Les questions au gouvernement (par le Dr. V. Nicolas)

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Les questions au gouvernement (par le Dr. V. Nicolas)

Voici la 74e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 6e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Cet ouvrage, paru le 18 décembre 2013, est le septième
issu de la collection « L’Unité du Droit ».

Volume VII :
Le Parlement aux écrans !

Ouvrage collectif
(Direction : Mathieu Touzeil-Divina)

– Sortie : automne 2013 / Prix : 39 €

  • ISBN : 979-10-92684-01-8
  • ISSN : 2259-8812


Présentation :

Le présent ouvrage est le fruit d’un colloque qui s’est déroulé à l’Université du Maine le 05 avril 2013 dans le cadre de la 2ème édition des « 24 heures du Droit ». Co-organisé par le Collectif L’Unité du Droit et le laboratoire Themis-Um (ea 4333), il est dédié à la mémoire du professeur Guy Carcassonne qui fut l’un des membres de son conseil scientifique et dont l’allocution de clôture est ici reproduite in extenso en hommage. Le colloque « Le Parlement aux écrans ! » (réalisé grâce au soutien de l’Assemblée Nationale ainsi qu’avec le concours des chaînes parlementaires Public Sénat & Lcp-An) s’est en effet proposé de confronter le droit parlementaire et ses acteurs à tous les écrans : de communication(s), informatiques, réels ou encore de fiction(s). Comment les délégués d’une Nation (en France mais aussi à l’étranger) sont-ils incarnés et / ou représentés dans et par les écrans ? Les médias leur sont-ils singuliers ? L’existence de chaînes à proprement parler « parlementaires » est-elle opportune et efficiente ? En particulier, comment y est gérée la question du pluralisme et de l’autonomie financière ? Comment le cinéma, la fiction et finalement aussi peut-être le grand public des citoyens perçoivent-ils le Parlement et ses acteurs, leurs rôles, leurs moyens de pression ? Y cède-t-on facilement à l’antiparlementarisme ? Comment y traite-t-on des enjeux et des phénomènes parlementaires historiques et / ou contemporains ? Quelle y est la « mise en scène » parlementaire ? Existe-t-il, même, un droit de ou à une télévision camérale ?

Telles sont les questions dont le présent colloque a traité avec la participation exceptionnelle du maestro Costa-Gavras, de parlementaires (dont le Président Delperee et la députée Karamanli), d’administrateurs des Chambres, de journalistes caméraux et directeurs de chaînes, d’universitaires renommés (dont les professeurs Benetti, Ferradou, Guglielmi, Hourquebie, Millard, de Nanteuil, Touzeil-Divina et Mmes Gate, Mauguin-Helgeson, Nicolas & Willman) ainsi que d’étudiants des Universités du Maine et de Paris Ouest.

« Les juristes (…) et les politistes s’intéressent à cette scène particulière [le Parlement] avec intelligence, distance et humour. Ils ne laissent jamais indifférents lorsqu’ils donnent un sens à l’action des politiques sur cette scène originale. Ils interprètent, c’est un trait des juristes, les positions des politiques et leur façon de se mouvoir entre eux devant les citoyens. Plus encore ils donnent à voir les relations que les écrans, la fiction, a et entretient avec une réalité qui ressemble, elle-même, à une scène. Il y a un effet de miroir et de lumières très original que le cinéma n’est pas / plus seul à donner. Pour le comprendre il faut lire l’ensemble des contributions de ce colloque original, intelligent et libre, et qui rend plus intelligent et plus libre ».   Costa-Gavras

Les questions au gouvernement : quelle(s) mise(s) en scène ?

sous la direction de : Valérie Nicolas
Maître de conférences de droit public,
Université Paris Ouest Nanterre La Défense,

membre du Collectif L’Unité du Droit

avec la participation d’étudiants de Master I de droit public et de sciences politiques Marina Beaumont, Céline Delattre, Héloïse Lacaille & Jean-Rémi de Maistre (promotion issue du cours magistral de droit parlementaire du professeur Touzeil-Divina, Paris Ouest Nanterre La Défense)

L’actualité ne fait pas mentir le Président Edgar Faure lorsqu’il disait dans les années 70 que les questions au gouvernement constituent l’instant politique essentiel de la semaine parlementaire… Les dernières semaines et les scandales politiques éclatant, montrent à quel point le Parlement peut être la scène où s’exprime l’art du mensonge et de l’esquive. Le temps des questions au gouvernement est l’illustration parfaite, filmée et exposée au regard du téléspectateur d’une mise en scène d’un discours d’influence dont le propos est d’agir sur ce dernier, de le faire penser et de le faire réagir. Historiquement inspirées du « question time » anglais et fruit des propositions de Valéry Giscard d’Estaing en 1974, les questions au gouvernement répondent sans doute à l’idée de repenser l’équilibre entre les pouvoirs. La rationalisation du régime parlementaire, la bipolarisation de la vie politique et le fait majoritaire contribuent à maintenir un déséquilibre entre le Parlement et le Gouvernement. L’instauration de ces questions pensées comme spontanées adressées au Gouvernement par les parlementaires participe du souci de développer des techniques plus nombreuses et plus efficaces de contrôle et d’information du Parlement. L’instauration par une procédure souple de ce temps de question répond aussi à la volonté de revaloriser les droits de l’opposition parlementaire. Au début des années 80, filmées par les caméras de télévision, ces questions connaissent un essor notable et un réel succès. La médiatisation des questions modifie notablement la place et la portée du processus et le comportement des acteurs ! Elle permet que se développent toutes sortes de mises en scène. Procédure d’information et de contrôle, elle se révèle être une vraie technique de communication. Quelles sont donc les mises en scène pratiquées par le Parlement durant ce temps de questionnement sur des sujets d’actualité ? Il nous est apparu que se déroule dans un premier temps, une parodie de contrôle politique[1]. Au moyen d’un cadrage souple, se développe une certaine improvisation… Dans un second temps, une mise en abyme du système politique s’opère, montrant une opposition en trompe l’œil et un Gouvernement en gros plan[2].

I. Une parodie du contrôle politique.

« C’est à l’étendue de leurs moyens de contrôle que se mesure aujourd’hui la force des Assemblées parlementaires »[3].

A. Un cadrage souple de la procédure

La Constitution de la Ve République est la première des Constitutions françaises à intégrer les questions parlementaires dans son scénario. Son article 48 prévoit en substance, qu’une séance par semaine au moins, est réservée en priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du Gouvernement. Cet article concerne l’ensemble des formes de questions orales. S’il reste très sommaire aujourd’hui, il a été cependant complété depuis 1958. En 2008 le pouvoir constituant est venu spécifier que les questions devaient avoir lieu également durant les sessions extraordinaires. L’imprécision de cette disposition a permis une interprétation stricte du Conseil constitutionnel qui fut profitable au gouvernement. Ainsi, dans une décision de 1964, les sages censurent une modification du Règlement de l’Assemblée qui prévoyait de répartir sur deux séances le temps destiné aux questions[4].

Ce carcan constitutionnel explique pourquoi aucune disposition du Règlement de la chambre basse ne traite spécifiquement des questions au gouvernement. Cette procédure est née d’une volonté politique[5] et n’a jamais été officialisée pour éviter une censure du Conseil. Elle reste aujourd’hui, une pratique coutumière, une convention entre le pouvoir exécutif et l’Assemblée Nationale.

La situation est différente au Sénat. Depuis 1995, son règlement organise les questions d’actualité au gouvernement, disposition déclarée conforme à la nouvelle rédaction de la Constitution[6]. En effet, celle-ci a été modifiée en 1995 afin de consacrer la pratique parlementaire qui date des années 70. Dès lors, plus rien n’empêche l’Assemblée Nationale d’intégrer les questions au gouvernement dans son règlement. C’est donc par choix que les députés préfèrent s’en remettre à la coutume.

Si la coutume a l’avantage de la souplesse, il convient de souligner la précarité de cette source, soumise au bon vouloir des différents acteurs. Ainsi, en 2008, le temps accordé à chaque orateur a été réduit de 30 secondes sans qu’il soit nécessaire de modifier un texte. Députés comme ministres disposent donc tous de 2 minutes pour s’exprimer, sauf le premier ministre dont le temps de parole reste illimité. Le passage à la Ve République est donc venu rationaliser l’exercice de ce feuilleton hebdomadaire des questions orales et Michel Debré en est incontestablement l’un des principaux scénaristes. Il précise dès 1959 que pour lui : « [l]a qualité du contrôle (…) est renforcée par le mécanisme pur et simple des interrogations faites au gouvernement à dates fixes »[7].

Les questions au gouvernement constituent ainsi la concrétisation d’une modalité du contrôle parlementaire et leur mise en scène conforte cette première impression. Si l’intervention des députés est saisie par la caméra à hauteur d’homme, les ministres eux, sont filmés depuis le haut de l’hémicycle. Au cinéma, l’utilisation de cet angle plongé est destinée à susciter l’isolement et le danger. En politique, cette technique fut baptisée : « l’homme dans l’arène » par Roger Ailes, producteur de télévision engagé par Nixon pour sa campagne de 1968.

Cependant, cette première impression d’un gouvernement écrasé par le pouvoir de la représentation nationale s’estompe rapidement. Sans s’attarder ici sur le caractère complaisant des « questions » de la majorité, le spectateur néophyte peut rapidement être amené à deux conclusions.

La première est l’absence fréquente de corrélation non seulement entre la réponse et sa question mais aussi entre le destinataire de la question et l’auteur de la réponse. Le néophyte va donc se demander, comment un député peut contrôler ou ne serait-ce que confondre un ministre dans la tourmente alors que celui-ci peut non seulement ne pas répondre mais surtout répondre à côté de la question. Une réponse du Premier ministre Lionel Jospin en 1999 illustre très bien cette situation : « Monsieur le député, je répondrai moi-même à votre question, puisque vous le souhaitez, mais je souligne que le Premier ministre reste libre d’apprécier s’il doit répondre lui-même ou s’en remettre à l’un des membres du Gouvernement (…). Pour le reste, je voudrais rappeler une loi de la vie parlementaire : vous êtes libres de vos questions et nous sommes libres de nos réponses. » [8].

Les députés ont bien tenté de modifier cette partie du script afin d’obliger le ministre compétent à répondre à la question qui lui était posée. Mais cette possibilité fut censurée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision de 1964 précitée.

La deuxième conclusion qui apparait à tout observateur est que le député questionneur se trouve dans l’impossibilité de reprendre la parole après le discours du ministre, et donc de répliquer au ministre, quelle que soit le discours qu’il vient de tenir. Désormais, son successeur est d’ailleurs systématiquement d’un groupe politique différent. En effet, l’ordre de passage, qui est arrêté par la conférence des présidents, a évolué depuis la création des questions[9]. Initialement, majorité et opposition disposait d’une demi-heure chacune. Désormais, les différents groupes qui composent l’Assemblée Nationale se succèdent de manière alternative. Partant, la possibilité que s’instaure un dialogue entre plusieurs députés et un ministre s’est donc considérablement amenuisée. Les « mitraillages » sur un sujet sensible pour le gouvernement restent possibles mais sont de fait bien moins intensifs compte tenu du répit offert par le soutien des députés de la majorité.

En conclusion, devant les yeux du néophyte, au fil de la séance de questions au gouvernement, s’opère par un effet de travelling, une captation du premier rôle sensé échoir au parlementaire, au profit du gouvernement. L’ampleur de cette situation paradoxale mérite d’être mesurée.

Le juriste spectateur peut relever deux précisions supplémentaires. En premier lieu, les rappels au règlement sont prohibés durant les questions. Si les contraintes horaires propres à cette exercice en direct expliquent cette règle, il convient néanmoins de mesurer son impact sur la vie de l’Assemblée nationale.

Comme aime à le rappeler le Professeur touzeil-divina, l’un des rôles premier du Parlement reste le dialogue et ainsi le temps parlementaire est marqué par l’échange, le débat, la concertation. L’audiovisuel et son rythme acharné sont donc venus s’imposer au sein de l’hémicycle ce qui est symptomatique de la politique moderne. « Ainsi se développe la politique de l’image, qui remplace aujourd’hui la politique du programme ou la politique du parti »[10].

En deuxième lieu, les députés ne peuvent voter à la suite de la séance de question ce qui exclut de facto une quelconque sanction du gouvernement grâce à ce procédé. On est bien loin des interpellations de la IIIe République qu’Eugène pierre définissait comme une « mise en demeure adressée au gouvernement l’incitant à s’expliquer sur l’exercice de son autorité »[11] et qui se clôturaient systématiquement par un vote. Ces questions relèvent certes du processus de contrôle du gouvernement en ce qu’elles permettent de vérifier son action, mais, elles sont d’une relative inefficacité, sauf à titre informatif. Dépourvues d’effet juridique, elles sont néanmoins investies d’une portée médiatique.

Finalement, la procédure fait l’objet d’un cadrage souple parce que coutumier, et donc adaptable qui laisse place à toute sorte de mise en scène.

B. Les questions au gouvernement comme phénomène de réalité scénarisée

« Exagération, amplification, disproportion », ce sont les principales critiques de l’opinion publique concernant les séances de questions au gouvernement. Il faut noter qu’elles rencontrent un vif succès grâce à un taux d’audience avoisinant les deux millions de téléspectateurs. De plus, les questions au gouvernement sont le fruit d’un raisonnement pensé au préalable s’apparentant au scripted-reality[12]. Ces séances de « réalité scénarisée » sont un programme feuilletonnant.

La question de leur appartenance au champ des émissions dites de « télé-réalité » ne se pose pas. Néanmoins, elles se situent à la limite extrême entre la réalité et le feuilleton. Ainsi, si la scénarisation n’est pas totale et laisse place à l’improvisation et à ses aléas, les acteurs doivent malgré tout respecter un canevas réfléchi au préalable. Entre authenticité et faux-semblant, réalité ou fiction, la frontière est parfois mince. Un coup de projecteur sur une semi mise en scène de ces questions peut être utilement opéré.

Le terme de semi mise en scène laisse place à une part d’improvisation et de spontanéité. Celle-ci est prévue par les textes et ne doit pas être sous-estimée[13]. Sa traduction prend forme dans des réactions ou des sentiments exprimés physiquement compensant un impossible débat. Cette spontanéité est importante pour le destinataire. Elle permet aux téléspectateurs de s’identifier au dialogue politique et lui donne l’impression de pouvoir participer au contrôle du gouvernement. Parallèlement, l’enregistrement en direct accentue le gage de crédibilité. Cette stratégie met en lumière un effet de transparence du média politique. Le « direct » en tant que procédé technique présente un calquage de la réalité. Il s’agit de la réalité de l’hémicycle, rendue immédiatement perceptible aux spectateurs qui se trouvent dans le même espace-temps que les députés. Le montage des séances de questions au gouvernement donne tout son sens à la technique du cadrage. Il permet de focaliser l’attention du téléspectateur sur certains aspects du « débat » et en laisse d’autres dans l’ombre.

Le montage des différents plans oriente vers le sens souhaité. Cette technique permet de favoriser les interprétations. Cette conclusion est particulièrement évidente lorsque les micros des députés sont coupés, les empêchant de s’exprimer. Le téléspectateur peut faire, de ces comportements, sa propre interprétation.

Ces questions ne doivent pas prendre la forme de débat, la procédure est bien claire à ce sujet. Il est cependant très présent, exprimé par le langage du corps perceptible à la télévision ou dans les tribunes par l’auditoire. Le montage des plans permet d’alimenter l’idée ou le sentiment que l’on souhaite faire passer à l’assistance. Il suffit en effet, de faire suivre un propos ministériel par un zoom sur un député de l’opposition faisant autre chose, pour décrédibiliser le propos tenu en amont. Cela participe d’une certaine manipulation de l’opinion publique profane réceptive à ce que l’on souhaite lui faire croire. Lorsqu’une question posée est issue de la majorité, les mouvements de caméra montrent successivement les réactions d’un groupe opposé et l’orateur. Cette technique met en scène un duel entre majorité et opposition au lieu d’exprimer une cohésion. L’assemblée apparait comme une scène de théâtre où les députés-acteurs sont exposés de manière binaire, côté cour pour la majorité et côté jardin pour l’opposition. Le téléspectateur peut alors se sentir perdu face à ces travellings incessant, procédé qui rappelle les débats télévisés entre les candidats en lice lors de la campagne pour l’élection à la présidence de la République.

L’observation depuis la tribune, confirme la mise en scène opérée par la caméra. La télévision filtre les informations et ne ressortent que celles en accords avec le script initial. Cette réalité scénarisée est d’autant plus marquée, à l’examen du contenu des questions au gouvernement. Les textes sont clairs nous l’avons vu mais l’interprétation demeure aléatoire.

Deux types de questions peuvent être relevés. D’une part, celles qui opèrent une mise en lumière : projecteur allumé sur une action du gouvernement. Ces questions sont généralement issues de la majorité. D’autre part, celles qui ont pour but de dénoncer un constat opposé aux idéaux politiques de la majorité. Elles émanent généralement de l’opposition. La fonction de scripted-reality prend dès lors, toute son importance. La réponse du ministre est conditionnée par la nature de question posée. En effet, les questions posées par la majorité permettent une sorte de bande annonce des actions du gouvernement, répondant au scénario de la politique en vigueur.

A contrario, les questions posées par l’opposition présente un tout autre intérêt. En effet, les ministres ne sont jamais « piégés » ou rarement. Même s’ils ne connaissent au préalable, les termes exacts de la question, le seul fait de connaitre le nom du député dans un contexte particulier permet d’avoir une idée de sa question, et donc, une idée de la réponse. Dès lors, les conseillers en communication du ministre peuvent établir un certain « scénario » à respecter. Il arrive que le ministre ne réponde pas expressément à la question et impose sa réponse comme une vérité, allant à l’encontre de la spontanéité. La notion de scripted reality prend tout son sens dès lors que les lignes directrices du discours de l’orateur sont pensées au préalable ne laissant place qu’à la seule interprétation personnelle. Les réactions bien souvent exagérées des députés, leur réunion en « coup de grappe » derrière l’orateur accompagnent le script initial et traduit le degré d’interprétation de l’acteur. Quel est donc le but de cette exagération ? Les réactions émotionnelles, corporelles, ou langagières ne sont pas que des manifestations personnelles des députés mais constituent de véritables actes politiques sous-jacents. Le projecteur braqué sur l’orateur se détourne alors à leur profit.

II .Une mise en abîme du système politique

Le temps des questions permet à l’opposition de se montrer en trompe l’œil et au gouvernement de figurer en gros plan.

A. Une opposition en trompe l’œil

A ce jour, les groupes d’opposition disposent d’autant de possibilités de s’exprimer que ceux de la majorité. L’opposition peut se faire entendre plus largement, les non-inscrits disposant également de la possibilité de poser plusieurs questions par mois.

Le temps des questions au gouvernement a pris avec le temps une autre dimension pour cette opposition en mal de droit réels et effectifs. En effet, elles permettent la tenue de débats d’opinion plus que de réelles tentatives de contrôle et d’information.

Cette mise en scène des questions, parodie de contrôle, tend-elle plus à placer l’opposition devant la scène ou lui laisse-t-elle seulement le rôle de simples figurants du jeu caméral, à plus grande échelle, figurant du jeu politique ? Au moyen de cette procédure, les groupes politiques du Parlement disposent d’un outil pour s’exprimer, s’affirmer, s’afficher et parader devant un public vaste. Cette technique traduit et illustre un contrôle en trompe l’œil, et donne une impression d’une opposition camérale forte qui lutte efficacement contre un gouvernement inefficace.

En premier lieu, la procédure des questions au gouvernement offre un gros plan sur l’opposition parlementaire. Ses parlementaires profitent ainsi d’un zoom personnel sur leurs idées et par extension, leurs circonscriptions. Ils s’exhibent et deviennent ainsi visibles pour leurs électeurs. La question au gouvernement constitue donc un élément de communication politique, avant d’être un réel élément de contrôle de l’action du gouvernement. Ce constat est accentué par l’absence de corrélation entre les questions et les réponses. Ainsi lors de son intervention, le député-opposant recherche la confrontation avec le gouvernement. Il pose la question « sous les feux de la rampe » et laisse une impression de joute oratoire avec le ministre. Il offre aussi une image négative de perturbateur, ce qui est d’autant plus relayés par les bruitages et fonds sonores, dont font preuves les groupes d’opposition, lors de la réponse aux questions. Parfois, cette image de perturbateur est dépassée par la pratique d’insultes et de gestes déplacés. C’est alors cette image négative que le public retient.

Cette procédure est donc le seul moyen d’attirer l’attention sur des groupes en mal d’éclairage médiatique et politique. En infériorité numérique et écarté du pouvoir, l’opposition attire ainsi les lumières sur son travail, son idéologie, lorsqu’elle se produit : tel est le cas lorsque les députés se massent derrières leur collègue intervenant. Faisant office de figurants, ces députés cherchent à montrer la puissance du groupe, d’une troupe face à un ministre-acteur. Sous cet éclairage, cette technique sert de véritable faire-valoir de la coalition minoritaire. Pour des thèmes aussi épineux, tel que la réforme des retraites ou le mariage pour deux personnes de même sexe, les questions ont servi à l’opposition à s’exprimer, au sein d’une enceinte institutionnelle, sa position. Il est difficile pour l’opposition d’exister face à cette majorité « exécutive ». C’est pourquoi elle use des questions au gouvernement pour s’opposer fermement et alerter l’opinion, le plus souvent, sur des sujets d’actualités, mais, elle en use aussi sur des sujets n’intéressant pas forcément l’opinion. Les députés-opposants, à la recherche de temps de parole et d’une audience, choisissent parfois de s’exprimer sur un sujet d’actualité moins brulant. L’orateur s’attribue alors deux minutes, et contribue à un show d’ensemble. Ainsi, les groupes parlementaires et les partis politiques d’opposition bénéficient d’une tribune médiatisée au service de leurs idées partisanes.

Enfin, cette procédure de contrôle en trompe l’œil fait de l’opposition un vecteur d’expansion et d’expression des revendications des groupes de pression. Ils bénéficient d’un projecteur braqué sur leurs activités : c’est le cas actuellement dans le débat sur le mariage de deux personnes du même sexe, et des revendications des opposants regroupés sous le nom de « manif pour tous » qui profite de cet éclairage pour faire connaître leur cause. Ces lobbys profitent d’un appui de parlementaires pour asseoir leur légitimité au sein même du pouvoir législatif. Ces groupes se font de plus en plus remarquer au Parlement, où leur influence est relayée par les différents médias. Ils influencent la classe politique et servent à faire évoluer le débat. Ce fut le cas lors de l’apparition du mouvement des Indignés. Ce mouvement de contestation et de rejet du monde bancaire a alors occupé une place prépondérante dans le jeu politique, a influencé les questions au gouvernement et a forcé l’exécutif à réagir.

Même si les questions au gouvernement révèlent que l’opposition les utilise comme un moyen de communication et « pour attirer les sunlights », cette procédure permet aussi au pouvoir exécutif d’asseoir son pouvoir, par l’entremise de la majorité.

B. Des intermittents de la majorité dirigés par l’exécutif

Les députés de la majorité présidentielle choisissent de n’être que de simples figurants afin de laisser une place prépondérante à l’exécutif. Ils sont délibérément au second plan. Par l’utilisation permanente d’un vocabulaire mélioratif, les députés de la majorité utilisent ce temps de parole médiatique non comme un moyen de poser des questions pertinentes et éclairantes mais plutôt comme un moyen de valoriser l’action gouvernementale.

Mettons rapidement de côté les exceptions qui confirment la règle. Ainsi, il arrive que des députés de la majorité témoignent leur opposition au gouvernement sur une question. Ce fut le cas de Michel Crépeau, qui, en 1999, a apostrophé le gouvernement sur la question des épargnes populaires[14] ce qui lui valut une sortie de scène digne de Molière. Plus récemment, un député écologiste a interpellé le gouvernement sur la question de la sécurité nucléaire[15], thème de divergence entre les socialistes et les écologistes.

Dans ces deux cas, les députés disposaient d’une plus grande indépendance car étaient issus d’un parti qui n’était qu’apparenté à la majorité.

La règle : l’extrême majorité des cas veut que le temps de parole permette une mise en avant de l’auteur de la question et donc une certaine visibilité pour l’électorat. Ce temps de parole ne sert donc pas les opinions personnelles du parlementaire de la majorité qui s’aligne derrière l’action gouvernementale. Les questions se suivent et se ressemblent. Elles permettent non seulement de mettre en lumière le dynamisme du pouvoir exécutif qui met en œuvre les engagements du Président de la République mais aussi de traduire les difficultés affrontées par le gouvernement bien entendu héritage de l’inefficacité de l’actuelle opposition.

Ces constantes sont, sans aucun doute, une conséquence du fait majoritaire et de l’affaiblissement du pouvoir législatif sous la Ve République. Les réactions tapageuses de l’opposition viennent souvent perturber une question dite « téléphonée » posée par un député, sorte de Monsieur Loyal, chargé d’introduire la venue des artistes.

Ce n’est pas un hasard si, au sein des réseaux sociaux, depuis la dernière campagne présidentielle, sont décernés des « Chupa d’or »[16] qui visent à consacrer parmi les députés ceux qui font preuve d’une complaisance ostentatoire au moment de poser leur question.

De plus, l’intervention orale n’est pas une vraie question. Les parlementaires de la majorité ont plutôt tendance à demander au gouvernement de préciser, de confirmer ou d’éclairer. Mieux encore, certains s’expriment simplement pour témoigner leur fierté, leur soutien ou leur confiance face à l’action gouvernementale.

La question qui se pose alors est : qui cherchent-ils à séduire ? L’électorat ? Certes. L’exécutif ? Certainement. Si cette séance des questions au gouvernement permet une mise en avant du parlementaire grâce à son exposition médiatique, elle permet aussi et avant tout de montrer sa fiabilité, sa discipline voire sa docilité, atouts qui lui permettront peut-être d’accéder au véritable centre décisionnel : le pouvoir exécutif.

Les parlementaires se donnent alors sciemment et ouvertement un rôle d’intermittents en ce sens qu’ils ne sont que des moyens de permettre à l’exécutif d’avoir une scène pour s’exprimer sur la politique menée. Les questions servent donc de tribune pour l’exécutif.

Lorsque les députés de la majorité interrogent le gouvernement, la séance des questions au gouvernement se transforme en une tribune pour l’exécutif, un véritable lieu d’expression sans prise de risques. Elles permettent, premièrement, une mise en avant de la politique menée et, deuxièmement, un coup de projecteur sur les personnalités gouvernementales.

Les questions posées par la majorité sont d’autant plus intéressantes pour le Gouvernement qu’elles sont souvent suggérées par lui. Elles lui permettent de faire illusion sur une maitrise large des sujets avec des réponses extrêmement précises, souvent chiffrées et illustrées. Lorsqu’ils répondent, les ministres n’oublient pas de témoigner leur intérêt pour la matière et donnent ainsi l’impression d’un gouvernement travailleur, préoccupé par des thèmes vastes et animé par un souci d’efficacité.

Cette séance de question permet aussi aux ministres, de lancer des phrases assassines aux députés de l’opposition sans qu’ils ne puissent véritablement répliquer. Lionel Jospin, alors Premier ministre en a profité par exemple pour attaquer la députée Christine Boutin qui s’opposait fermement à l’adoption du Pacs[17].

L’absence de contradictoire en fait un temps de parole particulièrement précieux. Certes, les députés de l’opposition peuvent être filmés en train de manifester leur désaccord avec le discours tenu par le ministre. Mais comme leurs propos sont souvent inaudibles pour le téléspectateur, les ministres se gardent bien d’y répondre. Cela permet de ne pas empiéter sur leur temps de parole mais aussi et surtout d’avoir un discours intelligible à l’écran.

Les séances de questions au gouvernement sont donc un trope communicationnel : sous l’apparence d’un discours adressé à une personne déterminée passe, en réalité, un message adressé à un destinataire indirect mais central. La réponse ministérielle est destinée à celui qui doit être séduit et convaincu c’est-à-dire le téléspectateur.

Aussi, pour manifester leur soutien à la politique gouvernementale, les parlementaires ne manquent pas, après la prise de parole du ministre, d’applaudir vivement et pourquoi pas de se laisser aller à quelques standing ovations. Cette apparence de cohésion sans faille des élus du peuple participe grandement à légitimer l’action gouvernementale.

Les ministres également peuvent, lors de cette séance, démontrer leurs talents oratoires et ainsi se distinguer des autres membres du gouvernement. Cela favorise leur popularité et leur permet ainsi d’acquérir une certaine crédibilité dont ils pouvaient manquer. Christiane Taubira, dont les compétences étaient souvent remises en cause, a pu lors du débat sur le mariage homosexuel mais aussi lors des questions au gouvernement faire preuve d’un certain charisme et se montrer fédératrice[18].

Enfin, l’absence du Président de la République en fait un moment privilégié pour le Gouvernement et particulièrement pour le Premier ministre qui peut, durant 1h15, être enfin sous le feu des projecteurs. Cela est d’autant plus vrai que le Premier ministre est le seul à ne pas disposer d’une limite de temps pour sa réponse. Il n’hésite pas parfois à en user voire en abuser. Etant au premier plan, il réduit le temps d’antenne des députés de l’opposition qui peuvent être contraints de poser leur question alors que les caméras ne tournent plus.

Conclusion(s)

Plusieurs conclusions peuvent être dégagées de cette approche des questions au gouvernement. Deux retiennent ici notre attention :

En premier lieu, l’éclairage des questions au gouvernement permet de décrypter le discours tenu et ses effets sur les relations entre le questionneur et le questionné et sur le destinataire de l’information, c’est-à-dire le téléspectateur. Un premier constat s’impose : la médiatisation des questions produit un discours manichéen, polyphonique qui s’adresse à un double public : le questionné et le téléspectateur. L’auteur de la question apparait défendre une vision du monde caricaturée. Le témoin de ce discours derrière son poste de télévision reçoit un discours d’influence qui a pour but de le faire réagir, voire même de le faire penser.

En second lieu et tout à fait paradoxalement, ce n’est pas l’institution parlementaire qui bénéficie des effets positifs du procédé des questions au gouvernement.

L’opposition se montre certes, mais ne fait que s’exposer. En revanche, la majorité et le gouvernement usent du procédé qui leur sert de faire valoir et contribue ainsi à renforcer les effets du fait majoritaire et la bipolarisation de la vie politique française.

Enfin, il faut relever l’écho nouveau des questions au gouvernement sur Twitter. Celles-ci sont ainsi souvent relayées par le tweet, et parfois de manière nourrie. Il ne faut pourtant pas se méprendre sur les effets de cette nouvelle médiatisation. En effet, Twitter n’organise pas une nouvelle forme de mise en scène des questions au gouvernement. Twitter et ses utilisateurs en l’occurrence sont les seuls qui s’exposent et qui s’affichent.

Le Parlement ne fait dès lors, pas l’objet d’un nouveau jeu de scène virtuel.


[1] Cf. infra : « Une parodie de contrôle politique ».

[2] Cf. infra : « Une mise en abyme du système politique ».

[3] Ameller M., Les questions instrument du contrôle parlementaire, Paris : Lgdj, 1964, p. 9.

[4] Décision n° 63-25 DC du 12 janvier 1964, Règlement de l’Assemblée nationale.

[5] Neidhart R., Lala J-L., Fournier T., Moraux J-L., Petit D., Les questions à l’Assemblée Nationale, Paris ; Economica, 1989, p. 12 et s.

[6] Décision n° 95-368 DC du 15 décembre 1995, Règlement du Sénat.

[7] Nguyen Huu P., « L’évolution des questions parlementaires depuis 1958 », Revue française de science politique, n°1, 1981, p. 177.

[8] Question n° 794 de M. Didier, publiée au JO le 08/10/1998, p. 6036.

[9] Neidhart R. & alii, Les questions à l’Assemblée Nationale, op. cit. ; p. 14 et s.

[10] Schwartzenberg R-G., L’Etat spectacle, Paris : Flammarion, 1977, p. 185.

[11] Pierre E., Traité de droit politique, électoral et parlementaire, in Avril P. & Gicquel J., Droit parlementaire, Paris : Montchrestien, 1996, p. 225.

[12] Cf. www.csa.fr communiqué du mercredi 09 janvier 2013.

[13] Cf supra I. A.

[14] http://questions.assemblee-nationale.fr/q11/11-1232QG.htm.

[15] http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-615QG.htm.

[16] http://www.ecrans.fr/Sur-Twitter-des-Chupa-d-Or-pour,12505.html.

[17] http://www.assemblee-nationale.fr/11/cri/html/19990106.asp#09900.

[18] http://www.publicsenat.fr/lcp/politique/christiane-taubira-un-lectron-libre-devenu-pilier-gouvernement-370358.

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