ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Entre art(s), cadavre(s) & droit(s) (par Mme le pr. A. Cheynet de Beaupré)

Voici la 46e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait des 11 & 12e livres de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XI : Traité des nouveaux droits de la Mort
Vol I. La Mort, activité(s) juridique(s)

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina,
Magali Bouteille-Brigant & Jean-François Boudet)

– Sortie : 02 novembre 2014
– 430 pages
– Prix : 69 €

  • ISBN : 979-10-92684-05-6
  • ISSN : 2259-8812

Volume XII : Traité des nouveaux droits de la Mort
Tome II – La Mort, incarnation(s) cadavérique(s)

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina,
Magali Bouteille-Brigant & Jean-François Boudet)

– Sortie : 02 novembre 2014
– 448 pages
– Prix : 69 €

  • ISBN : 979-10-92684-06-3
  • ISSN : 2259-8812

Présentation :

« « Il ne suffit (…) pas au jurisconsulte de se préoccuper des vivants » affirme Gabriel Timbal dans l’introduction à sa célèbre (et controversée) thèse sur la condition juridique des morts (1903). Le Droit – ou plutôt les droits – s’intéressent en effet à toutes les activités humaines et sociétales. « L’objet du Droit, c’est l’homme » expliquait déjà en ce sens le doyen Foucart. Il importait donc de s’intéresser de la façon la plus exhaustive possible et ce, à travers le prisme de l’Unité du / des droit(s) à la matérialisation positive du ou des droit(s) relatif(s) à la Mort. A cette fin, les trois porteurs du Traité des nouveaux droits de la Mort ont réuni autour d’eux des juristes publicistes, privatistes et historiens mais aussi des praticiens du funéraire, des médecins, des anthropologues, des sociologues, des économistes, des artistes et des musicologues. Tous ont alors entrepris de présenter non seulement l’état positif des droits (publics et privés) nationaux concernant la Mort, le cadavre & les opérations funéraires mais encore des éléments d’histoire, de droit comparé et même quelques propositions normatives prospectives. Et si l’opus s’intitule Traité des « nouveaux » droits de la Mort, c’est qu’effectivement l’activité funéraire et le phénomène mortel ont subi depuis quelques années des mutations cardinales (statut juridique du cadavre, mort à l’hôpital, tabous persistants et peut-être même amplifiés devant le phénomène, service public des pompes funèbres, activité crématiste, gestion des cimetières, « prix » de la Mort, place et représentation de celle-ci et de nos défunts dans la société, rapports aux religions, professionnalisation du secteur funéraire, etc.). Matériellement, le Traité des nouveaux droits de la Mort se compose de deux Tomes : le premier envisage la Mort et ses « activités juridiques » et le second la Mort et ses « incarnations cadavériques » ».

Crucifixion :
mort & vie

présentation de Mme Aline Cheynet de Beaupre
Professeur de Droit privé – Université d’Orléans

554. Guido Reni. Cette « Crucifixion » est attribuée à Guido Reni, dit « Le Guide » (né à Calvenzano le 04 novembre 1575, décédé le 18 août 1642 à Bologne), peintre italien de l’école de Bologne. Entre baroque et classicisme, il fut influencé par Le Caravage et Raphaël. Sa peinture marquée par la religiosité, lui attira un certain nombre de commandes du Vatican, notamment les fresques du palais Quirinal.

Crucifixion attribuée à Guido Reni (1575-1642).
Collection particulière (30 x 45 cm).

Crucifixion. Thème majeur dans l’art pictural classique européen, la crucifixion est une provocation à tous égards.

La cruauté de ce mode d’exécution est peu supportable : clous enfoncés dans le corps vivant du condamné pour l’accrocher sur la croix qu’il aura préalablement portée lui-même, supplice souvent « abrégé » en brisant les jambes pour provoquer une asphyxie[1], tortures préalables… Ce cadavre exhibé après d’atroces souffrances est, théoriquement, peu propice à la représentation artistique. Les premiers chrétiens ont, d’ailleurs, évité le thème de la crucifixion qui n’apparaîtra que vers l’époque carolingienne pour s’imposer un peu plus tard vers l’an mille. Les crucifix catholiques ou orthodoxes, portés ou accrochés dans les habitations ne comportent pas qu’une croix, mais également le corps du Christ crucifié, et donc un cadavre.

La religion chrétienne considère que le Christ, Fils de Dieu, a pris la condition d’homme, est mort pour le pardon des péchés, puis est ressuscité. La Pâque chrétienne, consécutive à la Passion, est dès lors une certitude de victoire sur la mort et d’espérance en une Vie éternelle.

La mort fait pleinement partie de la vie. Qu’est-ce qu’un vivant, si ce n’est quelqu’un qui va mourir (« Memento mori »[2]) ? L’humanité du Fils de Dieu passe ainsi obligatoirement par sa mort, provocation incompréhensible face à un Dieu éternel. Mais cette mort (et sa représentation) n’est admissible et supportable que parce qu’elle annonce la Vie éternelle pour chacun.

555. Description. Le ciel noir et crépusculaire de fin de journée (« A partir de la sixième heure, l’obscurité se fit sur toute la terre, jusqu’à la neuvième heure »[3]) fait ressortir la blancheur cadavérique du crucifié. Le Christ, homme, est bien mort : la résurrection qui suivra est, dès lors, un véritable miracle et il est fondamental pour le peintre d’insister sur l’état de cadavre : tête penchée d’un corps sans vie, yeux clos, sang qui ne coule presque plus, côté droit percé par une lance pour vérifier le décès du condamné. D’autres représentations picturales traditionnelles de la crucifixion se placent quelques instants plus tôt, avant la mort de Jésus. Il a alors la tête tournée vers le ciel, il est encore vivant et crie un extrait du Psaume 22 : « Eloi, Eloi, lama sabachtani ? » (Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?) [4].

Au pied de la croix, la Vierge Marie témoigne de sa souffrance de mère. Le manteau bleu la désigne comme protégée par le ciel et est devenu la couleur mariale. Elle porte ici une robe rose, de couleur plus douce que le rouge habituel préfigurant la passion du Christ. Le bleu, dans la symbolique iconographique, signifie l’essence terrestre de Jésus, le rouge manifeste sa divinité. Dénudé sur la croix, ses couleurs traditionnelles sont réparties sur Marie et Jean.

L’apôtre Jean (« le disciple que Jésus aimait »[5]), nouveau fils spirituel de Marie (« Femme voici ton fils »[6]), est dans une posture de contemplation, drapé d’un manteau rouge (couleur des martyrs), mais symbole également de la passion et de la royauté du Christ.

Les visages livides des deux seuls présents au pied de la croix reflètent une profonde détresse face au cadavre impensable du Fils de Dieu. Les mains de chacun sont douloureusement nouées, entre prière et crispation de souffrance.

Le volume et la couleur des vêtements de Marie et de Jean contrastent avec la nudité[7] du cadavre, malgré un perizonium lui-même ample. Le titulus, ordonné par Pilate, inscrit Inri : Jésus de Nazareth, Roi des Juifs[8], motif de condamnation mêlé d’ironie (« Es-tu le roi des juifs ? »[9], puis : « Si tu es le fils de Dieu, sauve-toi toi-même »[10]).

556. Interprétation de l’œuvre. La corporéité du christianisme est un point essentiel de la religion, Jésus, vrai homme et vrai Dieu. Le Fils de Dieu s’est fait homme : « Et le Verbe s’est fait chair et Il a habité parmi nous »[11]. Sa vie d’homme devait impliquer également de connaître la mort humaine, le Fils de Dieu n’y échappe pas. Souffrance et peur l’accompagnent :« Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi… »[12] ; mais, le soir du Vendredi saint, « Il rendit l’esprit [13] ».

La religion chrétienne a donc fortement encouragé les représentations artistiques de la Crucifixion, cœur de la foi, en attendant, trois jours plus tard, la Résurrection : « Il est vivant, Il est vraiment ressuscité [14] ! ». Jésus, par sa mort, rachète les hommes, les sauvant du péché originel d’Adam. Les églises catholiques sont ainsi logiquement « ornées » de cette représentation d’échec, ignominieuse[15], douloureuse et macabre.

Les artistes, par la représentation de la grande souffrance de cette scène classique, cherchent à augmenter la dévotion des fidèles ; la grande humiliation associée à ce mode d’exécution d’un condamné à mort vient, quant à elle, accroître la Gloire du Christ.

Le corps est celui d’un condamné à mort, dans sa nudité et dans les traces des supplices (plaies des mains, des pieds et du côté droit, couronne d’épines) marquant de sang un cadavre cireux et inerte (les yeux sont fermés, la tête et les mains sont tombantes).

Le décor et la composition sont réduits à l’essentiel pour concentrer les regards sur les trois acteurs de ce drame ; le fond noir du tableau souligne le caractère lugubre. Le faible crépuscule au pied de la croix ancre la mort dans la terre. Jésus descendra ensuite au séjour des morts[16], puis ressuscitera. Pourtant, l’attention est attirée vers la tête inclinée du crucifié, ornée d’une fine aura d’un blanc lumineux.

Les représentations de la crucifixion sont ainsi des messages de foi, d’humilité et de commémoration du sacrifice divin. Le cadavre du crucifié annonce la Rédemption humaine par la Résurrection du Fils de l’Homme.

Rites funéraires. Le corps de Jésus est enseveli après la déposition de croix, respectant pieusement les rites funéraires de l’époque. Le respect du Sabbat ne permettait pas d’ensevelir les morts ce jour et conduisit à hâter la mise au tombeau dès le vendredi soir. Joseph d’Arimathie[17] demanda le corps du condamné à Pilate qui le lui accorda, sous bonne garde. Il sera descendu de la croix (déposition), enveloppé dans un linceul blanc et déposé dans le caveau neuf que Joseph d’Arimathie venait d’acheter. Puis, par sécurité, une grosse pierre fut roulée devant le tombeau. Les Evangiles poursuivent leurs précisions sur les rites funéraires, puisqu’après le Sabbat, de grand matin, les femmes allèrent au tombeau poursuivre les rites incomplets du vendredi soir. Elles s’y rendent avec des aromates pour embaumer Jésus[18], mais ne trouvent pas le corps. La pierre du tombeau était roulée, les bandelettes posées par terre et « le linge qui avait recouvert sa tête non pas posé avec le linceul, mais roulé à part à sa place »[19]. Il ne resta donc pas de cadavre du Christ sur terre.

557. Représentations chrétiennes de la mort[20]. D’autres représentations chrétiennes associées à la mort et au cadavre se retrouvent sous le pinceau des artistes pour Jésus lui-même ou ses disciples. La Résurrection de Lazare (cadavre de l’ami de Jésus sortant du tombeau, alors qu’il sentait déjà[21]) ; les martyrs des différents apôtres et disciples ; la Pietà[22] (Marie portant seule dans ses bras le corps de son fils mort après la déposition de croix) ou enfin, concernant le Christ : la Déposition de Croix (l’exercice périlleux[23] de la descente de la croix du cadavre du Christ par plusieurs intervenants) et la Mise au tombeau du corps du Christ.

Cependant, la crucifixion est de loin le thème majeur ornant les églises catholiques. Les protestants réduiront les représentations artistiques, se contentant le plus souvent d’une croix symbolisant la crucifixion, sans représentation humaine, et donc sans cadavre.

Seule personne jamais représentée sous forme de cadavre[24], Marie. De dormition en Assomption, la « Mère de Dieu », pour l’Eglise catholique, ne connaîtra pas la corruption physique de la mort entrant directement « dans la Gloire du ciel ».


[1] Tel ne fut pas le cas pour Jésus.

[2] Souviens-toi que tu vas mourir.

[3] Matthieu, 27, 33-50.

[4] Matthieu, 27, 46 et Marc 15, 34.

[5] Jean, 21, 20-25.

[6] Jean 19, 25-27.

[7] Pour cacher la nudité vraisemblable tant de l’homme que du Dieu, les artistes ont recours au perizonium, linge entourant les reins.

[8] Acronyme de l’expression latine : Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum.

[9] Marc, 15, 2.

[10] Matthieu, 27, 40.

[11] Jean, 01, 14.

[12] Matthieu, 26, 36-46.

[13] Jean 19, 17-30.

[14] Acclamation traditionnelle du jour de Pâques.

[15] La croix est un instrument de condamnation à mort comparable à une guillotine.

[16] Ac. 03, 15 ; Rm. 08, 11 ; 01 Co. 15, 20 en évocation de He. 13, 20.

[17] Matthieu, 27, 60.

[18] Marc 16, 1.

[19] Jean 20, 7-8.

[20] De façon plus générale sur la représentation de la mort, cf. : Ariès Ph., Image de l’homme devant la mort, Seuil, 1983.

[21] Jean, 11, 33-40 : Marthe, la sœur de celui qui était mort, lui dit : « Seigneur il sent déjà, car il y a quatre jours qu’il est là ».

[22] Not. la Pietà de Michel Ange (1475-1564), Basilique Saint-Pierre de Rome et les remarquables photographies de Hupka R., Michel Angelo – Pietà, éd. Marstella, 1964.

[23] Not. Rubens Pierre Paul (1577-1640), palais des Beaux arts de Lille.

[24] Il convient d’ajouter l’enlèvement du prophète Elie : 02 Rois 02.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

« La mère de Maurice, et celle des autres » par le pr. F. Linditch

Voici la 45e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 5e livre de nos Editions dans la collection « Académique » :

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume V :
Le(s) droit(s) selon & avec
Jean-Arnaud Mazères

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina
Delphine Espagno, Isabelle Poirot-Mazères
& Julia Schmitz)

– Nombre de pages : 220
– Sortie : novembre 2016
– Prix : 49 €

  • ISBN / EAN : 979-10-92684-19-3 / 9791092684193
  • ISSN : 2262-8630

Présentation :

Un professeur, un maître, un père, un ami, un guide, un modèle, un inspirateur, un trouvère et, à toutes les pages, un regard. Tous ces qualificatifs pour un seul homme, un de ces êtres doués pour le langage, le partage, l’envie de transmettre, le goût de la recherche et de l’analyse, l’amour des livres et de la musique, l’attention aussi aux inquiets et aux fragiles. La générosité de Jean-Arnaud, l’homme aux mille facettes, est aujourd’hui célébrée, à travers le regard de ses amis. Tous ceux qui ont contribué à cet ouvrage ont quelque chose à dire, à écrire, à expliquer aussi, de ce moment où leur trajectoire a été plus claire, parfois s’est infléchie lors d’un cours ou d’un entretien, où leurs doutes ont rencontré non des réponses mais des chemins pour tenter d’y répondre. Chacun a suivi sa voie, chacun aujourd’hui a retrouvé les autres. Cet ouvrage est pour toi Jean-Arnaud ! Cela dit, si tu ne t’appelles pas Jean-Arnaud, toi – lecteur – qui nous tient entre tes mains, tu peux aussi t’intéresser non seulement au professeur Jean-Arnaud Mazères mais encore t’associer aux hommages et aux témoignages qui lui sont ici rendus. L’ouvrage, qui se distingue des Mélanges académiques, est une marque de respect et d’affection que nous souhaitons tous offrir à son dédicataire et ce, pour ses quatre-vingt ans. L’opus est alors bien un témoignage : celui de celles et de ceux qui ont eu la chance un jour de rencontrer le maestro, de partager les moments plus ou moins délicats du passage de l’innocence estudiantine à celui de la vie d’adulte, voire de faire une partie de ce chemin à ses côtés comme collègue et / ou comme ami. Des vies différentes pour chacun d’entre nous, des choix que le professeur Mazères a souvent directement inspirés, influencés, compris, soutenus mais pour nous tous ce bien commun partagé : celui d’avoir été, et d’être toujours, son élève, son ami, son contradicteur parfois. Par ce « cadeau-livre », nous souhaitons faire part de notre affection, du respect et de l’amitié que nous avons à son égard. Bel anniversaire, Monsieur le professeur Jean-Arnaud Mazères !

Ont participé à cet ouvrage (qui a reçu le soutien de Mme Carthe-Mazeres, des professeurs Barbieri, Chevallier, Douchez, Février, Lavialle & Mouton) : Christophe Alonso, Xavier Barella, Jean-Pierre Bel, Xavier Bioy, Delphine Costa, Abdoulaye Coulibaly, Mathieu Doat, Arnaud Duranthon, Delphine Espagno-Abadie, Caroline Foulquier-Expert, Jean-François Giacuzzo, Philippe Jean, Jiangyuan Jiang, Jean-Charles Jobart, Valérie Larrosa, Florian Linditch, Hussein Makki, Wanda Mastor, Eric Millard, Laure Ortiz, Isabelle Poirot-Mazères, Laurent Quessette, Julia Schmitz, Philippe Segur, Bernard Stirn, Sophie Theron & Mathieu Touzeil-Divina.

Ouvrage publié par le Collectif L’Unité du Droit avec le concours de l’Académie de Législation de Toulouse, du Centre de Recherches Administratives (ea 893) de l’Université d’Aix-Marseille et avec le soutien et la complicité de nombreux amis, anciens collègues, étudiants, disciples…

La mère de Maurice,
et celle des autres.
« Contribution au thème
de la mère de l’auteur »

Florian Linditch
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille, Cra

I. Aux origines du sujet

La mère. Pourquoi pas le père ? Pas de réponse. Pas le temps. Nous laissons le sujet à quelqu’un d’autre. Quant à la mère, le sujet s’est imposé à la suite de deux évènements déjà anciens.

Un « taxi africain » pour commencer, on pardonnera à l’anecdote ce qu’elle a d’autobiographique. Deux décennies plus tôt, l’auteur de ces lignes reçu depuis quelques heures au concours d’agrégation emprunte un taxi à Paris. A cette époque, point de téléphone portable : impossible d’annoncer la bonne nouvelle à ses proches. Trop de joie. Le premier venu fera l’affaire. Un chauffeur de taxi. Celui-ci, bonhomme, accepte la confidence du succès. Mais au lieu des congratulations attendues, le voilà qui explique doctement qu’« en Afrique, chaque réussite est toujours celle de la mère : c’est elle qu’il faut féliciter en premier ». Etonnement du jeune agrégé, et même légère déception. Son succès ne serait-il donc pas le sien propre ?

Deuxième anecdote, non moins discutable scientifiquement, la découverte de Lanza del Vasto, illustration de l’humanisme (courant de pensée que notre maître, Jean-Arnaud, tenait à distance à une certaine époque : suspicion des catégories génériques, suspicion des droits de l’Homme avec un grand « H », abstraction générique qu’il ne coûte rien de mobiliser, certains s’en souviendront…). Une grande respiration philosophique pourtant, et sans doute velléité d’émancipation de l’ancien doctorant. Peut-être s’échappera-t-il ainsi de l’antre de Cyclope pour voguer à sa guise sur la pensée humaniste et l’idéalisme philosophique. Mais, nouvelle surprise : le Maître connaît tout. Il parle de l’œuvre, mais également de l’homme. Stupéfaction : le grand philosophe et poète fut jadis invité par sa mère lors de semaines spirituelles dans les piémonts pyrénéens. Plusieurs années de suite et plusieurs jours en suivant. Illumination, le maître avait donc également une mère. Et celle-ci lui avait fait rencontrer Lanza del Vasto. Voilà l’explication, le maître n’est maître que parce qu’il avait une maîtresse mère. Il n’en fallait pas moins pour s’interroger sur la place de la mère dans la construction intellectuelle d’un homme. Les bibliothèques d’ailleurs, débordent de livres sur les mères et ceux-ci forment « un genre difficile, aux références prestigieuses, d’emblée décourageantes[1] ».

II. La mère de Maurice H.

La mère de Maurice Hauriou se prénommait Marie. Marie, Eugénie, Trouiller. Elle était née à Ladiville (Vendée) le 25 février 1836. Elle appartenait sans doute à une famille de notables ruraux, eu égard à la profession du père attestée dans les actes notariés : « propriétaire [2] » et au fait qu’il fut maire de la même commune lorsqu’elle avait vingt ans.

Marie, Eugénie est décédée à l’âge de 43 ans, à Deviat, commune voisine, le 6 avril 1879. Maurice Hauriou avait à peine 23 ans. La même année, il est docteur en droit (Faculté de Bordeaux). Avant, après le décès, on ne sait. Sans doute simultanément, les deux thèses soutenues en 1879 auront-elles quelque peu rendu supportable cette épreuve, en accaparant le jeune étudiant.

Une autre femme encore qu’on ne peut laisser dans l’ombre, la sœur. Sa cadette de trois ans, Catherine, Louise, Edmée, également née à Ladiville le 17 janvier 1859. Huit ans plus tard après le décès de sa mère, elle épouse à 28 ans, en 1887 Jean Malet, professeur à l’Ecole vétérinaire de Toulouse. Simple coïncidence, ce rapprochement géographique du frère et de la sœur, ou mariage arrangé, influencé par Maurice ou pourquoi pas son épouse ? On ne sait, mais on voit difficilement comment de Vendée, elle aurait pu rencontrer un autre professeur toulousain.

Une dernière, l’épouse. Une autre Marie bien entendu, de son nom de jeune fille, Andrieux. Beaucoup plus jeune que Maurice : 16 ans, écart assez fréquent à l’époque. Née le 28 juin 1872, à Blanzac-Porcheresse (Charente). Sûrement pas une étudiante, en cette fin du XIXe siècle. Du reste, elle est bordelaise. Ils auront six enfants, dont André Hauriou, professeur de droit.

Nous n’en savons rien de plus. Comme du reste.

III. Avec Sainte-Beuve

Il faut relire le Contre Sainte-Beuve pour réaliser que le prétendu interdit posé par Marcel Proust du recours à la biographie pour comprendre l’œuvre n’est pas celui qu’on enseigne trop rapidement. Proust ne remet jamais en cause l’utilité de la biographie, il moque simplement (car l’ouvrage ne dépasse pas, le plus souvent, le niveau du pamphlet) la volonté du critique de mettre en fiche les données essentielles d’une vie, pour en extraire des déterminismes qui expliqueraient l’œuvre. Accablant le pauvre Sainte-Beuve, le jeune Marcel ne craint d’ailleurs pas de se contredire lui-même. A l’occasion, il convoque sa propre mère pour mieux démontrer l’insensibilité du critique : « sans doute n’avait-il pas vu l’émotion du débutant, qui a depuis longtemps un article dans un journal, qui ne le voyant jamais quand il ouvre un journal, finit par désespérer… Mais un matin, sa mère, en entrant dans sa chambre, a posé près de lui le journal d’un air plus distrait que de coutume… mais néanmoins, elle l’a posé tout près de lui, pour qu’il ne puisse manquer de le lire et s’est vite retirée et a repoussé vivement la vieille servante qui allait entrer dans la chambre. Et il a souri, parce qu’il a compris que sa mère bien aimée voulait qu’il ne se doutât de rien, qu’il eut toute la surprise de sa joie, qu’il fut le seul à la savourer et ne fût pas irrité des paroles des autres, pendant qu’il lisait et obligé, par fierté, de cacher sa joie à ceux qui auraient indiscrètement demandé à la partager avec lui[3] ». Quelles lectures, ou lesquels de nos actes et pensées, nos mères ont-elles préparés de cette façon ? Le fils lui-même le sait-il ? Ce qui importe au fond est de savoir que cela pu être ainsi, de laisser ouverte la fenêtre, d’y regarder de temps en temps. Ce frémissement, cette énergie vitale, cette trace d’humanité que l’on guette sur le silex ou le moindre tesson arraché à la terre, pourquoi ne pas la chercher ici ? Dans toutes les autres disciplines, y compris les sciences exactes (voir les innombrables biographies d’Einstein), les témoins se mirent, se comparent, s’y retrouvent, ils aperçoivent derrière la plume, la main, l’auteur et peut-être le secret du génie.

Revenons à la mère de Maurice. Il avait donc une mère. Pourrait-elle avoir joué un rôle dans son œuvre intellectuelle ? Perdue à l’âge de 23 ans on l’a dit, ce qui signifie que Maurice vivra encore 50 ans sans elle. Mais la présence des mères n’est pas présence physique. Elle ne se mesure même pas aux citations, surtout chez les professeurs de droit. Nous la croyons plus diffuse, mais non moins importante.

Entreprise périlleuse : où est-il démontré que les auteurs devraient quelque chose à leur mère ? Si l’on peut en douter pour les juristes, dont l’objet d’études est nécessairement extérieur, à la rigueur on veut bien l’admettre pour les poètes (Baudelaire, Rimbaud), les romanciers (Balzac, Flaubert, Maupassant). La littérature suppose un engendrement, quelque chose qui vient de l’intérieur, une sensibilité qui pourrait alors devoir quelque chose à la mère, et ce même lorsque le fils entre en réaction (Sartre, Jules Renard ; Hervé Bazin). Mais le juriste qui se doit à l’instar du scientifique à l’art du dépouillement, au renoncement à l’égo, dura lex, sed lex, comment sa mère pourrait-elle jouer un rôle dans ses idées ?

C’est en pleine conscience de ces limites méthodologiques que l’entreprise doit être tentée. Au pire on les récusera, au mieux certains éléments, relevant sans doute de la pure coïncidence, permettront-ils de créer un temps d’arrêt, une hésitation, vite balayée par la course à l’information qui gouverne aujourd’hui la discipline juridique.

IV. Amour, le faux objet

La classification la plus courante se plait à opposer, les Mères pathologiques, monstrueuses (Valles, Jules Renard ou Hervé Bazin, del Castillo), et les mères admirables, le plus souvent (Hugo, Colette, Romain Gary, Marcel Pagnol, Albert Cohen, et tant d’autres).

Si l’on en croit Guy de Maupassant « Il y a deux sortes d’écrivains : ceux qui étaient aimés de leur mère et ceux qui ne l’étaient pas ». Telle est souvent l’opinion commune qui considère que :

– la mère était aimante, ou du moins une relation pleine et de qualité s’est établie entre elle et son enfant, et l’on peut supposer que celui-ci en retirera sensibilité et talent, voire génie. Romain Gary en fournit l’exemple, après de brèves études de droit à Aix en Provence, le voilà aviateur, suivant la voie de la France Libre, puis de l’Ecriture, toujours plus libre. Son absolue fantaisie le guide de succès en succès, nimbé qu’il est de l’amour maternel et de la fameuse Promesse de l’Aube que constitue l’amour maternel ;

– à l’inverse la relation mère/fils était plus difficile, et dans ce cas, il faut s’attendre à la révolte, au ressentiment, peut-être à moins d’autosatisfaction, on pense à Baudelaire.

Vulgate psychologisante qui doit bien comporter une part de vérité, mais qui peut être discutée à l’infini, tant cette causalité paraît rudimentaire. Les relations ne sont jamais si simples, les bilans sont toujours constitués d’actifs et de passifs. Et puis, on ne peut exclure les paradoxes. Une mère peu aimante ne conduira-t-elle pas son enfant à rechercher ailleurs l’affection dont il a manqué ? Ne s’ouvrira-t-il pas à de nouvelles fraternités, avec les vivants, comme avec les morts. Ne recherchera-t-il pas toujours une humanité dont il s’est senti privé depuis l’origine. On pense à Dickens, pleuré par toute l’Angleterre et littéralement mort d’épuisement à la suite de lectures de son œuvre qu’il donnait à son public.

Bien entendu, si l’on définit l’amour maternel comme cette abnégation, ce don inconditionnel de soi à l’enfant, à son développement, nul doute qu’il ne doive tenir une place importante dans la fabrique de l’homme[4] et forcément de l’auteur.

Tant d’incertitudes conduisent à renoncer à identifier de puissants déterminismes. Mieux vaut considérer quelques situations clés (distance, abandon, accompagnement de tous les instants, etc.).

V. Présence – Absence

D’abord, il y a l’absence volontaire, l’abandon. La littérature en fournit de nombreuses illustrations. Il faudrait voir du côté de Miguel del Castillo pour la crainte de l’abandon maternel, et l’abandon lui-même. Abandon signifiant pour lui, monstrueux égoïsme de sa mère (abandon d’un enfant, en Allemagne durant la guerre, puis dans les camps pour républicains de l’Espagne franquiste). Celui également de la mère de Dickens qui oublie de récupérer le petit Charles, placé dans une fabrique humide du Londres misérable du début du XIXe siècle.

Mais le plus souvent, mieux vaut parler d’absence que de manque d’amour maternel. L’absence de la mère peut d’ailleurs n’être pas volontaire. Mouvements sociaux, guerres, maladie, mort peuvent l’expliquer…. La mère n’a pas vraiment choisi la séparation, mais peu importe, l’enfant lui, le vivra comme une déréliction. On est troublé de constater que la distance, l’abandon, la séparation engendrent un mieux, la fameuse « résilience » de Boris Cyrulnik[5]. Au point que si elle n’existe pas, l’enfant l’imaginera, lui donnera une importance que peut-être elle n’avait pas. L’enfant se construit dans cette séparation. Alors on imagine l’enfant en pensionnat ou simplement chez sa grand-mère. Il y a les lettres qu’on attend, les quais de gare, les valises trop lourdes qu’on porte pour faire homme. Il a également les lettres qu’il lui écrit car elle travaille ailleurs, les bulletins de notes, la perspective heureuse de se retrouver bientôt ou dans longtemps. La mère qu’on oublie peu à peu, puis la mère qui réapparaît, à laquelle on se réhabitue si aisément. Si désespérément, car on sait qu’elle n’est là que pour quelques jours, quelques heures. Apprivoiser le temps qui dure, et celui qui s’enfuit. Admettre le transitoire, lui donner toute la densité possible.

Tout un apprentissage de la séparation si nécessaire. Presque, une philosophie du temps et de la durée.

Puisque les mères s’en vont (jamais si loin qu’on le pense, mais on le pense), comment ne pas être seul ? Il faut rêver, créer, aimer. Rêve d’une idée qui s’incarnerait et durerait, d’un groupe d’hommes et de femmes qui la partageraient. Plus jamais seul….

VI. L’Accompagnatrice

Oui les leçons se révisent idéalement sous la lampe du salon et se récitent à la mère. Image exaspérante de banalité. Mais l’enfant pourrait aussi bien les apprendre ailleurs, de même que l’étudiant. Et toujours, la mère n’est pas loin. Même pour l’étudiant parti faire ses études ou sa carrière à Paris, Bordeaux ou Toulouse. Innombrables sont les romans qui mettent en scène l’aventure parisienne et le jugement de la mère qui doit tomber à un moment donné (v. les biographies de Balzac, Le petit Chose de Daudet, ou les lettres à sa mère, de Baudelaire). La mère est partout, même si elle est absente. Que cet accompagnement puisse prendre des formes extrêmes, celle de la mère possessive (Gary), ou de l’indifférence (Léautaud), les conséquences sur l’œuvre demeurent.

Il faudrait parler de la vigilance omnisciente des mères. Prévert se plaisait à opposer ses parents là-dessus : « mon père comme je l’amusais, le fâchais, le décevais et l’intriguais tout à la fois, il m’expliquait, il me disait comment j’étais dans le fond. Ma mère jamais : elle me savait[6] ». Mieux encore, ce petit dialogue de Julien Green et de sa mère qui laissera rêveur plus d’un lecteur :

« Que fais tu ? disait-elle

– Rien, répondait, Julien

– Ne le fais plus[7] ».

Parfois, cette surveillance prend des tours originaux. A l’occasion, la mère se fait auteur : elle écrit à son enfant. Elle ne craint pas d’user de stratagèmes. Tel celui que raconte Niki de Saint-Phalle: « je me rappelle avoir lu dans son journal intime (que je pouvais lire parce qu’elle le laissait sciemment à la portée de tous, qu’elle craignait que je finisse mal[8] ». Ou bien, les deux cent cinquante lettres écrites à l’avance par sa mère, à Romain Gary, et qu’il recevait encore à Londres alors qu’il la savait morte depuis trois ans[9]. Ou encore George Sand bourrant ses commodes de manuscrits à publier après sa mort afin de préserver ses enfants du besoin, et pour leur rester présente.

Pour certains, ces forces de l’esprit maternel demeurent après la mort, même sans stratagèmes. Plusieurs auteurs l’ont éprouvé. Jean-Marie Rouart : « ma mère en me quittant dans son apparence réelle s’est glissée en moi et je sens sa présence. Il n’est pas un instant que j’y pense ou non, que je ne ressente cette impression qu’elle est non seulement là, mais qu’elle s’est tissée dans les fibres de mon être[10] ». Hector Biancotti, encore plus explicite relève que même si l’enfant révolté décide de rompre le fameux cordon, « on ne quitte jamais tout à fait une mère, on s’en va, on s’en éloigne, on se sent délivré, affranchi, exempt. Et un beau jour, à cause d’un rien, vous découvrez que vous avez un fil à la patte qui vous relie à elle, à la mère. Quelle abomination la nature. On ne peut haïr définitivement une mère[11] ».

VII. Ambitions croisées

Ce que recouvre l’ambition des parents pour leur enfant, désir d’une situation, projection de leurs propres ambitions non réalisées, nombre de livres de psychologie en traitent abondamment. Mais, contrairement à ce qu’affirme l’opinion commune, ne serait-ce pas là, simplement l’éducation due à l’enfant ? De sorte que l’ambition deviendrait alors la norme : « tu seras un homme mon fils »…

Reste que les voies de l’ambition sont parfois imprévisibles, voire paradoxales, lorsqu’elles passent par la séparation :

Le sanatorium, « j’ai sept ans. Elle m’emmène à Dieulefit, pour me laisser dans une maison de repos. Quatre moi sans elle. C’est dur, beaucoup plus douloureux que cette maladie des bronches qui me poignarde de temps à autre – infiniment moins que l’absence, l’éloignement de ceux que j’aime[12] ».

L’internat à neuf ans, pour d’autres. Les livres sont pleins de récits d’internat, leur grande solitude, comment les mères peuvent-elles se résigner de la sorte ? Ce renoncement « pour le bien » de l’enfant, n’est-il pas preuve d’amour, volonté d’accepter la séparation si elle doit permettre à l’enfant d’acquérir plus vite les clés du monde ?

L’internat encore, et cette volonté que le petit Maurice soit inscrit avec deux ans d’avance sur son âge. Il aura le baccalauréat à seize ans.

Quel parent n’a pas d’ambition pour son enfant ? Mais elle en a plus que les autres. Différente en tout cas, les études sont sacrées, surtout si la mère est enseignante… Non pas sacrées, incontournables, naturelles : « Tu seras enseignant mon fils »…

Violence faite à l’enfant, oubli de son épanouissement personnel ? On ne saurait dire. L’enfant, lui, sait peut-être. Comme si la grande tradition des familles aristocrates et bourgeoises aux XVII et XVIIIe siècles n’avait jamais cessé. Elisabeth Badinter rappelle qu’à cette époque, l’éducation de l’enfant « suit a peu près toujours le même rituel, ponctué par trois phases différentes : la mise en nourrice, le retour à la maison, puis le départ au couvent ou en pension[13] ». Et encore sur les cinq ou six ans que l’enfant passait avec sa famille, il était livré à l’autorité des gouvernantes et percepteurs[14]. Ceci rejoint le grand débat sur la question de savoir s’il faut, ou pas, donner le sein à son enfant, plutôt que de le confier à une nourrice[15].

Poussons plus loin, l’ambition ne traduirait-elle pas une certaine dose d’insatisfaction par rapport à la vie ? La vie est ailleurs (Kundera). Même sans insatisfaction, effet de miroir idéalisé renvoyé par les deux protagonistes.

La mère de Maupassant, décidant que Flaubert ami de son frère décédé en deviendrait l’oncle, le parrain pour ne pas dire le père littéraire de son fils qui serait romancier (elle réussit sur les deux points). La mère de Romain Gary décidant que son fils sera ambassadeur, héros et grand écrivain (triple succès). Mères qui décidaient d’être mères de romancier, d’ambassadeur ou de professeur. Mères qui rêvaient d’une autre vie pour elles, pour leur fils, on ne sait au juste.

Le fils devient alors l’homme que la mère a rêvé. Mais quel homme au juste ? Ce grand provocateur qu’est Philippe Sollers dit quelque part que par le fils, la mère veut remplacer et effacer, non le père de l’enfant (laissons Œdipe tranquille, pour cette fois-ci), mais son propre père à elle. Piste intéressante qui demanderait à être vérifiée…

Mieux même à l’occasion, le fils libère, venge sa mère. Maints passages de Romain Gary en témoignent. Il faudrait relire Marcel Pagnol : tout le monde connaît le final du Château de ma mère, la grosse pierre brisant, trente ans plus tard, la porte du fond du parc du château de la Busine, la porte ouvrant sur le canal. Vengeance, en réalité le mot n’est pas bien choisi. On tâtonne, disons que c’est comme si l’enfant, devenu adulte, avait enfin réalisé son ambition première : protéger sa mère. Il faut réparer, arranger, compenser tout ce qu’on ne pouvait à l’époque. Réparer des maisons, réparer des affronts. Comme cette ultime lettre de Simenon, lettre post-mortem :« ce qui m’a fait le plus plaisir c’est de savoir qu’après ma visite à Liège… les autorités, du maire au gouverneur, non seulement t’ont invitée à toutes les cérémonies et diners officiels, mais qu’ils envoyaient des voitures pour te prendre[16] ».

VIII. Ecrire, écrire, peu importe le sujet, pour réunir…

Mystère, pudeur, égoïsme ? On ne connaît pas une œuvre qui sache exprimer ce qu’il entre dans l’amour de son fils pour sa mère. L’essentiel des œuvres crient la perte de la mère, le manque. Rares sont celles qui parviennent à dire qui était la mère. Certains auteurs le reconnaissent, tels Georges Simenon, pourtant qualifié pour camper un personnage : « nous sommes deux à nous regarder : tu m’as mis au monde, je suis sorti de ton ventre tu m’as donné mon premier lait et pourtant, je ne te connais pas plus que tu ne me connais … vois-tu ma mère, tu es un des êtres les plus complexes que j’aie rencontrés[17] ». Le fils ne sait pas qui était sa mère, et, difficulté supplémentaire, il paraît désarmé pour comprendre son propre sentiment : « l’amour du fils pour la mère ne sait comment se dire. Quels mots choisir pour exprimer l’infinie affection pour celle avec qui il aura fait le plus long chemin[18] ». Il y a là un point aveugle, un défi, des non dits, à dire et à écrire.

Ceci explique que pour certains auteurs, l’écriture elle-même, quel qu’en soit le sujet, ne serait au mieux que le prolongement de leur relation avec leur mère. Non seulement, l’écriture qui la prend pour sujet (Cohen, Pagnol, Gary), mais en réalité n’importe quelle écriture : « avec des mots, peut-on remplir les vides que l’on a laissé derrière soi, les blancs de la mélancolie, les étonnants remords auxquels on ne peut rien… Il y a dans sa vie un grand matin de silence et d’absence[19] ». Même si les pages d’écritures ne sont pas consacrées à la mère, elles en portent encore la marque, parfois difficilement discernable, même par le fils : « écrire un peu pour elle, puisque j’écris par elle[20] ».

Toujours la même ambiguïté, retrouvée plusieurs fois énoncée sous des formes différentes chez Georges Perec : « j’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l’écriture ». Comme si l’écriture constituait alors tout à la fois prolongement de la mère (ou d’autres êtres aimés désormais disparus), mais son remplacement, car « leur souvenir est mort à l’écriture ; l’écriture est le souvenir de sa mort et l’affirmation de ma vie[21] ». Maurice Hauriou l’a-t-il pensé, l’année de ses vingt-trois ans, et les cinquante années qui suivirent ? Avait-il même besoin de le penser, savait-il d’où lui venait cette énergie qui lui ferait écrire des milliers de pages. Telle pourrait être la théorie des littérateurs, gens fort heureusement trop peu sérieux, pour que les juristes s’en préoccupent.

Un pas de plus, dans ce qui pourra paraître relever d’un délire littéraire : si l’acte d’écrire lui-même reproduisait à l’infini les paroles dites, ou non, à sa mère, se pourrait-il que conçues pour elle, les pensées de l’intellectuel soient en réalité inspirées par elle ? Pour certains écrivains, il n’y a pas de doute : « je pense que ce cercle enfermant le fils avec sa mère à jamais est bien réel, et que chacun de nous, aussi loin qu’il s’en aille, demeure sur ce territoire, ne dépasse pas sa frontière. Le cercle s’élargit, s’élargit, et des rênes invisibles nous retiennent, qu’elles soient tressées ou d’amour et de haine, et même si les mains les ont lâchées. L’amour que la mère porte à sa créature n’a nul besoin d’être aimé en retour ; il nous attend interminablement, et je pense qu’il peut nous être une prison, une torture ; mais quand la mère disparaît, toutes les murailles de Chine s’effondrent[22] ».

Poussons plus loin encore : il est des auteurs qui vont jusqu’à prétendre que l’intellectuel comporterait naturellement une part de féminité, cette part maternelle qui continue à vivre, sous d’autres formes. Pour Christian Bobin, l’auteur serait un merveilleux homme raté qui se rapprocherait de la femme par la même quête de l’invisible : « les jeunes mères ont affaire à l’invisible (l’auteur vient d’expliquer que personne ne voit les trésors d’attention prodigués à l’enfant)… L’homme ignore ce qui se passe. C’est même sa fonction, à l’homme de ne rien voir de l’invisible. Ceux parmi les hommes qui voient quand même, ils en deviennent un peu étranges. Mystiques, poètes ou bien rien ? Déchus de leur condition. Ils deviennent comme des femmes : voués à l’amour infini[23] ».

Alors Maurice, cette spiritualité, cette poésie, cette quête de l’invisible, de l’idée, cet amour infini, si on le trouvait dans tes œuvres, ne révèleraient-ils pas cette part de féminité ? Comme un prolongement d’une sensibilité enfantine venue d’on ne sait où ? Quand tu regardes ainsi, par-dessus ton épaule (le fameux regard oblique), n’espères-tu jamais, une fois encore, obtenir son approbation ?

Bien entendu, tu ne le reconnaîtras jamais. Romain Gary lui y était parvenu, rentré couvert d’honneurs à Paris, il écrivait ceci : « mes amis prétendent que j’ai parfois l’étrange habitude de m’arrêter dans la rue, de lever les yeux à la lumière et de rester ainsi un bon moment en prenant un air avantageux, comme si je cherchais à plaire à quelqu’un[24] ».

Tiens pour te consoler, te dire que tu n’es pas tout seul, un petit cadeau de l’ami Perec : écrire c’est une « alternative sans fin entre la sincérité d’une parole à trouver et l’artifice d’une écriture exclusivement préoccupée de dresser ses remparts[25] ».

Toute une épistémologie, la tienne, la sienne, la nôtre…


[1] Delerm Marthe et Philippe, Le miroir de ma mère, Ed. du Rocher, 1998, p. 9

[2] Selon le site : http://siprojuris.symogih.org/siprojuris/enseignant/56873.

On y trouvera également les informations suivantes sur « Hauriou, Maurice, Jean, Claude, Eugène 1856 – 1929, profession du père : notaire, installé à Deviat en 1856. Père : Laurent, Jules Hauriou, né à Cressac (Charente) le 19 avril 1827, fils de Pierre Hauriou, propriétaire (tant au moment de la naissance qu’au moment du mariage de son fils). Mère : Marie, Eugénie, Trouiller, née à Ladiville le 25 février 1836, décédée à Deviat le 6 avril 1879, fille de Jean, Benjamin Trouiller, maire de Ladiville en 1856, propriétaire. Mariage des parents à Ladiville le 16 avril 1855. Une soeur Catherine, Louise, Edmée, née à Ladiville le 17 janvier 1859, elle épouse en 1887 Jean Malet, professeur à l’Ecole vétérinaire de Toulouse. Identité du conjoint : Andrieux, Marie – Date et lieu de naissance : 28 juin 1872 (Blanzac-Porcheresse (Charente)). Six enfants, dont André Hauriou, professeur de droit ».

[3] Proust Marcel, Contre Sainte-Beuve, Gallimard, Coll. Idées, 1954, p. 169.

[4] Voir la grande thèse de « l’amour en plus » d’Elisabeth Badinter ou plus largement le travail de Françoise Dolto.

[5] Cyrulnik B., Un merveilleux malheur, Odile Jacob, 1999.

[6] Prévert Jacques, « Choses et autres » in Toi ma mère, Albin Michel, 2006, p. 291.

[7] Cité par Franz-Olivier Giesbert, Dieu, ma mère et moi, Ed. France Loisirs, 2012, p. 19.

[8] Niki de Saint-Phalle in Toi ma mère, op. cit., p. 268.

[9] Gary Romain, La promesse de l’aube, Gallimard, Folio, p. 368.

[10] Rouart Jean-Marie, « Une jeunesse à l’ombre de la lumière », cité in Toi ma mère, op. cit., p. 227.

[11] Bianciotti Hector, Toi ma mère, op. cit., p. 173.

[12] Delerm Marthe et Philippe, Le miroir de ma mère, Ed. du Rocher, 1998, p. 88.

[13] Badinter Elisabeth, L’amour en plus, Le livre de poche, 1982, p. 150.

[14] Idem, p. 161

[15] Idem, p. 233 et s.

[16] Simenon Georges in Toi ma mère, op. cit. p. 239.

[17] Simenon Georges in Toi ma mère, op. cit., p. 245.

[18] Simon Yves in Toi ma mère, op. cit., p. 251.

[19] Delerm Marthe et Philippe, op. cit., p. 9

[20] Ibid.

[21] Perec Georges in Toi ma mère, op. cit., p. 271.

[22] Bianciotti Hector, « Seules les larmes seront comptées » in Toi ma mère, op. cit., p. 174.

[23] Bobin Christian, « La part manquante » in Toi ma mère, op. cit., p. 138.

[24] Gary Romain, La promesse de l’aube, Gallimard, Folio, p. 391.

[25] Perec Georges, op. cit., p. 277.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Deux auteurs : Nolwenn Duclos & Maxime Charité

Profession :
Enseignant.e.s contractuel.le.s des universités

Thèmes de recherche(s) :
Droits et contentieux constitutionnels et administratifs

Quelle a été votre première collaboration / publication aux Editions L’Epitoge ?

Orléans dans la jurisprudence des « Cours suprêmes »

Y en a-t-il eu d’autres ?
Non, pas pour l’instant. Nous profitons de cette occasion pour annoncer que nous finalisons actuellement un projet de recherche s’inscrivant dans la continuité d’Orléans dans la jurisprudence des « Cours suprêmes » et qui donnera lieu au premier cycle de conférences des jeunes chercheurs en droit de l’université d’Orléans au cours de l’année universitaire 2020/2021 ; projet qui sera rendu public en même temps que la sortie de l’ouvrage.

Quelle est votre dernière publication ?
Une étude sur le « survivant désigné » inspirée de la série éponyme et parue au n° 112 de la Revue française de droit constitutionnel (Nolwenn) ;
un article sur les « besoins essentiels à la vie », version écrite d’une communication orale au colloque virtuel « Droit et Coronavirus », récemment publié à la Revue des droits et libertés fondamentaux (Maxime).

Quelle sera (en 2020, 21, etc.) votre future publication ?
Orléans dans la jurisprudence des « Cours suprêmes », mais également et notamment, nos contributions individuelles à l’ouvrage collectif dirigé par la professeure Catherine Thibierge sur la garantie normative, ainsi que la version écrite d’une communication orale au colloque « Le Berry, hier, aujourd’hui, demain », qui se rattache aussi à mes travaux sur le territoire saisi par le droit et la jurisprudence (Nolwenn). De plus, nous écrivons actuellement une contribution intitulée « De quoi la modernisation du mode de rédaction des décisions de justice est-elle le nom ? », également destinée à paraître au sein d’un ouvrage collectif sur la modernisation du droit.

Quelle est la publication dont vous êtes le.la plus fier.e / heureux.se ? Mon article sur le « survivant désigné » (Nolwenn) ; dans l’attente de la publication de ma thèse, mon étude sur les commentaires autorisés des décisions du Conseil constitutionnel, fruit de mon mémoire de recherche de Master 2, qui a pu paraître à la suite de la Troisième journée de la jeune recherche en droit constitutionnel.

Quel est – en droit – votre auteur.e préféré.e ?
Le professeur Dominique Rousseau, qui nous a éveillé à la recherche en droit constitutionnel lors de notre seconde année de master à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Quel est – en littérature – votre auteur.e préféré.e ?
Double joker !

Quel est – en droit – votre ouvrage préféré ? 
Les grands arrêts de la jurisprudence administrative et La Constitution introduite et commentée par le professeur Guy Carcassonne

Quel est – en littérature – votre ouvrage préféré ? 
Les liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos pour le portrait acerbe qu’il dresse des mœurs de l’aristocratie du XVIIIe siècle (Nolwenn) ; Les forçats de la route d’Albert Londres, amour de la « petite reine » oblige (Maxime).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Des Constitutions provisoires (par le Dr. N. Perlo)

Voici la 54e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 3e livre de nos Editions dans la collection dite verte de la Revue Méditerranéenne de Droit public publiée depuis 2013.

Cet ouvrage est le troisième issu de la collection
« Revue Méditerranéenne de Droit Public (RM-DP) ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume III :
Influences & confluences
constitutionnelles en Méditerranée

Ouvrage collectif
(dir. Laboratoire Méditerranéen de Droit Public
Mathieu Touzeil-Divina & Wanda Mastor)

– Nombre de pages : 236
– Sortie : juillet 2015
– Prix : 39 €

ISBN / EAN : 979-10-92684-07-0  / 9791092684070

ISSN : 2268-9893

Présentation :

Le présent ouvrage doit sa réalisation et sa publication à un appel à contributions du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public (LM-DP). Une quinzaine de textes a ici été sélectionnée, à l’aveugle, par un comité scientifique. Les contributions proviennent des différents rivages de la méditerranée et vous sont présentées en langue française, langue de travail du LM-DP, mais aussi (en fin d’ouvrage) sous forme de résumés en langues anglaise, arabe (littéraire) et italienne. Le présent volume forme ainsi le troisième numéro de la Revue Méditerranéenne de Droit Public (RMDP). En effet, après un numéro pilote (RMDP I) consacré à des premiers éléments bibliographiques de droit public méditerranéen et un deuxième numéro (RMDP II), fruit des actes du colloque « Droits des femmes et révolutions arabes », notre Revue part cette fois à l’assaut des influences – mais aussi des confluences – constitutionnelles en Méditerranée et c’est un beau voyage que nous vous proposons ainsi de faire à nos côtés. Il ne vous reste qu’à embarquer en gardant toujours à l’esprit que le réseau LM-DP, porteur de ce projet, n’appartient à aucun pays et n’a embrassé aucun dogme. Il entend voguer où le vent le conduira et avec les voyageurs et les capitaines qui voudront bien s’y consacrer. Bienvenue à bord !

Qu’ont retenu l’Egypte, la Tunisie, le Maroc, l’Algérie, la Libye, la Syrie pour ne citer qu’eux de leurs histoires passées ? En quoi ce printemps était-il un « réveil » pour emprunter un terme souvent utilisé ? En quoi certains régimes, certaines Constitutions étaient-ils « transitoires » ? Une religion érigée au statut d’ « officielle » est-elle un obstacle à la liberté de croyance ? Le régime parlementaire y a-t-il un sens ? Pendant longtemps, le droit constitutionnel comparé des pays francophones du sud se limitait à l’étude du mimétisme constitutionnel déjà évoqué. Les peuples ont pu se libérer du joug de certains dictateurs, mais on se libère difficilement du poids du passé. Pour cette raison, le bassin méditerranéen est un formidable laboratoire de droit comparé. Les vents semblent y souffler de toute part ; ceux des anciennes colonies ou protectorats, ceux des cultures locales, de l’Islam, des droits économiques et sociaux, du droit international. Les vents de l’importé, l’exporté, le voulu, le subi, le conscient, l’inconscient. Les influences et confluences. Autant de souffles qui font la richesse et la complexité de ces pays voisins. Nous ne savons s’il existe un droit méditerranéen, et nous ne sommes, de manière générale, pas favorable à la globalité, l’universalité des définitions. Nous sommes convaincus en revanche qu’il y a un noble objet de recherche, et que les contributions qui suivent en sont la preuve.

Les Constitutions Provisoires,
une catégorie normative atypique
au cœur des transitions constitutionnelles en Méditerranée

Nicoletta Perlo
Maître de conférences, Université Toulouse I Capitole
membre du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les Pays du bassin méditerranéen, et notamment les rives européenne et africaine, ont connu des transitions constitutionnelles d’ampleur, passant de régimes politiques autoritaires à des régimes démocratiques. Ces Pays présentent ainsi un grand intérêt pour l’étude comparative des périodes instables des transitions constitutionnelles démocratiques.

L’analyse des processus complexes, conduisant à la disparition d’un régime politique autoritaire et à l’instauration d’un régime démocratique, impose au juriste d’étudier l’ensemble des normes, matériellement et formellement constitutionnelles, qui contribuent au changement axiologique de l’ordre juridique. La succession de deux ordres constitutionnels ne saurait pas se réduire, en effet, à l’abrogation formelle de l’ancien ordre et à l’entrée en vigueur du nouveau. Bien au contraire, la transition se caractérise par des phases, marquées par l’adoption d’une pluralité d’actes juridiques, qui mettent fin au régime précédent, instaurent un régime intermédiaire et provisoire et conduisent à l’adoption de la nouvelle Constitution. La consolidation des institutions démocratiques conclut le processus transitionnel[1].

La présente étude retient ainsi une définition bien précise de la « transition »[2], excluant toutes les transformations politico-constitutionnelles qui ne conduisent pas à un changement radical du régime politique[3], ainsi que tout processus conduisant à l’affirmation d’un ordre juridique autoritaire[4]. En outre, nous limitons notre analyse à une phase spécifique du processus transitionnel, celle se situant entre l’abrogation de l’ordre juridique déchu et l’adoption de la nouvelle Constitution démocratique.

Ce stade intermédiaire de la transition a longtemps été oublié par la doctrine, qui a considéré cet « interrègne constitutionnel »[5] comme relevant du pur fait et non pas du droit, étant donné que, dans cette phase, aucune norme fondamentale stabilisée ne semble fonder un ordre juridique globalement efficace et sanctionné[6]. A partir de 1945, toutefois, quelques auteurs[7] commencent à s’intéresser aux actes normatifs adoptés dans cette période.

Ce réveil d’intérêt est lié aux grandes transformations politico-juridiques qui marquent l’après guerre. La reconnaissance du suffrage universel et l’affirmation des grands partis politiques de masse changent sensiblement la fonction de la Constitution ainsi que les procédures de son adoption. Désormais, le texte constitutionnel est un instrument d’intégration de sociétés plurielles et la phase pré-constituante se complexifie dans le but d’atteindre le consensus politique et social qui, seul, est capable de fonder une communauté civile et politique. Par conséquent, le stade intermédiaire de la transition dure plus longtemps et très souvent se caractérise par l’adoption de textes matériellement constitutionnels.

Les « interrègnes » des transitions démocratiques des Etats riverains de la Méditerranée suivent bien cette tendance. En particulier, l’Italie, la France, le Portugal, l’Espagne, l’Albanie, la Tunisie, l’Egypte et la Libye ont adopté, dans cette phase de la transition, des textes juridiques atypiques, que nous appelons « Constitutions provisoires »[8]. Ces actes, fondateurs d’un ordre constitutionnel provisoire, encadrent les gouvernements provisoires[9] et organisent l’adoption de la Constitution définitive. Ils donnent ainsi une réponse immédiate à l’exigence de rétablir l’ordre et la paix, ils attribuent une légitimité démocratique à l’autorité de fait et représentent des laboratoires précieux pour la conception de nouvelles solutions d’ingénierie constitutionnelle, respectueuses de l’Etat de droit. Par conséquent, l’étude des Constitutions provisoires contribue à la réflexion sur la nature et les fondements juridiques des transitions démocratiques ainsi qu’à l’approfondissement des procédures constituantes.

L’analyse comparative des Constitutions provisoires méditerranéennes permet, tout d’abord, d’identifier cette catégorie normative atypique, dont la validité est limitée dans le temps et le contenu, matériellement constitutionnel, est caractérisé par la présence de dispositions bien spécifiques (I). La comparaison nous conduit ensuite à étudier la raison d’être de tels actes. Au-delà de la fonction de pacification politique et sociale, celle de légitimation occupe une place centrale dans l’élaboration de ces textes. Par les Constitutions provisoires, des gouvernants auto-proclamés légitiment leur pouvoir et contribuent à la légitimation de la Constitution définitive, assurant ainsi l’effectivité du nouvel ordre constitutionnel et la réussite de la transition (II).

I. L’identification des Constitutions provisoires

Les Constitutions provisoires contredisent, sous deux profils, la catégorie normative traditionnelle de « Constitution ». Elles ne sont pas adoptées pour durer dans le temps, ayant, bien au contraire, une validité limitée (A). En outre, elles n’ont pas la forme constitutionnelle, étant donné que, le plus souvent, elles sont adoptées par des actes infra-constitutionnels. Toutefois, leur contenu est matériellement constitutionnel et présente des caractéristiques uniques, qui font des Constitutions provisoires une catégorie normative atypique du droit constitutionnel (B).

A. Une validité limitée dans le temps

La notion de « Constitution provisoire » semble former en soi un oxymore. Selon l’idéologie constitutionnaliste, la Constitution est en effet un texte normatif fondé sur un pacte collectif et volontaire qui doit s’inscrire dans la durée afin de construire un ordre stable de l’Etat. Toutefois, l’expérience nous oblige à constater que la vocation à la perpétuité des Constitutions modernes n’est qu’illusoire, les équilibres institutionnels et sociaux évoluant sans cesse et pouvant produire des ruptures et des renouveaux constitutionnels répétés. Or, si la Constitution éternelle n’est pas une donnée réelle, pourrait-on considérer que toutes les Constitutions sont, au fond, provisoires, puisque destinées, à termes, à être remplacées par un autre texte constitutionnel ? Dans ce cas, la distinction entre une Constitution « provisoire » et une Constitution « définitive » serait dépourvue de tout fondement.

Cependant, ce qui relève ici pour l’identification de la Constitution provisoire, n’est pas la durée effective de la validité du texte, mais l’intention originaire du constituant. Une Constitution « provisoire » est un texte qui est expressément conçu pour prévoir des règles à validité temporaire. En ce sens, elle contient les dispositions qui, de façon expresse ou parfois implicite, prévoient et organisent sa disparition. En quelque sorte, il s’agit d’un texte créé pour s’autodétruire, une fois sa mission remplie[10].

La fin de la validité du texte constitutionnel intérimaire correspond, en général, au moment de l’adoption de la Constitution définitive. Toutefois, chaque transition, selon ses exigences propres, peut renvoyer à des événements politico-juridiques différents.

En particulier, les Etats qui adoptent une Constitution provisoire lorsque les conflits sont encore en cours, ont tendance à lier l’échéance du texte non seulement à un acte juridico-constitutionnel précis, mais aussi à un fait historico-politique déterminé, comme la défaite de l’adversaire ou bien la libération du territoire national. Ainsi, en Italie, le décret-loi luogotenenziale du 25 juin 1944, n°151[11], adopté dans un pays encore en guerre, réglemente l’exercice du pouvoir législatif « jusqu’à l’élection du nouveau Parlement »[12], c’est-à-dire, une fois le territoire national libéré, le choix sur la forme républicaine ou monarchique de l’Etat opéré et la nouvelle Constitution adoptée par une Assemblée constituante élue à suffrage universel direct[13]. De même, la Déclaration constitutionnelle libyenne du 3 août 2011[14] organise la disparition des institutions et du texte constitutionnel provisoires « après la déclaration de libération »[15], c’est-à-dire une fois la chute du régime de Kadhafi déclarée.

En revanche, les autres pays méditerranéens se sont dotés de Constitutions provisoires une fois la guerre ou les conflits civils terminés. La validité du texte intérimaire se prolonge alors jusqu’à l’adoption de la Constitution définitive. Parfois, cette référence est explicite, comme dans le cas de la loi portugaise n°3 du 14 mai 1974[16] ou bien de la « Law on Major Constitutional Provisions » du 29 avril 1991[17], qui a régi la période intérimaire de la transition démocratique albanaise. D’autres fois, l’intention du constituant est implicite, mais elle peut être déduite de l’ensemble des dispositions constitutionnelles. C’est notamment le cas, en France, de la loi du 2 novembre 1945[18], qui prévoit que les pouvoirs attribués à l’Assemblée constituante expireront « le jour de la mise en application de la nouvelle Constitution […] ». Puisque l’Assemblée exerce des fonctions à la fois constituantes et législatives, il est évident qu’une fois la Constitution définitive adoptée, la réglementation provisoire perd sa validité. La Ley para la Reforma politica espagnole du 15 décembre 1976[19], approuvée par les Cortes organicas franquistes, n’explicite pas non plus la fin de sa validité. Le contenu de la Ley, toutefois, ne ment pas : elle rompt de façon nette avec le régime autoritaire en affirmant les principes d’un Etat démocratique, en prévoyant l’institution d’un Parlement bicaméral et en réglementant les aspects essentiels du processus législatif[20]. La Ley pose alors les bases pour la future organisation des élections générales et l’adoption d’une nouvelle Constitution. De même, la Déclaration constitutionnelle égyptienne du 30 mars 2011[21] révèle implicitement la nature provisoire de son pouvoir constituant. L’article 60 prévoit en effet l’élection d’une Assemblée constituante qui « préparera un nouveau projet de Constitution pour le pays […] » et l’article 61 établit un terme aux prérogatives exceptionnelles exercées par le Conseil suprême des forces armées pendant la période intermédiaire.

La transition tunisienne présente, enfin, la particularité d’avoir conduit à l’adoption de deux constitutions provisoires, fondatrices de deux ordres constitutionnels provisoires distincts au sein de la même période intermédiaire. Par conséquent, les deux textes lient leurs disparitions respectives à des événements différents. Le décret-loi du 23 mars 2011[22], adopté par le Président de la République par intérim, prévoit que sa validité se termine suite à l’élection de l’Assemblée nationale constituante[23]. En revanche, la Loi constituante n° 2011-6 du 16 décembre 2011[24], adoptée par une commission ad hoc de l’Assemblée constituante nouvellement élue, lie sa disparition à l’adoption de la nouvelle Constitution[25].

B. Un contenu matériellement constitutionnel

Le deuxième aspect qui permet d’identifier une Constitution provisoire est le contenu de ce texte. La forme de la norme, en effet, n’est pas un critère fiable, étant donné que, très souvent, il s’agit d’actes pour lesquels n’ont pas été prévues des procédures d’adoption et/ou de révision renforcées[26]. Fréquemment, ils sont issus d’un acte unilatéral émis par la nouvelle autorité de fait, qui, en dehors de toute légitimation démocratique[27], s’auto-attribue le pouvoir constituant provisoire. Même si les constituants consacrent presque toujours les textes en tant que « lois constitutionnelles »[28], cette prévision ne saurait pas suffire en l’absence de conditions renforcées pour la révision de leurs dispositions. Dans l’espace méditerranéen, seuls deux Etats ont adopté une Constitution provisoire formellement constitutionnelle. Il s’agit de l’Albanie[29] et de la Lybie[30].

La raison pour laquelle les Constitutions provisoires sont si rarement dotées d’une forme constitutionnelle est à rechercher dans leur nature de textes « relais » [31], adoptés provisoirement pour accompagner et régir le passage d’un ordre juridique à un autre. Après une révolution, un coup d’Etat, une guerre civile, les Constitutions provisoires représentent la toute première formalisation de l’équilibre précaire atteint entre les acteurs civils, politiques et militaires de la transition. Ces textes sont issus d’un pacte politique, formel[32] ou informel, négocié entre les parties, qui fixe les règles de la trêve institutionnelle et sociétale provisoirement atteinte. En cela, les Constitutions provisoires sont une illustration éclairante des théories institutionnalistes[33]. Si l’adoption de la Constitution définitive, strictement encadrée par des règles et des procédures démocratiques, peut faire oublier que ce texte existe en vertu d’un ordre concret qui le précède et qui l’exprime, la Constitution provisoire, adoptée dans l’urgence par des pouvoirs dépourvus souvent de toute légitimité démocratique, nous dévoile les procédures institutionnelles de la vie de l’Etat, qui se tissent inlassablement entre chaque discontinuité constitutionnelle[34]. La Constitution provisoire, en tant qu’acte juridique volontaire, fixe, formalise l’ensemble normatif matériel, issu de la composition des tensions en présence[35]. De par ses règles, ce texte marque un tournant décisif de la transition : il fonde un ordre constitutionnel provisoire, en déterminant une césure nette avec le régime juridique précédent, en organisant les institutions provisoires et en encadrant la procédure constituante pour l’adoption d’une Constitution définitive. Les dispositions des textes provisoires ont alors une dimension temporelle très particulière : elles règlent le passé, organisent le présent et préparent le futur. En cela, les Constitutions provisoires présentent un contenu typique, matériellement constitutionnel, qui permet de les identifier en tant que telles.

L’étude des Constitutions provisoires méditerranéennes semble conforter cette analyse. En premier lieu, les textes provisoires, dans la plupart des cas, se positionnent explicitement par rapport aux ordres juridiques précédents[36]. Les constituants provisoires prévoient : ou bien le maintien en vigueur des normes constitutionnelles du régime précédent, dans le respect des nouvelles dispositions provisoires[37] ; ou bien la suspension de la validité de la norme fondamentale de l’ordre autoritaire[38] ; ou encore l’abrogation définitive[39].

Tous les textes méditerranéens organisent ensuite un système constitutionnel provisoire. En ce sens, les Constitutions provisoires sont des véritables laboratoires, offrant la possibilité aux gouvernants d’expérimenter des nouveaux mécanismes constitutionnels démocratiques. La forme de gouvernement parlementaire est souvent privilégiée, puisqu’elle est considérée comme la plus à même de marquer la rupture avec le régime dictatorial[40]. Cependant, dans de nombreux cas, l’institution immédiate d’un ordre entièrement démocratique se révèle impossible. Dans des contextes encore troublés, l’exigence de maintien de l’ordre rend parfois nécessaire l’établissement d’un exécutif très fort ou la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul organe, au détriment des principes de l’Etat de droit[41]. Les dispositions régissant une procédure constituante démocratique sont alors la promesse du passage à une phase ultérieure, stabilisée, dans laquelle un régime démocratique pourra être réalisé.

Les Constitutions méditerranéennes plus récentes, et notamment, celles albanaise, libyenne et égyptienne, présentent un autre trait caractéristique. Ces textes contiennent des catalogues de droits et de libertés fondamentaux très fournis, même en l’absence d’institutions qui puissent garantir leur application effective. Les constituants provisoires manifestent ainsi leur volonté de rompre radicalement avec le passé autoritaire et semblent préconiser les fondements du pacte constitutionnel à venir. Cela revêt une fonction de légitimation démocratique des institutions provisoires très importante, à la fois, à l’intérieur et à l’extérieur du pays. D’une part, les nouvelles forces dominantes rassurent les citoyens sur le changement radical qui s’annonce, malgré la persistance, très souvent, d’un régime provisoire foncièrement autoritaire. D’autre part, les pouvoirs provisoires se légitiment vis-à-vis de la communauté internationale, manifestant leur volonté de se rallier aux principes fondateurs du constitutionnalisme et à la doctrine des droits de l’homme.

Enfin, toutes les Constitutions provisoires méditerranéennes encadrent la procédure constituante qui conduira à l’adoption d’une nouvelle Constitution, achevant la transition démocratique. Les procédures instituées s’organisent toutes autour d’une élection à suffrage universel, qu’elle soit législative ou bien constituante, gage de la légitimité démocratique de la nouvelle norme suprême. Dans la plupart des cas, les textes prévoient l’élection directe d’une Assemblée constituante, à laquelle sont souvent attribués d’autres pouvoirs[42]. Dans d’autres cas, la Constitution provisoire prévoit que la Constitution définitive soit adoptée par une commission issue de l’assemblée législative[43].

L’étude de ces textes, nous conduit à constater que, souvent, la Constitution provisoire est formée par plusieurs actes juridiques, qui, adoptés tout au long de la période intermédiaire de la transition, contribuent à intégrer ou bien à amender le premier acte constitutionnel adopté. La phase d’interrègne peut en effet durer longtemps et, bien évidemment, les équilibres entre les forces en présence évoluent. Les révisions du pacte originaire sont alors souhaitables, étant donné que cette période est consacrée à rechercher un accord capable de fonder une communauté civile et politique stabilisée. Dans les cas où une pluralité d’actes contribue à régler le statut de l’ordre juridique précédent, à organiser le système constitutionnel provisoire et à encadrer la procédure constituante, nous considérons qu’il existe un « bloc de constitutionnalité provisoire »[44].

La transition démocratique portugaise, par exemple, s’est déroulée au travers d’une succession d’actes à valeur constitutionnelle qui, réunis, en vertu de leurs contenus, forment bien un bloc constitutionnel provisoire[45]. De même la transition albanaise, dont la phase intermédiaire a duré sept ans, se caractérise par un ensemble de textes successifs qui complètent et amendent la Law on Major Constitutional Provisions[46]. En Espagne, la Ley para la reforma politica est complétée par une série d’actes indispensables pour préparer le terrain à l’organisation d’élections libres et démocratiques[47]. En Italie, bien que la doctrine majoritaire considère que deux Constitutions provisoires ont régi la transition démocratique[48], nous estimons que le décret-loi n° 151/1944 et le décret législatif n° 98/1946 forment un bloc unique, un seul ordre constitutionnel provisoire ayant existé pendant cette période[49]. En France, enfin, nous considérons que la loi constitutionnelle du 2 novembre 1945, communément définie par la doctrine comme la Constitution provisoire[50], fait en réalité partie d’un bloc constitutionnel, formé également par l’ordonnance du 9 août 1944, portant rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental. Les deux textes sont adoptés par le même organe, le Gouvernement provisoire de la République française, et, ensemble, contribuent, d’abord, en 1944, à régler le passé, en déclarant l’inexistence juridique du gouvernement Pétain, et ensuite, en 1945, une fois la guerre terminée, à organiser le présent et préparer l’avenir d’un nouvel ordre constitutionnel.

II. La fonction légitimante des Constitutions provisoires

Les Constitutions provisoires fournissent une réponse à deux enjeux primordiaux, communs à toutes les transitions : le rétablissement de l’ordre public et de la paix sociale et la légitimation du nouveau gouvernement et de ses actes juridiques. Les deux défis sont étroitement liés. La légitimité du pouvoir et des actes normatifs influence en effet l’effectivité du nouvel ordre juridique[51], avec des conséquences importantes sur le maintien de l’ordre. La légitimation des gouvernements provisoires et de leurs actes est donc la fonction la plus importante des Constitutions provisoires (A). L’analyse systématique des textes nous révèle ensuite les stratégies de légitimation adoptées par les forces en présence, afin de mener à bien la transition démocratique (B).

A. Une fonction multidirectionnelle

La fonction légitimante des Constitutions provisoires concerne, à la fois, le gouvernement provisoire (i) et la Constitution définitive (ii).

i. La légitimation du gouvernement provisoire

Si les citoyens croient en la légitimité des nouveaux gouvernants, ils adhéreront plus facilement au nouveau projet politique, en se soumettant aux règles édictées pour mener à bien la transition démocratique[52].

Mais comment un gouvernement issu d’une révolution ou d’un conflit interne peut induire la croyance des citoyens en sa légitimité, autrement dit en son bon droit d’exercer le pouvoir et d’adopter régulièrement des actes juridiques ? Avant l’adoption de toute Constitution provisoire, en effet, le nouveau gouvernement est un gouvernement de fait, c’est-à-dire qu’il s’installe en dehors de toute procédure encadrée[53] et n’est initialement soumis à aucune limitation juridique de ses prérogatives[54].

Suivant la réflexion de Max Weber, deux options de légitimation sont possibles dans ce cas[55]. La croyance en la légitimité du nouveau pouvoir et de ses actes peut s’établir en vertu du charisme extraordinaire du leader de la transition[56], ou elle peut se fonder sur « la légalité des règlements arrêtés et du droit de donner des directives qu’ont ceux qui sont appelés à exercer la domination »[57].

Sans doute, un leader charismatique peut jouer un rôle très important pour la réussite de la transition, en légitimant son gouvernement et l’ensemble du processus démocratique de par la force de son exemplarité et de son histoire politique et personnelle. Toutefois, dans les pays méditerranéens analysés, les transitions ont été menées plus par des forces collectives, représentées par des institutions comme l’armée, les partis démocratiques opposés aux régimes précédents et les monarques[58].

L’approche légale-rationnelle wébérienne semble ainsi permettre une analyse plus adaptée aux cas méditerranéens. Le respect par les pouvoirs en place de règles qu’ils ont eux-mêmes établies et auxquelles ils se sont volontairement soumis, contribue de façon déterminante au processus de légitimation des nouvelles institutions et des normes adoptées. Ainsi, l’entrée en vigueur de la Constitution provisoire permet, à la fois, de transformer un gouvernement de fait en gouvernement de droit et de légitimer ainsi les institutions de la période intermédiaire. Le texte crée en effet un ordre constitutionnel, bien que provisoire, qui limite les prérogatives des organes du pouvoir, en devenant le paramètre de la légalité des actions de ces derniers.

Toutefois, dans le cadre des transitions démocratiques, la légitimité d’un gouvernement ne saurait pas correspondre tout simplement à sa légalité, c’est-à-dire à son respect d’une norme supérieure, en faisant abstraction de son contenu et des valeurs véhiculées par celle-ci[59]. Si la légitimité est une relation de conformité entre l’idée que l’on se fait de ce que doivent êtreles normes et le pouvoir dont elles émanent et ce qu’ils sont réellement[60], la légitimité démocratique implique que les détenteurs du pouvoir et les lois adoptées soient conformes aux souhaits de la majorité, dans le respect des droits de l’homme. Certes, la légalité des normes ainsi que du pouvoir qui les adopte contribuent à renforcer leur légitimité et leur effectivité, mais une norme légale ou un pouvoir légal peuvent être illégitimes au vu des valeurs démocratiques[61].

La Constitution provisoire contribue alors à légitimer les nouveaux pouvoirs à la condition qu’elle soit fidèle à la philosophie de la révolution dont elle est issue. Elle doit suspendre ou abroger l’ordre juridique autoritaire pour instituer un nouvel ordre, inspiré des principes de l’Etat de droit. S’explique ainsi la tendance actuelle des constituants provisoires d’inscrire dans les Constitutions provisoires des véritables catalogues de droits et de libertés[62]. L’organisation des institutions provisoires doit également répondre aux exigences démocratiques en ce qui concerne leur mandat et leur fonctionnement. Sur ce point les expériences diffèrent, puisque l’instabilité de la période intermédiaire peut rendre nécessaire le recours à des compromis qui, tout en allant au détriment du caractère démocratique du système, sont essentiels pour la réussite de la transition. Deux éléments demeurent incontournables pour assurer la légitimité démocratique du gouvernement provisoire : la prévision d’élections libres et sincères, à suffrage universel direct, et l’organisation d’une procédure constituante impliquant la participation des citoyens.

Exception faite pour le texte albanais[63], la totalité des Constitutions provisoires méditerranéennes annonce et réglemente la tenue d’élections. Or, l’élection peut concerner les institutions provisoires, si la Constitution provisoire est adoptée par un pouvoir auto-proclamé[64], et/ou l’Assemblée constituante[65].

Quant à la procédure constituante, pour en assurer le caractère démocratique, dans l’espace méditerranéen, deux solutions sont adoptées : l’Assemblée constituante est élue par le peuple, par un scrutin capable de représenter l’ensemble des forces politiques de la Nation[66] ; ou bien le pouvoir législatif, directement élu, nomme une Commission chargée d’élaborer un projet de Constitution[67]. L’approbation de la Constitution peut inclure la participation directe du peuple, via un référendum[68], ou bien comporter un vote, à une large majorité, de l’organe élu[69], représentant des citoyens.

ii. La légitimation de la Constitution définitive

La fonction légitimante de la Constitution provisoire n’est pas limitée au gouvernement provisoire, mais elle s’étend également au pouvoir constituant et à la Constitution définitive. A ce titre, une précision s’impose. La relation entre la Constitution provisoire et la Constitution définitive doit être analysée à l’aune de la notion de « légitimité » et non pas de celle de « légalité ». Légale est une norme qui est conforme à la norme supérieure. Or, la Constitution provisoire ne fonde pas la validité-légalité de la Constitution définitive. La Constitution provisoire et la Constitution définitive fondent deux ordres juridiques, distincts et séparés. Certes, la Constitution provisoire pose des règles concernant la procédure constituante et parfois impose des contenus au texte constitutionnel définitif, mais cela ne lie pas le pouvoir constituant définitif, qui reste juridiquement libre dans son action. Les contraintes prescrites sont d’ordre politique et leurs conséquences juridiques doivent être appréciées en termes de légitimité.

Ainsi, la conformité procédurale et substantielle de la Constitution définitive aux règles établies par la Constitution provisoire est un facteur important de légitimité pour la norme constitutionnelle finale, puisque, suivant toujours l’approche wébérienne, elle peut induire les individus à croire à la légalité de la procédure suivie et à la légalité du texte adopté. Soyons clairs, la croyance en la légalité ne signifie pas que la norme est réellement légale[70], mais cela induit les destinataires de la norme à la considérer comme légitime et donc à s’y soumettre, garantissant l’effectivité du système. Dans les transitions que nous étudions, la légitimité est aussi fonction du caractère démocratique des procédures constituantes et des principes affirmés par la Constitution provisoire.

Certes, la Constitution provisoire est seulement l’un des facteurs de légitimation de la Constitution définitive. Pendant la procédure constituante, et tout au long de la période intermédiaire, les équilibres politiques et sociaux évoluent sans cesse, donnant vie à des nouveaux ordres informels, à des nouvelles « constitutions matérielles », selon l’expression de Mortati. L’intensité du rapport de légitimation entre la Constitution provisoire, d’une part, et le pouvoir constituant et la Constitution définitive, d’autre part, est alors étroitement liée à la capacité de la première de refléter l’ensemble des règles informelles exprimées par l’équilibre des forces politico-sociales en présence, tout au long de la période intermédiaire[71]. Cela explique la création diffuse de blocs constitutionnels provisoires. L’ordre provisoire adapte ses règles aux changements sociaux et politiques, induits souvent par l’organisation d’élections législatives ou constituantes.

La transition portugaise en est un exemple. Entre le premier texte du bloc constitutionnel provisoire, adopté le 14 mai 1974, et le dernier, la deuxième Plateforme constitutionnelle du 26 février 1976, les équilibres entre les acteurs de la transition ont fortement changé. Si dans une première phase le Mouvement des forces armées est le moteur de la Révolution, après les élections législatives, il en devient un simple garant, laissant la place aux forces politiques et civiles[72]. Les règles de la procédure constituante accompagnent donc l’évolution des rapports entre les forces politiques, jusqu’à ce que ces rapports soient traduits en droit par la Constitution définitive.

B. Une fonction inscrite dans la stratégie transitionnelle

La fonction de légitimation des Constitutions provisoires est étroitement liée à la stratégie adoptée par les forces dominantes afin de mener à bien la transition démocratique. L’analyse juridique permet en effet de constater que ces actes traduisent en droit le choix politique opéré entre deux typologies principales de transition : la transition « par compromis » et la transition « par élimination du régime précédent » [73]. Nous pouvons alors identifier deux typologies de Constitutions provisoires : les Constitutions provisoires « de la continuité » et les Constitutions provisoires « de la rupture ».

Statistiquement, la première typologie est plus fréquente que la deuxième. Les transitions démocratiques par compromis, en effet, ont plus de chances de réussite. Les accords atteints entre les tenants de l’ancien régime et les vainqueurs permettent de dégager un consensus pacifiant, qui peut jeter des bases solides pour une coexistence future et durable entre tous les membres de la société (i). En revanche, l’élimination des vaincus de toute forme d’exercice du pouvoir et de toute participation à la reconstruction de l’Etat peut, certes, fortifier, dans un premier temps, les vainqueurs, mais, sur le long terme, elle peut engendrer des déséquilibres importants. La société reste, en effet, divisée, puisque fondée sur le principe d’exclusion d’une partie à l’avantage des autres[74] (ii). Les transitions démocratiques en Méditerranée confirment cette tendance.

i. Les Constitutions provisoires « de la continuité »

La plupart des Constitutions provisoires étudiées sont l’instrument d’une stratégie légitimante consistant à faire apparaître qu’une partie de la procédure constituante est fondée sur les normes de l’ordre juridique précédent. Bien entendu, il ne s’agit que d’une fiction, puisque le nouvel ordre provisoire introduit, dans tous les cas, un régime politique et une forme d’Etat nouveaux, porteurs d’une conception différente de la relation entre les gouvernants et les gouvernés et de la finalité de l’action publique. Toutefois, dans le cadre de transitions où le régime précédent bénéficie encore d’une certaine légitimité et les forces opposées ne sont pas assez fortes pour s’imposer l’une à l’autre, la prétendue continuité entre les deux ordres sert les intérêts d’une transition négociée et pacifique. La dissimulation de la rupture de l’ordre juridique assure un effet de légitimation, bien que partiel : la Constitution provisoire apparaît légitime puisque le pouvoir qui l’a adoptée, en apparence, ne viole pas les règles de l’ordre constitutionnel déchu. Ainsi, la procédure constituante régie par ce texte acquière une légitimité qu’elle transmet par ricochet à la Constitution définitive. Le rattachement au passé ne saurait, toutefois, pas suffire à légitimer la transition démocratique. Pour cela, il faut que, en même temps, la volonté d’instaurer un régime démocratique soit clairement annoncée par la Constitution provisoire et que, en ce sens, soient enclenchées des procédures électorales législatives et constituantes.

Ainsi, en 2011, les tunisiens, dans la première phase de la transition, tentent de passer à un nouvel ordre constitutionnel dans le respect de la Constitution du régime précédent. L’intention des nouvelles forces dominantes est celle d’attribuer le pouvoir législatif au nouveau Président intérimaire. Puisque, toutefois, cela constitue une violation manifeste de la Constitution de 1959, des mesures « d’ingénierie constitutionnelle »[75] sont élaborées afin de garantir une légalité apparente, alors que, dans les faits, elles contournent les règles constitutionnelles. L’apparente continuité constitutionnelle est toutefois gage de légitimité pour le Président par intérim, qui, fort de cette assise, le 23 mars 2011, adopte un décret-loi[76], qui fonde le premier ordre constitutionnel provisoire. Cette première Constitution provisoire, en dépit de la fiction procédurale, formalise l’exigence d’un changement radical de la forme d’Etat et organise le passage vers un régime démocratique attribuant la souveraineté au peuple.

La transition démocratique espagnole a été aussi conduite en passant par un texte de rupture dissimulée. Après la mort du dictateur Franco, la faiblesse des parties opposées, la volonté de paix de la plupart des espagnols et l’engagement du roi en faveur du changement[77] conduisent le gouvernement Suarez à mettre en place une stratégie juridique capable d’assurer une transition intégrant, à la fois, l’opposition et les franquistes. La Ley para la Reforma politica est approuvée par les Cortes organicas franquistes dans le respect de la procédure de révision prévue par la Constitution de la dictature. Sous le voile de la légalité franquiste, cet acte constitutionnel, en cinq articles, rompt de façon nette avec le régime autoritaire affirmant la suprématie de la loi, la souveraineté populaire et l’inviolabilité des droits[78]. La voie vers l’approbation d’une Constitution démocratique définitive est ainsi ouverte.

De même, en Italie, le pouvoir constituant provisoire de 1944 s’appuie largement sur la légitimité de l’ordre monarchique pour fonder la légitimité du bloc constitutionnel provisoire, qui, de fait, change radicalement la forme de l’Etat italien[79]. Les decreti luogotenenziali imposent, en effet, l’organisation d’un référendum qui conduit à la proclamation de la République et contiennent des dispositions qui préconisent la nouvelle forme d’Etat démocratique et pluraliste.

Il est à noter que dans cet ensemble de cas, le pouvoir constituant provisoire est un organe de l’ordre précédent. Cela nourrit davantage la fiction et a une fonction de pacification indéniable. Toutefois, cet organe, au moment où la transition vers un nouvel ordre a été enclenchée, n’est plus investi par l’ordre juridique précédent. Désormais, il agit « comme un organe provisoire du nouvel ordre »[80].

ii. Les Constitutions provisoires « de la rupture »

La Constitution provisoire de la rupture entend manifester la disparition formelle et matérielle du régime précédent. Elle est alors adoptée par un organe totalement nouveau, délié du régime précédent.

L’étude des cas concrets nous dévoile, cependant, que la réalité est toujours plus ambiguë des modèles « purs » que les juristes peuvent élaborer pour essayer de comprendre, de façon synthétique, des phénomènes complexes. Si les Constitutions de la continuité cachent une césure constitutionnelle et institutionnelle profonde avec le régime précédent, les Constitutions de la rupture sont souvent issues et modelées par des compromis, conclus entre les nouveaux pouvoirs et les tenants de l’ancien régime[81]. Ce sont d’ailleurs ces compromis qui, souvent, assurent la réussite de la transition. La rupture, comme la continuité, n’est donc qu’apparente, un instrument au service d’une stratégie de légitimation dont la Constitution provisoire est le fidèle miroir.

Le passage du régime de Vichy à la IVe République française est l’exemple d’une transition conduite par des textes constitutionnels de très forte rupture. Une rupture qui passe tout d’abord par la négation de l’existence juridique du gouvernement de Vichy, réduit au simple rang d’autorité de fait par l’article 7 de l’ordonnance du 9 août 1944. La césure avec le passé n’est toutefois pas si radicale. Le gouvernement provisoire de 1944, autoproclamé à la veille du débarquement des Alliés en Normandie, et incarné par le Comité français de la Libération nationale, tente de renouer avec les lois constitutionnelles de 1875, qui juridiquement demeurent en vigueur[82]. La volonté, manifestée dans l’intitulé de l’ordonnance de 1944, de rétablir la légalité républicaine, montre le désir de fonder la légitimité d’un gouvernement nouveau et révolutionnaire sur la légalité de la IIIe République[83]. En réalité, le ralliement au passé n’est que symbolique, puisque la structure du gouvernement provisoire ne se conforme pas aux dispositions de 1875. Une fois le conflit terminé, l’organisation du référendum du 21 octobre 1945, marque la rupture définitive avec l’ordre constitutionnel de 1875. Les Français s’expriment en faveur de l’adoption d’une nouvelle Constitution et la loi du 2 novembre 1945 organise la procédure constituante et encadre les institutions provisoires selon des principes tout à fait nouveaux.

La Constitution provisoire portugaise est aussi un exemple éclairant de cette typologie de textes. Suite au coup d’Etat militaire soutenu par le peuple qui, en 1974, met fin au régime autoritaire de Salazar, un pouvoir nouveau, le Mouvement des Forces Armées, adopte l’ensemble des actes constitutionnels provisoires. La procédure constituante est organisée dès 1975, au travers de deux « Plateformes d’accord constitutionnel ». La première est conçue unilatéralement par les militaires et imposée par le MFA aux partis politiques. La deuxième intervient après l’élection de l’Assemblée constituante (25 avril 1975) et elle est issue d’un accord bilatéral entre le MFA et les partis politiques. Elle conduit à la formation d’une Assemblée constituante politiquement hétérogène, qui, sans aucune intervention politique des militaires, approuve la Constitution définitive du 2 avril 1976.

La transition constitutionnelle égyptienne n’est pas issue d’un coup d’Etat militaire, mais elle a également été régie par les forces armées en rupture manifeste avec le régime précédent. Sous la pression populaire, le président Moubarak cède le pouvoir au Conseil suprême des Forces armées, qui dans un premier temps agit dans la continuité du régime précédent, adoptant des amendements à la Constitution de 1971, approuvés par référendum le 19 mars 2011. Dix jours après, toutefois, le Conseil s’érige en pouvoir constituant provisoire édictant une Déclaration constitutionnelle qui rompt de façon nette avec l’ancien régime et introduit un nouvel ordre constitutionnel provisoire. De nombreuses institutions du régime précédent sont toutefois maintenues, notamment la magistrature et la Cour constitutionnelle. La rupture impose ainsi la coexistence entre les tenants de l’ancien régime et les fondateurs du nouvel ordre, ce qui oblige la recherche permanente de compromis pour pouvoir gouverner[84].

En Albanie, la rupture symbolique avec le régime précédent est évidente. La Constitution provisoire du 21 mai 1991 est adoptée par un Parlement pluraliste, issue des premières élections libres depuis soixante-six ans. Le texte supprime toute référence au « socialisme » et fonde un ordre constitutionnel provisoire inspiré des principes de l’Etat de droit et basé sur un régime parlementaire. Toutefois, l’analyse des dynamiques politiques qui ont régi la transition nous dévoile qu’en réalité les tenants de l’ancien régime n’ont pas été éliminés du système. Bien au contraire, l’ancien parti communiste unique de la République populaire socialiste d’Albanie gagne les premières élections législatives et le premier secrétaire du parti, Ramiz Alia, est élu Président de la République. Un gouvernement de coalition est alors formé et cela conduit à l’adoption de la Constitution provisoire, qui est donc issue d’un compromis entre les nouvelles forces politiques et les anciennes. La stabilisation des équilibres tardera à s’établir. Des périodes de « règlements des comptes » avec le passé viendront[85], mais la Constitution définitive, sept ans après, sera l’expression d’un consensus politique et social capable d’intégrer les forces du passé.

Le cas libyen constitue, en revanche, un exemple de rupture radicale et sans compromis avec le passé. Cela s’explique par le fait que la chute du régime de Mouammar Kadhafi laisse un véritable vide institutionnel et constitutionnel dans le pays. D’une part, les institutions politiques n’avaient d’autre légitimité que celle dérivant du pouvoir charismatique du Guide et aucun mouvement d’opposition politique structuré n’existait au moment de la révolution[86]. D’autre part, aucun texte constitutionnel n’était en vigueur en 2011[87]. Ainsi, après l’effondrement du régime, toute continuité institutionnelle et juridique était matériellement impossible et la création d’organes politiques, complètement nouveaux, s’est imposée. Dès février 2011, est constitué le Conseil national de transition, uneautorité politique qui devait conduire le combat contre le régime et régir la transition post-conflit. Préconisant la fin de Kadhafi, le 3 août 2011, le Conseil adopte une Déclaration constitutionnelle pour régir la phase de reconstruction post-conflictuelle. Toutefois, dès les élections législatives du 7 juillet 2012, les tensions dans le pays augmentent. L’absence d’une société civile dotée d’une culture politique et démocratique, la persistance d’une structure sociétale presque féodale, les revendications autonomistes dans l’Est du pays et l’expansion de l’intégrisme religieux sont parmi les facteurs ayant contribué à casser l’unité des acteurs qui avaient combattu Kadhafi et son régime. Une fois la libération déclarée, « les alliés d’hier deviennent les ennemis d’aujourd’hui »[88] et, quatre ans après la révolution, l’échec de la transition démocratique est incontestable[89].


[1] Pour Jean-Pierre Massias, le Droit constitutionnel de la transition démocratique recouvre « l’ensemble des processus constitutionnels ayant pour objet, d’une part, le remplacement des normes constitutionnelles totalitaires par des normes constitutionnelles démocratiques et, d’autre part, l’application effective de ces normes » (Id., Droit constitutionnel des Etats d’Europe de l’Est ; Paris, Puf ; 2008 ; p. 38).

[2] La notion de « transition » acquière de multiples significations non seulement au sein des différentes disciplines des sciences humaines et sociales, mais aussi au sein même de la discipline juridique. V. De Vergottini Giuseppe, Le transizioni costituzionali ; Bologne, Il Mulino ; 1998 ; p. 162-163.

[3] Le passage de la IVe à la Ve République française est donc exclu de notre champ d’étude.

[4] Nous associons, en effet, le constitutionnalisme à la notion de Constitution moderne, en considérant que, désormais, la notion de Constitution ne peut être appréciée qu’à l’aune de cette idéologie. En ce sens, V. Beaud Olivier, La puissance de l’Etat ; Paris, Puf ; 1994 ; p. 259 ; Rubio Llorente Francisco, « Constitucion (derecho constitucional) » in Enc. Juridica basica ; Civitas, Madrid ; vol. I ; 1995 ; p. 1525.

[5] Carré de Malberg Raymond, Contribution à la théorie générale de l’Etat ; Paris, Sirey ; 1922 (réimpression par Cnrs 1962) ; p. 497. 

[6] Bobbio Norberto, Teoria della norma giuridica ; Turin, Giappichelli; 1958 ; p. 4.

[7] Mortati Costantino, La Costituente, Roma, 1945; Quoc Dinh Nguyen, « La loi du 2 novembre 1945 » in Rdp, 1946, p. 68 ; Prelot Marcel, Précis de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1949, p. 307 ; Onida Valerio, « Costituzione provvisoria » in Digesto Discipline pubblicistiche, vol. IV, Torino, 1990 ; Beaud Olivier, La puissance de l’Etat, op. cit., p. 267 ; Zimmer Willy, « La loi du 3 juin 1958 : contribution à l’étude des actes pré-constituants » in RDP, 1995, p. 385 ; Pfersmann Otto, in Favoreu Louis et al., Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2006, p. 101 ; Cartier Emmanuel, « Les petites Constitutions : contribution à l’analyse du droit constitutionnel transitoire » in RFDC, n°3, 2007, p. 513-534 ; Massias Jean-Pierre, Droit constitutionnel des Etats d’Europe de l’Est, op. cit., p. 17.

[8] Par le passé, la doctrine a utilisé d’autres appellations pour définir ces textes à valeur constitutionnelle, et notamment celles de « pré-constitutions » (Beaud Olivier, La puissance de l’Etat ; op. cit. ; p. 267), « constitutions transitoires » (Pech Laurent, « Les dispositions transitoires en droit constitutionnel » in Rrj, 1999, p. 1412) et « petites constitutions » (Pfersmann Otto, in Favoreu Louis et al., Droit constitutionnel, op. cit., p. 101; Cartier Emmanuel, « Les petites Constitutions », cit., p. 513-534).

[9] On distingue le Gouvernement, qui représente le pouvoir exécutif, du gouvernement, qui désigne l’ensemble des gouvernants de l’Etat qui possède le pouvoir politique.

[10] L’étymologie du mot « provisoire » rend compte du caractère particulier de cette typologie normative. Dans une étude consacrée à la notion de « provisoire », Paul Amselek explique que ce mot naît comme dérivé du terme juridique « provision », qui, au XVe siècle, renvoyait à une décision judiciaire provisoire, adoptée « avant que la décision à prendre soit arrêtée définitivement ». Le but de la provision était de « pourvoir à des besoins immédiats plus ou moins urgents pendant la période d’attente, mais aussi de préparer ou d’aider la prise de mesures définitives » (Id., « Enquête sur la notion de provisoire » in Rdp ; 2009 ; n°1, p. 7-11). Pour cette raison nous privilégions l’expression de « Constitution provisoire » à d’autres appellations. Elle permet, en effet, de mettre en exergue la temporalité spécifique de ces textes, ainsi que leur fonction de relais entre deux ordres normatifs.

[11] Une fois la guerre terminée, ce décret-loi est amendé et intégré par le décret législatif luogotenenziale n°98 du 16 marzo 1946 (G. U. n°69 du 23 mars 1946).

[12] Art. 4.

[13] Art. 1.

[14] Texte en française disponible sur : http://mjp.univ-perp.fr/constit/ly2011.htm.

[15] Art. 30.

[16] Préambule à la loi, in Diario do Governo, n°112, I Série, 14 mai 1974, pp. 620-622, https://dre.pt.

[17] L’art. 44, 1er al. Traduction en anglais du texte sur : http://eudo-citizenship.eu.

[18] Art. 6, loi cit., JORF du 3 novembre 1945 p. 7159.

[19] BOC, n°4, 5 janvier 1975.

[20] Kaminis Georges, La transition constitutionnelle en Grèce et en Espagne ; Paris, Lgdj ; 1993 ; p. 143-149.

[21] http://mjp.univ-perp.fr/constit/eg2011a.htm.

[22] JORT, n°20 du 25 mars 2011.

[23] Art. 1er.

[24] JORT, n°97 des 20 et 23 décembre 2011.

[25] Art. 1er.

[26] Selon la théorie de la hiérarchie des normes, en effet, « il y a forme constitutionnelle dès lors qu’il existe une procédure spécifique et renforcée de la production normative ». Favoreu Louis et al., Droit constitutionnel ; op. cit. ; p. 73.

[27] Trois cas font exception à cette absence de légitimation démocratique. La loi constitutionnelle française du 2 novembre 1945 est adoptée par l’Assemblée constituante élue le 21 octobre 1945, dans le respect d’un projet approuvé par un référendum populaire. La deuxième Constitution provisoire tunisienne (Loi constituante n° 2011-6 du 16 décembre 2011) est adoptée par l’Assemblée constituante démocratiquement élue le 23 octobre 2011. En Albanie, la Constitution provisoire du 29 avril 1991 est adoptée par le premier Parlement pluraliste issu des élections libres du 31 mars 1991.

[28] Deux cas font exception : le décret-loi n° 151/1944 italien (art. 6) et la première constitution provisoire tunisienne (art. 1er), qui ont la valeur de simples décrets-lois.

[29] Art. 43, Law on Major Constitutional Provisions.

[30] Art. 36, Déclaration constitutionnelle de 2011.

[31] Cartier Emmanuel, « Les petites Constitutions » ; op. cit. ; p. 523.

[32] Le décret-loi italien n° 151/1944 est issu du « Pacte de trêve institutionnelle » conclu entre l’ensemble des partis antifascistes et le chef du gouvernement Badoglio en avril 1944. Au Portugal, la loi n° 3/1974 traduit en droit le Programme du Mouvement des Forces Armées (Mfa), qui est d’ailleurs annexé à la loi.

[33] Romano Santi, L’ordre juridique, (trad. Pierre Gothot et Lucien François), Paris, Dalloz, 1975 (1er éd. 1918) ; Hauriou Maurice, Précis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1923 (1re éd.), 1929 (2e éd.) ; Mortati Costantino, La costituzione in senso materiale, Milano, Giuffrè, 1940.

[34] V. Hauriou Maurice, Précis de droit constitutionnel ; Paris, Sirey ; 1929 (2e éd.) ; p. 254-255.

[35] La notion de Constitution au sens matériel développée par Costantino Mortati est à cet égard très éclairante. Pour Mortati, toute Constitution formelle est précédée par un ensemble normatif informel – la Costituzione materiale – qui ordonne, compose les tensions, conformément aux équilibres socio-politiques qui se sont formés au sein d’une société donnée, à un moment historique déterminé (Id., La costituzione in senso materiale ; op. cit. Pour une analyse critique de la théorie de Mortati, V. Laffaille Franck, « La notion de constitution au sens matériel chez Costantino Mortati » in Jus Politicum ; n°7 ; http://www.juspoliticum.com/La-notion-de-constitution-au-sens.html).

[36] La Déclaration constitutionnelle égyptienne fait exception. Elle ne « règle pas le passé », étant donné que l’application de la Constitution du régime précédent avait déjà été suspendue par un communiqué du Conseil suprême des forces armées du 13 février 2011. De même, en Italie, le décret-loi n° 151/1944, intervenant après la révocation de Mussolini par le roi et l’abolition de toutes les institutions fascistes par le décret-loi n° 175 du 2 août 1943, n’abroge pas l’ordre précédent, considéré comme déjà déchu.

[37] Art. 1er de la loi portugaise n° 3/74 ; art. 3 Dispositions transitoires de la Ley para la reforma politica espagnole.

[38] Le décret-loi tunisien n° 2011-14 affirme que désormais, « la pleine application des dispositions de la Constitution est devenue impossible ». L’ordre constitutionnel précédent est donc suspendu, comme il sera confirmé par l’art. 27 de la deuxième Constitution provisoire tunisienne.

[39] Art. 45 de la Law on Major Constitutional Provisions albanaise ; art. 34 de la Déclaration constitutionnelle libyenne ; art. 27 de la Loi constituante tunisienne n° 2011-6. En France, l’ordonnance du 9 août 1944 non seulement déclare nuls tous les actes constitutionnels du régime (art. 2), mais elle affirme le principe de l’inexistence juridique du gouvernement Pétain (Morabito Marcel, Histoire constitutionnelle de la France ; Paris, Lgdj ; 2014 (13e éd.) ; n° 405).

[40] C’est bien le cas en France, en Espagne, en Albanie et en Lybie.

[41] Dans la plupart des cas, le pouvoir exécutif détient un pouvoir très important (c’est le cas en Tunisie), pouvant exercer parfois aussi le pouvoir législatif (c’est le cas en Italie). Quand la transition démocratique est conduite par l’armée, celle-ci se dote de pouvoirs exceptionnels (c’est le cas au Portugal et en Egypte).

[42] C’est le cas de la transition italienne (art. 3, décret législatif n° 98/1946), de la transition française (art. 4, Loi du 2 novembre 1945), portugaise (art. 3 et 4, loi n° 3/1974) et libyenne (art. 30, Déclaration de 2011).

[43] C’est le cas de la transition albanaise (art. 44, Law on Major Constitutional Provisions) et égyptienne (art. 60, Déclaration constitutionnelle de 2011).

[44] Nous faisons référence ici à la notion de « bloc de constitutionnalité » élaborée par la doctrine française : Favoreu Louis, « Le principe de constitutionnalité. Essai de définition d’après la jurisprudence du Conseil constitutionnel » in Mélanges Charles Eisenmann ; Paris, Cujas ; 1975 ; p. 33 et s.

[45] De Vergottini Giuseppe, Diritto costituzionale comparato ; Padoue, Cedam ; 2013 ; p. 267.

[46] Frachery Thomas, « Le droit constitutionnel albanais à l’épreuve de la pratique des institutions » in RIDC ; 2007 ; n° 2, p. 340.

[47] Blanco Valdés-Vicente Sanjurjo Rivo Roberto L., « Per comprendere la transizione politica spagnola » in Gambino Silvio (dir.), Costituzionalismo europeo e transizioni democratiche ; Milan, Giuffré ; 2003 ;
p. 458.

[48] V. Saccomanno Albino, « La transizione italiana : le costituzioni provvisorie » in Gambino Silvio (dir.), Costituzionalismo europeo ; op. cit. ; p. 397-414.

[49] Le décret italien de 1946 émane en effet de la même institution et n’abroge pas le décret-loi de 1944, mais il l’intègre et le modifie.

[50] Parmi d’autres : Gicquel Jean et Gicquel Jean-Eric, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, 2011, p. 475 ; Morabito Marcel, Histoire constitutionnelle de la France, op. cit., n° 409 ; Cartier Emmanuel, La transition constitutionnelle en France (1940-1945), Paris, Lgdj, p. 543.

[51] « Plus une norme est légitime, plus elle a des chances d’être effective. Et plus elle est effective, plus l’image de ce qui doit être sera marquée par cette pratique et donc plus la norme sera légitime » (Cohendet Marie-Anne, « Légitimité, effectivité et validité » in Mélanges Pierre Avril ; Paris, Montchrestien ; 2001 ;
p. 226).

[52] Comme le constate Max Weber, « Tout véritable rapport de domination comporte un minimum de volonté d’obéir, par conséquent, un intérêt, intérieur ou extérieur, à obéir » (p. 285) et « Toutes les dominations cherchent à éveiller et à entretenir la croyance en leur légitimité » (p. 286). Id., Economie et société ; Paris, Plon ; 1995 ; t. 1.

[53] En ce sens, Charles Eisenmann souligne que le « pouvoir né d’une façon qui n’est ni irrégulière, c’est-à-dire contraire à des règles en vigueur, ni régulière, c’est-à-dire conforme à de telles règles ». Id., « Sur la légitimité juridique des gouvernements » in Ecrits de théorie du droit, de droit constitutionnel et d’idées politiques ; Paris, Ed. Panthéon-Assas ; 2002 ; p. 320.

[54] Maurice Duverger établit la différence entre un gouvernement de droit et un gouvernement de fait sur la base de l’existence dans le premier cas, et de l’inexistence dans le second d’« un ensemble de dispositions constitutionnelles qui viennent limiter leurs [des gouvernements] prérogatives et préserver les droits des individus », Id., « Contribution à l’étude de la légitimité des gouvernements de fait » in Rdp ; 1945 ;n°61,
p. 75.

[55] La troisième modalité de légitimation décrite par Max Weber, c’est-à-dire « l’observance sacrée de la tradition », ne concerne pas nos cas d’étude. V. Id., Economie et société ; op. cit ; p. 72.

[56] Idem, p. 326-329.

[57] Idem, p. 289.

[58] La transition française fait exception, étant donné que le charisme du Général de Gaulle a joué un rôle déterminant pour la légitimation du gouvernement provisoire et des premiers actes juridiques adoptés. Cependant, les élections législatives d’octobre 1945 modifient les équilibres et, à côté de la « légitimité historique du général », se dresse la légitimité démocratique des partis issus du suffrage universel (Morabito Marcel, Histoire constitutionnelle de la France ; op. cit. ; n° 409).

[59] En ce sens, Kelsen Hans, Théorie pure du droit (trad. Eisenmann Charles) ; Paris, Dalloz ; 1962 ; p. 280. V. également la conception positiviste de légitimité élaborée par Charles Eisenmann (Id., « Sur la légitimité juridique des gouvernements », cit., p. 322-325).

[60] Cohendet Marie-Anne, « Légitimité, effectivité et validité » ; op. cit. ; p. 203.

[61] Pour une critique de la conception positiviste de légitimité V. Troper Michel, « Le monopole de la contrainte légitime » in La théorie du droit, le droit, l’Etat ; Paris, Puf ; 2001 ; p. 251-265 et Habermas Jürgen, Théorie de l’agir communicationnel ; Paris, Fayard ; 1987 ; vol. 1, p. 272-276.

[62] V. supra.

[63] En effet, la Constitution provisoire albanaise a été adoptée par des organes élus, et donc déjà légitimés par le vote démocratique.

[64] Les art. 2 et 1er des Dispositions transitoires de la Ley para la Réforma Politica espagnole prévoient l’élection d’un Parlement nouvellement constitué, auquel est confié aussi le pouvoir constituant. Dans le cas égyptien, la Déclaration de 2011 organise l’élection de l’Assemblée du peuple et du Conseil consultatif (art. 41) ainsi que du Président de la République (art. 27). L’Assemblée constituante est nommée par la suite par l’Assemblée législatif et le Conseil consultatif réuni (art. 60). En Lybie, l’art. 30 de la Déclaration organise également les élections législatives après la fin des conflits.

[65] L’art. 4 de la loi constitutionnelle portugaise n° 3/1974 réglemente l’élection de l’Assemblée constituante, alors que les organes du gouvernement provisoire demeurent non élus. En Tunisie, la première Constitution provisoire se limite à prévoir l’élection d’une Assemblée constituante. Cette Assemblée, une fois élue, adopte la deuxième constitution provisoire et s’auto-attribue le pouvoir législatif.

[66] C’est le cas de l’Italie, de la France et de la Tunisie.

[67] C’est le cas de l’Espagne, du Portugal, de l’Albanie, de l’Egypte et de la Lybie.

[68] C’est le cas de la France, de l’Espagne et de l’Egypte (pour ce qui concerne la Constitution de 2012).

[69] C’est le cas de l’Italie, du Portugal, de la Tunisie et de l’Albanie.

[70] Comme l’affirme Charles Eisenmann : « si le premier acte constituant d’un Etat est susceptible de fonder un système légitime, ce n’est pas, ce ne peut pas être en raison de la légitimité juridique de sa naissance ». Id., « Sur la légitimité juridique des gouvernements » ; op. cit. ; p. 320.

[71] V. Zagrebelsky Gustavo, Manuale di diritto costituzionale, Il sistema delle fonti del diritto ; Turin, Utet ; 1988 ; vol. I, p. 29-31.

[72] Schmitter Philippe C., « La démocratisation au Portugal en perspective » in Mélanges Guy Hermet ; Paris, Karthala ; 2002 ; p. 291-315.

[73] Cette classification s’appuie sur les catégories établies par les politistes dans leurs études sur la transitologie (V. O’Donnell Guillermo, Schmitter Philippe C. et Whitehead Laurence, Transitions from Authoritarian Rule ; Londres,Jhu ;1986).

[74] V. Philippe Xavier, « Tours et contours des transitions constitutionnelles » in Philippe Xavier & Danelciuc-Colodrovschi Natasa (dir.), Transitions constitutionnelles et Constitutions transitionnelles ; op. cit. ; p. 17-18 ; Hermet Guy, Le passage à la démocratie ; Paris, Presses de la Fondation nationale de sciences politiques ; 1996 ; p. 77.

[75] Ben Achour Sana, « Le cadre juridique de la transition : entre légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », Nachaz Dissonances, décembre 2011, http://www.nachaz.org/index.php/fr/textes-a-l-appui/politique/34-sana1.html.

[76] JORT, n° 20 du 25 mars 2011.

[77] Blanco Valdés-Vicente Sanjurjo Rivo Roberto L., « Per comprendere la transizione politica spagnola » ;op. cit. ; p. 448-453.

[78] Kaminis Georges, La transition constitutionnelle en Grèce et en Espagne ; op.cit. ; p. 143-149.

[79] Pace Alessandro, « L’instaurazione di una nuova Costituzione » in Potere costituente, rigidità costituzionale, autovincoli legislativi ; Padova, Cedam ; 2002 ; p. 159.

[80] Mortati Costantino, « La Costituente » in Raccolta di scritti ; Milano, Giuffré ; 1972 ;vol.I, p. 121.

[81] L’idée que la transition est guidée par la lutte entre démocrates et autoritaires « pèche par simplification » (Hermet Guy, Le passage à la démocratie ; op. cit. ; p. 74). Le sociologue Michel Dobry explique qu’à l’approche de l’explosion de la crise, des « transactions collusives » tendent à s’opérer entre les modérés et les extrémistes des deux camps (Dobry Michel, Sociologie des crises politiques ; Paris, SciencesPo Presses ; 2009 ; p. 112-116 et p. 304-317).

[82] Duverger Maurice, « Contribution à l’étude de la légitimité des gouvernements de fait » ; cit. ; p. 89.

[83] Idem, p. 90.

[84] La transition démocratique égyptienne est loin d’être conclue. Après l’adoption de la Constitution du 26 décembre 2012 par le président élu Morsi, celui-ci est déposé le 3 juillet 2013 et la Constitution est suspendue. Une nouvelle phase intermédiaire s’ouvre, dans laquelle, toutefois, aucune Constitution provisoire n’est approuvée. Les 14 et 15 janvier 2014, est adoptée la Constitution actuellement en vigueur par référendum (De Cara Jean-Yves et Saint-Prot Charles, L’évolution constitutionnelle de l’Egypte ; Paris, Karthala ; 2014).

[85] Après l’organisation en mars 1992 de nouvelles élections anticipées, l’opposition s’empare de la majorité. Ramiz Alia démissionne. Quelques mois plus tard, Alia et plusieurs autres anciens dirigeants communistes sont arrêtés pour corruption.V. Carlson Scott N., « The Drafting Process for the 1998 Albanian Constitution » in Miller Laurel E. (dir.), Framing the State in Times of Transition ; Washington DC, US IPP ; 2010; p. 311-331.

[86] Lacher Wolfram, « Libye : révolution, guerre civile et montée en puissance des centres de pouvoir locaux » in Charillon Frédéric et Dieckhoff Alain (dir.), Afrique du Nord Moyen Orient. Printemps arabe ; Paris, La Doc. fr. ; 2012 ; p. 49.

[87] La Constitution de 1969 n’était plus en vigueur depuis 1977.

[88] Philippe Xavier, « Tours et contours des transitions constitutionnelles » ; cit. ; p. 18.

[89] A l’heure actuelle, deux gouvernements régissent le territoire libyen. L’un, reconnu par la communauté internationale, a son siège à Tobruk, à 1300 km de la capitale, et contrôle une partie infime du territoire. Tripoli, la capitale, depuis l’été 2014, est le siège d’un deuxième gouvernement philo-islamique, non reconnu. L’anarchie chronique du pays a représenté un terrain fertile pour l’implantation, tout récemment, d’une branche de l’Organisation de l’Etat islamique. Afp, « La Libye, un terrain fertile pour l’implantation de l’EI », France 24, http://www.france24.com/fr/20150216-libye-branche-ei-Etat-islamique-jihadistes-haftar-derna-egypte/.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

L’auteur de la semaine : Benjamin Ricou

Voici la 62e publication dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’une présentation de l’un de nos auteurs d’exception : M. Benjamin Ricou auteur d’une remarquable thèse (présentée ci-dessous) et co-directeur d’un ouvrage collectif dans nos collections.

Cet ouvrage, paru en juillet 2015, est le sixième
issu de la collection « L’Unité du Droit ».
En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume VI : Des politiques jurisprudentielles
de renforcement de la compétence
de la Juridiction administrative

Benjamin Ricou
Avant-propos : Bernard Stirn
Préface : Philippe Terneyre

– Sortie : juillet 2015
– nombre de pages : 528
– Prix : 59 €

  • ISBN : 979-10-92684-00-1
  • ISSN : 2259-8812

Présentation : La compétence de la juridiction administrative s’est considérablement renforcée ces trente dernières années. Dans certaines situations, le juge dispose d’une part de liberté plus ou moins importante dans la détermination de la compétence juridictionnelle, en dépit de l’existence de textes qui ont pour objet ou pour effet de répartir les compétences entre les juridictions.

Ce double constat conduit à s’interroger sur l’éventualité de l’existence d’une ou de plusieurs volontés jurisprudentielles de renforcer la compétence de la juridiction administrative et, le cas échéant, de s’interroger sur ce qui a pu les déterminer. L’étude tente de prendre la mesure la plus exacte possible de leur existence, à partir d’une analyse détaillée d’un corpus de décisions semblant être fortement imprégnées de considérations de politique jurisprudentielle.

Il en résulte qu’un renforcement de la compétence de la juridiction administrative a été réalisé au moyen d’une interprétation stratégique des normes (de valeur constitutionnelle ou législative) qui ont pour objet ou pour effet de répartir les compétences, et des catégories juridiques (organiques, formelles ou matérielles) qui ont cet objet ou cet effet.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

Cet ouvrage est le quatrième
issu de la collection « L’Unité du Droit ».
En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume IV :
Communications électroniques :
objets juridiques au cœur de l’Unité des droits 

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina & Benjamin Ricou)

– Nombre de pages : 176
– Sortie : octobre 2012
– Prix : 33 €

  • ISBN  : 978-2-9541188-3-3
  • ISSN : 2259-8812

Présentation :

A l’heure où, en France, le minitel s’éteignait pour toujours, il était temps que les juristes rendent une nouvelle fois hommage aux communications électroniques ainsi qu’à son ou à ses droit(s). En effet, grâce à l’ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications, ces dernières années ont vu se développer, de façon spectaculaire, les usages en matière de communications électroniques. Qu’il s’agisse du déploiement massif des réseaux de télécommunications mobiles, de la téléphonie fixe et de l’Internet ou encore de la télévision numérique : cette thématique est d’une actualité incontournable.

Il s’est alors agi, par les présents actes issus d’un colloque tenu le 01 juin 2012 à l’Université du Maine (en collaboration avec le Collectif L’Unité du Droit et le laboratoire Themis-Um), d’analyser l’évolution du marché, de la pratique et du droit des communications électroniques, lesquels doivent s’adapter en permanence au renouvellement rapide des différentes technologies. Les communications électroniques sont en effet au cœur des deux phénomènes contemporains les plus importants du Droit : la matérialisation de son Unité et sa globalisation.

Ont participé à l’analyse de ces phénomènes des enseignants-chercheurs mais aussi des praticiens afin de décrypter sous plusieurs angles le(s) nouveau(x) droit(s) des communications électroniques.


Nota Bene
:
le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).


Thèmes de recherche(s) :
Droit fiscal, procédures fiscales, contentieux administratif

Quelle a été votre première collaboration / publication aux Editions L’Epitoge ?
Je pense qu’il s’agissait de l’’organisation, avec Mathieu, du colloque « Des communications électroniques, objets juridiques au cœur de l’unité des droits »

Y en a-t-il eu d’autres ?
Quelques autres, oui.

Quelle est votre dernière publication ?
Un article sur la protection des données personnelles des décisions des juridictions ordinaires, issu de la communication présentée lors du colloque organisé par le Pr. Pierre Bourdon sur la communication des décisions du juge administratif, dont les actes ont été publiés aux éditions LexisNexis en 2019.

Quelle sera (en 2020, 21, etc.) votre future publication ?
Fin 2020, deux fascicules sur le domaine de la loi et du règlement en matière fiscale au JurisClasseur Procédures Fiscales

Quelle est la publication dont vous êtes le.la plus fier.e /heureux.se? Aucune en particulier. La prochaine, peut-être ?

Quel est – en droit – votre auteur.e préféré.e ?
Philippe Yolka et Jean-Pierre Marguenaud. Parce qu’avec eux, on apprend toujours beaucoup avec le sourire aux lèvres.

Quel est – en littérature – votre auteur.e préféré.e ?
Pour l’instant, il écrit sous couvert d’anonymat. Je mettrai à jour lorsque l’on découvrira son identité.

Quel est – en droit – votre ouvrage préféré ?
Droit administratif général de Chapus. J’ai bien conscience que ce n’est pas très original mais il est toujours une mine d’informations.  

Quel est – en littérature – votre ouvrage préféré ?
Beaucoup trop. Mais « Shining » m’aura marqué à jamais.  

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Léon & Maurice enfin réunis par l’épitoge !

Voici la 8e publication dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’une double présentation (oui, datée du 1er avril !) de deux de nos auteurs d’exception : MM. les doyens Maurice Hauriou & Léon Duguit, réunis par l’Epitoge (et aidés du professeur Grotoutou et du Colonel Bénel) ainsi que les deux publications que nous leur avons consacrées dans la collection Histoire(s) du Droit, publiée depuis 2013 et ayant précisément commencé par la mise en avant d’un face à face doctrinal à travers deux maîtres du droit public : Léon Duguit & Maurice Hauriou.

Interview de Léon Duguit
Questionnaire l’Epitoge
01 avril 2020

Profession :

Agent du service public de l’Université.

Thèmes de recherche(s) :

Service public – services publics – cannelés.

Quelle a été votre première collaboration / publication aux Editions L’Epitoge ?

Un ouvrage que Delphine Espagno-Abadie m’a consacré en tant que sommité du droit public interstellaire.

Y en a-t-il eu d’autres ?

Non, je n’écris pas (plus trop le temps dans mon cercueil) mais j’ai relevé que presque tous les ouvrages des Editions l’Epitoge me citaient au moins une fois.

Quelle est votre dernière publication ?

Pourquoi, vous êtes de l’AERES ?

Quelle sera votre future publication ?

J’attends une véritable nécrologie mais le Covid-19 va peut-être empêcher mes biographes les plus patentés d’écrire.

Quelle est la publication dont vous êtes le.la plus fier.e / heureux.se ?

Perso, il n’y a aucune publication dont je ne sois pas fier #micdrop.

Quel est – en droit – votre auteur.e préféré.e ?

Léon Duguit, doyen de la Faculté de Droit de Bordeaux.

Quel est – en littérature – votre auteur.e préféré.e ?

J’aime beaucoup feuilleter les mémoires du capitaine Meryl Stubing rapportées par le sieur Isaac…

Quel est – en droit – votre ouvrage préféré ?

Le Traité de droit constitutionnel du doyen Duguit. Un must have.

Quel est – en littérature – votre ouvrage préféré ?

J’ai entendu parler d’une pièce de théâtre extraordinaire et d’anticipation : une Antigone écrite par B. Pacteau et G. Koubi sur des décors de Donald Cardwell et des costumes de Roger Harth.

Interview
de Maurice Hauriou
Questionnaire l’Epitoge
01 avril 2020

Profession :

Titulaire de la puissance publique dans une Faculté de Droit dont je suis doyen et qui se trouve sur la Garonne mais qui n’est pas Bordeaux.

Thèmes de recherche(s) :

Puissance publique – souveraineté – service public – gestion administrative – saucisse – violette – propriété publique – Institution – exorbitance ; c’est d’jà pas mal non (jusqu’à Bordeaux) ?

Quelle a été votre première collaboration / publication aux Editions L’Epitoge ?

Le professeur Grotoutou m’a consacré des Miscellanées de toute beautey.

Y en a-t-il eu d’autres ?

Non, je n’écris pas (plus trop le temps dans mon cercueil) mais j’ai relevé que presque tous les ouvrages des Editions l’Epitoge me citaient au moins une fois.

Quelle est votre dernière publication ?

Pourquoi vous êtes de l’HCERES ?

Quelle sera votre future publication ?

J’hésite à faire publier une étude comparée entreprise avec mon collègue et néanmoins ami Robert Redslob à propos des usages des saucisses strasbourgeoise et toulousaine à l’aune de la sociologie et du Droit : mythes ou réalité ?

Quelle est la publication dont vous êtes le.la plus fier.e / heureux.se ?

Tout d’abord je voudrais m’insurger contre votre questionnement non académique formulé en écriture inclusive. Et pourquoi pas une femme professeur de Droit et agrégé.e. pendant qu’on y est ! A quand la doyenne des Facultés ? De qui se moque-t-on ? On nous change notre Université comme me le confiait encore mon ami Dicey : How do you Dare ?

Cela dit, la publication dont je suis le plus fier est certainement ma théorie de l’Institution en ce qu’elle permet un regard croisé sur la théorie parallèle de Santi Romano en Italie. Par ailleurs, j’aime à me gausser de ce que ledit Romano apporte ici un regard croisé eu égard au strabisme divergent dont il fait manifestement preuve (cf. infra cliché officiel du Consiglio di Stato).

Quel est – en droit – votre auteur.e préféré.e ?

Certainement pas Léon Duguit même si j’imagine qu’il a répondu « Maurice Hauriou » par amitié. En outre, arrêtez avec ce langage inclusif.

Il suffit.

Et pour vous répondre, parce que vous m’êtes sympathique malgré tout, je dirais qu’il s’agit d’Emile Ollivier en raison de son regard aiguisé bien que parfois divergent de mes propres doctrines sur la démocratie et la liberté dans son ouvrage Démocratie et liberté (1867).

Quel est – en littérature – votre auteur.e préféré.e ?

Mes …. sur ton précis : vous allez cesser avec cette écriture inclusive !

Sans hésitation aucune pour sa création fictionnelle réussie : Léon Duguit #whatelse?

Quel est – en droit – votre ouvrage préféré ?

On m’a parlé d’un futur ouvrage toulousain sur Toulouse par le droit administratif (aux Editions l’Epitoge). Cela m’a l’air passionnant.

Quel est – en littérature – votre ouvrage préféré ?

Le Traité de droit constitutionnel d’un obscur sociologue anarchiste de la chaire.

Les ouvrages
de Maurice Hauriou
& de Léon Duguit
aux Editions l’Epitoge

Volume I :
Miscellanées Maurice Hauriou

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina)

– Nombre de pages : 388
– Sortie : décembre 2013
– Prix : 59 €

  • ISBN / EAN : 978-2-9541188-5-7 / 9782954118857
  • ISSN : 2272-2963

Présentation :

Le projet de réunir dans un ouvrage publié des morceaux choisis ou Miscellanées parmi l’œuvre du doyen HAURIOU (1856-1929) coïncide avec la (re)découverte de sa sépulture (à Nonac en Charente) au moment où elle allait rejoindre l’indifférence d’un caveau municipal. La présente sélection est alors construite en trois parties : elle contient d’abord des extraits d’œuvres méconnues du maître (I) à l’instar de ce témoignage sur « les idées de M. DUGUIT » paru en 1911 au Recueil de Législation de Toulouse ; de l’article « le droit naturel et l’Allemagne » paru en 1918 dans le Correspondant. Ensuite, l’ouvrage propose la réimpression in extenso d’œuvres fondatrices (II) mais peu accessibles sur support papier et parfois mal connues. Ainsi en est-il de l’article mythique sur « la formation du droit administratif » paru en 1892 à la Revue générale d’administration puis en 1897 sous sa forme plus connue au Répertoire BEQUET. De même, pourra-t-on relire « la théorie de l’Institution et de la Fondation » paru en 1925 aux Cahiers de la nouvelle journée et « le pouvoir, l’ordre, la liberté et les erreurs des systèmes objectivistes » paru en 1928 dans la Revue de métaphysique et de morale. Enfin, les Miscellanées HAURIOU proposent également une sélection d’extraits d’œuvres cardinales (III) et ce, parmi les 370 notes d’arrêts du doyen de Toulouse publiées au Recueil SIREY entre 1892 et 1929.

Participent à cette « aventure HAURIOU » : Yann AGUILA, Jacques ARRIGHI DE CASANOVA, Emmanuel AUBIN, Karine BALA, Xavier BIOY, Elise CARPENTIER, Jean-Marie DENQUIN, Gilles J. GUGLIELMI, Hélène HOEPFFNER, Geneviève KOUBI, Valérie LASSERRE, Arnaud DE NANTEUIL, Benjamin RICOU, Julia SCHMITZ, Bertrand SEILLER, Jean-Gabriel SORBARA, Bernard STIRN, Mathieu TOUZEIL-DIVINA, Amaury VAUTERIN, Katia WEIDENFELD ainsi que des jeunes chercheurs en droit public.

L’ouvrage, officiellement présenté au public le 12 mars 2014 pour le 85e anniversaire de la mort du doyen de Toulouse et initié par le professeur TOUZEIL-DIVINA, a été réalisé grâce au soutien du COLLECTIF L’UNITE DU DROIT. Il a été publié en parallèle avec un second ouvrage sur l’autre géant du droit public français : Léon DUGUIT.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

Volume II :
Léon Duguit :

de la Sociologie & du Droit

Delphine Espagno

– Nombre de pages : 198
– Sortie : décembre 2013
– Prix : 39 €

  • ISBN / EAN : 978-2-9541188-6-4 /9782954118864
  • ISSN : 2272-2963

Présentation :

L’ouvrage que nous propose aujourd’hui Mme Delphine ESPAGNO, (…) est peut-être la plus belle des invitations qui ait été écrite afin d’inciter le lecteur, citoyen et / ou juriste, à comprendre la pensée du doyen de Bordeaux (…). Léon DUGUIT méritait effectivement [les présents] ouvrage et hommage (…) car le doyen, comme Jean-Jacques ROUSSEAU avant lui (…), a longtemps été et est encore souvent présenté soit comme un marginal de la pensée juridique, soit est même dédaigné de façon méprisante comme si sa qualité de juriste lui était déniée. HAURIOU, nous rappelle l’auteure, ira même ainsi jusqu’à affubler DUGUIT d’être un « anarchiste de la chaire » ce qui n’avait manifestement pas totalement déplu à ce dernier ! Car, ce que rappelle Mme ESPAGNO dès son introduction, c’est bien une nouvelle manière de penser et de réinventer le Droit dans son ensemble que nous invite à accomplir Léon DUGUIT. Il n’est pas qu’un faiseur de théorie(s) (comme celles du service public, des agents publics ou encore de l’Etat), il est – pour reprendre l’expression de CHENOT désormais consacrée – un véritable « faiseur de système » dans son sens le plus noble et mélioratif (…). DUGUIT assume en effet son rôle de guide et nous a donné à voir une nouvelle façon d’appréhender le Droit non pas tel qu’il est mais tel qu’il devrait être. Un Droit qu’il a comme réinventé en chaussant de nouvelles lunettes tel le spectateur qui verrait en deux dimensions et désormais en découvrirait – grâce à lui – une troisième. Après Léon DUGUIT, les juristes n’ont ainsi pu feindre de ne concevoir le Droit qu’à l’instar d’un artifice fictif, technique et juridique : le Droit est devenu indissociable de la Sociologie (…). Ce « droit duguiste » nous offre alors grâce à la lumière qu’y dépose avec délicatesse Mme Delphine ESPAGNO la vision renouvelée des relations existantes entre Droit, individu et collégialité ou société (…) En outre, ce que va construire le doyen de Bordeaux n’est pas – comme on le lit encore souvent – une « simple » théorie du service public mais une théorie réaliste de l’Etat par le service public ».

L’ouvrage, publié le 18 décembre 2013 pour le 85e anniversaire de la mort du doyen DUGUIT, a été réalisé grâce au soutien de SCIENCES PO Toulouse ainsi que du COLLECTIF L’UNITE DU DROIT. Il est en outre sorti en parallèle avec un second ouvrage sur l’autre géant du droit public français : Maurice HAURIOU.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Raphaël Maurel

Profession :

Pour l’instant, enseignant-chercheur vacataire & juge assesseur (CE) à la Cour nationale du droit d’asile.

Thèmes de recherche(s) :

Droit international, droit(s) administratif(s), théorie des sources du droit.

Quelle a été votre première collaboration / publication aux Editions L’Epitoge ?

Je participe à la relecture des ouvrages des Editions L’Epitoge depuis 2018 et ai eu l’occasion, le plaisir et le privilège d’en relire plusieurs, notamment l’excellent Droit(s) du bio (dir. H. Hoepffner, M. Touzeil-Divina).

Ma première publication aux Editions est L’eau et la forêt. Pistes pour une interaction en droit international !

Y en a-t-il eu d’autres ?

Pas encore !

Quelle est votre dernière publication ?

CHAUMETTE (A.-L.) & MAUREL (R.), Les contre annales du droit public. 66 erreurs que vous ne commettrez plus jamais, Paris, Enrick B. Editions, 2019, 443 p.

Quelle sera votre future publication ?

En 2020, il y aura :
« Les régimes d’inspection à travers le temps : regards sur l’évolution d’un mécanisme de garantie en droit international », in CHAUMETTE Anne-Laure, TAMS Christian (dir.), L’inspection internationale / International Inspection, Académie de droit international de La Haye, Centre for Studies and Research in International Law and International Relations Series, vol. 19, Leiden / Boston, Brill / Nijhoff.

« Le Système Antarctique, un laboratoire des régimes d’inspection internationale », in CHAN-TUNG Ludovic, CHOQUET Anne, LAVOREL Sabine, MICHELOT Agnès (dir.), Les apports du Traité de l’Antarctique au droit international, Paris, Pedone, 2020.

« La contribution de l’ordonnance Gambie c. Myanmar à l’élaboration d’un droit des mesures conservatoires », Revue du Centre Michel de l’Hospital, n°20, 2020.

Plusieurs notices : « inspection », « féminisme », « condoléances », « limogeage », « escalade » et « transparence », in NDIOR Valère (dir.), avec la collaboration éditoriale de MAUREL Raphaël et WEIL Élodie, Dictionnaire de l’actualité internationale, Paris, Pedone, 2020.

« Les Avengers et les compétences de l’État en droit international », in BASIRE Yann, CIAUDO Alexandre (dir.), Du Punisher au Lawyer : les super-héros au prisme du droit, Strasbourg, Presses universitaires de Bourgogne, 2020.

…et sans doute d’autres choses !

Quelle est la publication dont vous êtes le.la plus fier.e / heureux.se ?

Les contre-annales du droit public ! Un travail très efficace mené sur un an, avec une équipe d’auteurs au top, pour un résultat que nous espérons utile à tous !

Quel est – en droit – votre auteur.e préféré.e ?

Bonne question…malgré mon profil essentiellement internationaliste, je pense que c’est Léon Duguit !

Quel est – en littérature – votre auteur.e préféré.e ?

J’aime beaucoup, dans des styles très différents (et par ordre alphabétique), Tolkien, Voltaire, Zelazny et Zola. Mais mon auteur préféré reste Orwell.

Quel est – en droit – votre ouvrage préféré ?

Les transformations du droit public.

Quel est – en littérature – votre ouvrage préféré ?

La ferme des animaux ! Un bijou !

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

L’auteure de la semaine : Stéphanie Douteaud

Voici la 34e publication dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’une présentation de l’un.e de nos auteur.e.s d’exception : Mme Stéphanie Douteaud.

Profession :

Maître de conférences en droit public.

Thèmes de recherche(s) :

Le contentieux des contrats publics et le contentieux administratif. Je m’intéresse également au contentieux de l’environnement, au droit public économique et au droit des libertés fondamentales. 

Quelle a été votre première collaboration / publication aux Editions L’Epitoge ?

A vrai dire, je suis davantage une collaboratrice (occasionnelle? permanente?) du CLUD. Le professeur Mathieu Touzeil-Divina m’a fait confiance durant plusieurs années pour organiser et animer, à ses côtés, le marathon du droit (nouvelle mouture des 24 heures du droit). C’est au cours de l’année universitaire 2017/2018 que j’ai collaboré pour la première fois aux Éditions l’Epitoge (à l’occasion du colloque « Droit(s) du Bio »).

Y en a-t-il eu d’autres ?

J’ai coorganisé, l’an dernier, l’édition boulonnaise du marathon. Les actes du colloque ont été publiés dans l’ouvrage « Lectures juridiques de fictions. De la littérature à la pop-culture« , paru au mois de mars.

Quelle est votre dernière publication ?

Un commentaire de décision publié à l’AJDA (« Regard dubitatif sur l’introduction d’un critère intentionnel dans la caractérisation du vice d’une particulière gravité », commentaire sous C.E., 21 oct. 2019, Cne de Chaumont., A.J.D.A., 2020, p. 684).

Quelle sera votre future publication ?

Un commentaire de la décision QPC rendue par le Conseil constitutionnel le 31 janvier 2020 (décision n°2019-823 QPC « Union des industries de la production des plantes »). Cette affaire est connue pour avoir donné lieu à la reconnaissance d’un OVC de protection de l’environnement. Je vous propose de partager quelques observations à ce propos dans le prochain numéro de la RFDC !

Quelle est la publication dont vous êtes le.la plus fier.e / heureux.se ?

Sans aucune hésitation ma thèse de doctorat. Loin de moi l’idée de la placer sur un piédestal. Je lui trouve néanmoins quelques qualités et, surtout, elle me rappelle combien le parcours fut tout à la fois aride et délectable.
« La stabilisation des contrats par le juge administratif de la validité » rejoindra prochainement la collection bleue de la « Bibliothèque de droit public » des éditions LGDJ. Et j’en suis très heureuse.

Quel est – en droit – votre auteur.e préféré.e ?

Incontestablement le professeur Philippe Yolka. On est jamais déçu de le lire, toujours réjoui au moment où l’on s’empare de son papier. La signature de Philippe Yolka nous fait une promesse : celle de nous impressionner (par la puissance rhétorique de l’argumentation), celle de nous amuser (par le recours aux formules ironiques) et même celle de nous charmer (par les références artistiques distillées ça et là).

Quel est – en littérature – votre auteur.e préféré.e ?

Très sincèrement, je n’en sais rien. Je ne crois pas en avoir. Je ne saurais le dire.

Quel est – en droit – votre ouvrage préféré ?

La première édition du « Que sais-je? » de Droit administratif de P. Weil.

Quel est – en littérature – votre ouvrage préféré ?

Difficile d’y répondre ! Si je me fie à un critère objectif (le livre que je relis le plus régulièrement) je dirais qu’il s’agit de « l’Écume des jours », de Boris Vian. Mais la lecture de « La vie matérielle » de Marguerite Duras m’a laissé quelque chose, allez savoir quoi, en tous cas, j’y repense souvent.

Cet ouvrage forme le vingt-septième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XXVII :
Lectures juridiques de fictions.
De la Littérature à la Pop-culture !

Ouvrage collectif sous la direction de
Mathieu Touzeil-Divina & Stéphanie Douteaud

– Nombre de pages : 190

– Sortie : mars 2020

– Prix : 29 €

– ISBN  / EAN : 979-10-92684-38-4
/ 9791092684384

– ISSN : 2259-8812

Mots-Clefs : Droit & Littérature – webséries – Casa de Papel – Servante écarlate – Aya Nakamura – Fictions – pop-culture – féminisme

Présentation :

De la littérature à la pop-culture, voici un recueil de lectures juridiques de fictions.

S’il est évident que toute fiction ne « parle » a priori pas de « droit », certains supports fictionnels (ce qui est le cas de nombreux romans identifiés notamment par le mouvement américain puis international Law & Literature) se prêtent, à l’instar de prétextes pédagogiques, à l’étude du ou des droits.

C’est à cet exercice, au moyen de quatre supports distincts (un roman, une pièce de théâtre, deux webséries et un corpus de chansons) que se sont prêtés – de la littérature classique à la pop-culture la plus contemporaine – les auteurs du présent livre : Jean-Benoist Belda, Raphaël Costa, Stéphanie Douteaud, Julia Even, Marine Fassi de Magalhaes, Julie Goineau, Mélanie Jaoul, Marie Koehl, Dimitri Löhrer, Agnès Louis, Julien Marguin, Yohan Mata, Catherine Minet-Letalle, Marie-Evelyne Monteiro, Isabelle Poirot-Mazères, Sophie Prosper, Hugo Ricci, Catherine Roche, Florent Tagnères, Mathieu Touzeil-Divina, Julie Vincent & Stéphanie Willman-Bordat. Introduit par une préface relative à la pop-culture, au féminisme et au Droit, l’ouvrage est construit autour de trois parties. La première interroge les représentations (chez Duras et Ionesco) de l’administration dans deux ouvrages de la littérature française. Par suite, l’opus fait place aux contributions qui avaient été prononcées (le 15 mars 2019 sous la direction de Frédéric Davansant, Stéphanie Douteaud & Mathieu Touzeil-Divina) lors du colloque du deuxième Marathon du Droit consacré aux lectures juridiques de deux webséries : la Servante écarlate et la Casa de Papel. Enfin, le livre se referme avec une postface à deux voix consacrée à l’analyse hypothétique du Droit à travers les chansons (et donc ici encore les fictions) d’Aya Nakamura.

Le présent ouvrage, dédié à Bibie et à ses ami.e.s,
a été coordonnée et publié par et avec
le soutien du Collectif L’Unité du Droit.


Nota Bene
:
le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso.
Vous pourrez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Santé des Arbres & santé des hommes (par Arnaud Lami)

Voici la 7e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 10e livre de nos Editions dans la collection dite verte de la Revue Méditerranéenne de Droit public publiée depuis 2013.

L’extrait choisi est celui de l’article – ô combien d’actualité – de l’un des trois coordinateurs de l’ouvrage (M. Touzeil-Divina, A. Lami & M. Eude) dont il est issu : le volume consacré à l’Arbre, à l’Homme et au Droit. Il a été rédigé par M. Arnaud Lami et s’intitule : « santé des arbres & santé des hommes ».

Cet ouvrage est le dixième issu de la collection
« Revue Méditerranéenne de Droit Public (RM-DP) ».

Volume X :
L’Arbre, l’Homme
& le(s) droit(s)

ouvrage célébrant le 65e anniversaire
de la parution de L’Homme qui plantait des arbres
de Jean Giono & réalisé en hommage
au professeur Jean-Claude Touzeil.

Nombre de pages : 374
Sortie : avril 2019
Prix : 39 €

-ISBN  / EAN :
979-10-92684-34-6 / 9791092684346

-ISSN :
2268-9893

Santé des arbres
& santé des Hommes

Arnaud Lami
Maître de conférences de droit public
à l’Université d’Aix-Marseille, Hdr,
Directeur du Centre de Droit de la Santé (Umr Ades),
Laboratoire Méditerranéen de Droit Public

& Collectif L’unité du Droit

« L’arbre est deux fois plus utile que les fruits ».
Ciceron

Chacun d’entre nous a, à un moment de sa vie, eu un lien particulier avec un arbre. L’arbre que nous admirons par la fenêtre et qui nous permet de nous évader de notre quotidien, celui sur lequel nous grimpons pour ramasser ses fruits, et bien évidemment celui qui a supporté avec tant d’abnégation et de patience nos cabanes d’enfants. Arbre de la nostalgie, arbre d’évasion, arbre de vie, autant de qualificatifs qui attestent, pour ceux qui en douteraient encore, que les arbres jalonnent notre quotidien et contribuent, à leur manière, à l’évolution de notre condition. Dans toute sa plénitude, l’arbre a, à n’en pas douter, une fonction particulière qui touche autant au domaine philosophique, sentimental, qu’économique, social ou culturel[1].

Mais comme souvent, dès qu’il s’agit de la nature, l’Homme a tendance à oublier et fait preuve d’ingratitude coupable, donnant ainsi tout son sens à cette célèbre phrase d’Eschyle, selon laquelle : « il est dans la nature de l’Homme de piétiner tout ce qui est à terre ». La fatalité de la vie, le sentiment que l’arbre appartient au lointain passé de l’enfance favorise, quelquefois, sa relégation à un second plan. Les justifications pour couper nos arbres, les ignorer, les laisser pour compte, sans autre justification que la nécessité de satisfaire nos besoins bassement matériels, ne manquent pas (d’avoir une piscine, d’agrandir nos maisons ou de construire des immeubles…). Le paradoxe est ainsi posé, alors qu’il nous permet de nous construire, qu’il nous a élevé et nous élève encore, qu’il est souvent au centre de nos songes, l’arbre nous laisse d’ordinaire indifférent. Il est de fait un accessoire de nos vies, accessoire que l’on utilise à souhait et que l’on sacrifie à loisir sur l’autel de nos besoins. Après tout, le juriste doit-il s’étonner de cette situation ? L’arbre n’est qu’une « chose » et comme toute chose dont la valeur est, a priori, relative il n’est pas au centre des préoccupations de notre quotidien et ne suscite, en conséquence, que peu de considérations. Pourtant, derrière cette fatalité, volontairement provocatrice, l’arbre est, comme l’indique la célèbre formule populaire, une source de vie. Les contes, les histoires, et les mythologies, rapprochant l’arbre et la vie des Hommes sont légions. De la Bible, au Coran, en passant par les légendes celtes, l’arbre n’a cessé d’être spirituellement attaché à la vie des Hommes et, partant, à leur santé. En dépassant ces considérations littéraires, on peut constater que le lien entre l’arbre et la santé est bien réel, même si son identification n’est pas toujours évidente. On retiendra à titre d’exemple que la consommation des fruits – forcément issus des arbres – est recommandée par les pouvoirs publics afin de lutter contre les maladies chroniques. Le principe étant identifié à travers le, bien connu, slogan publicitaire « manger 5 fruits et légumes par jour ».

D’un autre côté, les arbres se voient eux aussi protégés par les Hommes. Les politiques publiques de défense des arbres à travers leur entretien, leur plantation, leur protection, contribuent indubitablement à assurer ce que nous appellerons désormais leur santé.

Le terme de santé, bien identifiable pour l’espèce humaine, peut être jugé surabondant pour les arbres, cela étant d’autant plus vrai lorsque l’on s’attache à leur qualification juridique, ou à l’absence de consécration normative du concept de « santé des arbres ». Il nous faudra considérer la santé des arbres avec une dose d’angélisme, un soupçon d’imagination, mais nécessairement avec clairvoyance.

Afin d’éviter tout méprise, nous partons du postulat que la santé, prise dans son acception la plus large (« sous son angle systémique ») correspond à une approche globale dans laquelle, les facteurs environnementaux jouent un rôle majeur. Il convient de garder à l’esprit que les espèces sont interdépendantes les unes des autres et que toute altération d’un des composants de l’écosystème peut, à un degré ou un autre, se répercuter en cascade sur d’autres composantes de celui-ci.

Malgré quelques relations plus ou moins identifiées, il convient de noter que, le lien entre la santé des Hommes et celle de l’arbre est sociologiquement, médicalement, économiquement, et juridiquement aléatoire et difficile à cerner. En s’en tenant au plan juridique, un rapide regard sur le droit positif français suffit à se convaincre de cet état de fait : les Codes ou la jurisprudence ne font pas grand cas de la relation entre la santé de l’Homme et les arbres. Mais cela ne signifie pas que le juriste ne considère pas ce lien ou qu’il l’ignore, mais seulement qu’il ne le consacre pas de façon directe. La relation entre la santé et l’environnement, abondamment consacrée par les textes internationaux ou internes, pourrait être considérée comme un moyen, détourné, d’affirmer le lien plus ténu entre la santé de l’Homme et l’arbre. Il est d’ailleurs fréquent que les juridictions dans leurs décisions évoquent en même temps la protection de la santé et celle des arbres[2].

Paradoxalement, le droit parait mieux appréhender la protection par les hommes de la santé des arbres. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter le seul Code Forestier dont de nombreuses dispositions visent à protéger les arbres. Ces mesures peuvent aller jusqu’à des sanctions pénales pour ceux qui porteraient atteinte à son intégrité[3].

Ainsi posé, la relation entre santé des hommes et des arbres est, pour le juriste, déroutante. La dialectique qu’impliquent la protection de la santé et celle de l’environnement est, en ce domaine, imparfaitement appréhendée. Dans ce mouvement de réciprocité, la santé des arbres à travers l’action des Hommes (I) est autant primordiale que l’action des arbres sur la santé des Hommes (II).

I. L’Homme et la santé des arbres

L’arbre en raison de ses caractéristiques est un élément important de la santé des Hommes. De nombreuses études scientifiques ont démontré que les arbres contribuent, entre autres, à lutter contre les maladies, à soigner, à améliorer la santé mentale, à protéger la biodiversité et, bien évidemment, à lutter contre le réchauffement climatique. Les arbres offrent des bienfaits importants et nombreux. Conscients des enjeux liés à la protection des arbres, les Hommes ont instauré une panoplie des règles visant à les protéger (A). Cependant, les mesures actuelles ne s’avèrent pas toujours suffisantes (B).

A. Le droit protecteur de la santé des arbres

i. La diversité des références juridiques

Historiquement, la France est un état particulièrement sensibilisé à la conservation des arbres et des massifs forestiers. L’Ordonnance royale de Brunoy du 29 mai 1346, invite déjà – dans son article 4 – les exploitants à agir « en regard de ce que lesdites forezs se puissent perpétuellement soustenir en bon estat ». Le bon état, pour ne pas dire la bonne santé de nos massifs, est alors un enjeu public qui sera relayé, au fil des siècles, par une règlementation qui deviendra de plus en plus dense.

Sans qu’il soit utile de faire la généalogie de cette réglementation, déjà excellemment exposée dans les articles de cet ouvrage, il convient néanmoins de constater que celle-ci s’est en partie orientée autour de considérations économiques[4]. La forêt bien précieux est aussi un objet de commerce attirant de nombreuses convoitises et imposant que les autorités publiques en règlementent l’usage commercial. La France s’est dotée, de longue date, d’une abondante règlementation en la matière[5].

Dans un tel contexte, il n’est dès lors pas étonnant que les normes visant à la protection des arbres soient, en l’état actuel du droit, fort nombreuses.

Au titre des symboles particulièrement parlant, on retiendra que l’occurrence « arbre » se retrouve d’ailleurs dans quasiment tous les Codes. A côté des attendus Code civil et Code forestier, d’autres, comme le Code du commerce ou encore celui de la propriété intellectuelle, s’y réfèrent[6]. L’arbre fait donc l’objet de nombreuses attentions juridiques[7]. Le droit des arbres est au final relativement disparate et, à notre sens, pas très bien codifié. Il ressort de ce grand ensemble que « les actions forestières (…) sont censées désormais provenir d’une construction rigoureuse de techniques et de modalités d’intervention permettant à la fois la viabilité économique, l’acceptabilité sociale et la conservation de la biodiversité et des services environnementaux[8] ».

Ces précisions générales amènent à une seconde, spécifique à notre étude : celle de l’absence de l’application de la notion de santé aux arbres. La santé, terme classiquement attaché à l’Homme, n’a pas fait l’objet d’une transposition aux arbres en droit positif. Cela n’a rien d’étonnant tant on sait que le pragmatisme n’est pas forcément favorable à l’extrapolation juridique et encore moins à l’application de concepts humains (comme la santé) à des choses (comme les arbres).

Cependant, à la lecture du droit, il nous paraît que la protection de la santé des arbres, bien que non évoquée en tant que telle, peut être identifiée à travers deux séries de mécanismes : le premier consiste à fixer des règles permettant de le protéger ; le second, qui doit s’envisager en complément du précédent, consiste à instaurer des mécanismes de sanction lorsque l’intégrité de l’arbre est atteinte.

ii. Les modes de protection de la santé des arbres

A l’image des politiques de santé publiques la protection de la santé des arbres peut s’envisager soit de manière individuelle, soit de façon collective en protégeant, par exemple, les espaces boisés.

De manière magistrale, le Code forestier reprenant à son compte certaines dispositions de la loi du 9 décembre 1789, consacre cette idée dans son article L. 112-1. Par une formule forte, ce dernier précise que « Les forêts, bois et arbres sont placés sous la sauvegarde de la Nation, sans préjudice des titres, droits et usages collectifs et particuliers ». La Nation est donc la protectrice des arbres. La formule, dont le symbole est important, admet le principe selon lequel la collectivité est garante du bien-être des arbres. Allant encore plus loin, le législateur reconnait, dans ce même article, comme « d’intérêt général… la protection et la mise en valeur des bois et forêts ».

Le principe est non seulement de sauvegarder l’arbre et l’espace boisé, mais également l’écosystème qui l’entoure[9]. La conservation de l’arbre implique donc une approche globale dans laquelle la gestion durable des espaces boisées présente un intérêt tout particulier dans la préservation de toute forme de vie. Le législateur rappelle que les arbres et leurs forêts concourent à fixer les sols, à assurer les ressources en eaux, à fixer le dioxyde de carbone, à lutter contre le changement climatique… L’ensemble de ces éléments contribue, in fine, à garantir la protection des milieux en général, et ceux dans lesquels les individus se meuvent en particulier. L’Homme protecteur devient aussi Homme protégé.

En ce sens, « La gestion durable signifie la gérance et l’utilisation des forêts et des terrains boisés d’une manière et à une intensité telles qu’elles maintiennent leur diversité biologique, leur capacité de régénération, leur vitalité et leur capacité à satisfaire actuellement et pour le futur les fonctions écologiques, économiques et sociales pertinentes, aux niveaux local, national et mondial : et qu’elles ne causent pas de préjudices à d’autres écosystèmes[10] ».

Par un lien causal, la Nation protège les arbres et les arbres quant à eux participent à la protection de ceux qui forment la Nation.

La préservation des arbres, ne se cantonne pas à la seule affirmation qu’il s’agit d’un objet d’intérêt général. En rester là n’aurait conduit qu’à affirmer un principe dont l’effectivité aurait été aléatoire. Le législateur a complété les principes généraux et les déclarations d’intentions par des mécanismes sanctionnant les atteintes au dit principe. Le législateur et la jurisprudence ont créé un véritable arsenal de protection de la forêt, au point que la doctrine n’hésite plus à parler de droit pénal forestier[11]. Une telle qualification n’est pas dénuée de sens si on la considère au regard de l’émergence de mécanismes de sanction exclusivement applicables à la matière forestière et détachés des règles générales applicables en droit pénal.

En ce sens, l’article L. 161-1 du Code forestier définit ce que sont les infractions forestières. Rentrent dans cette catégorie tous les délits et contraventions prévus par le Code forestier et les textes qui en découlent. Les sanctions applicables aux bois et forêts sont entendues de façon extensive. La jurisprudence considère, entre autres, que le droit pénal forestier s’applique au-delà de l’espace planté. La Chambre criminelle indique que l’infraction forestière est caractérisée quand la forêt et son sol sont atteints : « que le sol d’une foret doit s’étendre non seulement de l’espace plante mais aussi, notamment, des cours d’eau qui la bordent[12] ». Le droit pénal forestier protège les forêts et arbres qui la composent contre une série de périls portant atteinte à leur santé. Les incendies[13], la mutilation des arbres (exemple : enlèvement d’écorces), l’arrachage de plants sont de nature à entrainer des condamnations pénales.

Le droit parait bien armé pour protéger la santé des arbres et, partant, celle des hommes. Cependant, ce tableau idyllique masque une autre réalité, celle de la complexité à protéger la santé de l’arbre à une échelle supra nationale.

B. Le droit insuffisamment protecteur de la santé des arbres

i. De nombreuses législations nationales
ignorant la santé des arbres

La protection des forêts et des arbres qui les composent marque de nettes limites dès que l’on sort de nos frontières. Malgré une prise de conscience grandissante sur la nécessité de préserver les arbres, de nombreux Etats sont rétifs à imposer des règles de droit en la matière[14]. Le « droit à la santé des arbres » n’est pas égal en fonction que ces derniers poussent dans un endroit du globe ou dans un autre.

Les considérations économiques et les exigences de croissance ne favorisent pas toujours la préservation des espèces. L’idée que le développement durable puisse être un facteur de développement au sens large du terme n’est pas encore ancrée dans toutes les politiques nationales, ou n’y est ancrée que récemment, ce qui n’a pas permis d’adopter une règlementation suffisamment protectrice. « Souvent des conflits peuvent surgir (…) entre un aménagement forestier à long terme, et les exigences d’une expansion rapide de l’exploitation, ou entre une politique de classement des forêts permanentes et l’exercice de certains droits coutumiers de la population[15] ». Pourtant, les mécanismes de sauvegarde des espaces boisés présentent, sur le long terme, un enjeu central pour le développement d’un Etat et pour la santé de sa population. Quand un Etat ne protège pas ses ressources naturelles, les risques pour la santé de sa population sont réels.

Au terme d’études probantes, les scientifiques ont démontré[16] que la déforestation, constatée dans plusieurs endroits du globe, a des incidences directes sur les modes de vie des populations locales et sur leur santé. Le bouleversement d’un écosystème, imputable à la déforestation, à la suppression d’espèce arboricoles endémiques, prive non seulement les autochtones de la beauté des arbres et de leur cadre de vie – ce qui influe sur leur santé mentale – mais aussi atteint les ressources traditionnellement utilisées pour se nourrir, se vêtir…

La déforestation ou « la mauvaise santé des arbres » favorise également l’apparition de nouvelles maladies voire de pandémies[17].

En Amérique du Sud, « la déforestation de la forêt primaire à des fins de développement agricole et de l’élevage a indéniablement provoqué une augmentation du niveau de vie, mais les populations ont aussi payé un coût important en connaissant une augmentation importante de l’incidence du paludisme[18] ». Malheureusement, le constat ne s’arrête pas à ce seul cas. Les exemples analogues, à travers le monde, sont nombreux et tendent tous vers les mêmes conclusions. Celles que la santé des arbres, ou pire, la vie des arbres, n’est pas suffisamment protégée par les législations nationales et que, partant, ce sont les populations locales qui s’en trouvent atteintes.

Sans que nous puissions davantage insister sur ce point, nous pourrions dire qu’un Etat qui ne protège pas, juridiquement, ses arbres est un Etat qui met sa population en danger. L’immobilisme juridique est, ici, particulièrement coupable.

ii. Un droit international incomplet

La défaillance de nombreux Etats pourrait être palliée par la création d’un droit international forestier. Le principe est d’autant plus séduisant que l’on sait qu’en matière environnementale l’action supra nationale est la plus pertinente[19]. Pourtant, en ce domaine, le cadre juridique international est balbutiant et insuffisant[20]. L’après Seconde Guerre mondiale, qui a marqué un tournant dans les relations internationales, n’a pas mis au centre des débats les questions forestières. Dans les année 1990 les problématiques des gaz à effet de serre[21], de la qualité de l’air, de la pollution, du changement climatique, ont commencé à susciter un vif intérêt de la part de la communauté pour la forêt. Très rapidement, l’arbre, en raison de ses caractéristiques, a été considéré comme un des vecteurs primordiaux permettant de lutter contre ces nouveaux défis environnementaux. La Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (Cnued), tenue au Sommet de Rio en 1992, est le premier acte en la matière. Il a « permis une nette avancée sur les politiques forestières, les pays présents y affirmant leur engagement envers une gestion durable des forêts et adoptant la Déclaration de principes, juridiquement non contraignants, mais faisant autorité pour un consensus mondial sur la conservation et l’exploitation écologiquement viable de tous les types de forêts. Après le Sommet de Rio de 1992, la Fao est intervenue auprès des Etats pour les aider à concevoir, mettre en œuvre ou réviser leur Programme forestier national (Pfn). Dans cette optique le Groupe intergouvernemental des forêts (Gif) a adopté en 1997 des propositions d’action en matière de Pfn[22] ».

L’adoption de nouveaux textes n’a pourtant pas apporté une solution durable et pérenne. Derrière les intentions affichées dès 1992, le droit international s’est montré incapable de créer une stratégie permettant de promouvoir, à l’échelle mondiale, la protection de la santé des arbres. A l’échelle régionale, le droit de l’Union européenne, n’a pas été plus efficace[23]. C’est tout au plus si une stratégie forestière, essentiellement orientée sur des considérations économiques, a été instaurée[24]. De son côté, la jurisprudence européenne s’est montrée très fébrile à envisager le droit forestier[25]. Tempérant cette approche, La Cour de justice des Communautés européennes a toutefois considéré que les deux règlements relatifs à la protection des forêts contre la pollution atmosphérique et contre les incendies constituent des mesures de défense de l’environnement forestier qui, à ce titre, font partie de plein droit des actions de l’Union européenne[26] .

Il semble que les enjeux économiques liés à la ressource forestière aient eu raison de nombreuses tentatives de régulation internationales. La santé des arbres qui devrait, à notre sens, présenter une attention particulière, est ainsi reléguée à un second plan. Dans ce marasme, on retiendra comme lueur d’espoir que la Cour Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, a consacré le fait que « des impératifs économiques et même certains droits fondamentaux, comme le droit de propriété, ne devraient pas se voir accorder la primauté face à des considérations relatives à la protection de l’environnement, en particulier lorsque l’Etat a légiféré en la matière[27] ». Par cette affirmation, la Cedh a fait primer de manière courageuse la protection des arbres sur les intérêts économiques[28].

II. L’arbre et la santé de l’Homme

Par une formule – qui symbolise encore aujourd’hui la méconnaissance ou le mépris du phénomène écologique -, tombée depuis dans la postérité, Ronald Reagan affirmait, il y a plus de vingt ans, que les arbres produisent davantage de pollution aérienne que les usines. La phrase qui prête à sourire montre que l’impact des arbres sur la santé humaine est souvent minoré ou méconnu. Pourtant, les arbres concourent directement ou indirectement à protéger l’espèce humaine contre un nombre important de fléaux (A) Néanmoins, le droit éprouve des difficultés à appréhender ce phénomène (B).

A. L’arbre garant de la santé des Hommes

i. L’arbre au service de la santé des Hommes

La place des forêts dans le monde, quoi qu’importante, reste précaire. Pourtant, comme l’indique la Fao, « Il est important de mettre en valeur et de conserver les terres forestières, voire tout l’espace vert, non seulement pour leur aspect esthétique, mais aussi pour des raisons écologiques, économiques et sociales. En effet les arbres ont toujours été intimement liés à l’évolution de la biodiversité terrestre, surtout l’humanité car l’oxygène, l’eau, les aliments et les médicaments dépendent tous des forêts. Ces dernières constituent l’élément charnière dans l’adaptation et l’atténuation du réchauffement climatique[29] ».

En matière de santé, la forêt occupe une place centrale. Partant, l’importance de la forêt et des arbres pour la santé de l’Homme peut s’envisager à deux échelles.

D’abord, l’arbre influe sur la santé de l’Homme en intervenant sur son environnement[30]. Il intervient sur son écosystème, favorise la diversité des ressources alimentaires, est une source d’énergie… Il est alors possible d’écrire qu’en favorisant la diversité des espèces, l’arbre permet tout simplement d’assurer la vie de l’espèce humaine. « Si la diversité apparaît aussi omniprésente, constamment renouvelée, restaurée après chaque grande crise d’extinction c’est parce qu’elle assure une fonction essentielle pour l’expression et le maintien de la vie. De fait, il n’y a pas de vie sans diversité : c’est une caractéristique intrinsèque du vivant[31]».

Enfin, l’arbre est susceptible d’intervenir directement sur la physiologie de l’Homme. De nombreux médicaments, cosmétiques dispositifs médicaux sont fabriqués à partir d’arbres. On constate également, une augmentation du nombre de pratiques paramédicales utilisant l’arbre comme une source de guérison ou de bien-être[32].

Dans la relation entre la santé de l’Homme et l’arbre, chaque espèce d’arbre joue un rôle, exerce une fonction spécifique. Ce principe a d’ailleurs été théorisé, dans les années 1980, par l’intermédiaire du concept de service écologique, repris depuis dans le droit positif[33]. Le service écologique identifie alors le processus grâce auquel les écosystèmes, avec l’ensemble des espèces, satisfont les besoins des hommes[34]. Dans cette vision « de la nature utile », l’arbre est un acteur majeur dont l’utilité pour la santé n’a cessé de s’accroître.

ii. L’arbre remède aux maux des Hommes

Depuis plusieurs siècles, les civilisations se soignent à l’aide de plantes et d’arbres. Paracelse, au XVe siècle théorisa le principe de la signature, selon lequel chaque végétal en raison de ses caractéristiques intrinsèques est apte à soigner des maux déterminés.

A titre d’exemple, « le saule », arbre qui pousse dans les lieux humides est, en raison de sa signature, capable de soigner les maladies qui s’attrapent par des climats humides ou qui sont imputables à des pieds mouillés[35]. L’explication n’emprunte pas uniquement à l’anecdote historique. L’arbre, et la chose est peu connue, est un élément essentiel de la médecine. Quelques chiffres suffisent à comprendre l’ampleur du phénomène.

Les spécialistes estiment qu’aux Etats-Unis, 25 % des ordonnances prescrites comportent des médicaments dont les principes actifs sont tirés ou dérivés d’arbres et de plantes. En 1990, les médicaments à base d’arbres et de plantes y représentaient un budget de 12,5 milliards de dollars. Quotidiennement de nouveaux médicaments, de nouvelles molécules innovantes sont extraits d’arbres.

Récemment, la découverte du taxol, extrait de l’écorce de l’if du Pacifique, a permis de fournir un composant actif dans un nouveau traitement du cancer du sein et de l’ovaire. Les exemples en la matière sont nombreux et souvent spectaculaires.

Les arbres offrent donc de nombreux remèdes. Ils permettent, dans l’indifférence la plus générale de guérir des maladies, de soigner des pathologies avec une efficacité que les substances chimiques issues de l’industrie n’arrivent pas égaler.

B. L’arbre : un protecteur méconnu de la santé des Hommes

i. Un problème de reconnaissance de l’apport des arbres

Les arbres et les plantes constituent des objets d’études et de développements importants pour la médecine. Contrairement à une idée reçue, les arbres ne se retrouvent pas uniquement dans des médicaments traditionnels, fabriqués au milieu des fioles contenant des serpents, dans des petites échoppes des pays asiatiques. Cette vision, communément admise dans nos sociétés occidentales, ne correspond que peu à la réalité. L’industrie pharmaceutique et les grands groupes qui la composent ont bien compris l’intérêt et la valeur que pouvaient avoir les arbres pour leurs chiffres d’affaires.

Les pays dans lesquels la législation sanitaire est la plus avancée ont quasiment tous admis et réglementé la commercialisation de médicaments à base de plantes et d’arbres. L’Europe n’a pas échappé à la tendance. Le droit de l’Union définit les médicaments à base de plantes (incluant les arbres) comme « tout médicament dont les substances actives sont exclusivement une ou plusieurs substances végétales ou préparations à base de plantes ou une association d’une ou de plusieurs substances végétales ou préparations à base de plantes[36] ».

Les médicaments à base de plantes répondent, alors, à une réglementation similaire aux autres médicaments. Les règles de mise sur le marché, les mécanismes de vente, les vigilances sanitaires sont analogues à toutes les spécialités pharmaceutiques[37].

Malgré cette reconnaissance, de nombreux médicaments à base d’arbres sont exclus du marché européen et, plus globalement, des marchés pharmaceutiques occidentaux. Nombreuses sont les règlementations à refuser la commercialisation de médicaments traditionnels. Médicaments qui constituent pourtant la source de l’art médical dans de nombreux pays du monde. Selon certaines estimations, ce sont près de 80% des habitants des pays en développement qui dépendent des médicaments traditionnels dont 50% d’entre eux proviennent de la forêt.

ii. Un problème d’intégration juridique de l’apport des arbres

Les médicaments à base de plantes autorisées par notre droit ne représentent qu’une infime partie de l’immense masse qui rentrent dans la catégorie des produits pharmaceutiques similaires. En effet, de nombreux médicaments, qui sont pourtant fabriqués à partir d’essences naturelles (plantes, arbres…) sont tout bonnement exclus de la législation et par conséquent interdit à la vente dans nos pays. C’est ainsi, que les médicaments traditionnels à base de plantes, dont une partie importante sont issus de la médecine traditionnelle chinoise, peinent à être légalisés. La rigidité de la législation, l’inadéquation de ces spécialités avec les règles de la propriété intellectuelle, sont des obstacles importants pour les fabricants. L’Union européenne, nonobstant l’adoption de la directive du 31 mars 2004, n’a guère favorisé l’ouverture de son marché à ces produits. Les raisons commerciales, qui publiquement laissent place à des arguments de santé publique, expliquent en partie cette posture. Pourtant, à l’image de la Suisse ou de l’Australie, de nombreux pays à travers le monde ont ouvert leur marché aux médicaments traditionnels[38].

Antoine Leca, relève à juste titre « que l’industrie pharmaceutique occidentale, basée essentiellement sur la synthèse chimique, n’a pour l’instant rien de neuf, ni de convaincant à proposer contre plusieurs pathologies. Et l’occident est à la recherche de médicaments moins coûteux. Il y aurait donc de bonnes raisons pour faire collaborer les deux savoirs pharmaceutiques[39] ».

La législation européenne et française rechigne à faire une place plus importante aux médicaments confectionnés à partir d’arbres. La pression des grands groupes pharmaceutiques est sur ce point particulièrement forte. Les enjeux économiques deviennent alors prépondérants face aux possibles bienfaits que pourraient nous offrir ces ressources.

Alors qu’au moment où nous achevons cette étude notre regard se porte sur le Sapin de Noël, majestueusement décoré et qui dans quelques jours perdra de sa superbe et sera relégué au rang de déchet, nous ne pouvons que constater que l’arbre dans toute sa splendeur et son utilité n’a pas la place qu’il devrait avoir. Souvent considéré comme un vulgaire objet décoratif, il apparait en réalité bien plus essentiel que cela dans nos vies.


[1] Benoit Boutefeux, La forêt comme un théâtre ou les conditions d’une mise en scène réussie, Thèse Ens Lyon, 2007 ; Vincent Colson, Anne Marie, Sophie Vanwijnsberghe, Loisirs en forêt et gestion durable, Les Presses agronomiques de Gembloux, 2012 ; Jacques Liagre, « L’accueil du public en forêt : fonction sociale de la forêt française », in, La Forêt et ses enjeux, Presses Universitaires de Perpignan, 1996.

[2] CE, 17 décembre 2018, n°400311.

[3] Voir infra.

[4] Michel Badre, « Gestion et gouvernance forestières : l’évolution de l’action publique », Rev. for. Française, 2007, n° 5, p. 484.

[5] Philippe Lacroix, Jean-Louis Roque, Robert Izard, Michel Lacan, Voyage dans les forêts de l’Hérault : De Saint-Guilhem à l’Espinouse, Broché, 2011.

[6] Claude Durand-Prinborgne, « Aspect contemporain du droit de propriété en matière forestière », Rev. for. Française, déc. 1966, n° 12, p. 761.

[7] Louis Naud, De la protection des forêts, V. Giard et E. Brière, 1907.

[8] Gérard Buttoud, « Débat international sur les forêts et changement d’approche de la gestion de la politique et de la gestion forestière », Revue Forestière, 2007, p. 443.

[9] Michel Prieur, Droit, forêts et développement durable, éd. Bruylant, Bruxelles, 1996.

[10] Conférence interministérielle sur la protection des forêts en Europe, Helsinki juin 1993, résolution H1.

[11] Jacques Liagre, Bois et Forêts, Jcl. Environnement, 2016, Fasc. n°3725.

[12] Cass. crim., 22 févr. 1977, Bull. crim. 1977, n° 71.

[13] Cass. Crim., 21 janv. 2014, n° 13-81.280.

[14] Eric Glond (dir.), Forets et société au Canada, ressources durables ou horreur boréale ?, septentrion, 2008.

[15] Fao, Fao Forets, La législation forestière dans quelques pays africains, Etude 65, 1986, p. 7.

[16] David Braown, Bois légal : vérification et gouvernance dans le secteur forestier, CIFOR, 2009 ; Stéphanie Carrière, Les orphelins de la forets, Ird éd., 2017.

[17] Stéphane Blanc, Gilles Boëtsch, Martine Hossaert-McKey, François Renaud, Ecologie de la santé, Cherche midi, 2017, p. 30.

[18] Actes de la conférence internationale Biodiversité, science et gouvernance, Paris 24-28 juillet 2005, p. 201.

[19] Pierre-Marie Dupuy, « Où en est le droit international de l’environnement à la fin du siècle ? », Rgdip.,1997, p. 873 ; Maurice Kamto, « Les nouveaux principes du droit international de l’environnement », Rje, 1993, p. 11 ; Raphaël Romi, Droit international et européen de l’environnement, 2e éd , Montchrestien, 2013 ; Michel Pâques, La protection de l’environnement au cœur du système juridique international et du droit interne, acteurs, valeurs et efficacité, Bruylant , 2003.

[20] Stéphane Doumbe-Bille,Lecadre juridique international relatif aux forêts. Etat de développement. Actes du colloque des 5 et 6 décembre 2002. Le droit de la forêt au XXIe siècle – aspects internationaux, Coll. du droit du patrimoine culturel et naturel, L’Harmattan, 2004, p. 121.

[21] D’après de nouvelles recherches, les arbres joueraient un rôle bien plus complexe dans la pollution atmosphérique qu’on ne le pensait précédemment, et certaines espèces aggraveraient même le phénomène.

[22] Jacques Liagre, Bois et Forêts, Jcl. Environnement, 2016, Fasc. n°3725.

[23] Isabelle Michallet, La protection des forêts en droit communautaire. Actes du colloque des 5 et 6 décembre 2002. Le Droit de la forêt au XXIe siècle – Aspects internationaux, L’Harmattan, 2004, p. 169.

[24] Cons. UE, rés. 1999/C 56/01, 15 déc. 1998, relative à une stratégie forestière pour l’Union européenne : Joce n° C 56, 26 févr. 1999, p. 1.

[25] Cjce, 25 fev. 1999 Parlement c/Conseil rec. Cjce 1999, p. 1139.

[26] Ibidem.

[27] Cedh, 27 nov. 2007, déc. n° 21861/03, Hamer c/ Belgique, § 79.

[28] Ibidem.

[29] Fao, Fao Forets, La législation forestière dans quelques pays africains, op. cit.

[30] Voir Supra I.B.

[31] Robert Barbault, « Biodiversité, écologie et sociétés », Ecologie & politique, 2005, p. 27.

[32] Voir l’exemple de la sylvothérapie, Guillaume Decocq, Bernard Kalaora, Chloé Vlassopoulos, La forêt salvatrice. Reboisement, société et catastrophe au prisme de l’histoire, Champ Vallon, 2016.

[33] Dir. n° 2004/35/CE, art. 2, point 13.

[34] Gretchen Daily, Nature’s services. Societal dependence on natural ecosystems, Island Press, Washington, 1997.

[35] Jacques Pellecuer, « Arbres et médicaments », Aménagement et nature, 2004, p. 18.

[36] PE et Cons. UE, dir. 2004/24/CE, 31 mars 2004, art. 1er.

[37] Arnaud Lami, Antoine Leca, Droit Pharmaceutique, Leh, 2017.

[38] Antoine Leca (Dir.), Droit tradimédical, Leh, 2014.

[39] Antoine Leca, « Quel statut pour la médecine traditionnelle chinoise en droit français » in Antoine Leca, Droit tradimédical, op.cit., p. 65.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

L’auteure de la semaine : Delphine Espagno-Abadie

Voici la 6e publication dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’une présentation de l’un.e de nos auteur.e.s d’exception : Mme Delphine Espagno-Abadie.

Profession :

Maître de conférences à l’IEP de Toulouse.

Thèmes de recherche(s) :

Unité du droit, le droit du service public, puissance publique, fonction publique, éducation et enseignement supérieur, droit de l’action publique, droit(s) public(s) méditerranéen (s)…

Quelle a été votre première collaboration / publication aux Editions L’Epitoge ?

Ma première contribution aux Editions l’Epitoge a été la publication d’une contribution dans l’ouvrage Voyages en l’honneur du professeur Geneviève Koubi, un droit à l’évasion…circulaire, en 2012.

Y en a-t-il eu d’autres ?

Oui, la publication de mon ouvrage Léon Duguit : de la sociologie et du droit en 2013
et dans le cadre de la RMDP, Eléments bibliographiques
et les propos conclusifs dans la publication des actes du Colloque de Rabat (octobre 2015), publiés en octobre 2016.

Quelle est votre dernière publication ?

Ma dernière publication aux Editions l’Epitoge est une contribution dans l’ouvrage Le(s) droit(s) selon & avec Jean-Arnaud Mazères, octobre 2016.

Quelle sera votre future publication ?

Sans doute une contribution à l’actualisation des Eléments bibliographiques à la RMDP.

Quelle est la publication dont vous êtes le.la plus fier.e / heureux.se ?

Personnellement, je pense que c’est mon ouvrage individuel mais c’est toujours avec bonheur et fierté que je contribue aux éditions L’Epitoge.

Quel est – en droit – votre auteur.e préféré.e ?

Si c’est un auteur disparu, certainement Léon Duguit mais j’ai également une affection particulière pour les écrits de Jean Rivero.

Quel est – en littérature – votre auteur.e préféré.e ?

Difficile de faire un choix… : pour la littérature française, je pense que c’est Victor Hugo ; pour la littérature étrangère, je pense que c’est Philip Roth.

Quel est – en droit – votre ouvrage préféré ?

Les transformations du droit public de Léon Duguit.

Quel est – en littérature – votre ouvrage préféré ?

L’homme qui rit de Victor Hugo.

Volume II :
Léon Duguit :

de la Sociologie & du Droit

Delphine Espagno

– Nombre de pages : 198
– Sortie : décembre 2013
– Prix : 39 €

  • ISBN / EAN : 978-2-9541188-6-4 /9782954118864
  • ISSN : 2272-2963

Présentation :

L’ouvrage que nous propose aujourd’hui Mme Delphine ESPAGNO, (…) est peut-être la plus belle des invitations qui ait été écrite afin d’inciter le lecteur, citoyen et / ou juriste, à comprendre la pensée du doyen de Bordeaux (…). Léon DUGUIT méritait effectivement [les présents] ouvrage et hommage (…) car le doyen, comme Jean-Jacques ROUSSEAU avant lui (…), a longtemps été et est encore souvent présenté soit comme un marginal de la pensée juridique, soit est même dédaigné de façon méprisante comme si sa qualité de juriste lui était déniée. HAURIOU, nous rappelle l’auteure, ira même ainsi jusqu’à affubler DUGUIT d’être un « anarchiste de la chaire » ce qui n’avait manifestement pas totalement déplu à ce dernier ! Car, ce que rappelle Mme ESPAGNO dès son introduction, c’est bien une nouvelle manière de penser et de réinventer le Droit dans son ensemble que nous invite à accomplir Léon DUGUIT. Il n’est pas qu’un faiseur de théorie(s) (comme celles du service public, des agents publics ou encore de l’Etat), il est – pour reprendre l’expression de CHENOT désormais consacrée – un véritable « faiseur de système » dans son sens le plus noble et mélioratif (…). DUGUIT assume en effet son rôle de guide et nous a donné à voir une nouvelle façon d’appréhender le Droit non pas tel qu’il est mais tel qu’il devrait être. Un Droit qu’il a comme réinventé en chaussant de nouvelles lunettes tel le spectateur qui verrait en deux dimensions et désormais en découvrirait – grâce à lui – une troisième. Après Léon DUGUIT, les juristes n’ont ainsi pu feindre de ne concevoir le Droit qu’à l’instar d’un artifice fictif, technique et juridique : le Droit est devenu indissociable de la Sociologie (…). Ce « droit duguiste » nous offre alors grâce à la lumière qu’y dépose avec délicatesse Mme Delphine ESPAGNO la vision renouvelée des relations existantes entre Droit, individu et collégialité ou société (…) En outre, ce que va construire le doyen de Bordeaux n’est pas – comme on le lit encore souvent – une « simple » théorie du service public mais une théorie réaliste de l’Etat par le service public ».

L’ouvrage, publié le 18 décembre 2013 pour le 85e anniversaire de la mort du doyen DUGUIT, a été réalisé grâce au soutien de SCIENCES PO Toulouse ainsi que du COLLECTIF L’UNITE DU DROIT. Il est en outre sorti en parallèle avec un second ouvrage sur l’autre géant du droit public français : Maurice HAURIOU.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).