Voici la 41e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 4e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.
Cet ouvrage est le quatrième
issu de la collection « L’Unité du Droit ».
En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :
Volume IV :
Communications électroniques :
objets juridiques au cœur de l’Unité des droits
Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina & Benjamin Ricou)
– Nombre de pages : 176
– Sortie : octobre 2012
– Prix : 33 €
- ISBN : 978-2-9541188-3-3
- ISSN : 2259-8812
Présentation :
A l’heure où, en France, le minitel s’éteignait pour toujours, il était temps que les juristes rendent une nouvelle fois hommage aux communications électroniques ainsi qu’à son ou à ses droit(s). En effet, grâce à l’ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications, ces dernières années ont vu se développer, de façon spectaculaire, les usages en matière de communications électroniques. Qu’il s’agisse du déploiement massif des réseaux de télécommunications mobiles, de la téléphonie fixe et de l’Internet ou encore de la télévision numérique : cette thématique est d’une actualité incontournable.
Il s’est alors agi, par les présents actes issus d’un colloque tenu le 01 juin 2012 à l’Université du Maine (en collaboration avec le Collectif L’Unité du Droit et le laboratoire Themis-Um), d’analyser l’évolution du marché, de la pratique et du droit des communications électroniques, lesquels doivent s’adapter en permanence au renouvellement rapide des différentes technologies. Les communications électroniques sont en effet au cœur des deux phénomènes contemporains les plus importants du Droit : la matérialisation de son Unité et sa globalisation.
Ont participé à l’analyse de ces phénomènes des enseignants-chercheurs mais aussi des praticiens afin de décrypter sous plusieurs angles le(s) nouveau(x) droit(s) des communications électroniques.
Communications électroniques
et relations entre administrations
et administrés
Geneviève Koubi
Professeur à l’Université Paris 8, Cersa-Cnrs (Umr 7106)
Membre du Collectif L’Unité du Droit
Les « moyens destinés à élaborer, traiter, stocker ou transmettre des informations faisant l’objet d’échanges par voie électronique entre autorités administratives et usagers ainsi qu’entre autorités administratives » s’entendent comme d’un système d’information[1], les plans successifs de modernisation des administrations publiques contiennent tous un volet mettant en valeur « les nouveaux moyens de l’action administrative, notamment liés aux progrès rendus possibles par les nouvelles technologies »[2].
Inscrite au titre de la simplification du droit et de la rationalisation des activités administratives, la transversalité des expérimentations et la réalisation des opérations impliquant les technologies de l’information et de la communication induisent multiples interrogations tant à propos de leur influence sur la conduite des politiques publiques, sur leur suivi qu’en ce qui concerne le traitement des affaires dont peuvent être saisis les bureaux et les services administratifs – voire aussi les juridictions. En parallèle, la tendance généralisée de l’incitation aux usages d’Internet à l’adresse des administrés détient des conséquences notables sur les comportements sociaux.
De fait, les modalités d’utilisation des technologies de la communication et de l’information remodèlent les relations entre les administrations et les administrés – ce que voudrait, pour une part, recouvrir l’expression d’ « administration électronique »[3].
Par-delà les transformations de la gestion des personnels à travers les traitements automatisés de données à caractère personnel, la restructuration des services selon les principes d’une mutualisation des fonctions par le biais des pôles informatiques et la mutation des conditions de travail des agents publics impliquant, à terme, la généralisation du télétravail, au sein des différents services administratifs, le développement du recours à Internet altère graduellement la perception sociale des droits des administrés comme celle de la protection de leurs libertés – individuelles et personnelles. Dans les espaces numériques, en effet, les droits des administrés – et, par-là, leurs devoirs ou obligations –, se fondent sur un assortiment de préceptes reconstruit en termes contradictoires autour d’un binôme redoublé d’une part de « visibilité/confidentialité » et d’autre part de « facilité/complexité ». L’amalgame entre la logique combative des droits de l’homme et la finalité passive des droits de la personne s’enracine, l’empreinte d’une individualisation de la sphère administrative y étant fortement corrélative.
Dans les périples électroniques ou numériques que les relations administratives empruntent désormais, les administrés comme les usagers du service public affrontent le polissage des différenciations entre service marchand, service administratif et service public qui s’agence sur les écrans comme dans les fibres suivant les méandres des réseaux Internet[4]. Ainsi, à la conversion progressive de leurs droits en droits de consommateur, s’ajoute le nivellement des services qui peuvent leur être proposés ou imposés par la voie d’une connexion à une plate-forme, à un terminal téléphonique ou à un site web, officiels plus que seulement publics et gérés par des opérateurs privés. Dans la relation administrative qui s’institue à travers les communications électroniques, c’est la distance qui détermine le positionnement de l’individu.
En quelque sorte, pour ce qui concerne l’accès à un site Internet officiel, l’administré-internaute ne peut être compris comme usager du service considéré que s’il s’empare des fonctionnalités du site, par exemple en quelques téléchargements de formulaires, en téléprocédures ou du fait de la validation de son inscription. Si le téléchargement suscite le règlement d’une redevance ou si la téléprocédure se résume en un télépaiement, ne serait-il pas alors en instance de se transformer en un « client » ? Quoi qu’il en soit, en tout état de cause, quel que soit le lieu à partir duquel il parvient sur le site public, dès qu’un individu est connecté à un tel site il devient virtuellement un administré.
En dépit de sa généralité initiale, la figure de l’administré[5] cloisonne les catégories de personnes dans l’ensemble des relations administratives[6], les typologies se réalisant au rythme des politiques de ciblage des populations instituées par les législations et réglementations. Ce n’est pourtant pas par rapport aux orientations des politiques sociales ajustées que l’internaute, administré dès qu’il se situe dans un espace soumis à la loi française – comme c’est le cas sur un site web généré par ou pour une administration publique –, peut être impliqué dans les catégories de personnes distillées par les discours administratifs. Le ciblage mis en œuvre dans la relation numérique est d’une tout autre nature. Même en retenant le fait que tous les utilisateurs des réseaux Internet ne disposent pas des mêmes aptitudes et des mêmes connaissances devant les progrès des nouvelles technologies – ce que voudrait, pour une part, recouvrir l’expression de « fracture numérique » –, la construction de la relation électronique qui se réalise à travers les canaux de l’action administrative, répond à d’autres représentations[7]. Ces dernières ne retracent nullement la situation économique et sociale de l’individu. Si elles peuvent prendre en considération ses capacités, liées par exemple à son âge[8] ou à son handicap au titre d’une obligation d’ « accessibilité numérique »[9], elles ne peuvent s’attacher sa position spécifique que par rapport aux services administratifs sollicités. Car, pour l’heure, si de fortes incitations à l’usage d’Internet par les administrés sont déployées, par exemple sous la forme de prime ou de récompense financière comme en matière fiscale pour une télédéclaration des revenus, le choix demeure entre s’engager sur les voies cybernétiques ou pas – sauf exceptions, notamment quand l’individu se voit enserré dans les cadrages d’une citoyenneté virtuelle « numérisée »[10].
Aussi, qu’il s’agisse d’une pré-inscription dans un établissement public d’enseignement pour un lycéen ou un (futur) étudiant par la voie des téléprocédures[11], de l’installation d’un service public de téléassistance pour une personne âgée ou handicapée[12], de la mise en ligne d’une déclaration de candidature à une offre d’emploi ou de la réponse dématérialisée à une mise en concurrence pour un marché de travaux, de fournitures ou de services[13], ou, du côté de l’administration, d’une signalisation élaborée à l’aide de systèmes de vidéosurveillance – dits maintenant de vidéoprotection[14] –, les modélisations s’établissent à partir des contacts virtuels établis entre l’individu connecté – ou repéré – et le service administratif considéré. L’administré n’est pas figé par sa position d’internaute ; il est, selon les cas, contribuable[15], justiciable ou requérant[16], candidat (à un concours ou pour un marché public), patient[17], voyageur[18], passant, etc., sans que puissent être mis en évidence les droits dont il dispose.
Le dogme de l’efficacité économique et de la commodité administrative ne peut pourtant indéfiniment éluder la question de la considération comme du respect des droits fondamentaux. Or, en ces itinéraires virtuels, sont particulièrement concernés la liberté d’information, la liberté d’expression[19], le droit à l’instruction, le droit d’un accès aux soins, la liberté d’aller et venir, sans omettre le droit à la protection des données à caractère personnel, etc.
Désormais, dans la relation électronique, sous l’effet du mouvement général d’individualisation inhérent aux sociétés post-modernes, la question cruciale de la protection des droits et libertés s’approche plus d’une demande de respect des droits de la personne, laquelle est qualifiée d’« administré », que d’une exigence de respect des droits de l’homme ou des droits du citoyen. La pression de la transformation des droits de l’homme en droits de la personne se confirme en excluant peu à peu les composantes politiques, sociales et culturelles de ces droits.
Quel que soit le cas, le jeu des communications électroniques tient à distance l’individu physique, personne, homme (ou femme), citoyen, administré, usager d’un service public, client. Il n’entre en scène que par l’effet d’un ordinateur. Seule sa posture comme consommateur resterait préservée, rendant compte en cela de l’imprégnation de la rhétorique néo-libérale du marché dans le champ des communications électroniques. Les points de contact réalisés par le biais des pages sur les sites Internet des administrations ou par les liens offerts sur le portail www.service-public.fr, la disparition des guichets permettant une relation physique entre un administré et un agent qui emporte la mise au point de guichets électroniques[20], l’institution des plates-formes téléphoniques automatisées[21], etc., bousculent les présupposés de l’amélioration des relations entre les administrations et leur public en déplaçant le curseur des engagements quant à la qualité de l’accueil et à la nécessité de l’orientation des personnes comme des demandes[22] vers la dépersonnalisation de l’administré comme vers la dématérialisation des documentations. Cette perspective désubstantialise la qualité des relations avec l’administration ou le service public concerné. Sans doute, de nouveaux modes de communication sont fournis en mettant particulièrement à l’honneur la téléphonie mobile ; mais, avant d’affirmer que le « mobile » devient un outil indispensable, une étude sur le statut juridique des plates-formes de renseignements, des numéros d’appel prioritaires ou privilégiés, comme des agents virtuels sur les sites publics ou des F.A.Q., etc., pourrait-elle permettre de mieux recomposer les champs d’investigation en matière de droits des administrés ou usagers des services publics ? De fait, l’avènement de la société de l’information signe l’entrée dans une société connectante plus que communicante.
D’une part, la mise en situation de l’administré comme internaute fait que les échanges avec l’agent public se réalisent à l’écrit. D’autre part, l’automatisme des répondeurs téléphoniques nécessite une élocution parfaite si le prononcé d’un mot clef est exigé. Les deux modèles ne sont pas de même portée. En effet, « en ce qui concerne le téléphone, c’est probablement le média le plus facile d’usage, à condition de parler français et de comprendre le langage juridico-administratif. [En ce domaine…] l’apprentissage collectif de nos concitoyens peut être considéré comme largement accompli. Il n’en va pas de même, en revanche, pour ce qui concerne les NTIC »[23]. Quel que soit le cas, écrites ou orales, ces modalités de communication artificielle accentuent le décalage existant entre le candidat-usager et le service appelé ou requis, la tonalité d’un mot, sa signification, son sens juridique, n’étant pas saisis de la même manière des deux côtés. Un tel aspect confine effectivement à une déshumanisation de la relation administrative. Déjà, dans un communiqué spécifique du 24 septembre 2010, le Médiateur de la République faisait part de cette déperdition de la qualité humaine des relations : « N’avoir que les touches proposées par un serveur vocal lorsque l’on est dans une situation complexe est vécu comme un abandon de la part de l’administration. C’est un peu comme si l’usager devait connaître déjà la réponse à sa question pour formuler correctement sa demande. A fortiori, lorsque l’administration elle-même doute de la fiabilité du traitement des informations via Internet, c’est l’usager qui est perdu. La France, autrefois en retard en matière d’e-administration, dispose aujourd’hui d’un arsenal technologique puissant visant à dématérialiser le service public et à forger des outils permettant à la fois de fluidifier l’information et d’améliorer les relations entre les administrations et l’usager. Tout l’enjeu réside dans la capacité à rechercher des solutions qui simplifient les rapports sans les déshumaniser »[24].
En sus, et peut-être est-ce là un des enjeux politiques du déploiement généralisé des communications électroniques dans le cadre des relations entre administrations et administrés, « les N.T.I.C. permettent une » individualisation du traitement des problèmes collectifs » au risque de rendre invisible la dimension collective de la gestion de ces problèmes et la responsabilité politique qu’elle sous-tend »[25]. Or, dans une société qui, sous la pression de la logique de marché, prône l’avènement de l’intercommunicationnel, le paradoxe est que sont réunies en un même ensemble l’individualisation de la relation et la dépersonnalisation de l’individu.
Car, au-delà du constat, maintenant classique, de l’hyper-individualisme révélateur du remaniement relationnel dans une société post-moderne, le déploiement des communications électroniques en toutes sphères induit la dépersonnalisation de l’individu. Si cet état des choses affecte inévitablement les rapports qu’entretiennent les administrés avec les administrations publiques, il a aussi pour effet de transformer la fonction un temps attribuée à la notion de proximité dans l’espace de la Cité.
La personnalisation ne peut être réduite à l’identification. L’administré ne peut être anonyme, car s’il se choisit un pseudonyme, il fausse la sincérité de la relation. Toutefois, même identifié, ce n’est pas vraiment lui qui entretient une relation avec l’administration, ce serait plutôt l’appareil, la machine – fixe ou mobile – qui, pourtant, n’est pour lui qu’un vecteur de communication. Le conducteur qu’est l’ordinateur puis le serveur par lequel passe la communication entre l’individu et le service n’est donc pas sans incidence sur la qualité comme sur la valeur de la relation instituée, – l’identification restant, en dépit des normes techniques appliquées pour une sécurisation des identifiants et mots de passe (login), toujours hypothétique.
Chaque transmission de données sur le web suppose la communication de l’adresse IP (Internet Protocol) de l’expéditeur comme du destinataire. Lorsqu’un internaute consulte un site Internet, ce site enregistre la date, l’heure et l’adresse IP « de l’ordinateur à partir duquel la consultation a été effectuée, ainsi que les fichiers qui ont pu être envoyés. Le propriétaire du site a ainsi accès aux adresses IP des ordinateurs qui se sont connectés à son site »[26]. Sans doute, l’avancée des techniques a défait la particularité qui avait fait de la machine utilisée l’élément central dans l’organisation des échanges entre administration et administré. La qualité de l’identité numérique est désormais certifiée par le jeu de la signature électronique. Tout ordinateur disposant d’un accès à Internet, quels que soient les moyens d’échange avec le service administratif choisi (téléphone, câble, haut débit) et mis à la disposition de l’administré, permet à chacun d’assurer personnellement et sans personnification « sa » connexion avec une administration donnée, sans ambiguïté mais toujours par l’interposition d’un écran, dès lors qu’il use de son identifiant numérique[27].
Certes, pour certaines actions, la situation de l’administré-internaute dépend encore de l’appareil utilisé comme du lieu à partir duquel est réalisée la connexion avec un service de l’administration, les modalités d’identification de la source en dépendant encore, mais cette corrélation est en passe de disparaître. L’interrogation quant aux conditions d’accès aux services suivant la propriété du matériel[28] ne relève qu’incidem-ment la question des mots de passe, des codes, des identifiants et autres modalités d’accès aux informations déposées, détenues ou recherchées ou aux autorisations et réclamations sollicitées par l’un ou l’autre des deux protagonistes. Cette mutation a été impulsée par l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives qui pose le cadre juridique général des échanges administratifs par voie électronique dans les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics à caractère administratif, les organismes gérant des régimes de protection sociale et ceux chargés de la gestion d’un service public administratif[29]. Cependant, la simplification recherchée n’est pas au rendez-vous ; « le foisonnement de sites Internet proposés par l’administration se double de la difficulté pour l’usager de naviguer entre des sites parfois redondants, souvent sans identité officielle reconnaissable et systématiquement hétérogènes en termes de graphisme et de navigation »[30]. De plus, la dématérialisation des échanges avec l’administration, notamment pour ce qui concerne les documents qui pourraient être indispensables lors d’une opération donnée, se fonde sur divers textes dont la valeur juridique n’est pas toujours authentifiée tels les discours prononcés par les ministres ou autres autorités publiques, les rapports parlementaires ou administratifs, les circulaires et instructions administratives, les référentiels techniques.
Comme une citoyenneté numérique émerge progressivement en classifiant l’individu suivant des cases préformatées, le modèle des échanges électroniques se métamorphose ; ces échanges ne peuvent plus se résumer en des demandes de renseignements ou échanges d’informations[31]. Or, telle est, par la force des choses, la caractéristique première de ces rapports entre administrations et administrés. La qualité de la relation diffère peut-être selon les attentes, « l’exigence de service rendu et l’acceptation de la contrainte du parcours administratif pour y parvenir varient assez considérablement selon que la démarche relève d’une obligation légale sans contrepartie directe mais qui peut même être assortie de sanctions, ou débouche sur une chance d’obtenir un avantage ou de voir un droit reconnu »[32]. Mais la sujétion de l’administré n’est pas remise en cause ce qui atténue la dynamique que le terme de communication sous-entend. Les positionnements font que les mécanismes de participation ne sont pas mis en œuvre parce qu’ils appartiendraient exclusivement au champ d’une démocratie numérique en construction.
En effet, l’administration électronique semble se borner à transposer ses méthodes paperassières forgées à l’aune de l’unilatéralisme sans prendre en considération les potentialités multidimensionnelles des interconnexions. Les particularités de l’activité administrative fabriquent des sites publics statiques qui induisent la prolifération bureaucratique de formulaires administratifs téléchargeables, de téléprocédures administratives, de téléservices administratifs. L’administration électronique, prisonnière de ses supports, ne retient des avancées des communications électroniques que les moyens de faciliter la tâche de leurs bureaux, de réduire les charges de fonctionnement ou les dépenses[33] généralement visées au titre d’une administration exemplaire mal calibrée[34]. Aussi faudrait-il envisager à la suite de la création de ces sites stabilisés, alors même qu’ils sont des objets ouverts à la concurrence par le biais de contrats et marchés impliquant plusieurs acteurs dans des secteurs différenciés (la gestion et la maintenance informatique n’étant pas des moindres), les formes d’appréhension des dynamiques sociales qu’ils génèrent.
Les expérimentations en matière de démocratie numérique ne sauraient être transposées dans le cadre des relations administratives.
Pourtant, « la Commission européenne, s’inspirant des principes dégagés lors de la Conférence de Côme, intègre la notion de démocratie en ligne dans sa définition du e-government. Le e-government est entendu comme » utilisation des technologies de l’information et des communications (TIC) dans les administrations publiques, associé à des changements de l’organisation et de nouvelles aptitudes afin d’améliorer les services publics et les processus démocratiques, et de renforcer le soutien des politiques publiques » »[35].
Un dépassement des téléservices et téléprocédures devrait être disposé pour ce qui concerne la forme des relations entre administrations et administrés, en retenant que leur fonctionnement relève indéniablement d’une modalité de participation des administrés, des usagers du service public à sa bonne marche. Cette dimension, rarement mise en valeur, permet de signifier que l’administration électronique ne peut être opérationnelle que si l’administré, l’usager du service, est un utilisateur des nouvelles technologies sans réticences à son endroit. Si dans le cadre des services publics, la notion de participation est appréhendée sous l’angle classique de la « démocratie participative », c’est-à-dire en s’attachant aux modes d’information et aux possibilités d’intervention des représentants des usagers de ces services dans les processus décisionnels ou dans les diagrammes budgétaires[36], quand les dévelop-pements de l’administration électronique sont pris en considération, la notion de participation trouve une de ses illustrations dans les connexions aux portails des services publics ouverts sur le web ou dans l’institution de « forums » de discussion ouverts au débat public. Ces outils font émerger une « citoyenneté électronique » qui fournirait « à l’usager un mode novateur de participation aux services publics »[37]. Or, en la matière, de la même manière qu’il peut être demandé au voyageur de poinçonner lui-même son billet en accédant aux quais ou en entrant dans un véhicule affecté à un service de transport public, les téléprocédures font de l’usager, administré-internaute, l’acteur premier du service considéré… pour mieux l’assujettir.
La modernisation des relations entre administrations et administrés, dans le contexte formé par le redéploiement des communications électroniques, nécessiterait alors de repenser les concepts que recouvrent les expressions d’e-administration ou d’administration électronique. En tant que telles, ces dernières ne permettent pas de relever une transformation radicale de la structuration des rapports entre les unes et les autres. Dans cette configuration, sans doute la question des téléprocédures reste-t-elle centrale, mais la tonalité donnée au modèle proposé par mon-servicepublic.fr[38] et les applications intégrées à la mobilité téléphonique laissent planer nombre de doutes sur une évolution qui replacerait au coeur de la problématique les droits de l’homme et les libertés fondamentales.
Le temps de la communication, supposant la réciprocité à défaut de l’égalité, n’est pas encore venu.
Grâce aux communications électroniques, les relations entre administrations et administrés se déroulent dans la virtualité, avec une large ouverture sur un monde sans papier mais dont la fiabilité des informations resterait à la merci d’un dysfonctionnement majeur ou d’un effacement déprogrammé des mémoires. Si une entrée dans la précarité numérique pourrait ainsi être à terme signifiée comme « risque » permanent, étant donné que l’informatique n’est pas à l’abri de dysfonctionnements majeurs dont les conséquences peuvent être redoutables pour les administrés comme pour les administrations, l’évolution vers un Etat virtuel se profile, ce qui s’entend à l’échelle planétaire… comme 1984[39].
[1] Art. 1er de l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, J.O. 9 déc. 2005.
[2] Cette formule apparaissait dans la plupart des rapports d’étape de la révision générale des politiques publiques (R.G.P.P.).
[3] V. cependant, Flichy P. et Dagiral E., « L’administration électronique : une difficile mise en cohérence des acteurs », R.F.A.P. 2004, n° 110, p. 245.
[4] V. par ex., Roux L., « L’administration électronique : un vecteur de qualité de service pour les usagers ? », Inf. soc. 2010, n° 158, p. 20.
[5] V. Chevallier J., « Figures de l’usager », in Draï R. (dir.), Psychologie et science administrative ; Paris, C.U.R.A.P.P., P.U.F. ; 1985 ; p. 35.
[6] V. toutefois, Maillard Desgrées Du Lou D., Droit des relations de l’administration avec ses usagers ; Paris, P.U.F. ; 2000 ; coll. Thémis Droit public ; v. aussi, Traoré S., L’usager du service public ; Paris, L.G.D.J. ; 2012 ; coll « Systèmes ».
[7] Sans s’attarder sur le schéma produit par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (J.O. 22 juin 2004).
[8] Bien des téléprocédures sont réservées aux personnes majeures sans que cette restriction soit clairement affichée sur la page. La mise en œuvre de celle-ci se réalise par des procédés de sécurisation des données et suivant les mécanismes d’interopérabilité introduits dans les systèmes d’information à la disposition des administrations publiques.
[9] Art. 47, al. 1 et 2, Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (J.O. 12 févr. 2005) : « Les services de communication publique en ligne des services de l’Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics qui en dépendent doivent être accessibles aux personnes handicapées. / L’accessibilité des services de communication publique en ligne concerne l’accès à tout type d’information sous forme numérique quels que soient le moyen d’accès, les contenus et le mode de consultation. Les recommandations internationales pour l’accessibilité de l’Internet doivent être appliquées pour les services de communication publique en ligne ».
[10] V. Détraigne Y., Escoffier A.-M., La vie privée à l’heure des mémoires numériques. Pour une confiance renforcée entre citoyens et société de l’information, Rapport d’information Sénat n° 441 (2008-2009) du 27 mai 2009 (http://www.senat.fr/rap/r08-441/r08-4411.pdf).
[11] Par ex., C.E., avis 15 janvier 1997, Gouzien, req. n° 182777 ; Rec. p. 19 (à propos des procédures d’inscription par voie télématique – minitel) ; T.A. de Lille, 7 juillet 2005, Mlle Elise Chiroutre, req. n° 0500495 ; A.J.D.A. 2006, p. 436, note Bernabeu P.
[12] Par ex., C.E., 3 mars 2010, Département de la Corrèze, req. n° 306911.
[13] Le Code des marchés publics prévoit en effet la possibilité pour le pouvoir adjudicateur d’exiger la transmission électronique. Par ailleurs, une inscription en ligne nécessaire pour une consultation des annonces au Bulletin officiel des annonces de marchés publics (B.O.A.M.P.).
[14] Art. 17, Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure – dite L.O.P.P.S.I. 2, J.O. 15 mars 2011.
[15] C.E., 30 mai 2012, Ministre du Budget c. Société Aficom, req. n° 345418.
[16] Par ex., D. n° 2005-222 du 10 mars 2005 relatif à l’expérimentation de l’introduction et de la communication des requêtes et mémoires et de la notification des décisions par voie électronique, J.O. 11 mars 2005 ; Arr. 3 février 2009 relatif à l’extension de l’expérimentation de l’introduction et de la communication des requêtes et mémoires et de la notification des décisions par voie électronique devant le Conseil d’Etat, J.O. 8 févr. 2009.
[17] V. par ex., Ferraud-Ciandet N., « L’Union européenne et la télésanté », R.T.D.E. 2010, p. 537.
[18] Le formulaire de demande de visa de court séjour peut être téléchargé sur Internet et doit être remis rempli et signé (http://www.diplomatie.gouv.fr).
[19] V. par ex., Jacqué J.-P., « Communauté des internautes et protection des libertés individuelles dans l’Union européenne », R.T.D.E. 2010, p. 271.
[20] V. entre autres, Vitalis A., Duhaut N., « N.T.I.C. et relation administrative : de la relation de guichet à la relation de réseau », R.F.A.P. 2004, n° 110, p. 315.
[21] V. sur les relations de service dépendantes de leur standardisation, Weller (J.-M.), « Comment les agents se soucient-ils des usagers ? », Inf. soc., 2010/2, n° 158, p. 12.
[22] Ce qui était une des constantes de la plupart des circulaires administratives relatives à la Réforme de l’Etat et des services publics tout au long de la dernière décennie du XXe siècle.
[23] V. Pavé F., « Que peut-on négocier avec un serveur vocal ? La proximité administrative et ses technologies », in Vrancken D. (dir.), Penser la négociation ; Bruxelles, De Boeck Université ; 2008 ; coll. Ouvertures sociologiques ; p. 164.
[24] Communiqué du Médiateur de la République du 24 septembre 2010 : « Administration : quand modernisation rime avec déshumanisation » : http://www.mediateur-republique.fr/fr-citoyen-05-329 (consult. 24 janv. 2011).
[25] Raoul B., « Technologies de l’information et de la communication et modernisation des services publics. Quelques remarques et repères pour une exploration critique», Etudes de communication,n° 23 (dossier : « Services aux publics : question de communication et de management »), 2001, p. 29.
[26] Ces quelques précisions sont tirées du rapport d’information n° 441 Sénat (2008-2009) du 27 mai 2009 sur « La vie privée à l’heure des mémoires numériques. Pour une confiance renforcée entre citoyens et société de l’information », préc.
[27] Etant rappelé que le N.I.R. ne peut systématiquement être exposé comme seul et unique identifiant administratif.
[28] Ordinateur personnel ; depuis un lieu collectif privé à l’exemple d’un cybercentre ; dans un relais de services publics.
[29] V. Piette-Coudol T., « Echanges électroniques entre usagers et autorités administratives et entre les autorités administratives », J.C.P. E. 2005, act. 374 et « Les procédures administratives électroniques réglementées », Dr. adm. 2006, comm. n° 20 ; Caprioli Eric A., « Des échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives d’une part et entre ces dernières d’autre part », J.C.P. A. 2006, étude n° 1079. V. également, C.N.I.L., Délib. n° 2005-280 du 22 novembre 2005 portant avis sur le projet d’ordonnance relatif aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, J.O. 17 déc. 2005.
[30] Rapport « Experts de la relation numérique à l’usager »,
Ministère des Finances, du 12 février 2010, Amélioration de la relation numérique à l’usager : http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/104000078/0000.pdf, p. 7.
[31] V. Koubi G. : « Des ou dé-connexions administratives en messages électroniques », J.C.P. A. 2008, n° 28, étude n° 2170.
[32] Lemaître M.-F., « Téléprocédures administratives : le pari de la confiance », A.J.D.A. 2001, p. 629.
[33] En les transférant sur les administrés ou usagers comme, par exemple, l’impression des formulaires à remettre aux services concernés ou la conservation des documents dématérialisés sur leur propres comptes tel celui de mon.service-public.fr. V. par ailleurs, Ngampio-Olébé-Bélé U., « La dématérialisation des relations entre l’administration et les administrés : regard sur une nouvelle procédure administrative », Rev. adm. 2008, n° 361, p. 80.
[34] V. Boudet J.-F., « La gestion publique au prisme du développement durable : l’administration exemplaire », P.M.P. 2011, vol. 28, n° 4, p. 533.
[35] Benyekhlef K., « L’administration publique en ligne au Canada : précisions terminologiques et état de la réflexion », R.F.A.P. 2004/2, n° 110, p. 270 (citation : Institut Européen d’administration publique, « The eGovernment in Europe : State of Affairs », Villa d’Erba, Côme (Italie), 2003,
http://www.eurocities.org/viewPage.asp?cat=Document&id=D01727).
[36] V. cependant, sur les consultations réalisées par des échanges électroniques entre administrations et entre administrations et administrés : Belrhali-Bernard H., « La nouvelle loi de simplification du droit, le rapport public 2011 du Conseil d’Etat et les consultations sur Internet », Dr. adm. oct. 2011, comm. n° 81; v. aussi, du même auteur : « La pratique des consultations sur Internet par l’administration », R.F.A.P. 2011/1, n° 137-138, p. 181.
[37] V. Thomas I., « Le principe de participation des usagers au fonctionnement des services publics », R.F.D.A. 2004, p. 330.
[38] V. Koubi G., « Une plate-forme sur Internet : mon.service-public.fr », A.J.D.A. 2011, p. 2453.
[39] G. Orwell.
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