La Servante écarlate – saison 3 : Gilead & l’enfant (par Sophie Prosper)

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

La Servante écarlate – saison 3 : Gilead & l’enfant (par Sophie Prosper)

Voici la 60e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 27e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

L’extrait choisi est celui de l’article de Mme Sophie PROSPER à propos de Gilead & l’enfant (saison III) dans la websérie La Servante écarlate. L’article est issu de l’ouvrage Lectures juridiques de fictions.

Cet ouvrage forme le vingt-septième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».
En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XXVII :
Lectures juridiques de fictions.
De la Littérature à la Pop-culture !

Ouvrage collectif sous la direction de
Mathieu Touzeil-Divina & Stéphanie Douteaud

– Nombre de pages : 190
– Sortie : mars 2020
– Prix : 29 €

– ISBN  / EAN : 979-10-92684-38-4
/ 9791092684384

– ISSN : 2259-8812

La Servante écarlate
– saison 3 :
Gilead & l’enfant

Sophie Prosper
Docteure en droit de l’Université Paris Nanterre,
membre du Collectif L’Unité du Droit

Le despotisme et le patriarcat de l’Etat de Gilead ne pouvaient perdurer plus longtemps. Il était temps. June l’annonce dès la fin du troisième épisode de cette nouvelle saison – la troisième : « Voilà ce qu’on fait. On les observe, les hommes. On les étudie. On les nourrit. On leur fait plaisir. Grâce à nous, ils se sentent forts… ou faibles. On les connaît à ce point-là. On connaît leurs pires cauchemars… et avec un peu de pratique, c’est ce qu’on deviendra. Des cauchemars ». Elle conclut alors : « Un jour, quand on sera prêtes, on s’en prendra à vous. Attendez ».

Le ton de la saison 3 était lancé : le temps de la révolte et de la vengeance avait sonné. La fin de la saison 2 laissait présager une telle suite, puisque June choisissait de rester à Gilead plutôt que de s’enfuir au Canada avec sa dernière fille, Holly alias Nichole, pour tenter de retrouver sa première fille, Hannah, et lutter contre le système mis en place par les Fils de Jacob, secte politico-religieuse fondamentaliste ayant pris le pouvoir par un coup d’Etat dans certains Etats des Etats-Unis d’Amérique.

Au cœur de l’organisation de cette révolte, c’est l’image même de l’enfant qui émerge et qui prend une place considérable dans cette nouvelle saison, afin de comprendre que l’intégralité du système mis en œuvre repose sur la figure de l’enfant. Il est à la fois l’origine de Gilead, l’intérêt à préserver pour sa population, et l’élément déclencheur de la révolte qui se prépare contre lui.

L’enfant, source de la création de Gilead. Le système de Gilead a été inventé pour répondre à la baisse avérée des naissances dans la région, le mode de vie ainsi que les conditions environnementales et climatiques ayant entraîné une chute de la fertilité de la population. La baisse de la natalité devient alors une problématique dont l’Etat de Gilead s’estime en charge. Les Fils de Jacob prêchent dès lors la mise en place d’une politique nataliste dans laquelle l’enfant devient le symbole d’un Etat fort et la procréation devient un devoir pour toutes et tous. Pour répondre à un enjeu démographique de maintien de la population, les Etats développent en effet des politiques publiques natalistes incitant la population à procréer[1]. Comme s’il existait un devoir national, une utilité collective, il pèse sur ces citoyens un devoir d’enfantement pour répondre à un besoin d’intérêt général. Ces politiques publiques encadrent dès lors le comportement procréatif du couple qui est alors normalisé pour répondre à un besoin quantitatif populationnel[2].

Dans le cadre du système de Gilead, les politiques publiques doivent répondre également à des valeurs religieuses fondamentalistes. C’est en se fondant sur l’histoire de Jacob et l’Ancien Testament[3] que les Fils de Jacob n’hésitent pas à normaliser le viol et l’adultère pour répondre à l’intérêt général d’augmentation des naissances. L’Etat de Gilead a en effet réquisitionné des femmes qui auraient vécu dans le pêché mais dont la fertilité les sauve des Colonies dans lesquelles elles auraient été envoyées pour purger leur peine. Elles doivent cependant payer leur dette à la société en mettant à disposition leur corps pour porter l’enfant du Commandant chez qui elles auront été affectées. Face à l’utilité collective de leur fertilité, les servantes écarlates remplissent une fonction sociale qui leur permet d’être conservées au sein de la société[4], mettant en exergue une politique utilitariste. Chaque mois, lors du rituel de la Cérémonie, la servante écarlate est violée par son Commandant sous les yeux de son Epouse qui aura récité en amont le passage de la Bible dédiée à l’histoire de Jacob et de sa servante Bilha : « Voici ma servante Bilha. Va vers elle et qu’elle enfante sur mes genoux : par elle j’aurai moi aussi des fils[5] ».

Sorte de gestation pour autrui dans la démarche[6], le consentement de la servante n’est cependant pas recherché. La servante est en effet dépossédée de son corps et est réduite à l’état d’esclave sexuelle. Elle n’est plus qu’un simple objet dont on dispose. Pour cette raison, la servante De Matthew alias Natalie est maintenue en vie artificiellement à l’hôpital, pour que le fœtus puisse se développer le temps nécessaire, afin de répondre à l’objectif nataliste du régime. A cette occasion, le médecin précise à June que son patient n’est pas la mère mais bien le bébé et conforte l’idée d’un but commun vers lequel toute la population doit œuvrer. Pour répondre encore à cette fonction sociale nataliste, la servante est dépersonnifiée en ne portant plus que le nom de son Commandant[7], et est alors interchangeable. Elle est ainsi un simple corps au service de l’enfantement : son suivi gynécologique est imposé, sans qu’elle ne puisse s’opposer à aucun examen, sa vie quotidienne lui est également dictée par Tante Lydia et sa maitresse. Elle n’a aucun droit sur son accouchement et doit respecter le rituel qui lui impose d’accoucher sur les genoux de l’Epouse du commandant auquel la servante est affectée. Enfin, à la naissance de l’enfant, elle est substituée par l’Epouse dans son lien de parenté : c’est l’Epouse qui devient la seule et unique mère, automatiquement, sans qu’aucun processus d’adoption ne soit nécessaire. C’est pour cette raison que Serena Waterford pourra renommer l’enfant « Nichole », bien que June l’ait appelée Holly après avoir accouché[8]. La disposition du corps de la servante écarlate est par conséquent totale, pour le bien de la Nation que représente l’enfant.

L’enfant, l’intérêt supérieur à préserver à Gilead. L’enfant de Gilead, en tant que finalité à atteindre, doit par la suite être préservé pour l’amener lui-même à procréer, objectif commun à remplir. La saison 3 insiste notamment sur la préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant de Gilead par les adultes, et plus particulièrement par les femmes qui raisonnent alors en qualité de mère. Les Epouses devenues mères d’intention s’effacent au profit de l’intérêt supérieur de l’enfant. Certaines choisissent de faire revenir la mère biologique, malgré la concurrence qu’elle peut représenter face à l’enfant. Ainsi, Serena Waterford, bien qu’elle ait choisi de se débarrasser de June au plus vite après l’accouchement, la fait revenir pour qu’elle puisse assurer l’allaitement de l’enfant. De même, l’Epouse Mackenzie, mère d’intention de la fille de June, Hannah, choisit de déménager dans l’intérêt d’Hannah qui serait traumatisée par les rencontres organisées ou impromptues de June.

Ces femmes, en ne raisonnant plus qu’en qualité de mère pour préserver leur enfant, répondent aussi à l’objectif commun du régime qui les exploite, accomplissant dès lors la fonction sociale qui leur a été assignée de préservation de l’enfant. Seule la maternité compte pour préserver l’enfant, annihilant leur condition de femme qui les amènerait à vouloir s’opposer au régime de Gilead.

Cependant, cette maternité poussée à son paroxysme pousse aussi ces mères à enfreindre les règles de Gilead et à se mettre en danger dans l’intérêt de leur enfant. Certaines servantes tentent de récupérer leurs enfants et risquent le mur, comme June et Janine. Serena Waterford, malgré son statut d’Epouse et la position de son mari dans la construction de Gilead, a également contribué à la fuite de sa fille en retardant l’arrivée de la milice pour retrouver Emily. Elle va même jusqu’à trahir son mari en organisant son arrestation à la frontière canadienne, dans le but de revoir sa fille. Elle ne remplisse plus ici le seul intérêt général de préservation de l’enfant de Gilead, mais bien un objectif personnel, individuel de survie de leur propre enfant.

C’est en réunissant la finalité de préservation de l’enfant et l’intérêt collectif de tous les enfants que ces femmes réussissent à trouver un moyen de s’opposer au régime de Gilead.

L’intérêt collectif de l’enfant, source de l’opposition au régime de Gilead. Il n’était pas raisonnable de penser que l’application d’un régime violent et patriarcal reposant sur des pratiques de torture et d’esclavage pouvait perdurer sans que sa population ne se soulève. Dans la saison 3 s’orchestre alors autour de June l’organisation de la vengeance et de la révolte. C’est à l’hôpital au chevet d’une servante écarlate mourante que June prend la décision de sauver les enfants de Gilead en organisant leur fuite vers le Canada. « ils méritent tous d’être libres. Je vais faire sortir autant d’enfants que possible » conclura-t-elle avant de sortir de l’hôpital. June choisit de libérer les enfants du dogme despotique qu’ils se voient imposés et construit une action collectivement avec l’aide d’autres femmes dans l’intérêt des enfants de Gilead.

Cette révolte se construit à nouveau autour de la notion de maternité. Ce sont les servantes écarlates et les Marthas qui organisent la fuite de 52 enfants de Gilead dans l’espoir de les libérer, mais aussi de priver l’Etat de Gilead de sa ressource. C’est aussi une forme de vengeance, June évoquant le fait qu’elle veut que Gilead comprenne la souffrance que l’on ressent lorsqu’on lui arrache ses enfants. Ce n’est pas la violence que ces femmes ont subie qui les pousse à la vengeance, mais c’est en qualité de mère qu’elles construisent leur résistance.

C’est surtout en répondant à l’intérêt collectif de « tous » les enfants que ces femmes réussissent à construire la révolte contre Gilead. La mère ne souhaite pas le seul bonheur de son enfant. C’est la recherche d’un bonheur collectif qui permet de mettre en action cette insurrection. Ces femmes appliquent toujours l’objectif commun de préservation de l’enfant, mais elles ne situent plus l’intérêt de l’enfant dans une vision utilitariste dans laquelle l’enfant serait conçu pour répondre lui aussi à un objectif de procréation, mais dans une vision plus libérale, dans laquelle l’enfant serait libre de s’épanouir et de réfléchir par lui-même. C’est face à cette nouvelle finalité que les femmes, mères ou non, vont s’unir et s’organiser pour s’opposer au régime et permettre la fuite de ces enfants vers le Canada.

Ainsi, l’enfant, érigé pourtant comme emblème du régime de Gilead, devient l’allégorie de la quête du bonheur et de la liberté sur laquelle se fonde l’opposition au régime.


[1] La France elle-même a développé ou développe encore des politiques natalistes pour répondre à cet enjeu démographique. Madame Laurie Marguet développe de manière détaillée les différentes législations qui ont été mises en place pour limiter (voire interdire) l’avortement ou la contraception ou celles vouées à inciter les parents à procréer (par exemple, par une incitation financière), V. Laurie Marguet, Le droit de la procréation en France et en Allemagne : étude sur la normalisation de la vie, thèse Paris Nanterre soutenue le 5 décembre 2018, sous la direction de Madame la Professeure Stéphanie Hennette-Vauchez, Partie II – Titre I – chapitre I – section I.

[2] Ibid. V. également M.-X. Catto, Le principe d’indisponibilité du corps humain, limite de l’usage économique du corps, Bibliothèque de droit public, Lgdj, 2018.

[3] La Bible, Ancien Testament, « Le Pentateuque », « Genèse », chapitre 30 :3. Dans ce chapitre, la femme de Jacob, Rachel, lui demande de se marier avec la servante, Bilha, pour lui donner un enfant.

[4] Seule l’utilité sociale permet de rester à Gilead. Toute personne ne servant pas une fonction est envoyée dans les Colonies pour effectuer la fonction de tri des déchets toxiques, et mourir rapidement face à un travail très pénible et des conditions de vie inhumaines.

[5] La Bible, Ancien Testament, « Le Pentateuque », « Genèse », chapitre 30 :3.

[6] La gestation pour autrui est une technique par laquelle une femme, dite « mère porteuse », porte l’enfant à naitre à la demande et pour un autre couple. L’ovule peut être celui de la mère génétique de l’enfant, de la mère porteuse ou d’une donneuse.

[7] L’héroïne, June, prend le nom de famille du Commandant chez qui elle est affectée : « Offred » (en français, « Delfred »).

[8] En droit français par exemple, l’article 57 du code civil énonce en effet que « les prénoms de l’enfant sont choisis par ses père et mère ». Le choix du prénom permet de déduire le lien de parenté.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso.
Vous pourrez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

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