Entre art(s), cadavre(s) & droit(s) (par Mme & M. Bouteille-Brigant)

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Entre art(s), cadavre(s) & droit(s) (par Mme & M. Bouteille-Brigant)

Voici la 32e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait des 11 & 12e livres de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

Il s’agit même ici de deux extraits, comme mariés, du Tome II (chapitre V, section 04) du Traité des nouveaux droits de la mort. En l’occurrence deux présentations entre art(s) & cadavre(s) de deux séries télévisées mêlant mort(s) & droit(s) ; le tout servi par les docteurs Magali Bouteille-Brigant & Jean-Marie Brigant.

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XI : Traité des nouveaux droits de la Mort
Vol I. La Mort, activité(s) juridique(s)

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina,
Magali Bouteille-Brigant & Jean-François Boudet)

– Sortie : 02 novembre 2014
– 430 pages
– Prix : 69 €

  • ISBN : 979-10-92684-05-6
  • ISSN : 2259-8812

Volume XII : Traité des nouveaux droits de la Mort
Tome II – La Mort, incarnation(s) cadavérique(s)

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina,
Magali Bouteille-Brigant & Jean-François Boudet)

– Sortie : 02 novembre 2014
– 448 pages
– Prix : 69 €

  • ISBN : 979-10-92684-06-3
  • ISSN : 2259-8812

Présentation :

« « Il ne suffit (…) pas au jurisconsulte de se préoccuper des vivants » affirme Gabriel Timbal dans l’introduction à sa célèbre (et controversée) thèse sur la condition juridique des morts (1903). Le Droit – ou plutôt les droits – s’intéressent en effet à toutes les activités humaines et sociétales. « L’objet du Droit, c’est l’homme » expliquait déjà en ce sens le doyen Foucart. Il importait donc de s’intéresser de la façon la plus exhaustive possible et ce, à travers le prisme de l’Unité du / des droit(s) à la matérialisation positive du ou des droit(s) relatif(s) à la Mort. A cette fin, les trois porteurs du Traité des nouveaux droits de la Mort ont réuni autour d’eux des juristes publicistes, privatistes et historiens mais aussi des praticiens du funéraire, des médecins, des anthropologues, des sociologues, des économistes, des artistes et des musicologues. Tous ont alors entrepris de présenter non seulement l’état positif des droits (publics et privés) nationaux concernant la Mort, le cadavre & les opérations funéraires mais encore des éléments d’histoire, de droit comparé et même quelques propositions normatives prospectives. Et si l’opus s’intitule Traité des « nouveaux » droits de la Mort, c’est qu’effectivement l’activité funéraire et le phénomène mortel ont subi depuis quelques années des mutations cardinales (statut juridique du cadavre, mort à l’hôpital, tabous persistants et peut-être même amplifiés devant le phénomène, service public des pompes funèbres, activité crématiste, gestion des cimetières, « prix » de la Mort, place et représentation de celle-ci et de nos défunts dans la société, rapports aux religions, professionnalisation du secteur funéraire, etc.). Matériellement, le Traité des nouveaux droits de la Mort se compose de deux Tomes : le premier envisage la Mort et ses « activités juridiques » et le second la Mort et ses « incarnations cadavériques » ».

Bones
ou Le cadavre sans tabou

présentation de Mme Magali Bouteille-Brigant
Maître de conférences de droit privé à l’Université du Maine,
Directrice adjointe du laboratoire Themis-Um (ea 4333),

Collectif L’Unite du Droit

572. « J’ai commis l’erreur de leur dire que je travaille sur les cadavres et les squelettes, ils me prennent pour un monstre »[1]. Si l’auteur du présent article aurait, à propos de la rédaction du Traité sur les nouveaux droits de la mort, pu prononcer cette phrase, la paternité de cette dernière est à attribuer à Zach, l’un des personnages récurrents de la série Bones. Librement adaptée des romans et de l’expérience de l’anthropologue et écrivaine Kathy Reichs[2], cette série, qui est encore en cours de tournage, s’étend pour le moment sur pas moins de dix saisons et de 190 épisodes. Elle met en scène les aventures de Temperance Brennan, alias Bones, une anthropologue judiciaire de l’Institut Jefferson, collaborant avec le FBI et l’agent spécial Seeley Booth, pour résoudre les enquêtes criminelles lorsqu’un corps résiste aux méthodes traditionnelles d’identification. La série utilise les ressorts bien huilés des séries américaines : sur fond d’enquête criminelle, elle met en scène une séduction larvée entre des héros que tout oppose : Bones, rationnelle à l’excès, relativement associale, et, au moins en apparence, insensible, et Booth, viril, attachant mais capable d’empathie, rapports que l’on a pu déjà observer entre les agents spéciaux Mulder et Skully. Toutefois, l’originalité de cette série devenue culte et l’intérêt de l’évoquer au sein du présent Traité, ne réside pas dans les relations amoureuses contrariées puis assumées de ce duo, mais plutôt dans le traitement qu’elle réserve à la mort, et ceci, sur deux aspects. En premier lieu, elle exploite et met en valeur une profession, qui bien qu’existant en France, reste pourtant marginale : l’anthropologie judiciaire encore appelée anthropologie médico-légale. En second lieu, contrairement à d’autres séries plus anciennes, qui ne faisaient que le suggérer, cette série montre le cadavre, en tant qu’objet d’étude, sans aucun détour ni artifice. C’est ainsi un cadavre sans tabou qui constitue l’ossature de la série, tant les techniques utilisées dans le cadre de l’anthropologie, le rendent prolixe (I) et tant l’utilisation et la monstration qui en sont faites sont dénuées de tout complexe (II).

I. Le cadavre très prolixe

573. Si les cadavres sont les « témoins muets du passé », Temperance Brennan, en tant qu’anthropologue judiciaire, a les moyens de les faire parler. En effet, l’anthropologie judiciaire est une discipline appliquant aux restes humains, dans le cadre d’une enquête judiciaire, les techniques de l’anthropologie physique et biologique, laquelle, tirée du grec « antropos », qui signifie « Homme » et logia, qui signifie « étude », peut se définir comme la science qui étudie les humains. L’anthropologie médico-légale est très utile lorsque l’identité de la personne décédée n’est pas connue. C’est le cas, notamment, en cas de découverte d’un corps entier à l’état de squelette ou de fragments d’os. A cet égard Brennan est à de nombreuses reprises sollicitée pour identifier l’un des squelettes victime du tueur en série dénommé Gormogon[3], un cannibale reconstituant un squelette en argent à partir des os de ses victimes. C’est le cas également lorsque le cadavre, encore recouvert de chair, est dans un état de putréfaction avancée rendant impossible la reconnaissance faciale ou digitale. Ainsi, l’équipe de l’Institut Jefferson contribuera à identifier un cadavre en décomposition retrouvé dans une baignoire, emplie d’un liquide visqueux. C’est encore le cas lorsque, dans le cadre des catastrophes aériennes ou des attentats terroristes, les corps non identifiées, sont désarticulés et disséminés. Ainsi, dans l’épisode intitulé « faux-frères », Bones est amenée à identifier les restes d’une personne ayant péri dans l’explosion de sa voiture[4]. Le rôle de l’anthropologue sera alors de déterminer l’origine humaine ou non des restes, et d’établir le profil de l’individu concerné en précisant ses origines, son sexe, son âge, sa taille et tout élément permettant de l’individualiser. Ainsi, Bones est amenée dans l’épisode intitulé « Beauté Fatale », a identifier les restes éparpillés d’une personne retrouvée autour de l’aéroport. L’étude, mettant en évidence les mutltiples interventions chirurgicales subies par la victime, permettra de déterminer que la personne décédée est une femme tombée aux prises d’une industrie du relooking peu scrupuleuse. De la même manière, l’équipe pourra à partir des restes humains retrouvés dans une fosse septique, identifier le corps du présentateur d’une émission de télévision controversée[5]. A l’écran comme dans la pratique réelle, l’anthropologue judiciaire peut, dans la réalisation de sa tâche être aidé par d’autres professionnels. Bones est ainsi entouré d’un entomologiste médico-légal, Hodgins. L’entomologie médico-légale ou forensic, développée en 1894 par le vétérinaire Jean-Pierre Megnin, permet, en étudiant les insectes intervenant aux divers stades de décomposition du cadavre, d’obtenir la date du décès, mais peut également apporter des informations sur d’éventuels transports ou manipulation du cadavre. Le professionnel de cette discipline s’attache, en observant les hyménoptères, coléoptères, lipédoptères ou autres diptères, colonisant le corps mort, à donner leur âge. Plusieurs espèces d’arthropodes participent ainsi à la datation du cadavre : les arthropodes nécrophages, comme les diptères, qui sont les premiers insectes intéresser par le cadavre frais ; les arthropodes nécrophiles, qui se nourrissent des insectes nécrophages, et ensuite les arthropodes omnivores qui se délectent à la fois du cadavre et des insectes l’entourant. De la même manière, Bones est aidée de son amie Angela, laquelle a mis au point un logiciel de reconstitution faciale en 3D à partir d’un crâne. Si cette technologie n’existe pas en tant que telle pour le moment, les auteurs de la série ont seulement fait preuve d’anticipation. En effet, il existe déjà des méthodes de reconstitution faciale. En effet la Méthode Guerrasimov, permet depuis le milieu du XXe siècle, de reconstituer par la sculpture les traits du visage d’un homme et de l’ensemble de sa tête[6]. C’est notamment en utilisant le logiciel de reconstitution faciale qu’elle a créée qu’Angela permettra d’identifier, à partir d’un crâne, la mère de Bones[7]. En mettant à l’écran des professions souvent méconnues, telles que l’entomologie forensic ou l’anthropologie judiciaire, suscitant ainsi des vocations, qui risquent toutefois d’être contrariées tant cette dernière discipline reste, dans le monde, marginale. Une autre originalité de la série Bones est d’exposer ou de montrer des cadavres sans détours.

II. Un cadavre sans complexe

574. La série Bones portant sur une activité à objet macabre, elle met en scène tous les états possibles du cadavre humain, mais dépasse également certains tabous[8], en ne s’interdisant de montrer le cadavre d’aucune catégorie humaine, participant de la sorte à une certaine banalisation de la mise en scène d’un corps mort. Les enquêtes du duo Brennan/Booth les amènent à découvrir les cadavres dans tous leurs états, du mieux conservés au plus altérés. Les scientifiques de l’institut Jefferson sont ainsi amenés, à étudier des cadavres aussi bien conservés que celui, congelé, d’un pompier volontaire retrouvé dans un lac gelé [9] d’une personne, momifié, retrouvé dans le mur d’une discothèque[10]. L’anthropologue judiciaire est également confronté à des cadavres plus altérés allant du corps en état de décomposition avancée retrouvé sur plage[11], à celui retrouvé liquéfié dans une baignoire[12] ou carbonisé par une clôture électrique[13], en passant par les corps digérés par des animaux[14] ou encore cuits en petits morceaux dans le micro-ondes d’un avion[15]. Les enquêtes de Bones mettent également en scène, toutes les catégories de cadavres, les auteurs ne s’interdisant n’y de montrer le corps d’un vieil homme, ni celui d’une femme enceinte retrouvée dans la baie du Delaware[16]. Allant un peu plus loin dans la transgression des tabous, les auteurs de la série n’hésitent pas à montrer, les cadavres en décomposition de jumeaux, adolescents retrouvés dans une cuve étanche, ni même dans l’épisode intitulé « Innocence perdue », le corps en décomposition d’un enfant[17] retrouvé dans un terrain vague.

En brisant les tabous et en s’attachant à montrer le cadavre de toute personne, dans tous ses états, les auteurs participent d’un mouvement de banalisation du cadavre. Alors que dans les séries des années 90, les cadavres n’étaient que suggérés, tout comme la violence à l’origine de ces morts, les séries plus récentes, à l’instar de certains longs métrages tels que le film Seven, mettant en scène des meurtres illustrant les sept péchés capitaux, s’attachent à montrer le cadavre sans détours ni artifices. D’autres séries iront encore plus loin, et notamment la très esthétique série Hannibal, laquelle filme des scènes de crimes toujours plus inventive et suggère le cannibalisme de l’un des protagonistes principal. Cette banalisation du cadavre interroge et confine au paradoxe. En effet, la place des morts dans la société actuelle est de plus en plus restreinte. Les morts, réels, ne font plus partie du décor. Le mort n’a plus droit de cité. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler le sort réservé à la très controversée exposition anatomique Our Body[18], ou de constater les questionnements éthiques récents suscités par la conservation et l’exposition des restes humains dans les musées[19]. Même les cendres sont aujourd’hui exclues des lieux de vie puisque, alors même que le défunt en aurait exprimé la volonté contraire, elles ne peuvent être conservées au domicile des proches de la personne disparue. A l’inverse, de la série Les Experts à Bones, en passant par NCIS, Six feet Under, Dead like me ou encore The Walking Dead, les morts virtuels envahissent nos salons, replaçant ainsi les morts au coeur même des vivants. Aussi pouvons-nous interroger sur le rôle de substitut des morts de nos fictions et sur l’utilité de ces séries quant à la construction de la représentation de la mort de chacun, représentation nécessaire l’apprivoisement de l’angoisse de la mort[20].

Dexter

présentation de M. Jean-Marie Brigant
Maître de conférences à l’Université de Lorraine,
associé Themis-Um (ea 4333)

575. Inspiré des romans de Jeff Lindsay[21], Dexter est une série américaine créée par James Manos Jr, diffusée sur les chaînes de télévision Showtime puis Cbs aux Etats-Unis puis sur les chaînes Canal + et Tf1 en France. S’étirant sur huit saisons et pas moins de quatre-vingt-seize épisodes, cette série met en scène un personnage Dexter Morgan, à la fois morpho-analyste le jour (il analyse les traces de sang sur les scènes de crimes) et tueur en série la nuit : « Dexter / Deux en un »[22]. Comme le souligne Martin Julier-Costes, « Déjà la dichotomie est significative et correspond trait pour trait aux caractéristiques du psychotique, malade typique du monde contemporain, tout en reprenant une figure célèbre, celle du Docteur Jekyll et de Mr Hyde »[23]. En journée, ce anti-héros joue à l’homme idéal feignant en effet de se conformer aux attentes sociales qui pèse sur lui en ayant une vie normale : en bref, un travail et une famille. Dès la nuit tombée, ce même individu se meut en serial killer justicier, ne tuant que les criminels qui « méritent », suivant ainsi le « Code »[24] inculqué par son père adoptif, Harry Morgan. A l’instar de ce que le jour doit à la nuit, « ce besoin de tuer (…) lui permet de se régénérer et de continuer ainsi sa vie normale »[25]. Pour ce personnage « complexe et bicéphale »[26] se cachant à la vue de tous, la mort est son véritable métier (I) tandis que les morts constituent son seul et unique loisir, son « hobby » (II).

I. La mort est son métier

Comme dans de nombreuses séries[27], la mort occupe une place non négligeable dans la vie de Dexter Morgan, expert médico-légal en analyses de traces de sang pour la police de Miami. Il ressort de ces huit saisons que ce phénomène qu’est la mort est indissociable de l’enfance du personnageet du caractère scientifique de sa profession.

576. La mort couplée à son enfance. Pour comprendre ce qui dans la construction du personnage de Dexter pouvait expliquer qu’il devienne un tueur mais également un expert en traces de sang (les deux étant liés), le spectateur est conduit dès la première saison, à se plonger dans son enfance. Dexter et son frère Brian Moser (alias Rudy Cooper) ont assisté à l’assassinat de leur mère, informatrice pour la police. Cette dernière est tuée par des narcotrafiquants à l’aide d’une tronçonneuse. La scène a lieu dans un container en présence de ses deux jeunes fils qui seront miraculeusement épargnés. Après avoir passé deux jours à baigner dans le sang de leur propre mère, Dexter et son frère vont depuis lors développer une obsession pour le sang. Si Dexter est adopté par le policier Harry Morgan, Brian quant à lui est laissé au motif qu’il est trop grand et ne peut plus être « sauvé ». Ce dernier deviendra par la suite « le tueur au camion frigorique » ou « tueur de glace » (Saison 01 (S01)). Si l’enfance n’explique pas tout, on y découvre bien souvent les racines du mal : « Il faut toujours regarder l’enfance d’un criminel pour savoir qu’un jour, il a été un enfant innocent » comme le souligne Robert Badinter[28].

577. La mort couplée à la science. Dans plusieurs séries, la science occupe une place importante, devenant parfois l’un des personnages comme dans la série « Les Experts »[29]. Dans la série Dexter, le héros est un technicien des scènes de crimes, analysant les projections de sang : « Sur une scène de crime, il est celui qu’on écoute. Il pratique son métier comme un art et lit dans le sang comme dans un livre »[30]. Pour lui, le sang ne ment jamais, il parle car le sang parle toujours, rappelle l’intéressé au gré des épisodes (E01S03). La figure de Dexter en tant qu’expert scientifique renvoie au couple « science/mort », qui « trouve dans ce type de série un terrain d’entente et illustre des invariants anthropologiques comme la peur de la contagion et le respect envers le mort. L’hygiène et la « maîtrise » de la science protègent les vivants d’une possible contagion et le corps (vivant ou mort) est finalement sacralisé, pour sa valeur scientifique ou esthétique »[31]. Cette plongée quotidienne de Dexter dans la mort constitue en effet le cadre dans lequel il évolue et sa raison de vivre. Son métier lui permet non seulement de faire le bien (retrouver les criminels) mais également de faire le mal (les punir définitivement). Grâce à son métier, il peut assouvir ses pulsions et sa passion.

II. Les morts sont sa passion

Alors que les morts se font rares dans la vie concrète des spectateurs, ceux-ci sont omniprésents dans les séries Tv. La série Dexter n’échappe pas à ce phénomène de compensation[32]. Chaque épisode, chaque saison fait apparaître son lots de cadavre : ceux qui sont vengés par ce sérial killer justicier et ceux qui sont laissés par celui-ci.

578. Les morts vengés par Dexter. Le métier de Dexter le conduit, ainsi que le téléspectateur, à découvrir les morts laissés par des criminels ayant échappé ou risquant d’échappé aux mailles de la Justice. L’accumulation des épisodes fait apparaître les cadavres dans tous leurs états : prostituée entièrement vidée de son sang et découpée en morceaux (S01), femmes écorchées/dépecées (S03), jeunes femmes tuées dans leur bain, mères de famille forcées à se jeter dans le vide et hommes frappés à coups de marteau (S04), femmes enlevées, torturées et placées dans des tonneaux (S05), personnes crucifiées (S06), maris empoisonnés (S07), victimes séquestrées puis trépanées (S08), … En définitive, « c’est toute l’échelle des états possibles de la condition post-mortem qui est ainsi donnée à voir »[33].Chaque saison de Dexter donnant naissance à un nouveau tueur en série, les manières de mourir comme celles d’être mort vont ainsi varier, à la différence du mode opératoire de ce anti-héros.

579. Les morts « laissés » par Dexter. Aux termes des huit saisons, Dexter a fait un total (hors animaux) de 132 victimes, depuis le meurtre de Mary, l’infirmière empoisonneuse (E03S01), jusqu’à celui d’Oliver Saxon (E12S08). A de rares exceptions[34] et contrairement à ce que laisse penser le générique[35], Dexter procède toujours de la même manière : il endort ses victimes, les attache avec de la cellophane à une table dans un endroit reculé et entièrement recouvert de bâches de plastique (« la killing room »), leur montre les photos de leurs propres victimes, leur prélève une goutte de sang en guise de trophée et enfin les poignarde en plein cœur. Les corps sont ensuite découpés en morceaux mis dans des sacs poubelles puis jeter dans les eaux de Miami. Comme on peut le constater, « ses mises à mort se font suivant un rituel précis qui ne laisse aucune place au hasard »[36]. Ce rituel se termine par une cérémonie à bord de son bateau ironiquement appelé « Slice au Life » (Tranche de vie) qui n’est pas sans rappeler la barque funéraire : « Destinée aux pérégrinations dans le monde des morts, la barque funéraire symbolise l’embarcation menant le défunt à sa sépulture »[37]. A deux reprises, Dexter va tenter d’emprunter cette même barque qui doit le conduire à sa propre sépulture mais en vain.


[1] Bones, saison 01, épisodes 06.

[2] Voir not. Déjà dead, Robert Laffont, 1997.

[3] Voir notamment Bones, S03E15.

[4] Bones, S01 E02 Faux Frères.

[5] S04E03, Les hommes de sa vie.

[6] Vue Marc, « Le crâne et le Savant : la méthode Guerrassimov », L’Histoire, 01 mars 1993, p. 64.

[7] S01E22, Passé composé.

[8] En ce sens voir Merckle Pierre, Dolle Thomas, « Morts en séries : représentations et usages des cadavres dans la fiction télévisée contemporaine », Raison Publique, n° 11, décembre 2009, p. 229 et s.

[9] S04E13, Le feu sous la glace.

[10] S01E06, La momie . Voir également S03E05, Super Héros.

[11] S06E03, Guido on the Rocks.

[12] S02E05 les femmes de sa vie.

[13] S05E05, Anock.

[14] S01E04, Dans la peau de l’ours.

[15] S04E10, Passager 3-B.

[16] S02E02, la place du père.

[17] S05E01, Innocence perdue.

[18] Sur cette exposition voir not. Claire Gwénaëlle, « L’exposition anatomique « Our body », une atteinte à la dignité du cadavre ? », Méd. et Droit 2011 n° 108 p. 136 et s.; Marrion Bertrand, Exposition Our body : corps ouverts mais expo fermée ! ; Jcp G, 2010 p. 2333 et s.; Labbee Xavier, « Interdiction de l’exposition « Our Body, à corps ouverts » », D. 2009 p. 1192 ; Pierroux Emmanuel, « « Our Body, à corps ouverts », l’exposition fermée », Gaz. Pal. 2009 n° 147-148 p. 02 et s.; Loiseau Grégoire, « Des cadavres mais des hommes », Jcp G 2009 p. 23 et s.

[19] Cadot Laure, « Les restes humains, une gageure pour les musées», La lettre de l’Ocim ; 2007 ; n° 109 p. 04 à 15. Voir également Des collections anatomiques aux objets de cultes, conservation et exposition des restes humains dans les musées ; Antz, Jean-Edouard, « Réflexions autour du statut juridique des collections muséales d’origine humaine »,  Rgdm 2012 n° 45, p. 07 et s.; Cornu Marie, « le corps humain au musée : de la personne à la chose », D. 2009 chron. p. 1907 et s.

[20] Sur ce point voir Martin, « le paradigme du déni social de la mort à l’épreuve des séries télévisées, Mise en scène et mise en sens de la mort » in La mort dans les jeux vidéo, L’esprit du temps, 2011.

[21] La saga comprend plusieurs tomes : Ce cher Dexter ; Paris, éd. Points ; 2005 – Dexter revient ! / Le Passager noir ; Paris, éd. Points ; 2005 – Les Démons de Dexter ; Paris, éd. Points ; 2008 – Dexter dans de beaux draps ; Paris, éd. Points ; 2010 – Ce délicieux Dexter ; Paris, éd. Points ; 2010 – Double Dexter ; Points ; 2013 ; Dexter fait son cinéma ; Paris, éd. Lafon, 2014.

[22] Titre de l’épisode 01de la Saison 01 (E01S01).

[23] Julier-Costes Martin, « Le paradigme du déni social de la mort à l’épreuve des séries télévisées. Mise en scène et mise en sens de la mort », L’esprit du tempsÉtudes sur la mort, 2011/1 n° 139, p. 155.

[24] Les commandements sont les suivants : « Ne te fais pas attraper – Ne tue que ceux qui le méritent – Sois totalement certain de leur culpabilité – Ne t’implique jamais émotionnellement – Contrôle tes pulsions, ne te laisse pas contrôler ».

[25] Julier-Costes Martin, art. précit., p. 156.

[26] Blum Charlotte, Dexter : le guide non officiel ; Paris, éd. Archipel ; 2011 ; p. 21.

[27] Merckle Pierre, Dolle Thomas, « Morts en séries : représentations et usages des cadavres dans la fiction télévisée contemporaine », Raison Publique, n° 11, déc. 2009, p. 233 : « A la suite de la diffusion des Experts, on a rapidement assisté à une multiplication des fictions télévisées plaçant les cadavres, et les professions organisées autour de leur traitement, au centre de leur dispositif narratif, de Six Feet Under à Dexter, en passant par quelques séries moins remarquées, mais tout aussi remarquables de ce point de vue, comme All Souls, Crossing Jordan (Preuves à l’appui), Dead Like Me, Tru Calling, Afterlife, et d’autres mieux connues des téléspectateurs français, comme Ncis et Bones ». V. égal. Pierre Langlais, « De Lost à Southcliffe : la place du mort dans les séries », Télérama, 05 septembre 2014.

[28] Grossmann Agnès, L’enfance des criminels ; Paris, Broché, 2012,

[29] Alh Nils C. et Fau Benjamin, Dictionnaire des séries télévisées ; Paris, Rey, 2011, p. 344 : « Les personnes principaux sont attachants (…). Certes, ils ne sont jamais, ou presque, au cœur de l’action ».

[30] Blum Charlotte, Dexter : le guide non officiel ; Paris, éd. Archipel ; 2011 ; p. 21.

[31] Julier-Costes Martin, « Le paradigme du déni social de la mort à l’épreuve des séries télévisées. Mise en scène et mise en sens de la mort », L’esprit du tempsEtudes sur la mort, 2011/1 n° 139, p. 155.

[32] En ce sens, Bersay Claude, « Le mort en spectacle », Etudes sur la mort, 2006/1 n° 129, p. 171 et s.

[33] Merckle Pierre, Dolle Thomas, « Morts en séries : représentations et usages des cadavres dans la fiction télévisée contemporaine », Raison Publique, n° 11, déc. 2009, p. 234.

[34] Découpage sauvage à la tronçonneuse pour le meurtrier de sa mère, Santos Jimenez (Episode 08 Saison 02) et étranglement pour le pédophile Nathan Marten (E03S03).

[35] « Dexter, le serial killer sublimé », Le Monde des séries, 17 mars 2011 : « La routine matinale de Dexter est un passage en revue de toutes les manières de tuer : l’étranglement, la suffocation, la noyade, l’arme blanche, la lacération, le broyage, la brûlure, le choc brutal (la coquille d’oeuf qui renvoie à l’idée d’un crâne qui se fend). Cela s’accompagne même d’une suggestion de réduction des chairs (gros plan sur l’orange pressée) et de cannibalisme : Dexter fait cuir un morceau de viande qu’il engloutit avec une évidente délectation ».

[36] Blum Charlotte, Dexter : le guide non officiel ; Paris, éd. Archipel ; 2011 ; p. 10.

[37] Thomas Louis-Vincent, « Mort – Les sociétés devant la mort », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 10 sept. 2014 (http://www.universalis.fr/encyclopedie/mort-les-societes-devant-la-mort/).

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