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ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

De la résistance collective dans la Casa de Papel (par Marie Koehl)

Voici la 53e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 27e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

L’extrait choisi est celui de l’article de Mme Marie KOEHL à propos de résistance collective dans la websérie La Casa de Papel. L’article est issu de l’ouvrage Lectures juridiques de fictions.

Cet ouvrage forme le vingt-septième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».
En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XXVII :
Lectures juridiques de fictions.
De la Littérature à la Pop-culture !

Ouvrage collectif sous la direction de
Mathieu Touzeil-Divina & Stéphanie Douteaud

– Nombre de pages : 190
– Sortie : mars 2020
– Prix : 29 €

– ISBN  / EAN : 979-10-92684-38-4
/ 9791092684384

– ISSN : 2259-8812

De la résistance collective
dans la Casa de Papel

Marie Koehl
Docteure en droit privé, Université Paris Nanterre,
Membre du Collectif L’Unité du Droit

« La lutte contre les inégalités sociales est le grand dessein collectif qu’une nation devrait se donner[1] ». Cette citation d’un académicien français du XXe siècle constitue l’essence de la série Casa de Papel. La notion de « collectif », du latin collectivius, signifie « ce qui groupe, ce qui rassemble », « qui concerne un ensemble de personnes unies par une communauté d’intérêts ou impliquées par une action commune[2] ». Le jeu collectif n’est pas réservé aux seuls sportifs : en atteste l’objectif principal du Collectif L’Unité du Droit (Clud[3]) de relier les juristes entre eux[4]. Le collectif « relie » en effet les individus et c’est sur une communauté d’intérêts que repose ce lien[5].

Casa de Papel peut être perçue comme une allégorie sur la résistance et sur la nécessité d’inventer ensemble une autre organisation sociale. Au-delà de l’intrigue, de l’action et de l’esthétique de cette fiction, c’est un acte politique qui est donné à voir au spectateur. On peut y déceler un message sur l’importance de penser par soi-même, d’abandonner la passivité et de s’indigner contre l’oppression. L’indignation n’est-ce pas « le motif de base de la Résistance[6] » ? Dans notre monde actuel, les raisons de s’indigner sont nombreuses et diverses. La crise des migrants, les écarts grandissants entre les plus pauvres et les plus riches[7], l’état de la planète, la financiarisation, etc. Il nous appartient donc de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers, dans laquelle les inégalités sociales demeurent fermement combattues[8]. Chacun a ses motifs d’indignation fondant son engagement politique. Ceux des braqueurs de la série résident essentiellement dans l’arbitraire étatique et la faillibilité du système ultracapitaliste. L’histoire repose, en effet, sur la préparation et le déroulement d’un spectaculaire braquage au sein de la Banque d’Espagne[9] par un groupe de braqueurs répondant aux ordres d’un seul homme : le Professeur. Portant tous des combinaisons rouges et un masque de Dali, et affublés du nom d’une capitale, ils forment un tout indissociable, un véritable « collectif » poursuivant un but politique commun.

Si l’action collective est saisie par le droit qu’il appréhende pour protéger des intérêts variés (syndicats, associations, collectivité des salariés, action de groupe, etc.), elle est aussi parfois un projet commun de ses membres réalisé en dehors du cadre légal. Tel est le cas de l’action menée par l’équipe du Professeur. Le sujet se révèle d’une actualité brûlante. Les actions collectives se font nombreuses pour pallier la carence de l’Etat dans certains domaines : le mouvement des Indignés[10] et de Nuit debout[11], l’« affaire du siècle » en matière d’écologie[12], les Collectifs anti-mafia[13] en sont des exemples topiques. Aujourd’hui, ce sont les Gilets jaunes qui essaiment leurs revendications sociales, aussi bien dans les campagnes que dans les villes. Cette contestation collective citoyenne, née il y a tout juste un an, nous servira d’ailleurs de fil conducteur pour la lecture de la troisième partie de cette série éminemment engagée. En effet, il illustre la force du collectif de se soulever en faveur de l’égalité. Pour ce faire, il conviendra, d’abord, d’appréhender les raisons de la rébellion des braqueurs (I), tout en nous interrogeant sur nos propres préoccupations actuelles. Nous verrons, ensuite, les moyens de la révolte du groupe, fondée sur la non-violence (II). Pour, enfin, tenter de comprendre ce que cette lutte collective révèle, notamment en restaurant le lien social (III).

I. Les raisons : mettre au jour les abus de pouvoir

La révélation des dérives du pouvoir étatique. Les deux premières parties[14] de la série ont pour but de mettre en lumière la révolte contre la pensée productiviste et la course à la compétitivité et à l’argent. La troisième partie repose davantage sur l’opacité de l’Etat et la mise au jour des « scandales » du pouvoir. A différents égards, la série nous conduit à réfléchir sur le propre fonctionnement de notre Etat. En ce sens, le cri de colère des braqueurs est à rapprocher de celui du mouvement populaire des Gilets jaunes en France. La liste est longue pour illustrer les dysfonctionnements du système étatique et l’absence de confiance dans le système institutionnel et électoral français. Nombreuses sont les affaires qui révèlent une « voyoucratie » patente dans les dernières décennies : mises en examen d’un ancien président de la République pour financement illégal de campagne et recel de fonds publics, condamnations d’un ancien ministre de l’Economie et des finances et d’un maire levalloisien pour fraude fiscale, emplois fictifs, la « Françafrique », écoutes illégales d’opposants par la cellule de l’Elysée mitterrandienne, etc. Ces affaires d’Etat montrent « un mélange des genres entre réseau étatique et intérêts privés[15] ».

Dans la partie III de Casa de Papel, c’est ce même sentiment d’impunité des représentants de l’Etat qui est mis en avant. L’équipe des braqueurs a une arme fortement dissuasive à l’encontre des autorités : ils détiennent 24 mallettes rouges contenant les plus importants secrets d’Etat, aussi bien nationaux qu’internationaux, pouvant ainsi mettre à mal la réputation de nombreux gouvernements. L’un des éléments qui intrigue le spectateur réside d’ailleurs dans le contenu de ces mallettes, resté inconnu. Ce que l’on voit, en revanche, ce sont les abus à l’encontre des détenus. En effet, toujours dans un but d’une transparence et d’exemplarité accrue de l’Etat, l’un des principaux combats menés par le groupe est celui de la dénonciation de la torture des détenus par la police. L’équipe du Professeur révèle l’affaire Cortés dans laquelle il est question de traitements inhumains et dégradants sur le détenu Cortés, dit Rio, membre du groupe des braqueurs lors du premier braquage[16]. Afin qu’il livre à la police des informations sur Le Professeur, Rio a été détenu dans une cellule sans lumière de la taille d’un cercueil, en étant privé de sommeil et drogué. Résultant de « traitements inhumains délibérés provoquant de fortes graves et cruelles souffrances », la torture est fermement sanctionnée dans la réalité[17]. Sur un autre plan, ce message véhiculé par la série n’est pas sans rappeler certaines « dérives » qui touchent l’institution policière en France. Elles ne s’assimilent pas aux actes de « torture » vus dans la série car elles concernent des faits de violence instantanés sans extorsion d’aveux[18]. Mais ces affaires constituent une autre forme de dérive étatique manifestant une inégalité criante. D’autres abus de pouvoir, touchant les questions fiscale, sociale et démocratique, sont également mis au jour dans cette troisième partie.

Les questions fiscale, sociale et démocratique. Né d’une contestation contre la hausse du carburant, le mouvement des Gilets jaunes entend défendre l’égalité sociale et lutter contre l’injustice fiscale et l’arbitraire étatique. La question fiscale a, en effet, été le révélateur du mouvement avec notamment la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (Isf), remplacé par un impôt sur la fortune immobilière (Ifi), les cadeaux fiscaux faits aux actionnaires du Cac 40 et aux grandes entreprises, et « dans le même temps » l’augmentation de la Csg, frappant les pensions de retraite. L’incompréhension est d’autant plus importante que parallèlement à ces mesures, l’Etat réduit les services publics[19]. Le mouvement révèle le sentiment d’injustice et la volonté de protection des intérêts économiques d’une minorité. La révolte populaire a pris peu à peu de l’ampleur avec, ensuite, en toile de fond la question sociale et démocratique.

Le mouvement a conduit à mettre en exergue les déconstructions du monde du travail et à réfléchir aux solutions qui s’imposent. Le marché du travail est en tension : il évolue en opposant encore plus nettement, comme aux Etats-Unis, des lovely jobs, bien payés et protégés, d’un côté, et des emplois peu qualifiés, mal rémunérés, les bullshit jobs, de l’autre côté. Ces travailleurs d’un genre nouveau sont placés dans une situation de précarité qui résulte de l’exclusion de la qualité de salarié ou d’un fractionnement des périodes d’emploi par le recours au travail intérimaire, à durée déterminée et à temps partiel[20]. Le constat est aussi celui de la promotion des travailleurs indépendants mal protégés, ne pouvant compter sur la propriété (d’un fonds de commerce par exemple) et au service de leur unique donneur d’ordre, galvanisés par les potentialités qu’offrent les plateformes numériques[21]. La revendication des Gilets jaunes n’est donc pas tournée vers l’employeur mais vers l’Etat, ce ne sont plus alors les patrons qui ont été visés mais davantage les riches et les élites.

C’est ce sentiment d’injustice sociale, cette incertitude du lendemain, de ces nouveaux travailleurs et de ceux qui opèrent hors du modèle de l’emploi[22], qu’il convient d’apaiser. Certains en appellent ainsi de leurs vœux d’une volonté politique forte car « le marché du travail évolue sans intervention de l’homme, alors que les institutions qui l’organisent nécessitent, elles, cette intervention pour s’adapter. Cet aggiornamento imposerait assurément une reprise en main étatique, le déploiement de services publics qui ne sont d’ailleurs en rien contraires à un libre espace offert au marché, pour peu que l’on souhaite un marché juste et non juste le marché[23] ». Cependant, il ne semble pas que le Gouvernement ait pris cette voie : dès la fin du grand débat national, c’est davantage celle de la remise en cause des « 35 heures » pour « remettre les Français au travail[24] » ainsi que la réforme des retraites qui ont été prises.

Enfin, derrière le soulèvement des Gilets jaunes se niche immanquablement la question démocratique. Malgré l’hétérogénéité du groupe, les manifestants ont en commun, notamment, un désaveu des citoyens envers la classe politique. Pour y pallier, des propositions sont faites dans des « Cahiers de doléances » et un referendum d’initiative citoyenne est souhaité. Plus globalement, ils s’emparent de la question institutionnelle en remettant en cause le pouvoir présidentiel[25].

Dans la partie 3 de Casa de Papel, ces questions sociale et démocratique sont moins mises en relief que dans les parties précédentes mais elles sont tout au long des épisodes suggérées. Le lieu du braquage, la Banque d’Espagne, n’est d’ailleurs pas anodin. Plus encore, le réalisateur, Alex Pina, s’est fortement inspiré du mouvement des Indignés, rassemblant, en 2011 à la Puerta Del Sol à Madrid, des manifestants pacifistes contre l’austérité et le chômage. Comme le masque de certains d’entre eux, les Anonymous, le réalisateur a choisi pour ses braqueurs le masque de Dali, peintre excentrique du XXe siècle que l’on surnommait « Avida Dollars » en raison de son rapport particulier à l’argent. Ce symbole évoque donc l’acte politique derrière le braquage, à savoir l’idée de la nécessité de réinventer une autre organisation sociale et de démontrer la faillibilité du système capitaliste. Pour révéler les limites du pouvoir étatique et de la recherche incessante du profit, et afin d’être compris par le plus grand nombre, l’équipe du Professeur a choisi la voie pacifique.

II. Les moyens : appeler à une insurrection pacifique

Une insurrection organisée. A la différence de la série où le groupe est organisé et sous les ordres du Professeur, il y a une absence de structuration du mouvement des Gilets jaunes. On y observe, en effet, un désordre dans l’ordonnancement des idées et dans l’organisation générale. Il souffre de l’absence d’une ligne directrice claire et de représentants officiels, malgré l’émergence de quelques figures médiatiques. Il s’oppose en ce sens au mouvement des « coordinations » (Sncf, infirmières, etc.) des années 1980, lequel a prospéré en dehors des syndicats, mais où existait de véritables leaders.

Dans Casa de Papel, les braqueurs agissent de concert, de façon précise et méthodique, dans un but politique commun. Ils acceptent les règles du jeu dictées par le Professeur en associant leurs forces. Ils sont ainsi unis par-delà l’hétérogénéité du groupe où chacun poursuit un intérêt qui lui est propre. Le Professeur réalise, lui, le plan de son père, mort dans un braquage, quand Tokyo souhaite libérer celui qu’elle aime. Mais au fond, tous résistent ensemble au pouvoir, devenant les acteurs et maîtres des destins individuels et collectifs des « Autres ». Cette idée du « collectif » défendue par le réalisateur conduit ainsi le spectateur à s’insurger contre la politique de l’entre-soi.

Cette « désobéissance civile[26] » organisée se propage au-delà des murs de la Banque d’Espagne puisque des manifestations spontanées apparaissent rapidement en soutien à l’équipe.

Le droit de manifester porté à l’écran. Les scènes où l’on voit de nombreux manifestants, habillés comme les braqueurs et brandissant l’image du visage de Dali, en appui à leur action, sont certes courtes et rapides mais elles sont distillées tout au long de la série et dans quasiment chaque épisode, ne manquant pas, encore, de faire écho à l’actualité. Le mouvement des Gilets jaunes offre en effet un terrain nouveau d’analyse au droit de manifester[27]. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme protège également ce droit dans son article 9 : « La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». Le Code pénal ainsi que le Code de la sécurité intérieure[28] conditionnent le recours à la force aux principes d’absolue nécessité, de proportionnalité et de réversibilité. Par exemple, le Code pénal en son article 431-1 punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende « le fait d’entraver d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la liberté d’expression, du travail, d’association, de réunion ou de manifestation ». L’alinéa 3 de l’article précise qu’est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende l’entrave exercée « d’une manière concertée et à l’aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations au sens du présent code ». En outre, en France, les citoyens doivent déclarer préalablement les manifestations sur la voie publique. Cette déclaration s’exerce en mairie ou en préfecture entre trois jours francs (48h à Paris) et quinze jours francs avant la date prévue. Depuis l’origine, le mouvement des Gilets jaunes est spontané et un certain nombre de manifestations n’a pas été déclaré, au risque pour les manifestants de se voir condamnés à une amende[29].

Malgré cet encadrement textuel, le mouvement a mis en lumière la multiplication des tensions et des incidents entre les forces de l’ordre et les participants aux manifestations. L’état des lieux d’une année de mobilisations spontanées peut effrayer : plusieurs centaines de blessés côté manifestants et côté forces de l’ordre, deux morts « indirects », des milliers d’interpellations, des gardes à vue, des procédures judiciaires, des biens détruits, des black blocs[30] présents régulièrement en marge des cortèges[31]. Un arsenal répressif lourd a, de ce fait, été mis en place rapidement afin de maintenir l’ordre lors des manifestations. De nombreuses Ong, dont Attac et Amnesty International[32], ont dénoncé le gazage et l’encerclement des manifestants pacifiques. De même, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe invitait, en février dernier, les autorités françaises à « ne pas apporter de restrictions excessives à la liberté de réunion pacifique » et à « suspendre l’usage du lanceur de balle de défense », responsable de blessures et mutilations graves. La Haut-commissaire aux droits de l’homme de l’Onu a également enjoint la France à mener une enquête approfondie sur tous les cas d’usage excessif de la force survenus pendant les manifestations des Gilets jaunes.

Ce clivage entre forces de l’ordre et manifestants est notamment décrit dans le rapport remis à l’Assemblée nationale en janvier 2018 sur le maintien de l’ordre, par le Défenseur des droits. Il y reconnaît une « perte de confiance de la population à l’égard des forces de l’ordre », tout en pointant un véritable « malaise policier[33] ». D’un côté, la population s’insurge contre les dérives policières et la rupture d’égalité entre les manifestants et les forces de l’ordre face à la justice. Sur ce dernier point, la mise en cause individuelle de policiers s’avère complexe et peu de condamnations sont prononcées à leur encontre. Certains avocats préconisent donc à leurs clients des actions collectives, au tribunal administratif notamment, contre l’Etat, du fait de ses ordres dans le cadre du maintien de l’ordre[34].

De l’autre côté, les forces de l’ordre s’estiment « faire l’objet d’une violence croissante et inédite », et ne se sentent pas « soutenues par leur hiérarchie » ni « reconnues par la population, dans un contexte de fortes sollicitations professionnelles[35] ». Le rapport préconise alors diverses mesures comme le renforcement des exigences de formation et de contrôle en matière de maintien de l’ordre, d’information des manifestants afin de rendre l’action des forces de l’ordre plus compréhensible et l’accomplissement de missions de prévention. Ces préconisations faites dans une approche d’apaisement et de protection sont à privilégier, tout comme des soulèvements non-violents.

Le mouvement des Gilets jaunes évoque donc à bien des égards les grandes émeutes populaires. De la Révolution française à mai 1968, en passant par la période insurrectionnelle de la Commune de Paris de 1871 et les grèves de 1936, les droits ont souvent été conquis par des révoltes agitées. D’ailleurs, la violence du peuple ne naît-elle pas de la violence institutionnelle, celle qui entretient les dominations, de façon silencieuse ? On peut y voir d’une certaine manière, la violence étatique contre la violence sociale. En effet, « il faut comprendre la violence comme une regrettable conclusion de situations inacceptables pour ceux qui les subissent[36] ». Si la violence est compréhensible, elle n’est pas acceptable. Surtout, elle ne permet pas d’obtenir les résultats espérés.

Une insurrection non-violente. Dans la série, les différentes saisons offrent nombre de scènes violentes dans lesquelles les braqueurs utilisent la force pour faire respecter l’ordre parmi les otages. Ils n’hésitent pas à pointer leurs armes pour dissuader les otages de se révolter. Certaines scènes mettent parfois le spectateur dans une situation paradoxale : il est gêné, même embarrassé, de lire la peur dans le regard des otages et, dans le même temps, il se place du côté des braqueurs, espérant qu’aucun incident ne perturbe le déroulement de leur plan. Parfois, donc, l’équipe est dépassée par des événements inattendus et fait montre d’autorité. Toutefois, la série se veut pacifiste. C’est là même le cœur du scénario. Les braqueurs font preuve d’un sens moral : même s’ils enfreignent le droit en retenant des femmes et des hommes en otage, ils accomplissent leur plan pacifiquement. Une scène de cette troisième partie résume bien leur dessein. Il s’agit d’une vidéo envoyée par l’équipe du Professeur aux inspecteurs dans laquelle on voit des policiers pris en otage et attachés torse-nu délivrant un message pour le monde extérieur. De prime abord, la séquence parait violente et choquante en raison de l’humiliation qu’ils subissent. Néanmoins, les braqueurs font passer un message de non-violence en leur demandant de confirmer qu’ils ne subissent aucun sévices et en leur faisant chanter Bella Ciao, chant des résistants omniprésent dans les deux premières parties. Cette chanson populaire venue d’Italie est un marqueur fort de la série car elle est un hymne partisan de résistance au fascisme, devenue par la suite une déclaration de refus de toute forme d’oppression. Dans Casa de Papel, elle représente la révolte face à l’autorité financière et à l’opacité du pouvoir étatique. En cela, elle est un véritable message d’espoir. Sartre disait en ce sens qu’« il faut essayer d’expliquer pourquoi le monde de maintenant, qui est horrible, n’est qu’un moment dans le long développement historique, que l’espoir a toujours été une des forces dominantes des révolutions et des insurrections[37] ».

Cette insurrection pacifique et le message d’espoir qu’elle relaye permettent de dépasser les conflits par une compréhension mutuelle. Les représentants de l’Etat sont, dès lors, embarrassés par l’efficacité de cette voie de la non-violence prise par les braqueurs car elle suscite l’appui et la compréhension de ceux qui s’opposent à l’oppression[38]. En effet, Le Professeur rend sa démarche légitime en cherchant le soutien de l’opinion publique[39]. A cet effet, un jeu avec les médias se joue tout au long de la série.

Les médias et les réseaux sociaux, relais essentiels de l’information. En quête d’audiences, les médias cèdent parfois à la facilité des commentaires au détriment de la recherche de la vérité. Or, l’information est aussi « un champ de bataille où se joue l’exercice d’un droit fondamental : le droit de savoir[40] », lequel est « du faible au fort, l’arme pacifique de l’émancipation par la connaissance[41] ». Ainsi, durant le mouvement des Gilets jaunes, on peut aisément constater que certains médias ont « voulu vendre du papier » en pointant essentiellement les faits de violence pendant les manifestations. Dans une certaine mesure, cette stratégie a délégitimé les manifestations et décrédibilisé le mouvement. Dans la série, on observe également l’importance des médias, vrai relai de communication de l’équipe. Le Professeur a bien compris que pour être efficace, il faut agir en réseaux. Il se sert donc volontiers des médias et des nouvelles technologies de l’information pour faire passer son message. A l’instar des lanceurs d’alerte, il souhaite par le biais des chaînes d’information révéler les travers du pouvoir étatique. Sa méthode de communication se révèle être un succès puisque l’opinion publique lui est favorable au vu de la propagation de manifestations spontanées. Ce soutien se ressent jusque dans les zones reculées du pays puisque des agriculteurs, dans un coin semble-t-il isolé, viennent en aide au Professeur et à Lisbonne. La troisième partie rappelle donc au spectateur l’importance des médias et la puissance de l’immédiateté des réseaux sociaux, et sous-tend qu’une véritable démocratie nécessite incontestablement une presse indépendante.

Quoi qu’il en soit, le braquage aura au moins eu le mérite de porter aux yeux de tous le combat de ces braqueurs, auparavant délaissés par l’Etat.

III. Les résultats : rendre visibles « les oubliés »

La légitimité démocratique. L’embrasement populaire, à travers l’action des braqueurs et les manifestations devant la Banque d’Espagne, rappelle que le peuple est la source du pouvoir démocratique. Le « peuple » « ne s’appréhende plus comme une masse homogène, il s’éprouve plutôt comme une succession d’histoires singulières. […]. C’est pourquoi les sociétés contemporaines se comprennent de plus en plus à partir de la notion de minorité. La minorité n’est plus la « petite part » (devant s’incliner devant une « grande part ») : elle est devenue une des multiples expressions diffractées de la totalité sociale[42] ». Aujourd’hui, la seule légitimité démocratique par l’élection est remise en cause. L’élection a, en effet, une fonction plus réduite ne faisant que valider un mode de désignation des gouvernants et n’impliquant pas qu’un gouvernement soit au service de l’intérêt général. Partant, on assiste à l’apparition de nouvelles attentes citoyennes à voir s’instaurer un régime serviteur de l’intérêt général et, donc, à l’émergence de nouvelles figures démocratiques. Ces autres formes d’investissement politique se sont donc révélées, à la fois concurrentes et complémentaires à la figure du « peuple-électeur[43] ». Pour le dire autrement, il s’agit d’une réinvention de la démocratie qui ne saurait se limiter au droit de vote.

Les Gilets jaunes incarnent, eux-aussi, dans son sens pratique, l’idée de démocratie définie comme « l’action qui sans cesse arrache aux gouvernements oligarchiques le monopole de la vie publique et à la richesse la toute-puissance sur les vies[44] ». C’est, en somme, la victoire des « oubliés », devenus de véritables acteurs autonomes de leur propre histoire et non plus « sujets » d’une histoire politique[45]. Les actes de violence réalisés par des groupes irréductibles d’extrémistes ont souvent masqué le fait que la grande majorité des manifestants ont pourtant discuté pacifiquement des heures durant, souvent dans le froid et sous la pluie, de revendications variées. Oubliées également les scènes de fraternité observées sur les ronds-points ou dans les baraquements, rappelant que certains Gilets jaunes souhaitaient seulement sortir de l’isolement. L’on découvrait, notamment, à cette occasion l’isolement important des femmes : plus d’une femme majeure sur deux, vit seule en France[46]. De même, la rentabilité immédiate, les politiques ultra-libérales creusent les inégalités contre les solidarités collectives[47]. Et c’est parce que l’Etat a justement tourné le dos « au souci du commun[48] » que la révolte des oubliés[49] a tonné, créant un temps nouveau au dialogue.

L’arrêt du temps en faveur du dialogue. Le temps est un facteur primordial dans la série : les braqueurs doivent rester suffisamment longtemps dans la Banque pour fondre l’or, sans dépasser la limite fixée par le Professeur au risque d’une intervention des forces policières. Ce temps est surtout nécessaire au Professeur pour négocier avec les inspecteurs. En effet, le dialogue avec les autorités demeure encore le fil rouge de cette troisième partie. Les échanges se font vifs avec l’inspectrice, figure féminine puissante. A cet égard, bien que cela ne soit pas le message principal de la série, certaines scènes et certains personnages[50] conduisent le spectateur à réfléchir sur la société patriarcale. Les négociations se poursuivent également avec des représentants du gouvernement. Le Professeur parvient ainsi à changer la règle et la donne du jeu politique. Du reste, cet arrêt du temps diffère avec l’immédiateté de certaines décisions politiques. L’équipe de braqueurs laisse donc place à un autre temps : celui de la pensée et du dialogue.

C’est d’ailleurs le propre des soulèvements populaires que d’interrompre le temps. Le mouvement des Gilets jaunes en atteste une nouvelle fois avec le blocage du temps et de la circulation sur les ronds-points et aux péages occupés. Au-delà du temps gagné et du dialogue engagé, s’insurger permet aussi et surtout d’être libre à certains égards.

Révolte et liberté. Le soulèvement de ces minoritaires leur assure la liberté[51]. Pour Hannah Arendt, la liberté n’est pas d’abord un phénomène de la volonté intérieure, ce que l’on appelle le « libre-arbitre », mais est inhérente à l’action extérieure puisque « être libre et agir ne font qu’un[52] ». A cet égard, le politique est, selon elle, un espace pluriel de délibération, un espace de liberté[53]. Aussi, une comparaison avec la série peut une fois de plus être faite ici. Et ce notamment lorsque l’auteure rappelle que la polis grecque était autrefois une « forme de gouvernement » qui procurait aux hommes, une scène où ils pouvaient jouer, une sorte de théâtre où la liberté pouvait apparaître. Le groupe de braqueurs n’est autre que des femmes et des hommes vivant en communauté, à la fois avant le braquage pour le mettre en œuvre puis pendant. Les flashbacks, présents dans toutes les saisons et montrant la préparation du braquage, révèlent que rien n’est laissé au hasard. Regroupés tous ensemble dans une demeure isolée, les braqueurs sont comme des étudiants auxquels le Professeur donne les directives à suivre. Il les invite à réfléchir sur le sens de leurs actions et leurs conséquences. Quelle qu’en soit l’issue, l’enfermement collectif, durant des jours dans la vaste demeure puis au sein de la Banque d’Espagne, est finalement le prix à payer de leur liberté.

Mais toute révolution est-elle vraiment synonyme de liberté ? En d’autres termes, si toute révolte est menée au nom de la liberté, est-elle réellement toujours un processus menant à la liberté de ceux qui la poursuivent ? Si la question mérite d’être posée et débattue, une certitude demeure : cette révolte permet de rendre visible.

La visibilité des exclus. Dans un essai inédit[54], Hannah Arendt affirme qu’avant de conduire à un régime démocratique, la révolution a d’abord libéré tout un ensemble d’individus jusqu’ici invisibles. Ainsi, se manifeste dans l’acte même de la révolution le fait de rendre visible, de donner naissance à des individus jusqu’ici jamais réunis en un tout. L’auteure prend notamment acte du fait que la Révolution française a libéré les pauvres de l’invisibilité, en les faisant accéder à la vie publique : « un peuple frappé par la pauvreté et la corruption est soudain délivré non pas de la pauvreté mais de l’obscurité », et entend « pour la première fois que sa situation est discutée ouvertement et qu’il se trouve invité à participer à cette discussion[55] ». Cette pensée résonne donc parfaitement avec les colères actuelles et les ambitions du réalisateur de la série. En somme, la série invite à nous interroger sur la liberté que le peuple a de s’organiser par lui-même pour s’emparer de l’action politique.

C’est en filigrane, l’idée de l’importance de se soulever, pour n’importe qui, défendue par Michel Foucault[56]. Ce dernier résume-t-il : « a-t-on raison ou non de se révolter ? Laissons la question ouverte. On se soulève, c’est un fait ; et c’est par là que la subjectivité (pas celle des grands hommes, mais celle de n’importe qui) – quel qu’en soit le visage – s’introduit dans l’histoire et lui donne son souffle. Un délinquant met sa vie en balance contre des châtiments abusifs ; un fou n’en peut plus d’être enfermé et déchu ; un peuple refuse le régime qui l’opprime. Cela ne rend pas innocent le premier, ne guérit pas l’autre, et n’assure pas au troisième les lendemains promis ».

Mais cela le rend libre et visible. La série illustre bien l’idée que ce ne sont pas les « puissants » qui font le jeu démocratique mais bien les « n’importe qui[57] ». Les braqueurs dissimulent leur visage sous un masque de Dali, lequel devient un symbole jusqu’à être repris par une partie de la population qui soutient leur action. Leur combinaison rouge et leur masque marquent donc les esprits – entrant même dans notre propre réalité[58] – et les rendent visible aux yeux de tous. Il leur permet également de se fondre dans la masse des otages qui sont eux-aussi dotés dudit habit pour créer la confusion chez les forces d’intervention de la police.

Tous, otages et braqueurs confondus, forment une même et seule communauté et semble sur un pied d’égalité. L’important est que ces « n’importe qui » sont enfin visibles et entendus.

L’espoir d’un avenir nouveau. Bien que chaque épisode tienne le spectateur en haleine lui faisant espérer que le groupe réussisse à finir de transformer l’or tout en sortant de la Banque sans se faire arrêter, sur le fond le résultat du braquage importe peu. En creux, ce qui compte c’est le but commun poursuivi : inquiéter les « puissants » et montrer au peuple qu’une alternative au système existant est possible. Là réside l’intérêt de l’œuvre commune.

Derrière la défaite des Gilets jaunes se niche une victoire[59] car, malgré les scories que comporte ce mouvement, la couleur du gilet a permis de rendre visibles les invisibles[60] et surtout de croire[61] à un avenir nouveau[62]. Tout comme les braqueurs au visage de Dali.

Finalement, la résistance collective permet la réunion des forces pour briser l’immobilité, pour « inventer collectivement l’alternative » pour construire l’avenir[63]. Elle oblige à des remises en cause et ouvre des possibles.


[1] J. De Bourbon Busset.

[2]Collectif, G. Cornu, Vocabulaire juridique, Puf, Quadrige, 12e éd., 2018.

[3] La présentation de l’association est claire sur ce point : « Le Collectif L’Unité du Droit (Clud) a pour vocation de rassembler des universitaires convaincus du nécessaire rapprochement des droits et de leurs enseignements dans une unité et non dans leurs seules spécificités ». Ses membres sont « convaincus de (re) créer des liens entre spécialistes du Droit (dont privatistes et publicistes mais pas seulement) ainsi qu’entre praticiens et universitaires (et réciproquement) ».

[4] Si la réflexion sur l’Unité du Droit est le cœur de son action, le Clud permet un véritable soutien des Universitaires à l’égard des jeunes chercheurs comme en témoignent les Universités d’été et les nombreux ouvrages collectifs auxquels ces derniers peuvent participer.

[5] A. Sotiropoulou, « La collectivité », in Recueil de leçons de 24 heures, Agrégation de droit privé et de sciences criminelles de 2015, Lgdj, 2015, p. 321.

[6] S. Hessel, Indignez-vous !, Indigènes éditions, 2010.

[7] L’Ong Oxfam annonce dans son dernier rapport, le renforcement de l’écart entre les plus riches et les plus pauvres : en 2018, la fortune des milliardaires a augmenté de 12 % (augmentation de 900 milliards de dollars) tandis que la richesse des plus pauvres de la population mondiale (soit 3,8 milliards de personnes), baissait de 11 %. Par ailleurs, seulement 26 personnes possédaient en 2018 autant que la moitié la moins riche de la population mondiale : Rapport « Services publics ou fortunes privées ? », Oxfam International, janv. 2019, en ligne.

[8] S. Hessel, Indignez-vous !, Indigènes éditions, 2010, p. 9.

[9] Dans les deux premières parties de la série, le braquage se déroule dans l’Office de la Monnaie et du timbre.

[10] Mouvement de manifestations, non violent né sur la Puerta del Sol, en Espagne, à Madrid le 15 mai 2011, rassemblant des centaines de milliers de manifestants contre l’austérité.

[11] Ensemble de manifestations sur des places publiques, en France, ayant commencé le 31 mars 2016 sur la Place de la République à Paris, à la suite d’une manifestation contre la « loi Travail ».

[12] A la suite du « grand débat national » du printemps 2019, une vaste pétition écologique a circulé pour obliger l’Etat à prendre ses responsabilités face aux changements climatiques.

[13] Des Collectifs anti-mafia, dont le Collectif anti-mafia « Massimu Susini », ont vu le jour récemment en Corse à la suite de l’assassinat d’un jeune militant, Massimu Susini, en septembre 2019. Plus de 800 personnes étaient réunies, le 29 septembre, à l’Université de Corte pour débattre de l’emprise du grand banditisme sur l’île et dénoncer la défaillance de l’Etat à protéger les insulaires des assassinats, des menaces, des extorsions, des pressions diverses, des corruptions dont nombreux sont victimes.

[14] La série se divise en « Parties » sur Netflix.

[15] E. Plenel, La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte, 2019, p. 124.

[16] Braquage de la Fabrique nationale de la Monnaie et du Timbre : Partie 1 et 2 de la série.

[17] Code pénal, art. 222-1, al. 1er : « Le fait de soumettre une personne à des tortures ou à des actes de barbarie est puni de quinze ans de réclusion criminelle. ». Art. 222-2, al. 1er : « L’infraction définie à l’article 222-1 est punie de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’elle précède, accompagne ou suit un crime autre que le meurtre ou le viol. ». La Cour de cassation est venue modifier sa jurisprudence dans un sens plus sévère lorsqu’elle a condamné la France pour torture dans le cadre de la garde à vue d’un étranger soupçonné de trafic de stupéfiants : « la Cour estime que certains actes autrefois qualifiés de « traitements inhumains et dégradants », et non de « torture », pourraient recevoir une qualification différente à l’avenir » (Cedh, grande ch., 28 juill. 1999, aff. 25803/94, Selmouni c/ France).

[18] Pour les affaires les plus médiatiques ces dernières années : Affaire Zyed et Bouna : le 27 octobre 2005, Zyed Benna et Bouna Traoré sont morts électrocutés dans le transformateur Edf où ils s’étaient réfugiés pour échapper aux policiers qui les poursuivaient. Trois semaines de révolte s’en s’ensuivirent et dix années de procédure judiciaire. Malgré certaines failles dans l’enquête, le tribunal correctionnel de Rennes a relaxé les deux policiers jugés pour « non-assistance à personnes en danger » ; Affaire « Théo » est une affaire judiciaire relative à l’arrestation et au viol allégué d’un homme de 22 ans, Théodore Luhaka, le 2 février 2017 ; Affaire « Benalla », mettant en cause un chargé de mission, coordinateur de différents services lors des déplacements officiels et privés du président de la République, accusé d’avoir usurpé la fonction de policier, et violenté un couple de manifestants, le 1er mai 2018, à Paris.

[19] La crise des hôpitaux publics et la grève récente des pompiers sont des exemples parmi d’autres. V. not. Rapport de l’Académie nationale de médecine (Anm), Rapport 19-02. L’hôpital public en crise : origines et propositions, du 12 fév. 2019, en ligne.

[20] L. Gamet, « Les Gilets jaunes et la question sociale », Dr. social, 2019, p. 564.

[21] C. Larrazet, « Régime des plateformes numériques, du non-salariat au projet de charte sociale », Dr. social, 2019, n° 2, p. 167 ; F. Champeaux, « L’occasion de déplacer les frontières du salariat », SSL 07 oct. 2019, n° 1877, p. 3 ; P. Lokiec, « De la subordination au contrôle », SSL 17 déc. 2018, n° 1841, p. 10 ; T. Pasquier et A. Chaigneau, « Capital, travail et entreprise numérique », in A. Jeammaud, M. Le Friand, P. Lokiec, C. Wolmark (dir.), A droit ouvert, Mélanges en l’honneur d’A. Lyon-Caen, Dalloz, 2018, p. 187 ; T. Pasquier, « Le droit social confronté aux défis de l’ubérisation », Dalloz IP/IT, n° 7, 2017, p. 368 ; B. Gomes, Le droit du travail à l’épreuve des plateformes numériques, sous dir. A. Lyon-Caen, Thèse Paris Nanterre, 2018. V. not. Les décisions de justice rendues au sujet des travailleurs des plateformes numériques : Take eat easy : Soc., 28 nov. 2018, n° 17-20.079 ; Uber : CA Paris, pôle 6, ch. 2, 10 janv. 2019, M. X c/ Uber.

[22] L. Gamet, « UberPop (†) », Dr. social, 2015, p. 929.

[23] L. Gamet, « Les Gilets jaunes et la question sociale », Dr. social, 2019, p. 564.

[24] Ch. Radé, « Gilets jaunes et chiffon rouge », Dr. social, 2019, p. 369.

[25] E. Plenel, La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte, 2019, p. 51.

[26] Terme créé par l’américain Henry David Thoreau en 1849 après avoir passé une nuit en prison pour avoir refusé de payer l’impôt électoral au gouvernement d’un Etat fédéral des Etats-Unis qui reconnaissait l’esclavage. La désobéissance civile est le refus de se soumettre à une loi injuste et à chercher à changer cette loi par des moyens non-violents : H.-D. Thoreau, La désobéissance civile, Gallmeister , coll. Totem, réed. 2017. Le philosophe rappelle le caractère non-violent de la révolte : « Si un millier d’hommes devaient s’abstenir de payer leurs impôts cette année, ce ne serait pas une initiative aussi brutale et sanglante que celle qui consisterait à les régler, et à permettre ainsi à l’Etat de commettre des violences et de verser le sang innocent. Cela définit, en fait, une révolution pacifique, dans la mesure où pareille chose est possible », spéc. p. 9.

[27]A. Coignac, « Droit de manifester : toujours une liberté ? », Dalloz Actualité 04 oct. 2019.

[28] CSI, art. L. 211-1 à L. 211-4 (Manifestations sur la voie publique) ; art. L. 211-9 à L. 211-10 (Attroupements).

[29] Les articles 431-3 et suivants du Code pénal prévoient les peines et amendes dans les hypothèses de participation délictueuse à un attroupement. L’article 431-9 du Code pénal punit également de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende le fait d’avoir organisé une manifestation sur la voie publique n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration préalable dans les conditions fixées par la loi ; d’avoir organisé une manifestation sur la voie publique ayant été interdite dans les conditions fixées par la loi ; d’avoir établi une déclaration incomplète ou inexacte de nature à tromper sur l’objet ou les conditions de la manifestation projetée.

[30] Le black bloc est un groupe d’individus sans hiérarchie, habillés de noir, masqués, qui justifient la violence contre les représentations de l’Etat par la violence intrinsèque de celui-ci.

[31] A. Coignac, « Droit de manifester : toujours une liberté ? », Dalloz Actualité 04 oct. 2019 : « Samedi 21 septembre, l’acte 45 des Gilets jaunes, la Marche pour le climat et la manifestation contre les retraites dans Paris se sont soldées par 158 gardes à vue selon la Préfecture. Selon le parquet, 90 personnes se sont vues notifier un rappel à la loi, parfois assorti d’une interdiction de paraître à Paris pendant six mois, en application de la loi anticasseurs du 10 avril 2019. ». Des médias relayent encore d’autres chiffres : le journaliste David Dufresne a recensé les cas documentés (vidéos, photos, certificats) de victimes des forces de l’ordre, via un fil Twitter intitulé « Allô Place Beauvau ». Le 23 septembre 2019, le décompte s’élevait, tous mouvements sociaux confondus, à 860 signalements dont deux décès. Sur le site Mediapart, la page « Allô Place Beauvau ? C’est pour un bilan provisoire » fait état des derniers chiffres officiels du Ministère de l’Intérieur, au 29 août 2019 : soit 2 448 blessés, 561 signalements déposés à l’Igpn (Inspection générale de la police nationale), 313 enquêtes judiciaires de l’Igpn, 8 enquêtes administratives, 15 enquêtes judiciaires de l’Iggn (Inspection générale de la gendarmerie nationale), 180 enquêtes transmises au Parquet, 1 9071 tirs de Lbd, 1 428 tirs de grenades lacrymogènes instantanées, 5 420 tirs de grenades de désencerclement, 474 gendarmes blessés et 1 268 policiers blessés.

[32] Dans une tribune du 3 mai 2019, Amnesty International se positionna pour l’interdiction du Lbd40 et des grenades lacrymogènes instantanées Gli-Fa utilisés par les forces de l’ordre pendant les manifestations des Gilets jaunes.

[33] « Le maintien de l’ordre au regard des règles de déontologie », Rapport du défenseur des droits, Décembre 2017, p. 1, en ligne.

[34] A. Coignac, « Droit de manifester : toujours une liberté ? », Dalloz Actualité 04 oct. 2019. L’auteure enquête auprès de nombreux acteurs (représentants des forces de l’ordre, avocats, universitaires pénalistes, journalistes). Il est notamment relaté l’interview d’une avocate : Maître Claire Dujardin constate que « les textes sont assez flous sur l’usage de la force et le concept de légitime défense, cela favorise des décisions comme le non-lieu dans l’affaire Rémi Fraisse (militant écologiste, tué en 2014 lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens) ». Elle ajoute : « Je ne peux pas emmener mes clients pour quatre ans en instruction avec un fort risque de non-lieu à la fin. Ça les laisse en plus dans un statut de victime qui devient compliqué à gérer dans la vie ».

[35] « Le maintien de l’ordre au regard des règles de déontologie », Rapport du défenseur des droits, Décembre 2017, p. 8, en ligne.

[36]S. Hessel, Indignez-vous !, Indigènes éditions, 2010, p. 18.

[37] J.-P. Sartre, « Maintenant l’espoir… (III) », Le Nouvel Observateur, 24 mars 1980.

[38] Sur l’efficacité de la non-violence : S. Hessel, Indignez-vous !, Indigènes éditions, 2010, p. 20.

[39] V. supra l’article collectif : « Une lecture juridique au prisme du droit à la désobéissance » : « C’est précisément sur ce point décisif que le Professeur échafaude la légitimité de sa démarche pour s’en incarner en héraut. Il le répète sans cesse… l’opinion publique est la seule véritable arme, sa caution. Son soutien traduit et porte la voix indicible du peuple concret. Son rejet, a contrario, pointerait un acte criminel ».

[40] E. Plenel, La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte, 2019, p. 181.

[41]Ibid., p. 184.

[42] P. Rosanvallon, La contre-démocratie. La politique de à l’âge de la défiance, Paris, Seuil, Points, 2006, p. 14.

[43] Ibid., p. 108. L’auteur y décrit l’émergence des figures du « peuple-surveillant », du « peuple-véto » et du « peuple-juge » en contrepoint de celle d’un « peuple-électeur ».

[44] J. Rancière, La haine de la démocratie, La Fabrique, Paris, 2005, p. 105.

[45] E. Plenel, La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte, 2019, p. 13.

[46] L. Gamet, « Les Gilets jaunes et la question sociale », Dr. social, 2019, p. 564.

[47] La solidarité doit être revue à l’aune des défis auxquels sont confrontées les sociétés actuelles modernes : V. l’ouvrage collectif sous dir. S. Paugam, Repenser la solidarité. L’apport des sciences sociales, Puf, 2007, réed. 2011.

[48] E. Plenel, op. cit., p. 159.

[49] V. Dossier Mediapart, « Gilets jaunes : La révolte des oubliés ».

[50] Dans la saison un, Nairobi crie : « place au Matriarcat ! ». De même, les violences conjugales sont dénoncées à travers la violence de l’ex-mari de l’inspectrice. V. sur le féminisme dans la série, supra, la communication de Mme Stéphanie Willman-Bordat.

[51] « Résistance et obéissance, voilà les deux vertus du citoyen. Par l’obéissance il assure l’ordre ; par la résistance il assure la liberté » : Alain, Propos sur les pouvoirs, Paris, Gallimard, coll. Folio/essais, 2014, p. 162.

[52] H. Arendt, La Crise de la culture, « Qu’est-ce que la liberté ? », Folio, Gallimard, 2014 (1ère éd. 1989), p. 198.

[53] H. Arendt, La Crise de la culture, « Qu’est-ce que la liberté ? », Folio, Gallimard, 2014 (1ère éd. 1989), p. 190 : « la raison d’être de la politique est la liberté, et son champ d’expérience est l’action ».

[54] H. Arendt, La liberté d’être libre, Payot, 2019. Cet essai inédit a été retrouvé récemment dans le fonds Arendt de la Bibliothèque du Congrès à Washington. Ce texte a été probablement écrit à la fin des années 1960, au moment de la crise de Cuba, des révolutions en Amérique latine et de la décolonisation.

[55] H. Arendt, La liberté d’être libre, Payot, 2019.

[56] M. Foucault, « Inutile de se soulever ? », Le Monde, n° 10661, 11- 12 mai 1979, p. 1 et s., in Dits et Ecrits 1954-1988, t. III, Gallimard, Paris, texte 269, p. 790-794.

[57] V. aussi sur le « n’importe qui » : E. Plenel, La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte, 2019, p. 59.

[58] La diffusion de la série a engendré une commercialisation importante du costume rouge et du masque de Dali. Certaines images montrent même des Gilets jaunes portant le masque de Dali.

[59] D’où le titre évocateur de l’ouvrage d’Edwy Plenel sur le mouvement des Gilets jaunes : « La victoire des vaincus » : E. Plenel, La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte, 2019.

[60] E. Morin, « La couleur jaune d’un gilet a rendu visible les invisibles », Mediapart, 24 déc. 2018.

[61] « Si l’on ne croit à rien, si rien n’a de sens et si nous ne pouvons affirmer aucune valeur, alors tout est permis et rien n’a d’importance. Alors, il n’y a ni bien ni mal, et Hitler n’a eu tort, ni raison. […]. On a tous à créer en dehors des partis et des gouvernements des communautés de réflexions qui entameront le dialogue à travers les nations et qui affirmeront par leur vie et leurs discours que ce monde doit cesser d’être celui de policiers, de soldats et de l’argent pour devenir celui de l’homme et de la femme, du travail fécond et du loisir réfléchi » : A. Camus, « La crise de l’homme », conférence donnée à l’Université de Colombia (New York), 28 mars 1946, in A. Camus, Conférences et discours (1936-1958), Folio, 2017.

[62] Aujourd’hui le mouvement des Gilets jaunes fête ses un an mais s’est largement essoufflé. Toutefois, malgré l’absence de solution concrète aux attentes des manifestants et les frustrations qui vont de pair, le mouvement vit toujours et a permis à de nombreuses personnes de tisser des liens, de retrouver une fraternité longtemps oubliée. Plus encore, il leur a permis d’être entendus. Et l’engagement se poursuit pour certains autrement comme ce « Collectif citoyen Sélestat 2020 » crée en Alsace appelant les citoyens à rejoindre une liste citoyenne pour les municipales. V. l’article « Les gilets jaunes tentent d’entretenir la flamme », DNA 9 nov. 2019, p. 13.

[63] E. Plenel, La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte, 2019, p. 161.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso.
Vous pourrez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

La Servante écarlate ou quand le féminisme devient un produit marketing qui perd de son essence (par Mélanie Jaoul)

Voici la 11e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 27e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

L’extrait choisi est celui de l’article de Mme Mélanie JAOUL à propos du/de féminisme(s) dans la websérie La Servante écarlate. L’article est issu de l’ouvrage Lectures juridiques de fictions.

Cet ouvrage forme le vingt-septième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».
En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XXVII :
Lectures juridiques de fictions.
De la Littérature à la Pop-culture !

Ouvrage collectif sous la direction de
Mathieu Touzeil-Divina & Stéphanie Douteaud

– Nombre de pages : 190
– Sortie : mars 2020
– Prix : 29 €

– ISBN  / EAN : 979-10-92684-38-4
/ 9791092684384

– ISSN : 2259-8812

La Servante écarlate
ou quand le féminisme devient un produit marketing
qui perd de son essence[1]

Mélanie Jaoul
Maîtresse de conférences en droit,
Membre du Laboratoire de droit privé (Ea 707)
à l’Université de Montpellier,

Chercheuse associée au Centre de recherche
sur les mutations sociales et les Mutations du Droit (Cermud) à la Faculté des Affaires internationales du Havre, Clud

« Nous voulions juste un monde meilleur. Meilleur ne signifie jamais meilleur pour tout le monde. Ça signifie toujours pire pour certains ». Cette phrase du commandant Waterford constitue la quintessence de la dystopie de la Servante écarlate. La série basée sur le roman éponyme écrit par Margaret Atwood ne peut qu’être une œuvre nécessairement militante de la cause des femmes. Opérer une lecture féministe de La Servante écarlate semble, de prime abord, une tâche évidente tant les réactions suscitées par la série semblent militer de son féminisme. En effet, les féministes du monde entier se sont saisies du symbole qu’est la tenue de La Servante écarlate afin de manifester dans les pays où le droit à l’interruption volontaire de grossesse n’est pas garanti voire refusé. Parce que porter la cape rouge et les ailes blanches des servantes permet, par le fort impact visuel de la tenue dans un monde d’hommes aux costumes sombres, de marquer sa désapprobation sans avoir à manifester ou mener des actions qui pourraient être lourdement réprimées, le symbole ne pouvait qu’être adopté. Ainsi, aux Etats-Unis, les servantes du Texas furent les premières à manifester contre les politiques natalistes en se revêtant de la fameuse cape rouge. Le symbole fut repris partout : dans l’Ohio, la Floride, le New-Hampshire… Au-delà même des frontières américaines, le phénomène a pris en Irlande lors de la lutte pour l’accès à l’interruption volontaire de grossesse, en Pologne ou plus récemment encore en Argentine. Si le symbole essaime ainsi au travers des luttes féministes dans le monde, c’est bien la preuve que La Servante écarlate est une série féministe. Pourtant, je vais me placer dans un registre dans lequel on ne m’attend pas : la lecture féministe de la servante écarlate est possible, plausible et même crédible. Pourtant, je vais tenter de vous montrer que cette lecture doit être nuancée. La Servante écarlate, par certains aspects, passe à côté du féminisme voire le sacrifie sur l’autel de l’esthétisation de la violence et de l’essentialisation de la maternité.

Quoi ? La Servante écarlate traitresse à ses sœurs ? Qu’ouïe-je ? Je ne suis pas la seule à pondérer le propos féministe affiché. L’autrice du livre éponyme a toujours refusé de qualifier celui-ci de livre féministe et lui préfère l’expression « d’aventure humaine mettant en lumière des femmes ». Le réalisateur de la série et ses actrices ne sont d’ailleurs pas plus à l’aise avec le F-word (à savoir le féminisme). Dans de nombreuses interviews, ils réfutent la qualification de féministe de la série ou la reconnaissent à demi-mot lui préférant l’étiquette d’humaniste. Il faut dire que si après l’affaire Weinstein, les hashtags #MeToo et #Time’sup, le féminisme peut être perçu comme un objet « marketing[2] », les promoteurs de la série ont peur qu’une telle étiquette conduise à un rejet de la série par une partie du public. L’équilibre est alors précaire entre le désir de « surfer » sur la vague, la déferlante féministe et en même temps, ne pas effrayer la grande majorité d’une population au mieux indifférente au féminisme, au pire clairement réfractaire à ce dernier.

Au-delà de ces considérations, il nous faut entrer dans le vif du sujet et nous intéresser à la série en elle-même. Pour comprendre de quoi nous parlons et comment la société patriarcale de Gilead a pu voir le jour, il convient de planter le décor. Gilead est une société qui se constitue dans un monde – lequel n’est pas sans faire écho au nôtre – où l’environnement est devenu hostile en raison de la folie consumériste des hommes, où les terres sont polluées notamment par des déchets radioactifs, où le chômage est massif et où la population connait un taux de fertilité si bas que les enfants sont considérés comme un miracle et enfin où c’est la survie même de l’espèce humaine qui semble en jeu. Dans ce contexte, un groupuscule masculiniste et religieux, les fils de Jacob, après des années à œuvrer et recruter dans l’ombre, a fomenté un coup d’état permettant d’établir Gilead dans une grande partie de ce qui fut les Etats-Unis d’Amérique[3]. Cette société, dans une lecture littérale de la bible, réduit les femmes à leur condition de reproductrices/femmes au foyer et purge la société des traitres au genre[4], des personnes ayant un engagement dans un culte autre que le culte gileadien[5], des médecins et personnels soignants ayant permis aux femmes de gérer leur capacité reproductrice[6] et enfin, des antifemmes que sont les féministes… L’héroïne June, rebaptisée Offred-Defred[7], est séparée de sa fille Hannah, laquelle est confiée à une famille « respectable » parmi l’élite gileadienne et devient une servante écarlate, affectée auprès du Commandant Fred Waterford et de son épouse, Serena afin de leur donner un enfant. C’est au travers de son histoire et ses pensées que l’on voit se dérouler le sombre destin des femmes de Gilead. Il est d’ailleurs important de souligner que les deux femmes en question ont un passé pré-gileadien lié au féminisme : June est la fille d’une activiste féministe et a toujours fréquenté ce milieu sans s’y fondre, en regardant la lutte féministe comme dépassée ; Serena était une féministe[8] qui a rencontré la foi et a forgé, construit et pensé Gilead avec sa plume. Quelle ironie du sort ! Comment ne pas alors penser aux célèbres mots de Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question[9] ». La série, à l’instar du livre, me donne le sentiment qu’il s’agit plus d’une histoire qui met en lumière « le basculement » – grâce aux flash-back – qu’une histoire de la lutte féministe contre le patriarcat au pouvoir. Ce qui est édifiant, c’est qu’au travers de ces retours en arrière, le téléspectateur ou la téléspectatrice peut faire le lien avec des actualités de son propre quotidien : dans les faits divers et les actualités qui nous rappellent sans cesse que les femmes ont beau représenter la moitié de l’humanité, elles sont discrimininées, violées, privées de la libre disposition de leurs corps, réifiées, essentialisées, réduites en esclaves, torturées, tuées juste parce qu’elles sont femmes. Les petits renoncements à se révolter contre les « petites » discriminations qui deviennent de plus en plus massives jusqu’au point de non-retour. Et de dire, attention vous pensez que vous n’êtes pas concernés par ces atteintes mais un jour, toute la société basculera et vous avec. Personne n’est épargné sous son œil. C’est là, le cœur de cette dystopie !

La série parce qu’elle nous conduit à prendre fait et cause pour les femmes, à réfléchir à notre propre fonctionnement et à nous alerter sur le risque de convergence du réel et de la fiction, semble constituer sans nul doute une œuvre féministe. Aussi, dans un premier temps, nous verrons que le message féministe est porté à l’écran, nous interrogeant en tant qu’individus sur la place des femmes dans notre propre monde. En mettant le spectateur face à un monde fondé sur le patriarcat, il oblige celui-ci à adopter une posture féministe. Cependant, il ne faut pas être dupe. Le féminisme inhérent à la démarche évoquée n’est pas absolu. Nous verrons, dans un second temps, que la deuxième saison – celle totalement pensée par les scénaristes et les réalisateurs[10] – le message féministe se trouve parfois sacrifié ou, à tout le moins brouillé. Aussi à la question du féminisme de la série notre réponse sera oui, mais…

I. Le message féministe porté à l’écran

La Servante écarlate, dans son principe, est résolument féministe et nous allons aborder, très rapidement, différents points qui le démontrent. La série met en avant des thèmes récurrents du combat féministe et au travers de cette utopie pessimiste qui exacerbe les travers de notre présent, elle pousse le spectateur à s’interroger et à vouloir défendre la cause des femmes. Deux principaux axes seront développés – bien qu’ils soient plus nombreux. D’une part, la série permet de mettre en exergue que la domination masculine est nécessairement systémique et que le système entraîne l’adhésion des dominants mais aussi des dominées[11] (A). D’autre part, La Servante écarlate met en lumière un phénomène encore tabou dans notre société et qui au travers de « la cérémonie » est poussée à son paroxysme, à savoir la culture du viol (B).

A. La domination masculine est nécessairement systémique

D’abord, La Servante écarlate par l’organisation qu’elle présente dans la société de Gilead permet de mettre en exergue la discrimination systémique des femmes (et des minorités) dans une société patriarcale, laquelle se construit sur des assignations de genre très fortes.

La société de Gilead repose sur une organisation où le rôle de chacun est déterminé par une donnée de genre (homme-femme) et une donnée socio-économique. Dans cette société, les hommes sont les seuls à pouvoir travailler, à posséder un compte bancaire, à être propriétaires, à lire et écrire, à sortir seuls. Le pouvoir est concentré entre leurs mains au sein d’un cénacle très restreint de commandants. S’il y a une hiérarchie entre les hommes[12], elle tient à leur place dans l’organisation des fils de Jacob et de leur milieu socio-économique[13]. Dans la société gileadienne, tous les hommes ont un rôle à jouer et sont considérés comme supérieurs aux femmes. Ainsi, à l’exception des tantes qui ont un statut spécifique, toutes les femmes y compris les épouses sont contraintes à n’avoir que les activités propres à leur « caste » dont la liste a été établie par des hommes et dont l’exercice se fait toujours sous le regard vigilant des hommes. Les femmes qui, avant l’ère gileadienne, avaient conquis l’égalité sont à nouveau projetées et cadenassées dans la sphère privée. Tout espace de liberté est alors contraint et exclu du fait de l’organisation mise en place. C’est une société patriarcale qui a été mise en place laquelle se fonde sur le mythe viriliste ou de la virilité[14] et prône la supériorité du masculin sur le féminin. Pour les théoriciens du régime en place, la vocation « naturelle » de la femme est d’être soumise et de procréer quand celle de l’homme serait celle de gouverner et de créer. Les penseurs du régime portent donc au pinacle l’essentialisation primordiale des sexes. Dans cette perspective, ils ont pris des mesures pour contraindre le corps des femmes et organiser leur temps dans le but de leur permettre d’accomplir leur « fonction ».

Dans la société gileadienne, les femmes sont pour leur part organisées en fonction des tâches auxquelles leur « genre » et les circonstances, les destinent[15]. On trouve ainsi sept catégories de femmes dans la construction de Gilead, chacune est soumise à un corps de règles qui lui est propre. On trouve ainsi les épouses[16], les servantes écarlates[17], les Marthas[18], les éconofemmes[19], les Jézebels[20], les tantes[21] et les antifemmes[22]. Chacune de ces catégories a un rôle précis qui est fonction des utilités que leur reconnait le pouvoir de Gilead : tenir le foyer, faire les tâches domestiques, exploiter leur force de travail quand aucune de ces trois tâches de l’essence de la femme ne lui sont reconnues. Cette construction en caste est renforcée par un corpus juridique applicable aux femmes, corpus qui règle l’ensemble de leurs actes et de leurs pensées (ou du moins est-ce l’objectif poursuivi).

Le premier aspect est de déconstruire l’identité individuelle « des » femmes – perçues comme des individus dotés de droits – pour les faire entrer dans la robe de « la » femme – comme catégorie naturellement inférieure aux hommes. Ainsi, chacune de ces catégories se voit assigner une tenue d’une couleur spécifique, comme un uniforme. Ces tenues ont une double fonction. La première, évidente, est de pouvoir identifier à quelle catégorie appartient la femme, dépersonnaliser sa porteuse et contrôler l’adéquation de son comportement à sa caste. La seconde est plus insidieuse. Les tenues ont été pensées de manière fonctionnelle : couvrantes, elles ont pour but a minima de désexualiser leur porteuse afin que cette dernière soit « décente ». Ainsi, toutes les catégories de femmes sont soumises à des règles de pudeur : bras, gorge et cheveux couverts, longueur de jupe qui couvre les jambes, pantalons proscrits et réservés aux hommes, pas de sous-vêtements qui évoquent la luxure[23] et enfin, proscription des talons et du maquillage. Ainsi, les femmes doivent se reconcentrer sur la fonction qui est la leur : la maternité. Toute la vie de l’ensemble des catégories de femmes est, comme nous le verrons, tournée exclusivement vers cette aspiration.

Les servantes écarlates sont celles dont la dépersonnification va le plus loin. En effet, ces dernières sont vêtues d’une tenue rouge le recouvrant intégralement et d’un bonnet blanc cachant leurs cheveux sur lequel elles portent « leurs ailes » afin de masquer leur visage à d’autres yeux que le couple qu’elles servent. Leur uniforme les rend toutes presque identiques et ce n’est qu’en étant près que l’on peut voir leur visage, elles n’ont pas le droit de regarder dans les yeux les gens, doivent opter pour une posture d’humilité… Ces femmes sont pucées à l’oreille comme du bétail et dans la série, les scénaristes ont mis en avant l’aspect « marchandise » des servantes, Gilead ayant fait de la fécondité « sa première ressource nationale[24] ». La perte de personnalité va au-delà même de leur tenue puisque l’on va jusqu’à les priver de tout élément identifiant à commencer par leur prénom. En effet, elles sont renommées « de » suivi du nom du commandant auquel elles ont été assignées[25]. La dépersonnification aboutit à son absolu : la réification. Sont assignées à cette catégorie les femmes qui ont prouvé, par une maternité avant l’ère Gileadienne, leur capacité reproductrice mais qui l’avaient fait dans le pêché : secondes épouses, concubines, lesbiennes, mères porteuses… Elles sont alors destinées à devenir les génitrices des enfants de couples de commandants dont les épouses sont stériles[26].

Cette organisation de castes s’accompagne de divers éléments pour asservir les femmes et les réduire au rang d’incapables. Après avoir privé les femmes de la possibilité de travailler, de posséder un compte, le pouvoir de Gilead a privé les femmes du droit de lire ou d’écrire. Ainsi, les pictogrammes ont remplacé l’intégralité des écritures et seuls les hommes lisent. D’ailleurs, lorsque Serena Joy – pourtant la tête pensante ayant créé Gilead – lit la bible pour demander à ce que les épouses et leurs filles aient au moins le droit de lire les saintes écritures, elle sera battue et amputée. Cet interdit à l’éducation a pour but de ne plus permettre aux femmes d’accéder à la culture, à des pensées complexes qui les conduiraient à se distancier de leur rôle biologique et à remettre en cause l’autorité des hommes. On le voit, il y a une soumission des femmes qui n’ont d’ailleurs pas le droit d’exprimer une opinion qui leur soit propre : la série montre, par exemple, le malaise de l’assemblée lorsque Serena prend la parole lors du diner pour la délégation mexicaine… Elles ne peuvent sortir de leur maison que par deux ou sous l’autorité de l’homme du foyer – dans le respect des règles de Gilead – avec un laisser-passer. Privées de lecture et donc d’autonomie, privées d’individualité, les femmes ne sont que l’ombre de l’homme de leur maison. Il n’est pas que les servantes, les Marthas ou les Jézébels pour être considérées comme des biens. La société gileadienne a fait de toute femme la propriété d’un maître, une esclave. Tout est fait afin de les rendre dépendantes des hommes et de les empêcher de prendre une place qui doit leur revenir.

Ces interdits sont accompagnés d’un discours qui fait écho à ceux que les spectateurs et spectatrices peuvent lire sur certains réseaux sociaux. Ainsi, le commandant Waterford explique à June que « les hommes ont fait peser trop de poids sur les épaules des femmes », que « les femmes ont dû sacrifier leur maternité sur l’autel d’une réussite », que « les femmes n’étaient pas heureuses car utilisées comme des objets sexuels, jamais assez belles ou intelligentes… » ou encore que « les femmes étaient libres mais pas libérées » mais qu’elles « n’étaient pas respectées, elles étaient victimes de viols, d’agression » etc… De nombreux dialogues tendent donc à expliquer aux femmes que l’abandon de liberté que Gilead exigent d’elles est pour leur bien en plus d’être pour le bien de la société. Et certaines le ressentent ainsi. Ne voit-on pas le binôme de Defred dire qu’avant elle se prostituait et était une junkie et qu’elle n’allait pas laisser cette dernière tout ruiner alors qu’on la traitait bien[27] ?

Ce système fonctionne parce que les femmes aussi « jouent le jeu » pour différents motifs : certaines par adhésion à l’idéologie, certaines – comme Serena – parce qu’elles sont persuadées que cela ne s’appliquera pas à elles, d’autres parce qu’elles arrivent à en tirer un pouvoir. Mais cette adhésion est elle-même le fruit de la société patriarcale et des biais de pensée auquel on adhère sans même y penser. La plupart des femmes (et des individus) n’adhèrent pas fondamentalement mais la crainte pour sa sécurité et/ou celle de ses proches finit de phagocyter toute résistance. Si la résistance semble vaine ou pire dangereuse alors la grande majorité silencieuse accepte et permet la réalisation complète du stéréotype. C’est un système qui s’autonourrit.

Et c’est cela qui surprend le plus le spectateur, celui qui ne baigne pas forcément dans un terreau féministe. Le spectateur est choqué de se dire que les femmes concourent à la société de Gilead et que certaines sont du côté des hommes, certaines viennent même asseoir leur domination sur les femmes. N’est-ce pas Serena qui a voulu et pensé cette société ? N’est-elle pas celle qui est montrée manipulant son époux afin de garder une once de pouvoir – jusqu’au moment où sa créature lui échappe ? Tante Lydia et ses sœurs sont celles qui permettent que le système fonctionne par leur organisation, profitant au passage de cette mission pour s’élever au-dessus de la condition des femmes[28] ? Les commandantes ne sont-elles pas complices de l’exploitation des servantes pour réaliser leur désir de maternité ? C’est là que l’on voit l’influence des grandes œuvres des sociologues féministes et spécialistes des gender studies. Ces études ont mis en exergue que le système misogyne et patriarcal de la société pouvait essaimer parce qu’il repose sur un conditionnement de l’ensemble de la société : hommes comme femmes. Notre société – et celle de Gilead – éduque ses membres dans l’idée qu’il existe des assignations de genre très fortes inhérentes à la différence de sexes, des différences qui correspondent à notre nature profonde. Aux femmes, la maternité et le pouvoir de régir le foyer ; aux hommes, les moyens de subsistances et le pouvoir de régir la société. Ainsi, lutter contre les stéréotypes de genre et les assignations qui leur sont rattachées, c’est être une anti-femme, un traitre à son genre. L’ordre voilà à quoi aspirent les masses. L’ordre et le sentiment d’avoir une place.

B. La culture du viol[29], un fondement de la société moderne

La violence est omniprésente même dans les scènes les plus anodines du quotidien et aucune catégorie de personnes n’y échappe vraiment. Les femmes, comme souvent, plus que d’autres mais les minorités y sont toutes malmenées. Mais l’un des éléments qui heurte est le fait que la société de Gilead ait institutionnalisé le viol comme fondement de sa société. Ce renversement de valeur a pour effet de pousser à son paroxysme ce qui est identifié par certaines féministes sous le nom de culture du viol. La culture du viol est un concept sociologique forgé par le courant du féminisme radical américain[30] dès les années 70. La culture du viol c’est l’idée que dans une société donnée, les individus minimisent voire encouragent le viol – par exemple en incriminant le comportement des victimes – par le fait de véhiculer l’idée de femmes respectables et d’autres qui le seraient moins, par l’absence de réponses institutionnelles visant à condamner des viols et violences sexuelles voire à les approuver dans une logique globale de domination… Dans sa forme la plus polarisée, celle mis en avant dans La Servante écarlate, la culture du viol se manifeste par le fait que les femmes sont la propriété des hommes qui leur refusent tout respect ainsi que le droit de contrôle et de maîtrise de leur propre corps. La culture du viol est alors justifiée par la survie de l’espèce qui est en jeu du fait du taux de natalité extrêmement faible de la société.

Dans l’univers dystopique de Gilead, la société est en mal d’enfants et va asservir les femmes dotées d’un utérus et d’ovocytes fonctionnel au profit de ceux qui dans la classe dirigeante n’ont pas eu cette chance. Ce paradigme est surprenant. On pourrait se dire qu’au contraire les femmes pouvant donner la vie, dans une société organisée autour des enseignements de la bible, seraient portées au pinacle. Mais cela n’est pas le cas… Parce qu’il y a des femmes respectables, celles qui l’étaient avant l’avènement de Gilead, et d’autres qui ne le sont pas, le bienfait de la maternité ne peut pas échoir à n’importe quelle femme. Et si la nature a donné ce bienfait à une femme qui n’est pas digne, la société de Gilead confiera le miraculeux enfant à un couple qui lui en sera digne[31]. En effet, parce que la majorité des femmes ne peuvent plus se reproduire – pour rappel les hommes ne peuvent avoir de souci de fertilité – elles sont jalousées, enviées, convoitées. Là encore les femmes sont toutes réduites à la maternité[32] : à la vivre quand elles peuvent enfanter, à se renier et à être prêtes à tout subir pour accéder à celle-ci quand elles ne peuvent enfanter. Aucune femme ne vit sa féminité dans le rejet de la maternité tant la société et l’urgence climatique et démographique semble annihiler le désir d’être nullipare. Ainsi, le désir de maternité, dans ses accents survivalistes, conduit chaque personnage femme à y aspirer de tout son être, à s’en rendre malade, à s’infliger le pire – la cérémonie est, dans une moindre mesure, une souffrance aussi pour les épouses, à accepter d’aliéner sa liberté et son individualité. En réalité, ce désir est, là encore, instrumentalisé par les hommes. En effet, les hommes au pouvoir conscient de l’impossibilité de concilier avec les règles bibliques l’existence de concubines à côté des épouses afin d’avoir des enfants, ont trouvé le moyen de rendre cela « acceptable ». C’est ainsi que se fondant sur le passage biblique, ils créent tout un système de cérémonies où épouses et servantes sont liées et permettent par le jeu du rituel d’autoriser les commandants de connaître charnellement d’autres femmes que leurs épouses.

Chaque mois, dans la chambre conjugale, la tête entre les cuisses de l’épouse, la servante est violée. Purement et simplement. Le commandant après avoir lu la bible devant toute la maisonnée, viole pour ensemencer la servante « Béni soit le fruit – Que le seigneur ouvre » en regardant son épouse. La servante est violée et ne sert que de moyen pour le couple d’accéder à la parentalité. La « commandante » collabore donc bon gré, mal gré à cette cérémonie qui ritualise et poétise le viol de femmes. C’est là que la réification de ces femmes est fondamentale : comment supporter autrement de voir l’homme que l’on aime coucher avec une autre femme et de surcroit, par sa propre faute, sa propre incapacité à lui donner un enfant. La nécessaire déshumanisation à l’extrême est le corollaire indispensable pour endurer cela dans une société où la femme a failli à son rôle naturel en échouant à la maternité. Les épouses paient ainsi leur incapacité à enfanter – puisque les hommes ne peuvent être stériles – et les servantes d’avoir eu une vie indigne selon les critères de Gilead. D’ailleurs, dans le centre rouge où l’on « forme » ces dernières, il y a un épisode où les femmes qui ont été violées doivent reconnaître que c’est de leur faute et où les autres femmes scandent que ce qui leur est arrivé est de leur faute. Le viol est alors présenté comme l’outil indispensable et le remède nécessaire à une société qui se meurt. Les Tantes le valorisent comme un acte supérieur d’amour et d’humanité…

Cette réification, cette culture du viol est développée avec son corollaire : les violences gynécologiques et obstétricales. Ainsi, chaque mois, la servante est examinée par un médecin au centre rouge pour définir si elle est en fertilité et la cérémonie n’a lieu qu’à cette condition. Lorsqu’enfin, elle tombe enceinte, on parle aux parents comme si elle n’existait pas. Elle n’est que l’enveloppe charnelle qui porte leur enfant… C’est une gestation pour autrui dans ce qu’elle a de plus horrible, subie, non consentie…

Ces quelques éléments, qui ne manquent pas de faire écho à des faits dans notre quotidien poussent à réfléchir à la cause des femmes ici et maintenant. De manière incidente, des personnes qui ne s’étaient jamais interrogées sur la question des rôles assignés au genre, à la place de la femme, à la lutte féministe alors que les droits semblent acquis en viennent à regarder les actualités sous un nouveau jour. Le fait de ressentir l’horreur de Gilead conduit le spectateur à ne jamais vouloir qu’une telle régression des droits des femmes et des « minorités » ne survienne. La dystopie n’est pas en soi féministe – d’ailleurs le féminisme n’est pas le sujet – mais conduit à penser le féminisme et a, comme les faits l’ont montré, créé des vocations.

II. Un traitement non féministe du sujet

Si la série « La Servante écarlate » nous conduit à réfléchir au féminisme, à la place des femmes dans la société et aux inégalités présentes ou potentielles, le traitement qui en est fait ne nous paraît pas féministe. Quelques aspects vont d’ailleurs heurter un public averti sur les questions féministes.

Dans un premier temps, c’est la compréhension du féminisme – au-delà de sa pluralité – qui nous questionne. Comment ne pas déplorer qu’il n’y ait pas ou si peu de sororité qui pourtant est de l’essence du féminisme. Le combat féministe s’inscrit dans une longue histoire de luttes collectives, de femmes qui se sont unies pour faire reconnaître leurs droits civiques et sociaux tant sur le plan collectif qu’individuel. Dans la série, cela ne semble pas exister. Cela nous conduit à évoquer la méconnaissance de l’essence du féminisme (A). Dans un second temps, c’est le regard du réalisateur qui interroge. Entre autres questions, comment ne pas être gênée par l’essentialisation à l’extrême de la maternité et l’absence de rejet de l’enfant -fruit du viol ? Comment ne pas trouver ambigu la façon dont la question des personnes homosexuelles est finalement traitée a minima et celle des personnes transgenres tout simplement éludée ? Comment ne pas être tout simplement choquée par l’esthétisation malsaine et au-delà de l’utile des violences faites aux femmes ? Ces différents éléments nous conduisent à considérer qu’il y a une forme de « male gaze » sous-jacent, insidieux dans le traitement de ces thématiques (B).

A. La méconnaissance de l’histoire
et du fonctionnement des mouvements féministes

La série, en tant que dystopie, est supposée s’inscrire dans notre monde et à ce titre, s’inscrit dans notre histoire et dans celle de la lutte entre les sexes. Ce paradigme permet aux téléspectateurs de pouvoir se projeter et gommer les frontières entre la réalité et la fiction. C’est cette proximité qui place le spectateur dans une situation d’empathie et en a fait plus qu’un objet télévisuel, un phénomène de société.

La série est basée sur un ouvrage écrit dans les années 80, à une époque où le féminisme vivait sa deuxième vague[33] mais n’avait pas vécu ni sa troisième vague, ni la déferlante #Metoo que certaines qualifient de quatrième vague[34]. La seconde vague est connue pour avoir conceptualisé la notion de patriarcat, lequel se définit comme l’organisation familiale et sociale basée sur l’autorité du père et, ce faisant a permis de développer le concept de sexisme et l’analyse des discriminations fondées sur le sexe. La série reprend les codes alors incorporés par l’autrice, en les modernisant et y intégrant les concepts de la troisième vague[35] ainsi que les problématiques environnementales, technologiques et politiques qui sont les nôtres. C’est donc une série qui est supposée se situer à un moment charnière du combat entre d’une part, les féministes et d’autre part, les réactionnaires. Image clivée et clivante d’une société où la masse silencieuse des gens qui ne sont ni l’un, ni l’autre ne semble pas avoir voix au chapitre. Dans la série, c’est l’idéologie différentialiste qui l’a emporté et les hommes ont mis en place une phallocratie où ils sont l’alpha et l’omega. L’idéologie différentialiste postule d’une différence naturelle incommensurable entre les hommes et les femmes, laquelle serait fondée sur les différences anatomiques et physiologiques entre les sexes. Si cette idéologie a eu son succès au siècle des lumières et a, aujourd’hui encore, ses partisans, les femmes (et les hommes) luttant pour l’égalité entre les sexes n’ont eu de cesse de la battre en brèche[36]. La société dystopique pensée par l’autrice et reprise dans la série a construit son idéologie sur ce schéma qui exacerbe les qualités attachées aux hommes (virilité, pouvoir, fraternité, honneur) et aux femmes (douceur, soumission, organisation ménagère et maternité).

La série nous place alors après l’échec de l’idéologie féministe. Les féministes ou « antifemmes » sont alors montrées comme la cause du malheur non seulement des femmes mais de la société. Le féminisme – ou plutôt les féminismes[37] tant celui-ci est composé de différents courants – peut alors se définir comme les « combats en faveur des droits des femmes et de leurs libertés de penser et d’agir. Cette lutte comprend une large critique de la subordination et de la domination des femmes, mais aussi des normes de genre[38] ». Cependant, le féminisme que met en lumière « la servante écarlate » interroge et semble tomber dans une forme de caricature du féminisme. Caricature des féministes d’abord, caricature de la lutte féministe ensuite.

Dans la série, la mère de June est une caricature personnifiée du féminisme. Celle-ci est présentée comme une militante de toujours, une femme de conviction qui participait à des manifestations, qui procédait à des interruptions de grossesses et organisait la lutte. Une militante tant dans la parole que dans ses actes. Au cours des flashbacks de June, on la voit plusieurs fois s’insurger contre sa fille « si soumise » à son conjoint, si peu investie dans la lutte féministe et tenir des propos « anti-hommes » tant à l’endroit du géniteur de sa fille que son époux mais plus largement de tous les hommes. Par ailleurs, la mère de June apparaît par deux fois aussi au sein du centre rouge : dans une vidéo supposée démontrer l’horreur que sont les antifemmes en les montrant en train de manifester et dans une vidéo où on la voit travailler dans une colonie. Cette caricature de la féministe et avec elle, des injonctions sur ce que le combat féministe est, se voit renforcer quand on découvre que la mère de June a subi le rejet de ses propres sœurs d’armes qui l’ont qualifiée de « nataliste » quand elle a voulu être mère. La vision du féminisme est alors manichéenne : ce sont des femmes qui rejettent les hommes, une lutte pour la domination des femmes sur les hommes, c’est un dogme qui affronte un autre dogme. Ainsi, la figure de « la » féministe, monolithique, est campée telle que l’attend le public, dans la vision que d’aucun appellerait « chienne de garde », anti-hommes et justifiant – de manière sous-jacente – la réaction vigoureuse de certains hommes, du mouvement des fils de Jacob. Cette vision manichéenne reproduit les stéréotypes véhiculés par les opposants des féministes. Pourtant, les féminismes – à l’exception de très rares courants – ne poursuivent pas la fin du patriarcat au profit du matriarcat mais la simple égalité entre les individus au-delà des questions de genre. Le féminisme vise tant à réhabiliter les femmes et le féminin, à permettre l’indifférenciation ou la neutralité du genre afin d’échapper aux stéréotypes négatifs et à l’enfermement dans l’idée d’une spécificité rattachée à son genre. Nulle domination, un simple droit à l’indifférence et à l’autonomie personnelle. Etre pro-femmes ne signifie pas être anti-hommes ou une quelconque misandrie.

A cette vision dévoyée des féministes, s’ajoute une absence totale de sororité dans la lutte féministe au cœur de la série. Au terme de la première saison, on l’attend puisque cette dernière s’achève sur « pourquoi nous ont-ils donnés des uniformes s’ils ne voulaient pas une armée ? » Les attentes pour la saison 2 étaient fortes surtout pour ceux qui avaient lus le livre et son épilogue. Pourtant, l’espoir est réduit à néant assez vite. Il n’y a aucun combat collectif des femmes, pourtant de l’essence du féminisme ; il n’y a aucune sororité. Les actions menées sont toujours individuelles et conduisent nécessairement à l’échec et à plus de violence. Pourtant, la sororité est de l’essence du féminisme et l’organisation en castes, subissant la violence et un traitement liberticide et mortifère était le terrain idéal de son émergence. L’historienne Arlette Farge avait fait la démonstration que la solidarité féminine qui s’était développée dans les années 1970 avait butée par la suite sur les clivages de classes et l’individualisme de la société. La sororité semble alors mal s’accorder avec l’individualisme[39] dans un monde où les femmes sont confrontées à la question sociale. Mais dans La Servante écarlate, nulle individualité, nulle question sociale. Les femmes sont asservies dans une caste, asservie dans un code de conduite qui tend à gommer leur individualité. Cette configuration, qui rappelle celle des travailleuses, aurait pu être le siège d’une lutte collective qui ne vient jamais. Les scénaristes sont alors restés coincé dans une certaine vision du féminisme, très en vogue aux Etats-Unis et qui phagocyte toute autre perspective : un féminisme individualiste. Si ce féminisme, non militant, peut fonctionner à titre individuel dans une société démocratique et capitaliste, il est alors voué à l’échec dans un système tel que celui de Gilead.

B. Entre male gaze et misogynie intériorisés

La série est problématique au-delà de sa méconnaissance de l’histoire du féminisme par le traitement visuel et scriptural qu’il fait des femmes. Nous évoquerons rapidement trois points qui sont, selon nous, symptomatiques de l’absence de féminisme de la série. Tout d’abord, on peut avoir le sentiment que le point de vue de la série, la façon de filmer est très symptomatique d’un regard masculin hétéronormé et peut tomber dans ce que l’on qualifie de « male gaze ». Ensuite, et c’est dans la continuité, nous verrons que l’essentialisation de la maternité est clairement problématique. Enfin, nous nous focaliserons sur l’esthétisation extrême de la violence faite aux femmes, laquelle va au-delà de ce qui est utile à l’intrigue et créé une attente perverse chez le spectateur.

Le premier point qui milite du manque de féminisme est le point de vue adopté par les showrunners de la série qui participe de ce que l’on appelle le male gaze. Le male gaze ou « regard masculin » est un concept théorisé par Laura Mulvey[40] en 1975. Derrière cette expression se cache l’idée que le regard dominant dans la pop-culture, et notamment dans le cinéma, est celui d’un homme hétérosexuel. Ce regard impacte spécialement le traitement qui est fait de la femme et des stéréotypes – largement sexués – qui lui sont attachés mais également la vision de la « sexualité » avec, notamment l’invisibilisation des « minorités » sexuelles. Le male gaze se définit alors comme la propension qu’ont les hommes hétérosexuels, dans le septième art et les médias en général, à sexualiser les femmes et à en faire des objets. La série se prête à cette réification puisqu’elle campe un monde où les femmes sont des objets mais pour autant, le traitement du sujet tombe dans cet écueil. Plusieurs éléments sont en question. Il est étonnant de voir que l’héroïne de la série, June, est toujours vue par le prisme de ses relations amoureuses et de ses relations aux hommes. La série oscille entre June et son mari, June et son amant, June et son commandant. Elle se bat pour son mari, elle reste et ne vit que pour son amant, elle se languit de ses rendez-vous avec le commandant avec tout ce que cela implique dans la psyché du personnage en termes d’injonctions contradictoires. D’ailleurs, l’histoire de la deuxième saison est assez focus sur l’histoire d’amour qu’elle vit au détriment de la lutte contre Gilead à laquelle on pouvait s’attendre.

Un des autres aspects qui interroge sur l’éventuel male gaze tient au traitement de la sexualité et notamment une certaine forme d’invisibilisation des homosexuels. Si l’homosexualité est évoquée notamment au travers de Moira, la meilleure amie de June et d’Emily, toutes deux servantes, elle l’est à la marge. Si dans la première saison, les deux femmes semblent des figures fortes, la seconde saison en fait des personnages secondaires, effacés, simples objets de tortures et jamais acteurs de changement. Moira, lesbienne et militante féministe, insoumise et passionaria devient finalement un personnage secondaire… Devenue Ruby au Jézabel, c’est une femme brisée qui certes parvient à s’enfuir au Canada mais qui s’efface au profit de Luke. Alors qu’elle fut servante et Jézebel, qu’elle fut avant ça une féministe militante, on la découvre passive : ce n’est pas elle qui se bat contre Gilead mais le mari de June… D’aucuns seront surpris que la lutte contre Gilead soit menée non par les femmes qui ont subi de l’intérieur mais des hommes hétéros, naturels moteurs de la résistance. Cette transformation est aussi criante chez Emily. Cette universitaire est mariée avec une femme canadienne et a un fils, tous deux passés au Canada mais qu’elle n’a pu accompagner, Gilead ne reconnaissant pas leur union. Elle est donc très logiquement emprisonnée et devient servante. Si Emily est une résistante du réseau Mayday dans la première saison, initiant June, elle va complétement s’effacer et s’étioler dans la deuxième saison où elle subit un destin fait de douleurs : excisée pour avoir eu une histoire avec une Martha, envoyée aux colonies, réaffectée à un commandant sadique… D’ailleurs, la seule mère dont la parentalité n’est quasi jamais évoquée – hormis l’épisode de la séparation – est celle d’Emily. Comme si l’on ne pouvait montrer l’homoparentalité à l’écran… Les figures lesbiennes sont donc, au final, très peu positives et au mieux invisibilisées comme homosexuelles, réduites à leur seule identité de femmes. Les hommes homosexuels ont pour leur part fait l’objet d’une épuration pure et simple et ne sont mentionnés que morts, pendus au mur. Au-delà de son évocation, comme comportement prohibé, l’homosexualité n’est jamais montrée. Si l’hétérosexualité est très présente au travers de la relation de June, au travers des soirées au Jézabel, au travers des flashbacks de Serena, l’homosexualité n’apparaît nulle part[41]. L’absence de représentation de l’homosexualité est probablement liée au nécessaire secret dans le monde de Gilead mais dans une série qui ne nous épargne aucun moment de sexualité qu’elle soit consentie ou subie, cette absence est à tout le moins surprenante et certains pourraient y voir une forme d’hétérocentrisme.

Le second point qui peut heurter dans la série est une essentialisation de la maternité tant dans le discours – qui pourrait être le résultat de la vision gileadienne – que dans l’image. Dans le discours d’abord. La maternité est le moteur de toutes les femmes et toutes sont vues au travers de ce prisme. Les épouses acceptent l’adultère et la cérémonie, de s’effacer en raison de leur désir irrépressible d’enfant. D’ailleurs, nombre de scènes montrent les épouses, dont la servante est enceinte, mimer des simulacres de grossesses alors qu’il s’agit d’une gestation pour autrui (forcée) et les autres épouses jouer le jeu. Les réalisateurs, au travers de Serena, mettent en avant ce que ce besoin d’être mère, irrépressible et absolu, va la conduire à toutes les extrémités, à des crises d’angoisse et de pleurs, à jalouser les autres épouses et même sa servante enceinte… Au gré des scènes, on constate aussi que les servantes semblent aussi aspirer à la grossesse, non seulement pour les « privilèges » que cela leur confère temporairement. Mais le plus effarant est que finalement, aucune des femmes pourtant violées et aucune mère d’intention ne rejettent leur enfant. Au contraire, les servantes ont un amour inconditionnel pour le fruit de leur viol. Aucune femme, contrairement à ce que l’on a pu constater dans ces cas dans la réalité[42], ne rejette cet enfant[43]. Tout au plus, on montre une servante qui a souhaité se suicider alors qu’elle était enceinte et que l’on a enchaînée afin de préserver l’enfant à venir. La figure maternelle toujours sublimée et le lien charnel exacerbé : l’exemple de Janine qui sans avoir vu sa fille Charlotte plus de quelques semaines est la seule à pouvoir la sauver face à sa mystérieuse maladie alors que sa mère adoptive n’arrive pas à être maternelle. Cette vision de la maternité comme un absolu, comme un instinct primaire est incompatible avec une conception féministe. En effet, de nombreuses autrices féministes ont depuis près de cinq décennies exploré la question de la maternité. Nombre d’entre elles ont mis en exergue que l’instinct maternel n’est pas inné et qu’il relève d’un construit. Plus encore, toutes les femmes ne désirent pas être mères et veulent rester nullipares[44] ou, si elles ont enfanté, ressentent un fort regret d’être devenues mères[45]. Même June n’est finalement perçue là encore non pas dans son individualité de femme mais dans sa maternité allant jusqu’à renoncer à la liberté pour tenter de sauver sa fille ainée, comme si aucune action en ce sens n’était possible à l’extérieur… Ce geste ne s’explique alors que par la figure de la mère qui fera toujours passer l’enfant avant elle-même au détriment même de son instinct de survie. La façon même de filmer la maternité est elle-même toujours comme nimbée de lumière, de douceur, d’amour… presque virginale. Alors même que les accouchements se font dans la douleur comme le prescrit la Bible, la façon de filmer laisse un sentiment étrange d’absolu et de beauté : pas de fluides, une fatigue effacée dès que survient l’enfant. Cet amour absolu est toujours figuré à l’écran par des images beaucoup moins sombres que le reste de la série, filmé avec une lumière presque laiteuse, laissant le sentiment que la maternité est un cocon.

Enfin, le dernier point que nous évoquerons rapidement est la sublimation de la violence gratuite. Entendons-nous bien : mettre à l’écran des scènes de violences faites aux femmes n’est pas en soi le problème puisque c’est le thème même de la dystopie. Si la saison un nous offre un panel de viols et violences qui sont difficiles à regarder mais se justifient par rapport à l’intrigue, ce n’est pas le cas de la seconde saison. Bon nombre de scènes dans la saison deux qui montrent des viols et des violences faites aux femmes n’apportent absolument rien à l’intrigue. Le scénario semble d’ailleurs faire une accumulation de telles scènes jusqu’à la saturation, le tout avec une esthétique visuelle extrême. Le spectateur est alors placé dans un paradoxe : l’horreur de ce qu’il voit le glace mais, dans un même mouvement, il voit une scénographie avec une très forte esthétique. A cela s’ajoute un aspect scénaristique qui, lorsque l’on a une lecture féministe, met profondément mal à l’aise : le storytelling pousse le spectateur dans une posture d’attente voyeuriste : il en vient à souhaiter les violences. En effet, à chaque épisode, les héroïnes entreprennent une action dont on espère qu’elle va réussir mais dont on sait qu’elle est vouée à l’échec et qu’elle va générer plus de violence. Le spectateur est alors tenu en haleine et veut voir, de manière un peu malsaine, comment le régime de Gilead va traiter l’héroïne…

Le féminisme affiché nous semble alors un peu loin !


[1] Cet article a été rédigé sur la base des deux premières saisons de la série Ocs La Servante écarlate.

[2] Plus qu’un objet marketing, c’est un « pinkwashing » (coloration en rose) d’un discours marketing.

[3] Dans cette ascension du pouvoir de Gilead et son traitement, la spectatrice que je suis n’a pu s’empêcher de faire un parallèle avec le discours « masculiniste » décrypté dans les soutiens du président Donald Trump. Lire M. Kimmel, Angry White Men : American Masculinity at the End of an Era, Nation Books, New-York, 2015.

[4] A savoir les personnes homosexuelles et les personnes transgenres.

[5] Religieux de toutes confessions.

[6] Sont ainsi exécutés et pendus au mur tous ceux qui ont de près ou de loin – dès lors qu’il ne s’agit pas de femmes fertiles qui seront destinées au corps des servantes écarlates – procédés à des Ivg, stérilisations et promu la contraception.

[7] Pour marquer son appartenance.

[8] Ainsi, au cours d’un épisode est évoquée son arrestation comme activiste, ce qui plonge son époux Fred dans l’embarras face à la délégation mexicaine.

[9] S. de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, 1949.

[10] En effet, si la première saison est le calque quasi parfait du roman, il a fallu imaginer une suite qui s’insère entre les aventures connues de June qui portent sur quelques mois et l’épilogue du livre dans une société post-gileadienne (qui n’est même pas certaine que Gilead ait vraiment existé).

[11] J’applique ici la règle de la majorité (les femmes opprimées) sans exclure les autres types de personnes dominées.

[12] Commandants, gardiens de la foi, les yeux et les anges.

[13] On ne peut que constater que c’est une société dirigée par des hommes blancs que l’on n’est pas loin de comparer aux rednecks et conservateurs américains.

[14] Sur l’histoire de la virilité : A. Corbin, J.-J. Courtine et G. Vigarello [dir.], Histoire de la virilité, Paris, Le Seuil, 2011 (3 volumes) ; O. Gazalé, Le mythe de la virilité, Un piège pour les deux sexes, Laffont, 2017.

[15] Cette organisation n’est pas sans rappeler les réflexions sur la place des femmes au sein du corps des travailleurs et des réflexions des premières féministes anticapitalistes.

[16] Vêtues de vert dans la série mais en bleu dans la série, qui restent à la maison et soutiennent les commandants.

[17] Vêtues d’une tenue rouge le recouvrant intégralement et d’un bonnet blanc cachant leurs cheveux sur lequel elles portent « leurs ailes » pour masquer leur visage à l’extérieur.

[18] Vêtues d’une tenue gris-vert et en vert dans le livre, s’occupent des tâches domestiques dans les maisons. Ce sont des femmes non fertiles et qui n’ont pas de mari et qui ne causent aucun trouble à la société.

[19] Vêtues de gris dans la série et d’une tenue tricolore bleue-vert-rouge (pour figurer qu’elles ont pour objet d’accomplir les trois fonctions dévolues aux précédentes catégories), sont situées au bas de l’échelle sociale et mariées à des hommes pauvres. Elles font parties de la classe ouvrière. Mariées avant l’avènement de Gilead, elles peuvent rester avec leurs époux car leurs comportements ayant été jugés convenables. Si elles ont des enfants, elles peuvent les conserver avec leurs époux et les élever. Elles sont à la fois épouses, servantes et Marthas.

[20] Les Jézebels sont des femmes qui ne sont pas supposées exister à Gilead : au cœur même du pouvoir, là où toutes femmes même les épouses sont interdites, il y a une maison close « le Jézebel » où des antifemmes ont eu le choix entre devenir des prostituées pour le plaisir des commandants et de leurs invités ou les colonies.

[21] Vêtues d’une tenue militaire, elles ont en charge de suivre les servantes. Elles ont un statut spécifique. Elles veillent sur le cheptel de ventres, les « forment » (comprenez les cassent psychologiquement pour en faire des femmes dociles, au moyen de la torture et si besoin de la mutilation), suivent les grossesses et les naissances, contrôlent les servantes et à l’occasion les épouses ainsi que les Jézebels. Elles portent une arme, ont un statut supérieur à celui des anges qui leur marquent de la déférence et du respect et contrairement aux autres femmes, elles ont le droit de lire et écrire.

[22] Ce sont les femmes que Gilead ne veut pas en son sein ou ne peut pas réhabiliter, utiliser : handicapées, féministes, les femmes trop âgées, rebelles, religieuses, condamnées par la cour de justice gileadienne… Ces femmes nettoient aux colonies les terres radioactives jusqu’à que mort s’en suive.

[23] Dans une lecture littérale de l’ancien testament, la sexualité ne doit pas être source de plaisir et ne doit remplir qu’un rôle procréatif.

[24] Ainsi, lorsque June arrive au centre rouge, avant de la pucer, Tante Lydia lui explique qu’elle est une denrée trop précieuse pour être perdue et qu’il est important pour eux de toujours savoir où elle est. Un flashback de Serena Joy, lors de la visite de l’ambassadrice mexicaine en vue de venir acheter des servantes, permet de se rendre compte que c’est elle qui a eu l’idée de marchandiser les femmes fertiles. L’ambassadrice mexicaine lui demande si, quand elle avait écrit ses livres, elle avait « une société où les femmes ne pourraient pas lire son livre… ni rien d’autre d’ailleurs ». Ainsi, à ce moment, on la voit dans un de ses souvenirs, dire à son mari qu’il faudrait ériger la fécondité comme ressource nationale et qu’elle va écrire un second livre sur le thème même si elle ne l’envisageait pas jusqu’ici.

[25] Dès qu’elles ont donné un enfant à la famille à laquelle elles sont assignées, l’épouse peut choisir de conserver la servante jusqu’au sevrage du nouveau-né ou décider de s’en séparer dès ce moment. A compter de ce moment, la servante est alors assignée à une autre famille et prendra le nom de son nouveau commandant. Il en va de même si elle échoue trop longtemps à donner une progéniture à la famille.

[26] Lorsque les commandants n’ont pas eu de progéniture avec leurs épouses, celles-ci sont alors considérées comme stériles car à Gilead, les hommes ne sont pas stériles. La stérilité est la faute des femmes et il s’agit là d’un tabou de la société gileadienne.

[27] Comment ne pas penser alors au Discours de la servitude volontaire de La Boétie ? C’est ce que l’on appelle aussi le concept de misogynie intériorisée ou sexisme intégré (que l’on peut trouver sous le nom de « sexisme bienveillant) : C. Edgard-Rosa, Les gros mots, Abécédaire joyeusement moderne du féminisme, 2016. Sur le sujet de la misogynie, lire A. Gargam et B. Lançon, Histoire de la misogynie de l’Antiquité à nos jours, 2013 ; M. Daumas, Qu’est-ce que la misogynie ?, Arkhê, 2017.

[28] Leur origine est d’ailleurs mystérieuse. On ne voit aucun flashback et on se demande comment des femmes peuvent se transformer en de tels bourreaux pour leurs congénères. L’esthétique et l’imagerie de la série conduisent le spectateur à faire un parallèle entre ces femmes et les gardiennes des camps de concentration nazis. Comment ne pas penser à Ilse Koch plus connue sous le nom de la chienne de Buchenwald quand on voit la figure de Tante Lydia ?

[29] « Attitudes et croyances généralement fausses, mais répandues et persistantes, permettant de nier et de justifier l’agression sexuelle masculine contre les femmes » : K. A. Lonsway et L. F. Fitzgerald, « Rape Myths » In Review. Psychology of Women Quarterly, vol. 18, Urbana–Champaign, University of Illinois, Department of Psychology, juin 1994.

[30] S. Griffin, N. Connell et C. Wilson.

[31] C’est donc la conséquence de l’échelle de valeur mise en place dans cette société.

[32] Le prisme de la maternité qui conditionne toute femme se retrouve malheureusement aussi dans le regard du réalisateur comme nous verrons dans la seconde partie.

[33] La première vague du féminisme (Angleterre, années 1870) a pour objectif principal de réformer les institutions afin que les hommes et les femmes soient égaux devant la loi. La deuxième vague du féminisme est née à la fin des années 1960 avec les mouvements tels que la Women’s Lib et le Mouvement de Libération des Femmes (Mlf). Les revendications touchent à la liberté des femmes à disposer de leur corps (contraception, Ivg, liberté sexuelle) et la lutte contre le patriarcat (théorisé pour la première fois) et la construction de nouveaux rapports sociaux de genre.

[34] C. Delaume, Mes biens chères sœurs, Seuil, 2018.

[35] La troisième vague est apparue dans les années 1990 et met en exergue que l’on ne saurait analyser la situation qu’à l’aune du genre. Initié par des féministes issues de groupes minoritaires et des minorités ethno-culturelles, la troisième vague développe et théorise ce que l’on appelle le féminisme intersectionnel qui prend non seulement en compte les discriminations fondées sur le genre mais aussi celles fondées sur d’autres éléments qui font que les personnes sont doublement marginalisées ou stigmatisées : « race », religion, handicap, économique, orientation sexuelle…

[36] On peut ainsi citer par exemple, dès le XVIIe des auteurs comme M. Le Jars de Gournay, Egalité des hommes et des femmes, 1622 ou encore F. Poullain De La Barre, De l’égalité des deux sexes, 1673.

[37] Sur l’histoire de la lutte féministe, voir not. Bonnie J. Morris et D-M. Withers, La révolution féministe, La lutte pour la libération des femmes, 1966-1988, préf. R. Gay, Hugo Image, 2018.

[38] F. Rochefort, Histoire mondiale des féminismes, Puf, coll. Que sais-je ?, 2018.

[39] C. Delaume, op. cit. : développe l’idée selon laquelle la sororité est née avec la vague post affaire Weinstein grâce à l’émergence des réseaux.

[40] L. Mulvey, « Visual pleasure and narrative cinema », in Screen, Volume 16, n° 3, 1975, publié dans CinémAction n° 67, 1993 pour la traduction française. Voir également L. Mulvey, « Repenser « Plaisir visuel et Cinéma narratif » à l’ère des changements de technologie », in Lignes de fuite, en actes : http://www.lignes-de-fuite.net/article.php3?id_article=173.

[41] La seule scène lesbienne se déroule au Canada avec Moira et semble presque honteuse, pas très positive…

[42] B. Bayle, « Les enfants du viol et de l’inceste. Maternité et traumatisme sexuel », in L’enfant à naître. Identité conceptionnelle et gestation psychique, sous la direction de Bayle Benoît Eres, 2005, p. 63 et s.

[43] Pourtant, les mères d’enfants issus d’un viol, lorsqu’elles gardent l’enfant et ne l’abandonnent pas, montrent souvent un comportement violent à leur endroit : lire par exemple sur la question dans les conflits où le viol est utilisé comme arme de guerre : M-O. Godard et M.-J. Ukeye, « Enfants du viol : questions, silence et transmission » in Le Télémaque 2012/2, n° 42, p. 117 à 129 ; F. Sironi, Psychopathologie des violences collectives. Essai de psychologie géopolitique clinique, Paris, Odile Jacob, 2007.

[44] La docteure en psychologie Edith Vallée, qui étudie le non-désir d’enfant, explique à ce sujet que « L’injonction à faire des enfants pour que la société se renouvelle reste un inconscient collectif archaïque qui perdure car il est profond. Les femmes childfree perturbent l’ordre du monde […] elles bouleversent ce qui était attendu d’elles ».

[45] O. Donath, « Je n’aurais pas dû avoir d’enfants… » : une analyse sociopolitique du regret maternel, in Sociologie et sociétés, n° 49, p. 179 à 201.


Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso.
Vous pourrez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Des sauveurs, des dictateurs et des porcs : une lecture féministe de la Casa de Papel (par Stéphanie Willman Bordat)

Voici la 39e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 27e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

L’extrait choisi est celui de l’article de Mme Stéphanie WILLMAN BORDAT à propos du/de féminisme(s) dans la websérie La Casa de papel. L’article est issu de l’ouvrage Lectures juridiques de fictions.

Cet ouvrage forme le vingt-septième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».
En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XXVII :
Lectures juridiques de fictions.
De la Littérature à la Pop-culture !

Ouvrage collectif sous la direction de
Mathieu Touzeil-Divina & Stéphanie Douteaud

– Nombre de pages : 190
– Sortie : mars 2020
– Prix : 29 €

– ISBN  / EAN : 979-10-92684-38-4
/ 9791092684384

– ISSN : 2259-8812

Des sauveurs,
des dictateurs et des porcs :
une lecture féministe
de la Casa de Papel

Stéphanie Willman Bordat
Associée fondatrice Mra
Mobilising for Rights Associates,
diplômée en droit public (Paris I), Clud, Lm-Dp

L’un des défis de faire une lecture féministe de La Casa de Papel consistait à choisir une approche. De quel féminisme parler, vu son caractère évolutif et la multiplicité des féminismes en temps et en espace ? La nature mondiale de cette tâche a aussi suscité réflexion – comment une avocate des droits humains, d’origine américaine, de double formation en common law et en droit civil, travaillant au Maroc, devrait-elle évaluer une série télévisée espagnole lors d’un colloque en France ?

Au final, j’ai décidé d’analyser la série selon le contexte qui lui est propre, c’est-à-dire avec un œil aux normes espagnoles en ce qui est droits des femmes, reflétées dans ses engagements internationaux ainsi que dans sa législation nationale. En ce sens, mon intervention ciblera deux aspects :

Le premier s’agit de la présence dans la série des stéréotypes fondés sur le genre et la manière de les aborder, avec un examen non seulement des images véhiculées des femmes, mais également des masculinités. Au cours de la série ces stéréotypes sont désignés, amplifiés, exagérés, satirisés, confrontés, contestés, dénoncés, et résistés.

Le deuxième aspect s’agit de la présence dans la série des questions pertinentes sur le statut de la femme, sujet de débats actuels en Espagne, et à quelle mesure la série soulève certaines réalités dans la vie des femmes. Il y en a deux qui se dégagent : la participation des femmes aux positions de leadership et les violences faites aux femmes. Les deux font l’objet de critiques de la part des instances des Nations Unies lors de leurs examens des droits des femmes en Espagne[1].

I. Leadership

Concernant l’inclusion politique des femmes, dans les classements mondiaux l’Espagne démontre un écart considérable entre les sexes[2], en partie en raison de l’article 57 de la Constitution qui fait de l’Espagne l’une des rares monarchies européennes à être toujours discriminatoire à l’égard des femmes dans la ligne de succession, établissant que « la succession au trône suivra l’ordre régulier de primogéniture et de représentation… au même degré, l’homme à la femme[3] ». Le pays en a même fait une exception à son application de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes[4]. En matière d’emploi, la promotion des femmes aux postes de direction est inférieure à la moyenne de l’Union européenne[5]. Les dispositions de l’article 67 de la Loi organique 3/2007 du 22 mars sur l’égalité effective des femmes et des hommes « favorisent l’égalité effective entre les hommes et les femmes » au sein des forces de sécurité[6].Or, les femmes ne représentent actuellement que 13% des agents de police, avec un nombre minime des femmes commissaires ou inspectrices[7].

A. La juxtaposition El Profesor-Raquel : un accueil différencié

La juxtaposition El Profesor-Raquel Murillo nous permet d’examiner l’accueil réservé aux femmes leaders. Car l’intégration numérique des femmes dans des postes de décision n’est pas en soi suffisante ; il faut aussi se poser des questions sur les conditions dans lesquelles elles se trouvent et le traitement qui leur est accordé dans le milieu du travail.

Dans le jeu d’échecs entre Raquel et le Profesor, chacun se trouve dans son QG, presque en huis clos, lui dans son hangar et elle dans la tente de police, assis avec leurs casques, en train de diriger leurs équipes. Mais les similitudes s’arrêtent là, car les réactions que chacun reçoit de son entourage respectif diffèrent considérablement.

Dans sa première conversation avec Raquel au téléphone, il lui dit, « Appelez-moi Profesor, c’est comme ça que tout le monde m’appelle[8] ». C’est lui l’enseignant des autres braqueurs, dans une salle de classe, le cerveau de l’opération, l’expert, qui est respecté, et donne des ordres seul, tranquillement à partir d’une salle isolée. A lui et à son plan, les autres font entièrement confiance. Comme l’a dit Tokyo, il était « mon ange gardien venu pour me sauver[9] ».

La nature satirique de cette représentation, qui se révèle au fil de l’histoire, est illustrée par le faux nom qu’il se donne auprès de Raquel : Salva. Court pour Salvador, ce nom est dérivé du verbe latin « salvare », qui signifie « le sauveur, celui qui sauve ». En réalité, son vrai nom est Sergio, dérivé du latin « Servus/Sergĭus », qui signifie « serviteur, esclave[10] ».

Raquel, en revanche, est décrite comme « une femme dans un monde d’hommes[11] ». Malgré ses qualifications de criminologue et sa force de caractère[12], elle se trouve dans un environnement de travail assez hostile, où elle se heurte en permanence à des attitudes machistes et des insultes genrées de l’entourage dans la tente. Quand elle s’apprête à rentrer dans la Fabrique pour parler avec les otages, Angel, de grade inférieur, lui dit, « Je ne te permettrai pas[13] », alors que lui il y était déjà rentré.

Elle doit faire face aux ingérences et aux tentatives de saper son autorité de la part du Colonel Prieto du service de renseignement, qui lui lance régulièrement des remarques devant tout le monde, souvent insinuant des faiblesses liées aux hormones, par exemple, « Ne soyez pas si défensive. Je suis là pour vous aider. Je sais que ce n’est pas le meilleur moment pour vous[14] »…

Même la presse décortique sa vie personnelle et présume un impact sur ses capacités, avec un reportage télévisé où l’on juge que, « Je ne sais pas si elle est prête pour une affaire de cette envergure … Le problème est qu’elle vient de porter plainte pour abus physique … il s’agit de sa stabilité mentale. Elle est probablement sous traitement, instable[15] »…

Raquel se trouve donc obligée de rappeler à plusieurs reprises à ses collègues dans la tente, « C’est moi qui donne les ordres, pas toi[16] » et « C’est moi qui dirige[17] ».

De plus, Raquel résiste et conteste ces attaques en rendant la pareille à Prieto. « Si vous êtes en train de faire référence à mes règles, c’est pas le cas. Mais merci d’avoir demandé », et « Ecoutez, je ne sais pas si vous êtes misérable ou juste stupide[18] ». Ou, à une reprise, quand il lui dit, « Je comprends qu’à un certain âge les hormones prennent le contrôle », elle réplique, « Ça doit être merdique d’être ici et de vous croire le meilleur mais incapable de prendre des décisions[19] ».

B. La juxtaposition Berlin-Nairobi : la nature du leadership

Passons maintenant à la question, quelle est la nature des décisions à prendre ? Car, si on souhaite intégrer les femmes dans les postes de pouvoir, ce n’est pas uniquement pour avoir une place à la table, mais pour transformer la nature même de la table et les décisions qui y sont prises.

La juxtaposition Berlin-Nairobi permet d’examiner la nature du leadership, et de faire des contrastes sur la forme ainsi que sur le fond des styles de leadership qui sont codés selon le genre.

Ici il ne s’agit pas de soutenir un point de vue binaire ou biologiquement essentialiste sur les hommes ou les femmes, mais de faire référence à un codage culturel qui peut ou non avoir un fondement dans la réalité.

Berlin. Selon le rapport psychologique de la prison, il est « un narcissique égocentrique, avec des illusions de grandeur, un mégalomane, avec un besoin pathologique de faire bonne impression[20] ». Tant par les autres, tant par lui-même, il est décrit comme sexiste et misogyne, exigeant une audience en permanence.

Sa philosophie du leadership se résume ainsi : « Tout ce que vous avez à faire est d’obéir[21] » et « Ici ce n’est pas une démocratie[22] ». Il donne l’ordre à Denver de tuer Monica pour défendre son autorité et sa réputation[23]. Il se plaint que « il faut comprendre à quel point c’est difficile de maintenir l’ordre ici…si vous ne mettez pas un cadavre sur la table on ne vous respecte pas[24] ».

Loin d’une approche participative, quand les autres braqueurs contestent son expulsion violente de Tokyo, il répond, « Je vais l’ajouter à la boite à suggestions. Mais ce sera inutile, car ceci est un patriarcat[25] » ! Finalement, on peut qualifier le leadership de Berlin comme souffrant de délires. Même en perdant le pouvoir au profit de Nairobi, Berlin prétend le maintenir, malgré sa détention, en disant qu’il va « respecter (son) coup » et même que, » l’idée de servir une femme qui est une déesse m’excite[26] ». Ce style de leadership est contesté et dénoncé tout au long de la série par les autres braqueurs. Nairobi en particulier ne cesse de traiter Berlin de « connard », de « putain de merde », et « un braqueur avant un être humain », chose qui n’est pas possible pour elle[27]. Elle essaie d’intervenir à plusieurs reprises dans des conflits armés entre les autres braqueurs, pour lui dire, « Ne sois pas un connard, ce n’est pas un film de Tarantino, pose les armes[28] ».

De même, Rio demande à Berlin après une de ses diatribes, « Quelle merde as-tu dans la tête ? Comment diable le professeur a-t-il pu te mettre aux commandes[29] » ?

La proclamation de patriarcat de Berlin se retourne très vite contre lui quand Nairobi lui frappe à la tête pour l’assommer en disant, « A partir de maintenant je suis aux commandes. Que le matriarcat commence[30] » !

Nairobi. Dans un contraste de philosophie, déjà quand Nairobi avait démarré l’impression de l’argent, elle a appelé à son équipe de travailler avec « de la joie, la fête, l’excitation[31] » ! Les otages avec elle sourient en travaillant[32] et le doyen de la Fabrique, Señor Torres, déclare, « Je n’ai jamais eu un meilleur patron que vous Mademoiselle Nairobi[33] ». Quand elle prend le contrôle du groupe plus tard, elle définit son leadership en disant, « Je vous garantis que je n’ai menti à personne »,[34] et « je tiens mes promesses[35] ».

Le matriarcat ne dure pourtant que deux épisodes. Frustrée, Nairobi reproche aux otages après leur tentative ratée d’évasion : « J’ai essayé de vous donner ce que je vous avais promis. De vous libérer de Berlin … je suis gentille. J’ai été gentille. Et le monde me crache au visage. J’ai essayé de vous donner de l’espace. Et vous m’avez baisée ! … Vous ne me comprenez pas. Que-ce que je dois faire pour avoir du respect ? Vous couper l’oreille[36] » ?

Suivi d’un Berlin qui revient en déclarant, « l’utopie de collaboration a échoué[37] ».

En plus de ces questions de style de leadership, la série met en scène une différence d’opinion de fond sur l’usage de la violence ou non. Alors que ce conflit autour de « pas de sang » s’opposait le camp pro-violence – Berlin, le service de renseignement – au camp non-violence – Raquel, Le Profesor et les autres braqueurs, le codage selon le genre sur la question est illustré à travers la juxtaposition entre Raquel et Colonel Prieto dans la gestion de l’affaire.

Une fois que Raquel a été démise de ses fonctions et Colonel Prieto en charge, il refuse d’envoyer un médecin pour sauver la vie de Moscou[38], au contraire de Raquel qui dans un épisode précédent avait envoyé une équipe médicale pour sauver Arturo. Prieto a décidé d’arrêter les négociations et lancer une intervention armée pour mettre fin à la prise d’otages, sur des justifications qui ressemblent à celles de Berlin, basées sur des soucis de fierté et de réputation : « Nous sommes la risée du monde » et « s’ils s’échappent ce serait un déshonneur pour notre pays[39] ». Finalement, quand la machine militaire des forces armées se lance pour rentrer, il insiste qu’« il n’y a aucun ordre pour que l’un d’entre eux sorte vivant[40] ».

Face à cette approche musclée, Raquel démissionne deux fois, au début et à la fin de la série, en raison des différences d’opinion avec le service de renseignement, ce dernier présenté comme débordant de testostérone et voulant utiliser les violences pour faire sortir les otages : « Je ne peux pas diriger avec ces singes qui forcent l’entrée ». La première fois, son patron lui demande de revenir spécifiquement car elle est « la seule personne qui peut résoudre cette situation sans violence[41] ». A la fin de la deuxième saison, Raquel quitte définitivement la police après avoir déclaré à la presse qu’elle « désapprouvait la manière dont les services de renseignements avaient géré la crise[42] ».

II. Violences à l’égard des femmes fondées sur le genre

La deuxième question des droits des femmes d’actualité aujourd’hui en Espagne et abordée dans la série est celle des violences faites aux femmes.

L’arsenal juridique en Espagne sur la question est souvent considéré comme l’un des plus novateurs et progressistes au niveau mondial. Le Code de la Violence de genre et domestique[43] réunit une multitude de textes différents, y compris la Loi organique 1/2004 relative aux mesures de protection intégrale contre la violence de genre[44], et la Loi 27/2003 régissant l’ordonnance de protection des victimes de la violence de genre[45].

Ces lois établissent un cadre juridique détaillé pour la protection, la prévention, la poursuite et la sanction de la violence commise par un partenaire intime ou un ex-partenaire. Malgré ces avancés, des lacunes législatives et des défis de mise en application des dispositions existantes persistent, et la Casa de Papel illustre cette réalité dans deux domaines – celui des ordonnances de protection pour les femmes victimes de violence, et celui des violences sexuelles.

A. Ordonnances de protection

En 2018 en Espagne, il y avait 125 223 plaintes pour violence de genre, avec 47 femmes tuées – 7 de l’ex-partenaire, 30 de leur partenaire et 10 en phase de séparation. Cette même année il y avait 29 267 ordonnances de protection engagées, 19 934 adoptées et 8 781 refusées[46]. L’ordonnance de protection est une procédure judiciaire simple et rapide qui, dans les cas où il existe des indications de violence de genre au sein de la famille et une situation objective de risque pour la victime, cette dernière peut obtenir devant le tribunal spécialisé en violences faites aux femmes, un statut de protection complète comprenant des mesures civiles, pénales et de protection sociale. Parmi les mesures possibles, un ordre d’éloignement, c’est-à-dire d’interdire l’agresseur de rentrer en contact avec la victime ou de se rapprocher d’elle d’une certaine distance, d’interdiction de rentrer dans la résidence de la victime, et un régime de garde, de visites, et de communication avec les enfants[47].

Pour raison de violences conjugales, Raquel a eu une ordonnance de protection délivrée contre son ex-mari, lui interdisant de rentrer dans la maison et limitant les visites avec leur fille tous les quinze jours. Comme il est souvent le cas, dans la série les réactions des autres aux affaires de violences conjugales sont misogynes – hostiles vis-à-vis de la victime – et empathique envers les agresseurs.

D’un côté, l’ex-mari est « agent de police, le mec le plus populaire à la station[48] ». De l’autre côté, non seulement personne ne croyait Raquel quand elle a déposé plainte, de plus elle est considérée comme fautive.

Colonel Prieto dit à Raquel, devant tout le monde, qu’« ils pensent que les accusations (contre son ex-mari) sont fausses » car « certaines femmes ne tournent pas toujours la page[49] ». L’ex-mari accuse Raquel de lui avoir « bousillé [sa] vie[50] ».

Il faut ensuite confronter cette volonté de fournir une protection aux femmes victimes de violences et le manque d’application de ces ordonnances dans la réalité. En 2015, 8 des 60 victimes mortelles des violences de genre avaient procuré des ordonnances de protection[51]. En 2012, les tribunaux des violences à l’égard des femmes ont traité 2034 cas de violations de ces ordonnances, ce qui représente 6,2% du total de leurs activités[52].

Ce point aussi est illustré dans l’histoire. La violation d’une ordonnance de protection constitue un délit selon le code pénal espagnol et est passible d’une peine de prison et/ou une amende[53].

Or, à plusieurs reprises tout au long de la série il y a violation de l’ordonnance de protection avec impunité. A une occasion l’ex-mari vient à la maison et rit quand Raquel essaie de le mettre en état d’arrestation. Il participe à l’enquête sur la prise d’otages, se trouvant dans la proximité de, et à une occasion seule avec, Raquel, sous prétexte qu’il est soi-disant, « le meilleur à son boulot ». Ceci en dépit du fait que tout contact entre la victime et l’agresseur constitue une violation de la décision de protection, indépendamment de la personne qui a provoqué le contact[54].

Le comble de l’incapacité et / ou le manque de volonté de la police de faire respecter les ordonnances de protection pour protéger les femmes des violences est illustré dans la tente de police même. Malgré le fait qu’il est entouré d’une brigade entière de police, l’ex-mari persiste à insulter et à menacer Raquel sans réaction aucune de la police, malgré les divers protocoles en vigueur les obligeant à intervenir. Raquel est obligée elle-même d’enjoindre les policiers d’éloigner son ex-mari ou elle le fera arrêter[55].

En fin du compte, c’est l’utilisation de chantage sur la garde de sa fille qui force Raquel à révéler l’adresse du hangar où se trouve le Profesor. Le Colonel Prieto la menace avec la perte de sa fille, en montrant une demande de la garde de la part de l’ex-mari, une demande qui sera accordée si Raquel est accusée de complicité avec les braqueurs.» S’il est vraiment l’agresseur que vous dites qu’il est, votre fille sera en danger… Choisissez, votre fille ou un mec que vous ne connaissiez pas la semaine dernière[56] ».

La menace n’est pas anodine. Une vingtaine d’enfants auraient été tués par leur père lors des visites entre 2008 et 2014 dans des dossiers impliquant des demandes répétées de protection ou d’annulation du droit de visite[57]. Dans l’affaire très médiatisée de Angela González Carreño contre l’Espagne devant le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, une fillette de 7 ans avait été assassinée par son père lors d’une visite autorisée par décision judiciaire. La mère avait demandé à maintes reprises que des mesures d’éloignement soient prises contre son mari. Le Comité dans sa décision a constaté que les autorités espagnoles n’avaient pas procédé à une évaluation exhaustive du risque pour l’enfant et n’ont pas rempli leurs obligations de diligence en vertu de la Convention[58].

B. Agressions sexuelles et définitions de consentement

Une deuxième question d’actualité en Espagne à propos des violences faites aux femmes est celle du viol et de la définition du consentement aux relations sexuelles.

Le Code pénal espagnol[59] est assez archaïque en la matière, faisant une distinction entre le viol comme l’atteinte à la liberté sexuelle en recourant à la violence ou à l’intimidation[60], et des atteintes sans violence ni intimidation mais pourtant sans le consentement, qui sont classifiées comme du simple abus sexuel avec des peines plus légères[61].

Cette définition a été sujet d’un vif débat en Espagne dans l’affaire « La Manada » – « La meute », dans laquelle, lors de l’édition 2016 de la course au taureau de Pampelune, cinq hommes ont agressé sexuellement une jeune femme. Les juges ont statué que les hommes n’étaient pas coupables de viol, mais plutôt du crime moins sévère d’abus sexuel, au motif que, alors que l’absence de consentement était visible sur les vidéos enregistrées par les agresseurs sur leurs téléphones, il n’y avait pas de violence ou intimidation car on ne voyait pas la victime lutter physiquement pour s’opposer à ce qui se passait[62].

Suite à cette affaire, en juillet 2018 des modifications ont été proposées au Code pénal pour éliminer cette distinction et selon lesquelles tout acte sexuel sans consentement exprès sera considéré comme viol[63]. Malheureusement, des problèmes politiques actuels mettent en doute le futur de ces réformes[64], qui auraient aligné l’Espagne avec d’autres pays ayant fait des réformes récentes en ce sens, telles l’Irlande, l’Islande et la Suède. Dans cette nouvelle approche législative, consentir n’est pas l’absence d’un « non », mais plutôt la présence d’un « oui » libre et éclairé.

Dans La Casa de Papel, ce débat sur la définition du viol et du consentement aux relations sexuelles est incarné dans la juxtaposition des relations entre Monica et Denver d’un côté, et entre Ariadna et Berlin de l’autre. Ce qui est intéressant à remarquer, c’est que tout au long de la série, il y a des scènes consécutives mettant en opposition ces deux binômes à ces questions.

La comparaison débute quand Nairobi – qui à plusieurs reprises confronte Berlin sur son traitement des femmes en général, le traitant « d’ordure », de « porc[65] », – lui reprochant son exploitation d’Ariadna : « fils de pute, il n’y a rien de plus méprisable que de baiser un otage ». Et puis elle se tourne vers Denver, qui dit quant au sujet de sa relation avec Monica, « Je ne l’ai pas forcée ». A quoi Nairobi réplique, « Tu ne connais pas le syndrome de Stockholm ?… Elle a très peur. Qu’est-ce qui cloche chez vous tous[66] » ?

Chacun des deux binômes démarre avec une danse, et c’est en opposant ces deux scènes que nous pouvons commencer à décortiquer deux narratifs contrastés.

Dans la première scène, Ariadna demande à Berlin de se parler en privé :

« Berlin : La seule chose qui pouvait remonter le moral de Mussolini était le sexe, alors il avait une prostituée.

Ariadna : Je pourrais vous aider à résoudre ce problème.

Berlin : Pensez-vous que je pourrais être avec une fille qui me soit venue contre sa volonté ? Si je pouvais sentir son dédain ?

Ariadna : Je le veux vraiment. Essaye-moi.

Berlin : Je ne sais même pas si je te veux. Danse un peu ».

Tokyo en tant que narratrice le dit clairement, « Pour Ariadna, avoir des relations sexuelles avec le braqueur principal était le moyen le plus sûr de se sauver la vie[67] ». On voit donc ici, alors que c’est elle qui a proposé la « relation », le « oui » n’est pas libre et éclairé, et il n’y a donc pas de consentement. D’autant plus qu’elle prend des tranquillisants pour supporter Berlin, et « la dose que je prends m’a neutralisée[68] ».

On constate aussi dans cet échange que Berlin a une compréhension assez tordue du viol. Sa prétendue opposition ne découle pas d’un respect de l’intégrité physique et morale de la femme, mais d’une préoccupation égoïste pour sa propre personne de ne pas vouloir se sentir détesté.

De son coté, Monica également initie le contact sexuel avec Denver[69]. Dans une scène légère, en net contraste avec la précédente entre Berlin et Ariadna, c’est elle qui lui demande de danser pour elle, ce qu’il fait de manière vivante en style Elvis[70].

Cependant, deux épisodes plus tard Denver est très perturbé par les dires de Nairobi comme quoi Monica souffrirait du syndrome de Stockholm, et affirme à son père, « Je ne l’ai jamais forcé, je jure[71] » ! En conséquent, Denver dit à Monica, « Tu es ici contre ton gré. Tu as le syndrome de Stockholm ». Malgré le fait qu’elle le nie en disant, « C’est la chose la plus stupide que je n’ai jamais entendu », il met fin à leur relation[72].

En contraste, tout de suite après, dans une scène parallèle, Berlin déclare à Ariadna, « Je veux connaitre tout sur toi, chaque minute… Tout ce qui compte c’est que je vais vivre à l’intérieur de ta tête pour toujours ». Il la force à danser avec lui et, alors que clairement elle est traumatisée et ne veut pas, elle ne place pas un mot[73]. L’absence de non ne constitue pas le consentement.

Monica, par contre, à plusieurs reprises affirme son oui à Denver de manière claire et explicite. En sauvant Denver d’un Arturo armé[74], dans ses affirmations qu’elle va partir avec lui et que « je veux être avec toi[75] », et dans la dernière fusillade quand elle prend des armes à ses côtés[76].

La juxtaposition finale a lieu de manière explicite dans la conversation dans les toilettes entre Monica et Ariadna :

« Ariadna : Monica, est-ce que Denver t’a forcé ?

Monica : Non

Ariadna : Pourquoi es-tu avec lui ?

Monica : Parce que je l’aime. Je sais que cela peut paraître ridicule. Vous pensez peut-être que c’est fou mais c’est réel … Il m’aime vraiment. Et toi, tu es avec Berlin ?

Ariadna (secoue la tête) : Juste pour survivre. Je pensais qu’ils tuaient des gens. Et qu’ils t’avaient tué aussi. Je pensais que je me sauvais. Berlin me dégoûte, il me rend malade. Et maintenant, le connard pense que j’ai des sentiments pour lui, que nous vivons une histoire d’amour. Il veut que je l’épouse quand nous sortirons, que je prenne soin de lui. Il est malade … Il m’a foutu la vie en l’air. Je prends quatre tranquillisants par jour juste pour pouvoir supporter sa présence. Il m’a violée[77] ».

Nairobi, qui a entendu cette conversation, met Berlin face à ces réalités, en lui disant, « Tu la rends malade. Chaque fois que tu la violes, car tu es en train de la violer, elle part aux toilettes pour vomir[78] ».

Berlin, en apprenant ceci, empêche Adriana de s’enfuir, et en pointant une arme sur elle la force à rester avec lui dans le dernier affrontement avec la police. Quand il insiste, « tu es follement amoureuse de moi, n’est-ce pas ? », prise de frayeur, elle hoche la tête oui, oui. Berlin, à la fin, déclare, « Vieillir ce n’est pas pour moi, car ça nécessite du courage », et se jette devant les forces de l’ordre pour être tué dans la fusillade finale[79].

La question qui se pose est, ce bouquet final représente-il la mort du sexisme et de la misogynie qui vole en éclats ? Ou une échappatoire, une manière pour le patriarcat d’éviter à avoir à répondre de ses actes ?

Conclusion. Celle-ci n’est pas tant une conclusion qu’un post-scriptum, sur le thème de rendre à César ce qui est à César, ou dans ce cas, rendre à Césarie ce qui est à Césarie. L’appropriation/transformation récente de Maître Gims et compagnie de « Bella Ciao » – à des fins romantico-commerciaux -n’en était pas la première. Cette chanson – associée au mouvement de résistance antifasciste en Italie au cours de la seconde guerre mondiale – était déjà une modification et une adaptation. Alors que les historiens italiens diffèrent sur ce point et sur les sources de la chanson, certains spéculent un lien avec une chanson des femmes travailleuses dans les rizières, chantée à partir de 1906, quand elles ont réussi à obtenir le droit à huit heures de travail. 

Travailler là-bas dans la rizière, bella ciao, bella ciao
Bella ciao ciao ciao !
Le patron debout avec son bâton, bella ciao, bella ciao
Bella ciao ciao ciao !
Le patron debout avec son bâton
 Et nous nous courbons pour travailler !
Travail infâme, pour peu d’argent, ou Bella ciao ciao ciao !
Travail infâme pour peu d’argent
Et votre vie à consommer[80] !


[1] Tels les mécanismes des Nations Unies comme le Comité sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le Groupe de travail sur la question de la discrimination à l’égard des femmes dans la législation et dans la pratique, et le Forum économique mondial.

[2] De 0.354, où 1 c’est la parité. World Economic Forum, Global Gender Gap Report 2018.

Http://www3.weforum.org/docs/WEF_GGGR_2018.pdf.

[3] Article 57 (1).

[4] « La ratification de la Convention par l’Espagne n’aura pas d’effet sur les dispositions constitutionnelles régissant les règles de succession de la Couronne d’Espagne », 5 janvier 1984. https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N06/309/98/PDF/N0630998.pdf?OpenElement. Le Comité qui assure la mise en place de cette Convention émis régulièrement des recommandations l’Espagne de retirer cette déclaration : https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CEDAW%2fC%2fESP%2fCO%2f7-8&Lang=fr.

[5]Rapport du Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes dans la législation et dans la pratique, Mission en Espagne, A/HRC/29/40/Add.3, 17 juin 2015.

[6]https://www.boe.es/buscar/pdf/2007/BOE-A-2007-6115-consolidado.pdf.

[7]https://www.policia.es/prensa/20160308_1.html .

[8] S1E2. Les épisodes sont numérotés telle qu’ils sont actuellement découpés sur Netflix, et non pas telle qu’ils l’étaient dans la version originale sur Antena 3.

[9] S1E1, S2E2. Avec le Profesor cette idée s’est avérée être de la satire quand la situation s’est dégradée – il n’était pas là pour « sauver » Tokyo, car il était détenu par Raquel, S2E6.

[10]http://www.name-doctor.com/ .

[11] S1E10.

[12] « Combien de coups de poing pouvez-vous prendre sans tomber au sol? Si tu es Raquel Murillo, beaucoup ». S1E13.

[13] S1E10.

[14] S1E2.

[15] S1E8.

[16] S1E10.

[17] S1E7.

[18] S1E2.

[19] S1E5.

[20] S1E8.

[21] S1E2.

[22] S1E13.

[23] S1E3.

[24] S1E7.

[25] S2E3.

[26] S2E4.

[27] S1E4.

[28] S1E9.

[29] S1E2.

[30] S2E3.

[31] S1E2.

[32] S2E1.

[33] S1E13.

[34] S2E4.

[35] S2E5.

[36] S2E5.

[37] S2E5.

[38] S2E7.

[39] S2E8.

[40] S2E8.

[41] S1E3.

[42] S2E9.

[43] Código de Violencia de Género y Doméstica, Edición actualizada a 17 de enero de 2019, https://www.boe.es/legislacion/codigos/codigo.php?id=200_Codigo_de_Violencia_de_Genero_y_Domestica_&modo=1.

[44]Https://www.coe.int/t/dg2/equality/domesticviolencecampaign/countryinformationpages/spain/LeyViolenciadeGenerofrances_fr.pdf.

[45] Https://www.boe.es/buscar/doc.php?id=BOE-A-2003-15411.

[46] Portal Estadístico, Delegación del Gobierno para la Violencia de Género : http://estadisticasviolenciagenero.igualdad.mpr.gob.es/.

[47] Http://www.poderjudicial.es/cgpj/es/Temas/Violencia-domestica-y-de-genero/La-orden-de-proteccion/.

[48] S1E4.

[49] S1E2.

[50] S1E4.

[51] IXe Rapport Annuel de l’Observatoire National de la violence à l’égard des femmes (2015), publié en 2017. http://www.violenciagenero.igualdad.mpr.gob.es/violenciaEnCifras/estudios/colecciones/estudio/Libro24_IX_Informe2015.htm.

[52] Http://poems-project.com/wp-content/uploads/2015/02/Spain.pdf.

[53] Art. 468 du code pénal espagnol.

[54] Http://poems-project.com/wp-content/uploads/2015/02/Spain.pdf.

[55] S2E7.

[56] S2E9.

[57] Rapport du Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes dans la législation et dans la pratique, Mission en Espagne, A/HRC/29/40/Add.3, 17 juin 2015.

[58] CEDAW/C/58/D/47/2012, http://juris.ohchr.org/Search/Details/1878.

[59] Código Penal y legislación complementaria, Edición actualizada a 6 de septiembre de 2018. https://www.boe.es/legislacion/codigos/abrir_pdf.php?fich=038_Codigo_Penal_y_legislacion_complementaria.pdf.

[60] Articles 178 – 180.

[61] Article 181.

[62] Https://elpais.com/elpais/2018/04/27/inenglish/1524824382_557525.html .

[63] Https://elpais.com/elpais/2018/07/10/inenglish/1531226533_476827.htmlSpain’s deputy PM proposes “yes means yes” law for sexual assault cases, El Pais, July 10, 2018. https://www.elcomercio.es/sociedad/delitos-sexuales-condenas-20190123185702-ntrc.htmlTodos los delitos sexuales tendrán condenas de prisión mayores a un año, El Comercio, 23 janvier 2019.

[64]https://www.lavanguardia.com/politica/20190214/46463638895/el-gobierno-echa-en-cara-a-la-oposicion-las-reformas-que-no-va-a-poder-hacer.htmlEl Gobierno echa en cara a la oposición las reformas que no va a poder hacer, 14 février 2019.

[65] S1E9.

[66] S2E1.

[67] S1E10.

[68] S2E5.

[69] S1E11.

[70] S1E12.

[71] S2E1.

[72] S2E1.

[73] S2E1.

[74] S2E5.

[75] S2E8.

[76] S2E9.

[77] S2E7.

[78] S2E9.

[79] S2E9.

[80] Http://ecomuseo.schole.it/index.php?option=com_content&task=view&id=188&Itemid=39.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso.
Vous pourrez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Communications électroniques & relations entre administrations et administrés (par le pr. G. Koubi)

Voici la 41e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 4e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

Cet ouvrage est le quatrième
issu de la collection « L’Unité du Droit ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume IV :
Communications électroniques :
objets juridiques au cœur de l’Unité des droits 

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina & Benjamin Ricou)

– Nombre de pages : 176
– Sortie : octobre 2012
– Prix : 33 €

  • ISBN  : 978-2-9541188-3-3
  • ISSN : 2259-8812

Présentation :

A l’heure où, en France, le minitel s’éteignait pour toujours, il était temps que les juristes rendent une nouvelle fois hommage aux communications électroniques ainsi qu’à son ou à ses droit(s). En effet, grâce à l’ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications, ces dernières années ont vu se développer, de façon spectaculaire, les usages en matière de communications électroniques. Qu’il s’agisse du déploiement massif des réseaux de télécommunications mobiles, de la téléphonie fixe et de l’Internet ou encore de la télévision numérique : cette thématique est d’une actualité incontournable.

Il s’est alors agi, par les présents actes issus d’un colloque tenu le 01 juin 2012 à l’Université du Maine (en collaboration avec le Collectif L’Unité du Droit et le laboratoire Themis-Um), d’analyser l’évolution du marché, de la pratique et du droit des communications électroniques, lesquels doivent s’adapter en permanence au renouvellement rapide des différentes technologies. Les communications électroniques sont en effet au cœur des deux phénomènes contemporains les plus importants du Droit : la matérialisation de son Unité et sa globalisation.

Ont participé à l’analyse de ces phénomènes des enseignants-chercheurs mais aussi des praticiens afin de décrypter sous plusieurs angles le(s) nouveau(x) droit(s) des communications électroniques.

Communications électroniques
et relations entre administrations
et administrés

Geneviève Koubi
Professeur à l’Université Paris 8, Cersa-Cnrs (Umr 7106)
Membre du Collectif L’Unité du Droit

Les « moyens destinés à élaborer, traiter, stocker ou transmettre des informations faisant l’objet d’échanges par voie électronique entre autorités administratives et usagers ainsi qu’entre autorités administratives » s’entendent comme d’un système d’information[1], les plans successifs de modernisation des administrations publiques contiennent tous un volet mettant en valeur « les nouveaux moyens de l’action administrative, notamment liés aux progrès rendus possibles par les nouvelles technologies »[2].

Inscrite au titre de la simplification du droit et de la rationalisation des activités administratives, la transversalité des expérimentations et la réalisation des opérations impliquant les technologies de l’information et de la communication induisent multiples interrogations tant à propos de leur influence sur la conduite des politiques publiques, sur leur suivi qu’en ce qui concerne le traitement des affaires dont peuvent être saisis les bureaux et les services administratifs – voire aussi les juridictions. En parallèle, la tendance généralisée de l’incitation aux usages d’Internet à l’adresse des administrés détient des conséquences notables sur les comportements sociaux.

De fait, les modalités d’utilisation des technologies de la communication et de l’information remodèlent les relations entre les administrations et les administrés – ce que voudrait, pour une part, recouvrir l’expression d’ « administration électronique »[3].

Par-delà les transformations de la gestion des personnels à travers les traitements automatisés de données à caractère personnel, la restructuration des services selon les principes d’une mutualisation des fonctions par le biais des pôles informatiques et la mutation des conditions de travail des agents publics impliquant, à terme, la généralisation du télétravail, au sein des différents services administratifs, le développement du recours à Internet altère graduellement la perception sociale des droits des administrés comme celle de la protection de leurs libertés – individuelles et personnelles. Dans les espaces numériques, en effet, les droits des administrés – et, par-là, leurs devoirs ou obligations –, se fondent sur un assortiment de préceptes reconstruit en termes contradictoires autour d’un binôme redoublé d’une part de « visibilité/confidentialité » et d’autre part de « facilité/complexité ». L’amalgame entre la logique combative des droits de l’homme et la finalité passive des droits de la personne s’enracine, l’empreinte d’une individualisation de la sphère administrative y étant fortement corrélative.

Dans les périples électroniques ou numériques que les relations administratives empruntent désormais, les administrés comme les usagers du service public affrontent le polissage des différenciations entre service marchand, service administratif et service public qui s’agence sur les écrans comme dans les fibres suivant les méandres des réseaux Internet[4]. Ainsi, à la conversion progressive de leurs droits en droits de consommateur, s’ajoute le nivellement des services qui peuvent leur être proposés ou imposés par la voie d’une connexion à une plate-forme, à un terminal téléphonique ou à un site web, officiels plus que seulement publics et gérés par des opérateurs privés. Dans la relation administrative qui s’institue à travers les communications électroniques, c’est la distance qui détermine le positionnement de l’individu.

En quelque sorte, pour ce qui concerne l’accès à un site Internet officiel, l’administré-internaute ne peut être compris comme usager du service considéré que s’il s’empare des fonctionnalités du site, par exemple en quelques téléchargements de formulaires, en téléprocédures ou du fait de la validation de son inscription. Si le téléchargement suscite le règlement d’une redevance ou si la téléprocédure se résume en un télépaiement, ne serait-il pas alors en instance de se transformer en un « client » ? Quoi qu’il en soit, en tout état de cause, quel que soit le lieu à partir duquel il parvient sur le site public, dès qu’un individu est connecté à un tel site il devient virtuellement un administré.

En dépit de sa généralité initiale, la figure de l’administré[5] cloisonne les catégories de personnes dans l’ensemble des relations administratives[6], les typologies se réalisant au rythme des politiques de ciblage des populations instituées par les législations et réglementations. Ce n’est pourtant pas par rapport aux orientations des politiques sociales ajustées que l’internaute, administré dès qu’il se situe dans un espace soumis à la loi française – comme c’est le cas sur un site web généré par ou pour une administration publique –, peut être impliqué dans les catégories de personnes distillées par les discours administratifs. Le ciblage mis en œuvre dans la relation numérique est d’une tout autre nature. Même en retenant le fait que tous les utilisateurs des réseaux Internet ne disposent pas des mêmes aptitudes et des mêmes connaissances devant les progrès des nouvelles technologies – ce que voudrait, pour une part, recouvrir l’expression de « fracture numérique » –, la construction de la relation électronique qui se réalise à travers les canaux de l’action administrative, répond à d’autres représentations[7]. Ces dernières ne retracent nullement la situation économique et sociale de l’individu. Si elles peuvent prendre en considération ses capacités, liées par exemple à son âge[8] ou à son handicap au titre d’une obligation d’ « accessibilité numérique »[9], elles ne peuvent s’attacher sa position spécifique que par rapport aux services administratifs sollicités. Car, pour l’heure, si de fortes incitations à l’usage d’Internet par les administrés sont déployées, par exemple sous la forme de prime ou de récompense financière comme en matière fiscale pour une télédéclaration des revenus, le choix demeure entre s’engager sur les voies cybernétiques ou pas – sauf exceptions, notamment quand l’individu se voit enserré dans les cadrages d’une citoyenneté virtuelle « numérisée »[10].

Aussi, qu’il s’agisse d’une pré-inscription dans un établissement public d’enseignement pour un lycéen ou un (futur) étudiant par la voie des téléprocédures[11], de l’installation d’un service public de téléassistance pour une personne âgée ou handicapée[12], de la mise en ligne d’une déclaration de candidature à une offre d’emploi ou de la réponse dématérialisée à une mise en concurrence pour un marché de travaux, de fournitures ou de services[13], ou, du côté de l’administration, d’une signalisation élaborée à l’aide de systèmes de vidéosurveillance – dits maintenant de vidéoprotection[14] –, les modélisations s’établissent à partir des contacts virtuels établis entre l’individu connecté – ou repéré – et le service administratif considéré. L’administré n’est pas figé par sa position d’internaute ; il est, selon les cas, contribuable[15], justiciable ou requérant[16], candidat (à un concours ou pour un marché public), patient[17], voyageur[18], passant, etc., sans que puissent être mis en évidence les droits dont il dispose.

Le dogme de l’efficacité économique et de la commodité administrative ne peut pourtant indéfiniment éluder la question de la considération comme du respect des droits fondamentaux. Or, en ces itinéraires virtuels, sont particulièrement concernés la liberté d’information, la liberté d’expression[19], le droit à l’instruction, le droit d’un accès aux soins, la liberté d’aller et venir, sans omettre le droit à la protection des données à caractère personnel, etc.

Désormais, dans la relation électronique, sous l’effet du mouvement général d’individualisation inhérent aux sociétés post-modernes, la question cruciale de la protection des droits et libertés s’approche plus d’une demande de respect des droits de la personne, laquelle est qualifiée d’« administré », que d’une exigence de respect des droits de l’homme ou des droits du citoyen. La pression de la transformation des droits de l’homme en droits de la personne se confirme en excluant peu à peu les composantes politiques, sociales et culturelles de ces droits.

Quel que soit le cas, le jeu des communications électroniques tient à distance l’individu physique, personne, homme (ou femme), citoyen, administré, usager d’un service public, client. Il n’entre en scène que par l’effet d’un ordinateur. Seule sa posture comme consommateur resterait préservée, rendant compte en cela de l’imprégnation de la rhétorique néo-libérale du marché dans le champ des communications électroniques. Les points de contact réalisés par le biais des pages sur les sites Internet des administrations ou par les liens offerts sur le portail www.service-public.fr, la disparition des guichets permettant une relation physique entre un administré et un agent qui emporte la mise au point de guichets électroniques[20], l’institution des plates-formes téléphoniques automatisées[21], etc., bousculent les présupposés de l’amélioration des relations entre les administrations et leur public en déplaçant le curseur des engagements quant à la qualité de l’accueil et à la nécessité de l’orientation des personnes comme des demandes[22] vers la dépersonnalisation de l’administré comme vers la dématérialisation des documentations. Cette perspective désubstantialise la qualité des relations avec l’administration ou le service public concerné. Sans doute, de nouveaux modes de communication sont fournis en mettant particulièrement à l’honneur la téléphonie mobile ; mais, avant d’affirmer que le « mobile » devient un outil indispensable, une étude sur le statut juridique des plates-formes de renseignements, des numéros d’appel prioritaires ou privilégiés, comme des agents virtuels sur les sites publics ou des F.A.Q., etc., pourrait-elle permettre de mieux recomposer les champs d’investigation en matière de droits des administrés ou usagers des services publics ? De fait, l’avènement de la société de l’information signe l’entrée dans une société connectante plus que communicante.

D’une part, la mise en situation de l’administré comme internaute fait que les échanges avec l’agent public se réalisent à l’écrit. D’autre part, l’automatisme des répondeurs téléphoniques nécessite une élocution parfaite si le prononcé d’un mot clef est exigé. Les deux modèles ne sont pas de même portée. En effet, « en ce qui concerne le téléphone, c’est probablement le média le plus facile d’usage, à condition de parler français et de comprendre le langage juridico-administratif. [En ce domaine…] l’apprentissage collectif de nos concitoyens peut être considéré comme largement accompli. Il n’en va pas de même, en revanche, pour ce qui concerne les NTIC »[23]. Quel que soit le cas, écrites ou orales, ces modalités de communication artificielle accentuent le décalage existant entre le candidat-usager et le service appelé ou requis, la tonalité d’un mot, sa signification, son sens juridique, n’étant pas saisis de la même manière des deux côtés. Un tel aspect confine effectivement à une déshumanisation de la relation administrative. Déjà, dans un communiqué spécifique du 24 septembre 2010, le Médiateur de la République faisait part de cette déperdition de la qualité humaine des relations : « N’avoir que les touches proposées par un serveur vocal lorsque l’on est dans une situation complexe est vécu comme un abandon de la part de l’administration. C’est un peu comme si l’usager devait connaître déjà la réponse à sa question pour formuler correctement sa demande. A fortiori, lorsque l’administration elle-même doute de la fiabilité du traitement des informations via Internet, c’est l’usager qui est perdu. La France, autrefois en retard en matière d’e-administration, dispose aujourd’hui d’un arsenal technologique puissant visant à dématérialiser le service public et à forger des outils permettant à la fois de fluidifier l’information et d’améliorer les relations entre les administrations et l’usager. Tout l’enjeu réside dans la capacité à rechercher des solutions qui simplifient les rapports sans les déshumaniser »[24].

En sus, et peut-être est-ce là un des enjeux politiques du déploiement généralisé des communications électroniques dans le cadre des relations entre administrations et administrés, « les N.T.I.C. permettent une  » individualisation du traitement des problèmes collectifs  » au risque de rendre invisible la dimension collective de la gestion de ces problèmes et la responsabilité politique qu’elle sous-tend »[25]. Or, dans une société qui, sous la pression de la logique de marché, prône l’avènement de l’intercommunicationnel, le paradoxe est que sont réunies en un même ensemble l’individualisation de la relation et la dépersonnalisation de l’individu.

Car, au-delà du constat, maintenant classique, de l’hyper-individualisme révélateur du remaniement relationnel dans une société post-moderne, le déploiement des communications électroniques en toutes sphères induit la dépersonnalisation de l’individu. Si cet état des choses affecte inévitablement les rapports qu’entretiennent les administrés avec les administrations publiques, il a aussi pour effet de transformer la fonction un temps attribuée à la notion de proximité dans l’espace de la Cité.

La personnalisation ne peut être réduite à l’identification. L’administré ne peut être anonyme, car s’il se choisit un pseudonyme, il fausse la sincérité de la relation. Toutefois, même identifié, ce n’est pas vraiment lui qui entretient une relation avec l’administration, ce serait plutôt l’appareil, la machine – fixe ou mobile – qui, pourtant, n’est pour lui qu’un vecteur de communication. Le conducteur qu’est l’ordinateur puis le serveur par lequel passe la communication entre l’individu et le service n’est donc pas sans incidence sur la qualité comme sur la valeur de la relation instituée, – l’identification restant, en dépit des normes techniques appliquées pour une sécurisation des identifiants et mots de passe (login), toujours hypothétique.

Chaque transmission de données sur le web suppose la communication de l’adresse IP (Internet Protocol) de l’expéditeur comme du destinataire. Lorsqu’un internaute consulte un site Internet, ce site enregistre la date, l’heure et l’adresse IP « de l’ordinateur à partir duquel la consultation a été effectuée, ainsi que les fichiers qui ont pu être envoyés. Le propriétaire du site a ainsi accès aux adresses IP des ordinateurs qui se sont connectés à son site »[26]. Sans doute, l’avancée des techniques a défait la particularité qui avait fait de la machine utilisée l’élément central dans l’organisation des échanges entre administration et administré. La qualité de l’identité numérique est désormais certifiée par le jeu de la signature électronique. Tout ordinateur disposant d’un accès à Internet, quels que soient les moyens d’échange avec le service administratif choisi (téléphone, câble, haut débit) et mis à la disposition de l’administré, permet à chacun d’assurer personnellement et sans personnification « sa » connexion avec une administration donnée, sans ambiguïté mais toujours par l’interposition d’un écran, dès lors qu’il use de son identifiant numérique[27].

Certes, pour certaines actions, la situation de l’administré-internaute dépend encore de l’appareil utilisé comme du lieu à partir duquel est réalisée la connexion avec un service de l’administration, les modalités d’identification de la source en dépendant encore, mais cette corrélation est en passe de disparaître. L’interrogation quant aux conditions d’accès aux services suivant la propriété du matériel[28] ne relève qu’incidem-ment la question des mots de passe, des codes, des identifiants et autres modalités d’accès aux informations déposées, détenues ou recherchées ou aux autorisations et réclamations sollicitées par l’un ou l’autre des deux protagonistes. Cette mutation a été impulsée par l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives qui pose le cadre juridique général des échanges administratifs par voie électronique dans les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics à caractère administratif, les organismes gérant des régimes de protection sociale et ceux chargés de la gestion d’un service public administratif[29]. Cependant, la simplification recherchée n’est pas au rendez-vous ; « le foisonnement de sites Internet proposés par l’administration se double de la difficulté pour l’usager de naviguer entre des sites parfois redondants, souvent sans identité officielle reconnaissable et systématiquement hétérogènes en termes de graphisme et de navigation »[30]. De plus, la dématérialisation des échanges avec l’administration, notamment pour ce qui concerne les documents qui pourraient être indispensables lors d’une opération donnée, se fonde sur divers textes dont la valeur juridique n’est pas toujours authentifiée tels les discours prononcés par les ministres ou autres autorités publiques, les rapports parlementaires ou administratifs, les circulaires et instructions administratives, les référentiels techniques.

Comme une citoyenneté numérique émerge progressivement en classifiant l’individu suivant des cases préformatées, le modèle des échanges électroniques se métamorphose ; ces échanges ne peuvent plus se résumer en des demandes de renseignements ou échanges d’informations[31]. Or, telle est, par la force des choses, la caractéristique première de ces rapports entre administrations et administrés. La qualité de la relation diffère peut-être selon les attentes, « l’exigence de service rendu et l’acceptation de la contrainte du parcours administratif pour y parvenir varient assez considérablement selon que la démarche relève d’une obligation légale sans contrepartie directe mais qui peut même être assortie de sanctions, ou débouche sur une chance d’obtenir un avantage ou de voir un droit reconnu »[32]. Mais la sujétion de l’administré n’est pas remise en cause ce qui atténue la dynamique que le terme de communication sous-entend. Les positionnements font que les mécanismes de participation ne sont pas mis en œuvre parce qu’ils appartiendraient exclusivement au champ d’une démocratie numérique en construction.

En effet, l’administration électronique semble se borner à transposer ses méthodes paperassières forgées à l’aune de l’unilatéralisme sans prendre en considération les potentialités multidimensionnelles des interconnexions. Les particularités de l’activité administrative fabriquent des sites publics statiques qui induisent la prolifération bureaucratique de formulaires administratifs téléchargeables, de téléprocédures administratives, de téléservices administratifs. L’administration électronique, prisonnière de ses supports, ne retient des avancées des communications électroniques que les moyens de faciliter la tâche de leurs bureaux, de réduire les charges de fonctionnement ou les dépenses[33] généralement visées au titre d’une administration exemplaire mal calibrée[34]. Aussi faudrait-il envisager à la suite de la création de ces sites stabilisés, alors même qu’ils sont des objets ouverts à la concurrence par le biais de contrats et marchés impliquant plusieurs acteurs dans des secteurs différenciés (la gestion et la maintenance informatique n’étant pas des moindres), les formes d’appréhension des dynamiques sociales qu’ils génèrent.

Les expérimentations en matière de démocratie numérique ne sauraient être transposées dans le cadre des relations administratives.

Pourtant, « la Commission européenne, s’inspirant des principes dégagés lors de la Conférence de Côme, intègre la notion de démocratie en ligne dans sa définition du e-government. Le e-government est entendu comme  » utilisation des technologies de l’information et des communications (TIC) dans les administrations publiques, associé à des changements de l’organisation et de nouvelles aptitudes afin d’améliorer les services publics et les processus démocratiques, et de renforcer le soutien des politiques publiques  » »[35].

Un dépassement des téléservices et téléprocédures devrait être disposé pour ce qui concerne la forme des relations entre administrations et administrés, en retenant que leur fonctionnement relève indéniablement d’une modalité de participation des administrés, des usagers du service public à sa bonne marche. Cette dimension, rarement mise en valeur, permet de signifier que l’administration électronique ne peut être opérationnelle que si l’administré, l’usager du service, est un utilisateur des nouvelles technologies sans réticences à son endroit. Si dans le cadre des services publics, la notion de participation est appréhendée sous l’angle classique de la « démocratie participative », c’est-à-dire en s’attachant aux modes d’information et aux possibilités d’intervention des représentants des usagers de ces services dans les processus décisionnels ou dans les diagrammes budgétaires[36], quand les dévelop-pements de l’administration électronique sont pris en considération, la notion de participation trouve une de ses illustrations dans les connexions aux portails des services publics ouverts sur le web ou dans l’institution de « forums » de discussion ouverts au débat public. Ces outils font émerger une « citoyenneté électronique » qui fournirait « à l’usager un mode novateur de participation aux services publics »[37]. Or, en la matière, de la même manière qu’il peut être demandé au voyageur de poinçonner lui-même son billet en accédant aux quais ou en entrant dans un véhicule affecté à un service de transport public, les téléprocédures font de l’usager, administré-internaute, l’acteur premier du service considéré… pour mieux l’assujettir.

La modernisation des relations entre administrations et administrés, dans le contexte formé par le redéploiement des communications électroniques, nécessiterait alors de repenser les concepts que recouvrent les expressions d’e-administration ou d’administration électronique. En tant que telles, ces dernières ne permettent pas de relever une transformation radicale de la structuration des rapports entre les unes et les autres. Dans cette configuration, sans doute la question des téléprocédures reste-t-elle centrale, mais la tonalité donnée au modèle proposé par mon-servicepublic.fr[38] et les applications intégrées à la mobilité téléphonique laissent planer nombre de doutes sur une évolution qui replacerait au coeur de la problématique les droits de l’homme et les libertés fondamentales.

Le temps de la communication, supposant la réciprocité à défaut de l’égalité, n’est pas encore venu.

Grâce aux communications électroniques, les relations entre administrations et administrés se déroulent dans la virtualité, avec une large ouverture sur un monde sans papier mais dont la fiabilité des informations resterait à la merci d’un dysfonctionnement majeur ou d’un effacement déprogrammé des mémoires. Si une entrée dans la précarité numérique pourrait ainsi être à terme signifiée comme « risque » permanent, étant donné que l’informatique n’est pas à l’abri de dysfonctionnements majeurs dont les conséquences peuvent être redoutables pour les administrés comme pour les administrations, l’évolution vers un Etat virtuel se profile, ce qui s’entend à l’échelle planétaire… comme 1984[39].


[1] Art. 1er de l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, J.O. 9 déc. 2005.

[2] Cette formule apparaissait dans la plupart des rapports d’étape de la révision générale des politiques publiques (R.G.P.P.).

[3] V. cependant, Flichy P. et Dagiral E., « L’administration électronique : une difficile mise en cohérence des acteurs », R.F.A.P. 2004, n° 110, p. 245.

[4] V. par ex., Roux L., « L’administration électronique : un vecteur de qualité de service pour les usagers ? », Inf. soc. 2010, n° 158, p. 20.

[5] V. Chevallier J., « Figures de l’usager », in Draï R. (dir.), Psychologie et science administrative ; Paris, C.U.R.A.P.P., P.U.F. ; 1985 ; p. 35.

[6] V. toutefois, Maillard Desgrées Du Lou D., Droit des relations de l’administration avec ses usagers ; Paris, P.U.F. ; 2000 ; coll. Thémis Droit public ; v. aussi, Traoré S., L’usager du service public ; Paris, L.G.D.J. ; 2012 ; coll « Systèmes ».

[7] Sans s’attarder sur le schéma produit par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (J.O. 22 juin 2004).

[8] Bien des téléprocédures sont réservées aux personnes majeures sans que cette restriction soit clairement affichée sur la page. La mise en œuvre de celle-ci se réalise par des procédés de sécurisation des données et suivant les mécanismes d’interopérabilité introduits dans les systèmes d’information à la disposition des administrations publiques.

[9] Art. 47, al. 1 et 2, Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (J.O. 12 févr. 2005) : « Les services de communication publique en ligne des services de l’Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics qui en dépendent doivent être accessibles aux personnes handicapées. / L’accessibilité des services de communication publique en ligne concerne l’accès à tout type d’information sous forme numérique quels que soient le moyen d’accès, les contenus et le mode de consultation. Les recommandations internationales pour l’accessibilité de l’Internet doivent être appliquées pour les services de communication publique en ligne ».

[10] V. Détraigne Y., Escoffier A.-M., La vie privée à l’heure des mémoires numériques. Pour une confiance renforcée entre citoyens et société de l’information, Rapport d’information Sénat n° 441 (2008-2009) du 27 mai 2009 (http://www.senat.fr/rap/r08-441/r08-4411.pdf).

[11] Par ex., C.E., avis 15 janvier 1997, Gouzien, req. n° 182777 ; Rec. p. 19 (à propos des procédures d’inscription par voie télématique – minitel) ; T.A. de Lille, 7 juillet 2005, Mlle Elise Chiroutre, req. n° 0500495 ; A.J.D.A. 2006, p. 436, note Bernabeu P.

[12] Par ex., C.E., 3 mars 2010, Département de la Corrèze, req. n° 306911.

[13] Le Code des marchés publics prévoit en effet la possibilité pour le pouvoir adjudicateur d’exiger la transmission électronique. Par ailleurs, une inscription en ligne nécessaire pour une consultation des annonces au Bulletin officiel des annonces de marchés publics (B.O.A.M.P.).

[14] Art. 17, Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure – dite L.O.P.P.S.I. 2, J.O. 15 mars 2011.

[15] C.E., 30 mai 2012, Ministre du Budget c. Société Aficom, req. n° 345418.

[16] Par ex., D. n° 2005-222 du 10 mars 2005 relatif à l’expérimentation de l’introduction et de la communication des requêtes et mémoires et de la notification des décisions par voie électronique, J.O. 11 mars 2005 ; Arr. 3 février 2009 relatif à l’extension de l’expérimentation de l’introduction et de la communication des requêtes et mémoires et de la notification des décisions par voie électronique devant le Conseil d’Etat, J.O. 8 févr. 2009.

[17] V. par ex., Ferraud-Ciandet N., « L’Union européenne et la télésanté », R.T.D.E. 2010, p. 537.

[18] Le formulaire de demande de visa de court séjour peut être téléchargé sur Internet et doit être remis rempli et signé (http://www.diplomatie.gouv.fr).

[19] V. par ex., Jacqué J.-P., « Communauté des internautes et protection des libertés individuelles dans l’Union européenne », R.T.D.E. 2010, p. 271.

[20] V. entre autres, Vitalis A., Duhaut N., « N.T.I.C. et relation administrative : de la relation de guichet à la relation de réseau », R.F.A.P. 2004, n° 110, p. 315.

[21] V. sur les relations de service dépendantes de leur standardisation, Weller (J.-M.), « Comment les agents se soucient-ils des usagers ? », Inf. soc., 2010/2, n° 158, p. 12.

[22] Ce qui était une des constantes de la plupart des circulaires administratives relatives à la Réforme de l’Etat et des services publics tout au long de la dernière décennie du XXe siècle.

[23] V. Pavé F., « Que peut-on négocier avec un serveur vocal ? La proximité administrative et ses technologies », in Vrancken D. (dir.), Penser la négociation ; Bruxelles, De Boeck Université ; 2008 ; coll. Ouvertures sociologiques ; p. 164.

[24] Communiqué du Médiateur de la République du 24 septembre 2010 : « Administration : quand modernisation rime avec déshumanisation » : http://www.mediateur-republique.fr/fr-citoyen-05-329 (consult. 24 janv. 2011).

[25] Raoul B., « Technologies de l’information et de la communication et modernisation des services publics. Quelques remarques et repères pour une exploration critique», Etudes de communication,n° 23 (dossier : « Services aux publics : question de communication et de management »), 2001, p. 29.

[26] Ces quelques précisions sont tirées du rapport d’information n° 441 Sénat (2008-2009) du 27 mai 2009 sur « La vie privée à l’heure des mémoires numériques. Pour une confiance renforcée entre citoyens et société de l’information », préc.

[27] Etant rappelé que le N.I.R. ne peut systématiquement être exposé comme seul et unique identifiant administratif.

[28] Ordinateur personnel ; depuis un lieu collectif privé à l’exemple d’un cybercentre ; dans un relais de services publics.

[29] V. Piette-Coudol T., « Echanges électroniques entre usagers et autorités administratives et entre les autorités administratives », J.C.P. E. 2005, act. 374 et « Les procédures administratives électroniques réglementées », Dr. adm. 2006, comm. n° 20 ; Caprioli Eric A., « Des échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives d’une part et entre ces dernières d’autre part », J.C.P. A. 2006, étude n° 1079. V. également, C.N.I.L., Délib. n° 2005-280 du 22 novembre 2005 portant avis sur le projet d’ordonnance relatif aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, J.O. 17 déc. 2005.

[30] Rapport « Experts de la relation numérique à l’usager »,

Ministère des Finances, du 12 février 2010, Amélioration de la relation numérique à l’usager : http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/104000078/0000.pdf, p. 7.

[31] V. Koubi G. : « Des ou dé-connexions administratives en messages électroniques », J.C.P. A. 2008, n° 28, étude n° 2170.

[32] Lemaître M.-F., « Téléprocédures administratives : le pari de la confiance », A.J.D.A. 2001, p. 629.

[33] En les transférant sur les administrés ou usagers comme, par exemple, l’impression des formulaires à remettre aux services concernés ou la conservation des documents dématérialisés sur leur propres comptes tel celui de mon.service-public.fr. V. par ailleurs, Ngampio-Olébé-Bélé U., « La dématérialisation des relations entre l’administration et les administrés : regard sur une nouvelle procédure administrative », Rev. adm. 2008, n° 361, p. 80.

[34] V. Boudet J.-F., « La gestion publique au prisme du développement durable : l’administration exemplaire », P.M.P. 2011, vol. 28, n° 4, p. 533.

[35] Benyekhlef K., « L’administration publique en ligne au Canada : précisions terminologiques et état de la réflexion », R.F.A.P. 2004/2, n° 110, p. 270 (citation : Institut Européen d’administration publique, « The eGovernment in Europe : State of Affairs », Villa d’Erba, Côme (Italie), 2003,

http://www.eurocities.org/viewPage.asp?cat=Document&id=D01727).

[36] V. cependant, sur les consultations réalisées par des échanges électroniques entre administrations et entre administrations et administrés : Belrhali-Bernard H., « La nouvelle loi de simplification du droit, le rapport public 2011 du Conseil d’Etat et les consultations sur Internet », Dr. adm. oct. 2011, comm. n° 81; v. aussi, du même auteur : « La pratique des consultations sur Internet par l’administration », R.F.A.P. 2011/1, n° 137-138, p. 181.

[37] V. Thomas I., « Le principe de participation des usagers au fonctionnement des services publics », R.F.D.A. 2004, p. 330.

[38] V. Koubi G., « Une plate-forme sur Internet : mon.service-public.fr », A.J.D.A. 2011, p. 2453.

[39] G. Orwell.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Mariés au premier regard (par Alexandre Charpy)

Voici la 14e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 24e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

L’extrait choisi est celui de l’article de M. Alexandre CHARPY à propos de l’émission Mariés au premier regard. L’article est issu de l’ouvrage qu’il a codirigé Jeu(x) & Droit(s).

Cet ouvrage forme le vingt-quatrième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».

Volume XXIV :
Jeu(x) & Droit(s)

Ouvrage collectif sous la direction de
Alexandre Charpy, Valentin Garcia,
Charlotte Revet & Rémi Sébal

– Nombre de pages : 160
– Sortie : octobre 2019
– Prix : 29 €

– ISBN  / EAN : 979-10-92684-35-3
/ 9791092684353 

-ISSN : 2259-8812

Les jeux de l’amour
et du hasard[1] :
réflexions sur l’émission
de téléréalité
« Mariés au premier regard »

Alexandre Charpy
Doctorant en droit privé,
Université de Toulouse 1 Capitole,
Institut de droit privé (Idp)

Comme chantait Renaud[2], « on choisit ses copains, mais rarement sa famille ». Néan-moins, s’il y a bien un membre de sa famille que l’on choisit, en principe, c’est le conjoint. L’émission de téléréalité « Mariés au premier regard » met en scène des personnes acceptant de se marier avec des inconnus.

Le mariage peut-il être un jeu ? Le Vocabulaire juridique[3] le définit comme l’ « [u]nion légitime d’un homme et d’une femme en vue de vivre en commun et de fonder une famille, un foyer (désigne l’institution même du mariage) ». Cette définition doit cependant être tempérée depuis que le législateur a ouvert l’union matrimoniale aux couples de personnes de même sexe. En tant qu’institution[4], sa nature semble s’opposer, intuitivement, à tout rapprochement avec le jeu, intuition confirmée par ces paroles de Cambacérès : « [l]es hommes deviendront plus attentifs et moins trompeurs, lorsqu’ils verront que des promesses faites par le sentiment ne sont plus un jeu, et qu’ils sont tenus de tous les devoirs de la paternité envers les enfants qu’ils auront signalés comme le fruit d’un engagement contracté sous la double garantie de l’honneur et de l’amour[5] ».

Le jeu est, au sens premier du terme, l’« [a]ction de jouer ; ce qui se fait par esprit de gaieté et par amusement », une « [a]ctivité à laquelle on se livre pour s’amuser, se divertir, sans qu’il y ait aucun enjeu[6] ». Il est possible d’affirmer, intuitivement, que le mariage est rarement conclu dans le seul but de se divertir, mais plutôt en vue de fonder une famille, il existe donc bien un enjeu. Par ailleurs, les juristes sont hostiles au jeu, activité autrefois considérée comme immorale en raison des excès qu’il engendre. Certains auteurs notent à propos du contrat de jeu qu’ « [i]l faut […] mettre à part le jeu et le pari : ce ne sont pas vraiment des contrats. Ces activités relèvent du hasard, de l’amusement, d’un autre système de valeur que le droit[7] ». Le droit est donc une affaire sérieuse alors que le jeu ne l’est pas.

Un rapprochement entre mariage et jeu semble néanmoins être intéressant, à travers l’étude de l’émission de téléréalité « Mariés au premier regard » dont M6 a produit et diffusé trois saisons[8]. Le principe de l’émission est le suivant : deux personnes acceptent de se rendre à la cérémonie de leur mariage sans s’être jamais rencontrées avant. Ces deux candidats ont, avant cela, passé des tests de personnalité, censés déterminer qui ils sont, et ce qui les attire chez l’autre. La production de l’émission assimile d’ailleurs souvent les couples ainsi formés à un pourcentage de compatibilité, calculé par une équipe de « spécialistes », équipe qui commente l’aventure des candidats en continu. Si le couple formé par le mariage ne correspond pas aux attentes de l’un des époux, la voix off précise qu’ils devront divorcer – sans préciser selon quelles modalités. A ce stade, une précision s’impose : il s’agit de véritables mariages, célébrés par un officier de l’état civil, qui porte l’écharpe tricolore. Interviewé par Le Figaro[9], le maire de Grans, qui célèbre les mariages depuis la première saison, a affirmé que les mariages étaient réguliers sur la forme, notamment la publication des bans[10]. Pour autant, les époux sont censés ne jamais s’être rencontrés avant le jour de la cérémonie : il paraît dès lors surprenant que jusqu’alors, aucun candidat n’ait eu l’idée d’aller consulter les panneaux d’affichage de la mairie en question pour faire quelques recherches sur leur futur bien-aimé (à leur place, l’auteur de ces lignes l’aurait fait…). Aucune stipulation contractuelle entre le producteur et le candidat ne saurait d’ailleurs l’interdire, les bans étant justement une mesure de publicité.

L’intérêt du droit pour la téléréalité n’est pas nouveau. La Cour de cassation a déjà eu à connaître, à plusieurs reprises, de litiges opposant des candidats à ces émissions avec les sociétés qui les produisaient, quant à l’existence de contrats de travail[11], hésitant parfois avec la qualification de contrat de jeu[12]. La période précédant la formation du mariage ne peut cependant pas entrer dans le champ contractuel, quelle que soit la nature du contrat. Tout d’abord, les fiançailles n’ont aucune valeur juridique, et ce « afin que fût sauvegardée jusqu’au bout la liberté de chacun[13]». Elles ne constituent qu’un engagement moral. Cependant, l’auteur de la rupture peut, dans certains cas, être considéré comme fautif : les juges font application de la théorie de l’abus de droit, et peuvent à ce titre retenir sa responsabilité du fait personnel. La jurisprudence foisonne d’exemples[14]. Dès lors, aucun lien de nature contractuelle, que ce soit entre les candidats à l’émission de téléréalité, ou entre eux et la société de production, ne saurait empêcher d’exercer cette liberté de ne pas se marier. Aucun scénario ne peut être imposé, par exemple concernant la venue à la mairie pour la célébration, ni, a fortiori, concernant le « oui » matrimonial.

La même réflexion peut être étendue au divorce : le droit français n’admet pas la répudiation. Dès lors, les époux ne sauraient renoncer à leur droit de refuser de divorcer. Un éventuel contrat avec la production ne peut donc contraindre les époux à accepter de divorcer si l’autre le désire. Aucune disposition de nature contractuelle ne peut donc porter sur la conclusion mariage, régie par des normes d’ordre public.

Si le mariage ne peut pas être un jeu, l’analogie peut être intéressante sous deux aspects. Tout d’abord, nous traiterons de la question de l’aléa (I). L’intérêt du jeu réside, outre dans l’éventuel talent du joueur, dans l’aléa qui provoque le plaisir. Or, en principe, le mariage n’est pas un contrat aléatoire. Si l’on ne connaît jamais parfaitement la personne que l’on épouse, l’aléa est tout de même très réduit. D’ailleurs l’erreur dans la personne ou sur les qualités essentielles de la personne peut vicier le consentement d’un époux, ce qui justifiera la nullité du mariage. Si l’aléa chasse l’erreur, et si le mariage était considéré comme un contrat aléatoire, aucune erreur ne saurait être admise.

Deuxièmement, l’intérêt de cette réflexion résidera dans l’étude de l’enjeu du mariage. Nous l’avons dit, le jeu se caractérise par le fait que l’activité d’amusement n’a, en principe, pas d’enjeu, ou du moins il n’est pas important. Or, le mariage crée des enjeux non négligeables : même si sa dimension institutionnelle tend à s’atténuer, les époux s’engagent à des devoirs impératifs, que nous détaillerons. Le mariage donne notamment la qualité d’héritiers réservataires aux époux, ce qui peut produire des effets sur la dévolution successorale. Or, l’émission étudiée rend perplexe sur les enjeux du mariage : la voix off insiste sur le fait que les candidats vont peut-être prendre un engagement important – sans expliquer en quoi il l’est – en affirmant que c’est un véritable mariage, pour capter l’attention du téléspectateur. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de cette émission ! Des mariages simulés, joués, ne séduiraient pas tant, et soulèveraient d’ailleurs moins de questions. Pourtant, le simple fait que des personnes acceptent de se marier avec un inconnu conduit à s’interroger sur l’enjeu du mariage : outre le fait qu’il soit probablement méconnu, n’est-il pas devenu disproportionné, eu égard à ce que certains auteurs qualifient de contractualisation de l’institution matrimoniale ? (II).

I. Le jeu du mariage : le hasard

Rares sont ceux qui peuvent affirmer parfaitement connaître la personne qu’ils épousent. L’autre peut, fort heureusement, encore réserver bien des surprises après la formation du mariage. Le droit n’a bien évidemment eu à connaître que des mauvaises surprises. Si le dol n’est pas admis, parce que les mensonges font partie du jeu de la séduction[15], le législateur a prévu le cas de l’erreur[16]. L’article 180 du Code civil admet aujourd’hui deux sortes d’erreurs : l’erreur « dans la personne » et l’erreur « sur les qualités essentielles de la personne ».

L’erreur dans la personne s’entend comme l’erreur sur l’identité de l’époux, identité physique ou civile. En 1975, le législateur a inséré dans le Code civil l’erreur sur les qualités essentielles de la personne[17], alors que les juges l’avaient refusée dans le célèbre arrêt Berthon[18], affaire dans laquelle « la Cour de cassation […] avait rejeté l’action en nullité intentée par une fille de bonne famille qui avait, sans le savoir, épousé un forçat libéré[19] ». La jurisprudence a pu préciser les contours de cette notion. La plus fameuse de ces affaires étant celle dans laquelle un homme avait découvert que son épouse n’était pas vierge le jour de la célébration du mariage, ce qui heurtait ses convictions religieuses. Le Tgi de Lille avait prononcé la nullité du mariage, retenant une erreur sur les qualités essentielles, parce que cette erreur avait été déterminante du consentement de l’époux[20]. La cour d’appel de Douai a infirmé cette décision, au motif que « en toute hypothèse le mensonge qui ne porte pas sur une qualité essentielle n’est pas un fondement valide pour l’annulation d’un mariage. Tel est particulièrement le cas quand le mensonge prétendu aurait porté sur la vie sentimentale passée de la future épouse et sur sa virginité, qui n’est pas une qualité essentielle en ce que son absence n’a pas d’incidence sur la vie matrimoniale[21] ». Au critère subjectif de l’erreur – elle doit avoir été déterminante du consentement de l’errans – la cour ajoute donc un critère objectif : l’erreur doit avoir une incidence sur la vie matrimoniale, et donc concerner un aspect important du mariage.

Mais l’erreur peut-elle être admise si les époux ne se connaissaient pas avant la célébration de leur union ? Un parallèle avec le droit commun des contrats semble intéressant, et notamment avec le fameux arrêt Fragonard[22], dans lequel la Cour de cassation avait considéré, concernant une œuvre d’art, que « ainsi accepté de part et d’autre, l’aléa sur l’authenticité de l’œuvre avait été dans le champ contractuel ; qu’en conséquence, aucune des deux parties ne pouvait alléguer l’erreur en cas de dissipation ultérieure de l’incertitude commune, et notamment pas le vendeur ni ses ayants-cause en cas d’authenticité devenue certaine ». L’analogie avec le mariage semble donc intéressante, même s’il n’est pas un contrat de droit commun et qu’il n’est bien entendu pas question d’authenticité. Par ailleurs, la mobilisation de notions de droit des contrats concernant la formation du mariage n’est pas nouvelle, les vices du consentement en sont un exemple. Cela peut s’expliquer par le fait que « l’on considère le mariage comme une institution ayant à sa base, sinon un contrat, du moins, notion plus large – un acte juridique, un accord de volontés[23] ». S’il est possible de voir l’acte juridique fondateur du mariage comme un contrat, il ne semble pas y avoir d’obstacle à lui appliquer les règles du droit commun des contrats concernant l’erreur, sauf bien entendu si le juge en a décidé autrement, eu égard à la nature particulière du mariage. Il convient par ailleurs de relever que la réforme du droit des obligations retient désormais l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation – et non plus sur la substance de la chose – ou du cocontractant, ce qui renforce l’intérêt de l’analogie avec l’erreur sur les qualités essentielles du conjoint, tout en prenant en compte la prudence que nécessite la distinction entre les personnes et les choses[24].

Les époux acceptent-t-ils un aléa ? L’aléa peut se définir, dans le langage juridique comme un « [é]lément de hasard, d’incertitude qui introduit, dans l’économie d’une opération, une chance de gain ou de perte pour les intéressés et qui est l’essence de certains contrats[25] ». Cette définition renvoie à d’autres occurrences, comme celles de fortune ou de jeu. Plus précisément, l’aléa est un « événement de réalisation ou de date incertaine dont les parties à une convention acceptent de faire dépendre le montant de tout ou partie de leurs prestations réciproques de telle sorte qu’il soit impossible de savoir, avant complète exécution, s’il y aura un bénéficiaire ou qui ce sera[26] ». Entendue ainsi, la notion d’aléa semble surtout concerner des opérations de nature financière : le joueur, le cocontractant, espère retirer un bénéfice en valeur de la formation du contrat. Concernant l’émission de téléréalité, l’aléa ne porte pas sur de telles considérations, mais directement sur la personne que le candidat va épouser d’une part, et sur le succès sentimental de l’opération d’autre part.

Outre le fait que l’aléa porte ici sur le futur époux, c’est-à-dire que l’intuitu personae est la condition de réussite, les futurs époux sont réunis par des « experts », deux psychologues et une sexologue[27]. Dès lors, les connaissances scientifiques sont-elles suffisamment avancées pour déterminer avec certitude la compatibilité amoureuse et la durabilité d’une relation[28] ? Si tel est le cas, l’appréhension de l’aléa pourrait être bien différente ! Les tests passés par les candidats ont de quoi impressionner : outre les questionnaires qu’ils remplissent pour renseigner leurs préférences, ils écoutent les voix préenregistrées d’autres candidats – une voix que nous jugerions insupportable pourrait avoir raison de n’importe quelle relation… – ; ils sentent des vêtements portés par d’autres candidats pendant plusieurs jours, bien entendu avec interdiction de mettre du parfum ou du déodorant, parce que nous serions plus attirés – ou moins incommodés – par certaines odeurs corporelles… Pour autant, au moins l’un des experts a perdu de sa crédibilité lors de la parution d’un article de 20 Minutes[29], dans lequel le lecteur apprend que le sociologue de l’émission gagnerait sa vie en apprenant notamment à ses clients à « dresser les femmes », ce qui laisse perplexe sur ses compétences scientifiques[30]. En outre, si les tests passés par les candidats semblent démontrer une évolution dans la connaissance de la chimie amoureuse, l’observation des résultats permet d’émettre des doutes sur leur efficacité : au cours de la première saison, quatre couples ont été formés. Deux ont refusé de se marier[31]. Les deux autres ont conclu leur mariage, mais ont divorcé plus tard. La deuxième saison semblait se terminer sur une note plus optimiste, puisque les cinq couples formés par les « experts » ont accepté de se marier. Quatre ont décidé de rester mariés à la fin de l’ « expérience ». Ils sont néanmoins aujourd’hui tous divorcés[32] ! L’émission a été diffusée à l’automne 2017, les mariages probablement conclus l’été précédent, ce qui laisse perplexe sur la longévité de ces unions.

Donc, si l’on se fie aux résultats obtenus, les probabilités de réussite sont très faibles – proches de zéro. D’autant plus si l’on se réfère aux statistiques en matière de divorce[33] : en 2016, pour 100 000 couples mariés, 41 ont divorcé dans l’année suivant le mariage, soit beaucoup moins que les candidats de l’émission. Les tests passés par les candidats ne semblent donc garantir aucune compatibilité amoureuse.

La conclusion qui peut être tirée de ces résultats est que ces tests, ces « experts », ne sont rien d’autre qu’un produit marketing, destiné à séduire les potentiels téléspectateurs[34]. Si la science permet de déterminer quelques paramètres ayant une influence sur le bon fonctionnement d’une relation sentimentale, il reste que le sentiment amoureux est encore tout à fait inconnu, et donc que l’aléa qu’acceptent les candidats est extrêmement important, puisque si l’on se fie aux statistiques après deux saisons, ils ont 0% de chances de rester mariés[35]

Dès lors, il semble qu’aucune erreur ne puisse être invoquée par les époux : ils se sont mariés avec des personnes parfaitement inconnues, sans certitude du fonctionnement de leur union. Les futurs époux sont assurés que l’autre est âgé de plus de vingt-cinq ans, il est probablement du sexe opposé, et c’est tout ! Pour que l’erreur soit retenue, il faut pouvoir se prévaloir d’une appréciation fausse de la réalité, ici la réalité n’est pas mal appréciée, elle est totalement inconnue, et le mariage a été conclu malgré tout. Le consentement n’est donc pas vicié.

II. L’enjeu du mariage : l’amour

Le cadre institutionnel du mariage semble s’opposer à toute analogie avec le jeu. N’est-il pas néanmoins devenu un moyen d’atteindre le bonheur en institutionnalisant, en montrant à tous, une relation d’amour (A) ? La nature de ce pari n’est-elle pas incompatible avec l’institution matrimoniale (B) ?

A. Un pari sur l’amour

Nous souhaitons, avant toute chose, revenir sur la définition du jeu que donne le dictionnaire de l’Académie française. Il s’agirait d’une activité à laquelle on se livre, sans qu’il y ait le moindre enjeu. Il convient de tempérer cette information. La littérature nous fournit des exemples de jeux aux enjeux important. Nous prendrons pour exemple le joueur décrit par Stefan Zweig qui joue pour rembourser ses dettes[36]. Pour cela, il doit emprunter de l’argent. Il gagne rapidement de quoi rembourser ses dettes, mais pris par la passion du jeu, il continue jusqu’à tout perdre de nouveau, et ses dettes s’accroissent ainsi. Il finit par se suicider. Le jeu peut donc avoir un enjeu important. Un auteur[37] relève également que « [c]elui qui joue à la roulette russe est clairement dans un autre état d’esprit que celui qui joue avec un petit élastique ou fait un bon mot. […] Les idées de plaisir, d’amusement, de joie, qui sont le plus souvent associées au comportement ludique, semblent difficilement compatibles avec le stress de celui qui va presser la détente ». Peut-on encore parler de jeu ?

Concernant le mariage, nous ne nous marions plus exclusivement pour des raisons patrimoniales, ni pour procréer, le mariage étant ouvert aux couples de personnes de même sexe. Tout d’abord, le mariage est parfois le résultat d’une pression sociale forte, qu’elle émane de la famille ou du cercle d’amis. Les candidats de l’émission « Mariés au premier regard » semblent avant tout motivés par le fait qu’ils estiment anormal de ne pas encore avoir rencontré l’amour à leur âge, et voient l’émission comme leur dernière chance de réussir à rencontrer une personne avec qui ils puissent fonder une relation stable. Le mariage, présenté par l’émission, est donc vu comme un moyen de stabiliser une relation naissante.

Dans la grande majorité des situations, les futurs époux souhaitent donner un cadre à une relation d’amour[38]. L’amour ne reçoit pas de définition unanime. Pour Hannah Arendt, c’est une relation dans laquelle deux êtres incomplets cherchent leur complétude dans l’autre pour ne former qu’un tout. Cette complétude et cette fusion disparaissent avec la naissance d’un enfant, qui s’interpose nécessairement entre les deux amants[39]. Alain l’assimile partiellement au bonheur : « [a]ussi n’y a-t-il rien de plus profond dans l’amour que le serment d’être heureux. Quoi de plus difficile à surmonter que l’ennui, la tristesse ou le malheur de ceux que l’on aime ? Tout homme et toute femme devraient penser à ceci que le bonheur, j’entends celui que l’on conquiert pour soi, est l’offrande la plus belle et la plus généreuse[40] ». Les juristes peinent à saisir l’amour, car il « est, de nature, étranger-au-monde et c’est pour cette raison plutôt que pour sa rareté qu’il est non seulement apolitique, mais même antipolitique – la plus puissante, peut-être, de toutes les forces antipolitiques[41] ». L’amour est un sentiment très personnel, qui n’est pas quantifiable, et très fuyant. Dès lors, le seul amour semble impropre à fonder le mariage en tant qu’institution, parce que l’institution poursuit justement un but politique, social[42]. L’amour n’a rien de social, il ne concerne que les deux amants. La notion de volonté serait probablement plus satisfaisante pour saisir le lien des époux, même si elle n’est pas synonyme de l’amour. Mais la seule volonté ne suffit pas non plus à expliquer la nature institutionnelle du mariage. Ce qui permet de définir le mariage comme une institution, ce sont les règles constituant le régime primaire impératif, aux articles 212 et suivants du Code civil, parce que les époux ne peuvent y déroger, même par un commun accord[43]. Mais le seul fait d’adhérer au statut légal préétabli d’époux ne suffit pas à établir l’intention matrimoniale, c’est-à-dire « l’intention de fonder une famille[44] ».

Dès lors, le mariage peut-il être réduit à un moyen de fonder une relation d’amour ? Les candidats ont-ils réellement l’intention de fonder une famille avec l’inconnu(e) qu’ils épousent ? Rien n’est moins sûr… D’ailleurs, cette utilisation du mariage comme moyen de se rencontrer, ou comme un contrat de courtage matrimonial, a de quoi choquer, eu égard à la dimension solennelle du mariage qui ressort du Code civil. Dans ce cas, les mariages conclus dans le cadre de l’émission pourraient probablement être considérés comme nuls.

L’émission étudiée et l’instrumentalisation du mariage à des fins commerciales qu’elle implique pose la question suivante : l’institution matrimoniale est-elle toujours en accord avec les mœurs ? Nous aspirons sans cesse à une plus grande liberté. Ce désir de liberté semble incompatible avec le cadre matrimonial. Il devient donc urgent pour les juristes de (re)découvrir ce qui fonde aujourd’hui le mariage, au risque de le voir se confondre avec le Pacs et de disparaître. La notion d’institution pose beaucoup de difficultés aux juristes, parce qu’on n’en retient pas de définition précise. Majoritairement, la doctrine s’accorde pour dire que la dimension institutionnelle du mariage réside en ce que « fruit par excellence de la volonté des époux au moment de sa conclusion, il échappait largement à celle-ci dès l’instant où il s’agissait d’en déterminer les principaux effets et les modes de dissolution[45] ». Une remarque nous vient cependant : les effets juridiques du mariage n’expliquent pas la raison de sa nature institutionnelle. Il est possible de déterminer la nature d’une notion à partir de ses effets quand il y a une cohérence d’ensemble. Or, concernant le mariage, c’est le désordre qui semble régner, probablement parce qu’il est difficile de saisir ce qui le justifie[46]. Non fondée sur la procréation, non fondée sur l’amour, la légitimité de l’institution matrimoniale nous est invisible : alors que le législateur a maintenu la forme solennelle du mariage, son caractère public, alors qu’il a créé un statut d’héritier réservataire au conjoint survivant[47], alors qu’il a maintenu le devoir de fidélité, alors que la jurisprudence lui porte un regard moins hostile[48], il n’en a pas moins facilité la rupture de l’union, notamment par simple convention homologuée par un notaire[49].

B. Un pari incompatible avec la nature institutionnelle du mariage

Les producteurs de l’émission, bien que mettant en avant l’audace des candidats à contracter un lien si fort avec une personne inconnue, omettent de préciser les conséquences du mariage, n’hésitant pas, parfois, à mentir en les minimisant[50]. Outre le fait qu’il crée un lien familial – en raison de la nature institutionnelle du mariage – il institue l’époux comme héritier réservataire[51], la réserve héréditaire étant d’ordre public[52]. Dès lors, peu importe que le mariage ait été conclu avec un parfait inconnu, si l’un des époux décède au cours du mariage, l’autre aura droit à une part de la succession du de cujus.

Il est en revanche peu probable que le juge accorde une prestation compensatoire[53] à l’occasion du divorce, vu la courte durée de l’union[54]. Sur la question d’une faute éventuelle, le juge en apprécie souverainement l’existence : là encore, eu égard à la durée de l’union et aux conditions dans lesquelles elle a été conclue, il est peu probable que le juge la retienne.

En revanche, la difficulté peut naître dans la possibilité elle-même de divorcer. Le droit civil français ne reconnaît pas la répudiation, c’est-à-dire la révocation unilatérale du lien matrimonial. Seules quatre formes de divorces sont permises : le divorce par consentement mutuel, le divorce dit « accepté », le divorce pour altération définitive du lien conjugal, et le divorce pour faute. Cette dernière possibilité est difficilement envisageable, nous l’avons dit. Pour ce qui est du divorce par consentement mutuel et du divorce accepté, l’accord de principe des deux époux est nécessaire. Or, il n’est pas impossible que l’un des deux époux, par simple désir de nuisance, refuse de divorcer ! Ainsi, quelles que soient les conditions dans lesquelles le mariage a été contracté, si l’un des époux refuse de divorcer, la seule option restante est le divorce pour altération définitive du lien conjugal, nécessitant, pour être retenu, une séparation de fait d’au moins deux ans[55] ! Il convient également de relever, à titre de remarque, que la vie commune est une obligation du mariage. Dès lors, l’époux quittant le domicile conjugal commet une faute au sens de l’article 242 du Code civil, là encore souverainement appréciée par les juges du fond.

Un décalage apparaît donc entre ce qu’attendent les candidats de l’émission du mariage qu’ils concluent, et sa dimension institutionnelle en ce qu’il crée un lien familial. Ce sont justement ces effets de droit, imposés aux futurs époux, qui rendent le mariage incompatible avec le jeu. L’institution matrimoniale se caractérise par sa durabilité par rapport aux volontés personnelles. En contraignant les époux à une procédure de divorce pour sortir du mariage, les règles du Code civil invitent à la réflexion avant de contracter un tel engagement. L’intention matrimoniale supposerait donc l’intention de créer un lien familial, et donc un lien durable. Or, les candidats de l’émission font valoir qu’en cas d’échec de leur relation, ils divorceront. La voix off informe d’ailleurs qu’au terme de l’expérience, qui dure à peine quelques semaines, les époux devront décider s’ils souhaitent rester mariés ou divorcer. Le divorce éventuel est donc programmé, ou du moins envisagé, avant la conclusion du mariage.

Surtout, le mariage est qualifié, par la voix off et par les candidats, d’expérience, dérivée du latin expiri, « faire l’essai de[56] ». Or, le mariage nécessitant une intention matri-moniale, l’intention se définit juridiquement comme la « résolution intime d’agir dans un certain sens[57] ». Ainsi, le fait de faire l’essai du mariage, c’est-à-dire d’en faire l’« [é]preuve, expérience ou expérimentation par laquelle on s’assure […] de la valeur d’une théorie ou d’un procédé[58] » est par nature incompatible avec toute forme de résolution intime : le scientifique qui fait une expérience n’est pas certain d’agir dans le bon sens, il attend le résultat pour en avoir la certitude. Un mariage à l’essai est donc nécessairement incompatible avec une quelconque intention matrimoniale.

Par conséquent, il est possible de considérer que le mariage n’est pas valable, en raison de l’absence d’intention matrimoniale. Selon une jurisprudence de la Cour de cassation bien établie[59], « le mariage est nul, faute de consentement, lorsque les époux ne se sont prêtés à la cérémonie qu’en vue d’atteindre un résultat étranger à l’union matrimoniale ». Les candidats de l’émission cherchent uniquement l’amour, qui est étranger à l’institution matrimoniale. La nullité absolue du mariage pourrait donc être soulevée par toute personne qui y a un intérêt[60]. Peut-être que de nombreux futurs mariés se consolent d’un éventuel mauvais choix en songeant au divorce. Dans le cas de l’émission « Mariés au premier regard », les futurs époux extériorisent cette possibilité, et la font valoir devant des millions de téléspectateurs. Les juges auraient donc la preuve irréfutable de cette absence d’intention matrimoniale.

Les membres de la famille des futurs époux, notamment les parents, souvent dévastés par le fait que leur progéniture participe à une telle émission, pourraient donc former une opposition au mariage, sur le fondement de l’article 173 du Code civil pour les ascendants. La loi ne fixe pas de limites quant aux motifs de l’opposition des parents, elle doit néanmoins être fondée sur un motif tiré des conditions de formation du mariage. Dès lors, les parents semblent pouvoir former une opposition aux mariages conclus dans l’émission « Mariés au premier regard », sous réserve de l’appréciation souveraine des juges du fond.

On choisit ses copains, mais rarement sa famille. On ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa belle-famille – ni, a fortiori, son beauf’ – mais on choisit la personne que l’on épouse. Les jeunes générations souffriraient du trop grand choix qui s’offre à elles, notamment à cause des applications de rencontre qui nous permettent d’entrer en contact avec beaucoup de personnes. Plus nous aurions de choix, plus nous serions malheureux, par peur de faire le mauvais[61]. Il est encore préférable de mal choisir, plutôt que de laisser quelqu’un d’autre le faire à notre place, d’autant plus si cette tierce personne est une société de production dont la priorité n’est pas le bonheur sentimental de ses candidats, mais le nombre de téléspectateurs.

Peut-être faut-il, enfin, accepter que la science et le progrès de la connaissance ne peuvent pas résoudre toutes les grandes questions. S’il est préférable de bien connaître la personne que l’on épouse, il est peut-être tout aussi souhaitable de continuer à se rencontrer par hasard, le bonheur n’en est alors que plus vif. C’est ce dont Silvia témoigne dans la pièce de Marivaux : « vous avez fondé notre bonheur pour la vie en me laissant faire, c’est un mariage unique, c’est une aventure dont le seul récit est attendrissant, c’est le coup du hasard le plus singulier, le plus heureux, le plus[62] ».


[1] Marivaux, Le jeu de l’amour et du hasard.

[2] Renaud, « Mon beauf ».

[3] G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 11e éd., Ahc, Paris, Puf, coll. Quadrige, 2016, v. « Mariage », p. 645.

[4] Ibid., v. « Institution », p. 557 : « En un sens général et large, éléments constituant la structure juridique de la réalité sociale ; ensemble des mécanismes et des structures juridiques encadrant les conduites au sein d’une collectivité ».

[5] Discours préliminaire de Cambacérès au Conseil des Cinq-cents in P-A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. 1, p. 148.

[6] Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., v. « Jeu », https://academie.atilf.fr/9/.

[7] Ph. Delebecque, F. Collart Dutilleul, Contrats civils et commerciaux, Paris, Dalloz, 11e éd., coll. Précis, 2019, p. 26.

[8] La troisième saison est en cours de diffusion au moment où ces lignes sont rédigées.

[9] « Le maire de « Mariés au premier regard » : « Je ne suis pas là pour savoir s’ils s’aiment ou pas » », Le Figaro, 21 nov. 2016, http://tvmag.lefigaro.fr/programme-tv/le-maire-de-maries-au-premier-regard-je-ne-suis-pas-la-pour-savoir-s-ils-s-aiment-ou-pas-_3a811bd0-afca-11e6-8924-aaf6bf1e52ea/.

[10] C. civ., art. 63.

[11] Cass. soc., 3 juin 2009, n° 08-40981 à 08-40983 / 08-41712 à 08-41714 : Rldi,2009, n° 50, p. 48, note L. Costes, Ssl,2009, n° 1403, p. 3, note A. Fossaert-Sabatier ; Ssl, n° 1411, p. 11, note A. Fossaert-Sabatier ; Jcp G.,2009, n° 25, p. 35 ; Jcp G., n° 37, p. 37, note D. Feldman ; Jcp S.,2009, n° 25, p. 3, note P.-Y. Verkindt ; Lexbase Hebdo – Ed. sociale, 2009, n° 355, note Ch. Radé ; D.,2009, n° 23, p. 1530, note M. Serna ; D., n° 37, p. 2517, note B. Edelman ; Jsl,2009, n° 258, p. 9, note M. Hautefort ; Rlda,2009, n° 40, p. 55, note S. Darmaisin ; Rtd. com. 2009, n° 3, p. 623, note F. Pollaud-Dulian ; Gaz. Pal.,2009, n° 186-188, p. 12 ; Jcp E.,2009, n° 28-29, p. 33, note B. Thouzellier ; Lpa,2009, n° 152, p. 12, note L. Cantois ; Lpa., n° 168, p. 7, note C-M. Simoni ; Rjs,2009, n° 8, p. 615 ; Ds,2009, n° 9-10, p. 930, note Ch. Radé ; Rdt,2009, n° 9, p. 507, note G. Auzero ; Do,2009, n° 734, p. 405, note F. Heas ; Rc,2009, n° 2009/4, p. 1407, note Ch. Neau-Leduc ; Csbp,2009, n° 214, p. 250, note F-J. Pansier ; Cce, 2010, n° 1, p. 27, note Ph. Stoffel-Munck ; Rdlf, 2009, chron. n° 12, comm. N. Baruchel.

[12] Cass. soc., 25 juin 2013, n° 12-13968 et 12-17660 : Lexbase Hebdo – Ed. sociale,2013, n° 536, note Ch. Rade ; Csbp,2013, n° 255, p. 345, note J. Icard ; Jsl,2013, n° 350, p. 16, note F. Lalanne ; Rjs,2013, n° 10, p. 585 ; Jcp S.,2013, n° 40, p. 22, note Th. Lahalle ; Rdt,2013, n° 10, p. 622, note D. Gardes ; Rlda,2013, n° 88, p. 40, note V. Monteillet ; Do, 2014, n° 787, p. 99, note A. Mazières ; Auteurs & Media, 2014, n° 1, p. 18, note V. Gutmer ; Cass. soc., 4 février 2015, n° 13-25621, 13-25622, 13-25623, 13-25624, 13-25625 et 13-25626 : Legipresse,2015, n° 325, p. 146 ; RjS, 2015, n° 4, p. 227 ; Rdt,2015, n° 4, p. 252, note B. Géniault ; Jurisart, 2015, n° 27, p. 42, note X. Aumeran.

[13] J. Carbonnier, Droit civil, t. 1., 2e éd., Paris, Puf, coll. Quadrige, 2017, p. 1148.

[14] Par ex : Cass. civ., 1e, 4 mars 1964 : « il avait “au dernier moment brutalement rompu” la promesse de mariage ainsi faite à la jeune fille, sous le “prétexte que sa famille ne voulait pas de ce mariage”, sans pouvoir “articuler à (son) encontre aucun reproche valable, tandis que l’ayant abusée gratuitement… Son comportement vis-à-vis d’elle revêt le caractère d’une négligence ou d’une imprudence telle que celles visées à l’article 1383 du code civil” » ; Cass. civ., 2e, 18 janv. 1973, n° 71-13001 : « faisant suite à des lettres dans lesquelles rien ne laissait apparaitre un conflit de tempéraments ou de caractère, rendant souhaitable la rupture entre deux êtres qui n’étaient pas faits l’un pour l’autre, Janicot avait envoyé à sa fiancée, à laquelle il avait promis le mariage et qui était enceinte de ses œuvres, une lettre de rupture ne contenant aucun fait précis ;[…] Que la cour d’appel observe que la simple affirmation, par Janicot, d’une divergence sur le plan moral et sur celui du caractère, sans autres précisions, pour expliquer la rupture des fiançailles, ce après avoir eu avec demoiselle Y… suivies, après l’avoir présentée à sa famille, après lui avoir fait des promesses de mariage et avoir fixé, dans sa correspondance, une date proche de mariage, ne suffit pas à justifier ce comportement ; […] Alors qu’aucun grief ou motif pour ne pas réaliser cette union n’est démontré par Janicot, qui a agi avec caprice ou légèreté, voire avec déloyauté et perfidie ».

[15] Selon l’adage de Loysel, « En mariage trompe qui peut ».

[16] La violence est également admise. Néanmoins, malgré la présence des caméras et l’instabilité émotionnelle évidente des candidats de l’émission, il semble difficile de l’admettre, la jurisprudence l’ayant reconnue dans des situations extrêmes. D’ailleurs, tout mariage n’est-il pas porteur d’incertitudes et de pressions … ?

[17] L. n° 75-617, 11 juill. 1975.

[18] Cass. ch. réunies, 24 avr. 1862, S. 1862, I, 341 ; D.,1862, I, 153.

[19] J. Carbonnier, op. cit., p. 1172.

[20] Tgi Lille, 1er avr. 2008 : D.,2008. 1389, note X. Labbee ; D., 2008, pan. 1788, obs. J-J. Lemouland et D. Vigneau ; Jcp G., 2008, II. 10122, note G. Raoul-Cormeil ; Aj Fam., 2008, p. 300, obs. F. Chenede ; Rjpf,2008-7-8/10, note F. Dekeuwer-Defossez ; Rldc,2008/51, n° 3063, note C. Bernard-Xemard ; Rldc, n° 3066, obs. G. Marraud des Grottes ; Rtd. civ. 2008, p. 455, obs. J. Hauser.

[21] CA Douai, 17 nov. 2008 : D.,2008, p. 2938, obs. V. Egea ; D., 2010, pan. 728, obs. J-J. Lemouland et D. Vigneau ; Jcp G., 2009, I. 102, n° 1, obs. A. Gouttenoire ; Gaz. Pal.,2008, p. 3783, note E. Pierroux ; Aj fam.,2008, p. 479, obs. F. Chenede ; Dr. fam.,2008, p. 167, obs. V. Larribau-Terneyre ; Jcp G., 2008, II. 10005, note Ph. Malaurie ; Rjpf 2009-1/26, note A. Leborgne ; Rldc 2008/55, n° 3228, obs. G. Serra ; ibid. 2009/57, n° 3304, note F. Dekeuwer-Defossez ; Rtd. civ. 2009, p. 98, obs. J. Hauser.

[22] Cass. civ., 1e, 24 mars 1987 : D.,1987, p. 489, note J-L. Aubert ; Jcp G., 1989, II. 21300, note M-F. Vieville-Miravete.

[23] J. Carbonnier, op. cit., p. 1141.

[24] Sur ce point, Madame Dekeuwer-Défossez notait en 2008 que « [l]es rapprochements qui ont pu être faits entre l’annulation du mariage pour défaut de virginité et l’annulation d’autres contrats n’ont pas seulement été inélégants et injurieux ; ils ont surtout montré que la notion de “qualité”, pertinente lorsqu’on acquiert un bien ou lorsqu’on effectue un investissement, n’a rien à faire avec le choix d’une personne. De ce point de vue, la rédaction du Code de 1804, n’évoquant que l’erreur “dans la personne”, était beaucoup plus respectueuse de la dignité inhérente à tout être humain, qui ne saurait être défini par ses “qualités”» (F. Dekeuwer-Défossez, « Les sept voiles de la mariée », Rjpf, 2008,n° 7-8).

[25] G. Cornu, op. cit., p. 53.

[26] Ibid.

[27] Qui a par ailleurs quitté la troisième saison.

[28] Sur cette question, v. E. Lecomte, « Mariés au premier regard : peut-on vraiment trouver l’amour grâce à la science ? », Sciences et avenir, 14 nov. 2016.

[29] « “Mariés au premier regard” : L’expert en amour qui donne des conseils pour “séduire les petites sal****” », 20 Minutes, 7 nov. 2016, https://www.20minutes.fr/television/1953671-20161107-maries-premier-regard-expert-amour-donne-conseils-seduire-petites-sal.

[30] Il n’est d’ailleurs intervenu qu’au cours de la première saison.

[31] L’un des deux couples présentait un taux de compatibilité de 87%…

[32] Il convient d’ailleurs de noter que des couples se sont formés entre candidats après le tournage de l’émission, mais ces couples ne sont pas ceux qui avaient été formés par les « experts ». V. en ce sens : « Surprise ! Emma de Mariés au premier regard a trouvé l’amour… avec un autre candidat ! », Téléstar, 10 décembre 2018, consulté le 28 mai 2019 (https://www.telestar.fr/tele-realite/autres-emissions/surprise-emma-de-maries-au-premier-regard-a-trouve-l-amour-avec-un-autre-candida-395206) ; « “Mariés au premier regard” : Tiffany et Justin, en couple malgré M6 », Le Parisien, 13 novembre 2017, consulté le 28 mai 2019 (http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/tv/maries-au-premier-regard-tiffany-et-justin-en-couple-malgre-m-6-13-11-2017-7389003.php).

[33] V. site internet de l’Insee : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381502.

[34] La plateforme de replay de M6 présente d’ailleurs les vidéos de l’émission dans sa rubrique « Divertissements ».

[35] La présente contribution ayant été présentée au cours d’une journée d’études en octobre 2018, cette statistique doit être revue légèrement à la hausse, puisque parmi les couples formés par les experts de la troisième saison, diffusée en février 2019, un couple serait toujours marié : « Mariés au premier regard : les six couples de la saison 3 sont-ils toujours ensemble ? », lefigaro.fr, 2 avril 2019 (http://tvmag.lefigaro.fr/programme-tv/maries-au-premier-regard-les-six-couples-de-la-saison-3-sont-ils- toujours-ensemble_ec6af0be-5540-11e9-b11d-b90b43d16f3d/).

[36] S. Zweig, « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme » in Romans, nouvelles et récits, Paris, Gallimard, coll. bibliothèque de la Pléiade n° 587, 2013.

[37] S. Chauvier, Qu’est-ce qu’un jeu ?, Vrin, coll. Chemins philosophiques, p. 14.

[38] Monsieur Cornu a d’ailleurs écrit qu’« [i]l est raisonnable d’interdire à une impubère, mais non à un centenaire puisqu’on peut s’aimer à tout âge et que, pour lors, le mariage est seulement plus près du ciel que de la terre » (G. Cornu, « L’âge civil », in Mél. P. Roubier, t 2, Dalloz & Sirey, 1961, p. 9).

[39] H. Arendt, Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, coll. Agora, 1994, p. 308.

[40] Alain, Propos sur le bonheur, Gallimard, coll. Folio/essais, 1928, p. 210.

[41] H. Arendt, op. cit., p. 309.

[42] D. Fenouillet, « Du mythe de l’engendrement au mythe de la volonté » in La famille en mutation, Apd, t. 57, 2014, p. 40 : « l’amour ne peut fonder seul un lien juridique car il renvoie à une notion insaisissable, multiforme et ambivalente. La vocation du droit à pénétrer un tel registre est en outre douteuse, ce pour diverses raisons : ineffectivité et illégitimité du juridique dans un domaine où règnent la morale, la religion, le non-droit ».

[43] D. Fenouillet, « La contractualisation de la famille ? » in B.Basdevant-Gaudemet (dir.), Contrat ou Institution : un enjeu de société, Paris, Lgdj, coll. Systèmes, 2004, p. 104 : « Coste-Floret proposa de substituer un autre sens, plus technique et moins politique, celui de statut légal. L’institution est alors un statut déterminé par la loi auquel le sujet se borne à adhérer, sans pouvoir en déterminer le contenu, les effets… ».

[44] M. Lamarche, Rép. civ. Dalloz, v. « Mariage », n° 64.

[45] M-Th. Meulders, « L’évolution du mariage et le sens de l’histoire : de l’institution au contrat, et au-delà » in Le droit de la famille en Europe, Pus, coll. Publications de la Maison des Sciences de l’Homme de Strasbourg, n° 7, 1992, p. 218.

[46] J. Garrigue, Droit de la famille, 1e éd., Dalloz, coll. Hypercours, 2015, p. 49 : « [a]u cours des dernières décennies, les innombrables réformes du droit de la famille ont en effet radicalement transformé l’union conjugale. Or elles ont souvent été adoptées pour répondre à des besoins ponctuels et sans que les parlementaires s’interrogent suffisamment sur les fonctions de l’institution matrimoniale […]. Dans ces conditions, ces dernières sont devenues assez incertaines ; on ne les discerne plus qu’à grand peine ».

[47] L. n° 2001-1135, 3 déc. 2001, relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral.

[48] V. par exemple : Cass. civ., 1e, 17 déc. 2015, n° 14.29549 : Rldi,2016, n° 122, p. 21, note L. Costes ; Légipresse, 2016, n° 334, p. 8 ; Lexbase Hebdo – Ed. privée générale,2016, n° 641, note M-A. Cochard ; Rpdp,2016, n° 1, p. 141, note A. Lepage ; D.,2016, p. 277, pan. E. Dreyer ; Gaz. Pal.,2016, n° 8, p. 31, note. F. Fourment ; Rjpf,2016, n° 3, p. 14, note E. Fragu ; Rldc,2016, n° 135, p. 41, note M. Desolneux ; Dr. fam.,2016, n° 3, p. 1, note H. Fulchiron ; Dr. fam., 2016, n° 3, p. 39, note J-R. Binet ; Jcp G.,2016, n° 11, p. 505, note A. Latil ; Jcp G., 2016, n° 38, p. 1723, chron. A. Gouttenoire et M. Lamarche ; Jcp G., 2016, n° 46, p. 2101, chron. B. Beignier ; D.,2016, n° 13, p. 724, note E. Raschel ; Dp,2016, n° 6, p. 29, chron. O. Mouysset ; D.,2016, n° 23, p. 1334, pan. J-J. Lemouland et D. Vigneau.

[49] C. civ., art. 229-1, créé par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

[50] La voix off affirme que « s’ils décident de divorcer, ils ne se devront rien l’un à l’autre » (saison 1, épisode 2, 15’ et saison 2, épisode 2, 12’).

[51] C. civ., art. 912 et s.

[52] Cass. civ., 1e, 22 févr. 1977, Bull. civ. I, n° 100.

[53] C. civ., art. 270.

[54] Le juge doit en effet prendre en compte la durée du mariage aux termes de l’article 271 du code civil.

[55] C. civ., art. 238.

[56] Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., v. « Expérience », https://academie.atilf.fr/9/.

[57] G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 11e éd., Ahc, Paris, Puf, coll. Quadrige, 2016, v. « Intention », p. 562.

[58] Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., v. « Essai », https://academie.atilf.fr/9/.

[59] Cass. Civ., 1e, 20 nov. 1963, Appietto, Bull. civ. I, n° 506 : D.,1964, p. 465, note G. Raymond ; Jcp G., 1964, II. 13498, note J. Mazeaud ; Rtd. civ.,1964, 286, obs. Desbois ; Cass. civ., 1e, 1er juin 2011 : Dalloz actualité, 15 juin 2011, obs. J. Burda (« [n]ullité du mariage qui a poursuivi un but contraire à l’essence même du mariage, à savoir obtenir un titre de séjour sur le territoire français sans intention de créer une famille et d’en assumer les charges »).

[60] Cass. civ., 1e, 6 janv. 2010, n° 08-19500.

[61] V. notamment sur ce sujet : « Trouver l’amour en ligne ? Ça, c’était avant… la lassitude face aux applis de rencontre est arrivée », Atlantico, 2 novembre 2016, consulté le 28 mai 2019 (« Face à l’océan des possibilités relationnelles, à portée de clic, ils oscillent entre espoir qui dope et immense fatigue qui noie l’individu sous le fardeau du choix devenu impossible par excès de possibles ») ; « Tinder, Happen : “Les applis de la séduction n’aident pas à se fixer” », Le Figaro, 14 février 2015, p. 8 (« Cet immense vivier incite à penser que l’on peut toujours trouver mieux que la dernière rencontre et donne le goût à la consommation. Face à une infinité de possibles, il est plus difficile de se consacrer à quelqu’un. Aujourd’hui, on cherche une aiguille dans une botte de foin ») ; « Couple : “Les trentenaires sont persuadés qu’il y a toujours mieux ailleurs” », Madame Figaro, site web, consulté le 28 mai 2019 (« Qui dit “30 ans” dit souvent engagement, appartement et enfants. Pourtant, il ne serait plus si facile pour les trentenaires de se mettre en couple. Une instabilité amoureuse qui résulterait d’une société en mouvement, mais aussi des réseaux sociaux et des applications de rencontre, qui auraient tendance à nous faire croire que l’herbe est toujours plus verte chez le voisin… ou la voisine »).

[62] Marivaux, Le jeu de l’amour et du hasard, Gallimard, coll. Folio/théâtre, 1994, rééd. 2006, p. 116.


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Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Le tatouage & les modifications corporelles saisis par le droit

Cet ouvrage forme le trente-troisième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XXXIII :
Le tatouage et les modifications corporelles saisis par le droit

Ouvrage collectif sous la direction de
Mélanie Jaoul & Delphine Tharaud

– Nombre de pages : 232

– Sortie : printemps 2020

– Prix : 39 €

– ISBN  / EAN : 979-10-92684-45-2
/ 9791092684452

– ISSN : 2259-8812

Présentation :

Si le tatouage a longtemps été réservé aux mauvais garçons, aux prisonniers et aux marins, ce dernier se normalise au point de devenir commun. Face au nombre grandissant de tatoués et de tatoueurs, de nouvelles questions se posent tant aux artistes tatoueurs qu’aux clients. Les problématiques qui se posent sont nombreuses : pratique du tatouage, liberté d’installation, propriété intellectuelle, formation des jeunes tatoueurs, statut du tatoueur et en fond son imposition, droit du travail, déontologie, contrats de mise à disposition de locaux aux tatoueurs permanents ou guests invités… Cet ouvrage est le fruit d’une réflexion qui a été menée lors d’un colloque qui s’est tenu à Limoges en juin 2019 avec l’objectif d’apporter des réponses aux différents opérateurs du monde du tatouage.

Parce que le tatouage est un phénomène de société, il convenait de se demander s’il était devenu un objet juridique à part entière. La réponse est positive. Au terme des débats qui vous sont livrés dans cet ouvrage, il est passionnant de voir à quel point la matière est vivante et nécessite que les juristes s’y intéressent. De l’histoire du tatouage à l’évolution sociologique qui entoure les mutations de la pratique, du statut du tatoueur au contrat de tatouage, des enjeux pour le tatoueur notamment en propriété intellectuelle à ceux du tatoué, ces actes cherchent à apporter des réponses aux interrogations actuelles et à anticiper celles de demain au travers du triptyque : tatoueur, tatoué & tatouage.


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Lectures juridiques de fictions. De la Littérature à la Pop-culture !

Cet ouvrage forme le vingt-septième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XXVII :
Lectures juridiques de fictions.
De la Littérature à la Pop-culture !

Ouvrage collectif sous la direction de
Mathieu Touzeil-Divina & Stéphanie Douteaud

– Nombre de pages : 190

– Sortie : mars 2020

– Prix : 29 €

– ISBN  / EAN : 979-10-92684-38-4
/ 9791092684384

– ISSN : 2259-8812

Mots-Clefs : Droit & Littérature – webséries – Casa de Papel – Servante écarlate – Aya Nakamura – Fictions – pop-culture – féminisme

Présentation :

De la littérature à la pop-culture, voici un recueil de lectures juridiques de fictions.

S’il est évident que toute fiction ne « parle » a priori pas de « droit », certains supports fictionnels (ce qui est le cas de nombreux romans identifiés notamment par le mouvement américain puis international Law & Literature) se prêtent, à l’instar de prétextes pédagogiques, à l’étude du ou des droits.

C’est à cet exercice, au moyen de quatre supports distincts (un roman, une pièce de théâtre, deux webséries et un corpus de chansons) que se sont prêtés – de la littérature classique à la pop-culture la plus contemporaine – les auteurs du présent livre : Jean-Benoist Belda, Raphaël Costa, Stéphanie Douteaud, Julia Even, Marine Fassi de Magalhaes, Julie Goineau, Mélanie Jaoul, Marie Koehl, Dimitri Löhrer, Agnès Louis, Julien Marguin, Yohan Mata, Catherine Minet-Letalle, Marie-Evelyne Monteiro, Isabelle Poirot-Mazères, Sophie Prosper, Hugo Ricci, Catherine Roche, Florent Tagnères, Mathieu Touzeil-Divina, Julie Vincent & Stéphanie Willman-Bordat. Introduit par une préface relative à la pop-culture, au féminisme et au Droit, l’ouvrage est construit autour de trois parties. La première interroge les représentations (chez Duras et Ionesco) de l’administration dans deux ouvrages de la littérature française. Par suite, l’opus fait place aux contributions qui avaient été prononcées (le 15 mars 2019 sous la direction de Frédéric Davansant, Stéphanie Douteaud & Mathieu Touzeil-Divina) lors du colloque du deuxième Marathon du Droit consacré aux lectures juridiques de deux webséries : la Servante écarlate et la Casa de Papel. Enfin, le livre se referme avec une postface à deux voix consacrée à l’analyse hypothétique du Droit à travers les chansons (et donc ici encore les fictions) d’Aya Nakamura.

Le présent ouvrage, dédié à Bibie et à ses ami.e.s,
a été coordonnée et publié par et avec
le soutien du Collectif L’Unité du Droit.


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La transparence, un droit fondamental ?

Cet ouvrage forme le vingt-cinquième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XXV :
La transparence,
un droit fondamental ?

Ouvrage collectif sous la direction de
Vanessa Barbé, Odile Levannier-Gouël & Stéphanie Mauclair

– Nombre de pages : 224

– Sortie : mai 2020

– Prix : 39 €

– ISBN  / EAN : 979-10-92684-36-0
/ 9791092684360

– ISSN : 2259-8812

Présentation :

La transparence est une notion de plus en plus employée en droit, particulièrement dans les démocraties contemporaines. En témoignent par exemple en France les lois du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, créant la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (Hatvp), du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, ainsi que les lois organique et ordinaire du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie publique, qui complètent les missions de la Hatvp notamment.

En dépit de l’engouement pour cette notion, la transparence est une notion difficile à définir. Seuls certains des éléments qui la composent ont une valeur constitutionnelle ou sont consacrés par des traités internationaux, comme l’accès aux documents publics (conséquence du droit de recevoir des informations ou du droit de savoir) ou la participation du public à l’élaboration des textes juridiques. La transparence n’est toutefois pas consacrée en tant que telle dans les Constitutions ou les traités internationaux. A ce titre, elle pourrait ne pas être considérée comme un droit fondamental.

Néanmoins, la transparence évoque de nombreux aspects qui peuvent faire l’objet d’un traitement judiciaire, comme notamment : la lutte contre la corruption et la prévention des conflits d’intérêts (par exemple l’encadrement des lobbies) ; l’alerte éthique (whistleblowing) ; la lutte contre les paradis fiscaux ; la participation à l’élaboration des décisions ; le contrôle de la gestion des entreprises par les salariés… Cet ouvrage vise donc à tracer les contours de la définition d’un droit à la transparence, afin de se demander si la transparence peut être considérée comme un droit fondamental invocable devant les tribunaux en France ou dans d’autres systèmes (droit de l’Union européenne, systèmes internationaux ou droits étrangers). Il traite du droit à la transparence en droit international et européen, en droit public interne et en droit privé, mais aussi des limites du droit à la transparence.

La présente publication a reçu le soutien du Centre de Recherche Juridique (Crj) Pothier de l’Université d’Orléans & du Collectif L’Unité du Droit


Nota Bene
:
le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso.
Vous pourrez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Orléans dans la jurisprudence des « Cours suprêmes »

Cet ouvrage forme le vingt-huitième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XXVIII :
Orléans dans la jurisprudence
des « Cours suprêmes »

Ouvrage collectif sous la direction de
Maxime Charité & Nolwenn Duclos

– Nombre de pages : 136

– Sortie : printemps 2020

– Prix : 29 €

– ISBN  / EAN : 979-10-92684-39-1
/ 9791092684391

– ISSN : 2259-8812

Mots-Clefs : Orléans / jurisprudence / Cours suprêmes / Jeanne d’Arc / Conseil d’Etat / Cour de cassation / Conseil constitutionnel / Tribunal des conflits / Cour de justice / Cour européenne des droits de l’homme.

Présentation :

De l’œuvre des « postglossateurs » étudiant le Corpus Juris Civilis, en passant par la fondation officielle de l’université par quatre bulles pontificales du pape Clément V le 27 janvier 1306, dont les bancs de la Faculté de droit ont été fréquentés, durant les siècles qui suivirent, notamment, par Grotius et Pothier, pères respectifs du droit international et du Code Napoléon, jusqu’à l’émergence de ce que certains juristes contemporains appellent « l’Ecole d’Orléans », désignant par-là les recherches collectives menées sur les normes sous la houlette de Catherine Thibierge, les rapports entre Orléans et le droit sont anciens, prestigieux et multiples.

La jurisprudence des « Cours suprêmes », entendue comme l’ensemble des décisions rendues par les juridictions qui peuvent prétendre à la suprématie d’un ordre juridictionnel (la Cour de cassation, le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel, le Tribunal des Conflits, la Cour de Justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme), apparaît comme un prisme original pour les aborder aujourd’hui. Dans cette optique, le présent ouvrage se propose, dans un souci de transversalité entre les différentes branches du droit, de présenter un échantillon de décisions en lien avec Orléans ou avec une commune de son arrondissement et ayant un intérêt juridique certain. Fidèle à la devise de l’Université, cet ouvrage est non seulement porté par la modernité, mais également ancré dans l’histoire. Histoire, comme celle, par exemple, de Félix Dupanloup, évêque d’Orléans entre 1849 et 1878, qui, à la tête du diocèse, mit en route le processus de canonisation de Jeanne d’Arc.

La présente publication a reçu le soutien du Centre de Recherche Juridique (Crj) Pothier de l’Université d’Orléans & du Collectif L’Unité du Droit


Nota Bene
:
le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso.
Vous pourrez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Signature du pr. Weisberg à la librairie Pedone

Après un premier passage à Toulouse en octobre 2019, le Collectif l’Unité du Droit et ses éditions l’Epitoge, ont eu le plaisir d’accueillir en partenariat avec le site Curiosités Juridiques (et ses célèbres chocolatines) à nouveau le professeur Richard Weisberg en France à Paris le 16 novembre 2019.

L’événement a eu lieu le samedi 16 novembre 2019, en fin de matinée au sein de la prestigieuse librairie Pedone (13, rue Soufflot).

Le professeur Weisberg, fondateur de la revue Law and Literature, est Professor of Constitutional Law à la Cardozo School of Law de Yeshiva University. C’est lui qui a initié et essaimé dans le monde le(s) mouvement(s) Droit & Littérature.

Après avoir débuté ses études de littérature française et comparée à l’Université Brandeis, Richard H. Weisberg a obtenu un doctorat en littérature française et comparée de l’Université Cornell et un doctorat en droit à l’Ecole de droit de l’Université Columbia. Il a enseigné la littérature française et comparée à l’Université de Chicago, avant de pratiquer le droit à Paris et à New York et de l’enseigner à la Cardozo School of Law. Il y est devenu une figure emblématique du courant Droit & Littérature, qui a acquis aujourd’hui une ampleur internationale et dont il a assuré le rayonnement en créant les Cardozo Studies in Law and Literature, qui devaient devenir Law and Literature.  Il est l’auteur, entre autres, de Poethics and Other Strategies of Law and Literature (1992) et Vichy Law and the Holocaust in France (1998) [traduit en français].

En avril 2019, les Editions l’Epitoge ont eu le privilège de publier la première traduction française de The Failure of the Word ( © 1984 by Yale University Press) ici présentée à la signature.

L’ouvrage est par ailleurs disponible à la vente en ligne
chez notre partenaire CuriositesJuridiques.fr 
et ce, à -5% avec le code CLUD5 !

Partant de Nietzsche et de Scheler, Richard H. Weisberg explore à travers l’analyse d’œuvres ayant pour auteurs Dostoïevski, Flaubert, Camus et Melville, comment un discours d’une grande séduction formelle peut se faire le véhicule d’une parole empoisonnée par le ressentiment. Deux questions en surplomb apparaissent alors : ce mécanisme n’aurait-il pas joué un rôle majeur dans l’incapacité de l’Europe à empêcher la survenue de la Shoah et cette littérature ne serait-elle pas le reflet d’une société profondément malade ? Le juriste, très précisément, reçoit une invitation à méditer sur les pièges que peut receler le formalisme juridique.


Le couple Weisberg, la traductrice de l’ouvrage F. Michaut
& les coorganisateurs ! manifestement en joie(s) 🙂
Mme Michaut
& les célèbres chocolatines de Curiosités Juridiques
L’ouvrage est par ailleurs disponible à la vente en ligne
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