du droit. L’Etat est ainsi pour Pierre Legendre et Alain Supiot à prendre au sérieux comme question de langage : il est étymologiquement ce qui se tient debout parce que « [c]e montage institutionnel est la réponse occidentale à un impératif anthropologique affronté par toutes les civilisations humaines, qui doivent, pour se maintenir, métaboliser les ressources de la violence en référant le pouvoir à une origine qui tout à la fois le légitime et le limite[21] ».

Là où, par conséquent, théorie du droit et anthropologie dogmatique divergent profondément est que, pour la première, il est contre-productif de vouloir dévoiler l’origine d’un Etat : il ne présenterait que la figure odieuse de la Gorgone. En revanche, tout l’objet de l’anthropologie dogmatique est de précisément lever le voile ou, pour employer l’expression de Pierre Legendre, de « dévoiler les coulisses » de tout montage institutionnel dont l’Etat serait la figure type depuis l’appropriation, par les canonistes, de l’héritage juridique romain au profit de l’empire universel de Rome aux XIIe-XIIIe siècles. Car le propre de l’anthropologie dogmatique – qui de ce point de vue est très datée dans l’histoire des sciences humaines – consiste en une forme de structuralisme. Elle cherche les invariants en quelque sorte sous, ou en amont, des constructions juridiques ; elle cherche à éclairer non le droit en lui-même mais sa raison d’être ; elle tente d’appréhender non pas tant le comment du droit public mais son « pour quoi ? ». Et si l’anthropologie dogmatique est une histoire généalogique, elle fait fi forcément du moment 1789 et de la désincarnation de la souveraineté. En effet, si l’Etat emprunte à un prototype pontificaliste, il se doit d’être incarné parce que le christianisme est par essence la religion de l’incarnation. Il se doit du moins d’avoir l’anthropomorphisme comme croyance fondatrice même si le droit, comme opération du langage ou comme « forçage » ainsi que l’exprime Legendre, saura très bien distinguer ce qui relève du corps immortel du souverain ; c’est l’objet même de la souveraineté, perpétuelle par principe dès lors que « tout pouvoir vient de Dieu » selon le père de l’Eglise.

Toute la limite, peut-être, de l’anthropologie dogmatique, est de prendre très au sérieux un prototype d’Etat pontifical, de supposer comme intangible et comme seule genèse occidentale ce modèle à la vérité situé historiquement. En un mot l’anthropologie dogmatique prend pour modèle l’œuvre des canonistes qui considèrent que la fiction ne peut contrarier une nature créée par Dieu là où pour le droit romain – et peut-être pour la théorie du droit – la fiction de la personnalité est un mensonge assumé aux fins de l’efficacité des opérations du droit[22]. Ce qui n’empêche pas Pierre Legendre, notamment dans Le désir politique de Dieu, d’insister sur le fait que l’Etat forgé par la « bible » romano-canonique reste une fiction au sens d’un mensonge[23]. Mais ce qui distingue cette fiction de la personne eu égard à la fiction romaine de la personnalité, est qu’elle emprunte, du fait de son monothéisme, à un anthropomorphisme au moins symbolique. L’Etat est comme Dieu : l’éternel absent auquel les fictions donnent corps. L’Etat est donc une fiction qui parle par le droit parce que l’Etat emprunte à un anthropomorphisme symbolique qui est pour Legendre inévacuable. Cette histoire généalogique et symbolique, fondée principalement en croyance (la Raison avec un R majuscule pour Legendre), du fait qu’on ne pourrait évacuer le monothéisme latin, justifie ainsi qu’on doive assimiler l’Etat à un Père. Comme on l’a analysé en détail dans une contribution récente[24], la figure structurante de toute identification au pouvoir est celle du Père car, pour Legendre, il convient toujours de « remonter jusqu’à la manœuvre institutionnelle du père pour découvrir le fondement anthropologique du pouvoir comme fonction[25] ».

Si la souveraineté est tout ce qui donne corps à l’Etat comme l’écrivait Loyseau, la représentation dogmatique du souverain – au sens spécifiquement legendrien de mise en scène – ne peut faire l’économie d’un anthropomorphisme au moins en images : il se donne à voir pour que l’individu s’y projette.

B. Le corps désiré de l’Etat : l’Etat en images pieuses

L’acceptation du droit dépend de sa légitimité. L’acceptation est-elle raisonnée ? Il reste incertain que le droit tire sa force obligatoire de la sanction ; aussi bien peut-il tirer cette force obligatoire en quelque sorte en amont de toute sanction ; aussi bien peut-elle résulter d’un lien de confiance : le lien fiduciaire. Ce dernier, pour l’anthropologie dogmatique, tiendrait au fait que ce lien n’est pas une pure opération de la raison. Par emprunt à la psychanalyse, Pierre Legendre considère ainsi que l’Etat, en tant qu’Institution, s’adresse d’abord au désir. C’est en cela qu’il institue : il résout la question anthropologique liée à la question massive de l’Etre. L’Etat ce serait rien moins que le tiers garant d’une identification à soi et au monde.

Si « [n]ous ne sommes pas prêts à reconnaître que les constructions institutionnelles mettent en scène des figurations du désir[26] » c’est essentiellement parce que, pour l’anthropologie dogmatique, le droit public contemporain commet l’erreur de vouloir ignorer les enseignements de la psychanalyse. A commencer par cet « accident de la pensée » que serait la découverte de l’inconscient. La « prise en compte de l’inconscient défait notre vision de l’institutionnel. Pourquoi ? Parce que le lien du sujet et de la société n’apparaît plus comme relation de surface, faite de discours et comportements objectivables[27] ». Mû par son inconscient qui n’est que désir, « l’animal parlant » qu’est l’homme a besoin d’être borné – éduqué – dans l’expression de son désir : il doit pouvoir le projeter sur l’Etat. A ce titre, les justifications juridiques et savantes du pouvoir de cet Etat n’auraient pour fonction que de s’adresser au désir. Pierre Legendre, dès 1974, consacre tout un essai à rendre compte des catégories du droit public à l’aune d’un inconscient qui ne serait que la manifestation du ou des désirs. Dans L’Amour du Censeur, au chapitre intitulé « Où Freud pouvait voir l’institution », il considère ainsi que le « grand œuvre institutionnel […] travaille à escamoter ou réduire le désir ». La soumission à l’institution doit être alors « l’amour de l’institution ». Elle doit, pour y parvenir, se mettre en scène et prendre l’apparence d’une personne à laquelle « l’amour de l’institution » pourra être dédié[28]. On devine ici, pour Legendre, toute l’importance de la fiction juridique qui consiste à assimiler l’Etat à une personne. Même si l’Etat est une fiction et donc a priori une forme vide, par l’effet du monothéisme latin, il investit le corps d’une personne. Alors que la théorie du droit rejette hors du droit la représentation par les images, l’anthropologie dogmatique, au contraire, insiste sur son importance. On sait tout l’intérêt que Pierre Legendre porte à l’iconographie du pouvoir où l’anthropomorphie est en quelque sorte un passage obligé ; elle en dit aussi long que le discours juridique en soutien de la souveraineté car elle met en scène son prestige ; c’est ce prestige qui fonde la foi en ce qu’on nomme l’Etat. Ainsi de la gravure anglaise extraite de George Wither, A Collection of Emblems, 1630 que Legendre reproduit à deux reprises, dans son essai La Balafre puis dans son essai Fantômes de l’Etat en France. Elle représente le Prince armé d’une épée et d’un livre. Pour notre auteur, « [e]lle énonce la représentation iconique de l’Etat en Europe, sur fond de romano-christianisme : le César, maître du Livre et de l’Epée[29] ». Charles Ier, déguisé en empereur romain, représente l’Etat du fait de la Couronne, symbole de la souveraineté. C’est ainsi, poursuit Legendre, que « [l]’Emblème du roi portant sa Couronne nous permet de mettre le doigt sur ce qui constitue le ressort des structures étatiques […]. Ce ressort, c’est la logique des valeurs […]. Autrement dit, l’Etat est un sujet de fiction, une personne morale comme disent les juristes, dans la présence et l’efficacité de laquelle on croit. Cela signifie que, sans le ressort de valeurs fiduciaires, sans le ressort des croyances, un Etat se décompose ou n’est qu’une apparence d’Etat[30] ».

Les portraits officiels des présidents de la cinquième République ne perpétuent-ils pas ce tour de passe-passe du souverain incarné ? Ne sont-ils pas ce qu’étaient pour l’église les images pieuses : celles auxquelles on voue sa dévotion et sa foi ? Ce n’est pas la Nation, encore moins l’Etat que l’on figure : c’est un homme. Juridiquement Président de la République. Inconsciemment, pour l’imaginaire collectif auquel le portrait officiel s’adresse, chef de l’Etat. De l’Etat il a visuellement la stature puisqu’il se tient debout. En l’occurrence dans un palais, celui de l’Elysée. Outre que ce palais perpétue la tradition du souverain plébiscité – donc aimé – du second Empire, son nom même s’adresse au désir collectif comme à notre insu : réservées aux âmes vertueuses après leurs morts, les champs élyséens sont pour Homère le lieu où la vie la plus douce est offerte aux humains. Debout donc, le souverain moderne qu’est Emmanuel Macron n’est pas en pieds : l’iconographie moderne se doit de nous le montrer comme par sa tête. L’effet visuel le couronne. Ce souverain est, ainsi que le disaient les médiévaux au sujet des lois du Roi, de certa scienca. En témoigne le livre ouvert, comme consulté à l’instant, posé à la droite du président sur son bureau et dont le photographe vient de le distraire. Le chef de l’Etat était au travail ; il s’inspirait de la vérité des écritures qu’il est chargé de nous relever comme en témoigne cette mise en scène. Il est à la fois le prêtre des lois comme l’étaient les magistrats pour Domat et la loi vivante comme l’était le Roi dans l’ancien droit parce qu’il a la maîtrise du texte de ce livre volontairement anonyme puisque qu’il est un symbole – de ce maître livre (sinon à quoi bon le faire figurer ?) dont tout porte à croire qu’il puisse s’agir d’une Bible.


[1] L. Duguit, L’Etat, le droit objectif et la loi positive, Paris, Fontemoing, 1901, p. 242.

[2] R. Descartes, Méditations métaphysiques (1647 pour la version française), Paris, Garnier-Flammarion, 2009, p. 79 (Première Méditation. Des choses que l’on peut révoquer en doute).

[3] La querelle sur la question de savoir si la personne morale est « réelle » ou purement fictive occupe en premier lieu la doctrine dite privatiste à un moment où le législateur reconnaît, par la loi de 1901, la personnalité morale aux associations. Le débat est d’autant plus vif que la Révolution avait, par la suppression des privilèges et donc des ordres, comme jeté un interdit sur la question de la personnalité morale appliquée à des êtres collectifs.

[4] R. Carre de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, Paris, Sirey, 1920, tome I, p. 9 : « […] dans les sociétés étatisées, ce que les juristes nomment à proprement parler l’Etat, c’est l’être de droit en qui se résume abstraitement la collectivité nationale. Ou encore, suivant la définition adoptée par les auteurs français : l’Etat est la personnification de la nation ». Carre de Malberg se réfère explicitement à A. Esmein qui, dans ses Eléments de droit constitutionnel, Paris, 1896, écrivait dès la page 1 de son Introduction : « L’Etat est la personnification d’une nation ».

[5] M. Gauchet, La Révolution des pouvoirs. La souveraineté, le peuple et la représentation (1789-1799), Paris, Gallimard, p. 187 et s.

[6] G. Bigot, « La force du gouvernement. Ecritures et réécritures constitutionnelles de l’administration (1789-1795) », Ahrf, 2017, n° 3, p. 19-37.

[7] L. Heuschling, Etat de droit, Rechtsstaat, Rule of Law, Paris, Dalloz « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », 2002, p. 348 : « Du temps de la Révolution, le terme Etat tombe quelque peu dans l’oubli […]. Si le terme est connu de tous les auteurs de l’époque allant de 1815 à 1870, on cherchera néanmoins en vain un chapitre exclusif consacré à une théorie générale de l’Etat […]. En général, les définitions de l’Etat sont rares et succinctes ».

[8] G. Bigot, « La conception de l’Etat dans l’œuvre d’Edouard Laboulaye », Rfhip, n° 47, 2018, p. 59-80.

[9] M. Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne, 1800-1914, Paris, Dalloz « Rivages du droit », 2014, notamment p. 587 et s. V. également O. Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918), Paris, Puf « Léviathan », 2005, p. 231 et s.

[10] L. Duguit, L’Etat, le droit objectif et la loi positive, préc. et L’Etat, les gouvernants et les agents, Paris, Fontemoing, 1903.

[11] L. Duguit, L’Etat, le droit objectif et la loi positive, préc. p. 251.

[12] Ibid. p. 243 et s.

[13] E. Maulin, La théorie de l’Etat de Carré de Malberg, Paris, Puf « Léviathan », notamment p. 149 et s.

[14] R. Carre de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, préc. p. 25.

[15] Ibid. p. 27.

[16] Ibid. note de bas de page n° 22.

[17] N. Hakim, « Michoud et la doctrine de droit privé », in Léon Michoud, X. Dupre de Boulois et Ph. Yolka (dir.), Paris, Institut Universitaire Varenne « Colloques & Essais », 2014, p. 63-84.

[18] L. Michoud, La théorie de la personnalité morale. Son application au droit Français (1906), 2e édition par Louis Trotabas, Paris, Lgdj, 1924, Tome I, p. 289 (chapitre III – La création des personnes morales de droit public) : « L’Etat est la première personne juridique que nous rencontrons dans le monde actuel. Son existence est un fait naturel, que le Droit n’a qu’à interpréter, et dont il paraît tirer les conséquences juridiques ».

[19] F. Brunet, La normativité en droit, Paris, Mare & Martin « Bibliothèque des thèses », 2011, notamment p. 427 et s. pour ce qui concerne le droit public.

[20] G. Burdeau, L’Etat, Paris, Seuil, 1970, p. 15.

[21] A. Supiot, La Gouvernance par les nombres. Cours au collège de France (2012-2014), Paris, Fayard « Poids et mesures du monde », 2015, p. 274.

[22] Cette distinction fondamentale entre la fiction juridique romaine et la fiction juridique du droit romano-canonique a été parfaitement mise en lumière par Yan Thomas, Les opérations du droit, Paris, Ehess Gallimard-Seuil, 2011, p. 133-185.

[23] P. Legendre, Leçons VII. Le désir politique de Dieu. Etude sur les montages de l’Etat et du Droit, Paris, Fayard, 2e édition, 2005, p. 55 et s.

[24] G. Bigot, « Une généalogie de l’Etat ? Notes brèves sur le Trésor historique de l’Etat en France au miroir de l’anthropologie dogmatique », Revue d’Histoire des Facultés de Droit, 2017, p. 563-583.

[25] P. Legendre, Leçons VII. Le désir politique de Dieu, préc. p. 280.

[26] Ibid. p. 27.

[27] P. Legendre, De la société comme texte. Linéaments d’une anthropologie dogmatique, Paris, Fayard, 2001 ;p. 114.

[28] P. Legendre, L’Amour du Censeur. Essai sur l’ordre dogmatique, Paris, Seuil « Champ Freudien », 1974, réédition 2005, p. 29.

[29] P. Legendre, La Balafre. A la jeunesse désireuse d’apprendre… Discours à de jeunes étudiants sur la science et l’ignorance, Paris, Mille et une Nuits « Les quarante piliers », 2007, p. 110.

[30] P. Legendre, Fantômes de l’Etat en France. Parcelles d’histoire, Paris, Fayard « Les quarante piliers », 2015, p. 196-198.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

La crise du droit de l’environnement dans un contexte de crise écologique (Dr. X. Braud)

Voici la 31e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 3e livre de nos Editions dans la collection « Académique » : les Mélanges en l’honneur du professeur Jacques Bouveresse.

Il s’agit en l’occurrence d’un article du Dr. Xavier Braud à propos de la cris du droit de l’environnement …

Cet ouvrage est le troisième
issu de la collection « Académique ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume III :
Contributions en l’honneur du pr. Jacques Bouveresse.
Crise(s) & Droit(s)

Ouvrage collectif
(Direction Guy Quintane & Christophe Otero)

– Nombre de pages : 344
– Sortie : juillet 2015
– Prix : 69 €

  • ISBN / EAN : 979-10-92684-13-1 / 9791092684131
  • ISSN : 2262-8630


Présentation :

Les actes du présent colloque qui s’est tenu les 04 & 05 novembre 2014 à l’Université de Rouen, rassemblent, sous les thèmes fédérateurs de la crise et du droit – entendus dans leurs diverses composantes – les contributions de plusieurs universitaires en l’honneur du professeur émérite d’histoire du droit Jacques BOUVERESSE. La notion de crise, d’une grande actualité et si souvent évoquée, trouve des illustrations dans les différentes branches du droit. Néanmoins, si la crise est plurielle et que ses occurrences juridiques le sont aussi, ce n’est pas pour souligner leurs acceptions distinctes que ces contributions ont été réunies. Il ne s’agit donc pas d’identifier et de dissocier les manifestations de crise dans chacune des branches juridiques. Au contraire, en s’associant aux objectifs défendus par le COLLECTIF L’UNITE DU DROIT accueillant le présent ouvrage dans ses collections, les auteurs, qu’ils soient privatistes, publicistes ou historiens du droit montrent ici, non seulement la manière dont le droit est mobilisé pour tenter de réduire les crises qui affectent l’espace social, mais aussi les formes nouvelles qu’il prend tant il apparaît que la crise devient l’un de s traits distinctifs de ce même espace.

Les aspects traités au sein du présent volume – les leçons de l’histoire ; le droit et la crise économique et financière ; le droit, la science, le sujet ; le droit et la crise des pouvoirs ; la crise du droit – ne doivent rien au hasard. Ils font écho, d’abord, à la personnalité atypique de Jacques BOUVERESSE qui a toujours cherché à dépasser les frontières académiques, ensuite, à ses nombreux centres d’intérêt, et enfin, à sa production scientifique fournie tout au long d’une carrière d’enseignant-chercheur qui l’est tout autant. L’ouvrage est placé sous la direction scientifique du professeur Guy QUINTANE & de M. Christophe OTERO.

La crise du droit
de l’environnement
dans un contexte
de crise écologique

Xavier Braud
Maître de conférences en droit public, Université de Rouen

Pour la première fois dans l’histoire de la terre, la planète est confrontée à une crise globale, due exclusivement à l’action d’une espèce vivante, l’homo sapiens sapiens, et de nature à remettre en cause l’existence de cette même espèce, voire même de la vie dans son ensemble.

Le consensus scientifique représenté par le Giec qualifie de hautement improbable l’hypothèse consistant à limiter le réchauffement climatique à 2°C en 2100. Or les hypothèses du Giec ont presque systématiquement été démenties par leur excès d’optimisme. Nous sommes actuellement sur une trajectoire de +4 à +5°C[1], alors que le seuil de 2°C est considéré par le consensus scientifique comme à ne pas dépasser, au risque d’aboutir à une situation d’une particulière gravité et totalement incontrôlable. En effet au-delà de ce seuil (et peut-être avant), le réchauffement s’accélère, s’emballe et s’auto-entretient en dégageant des quantités phénoménales de gaz à effet de serre, notamment ceux séquestrés dans le permafrost (sols gelés). Loin de diminuer, les émissions mondiales de gaz à effet de serre n’ont jamais cru aussi vite qu’en 2013 et 2014 avec le retour en force du charbon[2]. En France, elles ne diminuent pas (+0,6% en 2013). L’année 2100 est un horizon à court terme, aucun scénario ne peut prévoir ce qui se passera au delà, un siècle ou deux plus tard. La seule certitude, c’est l’emballement du réchauffement qui peut aboutir à des situations inimaginables, accélérant encore l’écocide actuellement en cours.

L’autre volet de la crise, qui est en partie liée au premier, est l’effondrement de la biodiversité. Le langage officiel évoque une érosion de la biodiversité. Une négation de la situation quand on évalue la disparition des effectifs de vertébrés (hors homo sapiens sapiens) à 50% en l’espace de seulement 40 ans[3]. La vie animale réduite de moitié en un instant à l’échelle de l’histoire de la vie sur Terre !

Face à ces perspectives effroyables, on pourrait imaginer que le droit de l’environnement soit mis à contribution pour participer à la lutte contre la crise écologique. Or, que constate-t-on ? Une agitation des pouvoirs publics, qui culmine avec la mise en scène spectaculaire du « Grenelle environnement » et se poursuit avec les « conférences environnementales » qui trouvent notamment leur prolongement dans les Etats généraux de la modernisation du droit de l’environnement[4]. Sous le Président François Hollande, 4 ministres de l’Ecologie se sont succédés en deux ans, et la dernière s’est illustrée par son soutien systématique aux groupes d’intérêts qui s’attaquent aux modestes acquis du droit de l’environnement.

Comme on le verra, avec des illustrations qui touchent le droit de l’environnement industriel et des transports (crise climatique) et le droit de la protection de la nature (crise de la biodiversité), le droit de l’environnement se gâte. Toujours plus de gras, toujours moins de muscle.

I. Un droit qui engraisse

Un droit efficace se doit d’être constitué d’un nombre limité de normes simples, claires et précises. Tel n’a jamais été le cas du droit de l’environnement. Mais ces dernières années, la tendance au bavardage et à la complexification inutile du droit de l’environnement, s’est fortement accentuée.

A. Un droit toujours plus bavard

Loin de nous l’idée de prétendre que le droit de l’environnement ait connu un âge d’or. Mais tout de même, force est d’observer l’existence d’un fossé en vingt ans de législation environnementale.

La loi du 3 janvier 1986 relative à la protection et à la mise en valeur du littoral comporte moins de trente articles dont deux concernent l’urbanisme littoral[5]. Ces deux articles sont, illustrés par une jurisprudence abondante, d’une grande clarté, et permettent incontestablement la préservation des milieux littoraux présentant le plus grand intérêt écologique. Second exemple, la loi du 3 janvier 1991 sur la circulation motorisée dans les espaces naturels. Quatre articles seulement, qui interdisent – avec quelques exceptions –, ou encadrent des activités et comportements clairement identifiés, relatifs à la circulation des véhicules terrestres à moteur dans les espaces naturels, ou la circulation des motoneiges.

Vingt ans plus tard, c’est la loghorrée législative. La loi Grenelle 1 relève plus du discours politique que d’un texte normatif : « La présente loi, avec la volonté et l’ambition de répondre au constat partagé et préoccupant d’une urgence écologique, fixe les objectifs, et à ce titre, définit le cadre d’action, organise la gouvernance à long terme et énonce les instruments de la politique mise en œuvre pour lutter contre le changement climatique et s’y adapter, préserver la biodiversité ainsi que les services qui y sont associés… ». Ceci n’est pas un extrait de l’exposé des motifs, mais seulement le début du 1er alinéa de l’article 1er de la loi du 3 août 2009. L’article 2 commence ainsi « La lutte contre le changement climatique est placée au premier rang des priorités. Dans cette perspective, est confirmé l’engagement pris par la France de diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050… ». Une déclaration d’intention, et une indication purement confirmative d’engagements internationaux.

Certes, comme la loi l’annonce, elle fixe des objectifs, mais qui restent incantatoires, tant l’absence de dispositions juridiques et financières utiles pour les atteindre est criante. Ainsi, l’article 11 de la loi Grenelle 1 énonce que « le programme d’action permettra d’atteindre une croissance de 25% de la part modale du fret non routier et non aérien d’ici à 2012 ». La part modale du fret ferroviaire était de 14% en 2009, elle atteint non pas 17,5% quatre ans plus tard, mais…9%[6] !

La loi portant engagement national pour l’environnement, dite Grenelle 2, censée mettre en œuvre juridiquement les objectifs de la loi Grenelle 1, présente un niveau normatif à peine plus élevé. Le texte comporte, lui aussi, des énoncés, pétitions de principe, ou encore des réécritures de dispositions existantes, des renumérotations, notamment au sein du code de l’urbanisme qui souffre pourtant d’instabilité chronique. Ce texte bat tous les records : 257 articles, 124 pages de journal officiel, 190 décrets à intervenir. Une agitation invraisemblable au regard des maigres évolutions du droit de l’environnement. Au mieux, certaines dispositions se contentent de transposer des directives européennes qui auraient dû l’être parfois depuis des années.

En matière de lutte contre le réchauffement climatique, c’est l’inconsistance absolue. En dehors de la détermination d’objectifs, sans précision de moyens normatifs pour les atteindre, on relèvera d’abord des leurres législatifs, comme la définition de l’autopartage à l’article 54 – au demeurant erronée car confondue avec la voiture en libre service – sans aucune conséquence juridique. Et pour évoquer des choses plus sérieuses, est introduit à l’article 65 le « péage urbain » pour les véhicules motorisés dans les agglomérations de plus de 300 000h, dans des conditions tellement restrictives qu’il n’a aucune chance d’être mis en œuvre. La seule mesure forte en la matière, la taxe kilométrique poids-lourds, qui a fait la preuve de son efficacité en Allemagne, et surtout en Suisse, ne verra jamais le jour comme on le sait.

Quatre ans plus tard est lancée à grands renforts de communication le projet de loi relatif à la transition énergétique, laquelle reste dans une logique de bavardage législatif. Des objectifs sont énoncés (ou tout simplement rappelés et repris du texte précité), sans aucun moyen normatif pour les atteindre. Tous les amendements normatifs (ex : limitation de la durée de vie d’un réacteur nucléaire) sont systématiquement rejetés.

En matière de biodiversité, ce ne sont pas moins de 88 articles que contient la loi du 12 juillet 2010, dont 78 articles consacrés…à l’agriculture. Pour une illustration hélas banale, l’article 96 de la loi modifie l’article L. 256-2 du code rural relatif aux contrôles des matériels d’application des produits phytosanitaires. L’objet de ces contrôles n’est plus de vérifier « leur bon état de fonctionnement » mais « qu’ils fonctionnent correctement ». On s’interroge sur le lien entre ce bavardage législatif et la lutte contre l’effondrement de la biodiversité.

Le droit de la protection du littoral offre une illustration parfaite de l’apparition d’un droit bavard. La loi précitée du 3 janvier 1986, intégrée pour partie au code de l’urbanisme, comporte un nombre limité de prescriptions claires et précises. Le législateur du Grenelle environnement a pourtant jugé utile de doubler ce droit de police d’un droit bavard sur la gestion intégrée des zones côtières (Gizc), c’est à dire sur le droit du littoral. L’article 35 de la loi Grenelle 1 énonce ainsi que « une vision stratégique globale, fondée sur une gestion intégrée et concertée de la mer et du littoral, sera élaborée en prenant en compte l’ensemble des activités humaines concernées, la préservation du milieu marin et la valorisation et la protection de la mer et de ses ressources dans une perspective de développement durable ». Une déclaration d’intention de nature politique qui n’a pas sa place dans un texte de nature législative. En application de ce vœu, l’article 166 de la loi Grenelle 2 (plus de 3 pages de J.O.) a créé dans le code de l’environnement un nouveau chapitre curieusement intitulé « Politiques pour les milieux marins » insérant dix articles nouveaux dans le code de l’environnement dont aucun ne fixe de prescriptions opérantes. Ainsi l’article L. 219-9 énonce-t-il que « l’autorité administrative prend toutes les mesures nécessaires pour réaliser ou maintenir un bon état écologique du milieu marin ».

Relevons encore l’exemple-type de la disposition législative inutile : le relèvement des sanctions en matière de destruction d’espèce protégée : un an de prison et 15 000€ d’amende. Aucune peine de prison n’est jamais prononcée en la matière, et le maximum est loin d’être atteint par les rares décisions judiciaires intervenant dans ce domaine. La priorité n’est donc pas d’augmenter de façon illusoire le maximum, mais bien d’aboutir à ce que l’institution fonctionne, c’est à dire à ce que des contrôles soient effectués, des enquêtes menées et des poursuites engagées. On en est très loin.

En matière de protection de la nature, quatre ans plus tard, intervient là encore une nouvelle étape avec le projet de loi sur la biodiversité. La mesure principale, le regroupement d’établissements publics existants en une « nouvelle » agence de la biodiversité, n’apporte rien au fond du droit de la protection de la nature. Pour le reste, le projet procède à la rénovation du vocabulaire, à d’inutiles aggravations de sanctions pénales, à la création ou modification d’outils inutilisés tel que l’aménagement foncier environnemental.

B. Un droit toujours plus complexe

Dans une société complexe, qui manie des technologies élaborées et potentiellement dangereuses, le droit ne peut qu’être complexe. Toute complexité n’est pour autant pas indispensable et devient regrettable quand il ne s’agit plus d’adapter une réglementation à une situation délicate, mais de créer des édifices juridiques alambiqués pour régir des situations relativement simples.

Des complexifications évitables apparaissent notamment avec l’élaboration de législations successives qui créent des dispositifs différenciés de même nature alors qu’une unité aurait pu être trouvée. Tel est ainsi le cas des évaluations environnementales. A partir de 1976, est créée une grande et unique catégorie d’évaluation environnementale, l’étude d’impact sur l’environnement. Un système tellement clair et simple que l’on peut ici l’exposer à grands traits en très peu de lignes. Toute opération d’aménagement dont le coût excède un seuil financier (initialement 6 millions de F., aujourd’hui 1,9 M€) est présumé avoir un impact significatif sur l’environnement (biodiversité, air, climat…) et doit être, préalablement à sa réalisation, soumis, en application du principe de prévention, à une étude d’impact. Pour affiner quelque peu ce principe, le décret liste des catégories d’opérations qui sont dispensées de ladite étude d’impacts en raison de la faiblesse présumée de ces impacts environnementaux. Il comporte enfin, au contraire, une liste d’opérations qui sont soumises à étude d’impacts quand bien même leur coût serait inférieur au seuil financier.

Puis, en 1985 est créée l’évaluation environnementale propre aux unités touristiques nouvelles, en 1992 le document d’incidence sur le milieu aquatique, en 1993, le volet paysager du permis de construire, etc… Autant de bases juridiques, de contenus et de procédures différents[7], alors qu’il était tout à fait concevable d’en rester à l’étude d’impact unique, dès lors que s’applique un principe de proportionnalité (plus l’opération est importante, plus l’évaluation doit être poussée) et même de spécialité (plus certaines composantes de l’environnement sont affectées – montagne ; milieu aquatique ; paysage…– plus les effets sur ceux-ci doivent être précisément analysés.

La transposition du droit de l’Union européenne est également souvent l’occasion d’inutiles complexifications. Reprenons le même exemple des évaluations environnementales. Pourquoi déterminer des contenus distincts de celui de la traditionnelle étude d’impact aux évaluations environnementales des plans et programmes[8] ? Pourquoi, pire encore, exiger un contenu différent selon que le plan ou programme relève du code de l’environnement ou du code de l’urbanisme[9] ? On observera au passage que, s’agissant des Plu, trois régimes d’évaluation environnementale différents leur sont imposés selon les cas : Plu « ordinaire » (R. 123-2 du Code de l’urbanisme), Plu « susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement » (évaluation, le cas échéant, après examen de l’autorité administrative) et Plu littoraux (notamment) toujours soumis à évaluation dont le contenu est déterminé à l’article R. 123-2-1 du Code de l’urbanisme.

Il est regrettable que la France n’ait pas utilisé la marge de manœuvre qui était la sienne et qui lui aurait permis d’harmoniser le contenu de ces évaluations. Transposer telle quelle la distinction entre opérations qui sont soumises dans tous les cas à évaluation, et celles qui ne sont soumises qu’au cas par cas[10], constitue là encore une complexification inutile qu’il était possible d’éviter. Plus simplement, il était possible d’exiger dans tous les cas une étude d’impact sur l’environnement, en adaptant les exigences de contenu, sur le fondement du principe de proportionnalité.

Le dispositif le plus ingénieux en termes de complexité est, sans conteste, l’évaluation à géométrie variable, transposée de la directive Habitats naturels du 21 mai 1992. Il s’applique à 28 vastes catégories d’opérations[11] dont les Plu et les opérations soumises à étude d’impact, obligeant ainsi à une combinaison de deux (au moins) catégories d’évaluations environnementales. Ces opérations doivent faire l’objet d’un « exposé sommaire des raisons pour lesquelles l’opération est ou non susceptible d’avoir une incidence sur un ou plusieurs sites Natura 2000 ». Si tel est le cas, le contenu de l’étude doit être renforcé, et ainsi de suite pour aboutir à 4 niveaux différents d’exigence de contenu de ladite évaluation. Ce dispositif n’est d’ailleurs guère sérieux puisqu’il aboutit à confier au maître d’ouvrage le soin de déterminer lui-même le niveau d’exigence de l’étude qui lui est demandée, au risque, s’il est scrupuleux, de mettre l’Administration en situation de compétence liée[12] pour lui refuser l’autorisation sollicitée !

Une inutile complexification se retrouve en matière de législation sur la gestion intégrée des zones côtières déjà évoquée pour son côté bavard. La loi littoral brève, claire et normative, sera doublée par les lois Grenelle de dispositions relatives à la « Gestion intégrée de la mer et du littoral » (codifiées aux articles L. 219-1 et s. C. env.), dispositions qui instituent divers documents et schémas dont la procédure d’élaboration est particulièrement lourde, et qui apportent plus de confusion que de clarifications en la matière[13].

La complexification inutile peut également apparaître sous couvert d’innovation. Tel est le cas en matière de prétendue « nouvelle gouvernance » de l’environnement instituée par le Grenelle environnement. La grande ambition initialement affichée aboutit finalement à une micro-réforme concernant le seul régime des associations agréées. Il eût été suffisant de réformer à la marge le régime de l’agrément pour déterminer un nombre plus restreint d’interlocuteurs associatifs privilégiés des pouvoirs publics, sur la base de critères objectifs. Mais le législateur[14] a décidé de créer un nouveau régime, celui des associations représentatives, aux côtés du régime existant des associations agréées. Ceci pour permettre, aux premières seulement, d’être nommées dans les instances consultatives et décisionnelles de l’Etat et de ses Etablissements publics. Ce qui ne résout aucune des difficultés posées aux associations dans ce cadre[15].

Le type de complexification le plus paradoxal est celui qui intervient masqué sous une vertueuse ambition de simplification. Le cas le plus frappant de ce mécanisme est celui de la création d’une troisième classe d’installation classée, celui de l’enregistrement, qui vise non pas à simplifier la police des installations classées, mais à alléger les exigences pesant sur les exploitants, autrement dit, qui constitue une régression du droit de l’environnement.

II. Un droit qui régresse

Le principe de « non régression »[16] du droit de l’environnement que certains auteurs appellent de leurs vœux, est loin de se concrétiser. Tout au contraire, dans le sillage du « l’environnement, ça commence à bien faire », lancé par le président Sarkozy, les régressions du droit protecteur de l’environnement se multiplient depuis quelques années.

A. Un droit toujours plus souple

L’environnement semble être l’une des principales « terre d’élection du droit souple »[17], qui remet en cause la finalité protectrice du droit de l’environnement. Ceci peut-être illustré par la protection contractuelle des espaces naturels comme par l’essor d’une planification molle.

i. Le développement des protections contractuelles

Le développement des protections contractuelles traduit un ramollissement du droit de la protection de la nature, qui n’est plus fondé, dans certains cas, comme celui des sites Natura 2000, que sur une protection facultative. Les protections contractuelles, qui présentent au demeurant un certain coût pour les finances publiques, ne permettent d’atteindre, partiellement, l’objectif de conservation, que si suffisamment de propriétaires ou exploitants se portent volontaires pour conclure des contrats et…exécutent pleinement les obligations qui en découlent. Que le propriétaire ou l’exploitant juge la contrainte trop forte, la contrepartie proposée trop faible, ou qu’il ne souhaite pas modifier ses pratiques, et la protection n’est pas mise en œuvre. Et lorsqu’elle l’est, la protection est toujours provisoire, les contrats sont conclus pour cinq ans et, en cas de vente, le nouveau propriétaire n’est pas lié par les engagements pris par le vendeur.

Une fois conclu, le contrat doit être effectivement mis en œuvre, ce qui implique des contrôles, car il serait particulièrement confortable, pour le co-contractant, de bénéficier de la contrepartie financière sans pour autant modifier ses pratiques. Or, l’Administration n’est pas en position de force pour procéder à ces contrôles. Les contrôles inopinés sont exclus (R. 414-15 C. env.) et les sanctions possibles consistent en la suspension des aides ou au plus en la résiliation du contrat. Le prononcé de sanction revient donc à prendre acte de l’absence ou de l’insuffisante protection, voire à renoncer à la protection contractuelle, ce qui est l’inverse du but recherché par l’Etat.

Dès 1999, la Cour de justice des communautés européennes a condamné la France en manquement[18], pour n’envisager la protection des zones de protection spéciale pour les oiseaux que par la voie d’engagements contractuels « en raison de leur caractère volontaire et purement incitatif à l’égard des agriculteurs ». Ce à quoi il faut ajouter que l’on ne voit pas bien comment les activités des tiers, non propriétaires ni exploitants, pourraient être encadrées par la voie contractuelle. Que l’on pense aux activités sportives et de loisir comme la chasse, les sports motorisés (Ulm, quads, motos, 4×4…) ou non (canoë-kayak, pêche à pied…).

Les corridors écologiques identifiés dans les trames vertes et bleues ne sont pas, on l’a vu, protégés par des mesures de police telles que celles applicables aux réserves naturelles, sites classés, etc… L’article L. 371-3 d) du code de l’environnement énonce que le Srce comprend « les mesures contractuelles permettant, de façon privilégiée, d’assurer la préservation et, en tant que de besoin, la remise en bon état de la fonctionnalité des continuités écologiques », mais les dispositions réglementaires ne font plus aucune mention de ces mesures de protection contractuelle dont on ignore donc si elles verront effectivement le jour.

En ce qui concerne la protection des milieux aquatiques, il convient de mentionner les échecs successifs des plans « Bretagne eau pure », lancés à partir de 1990, qui ont certes permis de contribuer à subventionner l’élevage breton hors-sol, mais en aucun cas à améliorer la qualité de l’eau[19].

ii. Le développement de pseudo-planifications

L’assouplissement du droit de l’environnement s’observe également en ce qui concerne les outils de « planification ». Là encore, des outils relativement efficaces ont pu être créés dans les années 1990 avec notamment les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage), grâce à des exigences de conformité et de compatibilité (L. 212-1-XI C. env.). Cette exigence de compatibilité est contrôlée de façon rigoureuse par le juge administratif comme en témoigne l’abondante jurisprudence annulant des autorisations au titre de la police de l’eau pour incompatibilité avec un Sdage. Mais encore, le Sdage, schéma protecteur, s’impose à d’autres schémas y compris aménageurs, comme le schéma départemental des carrières (L. 515-3 dernier al. C. env.) par le même lien de compatibilité.

Vingt ans plus tard, le législateur n’a pas renoncé à créer de nouveaux outils, il a seulement renoncé à les doter d’une portée normative susceptible de leur faire produire des effets protecteurs. Les schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie, créés en 2010, sur les cendres des plans régionaux pour la qualité de l’air n’ont d’autre ambition que d’afficher des objectifs généreux sans moyen juridique pour y parvenir[20]. Ce schéma comporte de nombreux inventaires et orientations. Les dispositions législatives et réglementaires sur la procédure d’élaboration et d’approbation sont particulièrement détaillées. Mais aucune disposition n’attribue d’effets juridiques à un tel schéma, aucune obligation de conformité, de compatibilité ni même de prise en compte n’est évoquée, par exemple à l’égard des décisions administratives relatives aux infrastructures routières ou relevant de la police des installations classées. Seule une obligation de compatibilité est énoncée, concernant les plans de déplacements urbains, les plans climat-énergie territoriaux (L. 229-26 C. env.) qui doivent être élaborés par les régions, départements et groupements de communes de plus de 50 000h et les plans de protection de l’atmosphère (agglomérations de plus de 250 000h). Ces derniers définissent eux aussi des objectifs, mais ne produisent que marginalement des effets juridiques (Ppa) ou pas du tout (Pcet).

La trame verte et bleue et ses schémas régionaux de cohérence écologique constituent là encore des instruments nouveaux créés et médiatisés par le Grenelle environnement, qui relèvent d’une illusoire planification, avec une simple obligation de « prise en compte » par les documents d’urbanisme. L’inventaire Znieff[21], pourtant sans aucune portée normative par lui-même, s’avère probablement tout aussi (peu) efficace dans le cadre d’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation de classement des zonages du Plu.

B. Un droit toujours moins protecteur

La finalité même du droit de l’environnement semble être parfois oubliée par le législateur et le pouvoir réglementaire, sous l’influence de groupes d’intérêts décidés à alléger les contraintes pesant sur les acteurs économiques.

i. La lettre du droit de l’environnement

Il ne saurait être ici question de dresser une liste des régressions connues par le droit de l’environnement au cours de ces dernières années, au risque d’aboutir à un catalogue excessivement long et fastidieux. Une illustration de ce mouvement régressif sera donc opérée à travers des législations majeures destinées à combattre les deux composantes de la crise écologique que sont le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité.

L’allègement, et non la simplification, des polices de l’environnement est une tendance qui s’illustre parfaitement avec la police des installations classées, qui vise notamment à maîtriser les émissions de gaz à effet de serre par les secteurs industriels et agro-industriels. La création, par ordonnance du 11 juin 2009 d’un régime d’enregistrement, ou autorisation simplifiée, vient encombrer ladite police d’un régime hybride inhabituel dans lequel sont appelées à basculer 75% des rubriques relevant alors de l’autorisation. Le passage de l’autorisation à l’enregistrement constitue une impressionnante régression : suppression de l’étude d’impact sur l’environnement et de l’enquête publique, au profit d’une simple mise à disposition du public d’un dossier considérablement allégé. Les principes de prévention et de participation connaissent un recul sans précédent. Les seuils d’autorisation des élevages industriels porcins sont considérablement élevés[22], et ce n’est qu’un début[23].

A l’inverse, les éoliennes, qui permettent d’éviter l’émission d’importantes quantités de gaz à effet, voient leur régime fortement contraint par la loi Grenelle 2[24], qui prévoit leur inclusion, dès 50 m de hauteur, dans le régime des installations classées. Le décret du 23 août 2011[25] étend même ce régime aux éoliennes de plus de 12 m, soit des aérogénérateurs de taille très modeste. Cette soumission à un régime pensé pour les installations industrielles polluantes n’est pas juridiquement justifiée, l’art. L. 512-1 du Code de l’environnement limitant le régime de l’autorisation aux installations « qui présentent de graves dangers ou inconvénients » pour les intérêts environnementaux. Le principal inconvénient, et encore est-ce subjectif, des éoliennes, est de nature paysagère, mais cet inconvénient ne justifie pas, par exemple pour les lignes à haute tension ou les zones commerciales, une telle intégration dans la nomenclature des installations classées. En outre, la loi ajoute de nouvelles contraintes, à la justification incertaine, pour l’implantation des éoliennes. Ainsi de l’interdiction de toute implantation à moins de 500 m d’une habitation, ou dans les zones Au des Plu. Ou encore de la soumission à la constitution de garanties financières[26] pour la remise en état, jusque là réservée à un très petit nombre d’installations classées les plus polluantes !

Le secteur du transport routier, avec près de 30% des émissions nationales de CO² mérite également d’être abordé[27]. La taxe kilométrique poids-lourds fut l’une des principales mesures du Grenelle environnement[28], « première mesure fiscale d’importance pour la mobilité durable »[29]. Adoptée dans le cadre d’un large consensus politique, et même économique (y compris au sein du secteur du transport routier), cette taxe populaire sera abandonnée cinq ans plus tard avant même d’avoir été mise en œuvre. Une fois de plus, un gouvernement cédait devant des actions violentes et illégales portant atteinte – sans réaction des forces de l’ordre – à des ouvrages publics, pourtant limitées à quelques manifestations et attroupements dans une seule des 22 régions françaises. L’abandon de cette taxe coûtera – entre autres – près d’un milliard d’euros au contribuable pour l’indemnisation de la société Ecomouv.

Cette fiscalité écologique devait pourtant permettre non seulement de favoriser le report modal route-rail énoncé comme objectif essentiel du Grenelle, en offrant un signal-prix clair aux chargeurs, mais encore de dégager des financements pour les infrastructures de transport alternatives à la route. Sa disparition met directement en péril 1800km de lignes fret, menacées de fermetures[30]. Au contraire, le taux de Tva sur les transports publics passe de 7 à 10% au 1er janvier 2014[31].

Régressions et allègements se traduisent aussi par la multiplication des dérogations aux protections de police. S’agissant de la loi dite montagne du 9 janvier 1985, codifiée au Code de l’urbanisme, il suffit de constater qu’en 30 ans, les exceptions, dérogations et atténuations aux deux protections principales instituées par les articles L. 145-3 et L. 145-5 se sont multipliées, notamment en 1994, 1995, 2000, 2003, 2004, 2005… La loi littoral du 3 janvier 1986 résiste un peu mieux, mais on observe également une série d’exceptions aux protections instituées par les articles L. 146-4 et L. 146-6 du même Code, notamment en 1999, 2004, 2005… Et la pression de certains parlementaires élus locaux est forte comme en témoigne l’étonnant rapport du 21 janvier 2014 sur la loi littoral qui propose de décentraliser sa mise en œuvre[32].

La police de la nature est atteinte, de son côté, en 2006, avec l’institution, à l’art. L. 411-2-4°, de nombreux cas permettant de déroger à la protection des espèces et des habitats. En outre, la compétence est déconcentrée aux préfets[33] pour délivrer plus rapidement ces dérogations. Ces motifs de dérogation sont certes admis par la directive Habitats naturels, mais le droit français a omis d’intégrer l’exigence essentielle selon laquelle les dérogations ne sauraient être mises en œuvre que dans le cas des espèces en état de conservation favorable[34], même si cette notion n’est pas des plus précises. Jusqu’alors, seules des dérogations à des fins scientifiques pouvaient être accordées. Aujourd’hui, dès qu’un projet d’aménagement public ou privé rencontre des milieux d’espèces protégées, une dérogation est sans difficulté accordée par le préfet. De sorte que l’on s’interroge sur l’intérêt du régime de protection de la faune et de la flore auquel il peut être si simplement dérogé.

La maladie de la dérogation se retrouve également en matière de fiscalité de l’environnement. C’est bien la multiplication des dérogations à la soumission à la « taxe carbone » qui a conduit en 2009 le Conseil constitutionnel à annuler purement et simplement cette mesure fiscale pour rupture d’égalité[35].

Certes, la loi de finances pour 2014[36] institue une « contribution climat-énergie » à hauteur de 7€/tonne de carbone[37] qui se traduit par une augmentation symbolique de la Ticpe de 2c./litre pour les carburants routiers, qui ne peut avoir aucun effet sur les comportements et ne compense pas l’importante baisse des carburants routiers intervenue à la fin de l’année 2014. Alors qu’une augmentation jusqu’à 20€ la tonne était alors prévue, ce signal-prix à moyen terme a été très rapidement abandonné. La contribution climat-énergie est morte née et la remise en cause de la sous-taxation du gazole[38] est une fois de plus remise à plus tard. Parmi les nombreuses mesures fiscales en faveur de la route, il faut rappeler la diminution post-électorale de la fiscalité des carburants routiers en 2012, qui a coûté 300 M€ à l’Etat[39], suivi par l’allègement de la taxe à l’essieu (comme contrepartie de la Tkpl !).

Des éco-taxes plus modestes que la Tkpl ne manquent pas non plus d’être visées, comme la taxe sur les imprimés non sollicités, supprimée par la loi de finances pour 2013[40].

ii. La mise en œuvre du droit de l’environnement.

Non seulement le droit des espèces protégées a introduit en 2006 de vastes possibilités de déroger aux prescriptions protectrices posées par la loi, mais encore l’Administration fait une interprétation particulièrement extensive de ces dérogations. La notion de raison impérative d’intérêt public majeur, directement issue de l’article 6§4 de la directive Habitats naturels, n’est pas d’une grande précision, mais les doubles adjectifs « impératif » et « majeur » indiquent que le champ de cette dérogation est des plus étroits et qu’un seul « intérêt public » ordinaire ne saurait justifier une telle dérogation.

La Cjue a notamment jugé que la notion « d’intérêt public majeur (…) doit faire l’objet d’une interprétation stricte » ce qui implique « que soit démontrée l’absence de solutions alternatives (…) même si elles étaient susceptibles de présenter certaines difficultés »[41].

Il semble pourtant que l’Administration délivre très largement les dérogations sur ce motif qui en vient même à être dénaturé, comme le montrent les quelques décisions du juge administratif en la matière[42]. Ainsi le préfet du Var a-t-il délivré une telle dérogation pour l’aménagement d’une extension d’un centre d’enfouissement des déchets. Le Tribunal administratif de Toulon[43] fait parfaitement la distinction entre un simple intérêt public, qui lui paraît en l’espèce « indiscutable », et une raison impérative d’intérêt public majeur dont il écarte l’existence. Le Tribunal administratif de Dijon suspend une telle dérogation délivrée pour l’aménagement d’une zone d’activité en précisant que l’intérêt public majeur prévu par la loi se limite à « des cas exceptionnels dans lesquels la réalisation d’un projet se révèle indispensable et ou aucune autre solution d’implantation ne convient »[44].

De son côté, le préfet de la Manche, avait délivré une telle dérogation pour l’aménagement d’une portion de 2×2 voies dans un site Natura 2000. Cette dérogation a été annulée pour défaut de motivation, mais la position du rapporteur public sur le fond ne manque pas d’inquiéter : « il nous semble difficile de ne pas considérer le passage d’une 2×2 voies déclarée d’utilité publique comme étant au nombre des raisons impératives d’intérêt public majeur »[45]. De façon plus contestable encore, des dérogations ont été délivrées pour permettre l’extension de carrières[46], dont l’intérêt public paraît minime, notamment en matière d’impact sur l’emploi. Si ces installations classées bénéficient d’une autorisation préalable, elles ne sont revêtues ni du sceau de la déclaration d’utilité publique ni de celui de la déclaration d’intérêt général.

Afin de ne pas heurter les intérêts économiques, les contrôles administratifs environnementaux s’adoucissent. La baisse du nombre de fonctionnaires n’en est malheureusement pas la cause principale. L’inspection de l’environnement (ex-installations classées) ne procède d’ailleurs plus à des contrôles, mais à des « visites », dont le nombre diminue régulièrement depuis plusieurs années[47]. Dans le cadre de certaines législations, ces contrôles ne peuvent en aucun cas être inopinés, s’agissant par exemple de la vérification des engagements contractuels au sein de sites Natura 2000[48]. Une proposition de loi du 1er avril 2014, déposée par 60 députés[49], qui ne sera certes pas adoptée, mais traduit l’air du temps, tendait à interdire purement et simplement les contrôles inopinés en matière d’installations classées agricoles.

Pire, il arrive à l’Etat de contractualiser avec les exploitants pour encadrer les contrôles de police. La légalité de cette contractualisation en matière de police est au minimum douteuse. Ainsi, le préfet de la Vendée a conclu avec la Fdsea de ce département un « protocole de bonnes pratiques des contrôles terrain du secteur agricole par les services et opérateurs de l’Etat »[50]. Il est notamment question dans ce protocole de « limiter le nombre de contrôles », lequel précise que « les contrôles font l’objet d’une information préalable auprès de l’exploitant », auquel il est fait part « de l’objet du contrôle, de la date et de l’heure prévue »!

C’est également l’accès au juge qui a tendance à être limité, pour éviter de sanctionner les atteintes au droit de l’environnement. Les dispositions spéciales du contentieux de l’urbanisme (art. L. 600-1 et suivants) se sont multipliées pour tenter de faire échec à la saisine du juge administratif en matière de permis de construire et permis d’aménager[51]. Parmi celles-ci, beaucoup ont conduit à limiter l’accès au juge, notamment des associations de protection de l’environnement, ou adapter les pouvoirs du juge, afin de protéger de son intervention des décisions illégales, le tout sous couvert de sécurité juridique. Ainsi la loi du 13 juillet 2006 interdit les recours d’associations spécialement constituées pour s’opposer à un projet déterminé[52]. Dans les années qui ont suivi, l’arsenal anti-recours s’est considérablement renforcé : les art. L. 600-1-2 et L. 600-1-3 réduisent les possibilités de recours des riverains contre les autorisations d’urbanisme en déterminant de façon restrictive leur intérêt pour agir. Les art. L. 600-5 et L. 600-5-1 facilitent les régularisations d’autorisations d’urbanisme par le juge pour éviter les annulations pures et simples pourtant inhérentes aux canons du recours pour excès de pouvoir ; l’art. L. 600-7 autorise les conclusions reconventionnelles au bénéfice du titulaire de l’autorisation d’urbanisme.

Côté judiciaire, la répression de la délinquance écologique reste à un niveau très bas. Il n’existe pas de statistique fiable en la matière[53], notamment par ce que l’on sait que la plupart des infractions environnementales ne font l’objet d’aucun constat. Dans un rapport de 2003, la Cour des comptes a relevé « une défaillance à peu près totale de l’action répressive prévue par les textes à l’égard des pollueurs »[54]. Il est impossible d’évaluer le nombre d’infractions commises, mais entre 60 et 70 000 seraient recensées chaque année[55], 18 000 seulement constatées par PV d’infraction, dont 85% classés sans suite et environ 10% soit 1800 seulement donnant lieu à condamnation, le plus souvent avec des peines non dissuasives au regard des avantages économiques retirés par les délinquants. Le fait que 46% des infractions soient constatées par l’Oncfs, autrement dit la moitié en matière de police de la chasse, donne une idée de l’immensité des lacunes dans le domaine du contrôle judiciaire.

Rien n’est fait pour que les Parquets prennent enfin au sérieux la délinquance écologique et saisissent les tribunaux répressifs. Pas plus d’incitation pour que la délinquance écologique soit simplement constatée. De façon très surprenante, les Dreal ne constatent que 2% de la délinquance écologique. C’est dire que certains domaines ne font quasiment pas l’objet de contrôles judiciaires. Et encore la ministre de l’Ecologie donne-t-elle l’ordre aux agents de l’Oncfs de ne pas verbaliser les chasseurs qui chasseraient au delà de la date de fermeture de la chasse aux oies[56]. La transaction pénale est généralisée par l’art. L. 173-12 du Code de l’environnement réduisant là encore la saisine du juge répressif.

Dans ce contexte, les multiples interventions du législateur pour augmenter les sanctions pénales en matière de délinquance écologique ne constituent que de la poudre aux yeux. Ainsi le délit de destruction d’espèce protégée est punissable (article L. 415-3 C.env.), depuis la loi Grenelle II, de 15 000 euros d’amende et d’un an de prison, au lieu de 9 000 euros et six mois d’emprisonnement. On ne connaît aucune décision judiciaire en la matière qui ait prononcé une peine d’emprisonnement, même avec sursis.

Comme si cette situation était encore trop favorable à la répression et qu’il fallait désengorger les juridictions pénales, une ordonnance du 11 janvier 2012[57] vient généraliser à toutes les infractions environnementales la procédure de la transaction pénale. Dans le cadre de cette transaction pénale, les mesures de remise en état ne sont que facultatives.


[1] Le Monde, 25 septembre 2014, p. 6 ; communiqué de presse de l’Organisation météorologique mondiale (Onu) n° 980 du 6 novembre 2013 ; voire +4°C dès 2060 selon la banque mondiale Fnaut-infos n° 221 janvier 2014 p. 7.

[2] Communiqué de presse du Giec du 13 avril 2014.

[3] 10ème rapport biennal de l’Ong Wwf ; Le Figaro, 1er octobre 2014 p. 11.

[4] Voir notamment à ce sujet Romi R., « Recomposer ou décomposer le droit de l’environnement ? » in Dr. Env., n° 218 décembre 2013 p. 406.

[5] Codifiés aux articles L. 146-4 et L. 146-6 du Code de l’urbanisme.

[6] Constant O., « La part modale du fret ferroviaire passe sous la barre des 10% en France », 13 janvier 2015, Portail Transport et Logistique WKTL. Alors qu’en Allemagne, la part modale du fret ferroviaire est passée de 18,4 à 23,1% de 2003 à 2013.

[7] Y compris de procédure contentieuse : le défaut d’étude d’impact donne accès au référé suspension dit automatique (L. 122-2 C.env.) mais pas le défaut d’étude d’incidence sur les milieux aquatiques.

[8] Directive du 27 juin 2001.

[9] Respectivement déterminé par les art. R. 122-20 C.env. et R. 123-2-1 C.urb.

[10] Sur présentation d’un dossier succinct, et après analyse de l’autorité administrative, prenant alors une décision faisant grief, et donc susceptible de recours.

[11] Voir les 28 vastes rubriques mentionnées à l’art. R. 414-19 C. env.

[12] Article L. 414-4-VI C. env.

[13] Braud X., « La gestion intégrée des zones côtières et le droit de l’urbanisme littoral en France », Vertigo, Hors-série n° 18, décembre 2013. (Revue disponible sur Internet).

[14] Article 49 de la loi du 3 août 2009, article 249 de la loi du 12 juillet 2010, décret du 12 juillet 2011 suivi de quatre arrêtés ministériels !

[15] Braud X., « La réforme de l’agrément du 12 juillet 2011 : des objectifs louables, une occasion manquée ? », RJE, n° 1/2012 p. 63.

[16] Krolik Ch., « Vers un principe de non régression de la protection de l’environnement », AJDA, 18 novembre 2013, p. 2247.

[17] « L’environnement, terre d’élection du droit souple ? Entretien avec Jean-Marc Sauvé », Dr. Env., n° 217 novembre 2013, p. 366.

[18] CJCE, 25 novembre 1999, Comm. c/ France, Dr. env., n° 75 p. 6.

[19] http://www.eau-et-rivieres.asso.fr/index.php?77/133.

[20] Huitelec R., « Grenelle de l’environnement et Srcae ou comment paver l’enfer de bonnes intentions », Dr. Env., n° 181 août 2010, p. 253.

[21] Inventaire des zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique, élaboré à partir de 1982 sous l’égide du ministère de l’environnement.

[22] Décret du 31 décembre 2013 qui élève de 450 à 2000 porcs le seuil de l’autorisation, voire à 4000 en cas de regroupement d’installations existantes.

[23] « Je suis d’accord pour travailler et discuter sur l’allègement des procédures Icpe comme cela a été fait en filière porcine » déclare Stéphane Le Foll au congrès de la fédération nationale bovine, in Ouest-France, 6 février 2014, page agriculture.

[24] Article 90 et suivants de la loi du 12 juillet 2010.

[25] Décret n° 2011-984 du 23 août 2011.

[26] R. 553-1 et s. du code de l’environnement introduits par le décret du 23 août 2011.

[27] D’autant que ces émissions croissent. Voir notamment « Les français polluent l’air à peine moins qu’il y a 30 ans », Les Echos, 26 avril 2013. Les émissions de gaz à effet de serre par l’automobile ont augmenté de près de 10% en 30 ans.

[28] Art. 11 de la loi Grenelle I et art.153 de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009.

[29] Martin S., « Les conséquences de la suspension de l’écotaxe », Revue de droit des transports, décembre 2013 p. 43.

[30] L’Echo du rail, n° 381 septembre 2014, p. 2.

[31] CGI, art. 278 et 278 bis issus de la loi de finances rectificative 2012.

[32] Sénat, rapport n° 297 de Mme Odette Herviaux et M. Jean Bizet.

[33] R. 411-6 du code de l’environnement issu d’un décret du 4 janvier 2007.

[34] Article 6§4, directive Habitats naturels et Cjce, 10 mai 2007, Comm. c/ Autriche, n° C508-04.

[35] Voir notamment Caudal S., La fiscalité de l’environnement ; Paris, Lgdj, coll. Systèmes ; 2014 ; p. 120.

[36] Article 265 s. du code des douanes introduit par la loi de finances pour 2014 n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 ;

[37] La commission Rocard préconisait en 2008 30€ la tonne dans un premier temps pour atteindre 100€ la tonne en 2030.

[38] 18 centimes par litre par rapport à l’essence, contre une moyenne de 11 centimes dans l’UE.

[39] Circulaire du 28 septembre 2012 NOR : BUDD1235621C BO Douanes n° 6949 du 28 septembre 2012 ; 3 centimes par litre durant 3 mois septembre, octobre et novembre 2012 avec sortie progressive du dispositif.

[40] Article 20 de la loi du 29 décembre 2012.

[41] Cjce, 26 octobre 2006, Com. c/ Portugal, Cons. n° 35, 37 et 38.

[42] TA Toulouse, 10 juillet 2014 et TA Rennes, 17 octobre 2014, Dr. Env. n°231 p. 63, voir aussi notes suivantes.

[43] TA Toulon, 26 août 2010, SNPN, AJDA, 28 mai 2011, p. 60. Conclusions M. Revert.

[44] TA Dijon, 27 février 2013, M. Antonio Meijas de Haro et autres, n° 1300303.

[45] TA Caen 9 avril 2010, Ass. Manche-Nature, n° 0902310. Conclusions M. Dorlencourt, p. 3

[46] Ex : autorisation du 4 octobre 2010 délivrée par le préfet de Saône-et-Loire à la société Granulats Bourgogne Auvergne ; arrêté du préfet de la Haute Garonne n° 2010-07 du 2 décembre 2010 dans le cadre de l’extension de la carrière de Martres-Tolosane du groupe Lafarge ciments.

[47] 27 000 visites de contrôle en matières d’installations classées en 2008, 24 000 en 2011.

[48] R. 414-15 C. env. exclut les contrôles inopinés.

[49] PPL n° 1851 du 1er avril 2014 visant à instaurer une information préalable des agriculteurs sur tous les contrôles.

[50] Protocole signé le 5 septembre 2014 par le préfet de la Vendée et le président de la Fdsea de la Vendée.

[51] Voir notamment Billet Ph., « La neutralisation du contentieux de l’urbanisme », Jcp-A, 13 janvier 2014 p. 52.

[52] Article 14 de la loi portant engagement national pour le logement, codifié à l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme.

[53] Réponse ministérielle de M. Manuel Valls, J.O. Sénat 22 novembre 2013, p. 11773.

[54] Rapport, Cour des comptes mai 2003, p. 625 : http://www.cpepesc.org/POLICE-DE-L-EAU-Action-repressive.html.

[55] « Les infractions au droit de l’environnement constatées en 2012 par la gendarmerie nationale, l’Oncfs et l’Onema », Rapport 2013 disponible sur Internet.

[56] Lettre de Ségolène Royal du 28 janvier 2015 adressée au directeur général de l’Oncfs « vous donnerez des instructions aux services départementaux (…) la verbalisation prendra effet à compter du lundi 9 février ».

[57] Ordonnance n° 2012-34 du 11 janvier 2012 codifiée notamment à l’article L. 173-12 du code de l’environnement et précisé par décret n° 2014-368 du 24 mars 2014 codifié aux articles R. 173-1 et s. du même code.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Du conseil constitutionnel législateur (par le professeur Mescheriakoff)

Voici la 65e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 7e livre de nos Editions dans la collection « Académique » : les Mélanges en l’honneur du professeur Claude Journès.

Il s’agit en l’occurrence d’un article du professeur Mescheriakoff à propos du Conseil constitutionnel législateur.

Cet ouvrage est le septième
issu de la collection « Académique ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume VII :
L’ordre critique du Droit.
Mélanges en l’honneur du professeur Claude Journès

Ouvrage collectif
(Direction Guillaume Protière)

– Nombre de pages : 326
– Sortie : février 2017
– Prix : 49 €

  • ISBN / EAN : 979-10-92684-25-4 / 9791092684254
  • ISSN : 2262-8630

Présentation :

Cet ouvrage rend hommage au Professeur Claude Journès, ancien Président de l’Université Lumière Lyon 2 et membre fondateur du mouvement Critique du droit.

Les Mélanges offerts au Professeur Claude Journès ont retenu cette approche, utilisant le droit comme un outil de mise en perspective critique de l’ordre social et de l’ordre politique.

Après un hommage au Doyen Journès (P. Blachèr) et l’évocation des ambitions et perspectives du mouvement critique du droit (S. Basset ou J. Michel), l’ouvrage se construit en deux temps. La première partie – intitulée « Le droit critique de l’ordre social » – regroupe des réflexions sur le pouvoir médical (F. Demichel), sur les crimes coloniaux (A. Mahiou), sur la dimension anthropologique du vocabulaire juridique (M.-C. Piatti) et sur le contrôle policier (M. Saoudi), le tout ouvrant sur la possibilité d’un humanisme séculier (H. Puel).

La seconde partie – « Le droit critique de l’ordre politique » – entend montrer comment le droit porte en lui une conception du pouvoir et de l’autorité. Les études explorent des pistes très diverses mêlant les finances publiques (J.-L. Albert), les renseignements (C. Arroudj), l’histoire du droit (J.-L. Autin, J.-C. Genin), l’histoire de la doctrine (H. Gourdon), les institutions politiques (P. Bacot, A.-S. Mescheriakoff, R. Charvin), les institutions territoriales (J.-J. Gleizal, H. Oberdorff, R. Payre), la littérature (S. Caporal, G. Hare) ou les nouvelles technologies (G. Protière). Il ressort de l’ensemble que, loin d’être un simple outil technique, le droit est un puissant instrument de modélisation sociale et de justification du pouvoir. Inversant la logique dominante, la perspective critique du droit dévoile les limites d’une telle conception et rappelle que le droit, comme tous les construits sociaux, est le produit de luttes politiques et de rapports de force. En ce sens, à l’instar des valeurs défendues par le dédicataire de cet ouvrage, l’ordre critique du droit est un appel à contester les évidences, condition d’une conception plus ouverte et pluraliste de l’ordre juridique.

Ouvrage publié par le Collectif L’Unité du Droit avec le soutien de la Faculté de Droit et Science Politique de l’Université Lumière Lyon 2.

Le Conseil constitutionnel législateur

Alain-Serge Mescheriakoff
Professeur émérite à l’Université Paris Dauphine

Soutenir que le Conseil Constitutionnel est un législateur, même secondaire, en ce sens qu’il n’intervient qu’après le parlement et dans le cadre fixé par celui-ci, sera considéré par la doctrine dominante comme une hérésie car elle le présente comme « une juridiction suprême »[1]. Cette thèse repose sur des arguments de fond et de forme.

Au fond, le Conseil statue en droit, il « dit le droit » celui contenu dans la constitution, il le fait en forme solennelle et ses décisions seraient revêtues de l’autorité de la chose jugée en ce sens qu’elles « ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administrative et juridictionnelles » (Art. 62C.).

Certes, ces auteurs reconnaissent qu’il existe une autre thèse qui voit le Conseil comme « une institution au service de l’exécutif contre le parlement » et soutient plus largement que « le Conseil Constitutionnel n’est pas un juge »[2] et qui s’appuie sur l’opinion du Conseil lui-même qui se considère comme « régulateur de l’activité des pouvoirs publics »[3] , mais ils font valoir que si le constituant lui a confié des fonctions d’une autre nature, celles de donner des avis (Art. 16C.) ou de faire des constatations (Art. 7C., 37C. al. 2) voire d’organiser l’élection présidentielle, elles ne remettent pas en cause son statut de juridiction, et de faire la comparaison avec le Conseil d’Etat dont les fonctions consultatives ne l’empêchent pas d’être considéré comme une juridiction. Le contrôle de la constitutionnalité des lois incite au parallèle avec le recours pour excès de pouvoir dont la nature juridictionnelle s’est imposée.

Cependant, ce débat apparaît spécieux pour deux raisons, l’une scientifique, l’autre idéologique.

La science juridique n’est jamais parvenue à distinguer de manière certaine une juridiction d’un organe non-juridictionnel et notamment administratif.

En témoigne la technique du faisceau d’indices utilisée par le Conseil d’Etat dont aucun n’est décisif, ce qui lui permet d’imposer son opinion. La transformation du Conseil d’Etat en juridiction, et par voie de conséquence le recours pour excès de pouvoir en procédure juridictionnelle, résulte de la volonté politique du législateur de 1872 et non de données scientifiques.

De plus, la question est largement sous-tendue par un objectif idéologique.

Le débat entre François Goguel et François Luchaire dans la Revue du droit public de 1979 l’illustre de façon éclatante[4]. Le premier, après avoir décrit les différentes missions du Conseil, conclut que la question de sa nature juridictionnelle ou non est purement « académique », alors que le second estime qu’elle n’est pas théorique, mais concrète et importante car elle permet de s’interroger sur le point de savoir si sa composition lui donne « les garanties d’indépendance, d’impartialité et de compétence que chacun est en droit d’attendre d’une juridiction »[5]. La réponse négative est contenue dans la question.

Ainsi, la thèse de la nature juridictionnelle du Conseil Constitutionnel vise avant tout la critique de sa composition et milite pour une modification qui ferait une place plus large sinon à des magistrats du moins à des juristes désignés es-qualités et de préférence par une procédure soustraite à l’influence politique.

Les tenants de cette thèse écartent l’épouvantail du « gouvernement des juges » en mettant l’accent sur la constante volonté du Conseil de ne pas empiéter sur les pouvoir exécutifs et législatifs en rappelant fréquemment qu’il ne dispose pas d’un « pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du parlement ».

En réalité, cette affirmation ne convainc pas, dans la mesure où, sanctionnant l’erreur manifeste d’appréciation du parlement, il se situe sur un même plan, même s’il s’auto-limite, « la gomme et non le crayon » selon le mot de Georges Vedel (encore que sa notion d’« objectif de valeur constitutionnelle » relève plus du crayon que de la gomme)[6]

Il ne nous paraît pas utile d’alimenter ce débat et si l’on s’en tient à la réalité des faits, indépendamment du point de savoir si le Conseil Constitutionnel est ou non juge, force est de reconnaître, avec le Professeur D. Rousseau, qu’il est « un organe essentiel du processus législatif »[7] et que ses rapports avec le parlement sont complexes[8].

Cette fonction de nature législative lui est confiée par la constitution elle-même du fait des compétences qu’elle lui attribue, et contrairement à l’opinion dominante de la doctrine, elle a été renforcée par l’évolution politique et institutionnelle de la Ve République.

I. La fonction législative du Conseil constitutionnel

Elle découle essentiellement de l’article 61 de la Constitution qui lui donne compétence pour contrôler la constitutionnalité des lois, mais elle est confortée par les autres missions que la Constitution lui confie.

A. Le Conseil Constitutionnel co-législateur[9]

Ce rôle de co-créateur de la loi découle nécessairement de celui de contrôleur du fait du processus intellectuel d’interprétation des textes auxquels le Conseil d’Etat doit se livrer dans sa fonction de contrôle.

Contrôler c’est comparer (le rôle et le conte-rôle), en l’espèce deux textes, la Constitution et une loi (contrôle a posteriori) ou un texte à vocation de loi (contrôle a priori), mais si apparemment cette comparaison concerne des textes, en réalité elle porte sur des normes, c’est-à-dire sur le contenu de sens que recèlent les énoncés écrits.

L’acte de contrôle suppose donc que soient d’abord dégagées les normes signifiées par les textes signifiants[10].

Il s’agit donc d’un acte de volonté et non de seule connaissance[11].

Plus précisément l’opération d’interprétation se dédouble car le Conseil Constitutionnel doit à la fois dégager la signification normative du texte qui lui est soumis et la rapporter au sens normatif des articles et principes constitutionnels concernés pour y découvrir, le cas échéant, une contradiction.

Il existe donc deux interprétations successives, l’une du texte contrôlé, l’autre pour dégager le référentiel constitutionnel.

La décision du Conseil consistera à valider un texte de loi qui rendra compte, à ses yeux, de la conformité de la norme législative à la norme constitutionnelle ou à l’invalider dans le cas contraire, en tout ou partie, et la loi correspondante est, soit abrogée, soit empêchée d’entrer en vigueur, sauf à être amputée.

L’exemple récent de la décision n° 2014-692 DC suffira à illustrer ce processus.

Le Conseil Constitutionnel devait se prononcer sur la constitutionnalité de la loi dite Florange votée par le Parlement, dont les auteurs de la double saisine (60 députés et 60 sénateurs) prétendaient notamment qu’elle était contraire à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété.

On notera d’abord que conformément à sa pratique antérieure[12], le Conseil dégage des textes du bloc de constitutionnalité la règle de la liberté d’entreprendre, cet énoncé n’y figurant pas (considérants 5 à 7).

Il dégage ensuite les normes contenues dans le texte voté (nouveaux articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-22 du Code du travail et L. 771-1 à L. 773-3 du Code de commerce). Il constate qu’ils permettent aux « repreneurs [d’une entreprise] potentiels d’avoir accès aux informations utiles relatives à l’établissement dont la fermeture est envisagée, sans pour autant imposer la communication d’informations lorsque cette communication serait susceptible d’être préjudiciable à l’entreprise cédante ou lorsque ces informations porteraient sur d’autres établissements », et il en conclut que « compte tenu de cet encadrement, l’obligation d’information ne porte pas à la liberté d’entreprendre une atteinte manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi » (considérant 11). En conséquence, le texte correspondant est validé.

Par contre, la rédaction des articles L. 771-1, L. 772-2 et L. 773-2 en tant qu’elle confie au Tribunal de commerce le pouvoir d’apprécier le caractère sérieux des offres de reprise conduit « le juge à substituer son appréciation à celle du chef d’entreprise […] pour des choix économiques relatifs à la conduite et au développement de cette entreprise » (Considérant 20), et ce faisant, méconnaît tant le droit de propriété que la liberté d’entreprendre, et viole la Constitution.

En conséquence, le texte de loi promulgué devra être amputé des dispositions concernées.

Cet exemple illustre la double création normative à laquelle se livre le Conseil constitutionnel : création de la norme constitutionnelle de la liberté d’entreprendre et concrétisation du droit de la propriété, et extraction du texte voté par le Parlement des règles selon lesquelles l’obligation d’informer doit s’entendre comme ne s’appliquant pas à certaines informations, et l’appréciation du caractère sérieux d’une offre de reprise d’un établissement relève du seul chef d’entreprise.

Cependant, ces deux créations ne revêtent pas la même portée.

L’interprétation constitutionnelle n’a qu’une fonction instrumentale dans l’opération qui consiste à définir la future norme législative et la rédaction qui doit l’exprimer dans le texte de loi.

Ainsi, dans les deux cas, déclaration de conformité ou de non-conformité, la norme effectivement applicable est celle qui découle de la volonté du Conseil constitutionnel surtout si, dans le premier cas, il assortit sa déclaration de conformité d’une réserve d’interprétation qui n’est que la rédaction d’une norme nouvelle restreignant par précision, la portée de celle issue de la volonté du Parlement.

Dans le second cas, il impose un veto au texte voté par le Parlement, à charge pour le Président de la République de renvoyer le texte au Parlement pour une nouvelle lecture (Art. 23 de l’ordonnance organique du 7 novembre 1958).

On constate ainsi que la volonté du Conseil constitutionnel se combine, en se heurtant le cas échéant, à celle du Parlement, et ce faisant, ils sont bien co-créateurs de la loi, d’autant qu’en s’imposant à toute autorité administrative et juridictionnelle (Art. 62C.), ses décisions bénéficient de l’autorité de chose légiférée.

Le rôle législatif du Conseil constitutionnel découle, non seulement de l’opération de contrôle à laquelle il doit se livrer, mais plus profondément de l’esprit et de la logique des institutions de 1958, tels qu’ils transparaissent au travers de ses multiples compétences.

B. Le Conseil constitutionnel rouage du pouvoir législatif

Le constituant de la Ve République a entendu faire du Conseil constitutionnel un « rouage presque permanent du pouvoir législatif »[13] , ce qui procède, selon une perspective historique de longue durée, de la volonté de rétablir en France un parlementarisme dualiste abandonné par la IIIe République au profit d’un parlementarisme moniste. On peut dire que 1958 est la revanche de 1879, date de la déclaration de Jules Grévy qui, élu Président de la République après la démission de Mac Mahon, renonçait à exercer son pouvoir de dissolution de la Chambre des députés (dite Constitution Grévy)[14].

Dans le cadre d’un régime représentatif, la question est de savoir comment s’exprime la volonté de la nation souveraine.

Le parlementarisme moniste réserve cette expression au seul Parlement qui devient de ce fait la seule source véritable du pouvoir politique, alors que le parlementarisme dualiste la répartit entre le Parlement et le chef de l’exécutif, à savoir depuis 1958 le Président de la République.

Cette double expression de la volonté du souverain est évidente depuis 1962 avec l’élection du Président au suffrage universel direct, mais dès 1958 la Constitution s’était employée, non seulement à le faire élire par un collège élargi, mais également à cantonner le Parlement au rôle que lui avait assigné la Constitution par le contrôle des règlements des assemblées, et celui des lois notamment organiques de façon à préserver l’espace politique de l’exécutif.

Le Conseil constitutionnel s’est d’ailleurs bien gardé de censurer le projet de loi référendaire du 28 octobre 1962 voté par le Peuple sur le nouveau mode d’élection du Président de la République[15] en décidant qu’il « résulte de l’esprit de la Constitution qui a fait du Conseil constitutionnel un organe régulateur des pouvoirs publics que les lois que la Constitution a entendu viser dans son article 61 sont uniquement les lois votées par le Parlement ».

Il s’agit bien de réguler le pouvoir législatif, et si l’on se réfère à la théorie de la séparation des pouvoirs, cette régulation relève bien de ce pouvoir plus que du pouvoir judiciaire qui doit être, selon le mot de Montesquieu, un pouvoir neutre (sous-entendu politiquement neutre), d’ailleurs dans la Constitution de 1958, ce pouvoir judiciaire n’est qu’une « autorité » (titre Viii). Il n’est pas inutile de rappeler que dans la première Constitution française de 1791, la mère de nos constitutions ! seuls le Corps législatif et le Roi sont représentants de la nation à l’exclusion du pouvoir judiciaire pourtant délégué à des juges élus (titre III, Article premier).

Les autres compétences du Conseil constitutionnel confirment son appartenance à la sphère traditionnelle du pouvoir législatif. Il s’agit :

– du contrôle de la régularité de l’élection des membres du Parlement antérieurement confié à l’assemblée elle-même, et c’est précisément les abus relevés dans cette fonction qui ont justifié son transfert au Conseil constitutionnel[16] ;

– du rôle du Conseil dans l’organisation et le contrôle de la régularité de la campagne électorale et l’élection du Président de la République, ce qui est éminemment politique.

Un ancien Président du Conseil constitutionnel révélait que la régularité du compte de campagne du Président élu en 1995 était contestable, mais que le Conseil n’avait pas voulu annuler son élection pour des raisons politiques évidentes[17].

Sauf à se replacer hors de la réalité, il est difficile de voir dans cette attitude une fonction juridictionnelle[18] !

En matière d’article 16C., le Conseil constitutionnel est directement associé, fusse de manière exclusivement consultative, à l’exercice de l’ensemble des pouvoirs d’Etat et donc au pouvoir législatif.

Ainsi, le texte et la logique constitutionnels confèrent au Conseil constitutionnel dès 1958 un rôle de co-législateur en le faisant participer à l’ensemble du pouvoir législatif tel que conçu et pratiqué depuis 1789. Il est frappant de constater une continuité certaine avec le système envisagé par Sieyès en 1795 de jurie constitutionnaire et réalisé par les deux Napoléon avec le Sénat institué gardien de la Constitution par sénatus-consultes. A chaque fois, il s’agissait de réagir à une période de troubles politiques dans laquelle le Parlement avait sa part.

De plus, contrairement à ce qui est régulièrement soutenu, l’évolution de la Ve République n’a pas conduit le Conseil Constitutionnel à affirmer son statut de juridiction.

II. Le renforcement progressif de la fonction législative du Conseil constitutionnel

Il est avéré qu’en 1958 le Conseil constitutionnel fut conçu comme une institution destinée à faire respecter par le Parlement l’équilibre des pouvoirs voulu par les constituants, et notamment à le cantonner dans les limites fixées par les articles 34 et 37 alinéa 2 de la Constitution sur le domaine de la loi et 49 et 50 de la Constitution sur la mise en jeu de la responsabilité du gouvernement. Or, progressivement tout en s’acquittant de cette seconde mission par le contrôle du règlement des assemblées, il s’est affranchi des limites de la première par une pratique (nous hésitons à utiliser le mot habituel de jurisprudence !) constructive qui a été confortée par les révisions constitutionnelles.

A. La pratique du Conseil constitutionnel et l’extension de sa fonction législative

Le Conseil s’est libéré de son rôle de protecteur de l’exécutif, d’une part en approfondissant son pouvoir de contrôle sur les textes législatifs, et d’autre part en élargissant le domaine de la loi.

Deux dates symboliques illustrent ce double mouvement, 1971 et 1982.

i. 1971 et l’approfondissement du contrôle du législateur

La décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971[19] déclarant inconstitutionnelles les dispositions principales de la loi modifiant celle du 1er juillet 1901 sur la liberté d’association est trop connue pour être commentée ici. On rappellera, pour notre propos, qu’elle eut une double conséquence.

Le Conseil sous l’apparence d’un contrôle du Parlement censure en réalité le gouvernement qui était à l’origine du texte de loi. Il s’affranchit ainsi de manière ostensible du rôle de « chien de garde » de l’exécutif que les constituants de 1958 lui avaient assigné. Mais, plus important pour l’avenir, il élargit considérablement le référentiel constitutionnel de son contrôle en y incluant le préambule de la Constitution, y compris la déclaration de 1789, le préambule de 1946, s’y adjoindront ultérieurement, la Charte de l’environnement, et des principes qu’il découvre lui-même comme les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et les principes constitutionnels. Allant plus loin, il ne s’en tient pas aux textes même subsumés en principes, il sonde la prétendue volonté du constituant en dégageant des « objectifs de valeur constitutionnelle » qui bornent la liberté du Parlement de voter certaines dispositions.

Ces textes, principes et objectifs dont la signification normatrice est largement indéterminée ouvrent au Conseil une marge d’interprétation considérable, et celle-ci étant affaire plus de volonté que de technique, lui permet d’imposer sa volonté au législateur constitué qu’est le Parlement et renforce son rôle de co-législateur.

ii. 1982 et l’élargissement du domaine de la loi

Par sa décision n° 82-143-DC du 30 juillet 1982 sur le blocage des prix des revenus[20], le Conseil constitutionnel affranchit le Parlement de la limite fixée par l’article 34 de la Constitution en déclarant « que par les articles 34 et 37 al. 1er, la constitution n’a pas entendu frapper d’inconstitutionnalité une disposition de nature réglementaire contenue dans une loi ». En élargissant le domaine de la loi, il accroît du même coup son propre pouvoir de contrôle qu’il avait déjà approfondi, sans pour autant se priver des possibilités de censure tirées des articles 34 et 37C. al. 1 par le truchement de sa saisine au titre des articles 37C. al. 2 et 41C. lui permettent de déclasser une loi déjà votée et de récuser une proposition de loi ou un amendement[21].

On constate ainsi que le Conseil modifie l’équilibre entre les pouvoirs législatif et exécutif défini en 1958 au profit du premier, et du même coup à son propre avantage renforçant d’autant son rôle législatif. Cet « activisme » du Conseil constitutionnel, pour reprendre l’expression des commentateurs, fut d’ailleurs facilité par le constituant lui-même.

B. Les révisions constitutionnelles et l’extension du rôle législatif du Conseil constitutionnel

Deux révisions sont pertinentes à cet égard, celle du 29 octobre 1974 élargissant les possibilités de saisine du Conseil et celle du 23 juillet 2008 créant la question prioritaire de constitutionnalité (Qpc).

La possibilité pour 60 députés ou 60 sénateurs de saisir le Conseil d’un texte que leur assemblée vient d’adopter, a décuplé son influence sur la production législative. De 1959 à 1974, on compte simplement 9 saisines au titre de l’article 61C. al. 2 dont 6 par le Premier Ministre pour violation de l’article 34C., contre 588 de 1975 au 24 octobre 2012, soit un passage d’une moyenne annuelle de 0,375 à 14,7[22].

On voit qu’il s’agit d’un changement d’échelle qui exprime une modification du rôle du Conseil. Il est devenu un arbitre entre le gouvernement et sa majorité parlementaire et l’opposition. Compte tenu de la marge de manœuvre qu’il s’est octroyé par sa pratique du contrôle ainsi qu’il a été dit, il peut, au final, leur imposer son point de vue sur le contenu de la législation.

Ce pouvoir se manifeste particulièrement en cas d’alternance politique (VIIe et XIIe législature) qui génère une activité législative de rupture, alors que les membres de Conseil ont été majoritairement nommés par l’ancienne équipe au pouvoir.

Certes, il a toujours évité de se heurter de front à la nouvelle majorité tout en s’efforçant d’atténuer l’impact des lois les plus controversées, par exemple en renforçant les conditions d’indemnisation des actionnaires des entreprises nationalisées (déc. n° 81-132 DC du 16 janvier 1962), ou en atténuant les contraintes pesant sur les chefs d’entreprises (déc. n° 2014-612 DC du 25 mars 2014).

Il ne manque pas alors de rappeler de manière cathartique qu’il ne dispose pas « d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que le Parlement » tout en usant quand bon lui semble de son pouvoir de sanctionner l’erreur manifeste d’appréciation du Parlement qu’il apprécie discrétionnairement !

La décision n° 2014-709 DC relative à la délimitation des circonscriptions aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral est caractéristique. Il décide que la répartition des sièges entre les sections départementales n’est pas une erreur manifeste d’appréciation, alors que pour 99 999 habitants un département a 2 sièges (1 pour 49 999) et pour 100 000 habitants 4 sièges (1 pour 25000) !

Même si l’intervention du Conseil n’est que seconde par rapport à celle du Parlement et s’il doit justifier d’une référence constitutionnelle, son pouvoir paraît bien être de même nature.

La création de la Qpc n’a pas fait basculer le Conseil constitutionnel du côté du pouvoir judiciaire, bien au contraire, elle a renforcé son rôle législatif dans la mesure où, à son contrôle a priori antérieur, s’ajoute un contrôle a posteriori de la loi[23].

Certes, formellement, le traitement des Qpc se calque encore plus étroitement que le contrôle a priori sur la procédure judiciaire : respect du contradictoire, audience publique, présence et audition des avocats, mais il ne s’agit que d’un formalisme moins important que l’élargissement de l’influence du Conseil sur le contenu de la législation en vigueur.

En effet, si le traitement de la Qpc s’articule sur une instance juridictionnelle, il n’en a pas la nature et ne saurait être assimilé à une question préjudicielle car :

– la question doit être traitée avant même que le juge fasse son « office de juridiction »[24] ;

– l’extinction de l’instance avant que le Conseil ne statue ne le dessaisit pas ;

– si le juge au fond estime que le Conseil s’est déjà prononcé, même par son contrôle a priori, il refuse de lui transmettre la question ;

– le Conseil se prononce de manière déconnectée du litige que doit trancher le juge.

Ainsi, la saisine par Qpc n’est pas une procédure juridictionnelle, et son contrôle a posteriori n’est pas d’une nature différente de son contrôle a priori[25].

Si le Conseil déclare la loi inconstitutionnelle, elle est abrogée ou modifiée par une abrogation partielle avec, le cas échéant, un effet différé permettant au parlement de la remplacer, ce qui lui donnera l’occasion d’intervenir une nouvelle fois.

Autrement dit, suite à la décision sur Qpc, la législation se trouve modifiée du fait du Conseil.

Son rôle législatif se trouve donc renforcé du fait de la Qpc. D’ailleurs, si l’on se réfère à la riche histoire constitutionnelle française, la Qpc n’est pas sans rappeler la technique du référé législatif mis en place par les constitutions de 1791 et de 1795[26]. S’il y a un désaccord entre les juges sur l’application de la loi à un litige, la question « devra être soumise au Corps législatif, qui portera son décret déclaratoire de la loi auquel le Tribunal de cassation sera tenu de se conformer ».

Si la procédure n’est pas identique, l’esprit est le même, à savoir, qu’en cas de doute des juges sur le sens et l’applicabilité d’une loi, la juridiction suprême renvoie la question au législateur. Dans le cas de la Qpc, si le juge et en dernier lieu le juge suprême doute du bien fondé au regard de la Constitution, de l’application d’une loi au litige dont il est saisi, il s’en réfère au législateur, ici le Conseil constitutionnel, qui, au final, définit la règle législative applicable.

Ainsi, le mécanisme de la Qpc se comprend sans avoir besoin de recourir à une quelconque nature juridictionnelle du Conseil constitutionnel.

Si l’on attache de l’importance au respect de « la frontière entre la décision juridictionnelle et la décision politique »[27], il est nécessaire de reconnaître que celles du Conseil constitutionnel se situent du côté politique, ce qui conduit à s’interroger légitimement sur sa composition.

Dans un régime fondé sur la souveraineté nationale, il est nécessaire que ceux qui participent au pouvoir législatif, en soient, au moins indirectement, l’expression, et de ce point de vue, la désignation des membres du Conseil constitutionnel par des élus se justifie. Si l’on veut bien considérer que la nation ne se réduit pas au corps électoral du moment, la présence de droit des anciens présidents de la République, pourtant si critiquée, n’est pas aberrante.

Du reste, la référence au recours pour excès de pouvoir, qui a incontestablement inspiré le Conseil pour le contrôle de constitutionnalité des lois, conforte la situation actuelle.

Il ne faut pas oublier que la régularité des actes administratifs est appréciée par l’Administration elle-même[28]. Pourquoi la régularité des lois ne serait-elle pas appréciée par des personnes nommées par ceux qui sont chargés de proposer et de voter la loi ?

L’important est que le rôle d’arbitre des membres du Conseil Constitutionnel entre le Parlement et le gouvernement, la majorité et l’opposition, soit garanti, à la fois par leur indépendance et leur connaissance des enjeux politiques.

Finalement, les dispositions actuelles sur le Conseil constitutionnel ne sont pas si mauvaises et les modifier ne s’impose pas.


[1] L’expression est de Marcel Waline dans son introduction à la première édition de l’ouvrage Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel (Gdcc) ; Paris, Sirey ; 1975. La même thèse est soutenue par les co-auteurs de l’ouvrage dans les éditions successives, Louis Favoreu et Loïc Philip, ainsi que par la plupart des auteurs écrivant sur le Conseil Constitutionnel.

[2] V. par exemple Larche Jean, « Le Conseil constitutionnel organe du pouvoir d’Etat » in Ajda ; 1972 ; p. 136.

[3] CC, déc. n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, Loi constitutionnelle modifiant le régime de l’élection du président de la République.

[4] Goguel François, « Le Conseil constitutionnel » in Rdp ; 1979 ; p. 5 et s. et Luchaire François, « Le Conseil constitutionnel est-il une juridiction » in Rdp ; 1979 ; p. 27 et s.

[5] Op. cit. ; p. 52.

[6] Sur ces notions, v. infra.

[7] Rousseau Dominique, Droit du contentieux constitutionnel ; Paris, Montchrestien ; 2010 ; 9e éd., p. 47.

[8] Dord Olivier, « La Qpc et le parlement : une bienveillance réciproque » in Les Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel (Nccc) ; Paris, Dalloz ; 2013 ; n° 38, p. 36.

[9] L’expression de « co-législateur organique » se rencontre sous la plume de Georges Bergougnous : « Le Conseil Constitutionnel et le législateur » in Nccc ; op. cit. ; p. 12.

[10] Sur cette question de l’interprétation des textes juridiques, v. notamment :

– Amselek Paul, « Norme et Loi » in Archives de philosophie de droit ; 1980 ; t. 25, p. 89-107.

– Côte Pierre-André, « Le mot “chien” n’aboie pas : réflexions sur la matérialité de la loi » in Mélanges Paul Amselek ; Bruxelles, Bruylant ; 2005 ; p. 279.

– Troper Michel, « Les effets du contrôle de constitutionnalité des lois sur le droit matériel » in ibid. ; p. 751.

[11] Troper Michel, « Le problème de l’interprétation et la théorie de la supralégalité constitutionnelle » in Recueil d’études en hommage à Charles Eisenmann ; Paris, éd. Cujas ; 1975 ; p. 133.

[12] V. CC, n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation et CC, n° 82-139 DC du 11 février 1982, Loi de nationalisation.

[13] Expression de Bernard Chenot devant l’Académie des sciences morales et politiques citée par Bergougnous Georges, Nccc ; op. cit. ; p. 15.

[14] Sur les notions de parlementarisme dualiste et moniste, v. notamment Hauriou André, Droit constitutionnel et institutions politiques ; Paris, Montchrestien ; 1968 ; p. 678.

[15] CC, déc. n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, préc.

[16] Jean-Eric Gicquel écrit que « le Conseil constitutionnel entretient avec le mandat parlementaire des relations nourries, diversifiées et subtiles » ; « Le Conseil constitutionnel et le mandat parlementaire » in Nccc ; 2013 ; n° 38 ; p. 82.

[17] Dumas Roland, Politiquement incorrect, secrets d’Etat et autres confidences ; Paris, Le Cherche Midi ; 2015 ; p. 483.

[18] On notera que le seul compte de campagne d’un candidat à la présidence de la République déclaré irrégulier fut jusqu’à présent, celui d’un battu, ce qui est « politiquement correct ».

[19] CC, déc. n° 71-44 DC du 1er juillet 1901, Liberté d’association.

[20] CC, déc. n° 82-143 DC du 30 juillet 1982, Loi sur le blocage des prix.

[21] V. l’argumentation du Conseil constitutionnel, Considérant 11 et le commentaire de Louis Favoreu et Loïc Philip in Gdcc ; 4e éd.

[22] Chiffres cités par Benetti Julie, « La saisine parlementaire au titre de l’article 16 de la constitution » in Nccc ; 2013 ; n° 38, p. 98.

[23] Sur la question de la Qpc, v. le dossier « La question prioritaire de constitutionnalité » in Nccc ; 2010 ; n° 29.

[24] Guillaume Marc, Nccc ; op. cit. ; p. 22.

[25] C’est un « contrôle a priori bis » selon l’expression de Xavier Magnon in Ajda ; 20 septembre 2010.

[26] Chapitre V article 21 pour la première, article 256 pour la seconde.

[27] Dord Olivier, op. cit.

[28] ) L’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat, formation de jugement suprême, ne comprend qu’une minorité de membres de la section du contentieux.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Remise des Mélanges en l’honneur du professeur Jean-Louis Mestre

Les Editions L’Epitoge du Collectif l’Unité du Droit sont très heureuses de vous annoncer la remise – à leur récipiendaire – des Mélanges en l’honneur de M. le professeur Jean-Louis MESTRE.

Ces Mélanges forment les huitième & neuvième
numéros issus de la collection « Académique ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volumes VIII & IX :
Des racines du Droit

& des contentieux.
Mélanges en l’honneur du professeur Jean-Louis Mestre

Ouvrage collectif

– Nombre de pages : 442 & 516

– Sortie : mars 2020

– Prix : 129 € les deux volumes.

ISBN / EAN unique : 979-10-92684-28-5 / 9791092684285

ISSN : 2262-8630

Mots-Clefs :

Mélanges – Jean-Louis Mestre – Histoire du Droit – Histoire du contentieux – Histoire du droit administratif – Histoire du droit constitutionnel et des idées politiques – Histoire de l’enseignement du Droit et des doctrines

Présentation :

Cet ouvrage rend hommage, sous la forme universitaire des Mélanges, au Professeur Jean-Louis Mestre. Interrogeant les « racines » du Droit et des contentieux, il réunit (en quatre parties et deux volumes) les contributions (pour le Tome I) de :

Pr. Paolo Alvazzi del Fratte, Pr. Grégoire Bigot, M. Guillaume Boudou,
M. Julien Broch, Pr. Louis de Carbonnières, Pr. Francis Delpérée,
Pr. Michel Ganzin, Pr. Richard Ghevontian, Pr. Eric Gojosso,
Pr. Nader Hakim, Pr. Jean-Louis Halpérin, Pr. Jacky Hummel,
Pr. Olivier Jouanjan, Pr. Jacques Krynen, Pr. Alain Laquièze,
Pr. Catherine Lecomte, M. Alexis Le Quinio, M. Hervé Le Roy,
Pr. Martial Mathieu, Pr. Didier Maus, Pr. Ferdinand Melin-Soucramanien, Pr. Philippe Nélidoff, Pr. Marc Ortolani, Pr. Bernard Pacteau,
Pr. Xavier Philippe, Pr. François Quastana, Pr. Laurent Reverso,
Pr. Hugues Richard, Pr. André Roux, Pr. Thierry Santolini, M. Rémy Scialom, M. Ahmed Slimani, M. Olivier Tholozan,
Pr. Mathieu Touzeil-Divina & Pr. Michel Verpeaux,

… et pour le Tome II :

M. Stéphane Baudens, M. Fabrice Bin, Juge Jean-Claude Bonichot,
Pr. Marc Bouvet, Pr. Marie-Bernadette Bruguière, Pr. Christian Bruschi,
Prs. André & Danielle Cabanis, Pr. Chistian Chêne, Pr. Jean-Jacques Clère, Mme Anne-Sophie Condette-Marcant, Pr. Delphine Costa,
Mme Christiane Derobert-Ratel, Pr. Bernard Durand, M. Sébastien Evrard, Pr. Eric Gasparini, Père Jean-Louis Gazzaniga, Pr. Simon Gilbert,
Pr. Cédric Glineur, Pr. Xavier Godin, Pr. Pascale Gonod,
Pr. Gilles-J. Guglielmi, Pr. Jean-Louis Harouel, Pdt Daniel Labetoulle,
Pr. Olivier Le Bot, Pr. Antoine Leca, Pr. Fabrice Melleray,
Mme Christine Peny, Pr. Laurent Pfister, Pr. Benoît Plessix,
Pr. Jean-Marie Pontier, Pr. Thierry S. Renoux, Pr. Jean-Claude Ricci,
Pr. Albert Rigaudière, Pr. Ettore Rotelli, Mme Solange Ségala,
Pdt Bernard Stirn, Pr. Michael Stolleis, Pr. Arnaud Vergne,
Pr. Olivier Vernier & Pr. Katia Weidenfeld.

Mélanges placés sous le parrainage du Comité d’honneur des :

Pdt Hélène Aldebert, Pr. Marie-Bernadette Bruguière, Pr. Sabino Cassese, Pr. Francis Delpérée, Pr. Pierre Delvolvé, Pr. Bernard Durand,
Pr. Paolo Grossi, Pr. Anne Lefebvre-Teillard, Pr. Luca Mannori,
Pdt Jean Massot, Pr. Jacques Mestre, Pr. Marcel Morabito,
Recteur Maurice Quenet, Pr. Albert Rigaudière, Pr. Ettore Rotelli,
Pr. André Roux, Pr. Michael Stolleis & Pr. Michel Troper.

Mélanges réunis par le Comité d’organisation constitué de :

Pr. Jean-Philippe Agresti, Pr. Florent Blanco, M. Alexis Le Quinio,
Pr. François Quastana, Pr. Laurent Reverso, Mme Solange Ségala,
Pr. Mathieu Touzeil-Divina & Pr. Katia Weidenfeld.

Ouvrage publié par et avec le soutien du Collectif L’Unité du Droit
avec l’aide des Facultés de Droit
des Universités de Toulouse et d’Aix-Marseille
ainsi que l’appui généreux du
Centre d’Etudes et de Recherches d’Histoire
des Idées et des Institutions Politiques (Cerhiip)
& de l’Institut Louis Favoreu ; Groupe d’études et de recherches sur la justice constitutionnelle (Gerjc) de l’Université d’Aix-Marseille.