« LE PARLEMENT, ECRAN AU CARRE ? » par le pr. Guy Carcassonne

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

« LE PARLEMENT, ECRAN AU CARRE ? » par le pr. Guy Carcassonne

Voici la 25e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 7e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012 : Le Parlement aux écrans !

Au sein de ce opus, nous avons choisi de publier les conclusions à ce colloque du regretté professeur Guy Carcassonne.

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume VII :
Le Parlement aux écrans !

Ouvrage collectif
(Direction : Mathieu Touzeil-Divina)

– Sortie : automne 2013 / Prix : 39 €

  • ISBN : 979-10-92684-01-8
  • ISSN : 2259-8812


Présentation :

Le présent ouvrage est le fruit d’un colloque qui s’est déroulé à l’Université du Maine le 05 avril 2013 dans le cadre de la 2ème édition des « 24 heures du Droit ». Co-organisé par le Collectif L’Unité du Droit et le laboratoire Themis-Um (ea 4333), il est dédié à la mémoire du professeur Guy Carcassonne qui fut l’un des membres de son conseil scientifique et dont l’allocution de clôture est ici reproduite in extenso en hommage. Le colloque « Le Parlement aux écrans ! » (réalisé grâce au soutien de l’Assemblée Nationale ainsi qu’avec le concours des chaînes parlementaires Public Sénat & Lcp-An) s’est en effet proposé de confronter le droit parlementaire et ses acteurs à tous les écrans : de communication(s), informatiques, réels ou encore de fiction(s). Comment les délégués d’une Nation (en France mais aussi à l’étranger) sont-ils incarnés et / ou représentés dans et par les écrans ? Les médias leur sont-ils singuliers ? L’existence de chaînes à proprement parler « parlementaires » est-elle opportune et efficiente ? En particulier, comment y est gérée la question du pluralisme et de l’autonomie financière ? Comment le cinéma, la fiction et finalement aussi peut-être le grand public des citoyens perçoivent-ils le Parlement et ses acteurs, leurs rôles, leurs moyens de pression ? Y cède-t-on facilement à l’antiparlementarisme ? Comment y traite-t-on des enjeux et des phénomènes parlementaires historiques et / ou contemporains ? Quelle y est la « mise en scène » parlementaire ? Existe-t-il, même, un droit de ou à une télévision camérale ?

Telles sont les questions dont le présent colloque a traité avec la participation exceptionnelle du maestro Costa-Gavras, de parlementaires (dont le Président Delperee et la députée Karamanli), d’administrateurs des Chambres, de journalistes caméraux et directeurs de chaînes, d’universitaires renommés (dont les professeurs Benetti, Ferradou, Guglielmi, Hourquebie, Millard, de Nanteuil, Touzeil-Divina et Mmes Gate, Mauguin-Helgeson, Nicolas & Willman) ainsi que d’étudiants des Universités du Maine et de Paris Ouest.

« Les juristes (…) et les politistes s’intéressent à cette scène particulière [le Parlement] avec intelligence, distance et humour. Ils ne laissent jamais indifférents lorsqu’ils donnent un sens à l’action des politiques sur cette scène originale. Ils interprètent, c’est un trait des juristes, les positions des politiques et leur façon de se mouvoir entre eux devant les citoyens. Plus encore ils donnent à voir les relations que les écrans, la fiction, a et entretient avec une réalité qui ressemble, elle-même, à une scène. Il y a un effet de miroir et de lumières très original que le cinéma n’est pas / plus seul à donner. Pour le comprendre il faut lire l’ensemble des contributions de ce colloque original, intelligent et libre, et qui rend plus intelligent et plus libre ».   Costa-Gavras

Colloque réalisé et ouvrage publié avec le concours du Collectif L’Unité du Droit, du groupe SRC de l’Assemblée Nationale ainsi que du laboratoire juridique Themis-Um.

« Le Parlement, Ecran au carre ? »
Allocution de clôture au colloque « Le Parlement aux écrans ! »
par M. le Professeur Guy Carcassonne

Le 05 avril 2013, à l’Université du Maine, le pr. Guy Carcassonne nous avait fait l’honneur de clôturer la 2nde édition des « 24 heures du Droit ». Membre du comité scientifique qui avait permis à cette manifestation de se matérialiser, il avait prononcé avec la verve et le talent qu’on lui connaît les mots suivants[1] :

Le Parlement : écran au carré ?

« Je vais déjà commencer par me singulariser de tous mes préopinants en ne remerciant pas Mathieu Touzeil-Divina. Non, je ne peux pas lui dire merci, parce qu’il me force à prendre la parole en dernier, à un moment où nous sommes ensemble depuis plus de huit heures, et où il me faut commencer par rendre hommage à votre endurance ; mais à ne pas en abuser ! Alors rassurez-vous, de toute façon, j’ai un train à prendre, donc je ne risque pas de m’étendre trop longuement dans ce propos terminal. Propos terminal, c’est là un second motif pour ne pas remercier Mathieu. Je ne sais pas véritablement ce qu’est l’objet car évidemment dans le temps qui m’est imparti pour des raisons ferroviaires, et que je veux demeurer limité pour des raisons humanitaires, je ne pourrai pas faire une synthèse d’une journée aussi riche. Faute de cela, je vais me borner à quelques remarques que m’ont inspirées les propos que j’ai entendus, et éventuellement quelques réflexions personnelles que je pourrais avoir sur le sujet.

La première pour dire que, cela a été évoqué mais à demi-mot seulement, nous sommes dans une situation curieuse : « Le Parlement aux écrans ». Qu’est-ce qu’un écran si ce n’est le lieu d’une représentation ? Et qu’est-ce qu’un Parlement si ce n’est le lieu d’une autre représentation ?

Donc nous sommes là sur de la représentation au carré… De l’écran au carré. Le Parlement est un écran, il est supposé être celui qui reflète, quel que nom qu’on lui donne, la volonté nationale, la souveraineté populaire, les citoyens ou le suffrage universel, peu importe. Donc, oui, la représentation nationale est bien une représentation. Alors comment peut-on représenter la représentation ? On en arrive à ce qui a été évoqué ce matin, mais dans un autre contexte, à une forme de mise en abîme qui, évidemment, ne peut que laisser perplexe. Perplexe aussi pour ceux qui connaissent, peut-être mieux que d’autres, pour les avoir pratiqués, les us et coutumes parlementaires, et plus généralement d’ailleurs l’exercice du pouvoir.

J’ai eu la chance, indépendamment de ma carrière universitaire, de fréquenter des lieux de pouvoir, beaucoup au Parlement, un peu au Gouvernement. Et chaque fois qu’ensuite, et je sais n’être pas le seul dans ce cas, j’ai vu des films, des séries, des téléfilms, peu importe, français, j’ai toujours trouvé qu’ils sonnaient faux, qu’il manquait quelque chose. Même lorsqu’ils étaient très bien faits, lorsqu’ils étaient riches, lorsque le scénario était intéressant, lorsqu’ils relataient quelque chose de passionnant (par exemple La séparation), il manquait toujours quelque chose. Il y avait quelque chose de profondément infidèle. Donc je me suis parfois demandé pourquoi. Je suis arrivé à une réponse qui est assez fruste mais pas forcément fausse.

Qu’est ce qui fait du bon cinéma ? Je ne suis pas un cinéphile averti mais comme tout le monde je vais au cinéma (moins souvent d’ailleurs que tout le monde) ; enfin je regarde quand même pas mal de choses, j’aime ça. En outre, ce que je vais dire relève exclusivement du droit commun. .Ce qui fait du bon cinéma, de bons écrans, c’est une bonne histoire, une bonne lumière, un bon décor, une bonne musique, une bonne mise en scène, de bons acteurs et de bons dialogues. Alors, comment trouver tout cela au Parlement ?

De bonnes histoires, il y en a beaucoup. Mais, il faut le reconnaitre, ce ne sont pas toujours des histoires très drôles. En plus, ce sont, cinquième République et fait majoritaire aidant, très rarement des histoires à rebondissements. Le seul rebondissement consiste tout simplement à ce que la loi, adoptée un jour, est abrogée quelques années plus tard, avant d’être reprise quelques années après. Enfin, c’est un rebondissement qui peut très facilement lasser le téléspectateur et qui, de toute façon, serait assez difficile à scénariser. Il y a de belles histoires au Parlement, des grands moments. Il y a de grands moments humains et parfois même de grands moments politiques. Tout cela pourrait être parfaitement cinématographique mais ça ne va pas de soi et ce n’est pas le tout-venant, évidemment, de la réalité parlementaire.

Une bonne lumière, c’est encore plus difficile. Aussi bien à l’Assemblée Nationale qu’au Sénat, il y a une lumière blême, blafarde. D’ailleurs, c’est techniquement très difficile ce qui y est réalisé. L’objectif est de faire en sorte qu’en séance de jour ou en séance de nuit, on ne perçoive pas la différence. De fait on ne la perçoit pas. Mais, évidemment, esthétiquement c’est assez appauvrissant. Pour un réalisateur ce serait un peu frustrant.

Le décor. Il est plutôt joli, plutôt pas mal, aussi bien à l’Assemblée Nationale qu’au Sénat, aussi bien dans l’hémicycle qu’en dehors. Mais enfin, il est un peu statique. Surtout, d’un film à l’autre, il ne change pas beaucoup. Alors, évidemment, suivant les époques, on peut masquer les micros, écarter la modernité. Donc on peut à la rigueur avoir une chambre troisième République, une chambre quatrième République, une chambre cinquième République…Et encore. Mais enfin, on ne peut pas dire qu’on a le sentiment que le décorateur a été spécialement inspiré et pourrait aspirer ni à un César, ni à un Oscar.

La musique n’en parlons pas, il n’y en a pas. Alors vous me direz, il n’y a pas non plus de musique dans les plaines du Far-West et néanmoins on en met sur les images que l’on diffuse. Mais on ne voit pas très bien quelle musique pourrait coller à quelles images. Tout dépend bien évidemment du reste : la lumière, l’histoire, etc.

La mise en scène est quand même très codée. Elle aussi est extrêmement répétitive. Alors certes, on peut imaginer un réalisateur qui manie le talent avec une inventivité et une créativité admirables. Il n’empêche que, au bout du compte, il y aura toujours des gens assis et l’un d’entre eux qui est debout, peut-être deux, qui plus est au même endroit, figés, sans bouger, enfin, en faisant quelques mouvements de bras. Mais sans s’éloigner exagérément du micro car sinon on ne les entend plus… Est-ce bête ? Donc les ressources de la mise en scène sont quand même assez pauvres. Ça ne facilite pas les choses.

De grands acteurs… Il y en a… Peu. Je fréquente le Parlement depuis 1978 (c’est-à-dire un petit peu avant Mathusalem). En trente-six ans, j’ai entendu, allez, trois ou quatre très bon orateurs. Il y avait Maurice Faure, il y avait Aimé Césaire… Ce ne sont pas les plus grandes carrières. J’ai le regret de dire qu’il y avait Jean-Marie Le Pen. Mais c’est à peu près tout. Parfois François Mitterrand mais pas souvent parce qu’il ne se donnait pas beaucoup de mal à l’Assemblée nationale. Il réservait son talent à d’autres enceintes. En dehors, j’oublie certainement un ou deux noms, ça oscille entre le médiocre et l’insupportable. Alors vous me direz qu’il faut de grands talents pour arriver à jouer un orateur médiocre ou insupportable ; mais c’est assez peu réjouissant. Celui qui monte à la tribune pour ânonner un discours intégralement écrit (généralement ce n’est pas forcément du Bossuet), qui baisse les yeux en permanence, qui est tout simplement dérouté par n’importe quelle interruption qui est faite, n’est pas une figure à laquelle on ait envie de s’attacher, de s’identifier… Et certainement pas un bon matériau cinématographique ou audiovisuel d’une manière générale. Donc il y a un vrai problème de ce côté-là.

Surtout, il y a la difficulté majeure, ce sont les dialogues. Tout à l’heure, l’un des orateurs a fait référence, de manière très amusante au demeurant, aux Tontons flingueurs donc à Michel Audiard. Cela suffit, rien qu’à citer son nom, à évoquer les merveilles de ce que sont de bons dialogues. Mais par définition, à l’Assemblée nationale et au Sénat, il ne peut pas y avoir de dialogues. Il n’y a pas, il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais de dialogues. Il y a des débats. Mais que sont des débats si ce n’est une suite de monologues ? C’est une suite de monologues, dont chacun dure deux, trois, quatre minutes, souvent plus d’ailleurs dans les débats historiques, qui sont exactement aux antipodes de ce qu’est un échange, de ce qu’est un dialogue avec ce qu’il implique de vivacité, de tac-au-tac, de capacité de réaction, de créativité, de jaillissement. Tout cela est purement et simplement interdit, techniquement interdit par le genre parlementaire. Les plus grands débats de la troisième, de la quatrième, de la cinquième République, ceux dont l’Assemblée a publié d’ailleurs des recueils extrêmement intéressants, qui ont été absolument prodigieux, extraordinaires, sont fascinants et éclairants à lire. Ils seraient insupportables à filmer, ou plus exactement à regarder filmés. Car, sauf à ce que, là encore, les comédiens soient spécialement inspirés pour les prononcer de la même manière que les orateurs avaient pu le faire, ce serait beaucoup trop long. Chaque intervention serait trop longue. Et évidemment, la durée de toutes les interventions pour respecter leur intégrité les rend insusceptibles d’être montrées. Ou alors il faudrait des films aussi longs que les séances elles-mêmes donc ça n’a pas de sens.

Je crois donc tout simplement que les sources de la frustration occasionnelle que je ressens chaque fois que je vois le Parlement à l’écran tiennent tout simplement à des raisons techniques, objectives. Longtemps, sans doute dans l’inconscience de ma jeunesse – c’était peut-être aussi la suffisance de la jeunesse -, j’incriminais l’inexpérience du pouvoir qu’avaient les scénaristes, les réalisateurs ou les metteurs en scène. A la vérité, non. Elle est beaucoup plus simple. Ce sont des éléments techniques qui, selon moi, rendent largement le genre parlementaire incompatible avec le genre cinématographique. Il y a évidemment des exceptions et nous en avons parlé tout au long de la journée mais, comme par hasard ce sont des exceptions dans lesquelles le Parlement joue un rôle éminent mais extraordinairement restreint quant à la durée de ce qui en est montré.

Non, décidément, le Parlement ne se prête pas à l’écran. Du coup, il est finalement assez compréhensible que le cinéma ne s’intéresse pas exagérément au Parlement ou en tout cas pas assidûment. Et après tout, ça nous rassure, car cela peut donner à penser que, contrairement à une idée reçue, le Parlement ne fait pas tant de cinéma que cela ».


[1] Le style oral de la contribution a été sciemment et volontairement conservé afin que l’on puisse ainsi quasiment « entendre » l’orateur s’exprimer. La retranscription du texte a été réalisée par M. Antonin Gelblat. Mercis à lui ainsi qu’au professeur Julie Benetti pour ses relectures. MTD.


Nota Bene
:
le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

À propos de l’auteur

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