Archives de catégorie Revue Méditerranéenne de Droit Public (collection verte)

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Louis Rolland le Méditerranéen (par le pr. Touzeil-Divina)

Voici la 47e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 4e livre de nos Editions dans la collection dite verte de la Revue Méditerranéenne de Droit public publiée depuis 2013.

Cet ouvrage est le quatrième issu de la collection
« Revue Méditerranéenne de Droit Public (RM-DP) ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume IV :
Journées Louis Rolland
le Méditerranéen
dont Justice(s) constitutionnelle(s) en Méditerranée

Ouvrage collectif
(dir. Laboratoire Méditerranéen de Droit Public
Mathieu Touzeil-Divina & Anne Levade)

– Nombre de pages : 214
– Sortie : juillet 2016
– Prix : 39 €

ISBN / EAN : 979-10-92684-08-7 / 9791092684087

ISSN : 2268-9893

Mots-Clefs : Droit(s) comparé(s) – droit public – Justice(s) – Louis Rolland – droit administratif – droit colonial – Libertés – Constitution – constitutionnalisme – Méditerranée – Cours constitutionnelles – Pouvoir(s) – Laboratoire Méditerranéen de Droit Public

Présentation :

Le présent ouvrage est le fruit de deux journées d’étude(s) qui se sont déroulées au Mans (à l’Université du Maine) respectivement en mars 2014 et en mars 2015. Ces moments furent placés sous le patronyme et le patronage du publiciste Louis ROLLAND (1877-1956) né en Sarthe. Et, comme ce dernier – par sa carrière comme par sa doctrine – évolua auprès de plusieurs rives de la Méditerranée, le titre choisi pour ce quatrième numéro de la RMDP est – tout naturellement – : « Louis ROLLAND, le méditerranéen ».La première partie de la Revue reprend les principaux actes de la journée d’étude(s) de 2014 spécialement consacrée à l’œuvre (notamment à ses deux célèbres précis) et à la vie du juriste sarthois qui fut député du Maine-et-Loire mais également chargé de cours puis professeur à Alger, Nancy et Paris. La seconde partie de ce numéro propose ensuite des réflexions et des propositions relatives à « la » ou plutôt « aux » Justice(s) constitutionnelle(s) en Méditerranée.

Ont participé à ce numéro : les pr. BENDOUROU, CASSELLA, GUGLIELMI, HOURQUEBIE, IANNELLO, LEVADE, DE NANTEUIL & TOUZEIL-DIVINA ainsi que mesdames et messieurs ELSHOUD, GELBLAT, MEYER & PIERCHON. Y ont également participé plusieurs étudiants du Master II Juriste de Droit Public de l’Université du Maine (promotions 2014 & 2015).

Publication réalisée par le COLLECTIF L’UNITE DU DROIT avec le soutien du laboratoire juridique THEMIS-UM (EA 4333 ; Université du Maine).

Louis Rolland,
le Méditerranéen d’Alger,
promoteur et sauveteur
du service public

Mathieu Touzeil-Divina
Professeur des Universités, Faculté de Droit de l’Université Toulouse 1 Capitole,
Président du Collectif L’Unité du Droit,
Directeur & fondateur du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public

De Louis Rolland (1877-1956) on connaît les « Lois » éponymes et célèbres – dans toute la Méditerranée – du service public. On sait également ou devine ses liens avec le mouvement, notamment porté par Léon Duguit (1859-1928) en matière de promotion dudit service public comme critère du droit administratif et même du droit public tout entier. On retient également que le professeur a rédigé deux précis ou mementi dont chacun sera l’objet d’un article dans le présent ouvrage : un précis de droit administratif (11 éditions de 1926 à 1957 ; la dernière étant posthume) et un précis dit de législation coloniale (qui sera suivi et continué avec l’aide de Pierre Lampué (de 1931 à 1959 sous différentes appellations)).

On se souvient également que l’enseignant a longtemps été professeur à l’Ecole du Panthéon, la Faculté de droit de Paris, après avoir commencé sa carrière de jeune agrégé à la Faculté de droit de Nancy.

On sait moins (et ce sera l’objet d’une des contributions notamment que de le mettre en avant) que Louis Rolland commença sa carrière à Alger (à l’époque département français) comme chargé du cours de droit administratif d’un certain Maurice Colin (1859-1920) et que c’est en Algérie qu’il eut – selon nous – ses trois plus grandes intuitions (le service public comme critère du droit public, l’existence de principes ou « Lois » régissant cette notion, la mise en avant d’un service public industriel à part entière). On croit même pouvoir affirmer que Louis Rolland, devenu méditerranéen non par choix, mais par obligation académique, va le devenir par conviction(s) et l’espace méditerranéen le lui rendra du reste bien puisque son nom – dans tout le bassin maritime – est désormais associé au service public et à ses principes juridiques. On profitera du reste du présent ouvrage pour rappeler – ou apprendre – que contrairement à la légende ce ne sont ni trois ni une, mais quatre « Lois » qu’il présenta comme motrices du service public.

On sait également peu (ou ne se souvient guère) que Rolland fut en outre député du Maine et qu’il fut mis au monde près du Mans, à Bessé-sur-Braye (Sarthe). Son engagement politique fera l’objet en ce sens, sous l’éclairage du mouvement dit du Sillon auquel il appartenait, d’un article à part entière.

La Revue Méditerranéenne de Droit Public est donc très heureuse – alors qu’il y a encore beaucoup à écrire à propos de et à apprendre à partir de Louis Rolland – de vous présenter ici réunis suite à une journée d’étude organisée à l’Université du Maine en mars 2014 les six contributions suivantes : Louis Rolland, le Méditerranéen d’Alger, promoteur et sauveteur du service public (1) ; Louis Rolland, le député du Sillon (2) ; relire le précis de droit administratif de Louis Rolland (3) ; le précis de législation coloniale de Louis Rolland & Pierre Lampué (4) ainsi qu’un essai relatif aux « nouvelles Lois » du service public (5) et quelques documents conclusifs à propos notamment de la sépulture disparue du professeur méditerranéen (6).

I. De Bessé-sur-Braye à Alger (1877-1906)[1]

Quel Rolland ? Le patronyme porté par notre auteur est relativement fréquent en France et singulièrement en Droit et en Politique. On connaît ainsi un Jean-Louis Rolland[2], député puis sénateur du Finistère, né le 15 février 1891 à Landerneau (Finistère) et décédé en 1970 et qui fut l’un des rares quatre-vingts parlementaires à avoir courageusement voté contre la remise des pleins pouvoirs – le 10 juillet 1940 – au maréchal Philippe Pétain. On sait même d’après la base de données des députés[3] français qu’il y a eu, depuis 1789, seize députés Rolland et qu’au Sénat également des Rol(l)and comme les parlementaires Léon Rolland (1831-1912) (avec deux « L » ; sénateur du Tarn-et-Garonne) et Léon Roland (1858-1924) (avec un seul « L » ; sénateur de l’Oise) siégèrent sous les Troisième et Quatrième Républiques notamment.

A. L’enfance sarthoise du fils des manufacturiers

Louis Rolland[4] est donc (étonnamment peut-être lorsqu’on se souvient de lui comme d’un Parisien voire comme d’un disciple dit bordelais de Duguit) bien né en Sarthe, à Bessé-sur-Braye, le 24 août 1877 et il est décédé le 02 mars 1956, à Paris. Il est le fils de Georges Rolland et de Georgette Guénée. Grâce à l’arbre généalogique que nous avons reproduit infra[5], nous pouvons tirer plusieurs informations relatives à sa famille et à son enfance.

Juristes & Papetiers. Louis Rolland est issu de deux grandes familles du Maine : les Rolland et les Quetin. Les premiers sont essentiellement des juristes à l’instar du grand-père de Louis (Pierre Rolland (1810-1870)) qui fut notaire ou encore de son oncle (Jules Rolland, né en 1852 et qui fut diplômé en Droit (Licence) puis notaire). Son père (Georges Marie Rolland (né en 1844)) ne fut en revanche pas juriste, mais manufacturier, à Bessé-sur-Braye notamment, comme la plupart des membres de la dynastie des Quetin (dont sa grand-mère Félicitée était la descendante) : papetiers sur plusieurs générations. Georges & Georgette eurent donc trois fils, dont Louis qui épousera, à Nancy, Joséphine Schmitt (le 21 avril 1908), quant à elle fille d’un grand universitaire en médecine : le professeur (à la Faculté de Nancy) : (Marie Xavier) Joseph Schmitt.

i. Louis Rolland, l’enfant oublié de Bessé-sur-Braye

Toutefois, même si Louis Rolland a vécu son enfance à Bessé-sur-Braye et que sa famille s’y est célébrée dans les différentes manufactures de papier (dont certaines encore en activité en 2016 au sein du groupe Arjowiggins[6] (fondé en 1824) notamment), son nom n’est plus (mais sera peut-être désormais demain) associé à celui de la Sarthe voire même de l’Université du Maine (dont il ne fut pas l’étudiant puisqu’elle n’existait pas encore) ! Au cimetière de cette commune, même la concession familiale consacrée aux familles Rolland, Leguet & Herbaut, ne porte aucune mention ou trace du passage de Louis ou de l’un de ses proches. Dans les rues (sur les plaques dédiées), sur les monuments, dans les écoles, le souvenir de Louis s’est effacé.

ii. Louis Rolland, fils de manufacturier, étudiant envoyé à Paris

Louis Rolland est pourtant bien le fils d’un manufacturier de Bessé-sur-Braye et d’une belle dynastie, a-t-on dit supra, de papetiers locaux. Mentionnons à cet égard qu’il exista deux types de manufactures à Bessé : celles de tissage (désormais abandonnées) et celles de papier(s). Assurément, Louis fut le descendant de ces papetiers, mais c’est alors plutôt vers les Rolland juristes que vers les Quetin-Rolland papetiers qu’il trouva la vocation. Et à propos de vocation(s) il faut signaler que si Louis partit pour Paris afin d’étudier et de « faire son Droit » (et qu’il quitta donc temporairement le Maine), une première vocation se faisait également ressentir (et il ne cessera de l’alimenter jusqu’à son décès : sa foi catholique témoignée notamment dans son engagement tant politique (au Sillon) qu’académique).

B. L’étudiant parisien & les tentatives d’agrégation[7]

A l’Ecole de Droit du Panthéon, Louis Rolland (qui fut l’élève de Berthelemy) soutint sa Licence en Droit puis ses deux thèses de doctorat (en sciences juridiques puis en sciences politiques et économiques) en 1901. Sa première thèse[8] (en Droit) porta sur la « correspondance » (la filiation avec la papeterie était là et déjà le service public était étudié comme moteur administratif !). La seconde thèse (en sciences politiques) porta quant à elle sur un autre versant du service public postal : le secret professionnel de ses agents[9]. Suite à des études jugées brillantes par ses professeurs, Louis Rolland devint « lauréat » de la Faculté de Droit de Paris et très tôt chargé de conférences en droit administratif à la faveur desquelles ses talents de publiciste furent reconnus. Malgré le soutien de l’Ecole de la rue Soufflot, Rolland échoua à deux reprises (au concours de 1901[10] (juste après ses doctorats) et au concours de 1903[11]) au concours d’agrégation de droit public. Mais ces échecs, s’ils vont le conduire loin de Paris et du Maine – au cœur de la Méditerranée –, vont transformer tant l’homme que sa doctrine en formation.

C. L’Algérois d’adoption & la révélation pour le service public

Le suppléant du député Colin. Ce n’est alors pas à Paris ou au Mans, mais bien au Maghreb que le futur professeur (alors « simple docteur en Droit » selon ses premières notices académiques[12]) va commencer sa carrière universitaire. Il est en effet nommé, par arrêté en date du 31 octobre 1904, comme chargé du cours de droit administratif en l’Ecole Supérieure de Droit d’Alger où il remplace le titulaire du cours, Colin[13], élu député. Né le 11 janvier 1859 et décédé le 09 septembre 1920, le Lyonnais Maurice (Pierre) Colin fut avocat et chargé d’enseignement en droit public à Alger, mais eut surtout une carrière politique importante : comme député d’Alger de 1902 à 1912 puis comme Sénateur de ce même territoire de 1912 à 1920. Selon le dictionnaire des parlementaires précité de Jean Jolly et le site de l’Assemblée Nationale, Colin fut « reçu à l’agrégation de droit en 1887 [et] affecté à l’Ecole de droit d’Alger, transformée en Faculté en 1909, comme professeur de droit constitutionnel et administratif. Il se fit recevoir en même temps avocat au barreau de cette ville ». Il y rédigea, très rapidement après son arrivée, un ouvrage en droit administratif[14] issu de ses notes de cours et comme il devint député en 1902 il fallut rapidement trouver quelqu’un pour le suppléer. Or, trouver un spécialiste de droit administratif en France (particulièrement en département algérien, hors de la métropole) n’était pas chose aisée autour de 1900. La plupart des juristes répugnaient à enseigner sinon répudiaient même cette matière académique que l’on attribuait souvent en guise de cadeau « empoisonné » et dit de « bienvenue » aux derniers arrivants et notamment aux jeunes agrégés. A Toulouse par exemple, quelques années auparavant, c’est ce qui était même arrivé à Maurice Hauriou[15]. Ce dernier se vit en effet imposer un enseignement qu’il n’avait pas désiré et ce, comme le subirent de très nombreux enseignants qui se voyaient ainsi réquisitionner pour mettre en place des leçons dont personne ne voulait assurer la matérialisation[16] ? Il ne faut pas en effet ignorer un facteur humain bien souvent négligé et peut-être même volontairement passé sous silence : c’est le véritable rejet (d’aucuns parlaient même de dégoût) développé par quelques-uns des premiers (et non des moindres) professeurs de droit administratif lorsqu’on leur a demandé d’enseigner cette matière qui leur était souvent inconnue (surtout avant 1850) et leur paraissait conséquemment inintéressante et rébarbative. Chauveau (par exemple à Toulouse, avant Wallon et Hauriou), Gougeon (à Rennes), Barilleau (à Poitiers), Vuatrin (à Paris), Giraud (à Aix) ne se destinaient originellement pas au droit administratif. De fait, rares sont ceux qui, comme Trolley (à Caen) ou Foucart (à Poitiers) et Rolland (à Alger), semblent s’être eux-mêmes voués et dévoués au droit administratif – par choix – au lieu de l’avoir vécu comme une contrainte d’enseignement[17]. On se souviendra alors de la répugnance avouée par Gougeon à l’idée d’enseigner cette matière[18], à l’aversion décrite par le biographe de Barilleau concernant ses premières années de professorat[19] ou encore aux multiples courriers de Chauveau et de Giraud au ministre de l’Instruction Publique et dans lesquels ils expliquaient leur volonté de rapidement enseigner une autre matière que celle qui leur avait été « imposée »[20]. C’est d’ailleurs vraisemblablement ce qui arriva à Wallon avant qu’il puisse obtenir, en 1887, la chaire de code civil qu’il désirait.

Alger[21] « la blanche » & l’administrative. A Alger, en l’occurrence, personne ne pouvait ou ne voulait assurer, à la Faculté de Droit qui allait devenir Université en 1909, les cours de droit public (constitutionnel et administratif). L’Ecole se résolut conséquemment à faire appel, en métropole, à un spécialiste que Paris choisirait. Et c’est ainsi que Rolland fut engagé, par ses maîtres parisiens, à quitter la capitale pour rejoindre la méditerranée algérienne et même algéroise afin non seulement d’y dispenser des leçons publicistes, mais encore pour se préparer (ce qui sera donc profitable) au prochain concours d’agrégation (de 1906).

Par ailleurs, Alger, à cette époque, était considérée comme un important centre intellectuel (et ancien) français (où l’on avait enseigné dans la langue de Molière depuis la colonisation de 1830). A la différence d’autres capitales coloniales, il y s’agissait en outre désormais d’un département français à part (presque) entière et de grands publicistes y étaient déjà passés à l’instar du plus célèbre d’entre eux (Edouard Laferrière (1841-1901)), l’ancien vice-président du Conseil d’Etat nommé gouverneur général d’Algérie de 1898 à 1900 avant de regagner Paris pour y terminer sa carrière comme Procureur général près la Cour de cassation. Les vestiges du boulevard et des jardins Laferrière[22] à Alger sont d’ailleurs encore splendides de nos jours.

Les Ecoles supérieures puis Facultés & Université d’Alger. Du point de vue universitaire, Alger obtint dès le décret du 03 août 1857 une Ecole de médecine et de pharmacie puis – avec le vote au Sénat de la Loi du 20 décembre 1879 – une[23] « Ecole préparatoire à l’enseignement du Droit ». Rapidement, le nombre d’inscrit croît et, en 1887, le directeur (Robert Estoublon à qui l’on doit un exceptionnel Code annoté[24]) de l’Ecole déclare ainsi dans son rapport annuel la présence de 179 étudiants régulièrement inscrits[25]. La transformation des différentes Ecoles agglomérées en une unique Université est conséquemment très tôt demandée (ce dont Rolland sera d’ailleurs témoin) même si ce n’est qu’en 1909 (avec la Loi du 05 juillet) que l’Université sera proclamée et en 1910 (avec le décret du 04 janvier 1910) que l’Ecole de Droit deviendra, comme ses sœurs métropolitaines, une Faculté (de Droit) en tant que telle. On sait en outre que le bâtiment principal de cette Université ne date pas de 1909, mais a été entrepris – dès 1879 – (et comme à Toulouse du reste) sur le site d’un ancien arsenal qui fut inauguré le 03 novembre 1887. On sait donc – encore aujourd’hui – où enseigna Louis Rolland à Alger lors de son passage[26].

L’enseignement publiciste à Alger. Même si, depuis le décret du 31 décembre 1889, il existait un exceptionnel certificat (délivré à Alger) d’études « de législation algérienne, tunisienne et marocaine, de droit musulman et de coutumes indigènes », il exista aussi en Algérie un enseignement important du droit public. Toutefois, comme pour l’enseignement publiciste originel créé à Paris en 1819[27] au profit de de Gerando, l’enseignement publiciste algérois ne prévut pas deux chaires (en droits constitutionnel et administratif), mais une seule précisément intitulée « droit administratif et constitutionnel ». Il n’y avait donc qu’un seul spécialiste publiciste dans les murs de l’Ecole qui deviendra Faculté de Droit lorsque Rolland y fut envoyé en mission.

Et, même s’il le remplaça, ce n’est pourtant pas à partir du manuel précité de Colin que Louis Rolland trouvera l’inspiration (pour l’avoir parcouru et comparé) pour ses propres premières leçons et ses premiers écrits en droit public. Il va même largement s’en distinguer en faisant, déjà, une grande place à la notion centrale, selon lui, du droit public : le service public (ce sur quoi l’on reviendra plus tard), mais aussi en étudiant beaucoup (alors qu’il n’en était pas chargé du cours) la législation dite coloniale.

Succèdera à Colin & à Rolland le professeur de droit administratif André (Victor) Mallarmé (1877-1966) admis à faire valoir ses droits à la retraite en 1945. Ce dernier (né à Bouzareah en Algérie) fit, comme Rolland, ses débuts comme chargé de conférences (à Paris puis à Lille) puis remplacera Rolland (comme chargé de cours puis comme agrégé après 1808) à Alger où il accomplit sa carrière et continuera le Code annoté et précité d’Estoublon. Par ailleurs, comme Colin, Mallarmé eut aussi (sinon surtout) une importante carrière politique : député d’Alger de 1924 à 1939, il en fut le sénateur de 1939 à 1945. Par ailleurs, il fut également chargé de missions gouvernementales : comme sous-secrétaire d’Etat aux Travaux publics du 19 au 23 juillet 1926 puis du 03 novembre 1929 au 21 février 1930, comme ministre des Postes, Télégraphes et Téléphones du 02 mars au 13 décembre 1930 et du 09 février au 08 novembre 1934 et enfin comme ministre de l’Education nationale du 08 novembre 1934 au 01 juin 1935.

Quant à Rolland, il fut donc pendant trois années consécutives (arrêtés confirmatifs des 31 juillet 1905 et 28 mai 1906) chargé du cours de la chaire de droit public. En 1906, cependant, sa réussite au concours national d’agrégation (dont il sera cette fois le major) le conduisit à la Faculté de Droit de Nancy qu’il intégra (pour dix ans selon les statuts) à compter du 19 novembre 1906. Il quitta alors physiquement le sol algérien qui n’allait plus le quitter dans ses écrits et sûrement au plus profond de son cœur.

II. De Nancy à Paris (1906-1921)

Aussi, même si Rolland ne fut que trois années aux bords de la Méditerranée, nous croyons pouvoir dire que cette dernière le marqua à tout jamais (ainsi que sa carrière) même si ce sont les Universités de Nancy et de Paris auxquelles il est encore associé.

A. Le concours d’agrégation & le départ physique d’Alger

Au concours de 1906, 18 candidats se présentèrent en section de droit public. Parmi eux Henri Nézard & Georges Scelle furent des candidats malheureux alors que quatre lauréats triomphèrent du concours : Hippolyte Barthélémy (qui avait obtenu son doctorat à Toulouse), Jules Basdevant, André Morel et donc Louis Rolland qui en fut le major. Ainsi récompensé, le publiciste s’installa à Nancy en fin d’année. A l’Université, il enseigna – comme il l’avait fait à Alger – le droit administratif. Il rencontra alors la fille d’un Professeur de médecine (Joséphine) qu’il épousa comme dit supra en 1908. Il fut titularisé en qualité de professeur de la chaire de droit administratif en 1911 et dès 1912 il obtenait d’enseigner (alors que rien ne l’y obligeait puisqu’il avait quitté Alger) la législation coloniale. C’est ce dernier cours qui lui permettra même, en 1918, de rejoindre la Faculté de Paris.

Des colonies effectives à la législation académique enseignée. En effet, même s’il ne quittera plus la Métropole en qualité d’enseignant, les colonies (et particulièrement le Maghreb) resteront une de ses questions juridiques de prédilection ce dont témoignera, en 1931, la publication de son célèbre précis de législation coloniale. Avant cela, c’est donc en Lorraine qu’il devint, à partir du 01 janvier 1911, titulaire en qualité de professeur de la chaire de droit administratif et dès l’année suivante (arrêté du 21 novembre 1912), outre ses cours administrativistes de licence et de doctorat, qu’il donna des leçons de législation coloniale (le cours ayant été abandonné par M. Beauchet). Rapidement, il demanda alors à rejoindre la capitale et sollicita par suite toute chaire vacante en ce sens. Et, c’est alors encore par le biais des colonies que cette mutation arrivera.

Effectivement, il sera (de 1918 à 1920) chargé du cours semestriel de législation coloniale (puis également des leçons de législations industrielle et minière) à la Faculté de Droit de Paris où il sera agrégé de façon pérenne par arrêtés des 29 juin et 24 juillet 1920. De 1921 à 1923, il y est professeur sans chaire (sic) puis hérite du cours de droit public général de Larnaude (parti en retraite). Pour l’obtention de cette chaire, il sera préféré au futur recteur Gidel et ses collègues insisteront notamment en ce sens sur les éléments suivants : « pendant son séjour à Alger, il a pris contact avec les choses de l’Afrique du Nord et il continue de les suivre attentivement. La Revue algérienne, tunisienne et marocaine lui doit d’importantes études de législation et de jurisprudence. Aussi a-t-il été appelé à siéger au comité consultatif du Ministère des colonies ». C’est également la référence à l’outre-mer (pour ses premières années d’enseignement et l’intérêt continu qu’il manifesta pour ces questions) qui semble-t-il provoqua l’octroi de ses premières décorations et, lors de son admission à la retraite, … une « bonification coloniale ».

B. Nancy & la Première Guerre mondiale

Avant ce départ pour Paris, toutefois, signalons un épisode important dans la vie de Rolland : celui de la Première Guerre mondiale. Comme agent, Louis Rolland prit effectivement très à cœur ses fonctions publiques et eut pour ambition manifeste de faire toujours triompher sa vision de l’intérêt général.

L’intérêt général incarné. En ce sens, il ne s’intéressera pas qu’au public principal et privilégié de la Faculté, mais donnera plusieurs cours à destination, par exemple, des étudiants de capacité faisant alors primer entre tous ces élèves un principe d’Egalité. Pendant la Grande Guerre, Rolland ne fut pas mobilisé (du fait d’une santé fragile) et donnera conséquemment sans compter « jusqu’à trois ou quatre enseignements, les siens compris, pour » décharger « ses collègues mobilisés et rendre service à la Faculté » (notice du 30 juin 1917)[28]. Ainsi, au nom de la continuité du service de l’enseignement, il fera preuve de mutabilité et s’adaptera aux conditions exceptionnelles comme pour « compenser cette inaction militaire ». En outre, sa charité le portera à s’occuper d’œuvres de guerre à l’instar du patronage du comité d’assistance aux réfugiés. A la fin de sa carrière, également, Louis Rolland, bien que très diminué physiquement, à la demande du doyen Ripert et du Recteur Gidel, accepta de repousser son départ en retraite et sera maintenu en fonctions pendant trois années (au moment du départ de Mestre, Barthélémy et Basdevant).

C. Paris & la députation

A Paris, Rolland renoua avec sa famille sarthoise et réussit même à se faire élire député de la 2e circonscription de Cholet dans le Maine-et-Loire, à deux reprises, en 1928 comme député indépendant, et en 1932, comme démocrate populaire. Il est inutile ici de décrire son œuvre comme député (et notamment certaines de ses prises de position(s)) puisqu’elles font l’objet (ci-après) d’une contribution à part entière.

Un sillon creusé à l’Assemblée. On soulignera simplement que Louis Rolland député[29] fut inscrit (pendant la 14e législature) à la Commission de l’administration générale et – notamment – à celle de l’Algérie et des colonies. On retiendra de son activité politique sa proposition de Loi (n°4951) de 1931 « tendant à assurer l’Egalité entre les étudiants des facultés et écoles centrales de l’Etat et les étudiants des Facultés libres » qui témoignait encore de son attachement non seulement au principe d’Egalité, mais aussi à celui de la matérialisation de la foi (catholique). On notera aussi (au titre de sa spécialisation en matière coloniale) son avis donné en 1930 sur le mariage des Kabyles ou encore son activité (lors de la 15e législature) au cœur de la Commission d’enquête chargée de rechercher toutes les responsabilités encourues depuis l’origine des affaires dites Stavisky (1934). A titre anecdotique, enfin, on relèvera ce rapport de 1935 sur le « projet de Loi portant augmentation du nombre des dames sténo-dactylographes au Conseil d’Etat ».

Par ailleurs, à la différence d’aucuns, son loyalisme républicain ne sera jamais démenti et c’est René Capitant qui le fait nommer à la classe exceptionnelle à compter du 01 octobre 1944 (arrêté du 12 mai 1945) avant qu’il ne fasse valoir ses droits à la retraite à partir du 25 août 1947. Il s’éteindra à Paris en mars 1956 (le 02 mars et non le 15 comme l’indiquent certaines sources).

III. Du Service public chevillé au corps & au cœur

Evidemment plus encore que la vie de l’homme que nous avons qualifié de « Méditerranéen » puisqu’ayant initié sa carrière à Alger et l’ayant – selon nous – continuée à travers l’étude de la législation coloniale, c’est la doctrine du maître qui suscite notre admiration.

A. Le service public, critère du droit administratif : les pas de Léon Duguit

« Le droit administratif est essentiellement le droit des services publics. On doit donc essayer d’abord de s’entendre sur cette notion[30] ».

Un publiciste généraliste. A partir du service public[31], l’ancien professeur algérois s’est intéressé à toutes les facettes du Droit et de l’interventionnisme publics. Ainsi, ses travaux sont-ils consacrés au droit administratif (dont le célèbre Précis de droit administratif ainsi que les répétions écrites issues de ses leçons parisiennes de doctorat notamment), à l’histoire des idées politiques (avec notamment des réflexions relatives à Suarez[32] et des écrits luttant contre les dérives autoritaristes de son époque), à la législation industrielle, aux finances publiques, au droit international public et, bien entendu, au droit colonial, rebaptisé, d’outre-mer après la Seconde Guerre mondiale. Cette diversité se ressent également à travers les institutions dont il fut membre (Institut commercial de l’Université de Nancy, Institut d’Urbanisme de l’Université de Paris ; Ecole coloniale ; Ecole des Hautes Etudes Sociales ; Ecole des Hautes Etudes Urbaines ; Comité de l’aviation, Commission supérieure des dommages de guerre ; Institut international de droit public (dont il fut l’un des administrateurs dès sa création en 1927) ; etc.). En termes de publications, il en fut de même. Ainsi, outre de très nombreuses publications à la Revue algérienne et tunisienne (…) (nombreux commentaires), au Recueil Dalloz, au Penant (dont il est membre du comité consultatif en 1945), au Dareste (dont il est membre du comité de direction de 1923 à 1928), à la Revue de législation et de science financière, à la Revue politique et parlementaire, à la Revue du Droit public et de la science politique (…) (notamment ses chroniques administratives dont la série de cinq articles publiés entre 1915 et 1918 sur « l’administration locale et la guerre »), à la Revue générale de Droit international public, il faut également signaler de nombreux rapports en qualité de député. Quant aux ouvrages, outre les deux thèses précitées de doctorat et les deux précis accompagnés des notes de cours[33] parisiens, on retiendra comme révélateurs de cette diversité publiciste : La TSF et le droit des gens (Paris, Pedone, 1906) dans la directe continuité – précisément – de ses travaux de doctorat[34] ; la France et l’Allemagne au Maroc, leur politique, leur commerce (Paris, Challamel, 1907 (avec Béral)) ; l’accord franco-allemand du 26 juillet 1913 relatif à la navigation aérienne (Paris, Pedone, 1913) ; problèmes de politique et finances de guerre (Paris, Alcan ; 1915) ; Les pratiques de la guerre aérienne dans le conflit de 1914 et le droit des gens (Paris, Pedone ; 1916) ou encore Législation et finances coloniales, (Paris, Sirey, 1930 (avec Lampué et d’autres) (supplément en 1933)).

Du service public comme moteur du droit administratif. Mais, on l’a dit, c’est le service public qui sera véritablement l’objet premier – et continu – de sa doctrine. Rappelons effectivement que c’est d’abord grâce au service public (postal en l’occurrence) que Rolland accéda au rang doctrinal après ses travaux de thèse. En outre, on croit pouvoir affirmer que l’auteur doit être célébré en termes de droit des services publics pour au moins trois raisons : d’abord, parce qu’il a proposé une définition de ladite notion (qui le fera s’éloigner du doyen Duguit), parce qu’il en a recherché les « Lois » ou principes (C) et parce qu’il en a valorisé le service public dit industriel et commercial (ou Spic) (B).

Tuer le « père » & définir le service public ? Très clairement à travers ses premiers écrits, Rolland fut un disciple admiratif de Léon Duguit son contemporain plus âgé de dix-huit années et déjà considéré, au moment où Rolland triompha de l’agrégation (1906) comme un « maître ». Lorsque l’on parcourt les premières éditions des précis et les articles notamment publiés à la Rdp, cet état d’admiration et d’acquisition doctrinales à la pensée duguiste est manifeste. A cet égard, le précis de droit colonial y compris, faisait une place primordiale au service public et à l’intérêt général. En ce sens Rolland y définissait-il l’Algérie[35] comme une : « partie intégrante de l’Etat », « personne morale de droit public interne », « l’Algérie constitue un ensemble de services publics placés sous l’autorité d’un gouverneur général ». Il s’attachera alors à distinguer (par exemple dans un beau commentaire sous Tribunal de Tunis, 15 juillet 1907 à la Revue algérienne[36] (etc.)) les services publics français (sic) de ceux, locaux et parfois propres, d’un Etat protégé comme le Maroc ou la Tunisie. Ces phrases qui assimilent la personne morale étatique ou coloniale à un faisceau ou à un « ensemble » de services publics et qui, conséquemment, la réduisent à cet aspect témoignent manifestement de cette fascination duguiste comme l’est l’utilisation fréquente par Rolland du terme[37] de « gouvernants ». Pour le doyen de Bordeaux[38], en effet, rappelons que l’Etat formait un « faisceau de services publics » : « l’Etat n’est pas, comme on a voulu le faire et comme on a cru quelque temps qu’il était, une puissance qui commande, une souveraineté ; il est une coopération de services publics organisés er contrôlés par des gouvernants ». Moins réducteur – mais peut-être plus subtil que Duguit – Louis Rolland déclarera quant à lui – ainsi qu’on le citait en exergue de ce développement[39] – : « Le droit administratif est essentiellement le droit des services publics ». Le droit administratif, selon Rolland, était donc « essentiellement » et non exclusivement celui des services publics. On retrouve ici le sens de la nuance propre à l’auteur qui refusait de réduire l’Etat notamment aux seuls services publics. Ainsi écrivit-il même[40] : « si importants que soient les services publics (…), ce serait une erreur de croire qu’ils constituent tout l’Etat ». Partant, c’est plutôt à Gaston Jeze que Rolland va emprunter notamment en osant définir la notion de service public que Duguit refusait – précisément – d’enfermer dans des critères juridiques car elle reposait – selon les moments et non de façon fixe – sur une réponse à l’interdépendance sociale. Redisons ici en effet solennellement que Duguit n’a jamais accepté de définir[41] le service public (contrairement à ce que l’on écrit encore trop souvent) ; service public à propos duquel il estimait qu’on pouvait – seulement – l’identifier. Par ailleurs, le doyen de Bordeaux entendait écrire une théorie de l’Etat lorsque Rolland, quant à lui, ne s’intéressait qu’à celle du droit administratif.

Par ailleurs, à l’instar de Jeze, Rolland accepta donc de recourir à la notion (jugée trop métaphysique et conséquemment détestable par Duguit) d’intérêt général pour non seulement définir le service public, mais encore pour le considérer, ainsi que l’avait fait bien avant lui le doyen Foucart, comme une réponse subjective des gouvernants (et donc de la puissance publique) à ce même intérêt général[42]. La définition du service public selon Louis Rolland était alors la suivante[43] : « le service public est une entreprise ou une institution d’intérêt général placée sous la haute direction des gouvernants, destinée à donner satisfaction à des besoins collectifs du public auxquels, d’après les gouvernants, à un moment donné, les initiatives privées ne sauraient satisfaire d’une manière suffisante et soumis, pour une part tout au moins, à un régime juridique spécial ». Comme on le constate aisément, Rolland y faisait état de trois critères (qui deviendront des indices selon la célèbre jurisprudence Narcy[44]) : organique (l’institution et ses « gouvernants »), matériel (à travers l’existence d’un « régime juridique spécial ») et fonctionnel (à travers l’intérêt général).

La non-appartenance à « l’Ecole » de Bordeaux. Quoi qu’il en soit, l’auteur n’a pas suivi aveuglément toutes les théories du doyen Duguit ou même de Jèze présentés comme les maîtres de l’Ecole du service public[45]. On doute d’ailleurs très fortement de l’existence même de cette Ecole ainsi qu’on a pu l’exposer dans d’autres écrits[46]. Relevons ainsi que Rolland ne partageait pas, notamment, la vision duguiste d’un droit (et d’un intérêt général) uniquement objectif(s) et s’imposant aux gouvernants. Duguit avait en effet à cet égard une exceptionnelle formule[47] : « le droit public est le droit objectif des services publics ». Rolland, en outre, avait accepté d’intégrer la catégorie des services publics industriels opposés puis intégrés par suite à ce qu’il nommait les « services publics proprement dits ». A cet égard, Rolland, reprochait même à Duguit une vision trop extensive qui inclurait, à terme, toute activité publique comme étant de service public. A l’inverse, il faisait cette fois grief à Jèze de refuser de prendre en compte la nouvelle catégorie des services publics industriels et commerciaux.

B. La promotion d’un « véritable » service public industriel et commercial & la « sauvegarde » du service public « en crise »

Nous croyons qu’à travers la reconnaissance (et la célébrité) des « Lois » dites de Rolland, on oublie souvent ce qui – à nos yeux – est le plus important apport du maître publiciste au droit administratif. Pour s’en rendre compte, il faut se poser la question suivante : pourquoi Rolland a-t-il entrepris de rechercher les fameux principes communs à tout service public ? Nous pensons que la réponse à cette question se trouve dans la « crise » que le service public rencontrait au tournant économique des années 1930. Rolland constate ainsi en 1945[48] : la « notion de service public est entourée d’un certain halo. Elle subit en quelques manières une crise ». En effet, suite notamment à l’arrivée – déstabilisante – de la notion de service public à caractère industriel et commercial[49] (Spic), face à l’absence de régime juridique unique appliqué à tout service public et constatant qu’il devenait (ce qu’avait bien prédit Duguit) quasi impossible de définir le mouvant service public, plusieurs auteurs (encouragés par Hauriou ?!) déclarèrent, autour de la Seconde Guerre mondiale, la « crise » du service public[50]. Au cœur de cette « crise » s’imposait donc le Spic que plusieurs auteurs (et notamment Jeze) refusaient de considérer comme un service public à part entière sinon « noble » et qu’ils dénigraient en conséquence. Toute autre sera la perception de Rolland.

Le Spic : un véritable service public. Telle est – croyons-nous – la plus forte des intuitions de Rolland : constatant que le droit administratif ne pouvait se réduire à la notion de service public et confronté à celle de Spic, il a considéré qu’il fallait démontrer que ce dernier était un véritable service public à part entière. Pour ce faire, il a entrepris de rechercher des principes communs à tous les services publics, y compris industriels et commerciaux. Ce faisant, il a identifié non un régime juridique, mais plusieurs principes communs : les célèbres « Lois de Rolland ». Ainsi, alors que les premiers écrits de l’auteur font état de l’existence de « services publics proprement dits » opposés aux services commerciaux (qu’il nomme les « autres[51] services publics »), sa doctrine va évoluer.

Le référent économique. Rolland, le premier selon nous, va donc (préfigurant un de Laubadère par exemple) envisager l’existence d’un droit administratif (ou public) économique au cœur duquel l’entreprise et le droit privé au lieu d’être des notions ennemies deviendront des référents. En ce sens écrit-il en 1944[52] : « le service public est une entreprise ou une institution d’intérêt général placée sous la haute direction des gouvernants, destinée à donner satisfaction à des besoins collectifs du public auxquels, d’après les gouvernants, à un moment donné, les initiatives privées ne sauraient satisfaire d’une manière suffisante et soumis, pour une part tout au moins, à un régime juridique spécial ». Les références à l’entreprise et à l’initiative privée dénotent alors par rapport à la doctrine de ses contemporains. Et pourtant, ainsi que l’a également relevé le professeur Regourd[53] : « parce qu’il est extensible, le service public a proliféré dans le domaine des activités privées ». En outre, on le sait, cette explosion de l’interventionnisme public économique a notamment été rendue possible après les phénomènes dits de[54] « socialisme municipal » et les conséquences exceptionnelles des deux Guerres mondiales. A ce dernier égard, Rolland écrira plusieurs articles (précités) à la Rdp sur « l’administration locale et la guerre ». Il déclare notamment au début de ceux-ci : « Instinctivement, les autorités locales (…) étendent leur activité dans des directions nouvelles, font tout ce qui est ou leur paraît être nécessaire ». Rolland en conclura même qu’en période de crise, les autorités ne sont plus obligées d’admettre que « les choses économiques iront d’autant mieux que les pouvoirs publics s’en occuperont moins ».

Un « sauveur » est né ! Nous affirmons en conséquence que c’est cette acceptation – rare à l’époque et pionnière – par Rolland du Spic comme « véritable » service public entraînant avec lui l’existence d’un régime exorbitant fut-il minimal, mais réel qui va lui permettre non seulement de rechercher et d’identifier les principes communs ou « Lois » du service public, mais encore de « sauver » la notion même de service public en lui conférant une unité juridique que l’on peinait à voir tellement l’hétérogénéité des services s’imposait. Plus encore qu’un découvreur de « Lois », Louis Rolland est donc à nos yeux le « sauveur » du service public. En effet, en recherchant ces fameux principes ou « Lois » du service public, il a réussi non seulement à démontrer que l’absence de régime juridique unique n’empêchait pas l’existence de règles et de dénominateurs communs, mais encore que ces règles s’appliquaient bien au Spic ce qui faisait de ce dernier un « véritable service public » à part entière et non un vilain petit canard du droit administratif. Revalorisant le Spic, c’est l’ensemble du droit public « essentiellement » construit autour de lui que Rolland magnifiait. Et, alors que d’aucuns criaient à la crise du service public en indiquant que le Spic avait conduit la notion à sa mort, Louis Rolland réussit à démontrer que c’était au contraire le Spic qui avait sauvé la ou plutôt les théories du service public.

C. Les quatre (et non trois) « Lois » du service public

C’est donc selon nous au nom, par et pour le Spic que Rolland rédigera celles que tous les publicistes de notre siècle nomment encore aujourd’hui – par-delà les rives de la Méditerranée[55] – les trois « Lois de Louis Rolland » : la continuité, la mutabilité et l’Egalité du service public.

Une, quatre ou Trois ? Pourtant, à bien y regarder, Rolland n’identifia pas trois, mais quatre « Lois » ou principes communs ce que M. Bezié[56] dans son bel article avait également identifié avant nous[57]. Ceux-ci sont esquissés dès la première édition du précis en 1926[58], mais surtout – explicitement – dans ses cours dactylographiés issus de ses leçons parisiennes[59] : « Jamais une formule affirmant que tous les services publics sans exception sont soumis au régime juridique spécial n’a été vraie ; elle le serait de moins en moins (…). Mais un certain nombre de services publics échappent, pour la totalité ou la quasi-totalité de leurs opérations, à ces règles. Ils ne sont soumis qu’au minimum de régime spécial ». « Ces règles générales de conduite, ces Lois applicables, toujours et nécessairement, aux services publics sont peu nombreuses : il y en a trois : la loi de continuité, la loi de changement, la Loi d’Egalité ». Par ailleurs, à ces trois principes, que Rolland qualifie bien de façon expresse de « Lois », l’auteur ajoutait un dernier point commun à tout service public qui en était même peut-être le plus petit dénominateur commun : une « loi de rattachement » à une personne publique, révélant ce faisant la force organique et institutionnelle au cœur du service public.

R. un « M.e.c. » bien. En cours magistraux de droit public, nous expliquons en ce sens à nos étudiants qu’il est opportun sinon judicieux de retenir que « R. fut un M.e.c. bien » ce qui leur permet de retrouver les quatre principes énoncés et communs selon l’auteur à tout service public, même industriel et commercial : le Rattachement organique, la Mutabilité, l’Egalité et la Continuité ! Ce procédé mnémotechnique semble efficace !

Une vision subjective du service public. Partant, Rolland va traduire (à la différence du maître Bordelais Duguit) une vision non objective, mais subjective[60] du service public puisqu’il acceptera comme Jeze avant lui de considérer comme déterminante la volonté des gouvernants de reconnaître potentiellement toute activité comme étant qualifiable de service public. L’auteur traduit alors la vision de ce que nous avons nommé par ailleurs la « théorie du post-it » paraphrasant pour ce faire nos prédécesseurs les professeurs Jeze, Waline et Truchet[61]. On sait cependant que cette subjectivité si pratique est aussi le poison même de la notion de service public ce qu’a parfaitement identifié le professeur Delvolvé par ces mots[62] : « la subjectivité de la conception du service public est cœur de la notion. Elle est la raison de [son] imprécision ».

Pour toutes ces raisons (et ce, notamment car il y en aurait encore d’autres) nous pensons qu’il est temps de réhabiliter et surtout de réétudier l’œuvre de Rolland sans la réduire aux trois « Lois » déjà célébrées. Il est notamment riche d’enseignement(s) de « relire le précis de droit administratif » ainsi que nous y engage très justement infra M. Meyer dans le présent ouvrage. Et parce que le plus important doit toujours être l’œuvre, laissons à Louis Rolland les derniers mots de cette contribution[63]. Comme son confrère Roger Bonnard, Rolland a donc bien voulu intégrer à la théorie générale du service public le service public industriel et commercial. Pour ce faire, il a sciemment donné une nouvelle définition très « large » de cette notion. N’incluant plus le critère du régime administratif, il s’est basé sur l’intérêt général et la direction du service par les gouvernants. Puis il a dressé le constat suivant[64] : « les services publics ont tous des caractères communs les différenciant des entreprises privées. Pour le surplus, ils ne sont pas tous soumis au même régime. Normalement, habituellement, ils sont soumis à un régime juridique spécial ; mais il en est qui sont soumis aux règles du droit privé ». Il en a conclu que le service public était dualiste (tel un Janus administratif, il aurait deux manières d’être représenté) : il existerait un service public « au sens large » qui désigne toutes les entreprises publiques relevant des personnes publiques et un « service public étroit ou proprement dit » qui regrouperait les seules entreprises du service public au sens large soumises au régime spécial de droit administratif. Constatant alors qu’il ne pourrait jamais y avoir de véritable régime du service public (étant donné sa diversité et le fait qu’il puisse être soumis à une part fluctuante de droit privé), le professeur Louis Rolland va pourtant dégager quatre caractères communs à tous les services publics « au sens large ». Il s’agit, du minimum minimorum de droit spécial auquel tous les services publics – même industriels et commerciaux – sont soumis. Et c’est ce que l’on a aujourd’hui, coutume de désigner comme les « Lois de Rolland » : la direction des gouvernants, l’obligation de continuité, la loi de changement et le principe d’Egalité.


[1] L’« enquête » biographique sur Louis Rolland a été conjointement menée par Mme Mélina Elshoud et nous-mêmes. Nous reprenons donc ici les résultats de ces travaux que nous avions présentés à deux lors de la journée d’étude(s). Nos remerciements sont infinis à l’égard de Mme Elshoud qui assumera – quant à elle – seule l’article suivant sur Rolland comme député du Sillon.

[2] A propos duquel on consultera : Jolly Jean, « Jean-Louis Rolland » in Dictionnaire des parlementaires français (1889-1940) ; Paris, Puf ; 1960.

[3] http://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/resultats.

[4] A propos duquel on a déjà consacré une courte biographie parue in Renucci Florence (dir.), Dictionnaire des juristes ultramarins (XVIIIe-XXe siècles) ; publié en 2012 en version « rapport » et également consultable en ligne sur notre site personnel : http://www.chezfoucart.com.

[5] Voyez, plus loin, aux pages 83 et s.

[6] Cf. en ligne : http://www.arjowiggins.com.

[7] Les présents éléments sont issus de notre premier article biographique précité.

[8] Rolland Louis, De la correspondance postale et télégraphique dans les relations internationales ; Paris, Pedone ; 1901.

[9] Rolland Louis, Du secret professionnel des agents de la poste et du télégraphe ; Paris, Pedone ; 1901.

[10] Lors de ce concours, dont triomphèrent Gaston Jeze & Nicolas Politis il y eut seulement deux agrégés en section de droit public et 17 candidats dont Louis Rolland.

[11] Lors de cette seconde tentative, il y eut 13 candidats au concours en section de droit public (dont Louis Rolland) ; concours qui vit triompher le Toulousain Delpech.

[12] Voyez, aux Archives Nationales : Caran A.N. F 17 / 25230 & AJ 16/1456.

[13] Et non « Coly » comme on a pu l’écrire autrefois.

[14] Colin Maurice, Cours élémentaire de droit administratif, précédé de notions sur l’organisation des pouvoirs publics en France, à l’usage des candidats aux examens de licence ; Alger, Jourdan ; 1890.

[15] Ainsi qu’on l’a raconté in Touzeil-Divina Mathieu (dir.), Miscellannées Maurice Hauriou ; Le Mans, L’Epitoge ; 2013 ; p. 86 et s.

[16] On se permettra de renvoyer sur ce point à : Touzeil-Divina Mathieu, Eléments d’histoire du droit administratif ; un père du droit administratif moderne : le doyen Foucart ; Lgdj (en cours) ; § 31.

[17] Faute d’autres postes disponibles, de places ou pour faire plaisir au doyen ou au ministre !

[18] Lettre en date du 26 octobre 1842 (dossier personnel : A.N. F17 / 20862).

[19] Audinet Eugène, Georges Barilleau, doyen de la Faculté de droit de l’Université de Poitiers (1853-1925) ; Poitiers, Imp. Moderne ; 1927.

[20] Dossiers personnels : A.N. F17 / 20 404 (Chauveau) et AJ 16 / 217 (Giraud). A l’égard de ce dernier évoquant, le droit administratif, Glasson citera les mots suivants : « c’est de toutes les parties de la jurisprudence, celle qui offre le plus d’aridité et qui change le plus souvent » in Note sur la vie et les travaux de M. Charles Giraud ; Paris, Picard ; 1890, p. 5.

[21] Cf. la très belle chanson du groupe Djurdjura : « Alger la blanche » (1979) eu égard aux maisons de cette couleur si particulière à Alger.

[22] A l’égard du passage du grand Laferrière à Alger, on consultera le numéro spécial (n° 18 ; septembre 1900) de la Revue illustrée qui fut consacré à l’Algérie (spécialement aux pages 12 et s.).

[23] Cf. Mélia Jean, (…) Histoire de l’Université d’Alger ; Alger, Maison des Livres ; 1950. Sur l’enseignement juridique à Alger, mentionnons également (avec quelques belles photographies de juristes) le bel ouvrage réalisé en 1959 pour le cinquantenaire de l’établissement.

[24] Estoublon Robert, Code de l’Algérie annoté ; Alger ; 1898.

[25] Cité par Mélia Jean ; op. cit. ; p. 63.

[26] Ainsi qu’en témoigne la première image en haut à gauche de la première de couverture du présent ouvrage ainsi que le document présenté infra aux pages 84 et s.

[27] Voyez en ce sens : Touzeil-Divina Mathieu, Histoire de l’enseignement du droit public (…) ; Paris, Lgdj ; 2007 ; § 346 et s.

[28] Dossier personnel précité aux Archives Nationales.

[29] Et ce, selon la lecture des Tables analytiques des annales de la Chambre des députés ; 14e législature (1928-1932) et 15e législature (1932-1936).

[30] Rolland Louis, Précis de droit administratif ; Paris, Dalloz ; 1934 (5e éd.) ; p. 14.

[31] Ces mots sont directement issus de notre notice précitée in Dictionnaire des juristes ultramarins (XVIIIe-XXe siècles) ; publié en 2012 en version « rapport » et également consultable en ligne sur notre site personnel : http://www.chezfoucart.com.

[32] – « Le Droit de la guerre dans les écrits de Suarez » in Bulletin de la Ligue des catholiques français pour la paix ;1910, n° 13, p. 03.

[33] Rolland Louis, Cours de droit administratif (répétitions écrites issues du cours de doctorat) ; Paris, Les cours de Droit ; [quasi annuel de 1935 à 1947].

[34] Qui avaient porté, rappelons-le, sur différentes facettes du service public postal.

[35] Rolland Louis (& Lampué Pierre), Précis de législation coloniale ; Paris, Dalloz ; 1940 (3e éd.).

[36] Revue algérienne, tunisienne et marocaine de législation et de jurisprudence (publiée à Alger) ; 1908 ; II ; p. 349 et s.

[37] Par exemple in : Rolland Louis, Cours de droit administratif ; 1944 ; Les Cours du Droit ; p. 209.

[38] Duguit Léon, Traité de droit constitutionnel ; Paris, Fontemoing ; 3e éd. ; 1928 ; Tome II ; p. 59.

[39] Rolland Louis, Précis de droit administratif ; Paris, Dalloz ; 1934 (5e éd.) ; p. 14.

[40] Rolland Louis, Cours de droit administratif (…) ; Paris, Les cours de Droit ; 1936 ; p. 127.

[41] Ainsi, Duguit ne pose-t-il aucun critère de définition, mais relève-t-il seulement des indices d’identification : « il y a service public quand les trois éléments suivants sont réunis : une mission considérée comme obligatoire à un moment donné pour l’Etat ; un certain nombre d’agents hiérarchisés ou disciplinés institués pour accomplir cette mission ; et enfin une certaine quantité de richesse affectée à la réalisation de cette mission » (in Manuel de droit constitutionnel ; Paris, Fontemoing ; 1907 ; p. 416).

[42] Foucart aura en ce sens la très belle formule suivante : « L’intérêt général constitue la demande et le service public sa réponse ». A propos de cette citation (1838), voyez notre ouvrage précité (et en cours) d’Eléments d’histoire du droit administratif ; un père du droit administratif moderne, le doyen Foucart (1799-1860) ; § 220.

[43] Rolland Louis, Cours de droit administratif ; 1944 ; Les Cours du Droit ; p. 209.

[44] CE, 28 juin 1963, Narcy., req. 43834, Rec., p. 401.

[45] A propos de laquelle on lira avec grand profit l’exceptionnelle thèse de : Païva de Almeida Domingos, L’école du service public ; thèse Université Paris I ; 2008.

[46] Ce qui sera prochainement développé dans notre Dictionnaire de droit public interne (en cours) à l’occurrence « Ecole ».

[47] Duguit Léon, Les transformations du droit public ; Paris, Armand Colin ; 1913 ; p. 52.

[48] Rolland Louis, Cours de droit administratif (…) ; Paris, Les cours de Droit ; 1945 ; p. 181 et s.

[49] A son propos, on se permettra de renvoyer à : Touzeil-Divina Mathieu, Etude sur la réception d’une notion : le service public à caractère industriel et commercial (1921-1956) ; Paris, mémoire dactylographié de Dea ; 1999 (Université de Paris II) ainsi qu’à : « Eloka : sa colonie, son wharf, son mythe … mais pas de service public ? » in Kodjo-Grandvaux Séverine & Koubi Geneviève (dir.), Droit & colonisation ; Bruxelles, Bruylant ; 2005 ; p. 309 et s.

[50] En ce sens : de Corail Jean-Louis, La crise de la notion juridique de service public en droit administratif français ; Paris ; Lgdj ; 1954.

[51] Par exemple en 1943 dans la huitième édition du précis de droit administratif.

[52] Rolland Louis, Cours de droit administratif ; 1944 ; Les Cours du Droit ; p. 209.

[53] Regourd Serge, « Le Service public et la doctrine : Pour un plaidoyer dans le procès en cours » in Rdp ; 1987 ; p. 05 et s.

[54] Bienvenu Jean-Jacques & Richer Laurent, « Le socialisme municipal a-t-il existé ? » 1984 ; p. 205 et s. ; Joana Jean, « L’action publique municipale sous la IIIe République (1884-1939)» in Politix n° 42 ; 1998 ; p. 151 et s.

[55] Une réflexion sur la diffusion des perceptions françaises du service public en Méditerranée au cours du siècle dernier est en cours dans le cadre du Lm-Dp. Il en sera rendu compte prochainement dans cette même Revue.

[56] Bezie Laurent, « Louis Rolland, théoricien oublié du service public » in Rdp ; 2006-4 ; p. 847 et s.

[57] A contrario, le professeur Guglielmi – y compris supra dans le présent opus – estime que Rolland ne consacra formellement qu’une « Loi » et non plusieurs : celle dite de continuité.

[58] Rolland Louis, Précis de droit administratif ; Paris, Dalloz ; 1926 ; p. 12 et s.

[59] Par exemple in Rolland Louis, Cours de droit administratif ; 1945 ; Les Cours du Droit ; p. 4 et 177.

[60] A pari : Bezie Laurent ; op. cit. ; p. 863 et s.

[61] Respectivement in Jeze Gaston, Les principes généraux du droit administratif ; la notion de service public (…) ; Paris, Giard ; 1930 (3e édition) ; Waline Marcel, Manuel élémentaire de droit administratif ; Paris, Sirey ; 1939 ; p. 64 ; Truchet Didier, « Nouvelles d’un illustre vieillard : Label de service public et statut de service public » in Ajda ; Paris ; 1982 ; p. 427 et s. ; Touzeil-Divina Mathieu in Recueil Dalloz ; 06 octobre 2011 ; n° 34 ; p. 2375 et s.

[62] Delvolvé Pierre, « Service public et libertés publiques » in Rfda ; 1985, n°01 ; p. 03 et s.

[63] Nous reprenons ici une conclusion partielle énoncée en 1999 dans le mémoire précité de Dea (p. 110).

[64] Rolland Louis, Précis de droit administratif ; Paris, Dalloz ; 1951 (10e édition) ; p. 17.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Eloge du Droit (par le professeur Dominique Rousseau)

Voici la 19e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 9e livre de nos Editions dans la collection dite verte de la Revue Méditerranéenne de Droit public publiée depuis 2013.

L’extrait choisi est celui de l’article du professeur Dominique Rousseau dans l’ouvrage suivant :

Volume IX :
Liberté(s) !
En Turquie ?
En Méditerranée !

Ouvrage collectif
(dir. Laboratoire Méditerranéen de Droit Public)

Nombre de pages : 314
Sortie : juillet 2018
Prix : 33 €

ISBN  / EAN :
979-10-92684-33-9 / 9791092684339
ISSN : 2268-9893

Mots-Clefs : Turquie – Liberté d’expression – Université – Méditerranée – Justice – Libertés – droit constitutionnel – droit comparé –

Présentation :

Le présent ouvrage est un cri d’alarme(s) et de détresse(s) à destination de tous les citoyens, décideurs politiques et membres de la Communauté universitaire en France mais aussi et surtout autour du bassin méditerranéen. Matérialisé en urgence au mois de juin 2018 alors que la situation de plusieurs collègues turcs a attiré l’attention de nombreux réseaux académiques dont le Laboratoire Méditerranéen de Droit Public, il a été décidé d’offrir un témoignage d’amitié et de fraternité aux membres de la Communauté universitaire de Turquie, menacée de privation(s) de liberté(s) par le régime du Président Erdogan. En particulier, l’ouvrage est adressé à notre ami le professeur Ibrahim O. Kaboglu, directeur de l’équipe turque du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public. L’opus résolument tourné vers l’espoir, le Droit et les libertés, se compose de trois parties : la première revendique davantage de libertés d’expression(s) pour nos collègues turcs et offre au lecteur plusieurs points de vues comparés sur les libertés académiques en Méditerranée (Partie I). Par suite, le livre propose de façon militante et assumée des analyses et propositions en faveur du droit constitutionnel et des libertés en Turquie (Partie II) et en Méditerranée (Partie III). Comme l’espère le président Jean-Paul Costa dans son avant-propos, « puisse cet ouvrage collectif, cet hommage solidaire, dépasser le seul symbole ; puissent les témoignages de ces femmes et de ces hommes influer quelque peu sur le cours des choses ! Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre : il fallait en tout cas essayer ».

L’ouvrage comprend une trentaine de contributions auxquelles ont participé depuis plusieurs pays méditerranéens (Espagne, France, Italie, Liban, Maroc, Turquie, …) : le Président Costa, Mesdames et Messieurs les professeurs Afroukh, Basilien-Gainche, Bockel, Bonnet, Fontaine, Freixes, Gaillet, Groppi, Iannello, Larralde, Laval, Malaret, Marcou, Mathieu, Maus, Policastro, Prieur, Rousseau, Starck, Touzeil-Divina & Turk ainsi que Mmes Abderemane, Elshoud, Espagno-Abadie, Eude, Fassi de Magalhaes, Gaboriau, Kurt, Mestari, Perlo, Rota, Schmitz mais aussi MM. Altinel, Barrue-Belou, Degirmenci, Friedrich, Gelblat, Makki, Meyer, Ozenc & Sales.

L’image de première de couverture a été réalisée, à Beirut, par Mme Sara Makki. Le présent ouvrage a reçu le généreux soutien du Collectif l’Unité du Droit (Clud), du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public (Lmdp), de l’Association Française de Droit Constitutionnel (Afdc), de l’Association Internationale de Droit Constitutionnel (Aidc) & du Collège Supérieur du Droit de l’Université Toulouse 1 Capitole.

Eloge du Droit

Dominique Rousseau
Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne,
Directeur de l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne

Dans certains milieux, il est très tendance de critiquer le droit. Il serait la cause de tous les maux : l’économie de marché qu’il légitimerait, la dissolution des liens sociaux qu’il provoquerait, l’individualisme qu’il sacraliserait, l’Etat qu’il affaiblirait, … Et partout en Europe, les gouvernements s’en prennent au droit et à ceux qui le portent, les universitaires-juristes et les magistrats. La Pologne réduit la compétence des juges constitutionnels, la Hongrie remet en cause le principe d’indépendance de la Justice et des universitaires, …

« Le droit, le droit, le droit ! Si le politique veut, le droit ne doit-il pas s’incliner ! Le droit n’est-il pas là pour fournir au politique les moyens d’accomplir sa volonté ! » Certains le pensent. Malheureusement. Car le droit, et en particulier la constitution est, disait Benjamin Constant, « la garantie de la liberté d’un peuple ». Quand des hommes s’assemblent, cette réunion produit toujours la nécessité de règles qui fondent leur vie commune et organisent leurs rapports ; qui, pour reprendre l’article 2 de la Déclaration de 1789, les constituent en « association politique ». Et, dans les sociétés contemporaines, le droit est le seul médium où enraciner les règles d’intégration sociale, où fonder la démocratie.

Pour passer, en effet, de la multitude à la société, il faut, toujours et partout, qu’arrive un récit fondateur, un récit qui raconte une histoire dans laquelle chacun puisse se reconnaître, un récit qui symboliquement dit l’ensemble. Or, le récit dans lequel les sociétés se constituent en tant que telles est, précisément, une constitution ! Ce n’est par hasard si, dans ces moments politiques purs que sont les révolutions, quand tout est rapport de forces politiques, barricades, violences, il est fait appel au droit par les révolutionnaires. Les hommes de 1789 répondent au discours de Louis XVI du 5 mai par la rédaction, deux mois plus tard, de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ; les capitaines portugais de 1974 annoncent, aussitôt après avoir renversé le régime salazariste, la convocation d’une assemblée constituante comme les tunisiens après avoir chassé Ben Ali en 2011. Pas davantage un hasard si, après les attentats de janvier 2015, les mots entendus dans la marche du 11 janvier et qui disent l’idéal du moi collectif étaient des mots constitutionnels : « liberté d’expression », « liberté, égalité, fraternité », « liberté d’écrire et d’imprimer », toute expression qui renvoie explicitement aux articles pertinents de la Déclaration de 1789 ou à la devise de la République inscrite à l’article 2 de la constitution de 1958.

Pas un hasard parce qu’une constitution n’est pas seulement un texte « technique » ; elle est ce miroir magique qui fait advenir la figure du citoyen qu’elle expose dans ses valeurs. L’état de nature ne connait pas le citoyen mais l’être humain pris dans ses déterminations sociales – sexe, âge, profession, religion, revenus, … – qui font apparaître nécessairement les différences, les inégalités de fait dans la répartition du capital économique, culturel, symbolique. Si les sociétés en restaient à ce moment-là, elles produiraient une représentation d’elles-mêmes où l’inégalité des conditions aurait la place centrale en ce qu’elle fonderait et le principe de regroupement des hommes et le fondement légitime des règles. La fonction magique d’une constitution est, précisément, de faire passer de l’état de nature à l’état civil, de transformer les êtres humains en citoyens par la grâce des valeurs communes qu’elle énonce. Elle est ce miroir dans lequel l’égalité en droits construit la figure du citoyen. La force propre du droit, écrivait Pierre Bourdieu, est d’instituer, c’est-à-dire, de faire exister, de donner vie à ce qu’il nomme. Ainsi en est-il de la constitution qui nomme et en les nommant constitue – au sens premier du terme – le peuple.

Cette part du droit dans la construction du peuple est essentiel ; dans l’histoire et dans les philosophies politiques, une compréhension a-juridique sinon anti-juridique du peuple n’a jamais ouvert les chemins de la démocratie. Car si le peuple ne se construit pas par « un accord sur le droit » comme le dit Cicéron, sur quel lien symbolique va-t-il se constituer ? Par un accord sur le sang ? Par un accord sur la race ? Par un accord sur la religion – le peuple juif, le peuple musulman, le peuple chrétien, … ? Par un accord sur la personne du chef-incarnation-du-peuple ?

Eloge du droit donc. Attaquer le droit c’est attaquer la démocratie. Ce n’est pas le suffrage universel, ni les sondages, ni le référendum qui « agacent » les politiques ; c’est le Droit. Et les juges. Dans son ouvrage, L’invention du droit dans l’Occident, Aldo Schiavone montre avec justesse qu’à Rome le droit a été inventé en se séparant progressivement de la morale et de la religion, qu’il s’est inventé comme objet autonome par rapport à la religion, au politique et à la morale grâce aux magistrats. C’est lorsqu’il y a eu un corps de juristes qui a pensé les problèmes de la société en termes juridiques et non plus en terme moral, religieux ou politique que le droit est né, par la constitution d’un corps de magistrats comme producteurs du droit. Entre l’institution judiciaire, le droit et la démocratie, il y a un lien nécessaire.

Une pensée unique se diffuse ainsi dans toute l’Europe répétant à l’envi que les droits constitutionnels sont dangereux pour la démocratie oubliant que les détruire serait détruire une forme singulière d’organisation politique des sociétés : l’Etat de Droit. Les juristes distinguent, en effet, trois formes d’Etat. L’Etat de police d’abord, qui permet aux gouvernants de concentrer entre leurs mains le pouvoir de faire la loi, le pouvoir de faire exécuter la loi et le pouvoir de juger de son application selon leur seul bon vouloir et sans contrôle possible. L’Etat légal ensuite, qui soumet le pouvoir exécutif, l’administration et la justice au respect de la loi votée par le Parlement, loi qui, expression de la volonté générale, est incontestable et ne peut donc être jugée. L’Etat de Droit enfin. Ici, un débat se noue entre juristes. Pour les uns, la notion « Etat de Droit » est tautologique car tout Etat est nécessairement un Etat de Droit, avec un système normatif produit, appliqué et contrôlé par les autorités habilitées à ces différentes tâches. Pour d’autres, l’Etat de Droit ne peut pas être l’Etat de n’importe quelle loi ; les lois votées par le Parlement doivent être soumises au respect d’un Droit qui leur est supérieur et qui fonde en conséquence la légitimité d’un contrôle juridictionnel des lois.

Evidemment, par cette querelle juridique s’expriment plusieurs enjeux. Un enjeu politique puisque pour les premiers un Etat totalitaire, autoritaire ou fasciste peut être qualifié d’Etat de Droit dès lors qu’il a une constitution qui habilite les autorités à prendre les décisions alors que pour les seconds la qualification d’Etat de Droit dépend de la nature démocratique du Droit auquel l’Etat se soumet. Un enjeu philosophique dans la mesure où si un Droit s’impose à l’Etat, il convient de savoir quelle est la source de ce Droit, son contenu et sa nature. Certains vont chercher les réponses dans la Nature ; mais, disait Héraclite, elle aime à se cacher. D’autres vont les chercher dans un Dieu ; mais ses paroles sont souvent difficiles à décrypter. Plus simplement, il faut chercher ce Droit qui s’impose à l’Etat dans les déclarations des droits de l’homme écrites par les hommes et, pour les sociétés européennes, dans la Convention de 1950. Ces droits, écrivaient le doyen Vedel, sont immanents quand ils se font et transcendants quand ils sont faits. Ils sont le résultat des luttes sociales menées par quelques hommes pour tous les hommes.

Dans « Etat de Droit », il y a « Etat », c’est-à-dire, cette scène qui offre aux hommes la possibilité de « sortir » de leurs déterminations sociales, de ne plus se voir dans leurs différences sociales mais de se représenter comme des êtres de droit égaux entre eux. Sieyès le disait : du point de vue de la citoyenneté, les différences de sexe, d’âge, d’origine n’ont pas d’importance ; la qualité de citoyen est le schème par lequel les hommes peuvent se percevoir et se reconnaître comme des égaux. Le moment « Etat » est ainsi, dans la construction d’une société, le moment qui permet aux hommes de sortir du communautarisme « naturel » et de se percevoir dans une relation politique d’égalité. Mais il y a aussi « Droit », c’est-à-dire, cette scène qui empêche l’Etat de développer sa logique propre de forme organisatrice et totalisante de la société. Le moment « Droit » est celui qui garantit aux citoyens aussi bien le respect de la vie privée, la liberté d’aller et venir, l’inviolabilité du domicile que la faculté de s’exprimer et d’agir collectivement pour proposer des normes nouvelles.

L’homme n’est homme que par la conscience, conscience de lui-même et de lui-même parmi les autres. « Je est un autre » écrivait Rimbaud. Toutes les tragédies du XXe siècle ont pour cause l’oubli ou l’ignorance ou la destruction de la conscience de soi quand les hommes abdiquent ou sont contraints d’abdiquer leur moi dans un grand tout : le parti, l’Etat, la religion, la race, … Et ce qui fait la conscience humaine, c’est le sens critique, la tension permanente entre certitude et doute, c’est le fameux « Que sais-je ? » de Montaigne, l’interrogation continue sur les savoirs.

Les valeurs constitutionnelles expriment cette tension constitutive de la conscience humaine puisqu’elles sont des promesses que la misère de monde interroge sans cesse. L’égalité entre les hommes et les femmes, la liberté individuelle, la fraternité sont, entre autres, des valeurs constitutionnelles que l’exclusion, les injustices, l’arbitraire démentent quotidiennement. De cet écart entre les promesses constitutionnelles et la misère du monde naît la possibilité d’une critique de la positivité sociale, critique à l’autorité renforcée par le fait de pouvoir s’enraciner non dans un ailleurs idéologique mais directement dans les valeurs énoncées dans la constitution. Ainsi, les valeurs constitutionnelles permettent aux hommes de prendre conscience de leur statut de citoyen, c’est-à-dire, de sujets de droit autonomes, capables de s’autodéterminer, de maîtriser leur histoire, de la réfléchir, de la discuter et de la penser.

Dénoncer les droits constitutionnels serait enlever aux citoyens l’instrument qui les protège d’un Etat absolu. Sans ces droits, il resterait l’Etat, un monstre froid disait Nietzsche. A tous ceux qui envisagent de dénoncer les textes, les hommes et les institutions qui les portent, il convient de rappeler ce que déclaraient les hommes de 1789 : « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernants ».

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Le numérique : un défi pour le droit constitutionnel (par les professeurs Bonnet & Türk)

Voici la 73e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 9e livre de nos Editions dans la collection dite verte de la Revue Méditerranéenne de Droit public publiée depuis 2013.

L’extrait choisi est celui de l’article des professeurs Julien Bonnet & Pauline Türk dans l’ouvrage suivant :

Volume IX :
Liberté(s) !
En Turquie ?
En Méditerranée !

Ouvrage collectif
(dir. Laboratoire Méditerranéen de Droit Public)

Nombre de pages : 314
Sortie : juillet 2018
Prix : 33 €

ISBN  / EAN :
979-10-92684-33-9 / 9791092684339
ISSN : 2268-9893

Mots-Clefs : Turquie – Liberté d’expression – Université – Méditerranée – Justice – Libertés – droit constitutionnel – droit comparé –

Présentation :

Le présent ouvrage est un cri d’alarme(s) et de détresse(s) à destination de tous les citoyens, décideurs politiques et membres de la Communauté universitaire en France mais aussi et surtout autour du bassin méditerranéen. Matérialisé en urgence au mois de juin 2018 alors que la situation de plusieurs collègues turcs a attiré l’attention de nombreux réseaux académiques dont le Laboratoire Méditerranéen de Droit Public, il a été décidé d’offrir un témoignage d’amitié et de fraternité aux membres de la Communauté universitaire de Turquie, menacée de privation(s) de liberté(s) par le régime du Président Erdogan. En particulier, l’ouvrage est adressé à notre ami le professeur Ibrahim O. Kaboglu, directeur de l’équipe turque du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public. L’opus résolument tourné vers l’espoir, le Droit et les libertés, se compose de trois parties : la première revendique davantage de libertés d’expression(s) pour nos collègues turcs et offre au lecteur plusieurs points de vues comparés sur les libertés académiques en Méditerranée (Partie I). Par suite, le livre propose de façon militante et assumée des analyses et propositions en faveur du droit constitutionnel et des libertés en Turquie (Partie II) et en Méditerranée (Partie III). Comme l’espère le président Jean-Paul Costa dans son avant-propos, « puisse cet ouvrage collectif, cet hommage solidaire, dépasser le seul symbole ; puissent les témoignages de ces femmes et de ces hommes influer quelque peu sur le cours des choses ! Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre : il fallait en tout cas essayer ».

L’ouvrage comprend une trentaine de contributions auxquelles ont participé depuis plusieurs pays méditerranéens (Espagne, France, Italie, Liban, Maroc, Turquie, …) : le Président Costa, Mesdames et Messieurs les professeurs Afroukh, Basilien-Gainche, Bockel, Bonnet, Fontaine, Freixes, Gaillet, Groppi, Iannello, Larralde, Laval, Malaret, Marcou, Mathieu, Maus, Policastro, Prieur, Rousseau, Starck, Touzeil-Divina & Türk ainsi que Mmes Abderemane, Elshoud, Espagno-Abadie, Eude, Fassi de Magalhaes, Gaboriau, Kurt, Mestari, Perlo, Rota, Schmitz mais aussi MM. Altinel, Barrue-Belou, Degirmenci, Friedrich, Gelblat, Makki, Meyer, Ozenc & Sales.

L’image de première de couverture a été réalisée, à Beirut, par Mme Sara Makki. Le présent ouvrage a reçu le généreux soutien du Collectif l’Unité du Droit (Clud), du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public (Lmdp), de l’Association Française de Droit Constitutionnel (Afdc), de l’Association Internationale de Droit Constitutionnel (Aidc) & du Collège Supérieur du Droit de l’Université Toulouse 1 Capitole.

Le numérique :
un défi pour le droit constitutionnel

Julien Bonnet & Pauline Türk
Professeurs de droit public,
aux Universités de Montpellier & de Nice Côte d’Azur (Cercop & Cerdacff)

La question du numérique est au cœur du présent ouvrage. Tel un fil conducteur invisible, le numérique relie la succession d’événements qui ont conduit, malheureusement, à la mise en cause de nos collègues turcs, mais ont facilité en retour la mobilisation et les réactions de soutien. En arrière-plan, la question du numérique, et plus particulièrement de l’accès à Internet, est progressivement devenu un enjeu majeur en Turquie. Comme le rappelait le Commissaire aux droits de l’homme il y a quelques mois, le blocage de sites Internet par les organes de l’Etat s’est considérablement banalisé[1]. Des lois récentes ont même conféré au Haut Conseil de l’audiovisuel des pouvoirs étendus de contrôle des contenus mis en ligne. Le numérique est ainsi, en Turquie comme ailleurs, l’objet d’une ambivalence permanente. D’un côté, il ouvre de nouveaux espaces de libertés et constitue un formidable outil de renouvellement théorique et normatif du droit constitutionnel. Mais, en même temps, il peut être un instrument de limitation de l’exercice des droits et libertés, qu’il peut restreindre ou menacer. En élargissant une réflexion menée par ailleurs[2], il convient de cerner la manière dont le droit constitutionnel, en tant que science de l’organisation du pouvoir politique et de la garantie des droits et libertés, est confronté aux défis posés par le numérique. Ces nouvelles technologies de l’information et des télécommunications, s’appuyant sur des données informatisées, chiffrées et codées, se sont en effet rapidement développées et ont fait irruption dans tous les secteurs d’activité.

Rappelons que le réseau Internet, ouvert au public en 1996, a franchi, en 2018, la barre des 4 milliards d’usagers (plus de 50% de la population mondiale) répartis sur les cinq continents[3]. Les réseaux sociaux sont fréquentés par 37% de la population mondiale et par 56% de la population française, principalement via un smartphone. 60% des internautes français ont déjà effectué un achat en ligne, 25% utilisent le réseau pour leur recherche d’emploi, 70 % pour accéder à l’information et à la culture, 30% pour suivre des débats politiques. Au sein de l’Union européenne, 71% des internautes fournissent sans protection leurs données personnelles en ligne[4]. De nouveaux outils numériques facilitent les comparaisons, les statistiques, les prévisions, les calculs de probabilité, les évaluations, sur tous les sujets, économiques et politiques. Les acteurs, les offres de service, les sources d’information, les forums de discussion se sont démultipliés, favorisant les échanges horizontaux, sans hiérarchie. Et si tous les individus ne sont pas des internautes réguliers, peu d’entre eux échappent aux effets de la révolution numérique, qui touche tous les secteurs d’activités, y compris la gestion des services publics et l’administration de l’Etat. Du réseau Internet à la téléphonie, des écrans aux « objets connectés » les plus divers, l’explosion du numérique a ouvert une ère post-moderne marquée par la dématérialisation, la multiplication, l’accélération et l’internationalisation des échanges sous toutes leurs formes, aux incidences économiques, sociales, politiques et géostratégiques de plus en plus fortes.

La révolution numérique bouleverse des pans entiers du droit, phénomène désormais largement étudié. Mais ses conséquences sur le droit constitutionnel, plus particulièrement, sont encore peu explorées. Les enjeux sont pourtant nombreux et importants, au regard du double mouvement permanent de déconstruction/reconstruction qui affecte plusieurs fondements de la discipline. Sont ainsi concernés des concepts classiques tels que, par exemple, la souveraineté de l’Etat, la puissance publique source de la normativité, la hiérarchie des normes, le régime représentatif ou encore la citoyenneté et ses modes d’expression. Sont aussi impliqués les processus politiques et démocratiques de décision et de désignation des gouvernants, et les modalités d’exercice et de protection de certaines libertés fondamentales. Le droit constitutionnel ne fait pas que subir ou s’adapter aux effets de la révolution numérique : il tente, depuis quelques années, de se saisir du phénomène pour l’encourager, le protéger, l’utiliser, l’encadrer ou le réglementer.

Le numérique met ainsi à l’épreuve le droit constitutionnel : en se fondant sur l’existant et en se projetant sur son potentiel, le numérique soumet le droit constitutionnel à plusieurs défis, qui concernent autant l’adaptation des objets de la science constitutionnelle que la modernisation de ses méthodes. Quatre principaux défis se présentent, en Turquie comme ailleurs.

I. Réinventer la souveraineté et la démocratie

La révolution numérique produit des effets sur l’autorité souveraine des Etats, sur les modes de gouvernement et sur les processus démocratiques. Au niveau international, cela suscite autant de perspectives que de crispations. Sur le plan interne, cela se traduit d’ores et déjà par des innovations dont les résultats ne sont pas encore pleinement convaincants.

L’Etat et son autorité, d’abord, sont confrontés au développement des technologies du numérique, et notamment d’Internet, qui favorisent le dialogue et les échanges, grâce à des connexions libres, instantanées, interactives et transnationales, et contribuent à la dilution des frontières, au rapprochement des sociétés humaines, à la construction de nouveaux espaces de construction et d’expression des opinions publiques. Le numérique facilite la comparaison permanente des systèmes constitutionnels et des pratiques politiques grâce aux sites institutionnels, aux plateformes wiki et aux blogs, aux outils d’information et de classification, aux bases de données et de jurisprudence, aux moteurs de recherche, à l’image du « Constitute project », du forum de Venise ou de la base de données Codices. Ces technologies pourraient ainsi favoriser la convergence, voire la standardisation des pratiques, participant d’un double phénomène d’internationalisation et de « globalisation » du droit constitutionnel.

Après le principe de l’autonomie constitutionnelle des Etats, c’est le concept classique de souveraineté de l’Etat qui se trouve mis à l’épreuve. Assimilée à l’exercice d’un pouvoir de commandement suprême et indépendant dans le cadre de frontières délimitées, cette conception classique, déjà fragilisée, est bousculée par les conséquences de la révolution numérique et par la montée en puissance des réseaux[5]. D’autant que, précisément, la conception hiérarchique, pyramidale et unilatérale du pouvoir de contrainte de l’Etat se heurte aux modes de régulation des espaces numériques[6]. Associant aux techniciens et aux autorités étatiques le secteur privé, la société civile et les utilisateurs, ils reposent largement sur la soft law et contribuent à la multiplication des sources et des formes de normativité.

Ces évolutions conduisent à d’inquiétants phénomènes de repli et à la revendication, par certains Etats, d’une « souveraineté numérique » présentée comme nécessaire à la défense de leurs intérêts fondamentaux et de leurs pouvoirs régaliens[7]. Certes, les Etats ont à protéger leurs intérêts politiques, diplomatiques, économiques, de défense et de sécurité, et doivent garantir le respect du droit, de l’ordre public et des libertés. Mais l’affirmation de leurs droits souverains peut aussi traduire une volonté de prise de contrôle, préjudiciable aux principes libéraux qui structurent les réseaux. La réflexion sur le concept énigmatique et controversé de « souveraineté numérique » est cependant plus ouverte, puisqu’elle renvoie à la maîtrise, non seulement par les Etats, mais aussi par les entreprises, par les communautés d’utilisateurs, voire par les individus, de leur destin dans un monde numérique[8]. Elle soulève, pour certains, la question de la capacité à s’autogouverner, à s’auto-déterminer, à choisir ou à consentir aux règles auxquels on se soumet, dans le monde numérique. Elle est définie, par d’autres, comme le pouvoir de commander et de se faire obéirsur les réseaux, et serait ainsi appropriée par les grandes multinationales américaines, notamment les « Gafa »[9], qui tendent à se substituer aux Etats dans un nombre croissant de domaines. La souveraineté numérique devrait se reconquérir, à l’échelle européenne, grâce à une politique industrielle ambitieuse, à la réforme des modes de gouvernance des réseaux, afin de clarifier les objectifs et les processus décisionnels, et de « reprendre le contrôle sur les algorithmes[10] ».

Ce sont, d’ailleurs, les failles du système de gouvernance des espaces numériques, mises en évidence par certains scandales récents, qui conduisent à s’interroger sur la perspective d’une transposition aux instances internationales de régulation des principes du constitutionnalisme (légitimité, représentativité, responsabilité, transparence). La réflexion sur une potentielle « Constitution de l’Internet », par exemple, porte l’hypothèse d’une « constitutionnalisation » des principes, droits et des devoirs attachés à la communication numérique (principe de neutralité, ouverture, liberté de l’internet)[11], auxquels la communauté unifiée des concepteurs et des utilisateurs accepterait de se soumettre.

Les processus d’expression de la souveraineté et de construction du débat démocratique sont également bouleversés par l’irruption des technologies numériques. La démocratie connectée (e-democracy) ouvre de nouvelles perspectives pour l’exercice des droits civils et politiques (droit de pétition, vote électronique, consultations publiques, appels à contribution, comptes-rendus électroniques en temps réel…)[12]. Déjà étudiées dans le champ de la science politique, ces innovations ont des conséquences politiques et normatives qui relèvent désormais pleinement du droit constitutionnel, dans le cadre d’une réflexion déjà internationalisée[13]. Les citoyens sont appelés à contribuer directement aux processus constituants (élaboration de projets de Constitution de l’Union européenne en 2004, en Islande en 2011[14], ou au Sri Lanka à partir de 2016[15]) et aux processus législatifs (expérience de co-écriture de la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 en France[16], droit d’amendement citoyen, plateformes e-parlement d’appel à contribution aux études d’impact, à l’évaluation des lois, ou à la simplification des lois, initiative législative populaire à l’échelle nationale ou européenne…). Rendu matériellement possible grâce aux plateformes numériques et aux réseaux sociaux, le « crowdsourcing », méthode de production participative issue du marketing, permet de valoriser les idées et expériences du plus grand nombre dans les processus décisionnels et réanime l’idéal de la démocratie directe[17]. Les « citoyens » (dont l’âge et la nationalité ne sont d’ailleurs pas vérifiés, le plus souvent, sur les plateformes numériques concernées) sont, selon les cas, informés, consultés ou véritablement associés aux processus, ce qui diminue le poids des considérations partisanes, dans le cadre de forums où le débat n’est pas non plus confisqué par les « sachants ». Ils peuvent être appelés à proposer la loi ou à l’enrichir, à la valider ou à l’évaluer. Ils peuvent aussi contribuer au contrôle de l’action du gouvernement ou de la gestion des services publics[18]. Cette logique collaborative peut aider à reconnecter les élus aux citoyens, à mieux légitimer les processus décisionnels en faisant appel à l’expérience du terrain, à l’expertise des praticiens et des usagers, à la diversité des points de vue. Le rôle des corps intermédiaires, des médias traditionnels, des partis politiques, doit être adapté. En multipliant les outils de communication, d’expression, de mobilisation politique, en modifiant les rapports gouvernants-gouvernés, l’outil numérique fait évoluer la manière de participer à la vie politique pour les citoyens et la manière de « faire » de la politique pour les gouvernants. Cet outil peut être considéré, à de multiples égards, comme un atout pour nos démocraties, un outil permettant de la revivifier.

Pour autant, quels qu’en soient l’intérêt et le potentiel, l’outil numérique soulève aussi des interrogations et des inquiétudes. Certaines expériences déjà menées suscitent quelques réserves, au vu de leur résultat discutable, de leur apport limité ou de leurs effets pervers ou contre-productifs. Le processus de co-écriture de la Constitution islandaise, par exemple, est un échec, les causes de sa défaillance ayant pu être utilement identifiées : impréparation et improvisation, complexité et illisibilité des procédures, concurrence entre la classe politique et les citoyens (entre la méthode représentative et la méthode participative), confrontation des institutions concernées (organe constitutionnel élu, cour suprême, parlement, les experts, les partis politiques et même la communauté universitaire), insuffisant relais des médias, poids des lobbys. De même, en matière de co-écriture de la loi, les résultats concrets des mécanismes participatifs sont assez faibles et le manque de représentativité des « citoyens numériques » peut être critiqué[19]. Certains dénoncent le mirage du « clicktivism », qui limite finalement l’engagement politique à un click de soutien seulement virtuel et fugace. D’autres s’inquiètent d’un phénomène paradoxal d’inclusion/exclusion, pour des raisons matérielles ou sociologiques, de certaines catégories de la population de la citoyenneté numérique[20]. Le risque du cloisonnement, l’enfermement de la réflexion par un phénomène d’entre-soi favorisé par les réseaux sociaux, la sélection des informations opérée par les algorithmes, le court-circuitage des institutions de gouvernement et d’information traditionnelles au profit d’autres acteurs dont la légitimité et la compétence ne sont pas garanties ni contrôlées, figurent au nombre des motifs d’inquiétudes. Les technologies numériques n’étant qu’un outil, c’est la façon dont elles vont être utilisées, développées et encadrées qui déterminera, dans l’avenir, leurs effets bénéfiques ou délétères, à moyen et long terme, sur la démocratie.

II. Repenser la normativité

Dès lors que le numérique renouvelle les modes de production du droit, le cadre théorique et juridique des caractéristiques de la norme est nécessairement affecté. Si plusieurs dimensions sont d’ores et déjà envisageables, la plus évidente renvoie aux nouveaux registres de légitimité de la norme qui découlent de l’usage du numérique. En effet, les nouveaux processus numériques d’élaboration de la norme renouvellent les débats constitutionnels sur l’élaboration de la Constitution et de la loi. D’autant qu’il n’est pas exclu que ces processus numériques de participation soient, dans un avenir proche, obligatoirement intégrés à l’ensemble des procédures d’adoption des textes constitutionnels et législatifs. Certes, le droit constitutionnel s’était déjà saisi de ces aubes normatives où le jeu politique rencontre le droit. Mais le numérique transforme les modalités de ces processus, les enrichit de la possibilité d’une participation plus importante des individus, et en définitive permet d’envisager une présence fréquente et active du peuple réel. Mais le numérique n’est pas seulement une nouvelle technique d’ingénierie constitutionnelle qui nécessiterait d’amender les ouvrages de droit parlementaire. Plus qu’un vague gadget technologique qui permettrait d’obtenir plus rapidement un résultat similaire, le numérique génère un objet inédit qui renouvelle les registres de légitimité de la norme. Dans l’absolu, l’usage du numérique renverse les obstacles pratiques et temporels qui rendaient impossible la présence institutionnelle du peuple réel. Sous réserve d’adaptations techniques mineures, l’ensemble des citoyens et des individus vivant sur un territoire donné pourrait demain accéder à des outils de participation politique. Ainsi, les registres de légitimité des normes issues de ce type de processus relèveraient davantage d’une approche procédurale et consensuelle de la démocratie. De même, la possibilité pour le numérique de rapprocher la population locale du pouvoir décisionnel, qu’il soit politique ou administratif, renforcerait la logique de proximité et de la démocratie locale.

Le numérique renforce également, du moins potentiellement, les gages de qualité de la norme. En amont, les dispositifs de consultation via le numérique peuvent élargir les consultations ponctuelles effectuées par les commissions parlementaires ou le rapporteur. En aval, le contrôle de l’application des lois et l’évaluation de la législation et des politiques publiques s’enrichiront d’enquêtes à grande échelle auprès des citoyens, d’un public ciblé ou d’un secteur professionnel particulier.

En outre, le numérique renouvelle de nombreuses questions touchant aux rapports entre les systèmes normatifs, avec en particulier la question récurrente du niveau normatif pertinent pour prévenir un risque pour les droits et libertés ou pour réglementer un secteur d’activité. Le numérique rend en effet insaisissable la norme applicable, en défiant les règles classiques de la territorialité du droit international public ou privé et en suscitant la concurrence accrue des normes produites par le secteur privé. Bien que le problème reste entier, des solutions sont proposées ou ont déjà été amorcées, comme l’adoption d’un traité international sur les réseaux, la création d’un mécanisme international de régulation, ou l’approfondissement des réseaux internationaux et européens de régulateurs.

Enfin, grâce aux méta-données, le fameux « big data », le numérique offre une compréhension approfondie du processus normatif et de la norme elle-même, voire l’anticipation du sens de la norme. Grâce au traitement automatisé à grande échelle des données du droit constitutionnel, des décisions des juges, des textes, des débats parlementaires, le numérique permet d’envisager une analyse exhaustive, dépassant ainsi l’approche sélective de l’exemple choisi par l’observateur. En ce qui concerne plus particulièrement la jurisprudence, la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique oblige les juridictions judiciaires et administratives à mettre à la disposition du public. Un objectif de prédiction est également poursuivi, l’analyse en « big data » de la jurisprudence permettra en effet d’établir des probabilités sur l’issue du litige. Cependant, la démarche a ses limites[21] et le risque est grand de transformer la norme jurisprudentielle en une version réduite à des occurrences dénuées de pertinence, à une représentation numérique de la norme incapable de traduire le véritable sens de la décision du juge, ses non-dits et ses implications. Outre la « justice prédictive », d’autres enjeux, concernent le fonctionnement de la justice à l’ère numérique, parmi lesquels la dématérialisation des procédures, comme l’illustrent en France les décrets du 2 novembre 2016 « justice administrative de demain » (Jade) et « téléprocédures »[22], ou en Turquie l’utilisation de sms comme moyen de communication, notamment pour prévenir des dates d’audience, afin d’alléger et d’accélérer les procédures, et de réaliser de substantielles économies de frais d’envoi[23].

III. Interroger les droits et libertés

Les interactions entre les technologies du numérique et le droit constitutionnel se manifestent particulièrement en matière d’exercice des droits et libertés fondamentaux, qu’il s’agisse évidemment des libertés de communication et d’information ou de la protection de la vie privée et des données personnelles. Le perfectionnement de la géolocalisation, l’exploitation commerciale du « big data », les nouvelles techniques de surveillance et de fichage, les dérives possibles dans l’utilisation des données personnelles et de santé, la montée en puissance des réseaux sociaux ou la cybercriminalité sont autant de défis posés à la garantie des libertés. L’outil numérique peut être mobilisé au service de la protection de l’ordre et de la sécurité publics autant qu’il peut être vecteur d’atteintes aux droits, comme l’ont illustré la loi Renseignement du 24 juillet 2015 ou les révélations relatives aux politiques de surveillance généralisée développées par certains services.

Le numérique constituant un nouvel espace d’exercice des droits et libertés, à la lisière de l’espace public et de l’espace privé, il oblige à réaménager les modalités de garanties ainsi que le contenu de ces droits et libertés, voire d’en créer de nouveaux[24]. Outre la redéfinition des contours de la liberté de réunion, de la liberté d’expression et de communication, le droit à l’information et à la participation, par exemple, peut être approfondi. La protection du droit d’auteur, de la vie privée, de la dignité, par exemple, doit être adaptée. D’autres droits, tels le droit à l’instruction ou le droit au secret du vote peuvent être affectés par les nouvelles technologies du numérique. Les droits économiques et sociaux sont également concernés, à l’image du phénomène d’« uberisation », dont le Conseil constitutionnel a été saisi à plusieurs reprises[25], ou des enjeux relatifs aux droits des travailleurs ou au secret des affaires. La conciliation de la liberté d’entreprendre, de la liberté du commerce et de l’industrie et du droit de propriété doit être repensée. Sans nul doute, l’irruption de problématiques numériques dans le contentieux des droits et libertés interroge le rôle du droit et du juge, confrontés à des évolutions techniques complexes qui supposent une expertise particulière. D’autant que la révolution numérique fait apparaître des droits de nouvelle génération, tel le droit à l’oubli et le droit au déréférencement, la liberté d’accès à Internet, ou le droit d’accès aux données en open data, dont les fondements et contours doivent être précisés.

Alors que l’individu s’aventure dans un monde déterritorialisé, la protection des libertés doit s’appuyer sur des principes juridiques identifiés et clairement réaffirmés, et sur une large palette d’outils de régulation[26]. Le juge a un rôle majeur à jouer, aux côtés des autorités indépendantes spécialement compétentes, telles la Cnil, forte de son expertise technique et juridique, ou, dans leurs domaines respectifs, le Csa ou la Hadopi. Afin de mettre en lumière les nouvelles dimensions numériques des libertés individuelles et publiques constitutionnellement protégées, la jurisprudence constitutionnelle est « constructive et évolutive », permettant d’accompagner la « consécration de nouvelles dimensions des droits et libertés fondamentaux, voire de nouveaux droits à part entière[27] ». Ainsi, la liberté d’accéder à Internet, proclamée par le Conseil constitutionnel en 2009[28], pourrait se transformer en droit opposable. La portée et les limites du droit d’accès à l’information sur internet, en lien avec le principe de transparence, sont progressivement précisées[29]. Dans l’attente d’une éventuelle inscription de la protection des données personnelles dans le texte de la Constitution[30], le principe fait l’objet, avec le droit à la vie privée, d’une jurisprudence nourrie[31]. Et l’on suppose un prochain positionnement du Conseil constitutionnel sur le droit au déréférencement, prolongement technique du droit à l’oubli, reconnu par la Cour de Justice de l’Union européenne depuis 2014. Celle-ci joue un rôle majeur, s’appuyant sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union et sur la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme pour protéger les intérêts des utilisateurs européens, dans un contexte tendu par l’affaire Snowden. Elle bataille pour garantir un haut niveau de protection des données personnelles (invalidation du Safe Harbor[32]), et veille à la protection de la vie privée des internautes qui utilisent les services de compagnies américaines (enjeux du « Privacy Schield », accord Ue-Eu sur la protection des données entré en vigueur le 1er août 2016, et du Rgpd, Règlement général de protection des données dans l’Ue entré en vigueur en mai 2018)[33], en liaison avec la Cnil et le réseau des Cnil européennes (G29). Car en matière de gouvernance du monde numérique comme en matière de protection des droits et libertés, c’est aussi et surtout à l’échelon de l’Union européenne que les problématiques peuvent être utilement traitées.

La Cour européenne des droits de l’homme, également, s’est saisie de la problématique numérique, sous l’angle de l’article 10 de la Convention protégeant la liberté d’expression, ou de l’article 8 relatif à la vie privée. Sa jurisprudence éclaire les conditions dans lesquelles les Etats parties, parmi lesquels la Turquie, peuvent réglementer les technologies numériques en lien avec, par exemple, la protection des données personnelles, l’accès à la justice, la saisie de documents informatiques, la conservation d’empreintes génétiques et digitales, ou encore les politiques de vidéosurveillance[34]. La Cour contribue également à la reconnaissance de l’accès aux technologies numériques comme un droit emergent (Cedh 19 janvier 2016 Kalda/Estonie, req. 17429/10 § 52), jurisprudence qui donne corps juridiquement à des recommandations du Conseil des ministres du Conseil de l’Europe affirmant la nécessité d’un internet « disponible, accessible et d’un coût abordable pour toutes les catégories de population, sans discrimination[35]».

La Turquie est concernée, en tant qu’Etat partie à la Convention soumis à l’autorité de chose interprétée par la Cour, mais également parce qu’elle a directement fait l’objet de décisions de condamnation pour cause de blocages de sites internet dépourvus de base légale. Par exemple, la Cour a jugé que la mesure de blocage total et prolongé de l’accès à Youtube ordonnée par le tribunal d’instance pénal d’Ankara en 2008 avait affecté le droit de trois enseignants de différentes universités turques de recevoir et de communiquer des informations et des idées, ceci sans base légale suffisante compte tenu de l’intérêt particulier, notamment en matière politique et sociale, des informations disponibles sur le site inaccessible. La Cour constate que « le contrôle juridictionnel du blocage de l’accès aux sites Internet ne réunit pas les conditions suffisantes pour éviter les abus : le droit interne ne prévoit aucune garantie pour éviter qu’une mesure de blocage visant un site précis ne soit utilisée comme moyen de blocage général » et conclut à la violation de l’article 10 Cedh[36]. La Cour considère plus généralement qu’ « Internet est aujourd’hui devenu l’un des principaux moyens d’exercice par les individus de leur droit à la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées : on y trouve des outils essentiels de participation aux activités et débats relatifs à des questions politiques ou d’intérêt public. (…) Par ailleurs, en ce qui concerne l’importance des sites internet dans l’exercice de la liberté d’expression, (…) grâce à leur accessibilité ainsi qu’à leur capacité à conserver et à diffuser de grandes quantités de données, les sites internet contribuent grandement à améliorer l’accès du public à l’actualité et, de manière générale, à faciliter la communication de l’information » (…) La possibilité pour les individus de s’exprimer sur Internet constitue un outil sans précédent d’exercice de la liberté d’expression ». Autre exemple, la Turquie a aussi été condamnée pour violation de la liberté d’expression à raison d’une décision en référé d’un tribunal de bloquer l’accès, depuis la Turquie, à un site internet dont le propriétaire était pénalement poursuivi pour outrage à la mémoire d’Ataturk. Or la mesure aboutissait à verrouiller l’accès aux autres sites hébergés par le serveur Google Sites, dont le site personnel du requérant, qui a donc obtenu gain de cause[37]. Bien évidemment, la Turquie n’est pas, loin s’en faut, le seul Etat mis en cause pour des blocages de sites, sur lesquels la Cour européenne exerce désormais un contrôle vigilant, au bénéfice de la liberté d’expression.

IV. Transformer les discours des acteurs 

En adoptant un regard transversal, le support et le contenu du discours des acteurs du droit constitutionnel sont transformés par le numérique. L’analyse approfondie du phénomène ne pourra se faire, à terme, sans un dépassement du droit positif et un croisement des disciplines, par exemple avec les enseignements de la sociologie institutionnelle et de la sociologie de la communication. Certains constats peuvent d’ores et déjà être dressés.

De manière générale, l’avènement du numérique impose une technicisation du discours des acteurs du droit constitutionnel.« Big data », « open data », « crowdsourcing », « tweet », « ubérisation », algorithme, autant de termes dont la présence dans une réflexion de droit constitutionnel était inimaginable il y a seulement dix ans. A titre d’illustration, les nombreuses questions prioritaires de constitutionnalité relatives à l’entreprise « Uber » ont nécessairement contraint le Conseil constitutionnel à analyser les dispositifs technologiques à l’origine du débat juridique et constitutionnel avec les chauffeurs de taxis. De même, les impératifs de sécurité numérique sont désormais omniprésents sur toutes questions touchant, par exemple, à la protection des données ou au vote électronique. Le règlement juridique de ces questions suppose avant tout de les comprendre, et implique donc pour le droit constitutionnel d’intégrer un aspect technologique à sa réflexion.

Le numérique a également transformé le rythme et l’impact de la communication politique. Grâce aux sites internet et aux réseaux sociaux, dont sont dotées désormais toutes les institutions de la République et tout homme ou femme politique, un système direct et décentralisé de production du message est désormais à l’œuvre. Par-delà le parti politique, sans devoir emprunter le filtrage des médias traditionnels, une institution ou un responsable politique peut s’adresser directement à un public extrêmement large. Le nombre exponentiel d’utilisateurs des réseaux sociaux, tout particulièrement chez les jeunes, dévoile tout le potentiel futur du numérique comme moyen principal d’information et d’échange sur la politique[38]. Les campagnes politiques sont dès lors particulièrement concernées par le numérique, à l’image de l’usage tout aussi choquant qu’efficace de son compte Twitter par le candidat Trump lors des dernières élections présidentielles aux Etats-Unis. La France connaît également l’effet à double tranchant de la réduction du débat politique à quelques signes, comme l’avait d’ailleurs laissé augurer dès 2012 un tweet de la compagne du Président de la République dans l’entre-deux tours des législatives.

On remarque également une évolution des rapports entre les pouvoirs publics liée à l’outil numérique[39], du fait de l’accélération et de la démultiplication des échanges publics, via des communiqués ou des tweets provenant des comptes officiels d’institutions (Elysée, Csa, Csm par exemple), comme certaines affaires récentes l’ont montré.

Signe d’une véritable évolution, il est plus surprenant de constater que les institutions juridictionnelles de la République développent de manière grandissante sur Internet et les réseaux sociaux un discours numérique, en marge de la décision de justice. Mise en ligne de commentaires officiels, dossiers thématiques, communiqués, notes d’information, sélections de décision, vidéos, mais également utilisation grandissante de Twitter et Facebook : le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation ne se contentent plus de motiver leurs décisions, ils communiquent. Le juge constitutionnel turc fait de même sur son site Internet, avec notamment des communiqués de presse sur la vie de l’institution ou les décisions importantes, des rapports annuels ou des dossiers thématiques Au-delà d’une adaptation évidente à la modernité visant à assurer une visibilité des institutions concernées, l’émergence de la communication institutionnelle des juges sur le réseau n’est pas sans risque. Outre l’inévitable effet déformant de toute communication, les juridictions pourraient se banaliser en renonçant totalement à l’autorité de leur silence, sans compter les risques de la personnalisation de la communication institutionnelles des juges par la mise en avant de leurs plus-hauts responsables. Sont ainsi révélatrices à cet égard les offensives institutionnelles menées par la Cour de cassation depuis fin 2015 grâce à une communication particulièrement intense sur le site Internet et le compte Twitter de l’institution. Le constat peut être élargie au cas de la Cour européenne des droits de l’homme, également connectée, et présente aussi bien sur Youtube que sur Twitter depuis 2015.

Enfin, le discours de la doctrine, de manière générale et en particulier en droit constitutionnel, s’est également transformé sous l’effet du numérique. Ce nouvel outil affecte en effet la pédagogie de l’enseignement ainsi que les méthodes de la recherche, au profit de la comparaison des droits[40], l’utilisation généralisée des bases de données, ou l’approfondissement des techniques numériques de recherche permettant l’exploitation du « big data ». Avec des perspectives prometteuses, mais peut-être, aussi, quelques effets pervers au regard des risques de réduire la part d’analyse et de critique au profit de la promotion de résultats exhaustifs et statistiques. La mise en valeur et la visibilité du discours doctrinal sont également concernées. Les revues électroniques et blogs juridiques se sont multipliés, les universitaires interviennent sur les sites Internet spécialisés et grand public. Les comptes Twitter et Facebook de la doctrine, individuels ou institutionnels, permettent de diffuser la connaissance, de promouvoir la recherche, ou plus largement de susciter l’intérêt de l’auditoire et en particulier des médias.

Les défis, on le voit, sont nombreux, et le numérique, loin de limiter ses effets à un monde virtuel, bouleverse les conditions dans lesquelles la science constitutionnelle se déploie, le droit constitutionnel s’élabore et produit ses effets, phénomènes qui touchent la Turquie comme les autres Etats confrontés à ce changement civilisationnel.


[1] « Le blocage arbitraire d’internet porte atteinte à la liberté d’expression », 26 septembre 2017( https://www. coe.int/be/web/commissioner/-/arbitrary-internet-blocking-compromets-freed-of-expression).

[2] Les auteurs tiennent à remercier le professeur Dominique Rousseau, le Conseil constitutionnel et les éditions Lextenso pour leur aimable autorisation d’avoir pu reprendre l’essentiel de la contribution suivante : J. Bonnet, P. Türk, « Le numérique : un défi pour le droit constitutionnel » in Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 57, 2017, p. 13 et s.

[3] Les taux de pénétration restent cependant variables : 81% dans les pays développés, 40% dans les pays en développement et 15% dans les pays les moins avancés, où persistent des zones de « désert numérique ».

[4] Voir statistiques établies par l’Uit, Eurostat et l’Unesco.

[5] P. Türk , « La souveraineté des Etats à l’épreuve d’Internet » in Rdp, n° 6, 2013, p. 1489.

[6] B. Barraud, Repenser la pyramide des normes à l’ère des réseaux, L’Harmattan, 2002.F. Ost et M. Van de Kerchove, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 2002.

[7] P. Türk et C. Vallar (dir.), La souveraineté numérique. Le concept, les enjeux, Mare&Martin, 2018.

[8] A. Blandin- Obernesser (dir.), Droits et souveraineté numérique en Europe, Bruylant, 2016 ; La souveraineté numérique, le concept, les enjeux, Mare&Martin, à paraître 2017 ; P. Bellanger, La souveraineté numérique, Stock, 2014.

[9] Soit Google, Apple, Facebook et Amazon, acronyme classique désormais, auxquels s’ajoutent Microsoft et les Natu, c’est-à-dire Netflix, Air Bnb, Telsa et Uber.

[10] « Démocratiser la gouvernance de l’Internet », Rapport d’information du Sénat, n° 696, 2014.

[11] B. Benhamou, « Architecture et Gouvernance de l’Internet » in Revue Esprit, mai 2006 ; J. Nocetti, « Internet, gouvernance et démocratie » in Politique étrangère, Vol 76, n° 4, 2011 ; A. Bamde, L’architecture normative du réseau Internet, L’harmattan, 2014.

[12] H. Oberdorff, La démocratie à l’ère numérique, Pug, 2010, 208 p ; T. Shulga-Morskaya, La démocratie électronique : une notion en construction, Thèse Bordeaux, 2017, 591 p. ; P. Türk , « La citoyenneté à l’ère numérique » in Rdp, n° 3, juin 2018.

[13] Voir conférence mondiale des Nations unies et de l’Union interparlementaire en 2012 sur l’utilisation des technologies du numérique au service des principes représentatif, de transparence, de responsabilité, d’efficacité et de lisibilité des travaux parlementaires.

[14] E. Sales, « La transformation de l’écriture de la Constitution, l’exemple islandais » in Nccc, n° 57, 2017, p. 45. Les experts de la commission de Venise ont souligné « l’attention particulière portée à la participation active des citoyens au processus constituant, y compris par le recours aux technologies de communication moderne », qui « a suscité beaucoup d’intérêt et d’enthousiasme au niveau interne et à l’échelle internationale », Conclusion de l’avis sur le projet de nouvelle constitution islandaise n° 702/2012 du 11 mars 2013.

[15] J. Bouissou, « Les sri-lankais rédigent leur nouvelle constitution sur internet », Le Monde, 1er février 2016.

[16] A. Vidal-Naquet, « La transformation de l’écriture de la loi : l’exemple de la loi pour une République numérique » in Nccc, n° 57, 2017.

[17] A. Lepage, L’opinion numérique : Internet, un nouvel esprit public, Dalloz, 2006 ; L. Sheer, La démocratie virtuelle, Flammarion, 1993.

[18] Espaces participatifs de contribution aux travaux de commission d’enquête, Cf. commission d’enquête du Sénat sur la compensation des atteintes à la biodiversité, en 2017, ou sur le détournement du crédit d’impôt recherche de son objet, en 2015.

[19] L’expérience française, au sein des assemblées, montre aussi que les appels à contributions citoyennes suscitent surtout l’intérêt de citoyens dont les profils type peuvent être identifiés : spécialistes, experts ayant un avis déjà forgé, souvent critique ; personnes qui témoignent subjectivement d’une expérience personnelle ; employés de groupes d’intérêts rémunérés pour exercer une veille législative et une activité de lobbying.

[20] L’âge, la catégorie socio-professionnelle et la situation géographique sont à cet égard des discriminants de l’investissement en matière de démocratie numérique.

[21] A. Garapon, « Les enjeux de la justice prédictive » in JcpG, 2017, n° 1, p. 47 ; B. Dondero, « Justice prédictive : la fin de l’aléa judiciaire ? », Dalloz, 2017, n° 10, p. 532.

[22] F. Poulet, « La justice administrative de demain selon les décrets du 2 novembre 2016. Quelles avancées. Quels reculs ? » in Ajda 2017, p. 279.

[23] Rapport du Conseil de l’Europe, « L’utilisation des technologies de l’information dans les tribunaux en Europe », Etudes de la Cepej, n° 24, 2016.

[24]Droit à l’autodétermination informationnelle, droit d’accès à internet, droit à l’oubli ou au déréférencement par exemple, voir « Les Métamorphoses des droits fondamentaux à l’ère du numérique » in Revue Politeia, numéro 31, 2017, p. 157 à 287 ; C. Paul et C Ferhal-Schuhl, « Numérique et libertés, un nouvel âge démocratique », rapport n° 3119, octobre 2015 ; Etude annuelle du Conseil d’Etat, « Le numérique et les droits fondamentaux », Doc. Fr. 2014.

[25] C. Const., n° 2015-468/469/472 Qpc du 22 mai 2015, Société Uber France sas et autres.

[26] E. Geffray, « Droits fondamentaux et innovation : quelle régulation à l’ère numérique ? » in Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 52, 2016, p. 7.

[27] I. Falque Pierrotin, « La constitution et l’Internet » in Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel,
n° 36, 2012, p.37.

[28] C. Const., 2009-580 Dc, 10 juin 2009, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, L. Marino, « Le droit d’accès à l’internet, nouveau droit fondamental », Dalloz, Sirey, 10 septembre 2009, p. 2045.

[29] C. Const., 2010-45 Qpc, 6 octobre 2010, M. Mathieu P ; C. Const., 2013-370 Qpc, 28 février 2014, M. Marc S. et autre ; C. Const., 2014-395 Qpc, 7 mai 2014, Fédération environnement durable et autres.

[30] Sur ces enjeux, Cf. « Redécouvrir le préambule de la Constitution », Rapport du Comité présidé par Simone Veil, La documentation française, 2009, p. 69.

[31] C. Const., 2015-713 Dc, 23 juillet 2015, Loi relative au renseignement ; E. Derieux, « Vie privée et données personnelles-Droit à la protection et « droit à l’oubli » face à la liberté d’expression » in Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 48, 2015, p. 21. D. Dechenaud, Le droit à l’oubli numérique : données nominatives, approches comparées, Larcier, 2015.

[32] Cjue, 6 octobre 2015, affaire C 362/14, Maximilian Schrems / Data Protection Commissione ; Cjue, 14 mai 2014, C 131-12 Google Spain SL et Google Inc. contre Agencia Española de Protección de Datos (Aepd) et Mario Costeja González ; Cjue, 8 avril 2014, C. 293-12 Digital Rights Ireland Ltd contre Minister for Communications, Marine and Natural Resources et autres et Kärntner Landesregierung.

[33] Voir, dans un contexte de transfert et de stockage extra-territorialisé des données, les enjeux en termes de souveraineté et d’équivalence des protections du Microsoft Ireland case, Cf. United States Court of Appeals for the Second Circuit, 14 juillet 206, Microsoft Corp. v. United States.

[34] Pour une revue de la jurisprudence utile, voir S. Turgis, « Strasbourg à l’ère du numérique : la pratique développée par la Cour européenne des droits de l’homme autour de l’accès au droit par internet » in Rtdh,
n° 96/2013, p. 755 ; N . Le Bonniec, « La Cour européenne des droits de l’homme face aux nouvelles technologies de l’information et de la communication numériques » in Rdlf, 2018, Chron 5.

[35] Recommandation du Comité des ministres aux Etats membres sur la liberté d’internet du 16 avril 2016 (CM/Rec(2016)5).

[36] Cedh 1er décembre 2015 Cenzig et a. / Turquie, req. n° 48226/10.

[37]Cedh 18 décembre 2012 Ahmet Yildirim / Turquie, req. 3111/10.

[38] J. Boyadjan, Analyser les opinions politiques sur internet : enjeux théoriques et défis méthodologiques, Dalloz, 2016 ; V. Serfaty, L’internet en politique : des Etats-Unis à l’Europe, Collection Sociologie politique européenne, 2003.

[39] E. Sales (dir.), Le numérique au service du renouvellement de la vie politique, Institut Universitaire Varenne, 2018.

[40] V. par ex. constituteproject.org, ipu.org.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

L’eau & la forêt : pistes pour une interaction en droit international (par Raphaël Maurel)

Voici la 12e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 10e livre de nos Editions dans la collection dite verte de la Revue Méditerranéenne de Droit public publiée depuis 2013.

L’extrait choisi est celui de l’article de M. Raphaël Maurel dans l’ouvrage L’Arbre, l’Homme & le(s) droit(s).

Cet ouvrage est le dixième issu de la collection
« Revue Méditerranéenne de Droit Public (RM-DP) ».

Volume X :
L’Arbre, l’Homme
& le(s) droit(s)

ouvrage célébrant le 65e anniversaire
de la parution de L’Homme qui plantait des arbres
de Jean Giono & réalisé en hommage
au professeur Jean-Claude Touzeil.

Nombre de pages : 374
Sortie : avril 2019
Prix : 39 €

-ISBN  / EAN :
979-10-92684-34-6 / 9791092684346

-ISSN :
2268-9893

L’eau & la forêt :
pistes pour une interaction
en droit international

Raphaël Maurel
Doctorant en droit international public,
Université Clermont Auvergne,
membre du Centre Michel de l’Hospital 

(cmh – ea 4232), Collectif l’Unite du Droit[1]

La présente contribution s’insère dans une thématique générale originale, voire provocatrice pour le juriste : « Un droit à l’eau pour les arbres ? ». Se poser cette question semble, de prime abord, revenir à admettre l’hypothèse selon laquelle l’arbre serait doté d’une forme de personnalité juridique, laquelle lui permettrait de disposer en son nom-propre d’un certain nombre de droits – ici, celui d’accéder à une eau suffisamment saine pour que son développement soit assuré. Cette possibilité juridique n’est pas admise en droit français, mais n’est pas exclue, s’agissant des forêts, dans d’autres ordres juridiques[2]. Elle ne constitue néanmoins pas la seule manière d’envisager une éventuelle interaction entre ces deux éléments dans l’ordre juridique international, laquelle serait fondée sur le lien biologique existant entre eux.

La forêt, dont la définition ne se réduit pas à une somme d’arbres mais évoque un écosystème complet, est regardée, dans la culture populaire comme scientifique, comme un élément vital pour l’Homme. Certaines croyances vont par ailleurs jusqu’à voir dans l’arbre et la forêt des objets ou êtres vivants sacrés[3], devant bénéficier d’une protection maximale. Outre la contribution des arbres à la transformation du CO2 en oxygène, dont il n’est pas indispensable de rappeler la nécessité pour l’homme, la communauté scientifique considère tout aussi unanimement que la forêt est essentielle à la préservation d’une eau saine[4]. Cette dernière étant également un impératif vital pour l’Homme, un dispositif de protection s’impose logiquement – tel est le sens des actions menées, par exemple, en faveur de la protection de la forêt de Marsabit, au Kenya[5]. Si un lien scientifique existe donc entre l’eau et la forêt, les liens juridiques entre protection de la forêt et droit à une eau saine – c’est-à-dire, principalement, non polluée[6] – ne sont pas clairs, voire sont inexistants. Cette contribution propose ainsi d’analyser succinctement, sous l’angle du droit international et en assumant un angle prospectif, les liens possibles entre ces deux objets juridiques si distincts mais si biologiquement proches, afin de déterminer si un schéma de protection commun pourrait se dessiner et dans quelle mesure la forêt pourrait jouir d’un « droit à l’eau ».

Le droit international relatif à l’eau et le droit international relatif à la forêt, pour autant que ce dernier existe en droit positif[7], relèvent tous deux de l’ensemble « droit de l’environnement » et leurs objets sont identifiés comme des ressources autonomes à protéger. Malgré cela, les deux domaines sont matériellement distincts. Des liens sont donc à tout le moins envisageables en droit positif. Mais sont-ils souhaitables ? En d’autres termes, est-il réellement utile de rechercher l’existence de tels liens et, s’ils font défaut, est-il souhaitable de chercher à les établir ? Nicolas Haupais souligne, à propos de l’étude du paysage en droit international, que « ce qui peut souvent arriver de mieux à un paysage, c’est qu’on ne se préoccupe pas de lui. Peut-être qu’une protection internationale n’aboutit en réalité qu’à une protection platonique, ineffective[8] ». Assurément, l’étude des interactions possible entre l’eau et la forêt est également un « tout petit sujet du droit international[9] » ; mais l’évolution de l’humanité et ses conséquences sur son environnement naturel et vital font qu’il devient essentiel de se préoccuper de la forêt. Si le droit international protège de plus en plus l’eau, ou plutôt la relation de l’Homme avec l’eau, en particulier au sein des systèmes régionaux de sauvegarde des droits de l’Homme, il n’est pas déraisonnable d’imaginer un régime juridique visant à garantir l’existence d’une ressource tout aussi vitale : la forêt. Plus encore et sans verser dans un discours militant pour autant, une telle démarche pourra apparaître utile aux yeux de ceux qui estiment, dans un contexte de déforestation croissante et d’émergence du sujet sur la scène médiatique internationale[10], qu’il est urgent de mieux protéger la forêt et qui rechercheront des arguments juridiques susceptibles d’être mobilisés à cet effet.

Pour développer ces éléments, l’on peut commencer par analyser l’émergence parallèle de normes relatives à l’eau et à la forêt pour en distinguer les différences structurelles et dénominateurs communs : c’est en effet de la recherche des éventuelles interactions existantes qu’il faut partir (I). Ce n’est qu’ensuite qu’il sera possible d’aborder quelques options juridiques, esquissées plus haut, qui pourraient ouvrir la voie à une interaction plus importante entre ces deux objets vitaux pour la planète – et l’Homme (II).

I. La distinction de l’eau et de la forêt en droit international

La protection de l’eau (A) et celle de la forêt (B) constituent, en droit international, deux objectifs bien distincts dont il est intéressant de retracer les grandes lignes. C’est en tentant de reconstituer sur un plan historique le développement des normes internationales relatives à ces deux éléments – au sens physique – que l’absence d’interaction entre eux apparaît de manière évidente.

A. Le droit international relatif à l’eau,
une branche du droit des espaces à vocation économique

La recherche d’une définition de l’eau en droit international conduira d’abord le néophyte à une surprise. L’on serait à première vue enclin à distinguer deux « types » d’eau. L’eau de mer d’une part, dont on ne doute pas qu’elle relève au moins en partie du droit international, en particulier au regard des débats autour des drames en cours sur la Méditerranée qui amènent à affirmer que « [l]a mare nostrum est devenue mare mortum[11] ». L’eau douce ou intérieure d’autre part, désignant les rivières, fleuves ou lacs situés dans les terres. Pourtant, la réalité du droit international est bien plus complexe. Le droit de la mer, largement codifié par la Convention de Montego Bay de 1982[12], prévoit des zones sous souveraineté nationale et diverses zones spécifiques à côté de la « haute mer » qui, seule, jouit réellement d’un statut international. Le régime des eaux intérieures n’est pour sa part pas uniforme ; par exemple, certains lacs internationaux jouissent d’un statut particulier, à l’instar de certains fleuves[13]. Le dictionnaire de droit international dirigé par Jean Salmon ne recense ainsi pas moins de dix-sept catégories d’eaux en droit international[14]. Si certaines se recoupent, d’autres catégories revêtent plusieurs sens[15].

Le droit international relatif à l’eau – ou plutôt aux eaux – apparaît donc multiple et complexe. Toutefois, une unité rassemble les règles qui le composent : au-delà du fait qu’il s’agit de droits des espaces, ces règles ont essentiellement été dégagées dans une perspective économique. Les grands principes juridiques régissant ces espaces s’articulent en effet autour de la liberté de navigation, de la liberté de pêche ou encore de l’exploitation des ressources telles que le gaz ou le pétrole. Il en ressort que l’eau est avant tout considérée comme une route – commerciale – en droit international et en relations internationales. Le fait que l’expression « fleuve international » ait été remplacée par celle de « voie d’eau internationale » dans la Convention de Barcelone de 1921, pour ne prendre que cet exemple, est l’une des manifestations de cette réalité[16]. Même la lutte contre la piraterie, source d’antiques règles coutumières en mer[17], peut être analysée comme nécessaire au bon déroulement des relations commerciales.

Néanmoins, les considérations modernes relatives à la pollution des eaux ont invité les Etats à repenser cette branche de droit sous l’angle environnemental[18], incluant par la même occasion dans le spectre d’analyse le droit international économique et relatif aux entreprises multinationales. Encore plus récemment et au-delà des questions de navigation et d’environnement, un « droit international de l’eau » a même pu être identifié comme grille d’analyse des systèmes de protection de l’eau en tant que ressource[19]. Le droit international relatif à l’eau a donc, ces deux derniers siècles, très largement évolué dans un sens qui permet aujourd’hui d’envisager une relation juridique avec la protection de la végétation, ressource naturelle elle aussi menacée – par exemple par la pollution. Pourtant, la doctrine ne fait jusqu’ici pas le lien entre forêt et eau.

Une évolution notable de la substance de la prise en compte de l’eau en droit international est enfin à l’œuvre depuis quelques décennies. D’une part, les Etats ont, dans le cadre du droit international du patrimoine, élaboré des règles protégeant non pas l’eau (de mer) elle-même, mais ce qu’elle contient[20]. Ensuite et surtout, l’on peut constater le développement récent d’un « droit à l’eau », considéré comme un droit économique et social de l’homme, fondé sur le fait que l’eau potable est un besoin vital pour l’Homme[21]. Ce droit, dont les prémices remontent aux années 1970[22], relève pour l’instant majoritairement du registre déclaratoire[23], malgré sa mention anecdotique au sein de quelques conventions relatives aux droits de l’homme[24] et, parfois, sa consécration en droit interne – par la loi ou plus rarement en tant que norme constitutionnelle comme en Egypte[25], en Rdc[26] ou dans une dizaine d’autres Etats[27]. La jurisprudence internationale est aussi, parfois, amenée à connaître de la question. Dans une affaire portée devant le Centre international de règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi), le Tribunal arbitral a ainsi ouvert la voie à une reconnaissance du droit à l’eau en tant que principe général du droit international[28]. Pour sa part, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a considéré en 2010 que le droit à l’eau en quantité suffisante et en qualité adéquate constituait un élément du droit à la vie digne, protégé par la Convention américaine relative aux droits de l’homme de 1969[29]. Ces reconnaissances, qui se multiplient à mesure que les problématiques liées à l’accès à l’eau s’accélèrent, laissent à penser que cet ensemble normatif prend progressivement de l’ampleur et constituera sans doute, dans l’avenir, une branche incontournable du droit international.

Nonobstant cette indéniable évolution récente vers un droit à l’eau, le droit international relatif à l’eau reste très majoritairement, quantitativement, un droit de l’eau empreint de considérations économiques. Cela ne doit pas étonner, puisque malgré la prise en compte de l’impact néfaste de l’Homme sur l’eau et l’action normative en découlant, environ 90% des échanges commerciaux physiques passent aujourd’hui par la mer[30].

B. Le droit international forestier,
un projet normatif lié au droit de l’environnement

A l’inverse de l’eau, la forêt ne peut se prévaloir d’une longue tradition de droit international la concernant.

Comme le résume Stéphane Doumbe-Bille : « [s]chématiquement, on peut dire que jusqu’à la conférence de Rio en 1992, il n’y avait rien ; qu’après Rio il y a bien peu[31] ». S’il est vrai que la Conférence des Nations unies pour l’environnement et le développement, tenue à Rio en 1992, a marqué un tournant dans la conception internationale de la forêt, ses conséquences sont relativement décevantes.

Avant 1992, plusieurs instruments mentionnaient la forêt, d’abord en la protégeant par (lointain) ricochet comme habitat d’espèces sauvages visées par accord[32]. Mais la forêt était toujours évoquée ou protégée de manière accessoire, à l’occasion de l’adoption d’un instrument dédié à une problématique spécifique différente[33]. En d’autres termes, la forêt n’avait pas d’existence autonome en tant que notion juridique objet d’un régime international spécifique, à la différence de la mer ou du fleuve. Il faut néanmoins mentionner l’existence de plusieurs accords internationaux sur les bois tropicaux[34], dont le premier est antérieur à 1992. Ceux-ci concernent principalement le bois sous un angle commercial et non l’écosystème général de la forêt ; un point commun peut ici être identifié avec le droit international relatif à l’eau. Certains auteurs analysent d’ailleurs la forêt sous un angle exclusivement économique, rappelant que « les forêts sont d’abord des richesses économiques et géostratégiques, en particulier parce qu’elles produisent l’« or blanc » qu’est le papier, matière première support de l’information mondiale[35] ». Mais il serait aventureux de se contenter d’une analyse économique de la forêt, celle-ci étant en réalité principalement évoquée sous l’angle du développement durable.

A la suite de la Conférence de Rio, la question de la forêt a été à l’ordre du jour d’autres Conférences internationales relatives à l’environnement, comme celles de Kyoto en 1998 et de Johannesburg en 2002. Ces « événements, tout en n’aboutissant qu’à des déclarations sur les forêts et non à un véritable droit international forestier, ont influencé radicalement la perception et les pratiques forestières, au Nord comme au Sud, au point d’entraîner des modifications sensibles dans les législations nationales[36] ». La doctrine s’accorde ainsi pour dire que le droit international forestier est né en 1992 avec Rio[37], sans toutefois s’accorder réellement sur sa valeur ni son contenu. Du point de vue du droit positif, quand bien même elle aurait invité les Etats à adopter des législations protectrices, la Déclaration de Rio n’est pas contraignante et n’a pas été objectivement suivie de conventions à ce propos – malgré l’inclusion des perspectives de développement durable dans les deux derniers accords sur les bois tropicaux. Dans la mesure où la Déclaration n’a pas été suivie de conventions créant des obligations claires, il faut admettre que le droit international forestier demeure, à l’heure actuelle, un projet normatif composé de la somme des normes – contraignantes ou non – relatives aux forêts collectées dans d’autres traités. Comme le relève un auteur précité, ces instruments se concentrent « sur des aspects thématiques tels que : le commerce international du bois et des produits forestiers, le changement climatique, l’érosion des sols, la désertification, etc. Les aspects clés devant concourir à la protection de la diversité biologique et forestière sont occultés. La divergence des intérêts et le manque de volonté politique n’ont pas permis aux gouvernements d’adopter un instrument juridique contraignant pour assurer la protection internationale des forêts[38] ». La Déclaration de New York sur les forêts, adoptée en 2014 en prévision de la COP21, n’a pas fondamentalement changé la donne[39].

D’un autre côté, les forêts peuvent incidemment, en tant que composantes de l’environnement, être protégées par certains systèmes régionaux de protection des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme offre ainsi une protection de l’environnement par ricochet, par l’intermédiaire du droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 de la Convention)[40]. Si cette protection a des limites, la Cour a eu l’occasion, dans l’affaire Kyrtatos c. Grèce, de préciser qu’une violation de l’article 8 aurait pu être retenue « si, par exemple, les dommages à l’environnement dénoncés avaient occasionné la destruction d’une zone forestière à proximité de la maison des requérants, situation qui aurait pu affecter plus directement leur propre bien-être[41]». La forêt semble ainsi jouir d’une protection plus importante qu’un marais – quand bien même celui-ci accueillerait des espèces protégées – sous l’angle de l’article 8, ce qui ne paraît pas, au regard de la jurisprudence de la Cour, d’une logique incontestable[42]. Cette solution est néanmoins totalement centrée sur l’homme, et non sur la forêt.

Il ressort de ces éléments que la forêt n’est que très peu protégée en droit international. L’eau, quant à elle, fait d’une part l’objet d’un nombre bien plus important de normes – dont la plupart ne la protège pas mais régule son utilisation dans des buts économiques –, et, d’autre part bénéficie d’une protection supérieure, bien que cette dernière soit souvent relative à ce qui se trouve dans l’eau et non à l’eau elle-même.

II. Pour la reconnaissance d’un lien juridique entre l’eau et la forêt en droit international

Dans ce second temps plus prospectif, il s’agit de rechercher, sur la base des éléments dégagés jusqu’ici, si un lien entre l’eau et la forêt serait susceptible de garantir une meilleure protection de la forêt, et plus spécifiquement un droit à l’eau pour la forêt. Ce lien ne saurait, à première vue, être d’emblée juridique, sans quoi il existerait probablement déjà : il est d’abord nécessairement logique. Néanmoins, l’existence d’un lien entre ces éléments peut entraîner des conséquences juridiques ; ce sont celles-ci qui sont recherchées. A cet égard, il est possible de réfléchir successivement aux conséquences de la reconnaissance d’un lien analogique (A) puis téléologique (B) entre la protection de l’eau et la protection de la forêt en droit international.

A. Première piste : l’analogie entre protection de l’eau et protection de la forêt

Cette première piste repose sur une idée simple : la forêt, comme l’eau, devrait être reconnue comme une res communis ou une res nullius de l’humanité et être protégée à ce titre.

L’Assemblée du Conseil de l’Europe considère de longue date que l’eau « est, juridiquement, res communis[43] », c’est-à-dire un objet ou un bien ne pouvant faire l’objet d’une appropriation. Si une telle solution a également été plaidée à l’égard des animaux[44], dans le discours doctrinal actuel, seuls la mer, l’espace extra-atmosphérique et l’Antarctique sont considérés comme res communis[45]. L’eau terrestre est plutôt considérée comme res nullius, c’est-à-dire comme une partie détachable et exploitable de la res communis, car son utilisation implique une forme d’appropriation – via des bassins hydrauliques par exemple –, même si cette qualification ne fait pas l’unanimité[46] et que la mer elle-même est parfois considérée comme une res nullius en devenir[47]. Sans entrer dans le détail de considérations techniques ou historiques quant à ces notions, il suffit de constater que tant ce statut que celui de res nullius permet une protection – dont l’efficacité est certes contestable, mais une protection tout de même. Il faut cependant reconnaître qu’il est difficile, sur le plan logique, d’étendre l’une ou l’autre qualification à la forêt par analogie : celle-ci peut en réalité être appropriée, sur le plan physique, ce qui est plus difficile pour la mer. La notion de patrimoine commun pourrait alors être utilement invoquée ; celle-ci, en effet, « repose davantage sur une volonté commune d’empêcher toute appropriation privative, que sur une impossibilité d’appropriation de fait[48] ». Tel est le cas des forêts classées et protégées par le Comité du patrimoine mondial de l’Unesco[49]. Ce régime n’empêche pas la déforestation massive par ailleurs : un régime universel est nécessaire. Il apparaît en outre que la notion de « patrimoine » est, dans le discours médiatique et du droit international, trop souvent associée à des éléments importants mais non indispensables à la survie de l’espèce humaine. Or, la forêt, au même titre que l’eau et l’air, lui est absolument vitale.

La notion de « bien commun », inexistante en droit international, est parfois utilisée dans un sens voisin au niveau national. Tel est par exemple le cas au Brésil, où la forêt est considérée par la loi, depuis les années 1930, comme un « bien commun de tous les habitants du pays[50] ». Mais ce statut semble aujourd’hui bien insuffisant : il suffit d’observer l’accélération de la déforestation de la forêt amazonienne brésilienne pour s’en convaincre. Le lien avec le manque d’eau potable dans le pays, rapporté par les médias, est connu : la déforestation accélère le dégagement de CO2 et la pollution, et en conséquence, l’effet de serre, et la sécheresse[51]. La situation, dont les prises de position du nouveau Président ne font que suggérer qu’elle devrait empirer[52], est telle que la solution ne semble plus être qu’internationale. En effet, au-delà d’une hypothétique ingérence environnementale internationale voire d’une intervention armée à laquelle le Brésil semble être préparé depuis des années, l’Etat « craint également que, sur le modèle de l’Antarctique, l’Amazonie ne soit internationalisée, au nom de sa préservation[53] ».

La notion de bien commun propre à certains droits internes ne semble donc pas toujours satisfaisante ni suffisante à protéger la forêt. La notion de « bien public » récemment utilisée en Slovénie pour constitutionnaliser le caractère non marchandisable de l’eau ne semble, à cet égard, pas plus permettre d’éviter ces possibles travers[54]. Par analogie avec l’eau, une qualification de res communis ou de res nullius, bien que partiellement insatisfaisante, ouvrirait probablement la voie à une protection plus importante de la forêt. Une telle analogie ne semble pas inenvisageable au niveau international, même si la démarche privilégiée par la Déclaration de Rio est l’absence d’internationalisation[55]. Il arrive fréquemment que les Etats associent eux-mêmes l’eau et la forêt lorsqu’il est question de ressources à protéger. La position officielle du Canada révèle ainsi que « [l]’eau à l’état naturel peut se comparer à d’autres ressources naturelles comme les arbres de la forêt, les poissons dans la mer ou les minéraux du sol. Même si toutes ces choses peuvent être transformées en articles commerciaux par la récolte, la pêche ou l’extraction, elles demeurent, jusqu’à ce que cette étape cruciale soit franchie, des ressources naturelles[56] ».

Mais quand bien même le statut de ressources naturelles serait accompagné d’un dispositif juridique suffisamment protecteur pour garantir que les forêts – ou plutôt certaines forêts – disposent d’une eau saine, le raisonnement par analogie a ses limites : s’il peut permettre une protection renforcée de la forêt, il n’apparaît pas en mesure de lui garantir un « droit à l’eau ».

B. Deuxième piste :
le lien téléologique entre la protection de l’eau et la protection de la forêt

Une deuxième piste peut être suivie à partir d’une autre proposition, selon laquelle la finalité d’un droit peut amener à protéger un autre objet. Alors que la consécration d’une protection par analogie ne constitue finalement qu’une faible interaction intellectuelle entre les deux objets « eau » et « forêt », un raisonnement téléologique implique une interaction logique plus avancée. Ainsi peut-on envisager l’hypothèse selon laquelle la finalité du droit à l’eau pourrait impliquer un droit de la forêt à l’eau.

Cette perspective part du constat selon lequel la finalité du droit à l’eau est de garantir l’existence du vivant. Or, l’arbre, composante de la forêt, est un être vivant ; tout comme les végétaux et les animaux qui y vivent – soit l’intégralité de ses composantes à l’exception des minéraux. Il n’y alors qu’un pas à franchir pour admettre que la forêt peut être considérée comme un être vivant. Dans ce cas, l’attribution d’une personnalité juridique pourrait lui permettre…d’exiger une eau saine en son nom propre.

Sans aller jusqu’à une personnification complète, tel est d’ores et déjà le cas s’agissant d’autres êtres vivants. Des accords prévoient ainsi que certains animaux ont droit – ou devraient avoir droit – à une eau saine. Ainsi le Conseil de l’Europe a-t-il estimé dès les années 1980 que « [t]ous les animaux devraient disposer en permanence d’eau potable non contaminée. L’eau est un vecteur de micro-organismes, et c’est pourquoi elle devrait être fournie de façon à minimiser les risques de contamination[57] ». Sans refléter une bienveillance angélique excessive à l’égard des animaux, puisqu’il s’agit d’animaux destinés à la recherche expérimentale, ces lignes directrices fixent un cadre non contraignant qui a pu être repris et renforcé par l’Union européenne. La directive 2010/63/EU prévoit en effet que « [t]ous les animaux doivent disposer en permanence d’eau potable non contaminée[58] ». Bien que ces dispositions s’inscrivent dans le cadre de la recherche scientifique et visent essentiellement à garantir sa qualité, elles pourraient être étendues à l’activité – au moins scientifique – en forêt et constituer la base d’une obligation contraignante de ne pas polluer les eaux qui y coulent.

La seconde hypothèse, plus engageante sur le plan philosophique, est d’accorder une personnalité juridique aux arbres – ce qui pourrait fonder un droit propre à l’eau. Celle-ci n’est pas nouvelle. Dès 1972, le désormais célèbre article de Christopher D. Stone le proposait déjà[59]. Si la proposition a été reprise en France par Jean-Pierre Marguenaud à propos des animaux[60], la doctrine a globalement envisagé la question sous l’angle axiologique voire politique plutôt que sous l’angle de la technique juridique[61]. Pourtant, à « la lecture des arguments de ces deux auteurs, force est de constater qu’il ne demeure pas d’obstacle juridique décisif à la reconnaissance de la personnalité juridique des animaux ou de l’environnement. Le choix apparaît bien davantage moral et philosophique que strictement juridique[62] ». Certains Etats ne s’en sont d’ailleurs pas privés. La Constitution de l’Equateur dispose non seulement que « [n]ature shall be the subject of those rights that the Constitution recognizes for it[63] », mais prévoit en outre un chapitre 7 intitulé « droits de la nature » selon lequel « [n]ature, or Pachamama, where life is reproduced and occurs, has the right to integral respect for its existence and for the maintenance and regeneration of its life cycles, structure, functions and evolutionary processes[64] ». La nature dispose enfin d’un droit à la « restauración », que l’on peut traduire par un droit à la restauration ou à la régénération en cas d’atteinte[65]. Plus récemment, la Nouvelle-Zélande a légiféré pour accorder la qualité d’être vivant et une personnalité juridique à un fleuve sacré : « Te Awa Tupua is a legal person and has all the rights, powers, duties, and liabilities of a legal person[66] ». La solution s’est ensuite étendue à l’Inde, cette fois-ci par l’intermédiaire jurisprudentiel : « [l]es suites furent retentissantes : le Gange, et son affluent la Yamuna, sont dorénavant des entités juridiques vivantes qui ont « les mêmes droits que les êtres humains », tout comme les glaciers de l’Himalaya Gangotri et Yamunotri, sources de ces deux fleuves sacrés[67] ».

Même si la décision de la High Court[68] a été suspendue par la Cour Suprême indienne en attendant une solution au fond[69], d’autres exemples montrent que de telles solutions se répandent peu à peu à travers le monde[70].

Techniquement, la possibilité anthropomorphique[71] d’accorder à la forêt une person-nalité juridique lui permettant de jouir de droits n’est donc pas iconoclaste, même si les systèmes européens ne sont pas coutumiers de ces choix basés, au moins en partie, sur des orientations religieuses ou des croyances. Dans les trois cas mentionnés, la nature ou le fleuve jouissaient en effet d’un statut sacré que le droit positif est venu confirmer – ou consacrer. Toutefois, il est loisible de se demander si l’Homme ne devrait pas plus « croire » dans la nature et admettre que, biologiquement, il a un besoin vital qu’elle demeure saine. Une reconnaissance d’une personnalité juridique à la forêt lui permettrait alors d’exiger, par la voie de gardiens – peut-être les gardes champêtres en voie de disparition depuis 1958 en France ? – une eau saine pour son développement, et par ricochet la bonne santé de l’humanité.


[1] L’auteur remercie chaleureusement Mmes Marie Duclaux de l’Estoille, María Lorenzo Martinez, M. le Professeur Valère Ndior et M. Sacha Robin pour leurs relectures attentives et leurs suggestions.

[2] Voir infra, II.B.

[3] Hayao Miyazaki s’est d’ailleurs inspiré de ces croyances dans ses œuvres, en particulier pour réaliser la forêt de Princesse Mononoké (Studio Ghibli, 1997). Il n’est pas anodin, à ce propos, que Miyasaki se soit déclaré admiratif du travail de Frédéric Back…réalisateur du court-métrage oscarisé L’homme qui plantait des arbres (1987). Voir sur ce point Fournier Mauricette, « La forêt de Princesse Mononoké d’Hayao Miyazaki : une contribution poétique à la prise de conscience environnementale » in Decaulne Armelle (dir.), Arbres et Dynamiques, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2013, p. 203 et s.

[4] La forêt permet une infiltration complète des eaux de pluie, le stockage d’autres types de précipitations comme le brouillard ; elle est également essentielle à la préservation et à la stabilité des sols des bassins versants.

[5] L’Agence Française de Développement finance ainsi un ambitieux projet visant à fournir aux habitants de la région des points d’eau potable à l’extérieur de cette forêt, qui est la principale source d’eau, et à les inciter à économiser ses ressources en bois. Voir l’exposé du projet sur le site de l’organisme : https://www.afd.fr/fr/kenya-quand-la-foret-veille-sur-leau.

[6] Le choix de définir une eau « saine » comme une « eau non polluée » peut naturellement faire débat. Par commodité, cette équation schématique sera retenue malgré la conscience que la question est éminemment plus complexe, notamment au regard des sciences de la terre.

[7] Voir infra, I.B.

[8] Haupais Nicolas, « Le paysage du droit international public » in « Cependant, j’ai besoin d’écrire… ». Liber Amicorum en l’honneur de Serge Sur, Paris, Pedone, 2014, p. 121.

[9] Idem.

[10] En particulier, l’élection du Président brésilien Jair Bolsonaro en 2018 suscite de vives inquiétudes quant à l’avenir des forêts brésiliennes, dont la destruction pourrait s’accélérer. Voir infra, note 52.

[11] Miron Alina, Taxil Bérangère, « Requiem pour l’Aquarius. Les sauvetages en mer, entre instrumentalisation et criminalisation », La Revue des droits de l’homme, n°15, 2019, §1. Consultable en ligne à l’adresse : http://journals.openedition.org/revdh/5941.

[12] Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, Montego Bay, 10 décembre 1982, Rtnu, vol. 1834, 1994, p. 36.

[13] Voir par exemple Cazala Julien, « Le droit international de l’eau et les différends relatifs au Tigre et à l’Euphrate » in Boisson de chazournes Laurence, Salman Mohamed Ahmed, Les ressources en eau et le droit international, Académie de droit international, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2005, p. 544 et s.

[14] Salmon Jean (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 404, entrée « Eaux ». Par exemple : eaux adjacentes, eaux archipélagiques, eaux de surface, eaux douces, eaux intérieures de surface, eaux neutres, eaux surjacentes, eaux transfrontières…

[15] Par exemple, les eaux superficielles sont des eaux de surface ; mais les eaux surjacentes peuvent revêtir plusieurs sens.

[16] Voir sur ce point Daillier Patrick, Forteau Mathias, Pellet Alain, Droit international public (Ngyuen Quoc Dinh †), Paris, Lgdj, 8e éd., 2009, p. 1370.

[17] La criminalisation de la piraterie en mer serait intervenue sous l’Empire romain ; voir Sestier Jules M., La piraterie dans l’Antiquité, Paris, Librairie de A. Marescq ainé, 1880, p. 276 ; Senly André, La piraterie, Paris, Arthur Rousseau Editeur, 1902, p. 23.

[18] Aurescu Bogdan, Pellet Alain (dir.), Actualité du droit des fleuves internationaux, Paris, Pedone, 2010.

[19] Sfdi, L’eau en droit international. Colloque d’Orléans, Paris, Pedone, 2011 ; Brown Weiss Edith, « The Evolution of International Water Law », Rcadi, 2007, vol. 331, p. 163 et s.

[20] Voir par exemple la Convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique, Paris, 6 novembre 2001, Unesco, Conférence Générale, 31e session, doc. 31 C/64 du 31 octobre 2001, et à son propos Scovazzi Tullio, « La Convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique », AFDI, vol. 48, 2002, p. 579. La France, qui est considérée comme un expert mondial en matière de protection du patrimoine culturel subaquatique, ne l’a ratifiée qu’en 2013. Certaines de ses réticences, liées à une interprétation selon laquelle certaines protections entreraient en contradiction avec les grandes libertés garanties par la Convention de Montego Bay, sont partagées par de nombreux Etats, puisque seuls 60 Etats sont Parties à cet instrument en janvier 2019. Voir également BORIES Clémentine, « La protection du patrimoine culturel subaquatique » in Forteau Mathias, Thouvenin Jean-Marc, Traité de droit international de la mer, Paris, Pedone, Cedin, 2017, p. 891.

[21] Voir en particulier Coulee Frédérique, « Le droit à l’eau dans le contexte international. Brèves remarques à propos d’un droit économique émergent » in Droit international et culture juridique, Mélanges offerts à Charles Leben, Paris, Pedone, 2015, p. 57 et s.

[22] Dupont-Rachiele Jérôme, Prevost Daniel, Raymond Sébastien, « L’eau : un droit pour tous ou un bien pour certains », RQDI, vol. 17.1, 2004, p. 62 et s.

[23] Voir en particulier la résolution 54/175 de l’Assemblée générale des Nations unies du 17 décembre 1999 relative au droit au développement, et plus généralement Dubuy Mélanie, « Le droit à l’eau potable et à l’assainissement et le droit international », Rgdip, vol. 116, n°2, 2012, p. 275 et s. ; spéc. p. 295 et s.

[24] Aux termes de l’article 24.2 de la Convention relative aux droits de l’enfant, « [l]es Etats parties […] prennent les mesures appropriées pour : […] c) Lutter contre la maladie et la malnutrition, y compris dans le cadre de soins de santé primaires, grâce notamment à l’utilisation de techniques aisément disponibles et à la fourniture d’aliments nutritifs et d’eau potable, compte tenu des dangers et des risques de pollution du milieu naturel » (Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies par la résolution 44/25 du 20 novembre 1989, Rtnu, vol. 1577, 1999, p. 3).

[25] Constitution amendée de la République arabe d’Egypte, 15 janvier 2014, article 79 : « [t]out citoyen a droit à une alimentation saine et suffisante et de l’eau potable ». L’article 68 de la défunte Constitution de la Seconde République du 26 décembre 2012 prévoyait que « le droit à une habitation convenable, une eau potable et une alimentation saine est garanti ».

[26] Constitution de la République Démocratique du Congo, telle que modifiée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, article 48 : « [l]e droit à un logement décent, le droit d’accès à l’eau potable et à l’énergie électrique sont garantis ».

[27] Une brève analyse de ces Constitutions est présentée par Coulee Frédérique, « Le droit à l’eau dans le contexte international. Brèves remarques à propos d’un droit économique émergent », op. cit. note 21, p. 65 .

[28] Cirdi, Saur International S.A. c. République argentine, affaire n° ARB/04/4, sentence du 6 juin 2012, §330 : « [e]n réalité, les droits de l’homme en général, et le droit à l’eau en particulier, constituent l’une des diverses sources que le Tribunal devra prendre en compte pour résoudre le différend car ces droits sont élevés au sein du système juridique argentin au rang de droits constitutionnels, et, de plus, ils font partie des principes généraux du droit international ».

[29] Cidh, Communauté Xákmok Kásek c. Paraguay, 24 août 2010, §§ 194 et196.

[30] Forteau Mathias, Thouvenin Jean-Marc, « Introduction » in Forteau Mathias, Thouvenin Jean-Marc, Traité de droit international de la mer, op. cit. note 20, p. 24.

[31] Doumbe-Bille Stéphane, « Le cadre juridique international relatif aux forêts – Etat de développement » in Cornu Marie, Fromageau Jérôme, Le droit de la forêt au XXIe siècle. Aspects internationaux, L’Harmattan, 2004, p. 124.

[32] Ainsi, la « Convention de Paris du 19 mars 1902 relative à la protection des oiseaux pour l’agriculture est la première Convention internationale dont l’objectif est de protéger les espèces sauvages, leurs habitats et par ricochet la forêt » (Houedanou Sessinou Emile, La gestion transfrontalière des forêts en Afrique de l’Ouest, Paris, L’Harmattan, Collection « Etudes africaines », 2015, p. 39).

[33] L’auteur cité dans la note précédente dresse une liste de ces conventions pour aboutir à cette conclusion ; voir ibid., p. 39.

[34] Accord international de 1983 sur les bois tropicaux, Genève, 18 novembre 1983, Rtnu, vol. 1393, 1996, p. 76 ; Accord international de 1994 sur les bois tropicaux, Genève, 26 janvier 1994, Rtnu, vol. 1955, 2001, p. 81 ; Accord international de 2006 sur les bois tropicaux, Genève, 27 janvier 2006, Rtnu, vol. 2797, 2011, p. 75.

[35] D’antin de Vaillac Dominique, « La forêt comme objet de relations internationales ? », AFRI, 2005, vol. 6, 927.

[36] Ibid., p. 925.

[37] De Rezende Menezes Quênida, « Le droit international peut-il sauver les dernières forêts de la planète ? », Paris, L’Harmattan, 2013, p. 165.

[38] Houedanou Sessinou Emile, La gestion transfrontalière des forêts en Afrique de l’Ouest, op. cit. note 32, p. 199. Voir également l’exposé très clair, bien qu’un peu daté de Doumbe-Bille Stéphane, « Le cadre juridique international relatif aux forêts – Etat de développement », op. cit. note 31, p. 121 et s.

[39] Pour un résumé de ses apports et du contexte de son adoption, voir Mekouar Mohamed Ali, « La Déclaration de New York sur les forêts du 23 septembre 2014 : quelle valeur ajoutée ? », Revue juridique de l’environnement, vol. 40, n° 2015/3, p. 463 et s.

[40] Voir en particulier Cedh, López Ostra c. Espagne, 9 décembre 1994, requête n°16798/90, §51 : « [i]l va pourtant de soi que des atteintes graves à l’environnement peuvent affecter le bien-être d’une personne et la priver de la jouissance de son domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale, sans pour autant mettre en grave danger la santé de l’intéressée ».

[41] Cedh, Kyrtatos c. Grèce, 22 mai 2003, requête n° 41666/98, § 53. Dans les faits, des aménagements urbains avaient détruit le marais adjacent à la propriété des requérants, qui arguaient notamment que le site dans lequel est situé leur domicile avait perdu toute sa beauté et que la destruction avait causé un dommage à l’environnement, en particulier aux oiseaux et espèces protégées vivant dans le marais.

[42] Sur cette question, voir Michallet Isabelle, « Cour européenne des droits de l’homme et biodiversité » in Robert Loïc (dir.), L’Environnement et la Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 94 et s.

[43] Assemblée consultative du Conseil de l’Europe, Rapport sur la lutte contre la pollution des eaux douces en Europe, 1965, IIIe partie, chapitre 1.

[44] Voir la présentation de l’idée par Camproux-Duffrene Marie-Pierre, « Plaidoyer civiliste pour une meilleure protection de la biodiversité. La reconnaissance d’un statut juridique protecteur de l’espèce animale », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, vol. 60, n° 2018/1, p. 4 et s.

[45] Kolb Robert, Théorie du droit international, 2e édition, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 67.

[46] Haupais Nicolas, « Le paysage du droit international public », op. cit. note 8, p. 666.

[47] Certains auteurs considèrent en effet que « l’évolution récente montre que dès que [les Etats côtiers] ont les capacités techniques ou l’autorité politique nécessaires, ils s’étendent vers le large au détriment de la haute mer ; amputée des zones économiques exclusives, des plateaux continentaux, celle-ci semble plus proche d’une res nullius éphémère dans l’attente du partage des océans » (Charpentier Jean, « La communauté internationale : mythe ou réalité ? » in L’homme dans la société internationale. Mélanges en hommage au Professeur Paul Tavernier, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 39, renvoyant notamment à Dupuy René-Jean, « Droit de la mer et Communauté internationale » in Mélanges offerts à Paul Reuter. Le droit international : unité et diversité, Paris, Pedone, 1979, p. 221 et s.).

[48] Lambert-Habib Marie-Laure, Le commerce des espèces sauvages : entre droit international et gestion locale. Réflexions sur la C.I.T.E.S. (Convention de Washington sur le commerce international des espaces de faune et de flore sauvages menacés d’extinction), Paris, L’Harmattan, 2000, p. 331.

[49] L’Unesco s’efforce, depuis sa 25e session en 2001, d’être leader dans la protection mondiale des forêts. En partie grâce à la création du Programme des forêts du patrimoine mondial, le nombre de sites forestiers du patrimoine mondial est actuellement de 107, couvrant un total de 75 millions d’hectares – soit 1,5 fois la taille de la France. Ce chiffre apparaît néanmoins bien dérisoire dans la mesure où la déforestation détruirait 13 millions d’hectares chaque année.

[50] Voir Leme Machado Paulo Affonso, « Les nouveautés dans la législation brésilienne sur la protection des forêts », Revue juridique de l’environnement, vol. 40, n° 2015/1, p. 60.

[51] Par exemple, « Le manque d’eau potable, un paradoxe au Brésil », Le Journal du Dimanche en ligne, 29 novembre 2015, consultable à l’adresse : https://www.lejdd.fr/International/Ameriques/Le-manque-d-eau-potable-un-paradoxe-au-Bresil-761955.

[52] Selon les médias, Jair Bolsonaro envisage la reprise des travaux de rénovation de la BR-319, une autoroute traversant l’Amazonie, et prévoit de faciliter l’implantation d’activités économiques dans des zones pour l’instant protégées par la loi ou les collectivités locales. La fusion des ministères de l’Environnement et de l’Agriculture semble aller dans ce sens. Voir Donada Emma, « Quel est le programme de Jair Bolsonaro pour l’Amazonie ? », Libération en ligne, 12 octobre 2018, consultable en ligne à l’adresse : https://www.liberation.fr/checknews/2018/10/12/quel-est-le-programme-de-jair-bolsonaro-pour-l-amazonie_1684630.

[53] Geslin Albane, « Etats et sécurité environnementale, états de l’insécurité environnementale : de la recomposition normative des territoires à l’esquisse d’un droit de l’anthropocène » in Tercinet Josiane (dir.), Etats et sécurité internationale, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 92.

[54] Naim-Gesbert Eric, « Voyage aux confins du droit de l’environnement » in Touzeil-Divina Mathieu, Hoepffner Hélène (dir.), Droit(s) du Bio, Toulouse, Boulogne et Pau, Editions l’Epitoge, coll. l’Unité du Droit, vol. XXIII, octobre 2018, p. 169.

[55] D’Antin de Vaillac Dominique, « La forêt comme objet de relations internationales ? », op. cit. note 35, p. 929.

[56] Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, « Les prélèvements massifs d’eau et considérations », Washington D.C., Ambassade du Canada, 1999, extrait cité et analysé par dupont-Rachiele Jérôme, Prevost Daniel, Raymond Sébastien, « L’eau : un droit pour tous ou un bien pour certains », op. cit. note 22, p. 68. Voir ibid. l’étude de l’ambiguïté de cette position dans le cadre du Gats.

[57] Lignes directrices relatives à l’hébergement et aux soins des animaux, annexe A à la Convention européenne sur la protection des animaux vertébrés utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques du 18 mars 1986, STE, n°123, 15 juin 2006, article 4.7.1.

[58] Directive 2010/63/EU relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, Annexe III. Exigences relatives aux établissements et exigences relatives aux soins et à l’hébergement des animaux, Joue du 20 octobre 2010, L 276, article 3.5.a).

[59] Stone Christopher D., « Should Trees Have Standing? Toward legal Rights for natural Objects », Southern California Law Review, vol. 45, n° 1972/2, p. 450 et s.

[60] Marguenaud Jean-Pierre, « La personnalité juridique des animaux », Dalloz, 1998, p. 205.

[61] Betaille Julien, « La doctrine environnementaliste face à l’exigence de neutralité axiologique : de l’illusion à la réflexivité », Revue juridique de l’environnement, hors-série, n° 2016/HS16, p. 45.

[62] Betaille Julien, Les conditions juridiques de l’effectivité de la norme en droit public interne : illustrations en droit de l’urbanisme et en droit de l’environnement, Thèse de droit public soutenue le 7 décembre 2012, Université de Limoges, p. 518. Voir ibid. p. 519 et s. pour une analyse des arguments des tenants et opposants de la proposition, qu’il conclut en demi-teinte : l’institution nécessaire de « guardians » ou représentants capables d’exprimer la volonté de la nature – en la personnifiant – ne serait pas très différente de la capacité contentieuse actuelle des associations de protection de l’environnement.

[63] Constitution de la République d’Equateur, 20 octobre 2008, article 10.

[64] Ibid., article 71.

[65] Ibid., article 72.

[66] Te Awa Tupua (Whanganui River Claims Settlement) Act 2017 n°7, Royal assent 20 March 2017, article 14.1.

[67] Naim-Gesbert Eric, « Etres et choses en droit de l’environnement : l’appel du sacré », Revue juridique de l’environnement, vol. 42, n° 2017/3, p. 406.

[68] High Court of Uttarakhand, Mohd Salim v. State of Uttarakhand & others, No.126 of 2014, 20 march 2017.

[69] O’Donnell Erin L, Talbot-Jones Julia, « Creating legal rights for rivers : lessons from Australia, New Zealand, and India », Ecology and Society, vol. 23-7, 2018, p. 10 , spéc. l’instructif tableau comparatif, sous l’angle juridique, des trois cas analysés p. 11. Mais cette suspension intervenue en juillet 2017 ne semble pas impliquer en tant que telle la remise en cause de l’attribution de la personnalité juridique au fleuve. Les « gardiens » imposés par la High Court (l’Etat de Uttarakhand, ou plus précisément le « Chief Secretary of the State of Uttarakhand and the Advocate General of the State of Uttarakhand » nommément désignés par la Cour) ont en effet eu temporairement gain de cause en montrant que les contours de leur responsabilité n’était pas claire, ces rivières s’étendant au-delà des frontières de l’Etat (notamment au Bangladesh). Voir également O’Donnell Erin L, « At the Intersection of the Sacred and the Legal : Rights for Nature in Uttarakhand, India », Journal of Environmental Law, Vol. 30-1, 2018, p. 135 et s.

[70] Naim-Gesbert Eric, « Voyage aux confins du droit de l’environnement », op. cit. note 54, p. 170.

[71] La doctrine critique ainsi une « anthropomorphisation juridique de la nature » : Serrurier Enguerrand, La résurgence du droit au développement. Recherche sur l’humanisation du droit international, Thèse de droit public soutenue le 5 octobre 2018, Université Clermont Auvergne, p. 483 et s. ; l’expression est mentionnée p. 483.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Ouvrage anniversaire des 15 ans du Clud !

Il sortira – symboliquement – le 30 mars 2019 à Manosque, au Paraïs, dans la maison de Giono et ce, en partenariat avec l’association des Amis de Jean Giono, notre ouvrage anniversaire :

L’Arbre, l’Homme
& le(s) droit(s)

ouvrage célébrant le 65e anniversaire
de la parution de L’Homme qui plantait des arbres
de Jean Giono & réalisé en hommage
au professeur Jean-Claude Touzeil

Les détails techniques de l’ouvrage sont présentés ICI et vous trouverez ci-dessous sa table des matières ainsi que ses première et quatrième de couvertures ainsi que sa postface.

Postface

Mathieu Touzeil-Divina & Morgan Sweeney
Présidents du Collectif L’Unite du Droit

Il était impossible de clore cet ouvrage sans rappeler, par la présente postface, qu’il s’agit non seulement d’un opus inscrit dans les travaux du Laboratoire Mediterraneen de Droit Public mais encore qu’il matérialise l’ouvrage anniversaire des quinze premières années du Collectif L’Unite du Droit (Clud).

D’ailleurs, tous les objets, les matérialisations et les identités du Clud s’y retrouvent parfaitement.

Méditerranée(s). Avant de devenir, en octobre 2016 une association indépendante mais sœur et amie du Clud, le Laboratoire Mediterraneen de Droit Public (Lm-Dp) fut un atelier permanent du Collectif et les Editions l’Epitoge, dès 2012, ont décidé de lui offrir une collection (celle, de couleur verte, intitulée Revue Méditerranéenne de Droit Public) dans laquelle le présent ouvrage est publié. C’est donc avec plaisir que le Clud accueille comme « ouvrage anniversaire » de ses quinze ans des travaux associés au Lm-Dp. Ainsi, même si la ou les Méditerranée(s) ne forment pas l’objet premier des recherches et études du Clud et de ses membres, la Méditerranée y est bien présente par le biais premier de cette Revue qui offre déjà aux lecteurs une dizaine de numéros.

Unité(s) du Droit. Au cœur même du Collectif, au côté de la défense des droits et des libertés académiques ainsi que du questionnement sur le système d’enseignement du Droit, figure l’interrogation de l’Unité ou des Unités juridiques[1]. En choisissant ici d’interroger l’Arbre confronté aux droits (public, privé, historique, internationaux, etc.) sans omettre les droits étrangers et/ou comparés, le Clud est au cœur même de ses habitudes et de son modus operandi : refuser les chapelles de spécialistes juridiques pour n’envisager un objet ou un sujet qu’à travers les yeux généralistes et comparés du juriste de l’Unité et ce, sans oublier que d’autres scientifiques et spécialistes (littéraires, artistes, sociologues, historiens, médecins, etc.) peuvent et doivent aussi participer aux échanges pour les nourrir.

Le présent ouvrage, avec ses vingt-cinq contributions en provenance de multiples horizons et spécialités juridiques, le traduit très exactement.

(S) cludiens & diversité. Par ailleurs, dans cet opus comme dans toutes les démarches initiées et/ou soutenues par le Clud, l’échange et la diversité des points de vue ont toujours été encouragés car l’Unité ici prônée ne se conçoit que dans la diversité et le pluralisme des expressions et des opinions.

Le Clud n’est pas dogmatique et n’a pas – et refuse d’avoir – de vision unique d’où l’utilisation fréquente, assumée et parfois (trop) nombreuse (même) de ceux que l’on a qualifié jadis de « (s) cludiens » marquant l’ouverture des esprits et des hypothèses. Ainsi, au cœur même de cet ouvrage, d’aucuns ont-ils proposé que l’Arbre devienne une personne juridique quand d’autres (y compris au cœur du couple présidentiel du Clud !) estiment l’idée inopérante.

Le Collectif tient à cette diversité des points de vue(s).

Du droit protecteur & non financier. A quoi sert le Droit ? Vous avez quatre heures ! Trêve de plaisanterie(s), l’une des caractéristiques des membres du Clud est peut-être aussi la suivante : ils et elles sont (pour la plupart d’entre elles et d’entre eux) convaincu.e.s de ce que le Droit est là pour protéger (et parfois pour aider les plus faibles) et non au service des puissants, des gouvernants voire de la Finance.

Cet ouvrage en est l’exacte manifestation. Celles et ceux qui l’ont rédigé et qui y ont contribué, ont proposé – de différentes façons juridiques – de faire du Droit un instrument de protection(s) au service des Arbres et de la forêt. Les propositions se complètent et servent cet idéal juridique d’un Droit pour les Hommes et les êtres vivants et non pour les seuls puissants ou les plus riches.

Fraternité & amitié. Finalement, et la manifestation du 30 mars 2019, à Manosque au Paraïs dans la maison de Jean Giono, de réception du présent ouvrage en est le témoignage, c’est bien aussi d’amitié(s) – voire de Fraternité au sens quasi juridique du terme ! – dont il est ici question(s) avec ce « livre-anniversaire » des quinze premières du Collectif L’Unite du Droit.

Vivement le 30e anniversaire !


[1] A plusieurs reprises, et notamment sur le site Internet du Collectif (unitedudroit.org), la notion même d’Unité du Droit a été discutée par les membres de l’association et leurs invités. Voyez, par exemple les échanges des professeurs Baptiste Bonnet, Mathieu Touzeil-Divina & Rainer Maria Kiesow.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

RMDP VIII : Service(s) public(s) en Méditerranée

Cet ouvrage est le huitième issu de la collection
« Revue Méditerranéenne de Droit Public (RM-DP) ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume VIII :
Service(s) public(s)
En Méditerranée

Ouvrage collectif
(dir. Laboratoire Méditerranéen de Droit Public
Mathieu Touzeil-Divina & Stavroula Ktistaki)

Nombre de pages : 342

Sortie : octobre 2018

Prix : 33 €

ISBN  / EAN :
979-10-92684-27-8 / 9791092684278

ISSN :
2268-9893

Mots-Clefs : Droit(s) comparé(s) – droit public – France – Grèce – Athènes – Toulouse – Justice(s) – droit administratif –Méditerranée – Cours constitutionnelles – Pouvoir(s) – Laboratoire Méditerranéen de Droit Public –

Présentation :

« Encadrés par deux exceptionnels textes : la préface de Son Excellence le président de la République hellénique (et professeur de droit public), Prokopios Pavlopoulos, et la postface sur les nouveaux défis du service public par le Conseiller constitutionnel (et professeur de droit public), Antoine Messarra, les présents actes – issus des deux journées de colloque d’Athènes du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public, proposent six thématiques pour décrypter le(s) service(s) public(s) en Méditerranée. Une première partie engage le lecteur à suivre un chorus méditerranéen (et singulièrement toulousain) dans les méandres des influences et confluences méditerranéennes de la notion de service public, en Histoire et en Méditerranée. Depuis Duguit et Hauriou, depuis la France, où et comment la notion systématisante a-t-elle évolué ? Où a-t-elle pris racine et où – au contraire – la greffe n’a-t-elle pas pris ? La deuxième partie, s’intéresse aux matérialisations positives (juridiques et politiques) de l’intérêt général réincarné en service(s) public(s) : depuis l’éducation nationale et les activités locales jusqu’à la culture et au sport. Guidés par Louis Rolland, notre troisième partie invite à l’étude des « Lois » ou principes généraux du service public : Egalité, continuité, mutabilité mais aussi « nouvelles Lois » du service public en Méditerranée. Ensuite, un quatrième temps propose d’examiner, à l’aune du témoignage du président Costa, la manière dont les juges administratifs (grec, égyptien, italien et français) appréhendent et / ou ont appréhendé la notion dans et par leurs prétoires. Alors, un cinquième temps s’intéresse à la gestion – notamment publique – mais évidemment aussi très privée de nos jours des services publics autour de la Mare nostrum. Enfin, un dernier atelier propose de se pencher sur le cas du service public de l’eau.

Le présent ouvrage a reçu le généreux soutien du Collectif l’Unité du Droit (Clud), du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public (Lmdp), de Sciences Po Toulouse & de l’Université Toulouse 1 Capitole (Institut Maurice Hauriou) ».

Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Liberté(s) ! En Turquie ? En Méditerranée !

Comme annoncé ici parmi plusieurs actions, c’est symboliquement, le jour même des élections présidentielles et législatives en Turquie, que les Editions l’Epitoge (du Collectif L’Unité du Droit), dont la diffusion est réalisée par les Editions juridiques Lextenso, publient ce 24 juin 2018 un nouveau numéro de la Revue Méditerranéenne de Droit Public réalisé en urgence ces deux derniers mois par les membres et sympathisants du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public. Ce numéro est un cri d’alarme(s) et de détresse(s) à destination de tous les citoyens, décideurs politiques et membres de la Communauté universitaire en France mais aussi autour du bassin méditerranéen alors que la situation de plusieurs collègues turcs a attiré l’attention de nombreux réseaux académiques.

Il a ainsi été décidé d’offrir un témoignage d’amitié et de fraternité aux membres de la Communauté universitaire de Turquie, menacée de privation(s) de liberté(s) par le régime du Président Erdogan. En particulier, l’ouvrage est adressé à notre ami le professeur Ibrahim O. Kaboglu, directeur de l’équipe turque du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public.

L’opus résolument tourné vers l’espoir,
le Droit et les libertés, se compose de trois parties :

  • la première revendique davantage de libertés d’expression(s) pour nos collègues turcs et offre au lecteur plusieurs points de vues comparés sur les libertés académiques en Méditerranée (Partie I).
  • Par suite, le livre propose de façon militante et assumée des analyses et propositions en faveur du droit constitutionnel et des libertés en Turquie (Partie II)
  • et en Méditerranée (Partie III).

La table des matières de l’ouvrage
peut se télécharger ICI :
http://lm-dp.org/LTMTABLE.pdf

Comme l’espère le président Jean-Paul Costa dans son avant-propos, « puisse cet ouvrage collectif, cet hommage solidaire, dépasser le seul symbole ; puissent les témoignages de ces femmes et de ces hommes influer quelque peu sur le cours des choses ! Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre : il fallait en tout cas essayer ».

Ce livre comprend une trentaine de contributions auxquelles ont participé plus de quarante contributeurs depuis plusieurs pays méditerranéens (Espagne, France, Italie, Liban, Maroc, Turquie, …) :

M. le Président Costa, Mmes et MM. les professeurs Afroukh, Basilien-Gainche, Bockel, Bonnet, Fontaine, Freixes, Gaillet, Groppi, Iannello, Larralde, Laval, Malaret, Marcou, Mathieu, Maus, Prieur, Rousseau, Starck, Touzeil-Divina & Turk ainsi que Mmes Abderemane, Elshoud, Espagno-Abadie, Eude, Fassi de Magalhaes, Gaboriau, Mestari, Perlo, Rota, Schmitz & MM. Altinel, Barrue-Belou, Bin, Degirmenci, Friedrich, Gelblat, Makki, Meyer, Ozenc & Sales.

L’image de première de couverture a été réalisée, à Beirut, par Mme Sara Makki & le présent ouvrage a reçu le généreux soutien de l’Association Française de Droit Constitutionnel (Afdc), de l’Association Internationale de Droit Constitutionnel (Aidc) et du Collège Supérieur de Droit de l’Université Toulouse 1 Capitole.

Contact :
contact@lm-dp.org

Présentation de l’ouvrage (dont table des matières) :
http://lm-dp.org/rmdp9/

Présentation des actions en faveur de la Communauté universitaire turque :
http://lm-dp.org/soutien-du-lm-dp-a-lun-de-ses-directeurs-le-pr-ibrahim-kaboglu/

Lien vers le communiqué de presse :
http://lm-dp.org/RMDP9.pdf

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Etudes franco-grecques de Droit public (RMDP VII)

Cet ouvrage est le septième issu de la collection
« Revue Méditerranéenne de Droit Public (RM-DP) ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume VII :
Etudes franco-grecques de droit public

Ouvrage collectif réalisé par les cellules athénienne & toulousaine
du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public
(dir. Mathieu Touzeil-Divina
avec Théodora Papadimitriou
Maria Gkana,
Nicoletta Perlo
&
Julia Schmitz)

– Nombre de pages : 178

– Sortie : octobre 2017

– Prix : 33 €

ISBN / EAN :  979-10-92684-23-0 / 9791092684230

ISSN : 2268-9893

1ère de couverture (illustration) : Bernard Chardon

 

Mots-Clefs : Droit(s) comparé(s) – droit public – France – Grèce – Athènes – Toulouse – Justice(s) – droit administratif –Méditerranée – Cours constitutionnelles – Pouvoir(s) – Laboratoire Méditerranéen de Droit Public –

Présentation :

Le présent ouvrage est le fruit d’échanges méditerranéens tissés entre deux cellules des équipes grecque et française du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public (Lm-Dp) : les cellules athénienne et toulousaine. Attachés à l’étude mais aussi à la défense des droits et des libertés dans ces deux Etats européens dont les histoires se sont précisément illustrées autour de ces thématiques, les membres des équipes grecque et française ont décidé d’en faire un objet de contributions et de réflexions ouvert à leurs membres ainsi qu’à tout intéressé. Matériellement, deux opérations ont été menées conjointement (et forment naturellement les deux parties du présent septième numéro de la Revue Méditerranéenne de Droit Public) : une expérience méthodologique de commentaires prétoriens (I) ainsi que la réunion de textes relatifs aux libertés et aux droits en France et / ou en Grèce (II).

Comparaisons prétoriennes : cette première partie, comme l’a souligné le professeur Kamtsidou dans sa préface, fait honneur à la maxime selon laquelle comparaison ferait raison ! En effet, à partir de trois décisions juridictionnelles des Conseils d’Etat hellénique et français ainsi que de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, il a d’abord été proposé à des membres grecs et français des cellules athénienne et toulousaine du Lm-Dp de commenter parallèlement – et sans se concerter – lesdites décisions ce qui a donné lieu à la rédaction de six commentaires (trois grecs et trois français). Par suite, un autre groupe a tenté de « commenter les commentaires » en essayant de mettre en avant points communs et divergences.

Droits & Libertés : une seconde partie, plus classique, a rassemblé, sur le thème des droits et des libertés, six autres contributions à propos des libertés économiques et professionnelle, du droit de l’environnement, du droit d’asile et de la protection des animaux. Il ne vous reste alors, selon la formule désormais consacrée de cette Revue, qu’à embarquer sur nos rives méditerranéennes et juridiques aux côtés des capitaines et moussaillons de ce beau numéro VII en gardant toujours à l’esprit que le Laboratoire Méditerranéen de Droit Public, porteur de ce projet, n’appartient à aucun pays et n’a embrassé aucun dogme. Il entend voguer où le vent le conduira et avec les voyageurs et les capitaines qui voudront bien s’y consacrer.

Le présent ouvrage a reçu le soutien de l’Institut Léon Duguit (ea 7439) de l’Université de Bordeaux.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

RMDP V : Existe-t-il un droit public méditerranéen ?

Cet ouvrage est le cinquième issu de la collection
« Revue Méditerranéenne de Droit Public (RM-DP) ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume V :
Existe-t-il un droit public méditerranéen ?

Ouvrage collectif
(dir. Laboratoire Méditerranéen de Droit Public
Amal Mecherfi, Rkia El Mossadeq & Mathieu Touzeil-Divina)

– Nombre de pages : 224

– Sortie : novembre 2016

– Prix : 39 €

ISBN / EAN :979-10-92684-15-5 / 9791092684155

ISSN : 2268-9893

Mots-Clefs : Droit(s) comparé(s) – droit public – Justice(s) – droit administratif – droit colonial – Libertés – Constitution – constitutionnalisme – Méditerranée – Cours constitutionnelles – Pouvoir(s) – Laboratoire Méditerranéen de Droit Public

Présentation :

Le présent ouvrage est le fruit de deux journées d’étude(s) qui se sont déroulées à Rabat (à l’Université Mohammed V) les 28 & 29 octobre 2015. Réunissant des contributeurs – universitaires & praticiens – issus d’une dizaine de pays du bassin méditerranéen, l’ouvrage se propose d’interroger l’existence d’un (ou de plusieurs) droit(s) public(s) méditerranéen(s) ou plutôt « en Méditerranée ». Pour ce faire, après avoir présenté la démarche propre au Laboratoire Méditerranéen de Droit Public et abordé des questions de méthodologie(s), ce sont différents aspects publicistes qui seront analysés : la place de la Constitution, celle des religions, les frontières du (des) droit(s) administratif(s) ainsi que le rôle des juges de ce droit public en Méditerranée. Enfin, ne méconnaissant pas son passé, l’opus questionne le futur d’un droit public méditerranéen à l’aune des mouvements de globalisation, d’européanisation et d’internationalisation.

Ont participé à ce numéro : M. le Président Sakellariou, M. le conseiller constitutionnel Messarra, M. l’ambassadeur Varouxakis, Mmes et MM. les professeurs Bonnet, Cassella, Chaabane, Cossalter, Chaouche, Fuentes I Gaso, Iannello, Kaboglu, Karam Boustany, Ktistaki & Touzeil-Divina ainsi que Mmes et MM. Elshoud, Espagno, Kouzzi, Meyer, Papadimitriou, Perlo, Pierchon, Schmitz & Willman Bordat.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

RMDP IX : Liberté(s)! En Turquie ? En Méditerranée!

Cet ouvrage est le neuvième issu de la collection
« Revue Méditerranéenne de Droit Public (RM-DP) ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume IX :
Liberté(s) !
En Turquie ?
En Méditerranée !

Ouvrage collectif
(dir. Laboratoire Méditerranéen de Droit Public
& Mathieu Touzeil-Divina)

Nombre de pages : 314

Sortie : juillet 2018

Prix : 33 €

ISBN  / EAN :
979-10-92684-33-9 / 9791092684339

ISSN :
2268-9893

Mots-Clefs : Turquie – Liberté d’expression – Université – Méditerranée – Justice – Libertés – droit constitutionnel – droit comparé –

Présentation :

Le présent ouvrage est un cri d’alarme(s) et de détresse(s) à destination de tous les citoyens, décideurs politiques et membres de la Communauté universitaire en France mais aussi et surtout autour du bassin méditerranéen. Matérialisé en urgence au mois de juin 2018 alors que la situation de plusieurs collègues turcs a attiré l’attention de nombreux réseaux académiques dont le Laboratoire Méditerranéen de Droit Public, il a été décidé d’offrir un témoignage d’amitié et de fraternité aux membres de la Communauté universitaire de Turquie, menacée de privation(s) de liberté(s) par le régime du Président Erdogan. En particulier, l’ouvrage est adressé à notre ami le professeur Ibrahim O. Kaboglu, directeur de l’équipe turque du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public. L’opus résolument tourné vers l’espoir, le Droit et les libertés, se compose de trois parties : la première revendique davantage de libertés d’expression(s) pour nos collègues turcs et offre au lecteur plusieurs points de vues comparés sur les libertés académiques en Méditerranée (Partie I). Par suite, le livre propose de façon militante et assumée des analyses et propositions en faveur du droit constitutionnel et des libertés en Turquie (Partie II) et en Méditerranée (Partie III). Comme l’espère le président Jean-Paul Costa dans son avant-propos, « puisse cet ouvrage collectif, cet hommage solidaire, dépasser le seul symbole ; puissent les témoignages de ces femmes et de ces hommes influer quelque peu sur le cours des choses ! Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre : il fallait en tout cas essayer ».

L’ouvrage comprend une trentaine de contributions auxquelles ont participé depuis plusieurs pays méditerranéens (Espagne, France, Italie, Liban, Maroc, Turquie, …) : le Président Costa, Mesdames et Messieurs les professeurs Afroukh, Basilien-Gainche, Bockel, Bonnet, Fontaine, Freixes, Gaillet, Groppi, Iannello, Larralde, Laval, Malaret, Marcou, Mathieu, Maus, Policastro, Prieur, Rousseau, Starck, Touzeil-Divina & Turk ainsi que Mmes Abderemane, Elshoud, Espagno-Abadie, Eude, Fassi de Magalhaes, Gaboriau, Kurt, Mestari, Perlo, Rota, Schmitz mais aussi MM. Altinel, Barrue-Belou, Degirmenci, Friedrich, Gelblat, Makki, Meyer, Ozenc & Sales.

L’image de première de couverture a été réalisée, à Beirut, par Mme Sara Makki. Le présent ouvrage a reçu le généreux soutien du Collectif l’Unité du Droit (Clud), du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public (Lmdp), de l’Association Française de Droit Constitutionnel (Afdc), de l’Association Internationale de Droit Constitutionnel (Aidc) & du Collège Supérieur du Droit de l’Université Toulouse 1 Capitole.

Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).