Juge & service public en Méditerranée (témoignage du président JP Costa)

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Juge & service public en Méditerranée (témoignage du président JP Costa)

Voici la 26e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 9e livre de nos Editions dans la collection dite verte de la Revue Méditerranéenne de Droit public publiée depuis 2013.

L’extrait choisi est celui de l’article du président Jean-Paul Costa dans l’ouvrage suivant :

Volume VIII :
Service(s) public(s)
En Méditerranée

Ouvrage collectif
(dir. Laboratoire Méditerranéen de Droit Public
Mathieu Touzeil-Divina & Stavroula Ktistaki)

Nombre de pages : 342
Sortie : octobre 2018
Prix : 33 €

ISBN  / EAN : 979-10-92684-27-8 / 9791092684278
ISSN : 2268-9893

Mots-Clefs : Droit(s) comparé(s) – droit public – France – Grèce – Athènes – Toulouse – Justice(s) – droit administratif –Méditerranée – Cours constitutionnelles – Pouvoir(s) – Laboratoire Méditerranéen de Droit Public

Présentation :

« Encadrés par deux exceptionnels textes : la préface de Son Excellence le président de la République hellénique (et professeur de droit public), Prokopios Pavlopoulos, et la postface sur les nouveaux défis du service public par le Conseiller constitutionnel (et professeur de droit public), Antoine Messarra, les présents actes – issus des deux journées de colloque d’Athènes du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public, proposent six thématiques pour décrypter le(s) service(s) public(s) en Méditerranée. Une première partie engage le lecteur à suivre un chorus méditerranéen (et singulièrement toulousain) dans les méandres des influences et confluences méditerranéennes de la notion de service public, en Histoire et en Méditerranée. Depuis Duguit et Hauriou, depuis la France, où et comment la notion systématisante a-t-elle évolué ? Où a-t-elle pris racine et où – au contraire – la greffe n’a-t-elle pas pris ? La deuxième partie, s’intéresse aux matérialisations positives (juridiques et politiques) de l’intérêt général réincarné en service(s) public(s) : depuis l’éducation nationale et les activités locales jusqu’à la culture et au sport. Guidés par Louis Rolland, notre troisième partie invite à l’étude des « Lois » ou principes généraux du service public : Egalité, continuité, mutabilité mais aussi « nouvelles Lois » du service public en Méditerranée. Ensuite, un quatrième temps propose d’examiner, à l’aune du témoignage du président Costa, la manière dont les juges administratifs (grec, égyptien, italien et français) appréhendent et / ou ont appréhendé la notion dans et par leurs prétoires. Alors, un cinquième temps s’intéresse à la gestion – notamment publique – mais évidemment aussi très privée de nos jours des services publics autour de la Mare nostrum. Enfin, un dernier atelier propose de se pencher sur le cas du service public de l’eau.

Le présent ouvrage a reçu le généreux soutien du Collectif l’Unité du Droit (Clud), du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public (Lmdp), de Sciences Po Toulouse & de l’Université Toulouse 1 Capitole (Institut Maurice Hauriou) ».

Témoignage
du Président Costa
à propos du Juge
& du service public
en Méditerranée

Jean-Paul Costa
Conseiller d’Etat honoraire (France),
ancien Président de la

Cour européenne des droits de l’homme,
Président de la Fondation René Cassin,
Institut international des droits de l’homme

(…) Je remercie les organisateurs de ce beau colloque, placé sous le haut patronage du Président de la République Hellénique, M. Prokopios Pavlopoulos (que j’ai l’honneur de connaître), pour m’avoir invité à y participer et pour m’avoir demandé d’y intervenir.

Mes remerciements vont particulièrement au Professeur Mathieu Touzeil-Divina et au Laboratoire méditerranéen de droit public, ainsi qu’à nos amis Grecs qui nous accueillent en faisant preuve de leur hospitalité légendaire.

J’ajoute que moi qui ai passé des décennies au sein du Conseil d’Etat de France, je suis ravi de participer à une table ronde rassemblant des collègues et amis des conseils d’Etat de plusieurs pays du pourtour de la Méditerranée. Je me rappelle avec beaucoup de plaisir des colloques avec le Conseil d’Etat hellénique à Bastia en 1985 ou avec le Conseil d’Etat italien au Palais Spada à Rome en 1997, entre autres.

Je prends ce matin la parole en qualité – ou en tout cas avec le titre ! – de « Grand témoin ».

Il est vrai que j’ai fait du contentieux administratif pendant une bonne vingtaine d’années au sein du Conseil d’Etat français, puis pendant treize ans du droit européen des droits de l’homme, comme juge puis président de la Cour européenne des droits de l’homme (Cedh). A ce double titre j’ai pu, à travers il est vrai le filtre juridictionnel, observer l’organisation et le fonctionnement des services publics français et européens, dont pour une part ceux des pays de la Méditerranée, du moins du Nord de celle-ci (et de l’Est si on pense à la Turquie).

Mon témoignage est comme l’aurait dit Sartre situé, dans le temps comme dans l’espace.

Il se place d’abord dans le temps.

En effet j’ai assisté dans ma carrière et comme citoyen à une profonde évolution du régime juridique, des modes de gestion et finalement de la conception même des services publics.

Les services publics ont un régime juridique qui appellent un ensemble de règles ; et notamment, dans les pays qui connaissent deux ordres de juridictions, ce qui est le cas de la majorité des pays méditerranéens, ils sont soumis à la compétence, pour l’essentiel, des juges administratifs et à la soumission au droit administratif. C’est évidemment différent dans les Etats qui connaissent la common law ou dans certains Etats du Nord et de l’Est de l’Europe.

Mais ceci s’est affaibli. Les services publics industriels et commerciaux se sont multipliés, il y a eu des privatisations, de la dérégulation, de la déréglementation ; les autorités administratives indépendantes sont apparues, et si nombre d’entre elles ont un contentieux qui ressortit à la compétence administrative, celui de certaines relève de la juridiction judiciaire (et du droit privé) – pas toujours avec une logique aveuglante. Le périmètre des services publics se modifie, parfois dans un sens, parfois dans l’autre, au gré des alternances politiques et de facteurs idéologiques. Pareillement le statut des agents des services publics a lui aussi beaucoup changé.

Même les principes se sont modifiés dans le temps ; le principe d’égalité me semble moins fort qu’avant ; ceux de mutabilité et d’adaptation restent importants, mais ils se relativisent, tout comme la continuité.

En revanche, la neutralité s’est renforcée, y compris sous l’angle de la laïcité. La jurisprudence de la Cedh pousse dans ce sens, y compris la jurisprudence récente. Je pense à un arrêt Ebrahimian c. France du 26 novembre 2015 concernant le port du foulard par une assistante sociale d’un centre hospitalier, ou à l’arrêt Osmanoglou c. Suisse relatif à l’obligation de cours de natation mixtes pour des enfants en dessous de l’âge de la puberté dans des établissements publics d’enseignement. L’obligation de neutralité, appréhendée sous l’angle religieux, est moins forte dans les entreprises privées telles que British Airways (arrêt Eweida c. Royaume-Uni du 17 janvier 2013).

Mon témoignage se place également dans l’espace.

Il existe de grandes disparités entre les pays européens et/ou méditerranéens. Certains demeurent très attachés aux services publics, au service public, comme la France (depuis le XVIIe siècle) ou le Danemark, ou la Suède à un moindre degré.

En sens inverse, l’Angleterre des années 80 et 90, surtout sous la direction de Margaret Thatcher entre 1979 et 1990, un peu moins sous celle de M. John Major entre 1990 et 1996, a fait diminuer fortement le nombre et l’importance des services publics, en particulier par une politique résolue de privatisations. De même, après la chute du Mur de Berlin en 1989, les pays de l’Europe centrale et orientale ont abandonné le système des démocraties populaires, et là aussi l’économie et la société se sont largement privatisées, on peut dire dépublicisées.

Dans le sud de l’Europe, des pays comme l’Espagne, la Grèce ou le Portugal ont subi après 2008 une terrible crise économique et financière, dont ils sortent à peine, et ils ont dû de ce fait prendre plus ou moins volontairement des mesures qui ont affecté le régime et quelquefois l’existence même des services publics.

D’autres facteurs jouent encore, comme l’existence ou l’absence du fédéralisme. On cite souvent l’exemple de l’enseignement en Allemagne. Le service public de l’enseignement dans ce pays n’est pas fédéral, mais il est organisé au niveau des länder.

Dans le domaine des services publics, la jurisprudence de la Cedh n’a guère joué son habituel rôle harmonisateur, sauf quant à l’article 6§1 de la Convention, sur le droit au procès équitable, dont elle a fait une application extensive, par exemple en y soumettant les autorités administratives indépendantes.

De son côté, la Cour de Justice de l’Union européenne (Cjue) applique fortement le principe de libre concurrence, un élément important de la politique de l’Union, et fait par exemple la chasse aux aides d’Etat, de nature selon elle à la compromettre. Cependant sa jurisprudence récente apparait plus nuancée, en faisant une place aux services d’intérêt économique général. Les textes communautaires vont d’ailleurs dans ce sens. Ainsi l’article 14 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ancien article 16 du Traité de la Communauté européenne) reconnait que ces services font partie des valeurs communes de l’Union et jouent un rôle pour la protection de la cohésion sociale et territoriale. Tout en étant différents des services publics au sens strict, les services d’intérêt économique général ont ainsi une consécration textuelle, et finalement jurisprudentielle aussi.

Si je dois résumer mon témoignage, c’est celui de la vision d’un spectre des services publics très varié (et très évolutif).

Il me semble toutefois que le service public en tant que notion garde une unité indéniable, au moins quant à son noyau dur, celui de l’Etat gendarme, surtout face aux menaces qui se propagent partout à l’encontre de la sécurité.


Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso.
Vous pourrez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

À propos de l’auteur

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