ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Des Constitutions provisoires (par le Dr. N. Perlo)

Voici la 54e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 3e livre de nos Editions dans la collection dite verte de la Revue Méditerranéenne de Droit public publiée depuis 2013.

Cet ouvrage est le troisième issu de la collection
« Revue Méditerranéenne de Droit Public (RM-DP) ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume III :
Influences & confluences
constitutionnelles en Méditerranée

Ouvrage collectif
(dir. Laboratoire Méditerranéen de Droit Public
Mathieu Touzeil-Divina & Wanda Mastor)

– Nombre de pages : 236
– Sortie : juillet 2015
– Prix : 39 €

ISBN / EAN : 979-10-92684-07-0  / 9791092684070

ISSN : 2268-9893

Présentation :

Le présent ouvrage doit sa réalisation et sa publication à un appel à contributions du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public (LM-DP). Une quinzaine de textes a ici été sélectionnée, à l’aveugle, par un comité scientifique. Les contributions proviennent des différents rivages de la méditerranée et vous sont présentées en langue française, langue de travail du LM-DP, mais aussi (en fin d’ouvrage) sous forme de résumés en langues anglaise, arabe (littéraire) et italienne. Le présent volume forme ainsi le troisième numéro de la Revue Méditerranéenne de Droit Public (RMDP). En effet, après un numéro pilote (RMDP I) consacré à des premiers éléments bibliographiques de droit public méditerranéen et un deuxième numéro (RMDP II), fruit des actes du colloque « Droits des femmes et révolutions arabes », notre Revue part cette fois à l’assaut des influences – mais aussi des confluences – constitutionnelles en Méditerranée et c’est un beau voyage que nous vous proposons ainsi de faire à nos côtés. Il ne vous reste qu’à embarquer en gardant toujours à l’esprit que le réseau LM-DP, porteur de ce projet, n’appartient à aucun pays et n’a embrassé aucun dogme. Il entend voguer où le vent le conduira et avec les voyageurs et les capitaines qui voudront bien s’y consacrer. Bienvenue à bord !

Qu’ont retenu l’Egypte, la Tunisie, le Maroc, l’Algérie, la Libye, la Syrie pour ne citer qu’eux de leurs histoires passées ? En quoi ce printemps était-il un « réveil » pour emprunter un terme souvent utilisé ? En quoi certains régimes, certaines Constitutions étaient-ils « transitoires » ? Une religion érigée au statut d’ « officielle » est-elle un obstacle à la liberté de croyance ? Le régime parlementaire y a-t-il un sens ? Pendant longtemps, le droit constitutionnel comparé des pays francophones du sud se limitait à l’étude du mimétisme constitutionnel déjà évoqué. Les peuples ont pu se libérer du joug de certains dictateurs, mais on se libère difficilement du poids du passé. Pour cette raison, le bassin méditerranéen est un formidable laboratoire de droit comparé. Les vents semblent y souffler de toute part ; ceux des anciennes colonies ou protectorats, ceux des cultures locales, de l’Islam, des droits économiques et sociaux, du droit international. Les vents de l’importé, l’exporté, le voulu, le subi, le conscient, l’inconscient. Les influences et confluences. Autant de souffles qui font la richesse et la complexité de ces pays voisins. Nous ne savons s’il existe un droit méditerranéen, et nous ne sommes, de manière générale, pas favorable à la globalité, l’universalité des définitions. Nous sommes convaincus en revanche qu’il y a un noble objet de recherche, et que les contributions qui suivent en sont la preuve.

Les Constitutions Provisoires,
une catégorie normative atypique
au cœur des transitions constitutionnelles en Méditerranée

Nicoletta Perlo
Maître de conférences, Université Toulouse I Capitole
membre du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les Pays du bassin méditerranéen, et notamment les rives européenne et africaine, ont connu des transitions constitutionnelles d’ampleur, passant de régimes politiques autoritaires à des régimes démocratiques. Ces Pays présentent ainsi un grand intérêt pour l’étude comparative des périodes instables des transitions constitutionnelles démocratiques.

L’analyse des processus complexes, conduisant à la disparition d’un régime politique autoritaire et à l’instauration d’un régime démocratique, impose au juriste d’étudier l’ensemble des normes, matériellement et formellement constitutionnelles, qui contribuent au changement axiologique de l’ordre juridique. La succession de deux ordres constitutionnels ne saurait pas se réduire, en effet, à l’abrogation formelle de l’ancien ordre et à l’entrée en vigueur du nouveau. Bien au contraire, la transition se caractérise par des phases, marquées par l’adoption d’une pluralité d’actes juridiques, qui mettent fin au régime précédent, instaurent un régime intermédiaire et provisoire et conduisent à l’adoption de la nouvelle Constitution. La consolidation des institutions démocratiques conclut le processus transitionnel[1].

La présente étude retient ainsi une définition bien précise de la « transition »[2], excluant toutes les transformations politico-constitutionnelles qui ne conduisent pas à un changement radical du régime politique[3], ainsi que tout processus conduisant à l’affirmation d’un ordre juridique autoritaire[4]. En outre, nous limitons notre analyse à une phase spécifique du processus transitionnel, celle se situant entre l’abrogation de l’ordre juridique déchu et l’adoption de la nouvelle Constitution démocratique.

Ce stade intermédiaire de la transition a longtemps été oublié par la doctrine, qui a considéré cet « interrègne constitutionnel »[5] comme relevant du pur fait et non pas du droit, étant donné que, dans cette phase, aucune norme fondamentale stabilisée ne semble fonder un ordre juridique globalement efficace et sanctionné[6]. A partir de 1945, toutefois, quelques auteurs[7] commencent à s’intéresser aux actes normatifs adoptés dans cette période.

Ce réveil d’intérêt est lié aux grandes transformations politico-juridiques qui marquent l’après guerre. La reconnaissance du suffrage universel et l’affirmation des grands partis politiques de masse changent sensiblement la fonction de la Constitution ainsi que les procédures de son adoption. Désormais, le texte constitutionnel est un instrument d’intégration de sociétés plurielles et la phase pré-constituante se complexifie dans le but d’atteindre le consensus politique et social qui, seul, est capable de fonder une communauté civile et politique. Par conséquent, le stade intermédiaire de la transition dure plus longtemps et très souvent se caractérise par l’adoption de textes matériellement constitutionnels.

Les « interrègnes » des transitions démocratiques des Etats riverains de la Méditerranée suivent bien cette tendance. En particulier, l’Italie, la France, le Portugal, l’Espagne, l’Albanie, la Tunisie, l’Egypte et la Libye ont adopté, dans cette phase de la transition, des textes juridiques atypiques, que nous appelons « Constitutions provisoires »[8]. Ces actes, fondateurs d’un ordre constitutionnel provisoire, encadrent les gouvernements provisoires[9] et organisent l’adoption de la Constitution définitive. Ils donnent ainsi une réponse immédiate à l’exigence de rétablir l’ordre et la paix, ils attribuent une légitimité démocratique à l’autorité de fait et représentent des laboratoires précieux pour la conception de nouvelles solutions d’ingénierie constitutionnelle, respectueuses de l’Etat de droit. Par conséquent, l’étude des Constitutions provisoires contribue à la réflexion sur la nature et les fondements juridiques des transitions démocratiques ainsi qu’à l’approfondissement des procédures constituantes.

L’analyse comparative des Constitutions provisoires méditerranéennes permet, tout d’abord, d’identifier cette catégorie normative atypique, dont la validité est limitée dans le temps et le contenu, matériellement constitutionnel, est caractérisé par la présence de dispositions bien spécifiques (I). La comparaison nous conduit ensuite à étudier la raison d’être de tels actes. Au-delà de la fonction de pacification politique et sociale, celle de légitimation occupe une place centrale dans l’élaboration de ces textes. Par les Constitutions provisoires, des gouvernants auto-proclamés légitiment leur pouvoir et contribuent à la légitimation de la Constitution définitive, assurant ainsi l’effectivité du nouvel ordre constitutionnel et la réussite de la transition (II).

I. L’identification des Constitutions provisoires

Les Constitutions provisoires contredisent, sous deux profils, la catégorie normative traditionnelle de « Constitution ». Elles ne sont pas adoptées pour durer dans le temps, ayant, bien au contraire, une validité limitée (A). En outre, elles n’ont pas la forme constitutionnelle, étant donné que, le plus souvent, elles sont adoptées par des actes infra-constitutionnels. Toutefois, leur contenu est matériellement constitutionnel et présente des caractéristiques uniques, qui font des Constitutions provisoires une catégorie normative atypique du droit constitutionnel (B).

A. Une validité limitée dans le temps

La notion de « Constitution provisoire » semble former en soi un oxymore. Selon l’idéologie constitutionnaliste, la Constitution est en effet un texte normatif fondé sur un pacte collectif et volontaire qui doit s’inscrire dans la durée afin de construire un ordre stable de l’Etat. Toutefois, l’expérience nous oblige à constater que la vocation à la perpétuité des Constitutions modernes n’est qu’illusoire, les équilibres institutionnels et sociaux évoluant sans cesse et pouvant produire des ruptures et des renouveaux constitutionnels répétés. Or, si la Constitution éternelle n’est pas une donnée réelle, pourrait-on considérer que toutes les Constitutions sont, au fond, provisoires, puisque destinées, à termes, à être remplacées par un autre texte constitutionnel ? Dans ce cas, la distinction entre une Constitution « provisoire » et une Constitution « définitive » serait dépourvue de tout fondement.

Cependant, ce qui relève ici pour l’identification de la Constitution provisoire, n’est pas la durée effective de la validité du texte, mais l’intention originaire du constituant. Une Constitution « provisoire » est un texte qui est expressément conçu pour prévoir des règles à validité temporaire. En ce sens, elle contient les dispositions qui, de façon expresse ou parfois implicite, prévoient et organisent sa disparition. En quelque sorte, il s’agit d’un texte créé pour s’autodétruire, une fois sa mission remplie[10].

La fin de la validité du texte constitutionnel intérimaire correspond, en général, au moment de l’adoption de la Constitution définitive. Toutefois, chaque transition, selon ses exigences propres, peut renvoyer à des événements politico-juridiques différents.

En particulier, les Etats qui adoptent une Constitution provisoire lorsque les conflits sont encore en cours, ont tendance à lier l’échéance du texte non seulement à un acte juridico-constitutionnel précis, mais aussi à un fait historico-politique déterminé, comme la défaite de l’adversaire ou bien la libération du territoire national. Ainsi, en Italie, le décret-loi luogotenenziale du 25 juin 1944, n°151[11], adopté dans un pays encore en guerre, réglemente l’exercice du pouvoir législatif « jusqu’à l’élection du nouveau Parlement »[12], c’est-à-dire, une fois le territoire national libéré, le choix sur la forme républicaine ou monarchique de l’Etat opéré et la nouvelle Constitution adoptée par une Assemblée constituante élue à suffrage universel direct[13]. De même, la Déclaration constitutionnelle libyenne du 3 août 2011[14] organise la disparition des institutions et du texte constitutionnel provisoires « après la déclaration de libération »[15], c’est-à-dire une fois la chute du régime de Kadhafi déclarée.

En revanche, les autres pays méditerranéens se sont dotés de Constitutions provisoires une fois la guerre ou les conflits civils terminés. La validité du texte intérimaire se prolonge alors jusqu’à l’adoption de la Constitution définitive. Parfois, cette référence est explicite, comme dans le cas de la loi portugaise n°3 du 14 mai 1974[16] ou bien de la « Law on Major Constitutional Provisions » du 29 avril 1991[17], qui a régi la période intérimaire de la transition démocratique albanaise. D’autres fois, l’intention du constituant est implicite, mais elle peut être déduite de l’ensemble des dispositions constitutionnelles. C’est notamment le cas, en France, de la loi du 2 novembre 1945[18], qui prévoit que les pouvoirs attribués à l’Assemblée constituante expireront « le jour de la mise en application de la nouvelle Constitution […] ». Puisque l’Assemblée exerce des fonctions à la fois constituantes et législatives, il est évident qu’une fois la Constitution définitive adoptée, la réglementation provisoire perd sa validité. La Ley para la Reforma politica espagnole du 15 décembre 1976[19], approuvée par les Cortes organicas franquistes, n’explicite pas non plus la fin de sa validité. Le contenu de la Ley, toutefois, ne ment pas : elle rompt de façon nette avec le régime autoritaire en affirmant les principes d’un Etat démocratique, en prévoyant l’institution d’un Parlement bicaméral et en réglementant les aspects essentiels du processus législatif[20]. La Ley pose alors les bases pour la future organisation des élections générales et l’adoption d’une nouvelle Constitution. De même, la Déclaration constitutionnelle égyptienne du 30 mars 2011[21] révèle implicitement la nature provisoire de son pouvoir constituant. L’article 60 prévoit en effet l’élection d’une Assemblée constituante qui « préparera un nouveau projet de Constitution pour le pays […] » et l’article 61 établit un terme aux prérogatives exceptionnelles exercées par le Conseil suprême des forces armées pendant la période intermédiaire.

La transition tunisienne présente, enfin, la particularité d’avoir conduit à l’adoption de deux constitutions provisoires, fondatrices de deux ordres constitutionnels provisoires distincts au sein de la même période intermédiaire. Par conséquent, les deux textes lient leurs disparitions respectives à des événements différents. Le décret-loi du 23 mars 2011[22], adopté par le Président de la République par intérim, prévoit que sa validité se termine suite à l’élection de l’Assemblée nationale constituante[23]. En revanche, la Loi constituante n° 2011-6 du 16 décembre 2011[24], adoptée par une commission ad hoc de l’Assemblée constituante nouvellement élue, lie sa disparition à l’adoption de la nouvelle Constitution[25].

B. Un contenu matériellement constitutionnel

Le deuxième aspect qui permet d’identifier une Constitution provisoire est le contenu de ce texte. La forme de la norme, en effet, n’est pas un critère fiable, étant donné que, très souvent, il s’agit d’actes pour lesquels n’ont pas été prévues des procédures d’adoption et/ou de révision renforcées[26]. Fréquemment, ils sont issus d’un acte unilatéral émis par la nouvelle autorité de fait, qui, en dehors de toute légitimation démocratique[27], s’auto-attribue le pouvoir constituant provisoire. Même si les constituants consacrent presque toujours les textes en tant que « lois constitutionnelles »[28], cette prévision ne saurait pas suffire en l’absence de conditions renforcées pour la révision de leurs dispositions. Dans l’espace méditerranéen, seuls deux Etats ont adopté une Constitution provisoire formellement constitutionnelle. Il s’agit de l’Albanie[29] et de la Lybie[30].

La raison pour laquelle les Constitutions provisoires sont si rarement dotées d’une forme constitutionnelle est à rechercher dans leur nature de textes « relais » [31], adoptés provisoirement pour accompagner et régir le passage d’un ordre juridique à un autre. Après une révolution, un coup d’Etat, une guerre civile, les Constitutions provisoires représentent la toute première formalisation de l’équilibre précaire atteint entre les acteurs civils, politiques et militaires de la transition. Ces textes sont issus d’un pacte politique, formel[32] ou informel, négocié entre les parties, qui fixe les règles de la trêve institutionnelle et sociétale provisoirement atteinte. En cela, les Constitutions provisoires sont une illustration éclairante des théories institutionnalistes[33]. Si l’adoption de la Constitution définitive, strictement encadrée par des règles et des procédures démocratiques, peut faire oublier que ce texte existe en vertu d’un ordre concret qui le précède et qui l’exprime, la Constitution provisoire, adoptée dans l’urgence par des pouvoirs dépourvus souvent de toute légitimité démocratique, nous dévoile les procédures institutionnelles de la vie de l’Etat, qui se tissent inlassablement entre chaque discontinuité constitutionnelle[34]. La Constitution provisoire, en tant qu’acte juridique volontaire, fixe, formalise l’ensemble normatif matériel, issu de la composition des tensions en présence[35]. De par ses règles, ce texte marque un tournant décisif de la transition : il fonde un ordre constitutionnel provisoire, en déterminant une césure nette avec le régime juridique précédent, en organisant les institutions provisoires et en encadrant la procédure constituante pour l’adoption d’une Constitution définitive. Les dispositions des textes provisoires ont alors une dimension temporelle très particulière : elles règlent le passé, organisent le présent et préparent le futur. En cela, les Constitutions provisoires présentent un contenu typique, matériellement constitutionnel, qui permet de les identifier en tant que telles.

L’étude des Constitutions provisoires méditerranéennes semble conforter cette analyse. En premier lieu, les textes provisoires, dans la plupart des cas, se positionnent explicitement par rapport aux ordres juridiques précédents[36]. Les constituants provisoires prévoient : ou bien le maintien en vigueur des normes constitutionnelles du régime précédent, dans le respect des nouvelles dispositions provisoires[37] ; ou bien la suspension de la validité de la norme fondamentale de l’ordre autoritaire[38] ; ou encore l’abrogation définitive[39].

Tous les textes méditerranéens organisent ensuite un système constitutionnel provisoire. En ce sens, les Constitutions provisoires sont des véritables laboratoires, offrant la possibilité aux gouvernants d’expérimenter des nouveaux mécanismes constitutionnels démocratiques. La forme de gouvernement parlementaire est souvent privilégiée, puisqu’elle est considérée comme la plus à même de marquer la rupture avec le régime dictatorial[40]. Cependant, dans de nombreux cas, l’institution immédiate d’un ordre entièrement démocratique se révèle impossible. Dans des contextes encore troublés, l’exigence de maintien de l’ordre rend parfois nécessaire l’établissement d’un exécutif très fort ou la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul organe, au détriment des principes de l’Etat de droit[41]. Les dispositions régissant une procédure constituante démocratique sont alors la promesse du passage à une phase ultérieure, stabilisée, dans laquelle un régime démocratique pourra être réalisé.

Les Constitutions méditerranéennes plus récentes, et notamment, celles albanaise, libyenne et égyptienne, présentent un autre trait caractéristique. Ces textes contiennent des catalogues de droits et de libertés fondamentaux très fournis, même en l’absence d’institutions qui puissent garantir leur application effective. Les constituants provisoires manifestent ainsi leur volonté de rompre radicalement avec le passé autoritaire et semblent préconiser les fondements du pacte constitutionnel à venir. Cela revêt une fonction de légitimation démocratique des institutions provisoires très importante, à la fois, à l’intérieur et à l’extérieur du pays. D’une part, les nouvelles forces dominantes rassurent les citoyens sur le changement radical qui s’annonce, malgré la persistance, très souvent, d’un régime provisoire foncièrement autoritaire. D’autre part, les pouvoirs provisoires se légitiment vis-à-vis de la communauté internationale, manifestant leur volonté de se rallier aux principes fondateurs du constitutionnalisme et à la doctrine des droits de l’homme.

Enfin, toutes les Constitutions provisoires méditerranéennes encadrent la procédure constituante qui conduira à l’adoption d’une nouvelle Constitution, achevant la transition démocratique. Les procédures instituées s’organisent toutes autour d’une élection à suffrage universel, qu’elle soit législative ou bien constituante, gage de la légitimité démocratique de la nouvelle norme suprême. Dans la plupart des cas, les textes prévoient l’élection directe d’une Assemblée constituante, à laquelle sont souvent attribués d’autres pouvoirs[42]. Dans d’autres cas, la Constitution provisoire prévoit que la Constitution définitive soit adoptée par une commission issue de l’assemblée législative[43].

L’étude de ces textes, nous conduit à constater que, souvent, la Constitution provisoire est formée par plusieurs actes juridiques, qui, adoptés tout au long de la période intermédiaire de la transition, contribuent à intégrer ou bien à amender le premier acte constitutionnel adopté. La phase d’interrègne peut en effet durer longtemps et, bien évidemment, les équilibres entre les forces en présence évoluent. Les révisions du pacte originaire sont alors souhaitables, étant donné que cette période est consacrée à rechercher un accord capable de fonder une communauté civile et politique stabilisée. Dans les cas où une pluralité d’actes contribue à régler le statut de l’ordre juridique précédent, à organiser le système constitutionnel provisoire et à encadrer la procédure constituante, nous considérons qu’il existe un « bloc de constitutionnalité provisoire »[44].

La transition démocratique portugaise, par exemple, s’est déroulée au travers d’une succession d’actes à valeur constitutionnelle qui, réunis, en vertu de leurs contenus, forment bien un bloc constitutionnel provisoire[45]. De même la transition albanaise, dont la phase intermédiaire a duré sept ans, se caractérise par un ensemble de textes successifs qui complètent et amendent la Law on Major Constitutional Provisions[46]. En Espagne, la Ley para la reforma politica est complétée par une série d’actes indispensables pour préparer le terrain à l’organisation d’élections libres et démocratiques[47]. En Italie, bien que la doctrine majoritaire considère que deux Constitutions provisoires ont régi la transition démocratique[48], nous estimons que le décret-loi n° 151/1944 et le décret législatif n° 98/1946 forment un bloc unique, un seul ordre constitutionnel provisoire ayant existé pendant cette période[49]. En France, enfin, nous considérons que la loi constitutionnelle du 2 novembre 1945, communément définie par la doctrine comme la Constitution provisoire[50], fait en réalité partie d’un bloc constitutionnel, formé également par l’ordonnance du 9 août 1944, portant rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental. Les deux textes sont adoptés par le même organe, le Gouvernement provisoire de la République française, et, ensemble, contribuent, d’abord, en 1944, à régler le passé, en déclarant l’inexistence juridique du gouvernement Pétain, et ensuite, en 1945, une fois la guerre terminée, à organiser le présent et préparer l’avenir d’un nouvel ordre constitutionnel.

II. La fonction légitimante des Constitutions provisoires

Les Constitutions provisoires fournissent une réponse à deux enjeux primordiaux, communs à toutes les transitions : le rétablissement de l’ordre public et de la paix sociale et la légitimation du nouveau gouvernement et de ses actes juridiques. Les deux défis sont étroitement liés. La légitimité du pouvoir et des actes normatifs influence en effet l’effectivité du nouvel ordre juridique[51], avec des conséquences importantes sur le maintien de l’ordre. La légitimation des gouvernements provisoires et de leurs actes est donc la fonction la plus importante des Constitutions provisoires (A). L’analyse systématique des textes nous révèle ensuite les stratégies de légitimation adoptées par les forces en présence, afin de mener à bien la transition démocratique (B).

A. Une fonction multidirectionnelle

La fonction légitimante des Constitutions provisoires concerne, à la fois, le gouvernement provisoire (i) et la Constitution définitive (ii).

i. La légitimation du gouvernement provisoire

Si les citoyens croient en la légitimité des nouveaux gouvernants, ils adhéreront plus facilement au nouveau projet politique, en se soumettant aux règles édictées pour mener à bien la transition démocratique[52].

Mais comment un gouvernement issu d’une révolution ou d’un conflit interne peut induire la croyance des citoyens en sa légitimité, autrement dit en son bon droit d’exercer le pouvoir et d’adopter régulièrement des actes juridiques ? Avant l’adoption de toute Constitution provisoire, en effet, le nouveau gouvernement est un gouvernement de fait, c’est-à-dire qu’il s’installe en dehors de toute procédure encadrée[53] et n’est initialement soumis à aucune limitation juridique de ses prérogatives[54].

Suivant la réflexion de Max Weber, deux options de légitimation sont possibles dans ce cas[55]. La croyance en la légitimité du nouveau pouvoir et de ses actes peut s’établir en vertu du charisme extraordinaire du leader de la transition[56], ou elle peut se fonder sur « la légalité des règlements arrêtés et du droit de donner des directives qu’ont ceux qui sont appelés à exercer la domination »[57].

Sans doute, un leader charismatique peut jouer un rôle très important pour la réussite de la transition, en légitimant son gouvernement et l’ensemble du processus démocratique de par la force de son exemplarité et de son histoire politique et personnelle. Toutefois, dans les pays méditerranéens analysés, les transitions ont été menées plus par des forces collectives, représentées par des institutions comme l’armée, les partis démocratiques opposés aux régimes précédents et les monarques[58].

L’approche légale-rationnelle wébérienne semble ainsi permettre une analyse plus adaptée aux cas méditerranéens. Le respect par les pouvoirs en place de règles qu’ils ont eux-mêmes établies et auxquelles ils se sont volontairement soumis, contribue de façon déterminante au processus de légitimation des nouvelles institutions et des normes adoptées. Ainsi, l’entrée en vigueur de la Constitution provisoire permet, à la fois, de transformer un gouvernement de fait en gouvernement de droit et de légitimer ainsi les institutions de la période intermédiaire. Le texte crée en effet un ordre constitutionnel, bien que provisoire, qui limite les prérogatives des organes du pouvoir, en devenant le paramètre de la légalité des actions de ces derniers.

Toutefois, dans le cadre des transitions démocratiques, la légitimité d’un gouvernement ne saurait pas correspondre tout simplement à sa légalité, c’est-à-dire à son respect d’une norme supérieure, en faisant abstraction de son contenu et des valeurs véhiculées par celle-ci[59]. Si la légitimité est une relation de conformité entre l’idée que l’on se fait de ce que doivent êtreles normes et le pouvoir dont elles émanent et ce qu’ils sont réellement[60], la légitimité démocratique implique que les détenteurs du pouvoir et les lois adoptées soient conformes aux souhaits de la majorité, dans le respect des droits de l’homme. Certes, la légalité des normes ainsi que du pouvoir qui les adopte contribuent à renforcer leur légitimité et leur effectivité, mais une norme légale ou un pouvoir légal peuvent être illégitimes au vu des valeurs démocratiques[61].

La Constitution provisoire contribue alors à légitimer les nouveaux pouvoirs à la condition qu’elle soit fidèle à la philosophie de la révolution dont elle est issue. Elle doit suspendre ou abroger l’ordre juridique autoritaire pour instituer un nouvel ordre, inspiré des principes de l’Etat de droit. S’explique ainsi la tendance actuelle des constituants provisoires d’inscrire dans les Constitutions provisoires des véritables catalogues de droits et de libertés[62]. L’organisation des institutions provisoires doit également répondre aux exigences démocratiques en ce qui concerne leur mandat et leur fonctionnement. Sur ce point les expériences diffèrent, puisque l’instabilité de la période intermédiaire peut rendre nécessaire le recours à des compromis qui, tout en allant au détriment du caractère démocratique du système, sont essentiels pour la réussite de la transition. Deux éléments demeurent incontournables pour assurer la légitimité démocratique du gouvernement provisoire : la prévision d’élections libres et sincères, à suffrage universel direct, et l’organisation d’une procédure constituante impliquant la participation des citoyens.

Exception faite pour le texte albanais[63], la totalité des Constitutions provisoires méditerranéennes annonce et réglemente la tenue d’élections. Or, l’élection peut concerner les institutions provisoires, si la Constitution provisoire est adoptée par un pouvoir auto-proclamé[64], et/ou l’Assemblée constituante[65].

Quant à la procédure constituante, pour en assurer le caractère démocratique, dans l’espace méditerranéen, deux solutions sont adoptées : l’Assemblée constituante est élue par le peuple, par un scrutin capable de représenter l’ensemble des forces politiques de la Nation[66] ; ou bien le pouvoir législatif, directement élu, nomme une Commission chargée d’élaborer un projet de Constitution[67]. L’approbation de la Constitution peut inclure la participation directe du peuple, via un référendum[68], ou bien comporter un vote, à une large majorité, de l’organe élu[69], représentant des citoyens.

ii. La légitimation de la Constitution définitive

La fonction légitimante de la Constitution provisoire n’est pas limitée au gouvernement provisoire, mais elle s’étend également au pouvoir constituant et à la Constitution définitive. A ce titre, une précision s’impose. La relation entre la Constitution provisoire et la Constitution définitive doit être analysée à l’aune de la notion de « légitimité » et non pas de celle de « légalité ». Légale est une norme qui est conforme à la norme supérieure. Or, la Constitution provisoire ne fonde pas la validité-légalité de la Constitution définitive. La Constitution provisoire et la Constitution définitive fondent deux ordres juridiques, distincts et séparés. Certes, la Constitution provisoire pose des règles concernant la procédure constituante et parfois impose des contenus au texte constitutionnel définitif, mais cela ne lie pas le pouvoir constituant définitif, qui reste juridiquement libre dans son action. Les contraintes prescrites sont d’ordre politique et leurs conséquences juridiques doivent être appréciées en termes de légitimité.

Ainsi, la conformité procédurale et substantielle de la Constitution définitive aux règles établies par la Constitution provisoire est un facteur important de légitimité pour la norme constitutionnelle finale, puisque, suivant toujours l’approche wébérienne, elle peut induire les individus à croire à la légalité de la procédure suivie et à la légalité du texte adopté. Soyons clairs, la croyance en la légalité ne signifie pas que la norme est réellement légale[70], mais cela induit les destinataires de la norme à la considérer comme légitime et donc à s’y soumettre, garantissant l’effectivité du système. Dans les transitions que nous étudions, la légitimité est aussi fonction du caractère démocratique des procédures constituantes et des principes affirmés par la Constitution provisoire.

Certes, la Constitution provisoire est seulement l’un des facteurs de légitimation de la Constitution définitive. Pendant la procédure constituante, et tout au long de la période intermédiaire, les équilibres politiques et sociaux évoluent sans cesse, donnant vie à des nouveaux ordres informels, à des nouvelles « constitutions matérielles », selon l’expression de Mortati. L’intensité du rapport de légitimation entre la Constitution provisoire, d’une part, et le pouvoir constituant et la Constitution définitive, d’autre part, est alors étroitement liée à la capacité de la première de refléter l’ensemble des règles informelles exprimées par l’équilibre des forces politico-sociales en présence, tout au long de la période intermédiaire[71]. Cela explique la création diffuse de blocs constitutionnels provisoires. L’ordre provisoire adapte ses règles aux changements sociaux et politiques, induits souvent par l’organisation d’élections législatives ou constituantes.

La transition portugaise en est un exemple. Entre le premier texte du bloc constitutionnel provisoire, adopté le 14 mai 1974, et le dernier, la deuxième Plateforme constitutionnelle du 26 février 1976, les équilibres entre les acteurs de la transition ont fortement changé. Si dans une première phase le Mouvement des forces armées est le moteur de la Révolution, après les élections législatives, il en devient un simple garant, laissant la place aux forces politiques et civiles[72]. Les règles de la procédure constituante accompagnent donc l’évolution des rapports entre les forces politiques, jusqu’à ce que ces rapports soient traduits en droit par la Constitution définitive.

B. Une fonction inscrite dans la stratégie transitionnelle

La fonction de légitimation des Constitutions provisoires est étroitement liée à la stratégie adoptée par les forces dominantes afin de mener à bien la transition démocratique. L’analyse juridique permet en effet de constater que ces actes traduisent en droit le choix politique opéré entre deux typologies principales de transition : la transition « par compromis » et la transition « par élimination du régime précédent » [73]. Nous pouvons alors identifier deux typologies de Constitutions provisoires : les Constitutions provisoires « de la continuité » et les Constitutions provisoires « de la rupture ».

Statistiquement, la première typologie est plus fréquente que la deuxième. Les transitions démocratiques par compromis, en effet, ont plus de chances de réussite. Les accords atteints entre les tenants de l’ancien régime et les vainqueurs permettent de dégager un consensus pacifiant, qui peut jeter des bases solides pour une coexistence future et durable entre tous les membres de la société (i). En revanche, l’élimination des vaincus de toute forme d’exercice du pouvoir et de toute participation à la reconstruction de l’Etat peut, certes, fortifier, dans un premier temps, les vainqueurs, mais, sur le long terme, elle peut engendrer des déséquilibres importants. La société reste, en effet, divisée, puisque fondée sur le principe d’exclusion d’une partie à l’avantage des autres[74] (ii). Les transitions démocratiques en Méditerranée confirment cette tendance.

i. Les Constitutions provisoires « de la continuité »

La plupart des Constitutions provisoires étudiées sont l’instrument d’une stratégie légitimante consistant à faire apparaître qu’une partie de la procédure constituante est fondée sur les normes de l’ordre juridique précédent. Bien entendu, il ne s’agit que d’une fiction, puisque le nouvel ordre provisoire introduit, dans tous les cas, un régime politique et une forme d’Etat nouveaux, porteurs d’une conception différente de la relation entre les gouvernants et les gouvernés et de la finalité de l’action publique. Toutefois, dans le cadre de transitions où le régime précédent bénéficie encore d’une certaine légitimité et les forces opposées ne sont pas assez fortes pour s’imposer l’une à l’autre, la prétendue continuité entre les deux ordres sert les intérêts d’une transition négociée et pacifique. La dissimulation de la rupture de l’ordre juridique assure un effet de légitimation, bien que partiel : la Constitution provisoire apparaît légitime puisque le pouvoir qui l’a adoptée, en apparence, ne viole pas les règles de l’ordre constitutionnel déchu. Ainsi, la procédure constituante régie par ce texte acquière une légitimité qu’elle transmet par ricochet à la Constitution définitive. Le rattachement au passé ne saurait, toutefois, pas suffire à légitimer la transition démocratique. Pour cela, il faut que, en même temps, la volonté d’instaurer un régime démocratique soit clairement annoncée par la Constitution provisoire et que, en ce sens, soient enclenchées des procédures électorales législatives et constituantes.

Ainsi, en 2011, les tunisiens, dans la première phase de la transition, tentent de passer à un nouvel ordre constitutionnel dans le respect de la Constitution du régime précédent. L’intention des nouvelles forces dominantes est celle d’attribuer le pouvoir législatif au nouveau Président intérimaire. Puisque, toutefois, cela constitue une violation manifeste de la Constitution de 1959, des mesures « d’ingénierie constitutionnelle »[75] sont élaborées afin de garantir une légalité apparente, alors que, dans les faits, elles contournent les règles constitutionnelles. L’apparente continuité constitutionnelle est toutefois gage de légitimité pour le Président par intérim, qui, fort de cette assise, le 23 mars 2011, adopte un décret-loi[76], qui fonde le premier ordre constitutionnel provisoire. Cette première Constitution provisoire, en dépit de la fiction procédurale, formalise l’exigence d’un changement radical de la forme d’Etat et organise le passage vers un régime démocratique attribuant la souveraineté au peuple.

La transition démocratique espagnole a été aussi conduite en passant par un texte de rupture dissimulée. Après la mort du dictateur Franco, la faiblesse des parties opposées, la volonté de paix de la plupart des espagnols et l’engagement du roi en faveur du changement[77] conduisent le gouvernement Suarez à mettre en place une stratégie juridique capable d’assurer une transition intégrant, à la fois, l’opposition et les franquistes. La Ley para la Reforma politica est approuvée par les Cortes organicas franquistes dans le respect de la procédure de révision prévue par la Constitution de la dictature. Sous le voile de la légalité franquiste, cet acte constitutionnel, en cinq articles, rompt de façon nette avec le régime autoritaire affirmant la suprématie de la loi, la souveraineté populaire et l’inviolabilité des droits[78]. La voie vers l’approbation d’une Constitution démocratique définitive est ainsi ouverte.

De même, en Italie, le pouvoir constituant provisoire de 1944 s’appuie largement sur la légitimité de l’ordre monarchique pour fonder la légitimité du bloc constitutionnel provisoire, qui, de fait, change radicalement la forme de l’Etat italien[79]. Les decreti luogotenenziali imposent, en effet, l’organisation d’un référendum qui conduit à la proclamation de la République et contiennent des dispositions qui préconisent la nouvelle forme d’Etat démocratique et pluraliste.

Il est à noter que dans cet ensemble de cas, le pouvoir constituant provisoire est un organe de l’ordre précédent. Cela nourrit davantage la fiction et a une fonction de pacification indéniable. Toutefois, cet organe, au moment où la transition vers un nouvel ordre a été enclenchée, n’est plus investi par l’ordre juridique précédent. Désormais, il agit « comme un organe provisoire du nouvel ordre »[80].

ii. Les Constitutions provisoires « de la rupture »

La Constitution provisoire de la rupture entend manifester la disparition formelle et matérielle du régime précédent. Elle est alors adoptée par un organe totalement nouveau, délié du régime précédent.

L’étude des cas concrets nous dévoile, cependant, que la réalité est toujours plus ambiguë des modèles « purs » que les juristes peuvent élaborer pour essayer de comprendre, de façon synthétique, des phénomènes complexes. Si les Constitutions de la continuité cachent une césure constitutionnelle et institutionnelle profonde avec le régime précédent, les Constitutions de la rupture sont souvent issues et modelées par des compromis, conclus entre les nouveaux pouvoirs et les tenants de l’ancien régime[81]. Ce sont d’ailleurs ces compromis qui, souvent, assurent la réussite de la transition. La rupture, comme la continuité, n’est donc qu’apparente, un instrument au service d’une stratégie de légitimation dont la Constitution provisoire est le fidèle miroir.

Le passage du régime de Vichy à la IVe République française est l’exemple d’une transition conduite par des textes constitutionnels de très forte rupture. Une rupture qui passe tout d’abord par la négation de l’existence juridique du gouvernement de Vichy, réduit au simple rang d’autorité de fait par l’article 7 de l’ordonnance du 9 août 1944. La césure avec le passé n’est toutefois pas si radicale. Le gouvernement provisoire de 1944, autoproclamé à la veille du débarquement des Alliés en Normandie, et incarné par le Comité français de la Libération nationale, tente de renouer avec les lois constitutionnelles de 1875, qui juridiquement demeurent en vigueur[82]. La volonté, manifestée dans l’intitulé de l’ordonnance de 1944, de rétablir la légalité républicaine, montre le désir de fonder la légitimité d’un gouvernement nouveau et révolutionnaire sur la légalité de la IIIe République[83]. En réalité, le ralliement au passé n’est que symbolique, puisque la structure du gouvernement provisoire ne se conforme pas aux dispositions de 1875. Une fois le conflit terminé, l’organisation du référendum du 21 octobre 1945, marque la rupture définitive avec l’ordre constitutionnel de 1875. Les Français s’expriment en faveur de l’adoption d’une nouvelle Constitution et la loi du 2 novembre 1945 organise la procédure constituante et encadre les institutions provisoires selon des principes tout à fait nouveaux.

La Constitution provisoire portugaise est aussi un exemple éclairant de cette typologie de textes. Suite au coup d’Etat militaire soutenu par le peuple qui, en 1974, met fin au régime autoritaire de Salazar, un pouvoir nouveau, le Mouvement des Forces Armées, adopte l’ensemble des actes constitutionnels provisoires. La procédure constituante est organisée dès 1975, au travers de deux « Plateformes d’accord constitutionnel ». La première est conçue unilatéralement par les militaires et imposée par le MFA aux partis politiques. La deuxième intervient après l’élection de l’Assemblée constituante (25 avril 1975) et elle est issue d’un accord bilatéral entre le MFA et les partis politiques. Elle conduit à la formation d’une Assemblée constituante politiquement hétérogène, qui, sans aucune intervention politique des militaires, approuve la Constitution définitive du 2 avril 1976.

La transition constitutionnelle égyptienne n’est pas issue d’un coup d’Etat militaire, mais elle a également été régie par les forces armées en rupture manifeste avec le régime précédent. Sous la pression populaire, le président Moubarak cède le pouvoir au Conseil suprême des Forces armées, qui dans un premier temps agit dans la continuité du régime précédent, adoptant des amendements à la Constitution de 1971, approuvés par référendum le 19 mars 2011. Dix jours après, toutefois, le Conseil s’érige en pouvoir constituant provisoire édictant une Déclaration constitutionnelle qui rompt de façon nette avec l’ancien régime et introduit un nouvel ordre constitutionnel provisoire. De nombreuses institutions du régime précédent sont toutefois maintenues, notamment la magistrature et la Cour constitutionnelle. La rupture impose ainsi la coexistence entre les tenants de l’ancien régime et les fondateurs du nouvel ordre, ce qui oblige la recherche permanente de compromis pour pouvoir gouverner[84].

En Albanie, la rupture symbolique avec le régime précédent est évidente. La Constitution provisoire du 21 mai 1991 est adoptée par un Parlement pluraliste, issue des premières élections libres depuis soixante-six ans. Le texte supprime toute référence au « socialisme » et fonde un ordre constitutionnel provisoire inspiré des principes de l’Etat de droit et basé sur un régime parlementaire. Toutefois, l’analyse des dynamiques politiques qui ont régi la transition nous dévoile qu’en réalité les tenants de l’ancien régime n’ont pas été éliminés du système. Bien au contraire, l’ancien parti communiste unique de la République populaire socialiste d’Albanie gagne les premières élections législatives et le premier secrétaire du parti, Ramiz Alia, est élu Président de la République. Un gouvernement de coalition est alors formé et cela conduit à l’adoption de la Constitution provisoire, qui est donc issue d’un compromis entre les nouvelles forces politiques et les anciennes. La stabilisation des équilibres tardera à s’établir. Des périodes de « règlements des comptes » avec le passé viendront[85], mais la Constitution définitive, sept ans après, sera l’expression d’un consensus politique et social capable d’intégrer les forces du passé.

Le cas libyen constitue, en revanche, un exemple de rupture radicale et sans compromis avec le passé. Cela s’explique par le fait que la chute du régime de Mouammar Kadhafi laisse un véritable vide institutionnel et constitutionnel dans le pays. D’une part, les institutions politiques n’avaient d’autre légitimité que celle dérivant du pouvoir charismatique du Guide et aucun mouvement d’opposition politique structuré n’existait au moment de la révolution[86]. D’autre part, aucun texte constitutionnel n’était en vigueur en 2011[87]. Ainsi, après l’effondrement du régime, toute continuité institutionnelle et juridique était matériellement impossible et la création d’organes politiques, complètement nouveaux, s’est imposée. Dès février 2011, est constitué le Conseil national de transition, uneautorité politique qui devait conduire le combat contre le régime et régir la transition post-conflit. Préconisant la fin de Kadhafi, le 3 août 2011, le Conseil adopte une Déclaration constitutionnelle pour régir la phase de reconstruction post-conflictuelle. Toutefois, dès les élections législatives du 7 juillet 2012, les tensions dans le pays augmentent. L’absence d’une société civile dotée d’une culture politique et démocratique, la persistance d’une structure sociétale presque féodale, les revendications autonomistes dans l’Est du pays et l’expansion de l’intégrisme religieux sont parmi les facteurs ayant contribué à casser l’unité des acteurs qui avaient combattu Kadhafi et son régime. Une fois la libération déclarée, « les alliés d’hier deviennent les ennemis d’aujourd’hui »[88] et, quatre ans après la révolution, l’échec de la transition démocratique est incontestable[89].


[1] Pour Jean-Pierre Massias, le Droit constitutionnel de la transition démocratique recouvre « l’ensemble des processus constitutionnels ayant pour objet, d’une part, le remplacement des normes constitutionnelles totalitaires par des normes constitutionnelles démocratiques et, d’autre part, l’application effective de ces normes » (Id., Droit constitutionnel des Etats d’Europe de l’Est ; Paris, Puf ; 2008 ; p. 38).

[2] La notion de « transition » acquière de multiples significations non seulement au sein des différentes disciplines des sciences humaines et sociales, mais aussi au sein même de la discipline juridique. V. De Vergottini Giuseppe, Le transizioni costituzionali ; Bologne, Il Mulino ; 1998 ; p. 162-163.

[3] Le passage de la IVe à la Ve République française est donc exclu de notre champ d’étude.

[4] Nous associons, en effet, le constitutionnalisme à la notion de Constitution moderne, en considérant que, désormais, la notion de Constitution ne peut être appréciée qu’à l’aune de cette idéologie. En ce sens, V. Beaud Olivier, La puissance de l’Etat ; Paris, Puf ; 1994 ; p. 259 ; Rubio Llorente Francisco, « Constitucion (derecho constitucional) » in Enc. Juridica basica ; Civitas, Madrid ; vol. I ; 1995 ; p. 1525.

[5] Carré de Malberg Raymond, Contribution à la théorie générale de l’Etat ; Paris, Sirey ; 1922 (réimpression par Cnrs 1962) ; p. 497. 

[6] Bobbio Norberto, Teoria della norma giuridica ; Turin, Giappichelli; 1958 ; p. 4.

[7] Mortati Costantino, La Costituente, Roma, 1945; Quoc Dinh Nguyen, « La loi du 2 novembre 1945 » in Rdp, 1946, p. 68 ; Prelot Marcel, Précis de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1949, p. 307 ; Onida Valerio, « Costituzione provvisoria » in Digesto Discipline pubblicistiche, vol. IV, Torino, 1990 ; Beaud Olivier, La puissance de l’Etat, op. cit., p. 267 ; Zimmer Willy, « La loi du 3 juin 1958 : contribution à l’étude des actes pré-constituants » in RDP, 1995, p. 385 ; Pfersmann Otto, in Favoreu Louis et al., Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2006, p. 101 ; Cartier Emmanuel, « Les petites Constitutions : contribution à l’analyse du droit constitutionnel transitoire » in RFDC, n°3, 2007, p. 513-534 ; Massias Jean-Pierre, Droit constitutionnel des Etats d’Europe de l’Est, op. cit., p. 17.

[8] Par le passé, la doctrine a utilisé d’autres appellations pour définir ces textes à valeur constitutionnelle, et notamment celles de « pré-constitutions » (Beaud Olivier, La puissance de l’Etat ; op. cit. ; p. 267), « constitutions transitoires » (Pech Laurent, « Les dispositions transitoires en droit constitutionnel » in Rrj, 1999, p. 1412) et « petites constitutions » (Pfersmann Otto, in Favoreu Louis et al., Droit constitutionnel, op. cit., p. 101; Cartier Emmanuel, « Les petites Constitutions », cit., p. 513-534).

[9] On distingue le Gouvernement, qui représente le pouvoir exécutif, du gouvernement, qui désigne l’ensemble des gouvernants de l’Etat qui possède le pouvoir politique.

[10] L’étymologie du mot « provisoire » rend compte du caractère particulier de cette typologie normative. Dans une étude consacrée à la notion de « provisoire », Paul Amselek explique que ce mot naît comme dérivé du terme juridique « provision », qui, au XVe siècle, renvoyait à une décision judiciaire provisoire, adoptée « avant que la décision à prendre soit arrêtée définitivement ». Le but de la provision était de « pourvoir à des besoins immédiats plus ou moins urgents pendant la période d’attente, mais aussi de préparer ou d’aider la prise de mesures définitives » (Id., « Enquête sur la notion de provisoire » in Rdp ; 2009 ; n°1, p. 7-11). Pour cette raison nous privilégions l’expression de « Constitution provisoire » à d’autres appellations. Elle permet, en effet, de mettre en exergue la temporalité spécifique de ces textes, ainsi que leur fonction de relais entre deux ordres normatifs.

[11] Une fois la guerre terminée, ce décret-loi est amendé et intégré par le décret législatif luogotenenziale n°98 du 16 marzo 1946 (G. U. n°69 du 23 mars 1946).

[12] Art. 4.

[13] Art. 1.

[14] Texte en française disponible sur : http://mjp.univ-perp.fr/constit/ly2011.htm.

[15] Art. 30.

[16] Préambule à la loi, in Diario do Governo, n°112, I Série, 14 mai 1974, pp. 620-622, https://dre.pt.

[17] L’art. 44, 1er al. Traduction en anglais du texte sur : http://eudo-citizenship.eu.

[18] Art. 6, loi cit., JORF du 3 novembre 1945 p. 7159.

[19] BOC, n°4, 5 janvier 1975.

[20] Kaminis Georges, La transition constitutionnelle en Grèce et en Espagne ; Paris, Lgdj ; 1993 ; p. 143-149.

[21] http://mjp.univ-perp.fr/constit/eg2011a.htm.

[22] JORT, n°20 du 25 mars 2011.

[23] Art. 1er.

[24] JORT, n°97 des 20 et 23 décembre 2011.

[25] Art. 1er.

[26] Selon la théorie de la hiérarchie des normes, en effet, « il y a forme constitutionnelle dès lors qu’il existe une procédure spécifique et renforcée de la production normative ». Favoreu Louis et al., Droit constitutionnel ; op. cit. ; p. 73.

[27] Trois cas font exception à cette absence de légitimation démocratique. La loi constitutionnelle française du 2 novembre 1945 est adoptée par l’Assemblée constituante élue le 21 octobre 1945, dans le respect d’un projet approuvé par un référendum populaire. La deuxième Constitution provisoire tunisienne (Loi constituante n° 2011-6 du 16 décembre 2011) est adoptée par l’Assemblée constituante démocratiquement élue le 23 octobre 2011. En Albanie, la Constitution provisoire du 29 avril 1991 est adoptée par le premier Parlement pluraliste issu des élections libres du 31 mars 1991.

[28] Deux cas font exception : le décret-loi n° 151/1944 italien (art. 6) et la première constitution provisoire tunisienne (art. 1er), qui ont la valeur de simples décrets-lois.

[29] Art. 43, Law on Major Constitutional Provisions.

[30] Art. 36, Déclaration constitutionnelle de 2011.

[31] Cartier Emmanuel, « Les petites Constitutions » ; op. cit. ; p. 523.

[32] Le décret-loi italien n° 151/1944 est issu du « Pacte de trêve institutionnelle » conclu entre l’ensemble des partis antifascistes et le chef du gouvernement Badoglio en avril 1944. Au Portugal, la loi n° 3/1974 traduit en droit le Programme du Mouvement des Forces Armées (Mfa), qui est d’ailleurs annexé à la loi.

[33] Romano Santi, L’ordre juridique, (trad. Pierre Gothot et Lucien François), Paris, Dalloz, 1975 (1er éd. 1918) ; Hauriou Maurice, Précis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1923 (1re éd.), 1929 (2e éd.) ; Mortati Costantino, La costituzione in senso materiale, Milano, Giuffrè, 1940.

[34] V. Hauriou Maurice, Précis de droit constitutionnel ; Paris, Sirey ; 1929 (2e éd.) ; p. 254-255.

[35] La notion de Constitution au sens matériel développée par Costantino Mortati est à cet égard très éclairante. Pour Mortati, toute Constitution formelle est précédée par un ensemble normatif informel – la Costituzione materiale – qui ordonne, compose les tensions, conformément aux équilibres socio-politiques qui se sont formés au sein d’une société donnée, à un moment historique déterminé (Id., La costituzione in senso materiale ; op. cit. Pour une analyse critique de la théorie de Mortati, V. Laffaille Franck, « La notion de constitution au sens matériel chez Costantino Mortati » in Jus Politicum ; n°7 ; http://www.juspoliticum.com/La-notion-de-constitution-au-sens.html).

[36] La Déclaration constitutionnelle égyptienne fait exception. Elle ne « règle pas le passé », étant donné que l’application de la Constitution du régime précédent avait déjà été suspendue par un communiqué du Conseil suprême des forces armées du 13 février 2011. De même, en Italie, le décret-loi n° 151/1944, intervenant après la révocation de Mussolini par le roi et l’abolition de toutes les institutions fascistes par le décret-loi n° 175 du 2 août 1943, n’abroge pas l’ordre précédent, considéré comme déjà déchu.

[37] Art. 1er de la loi portugaise n° 3/74 ; art. 3 Dispositions transitoires de la Ley para la reforma politica espagnole.

[38] Le décret-loi tunisien n° 2011-14 affirme que désormais, « la pleine application des dispositions de la Constitution est devenue impossible ». L’ordre constitutionnel précédent est donc suspendu, comme il sera confirmé par l’art. 27 de la deuxième Constitution provisoire tunisienne.

[39] Art. 45 de la Law on Major Constitutional Provisions albanaise ; art. 34 de la Déclaration constitutionnelle libyenne ; art. 27 de la Loi constituante tunisienne n° 2011-6. En France, l’ordonnance du 9 août 1944 non seulement déclare nuls tous les actes constitutionnels du régime (art. 2), mais elle affirme le principe de l’inexistence juridique du gouvernement Pétain (Morabito Marcel, Histoire constitutionnelle de la France ; Paris, Lgdj ; 2014 (13e éd.) ; n° 405).

[40] C’est bien le cas en France, en Espagne, en Albanie et en Lybie.

[41] Dans la plupart des cas, le pouvoir exécutif détient un pouvoir très important (c’est le cas en Tunisie), pouvant exercer parfois aussi le pouvoir législatif (c’est le cas en Italie). Quand la transition démocratique est conduite par l’armée, celle-ci se dote de pouvoirs exceptionnels (c’est le cas au Portugal et en Egypte).

[42] C’est le cas de la transition italienne (art. 3, décret législatif n° 98/1946), de la transition française (art. 4, Loi du 2 novembre 1945), portugaise (art. 3 et 4, loi n° 3/1974) et libyenne (art. 30, Déclaration de 2011).

[43] C’est le cas de la transition albanaise (art. 44, Law on Major Constitutional Provisions) et égyptienne (art. 60, Déclaration constitutionnelle de 2011).

[44] Nous faisons référence ici à la notion de « bloc de constitutionnalité » élaborée par la doctrine française : Favoreu Louis, « Le principe de constitutionnalité. Essai de définition d’après la jurisprudence du Conseil constitutionnel » in Mélanges Charles Eisenmann ; Paris, Cujas ; 1975 ; p. 33 et s.

[45] De Vergottini Giuseppe, Diritto costituzionale comparato ; Padoue, Cedam ; 2013 ; p. 267.

[46] Frachery Thomas, « Le droit constitutionnel albanais à l’épreuve de la pratique des institutions » in RIDC ; 2007 ; n° 2, p. 340.

[47] Blanco Valdés-Vicente Sanjurjo Rivo Roberto L., « Per comprendere la transizione politica spagnola » in Gambino Silvio (dir.), Costituzionalismo europeo e transizioni democratiche ; Milan, Giuffré ; 2003 ;
p. 458.

[48] V. Saccomanno Albino, « La transizione italiana : le costituzioni provvisorie » in Gambino Silvio (dir.), Costituzionalismo europeo ; op. cit. ; p. 397-414.

[49] Le décret italien de 1946 émane en effet de la même institution et n’abroge pas le décret-loi de 1944, mais il l’intègre et le modifie.

[50] Parmi d’autres : Gicquel Jean et Gicquel Jean-Eric, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, 2011, p. 475 ; Morabito Marcel, Histoire constitutionnelle de la France, op. cit., n° 409 ; Cartier Emmanuel, La transition constitutionnelle en France (1940-1945), Paris, Lgdj, p. 543.

[51] « Plus une norme est légitime, plus elle a des chances d’être effective. Et plus elle est effective, plus l’image de ce qui doit être sera marquée par cette pratique et donc plus la norme sera légitime » (Cohendet Marie-Anne, « Légitimité, effectivité et validité » in Mélanges Pierre Avril ; Paris, Montchrestien ; 2001 ;
p. 226).

[52] Comme le constate Max Weber, « Tout véritable rapport de domination comporte un minimum de volonté d’obéir, par conséquent, un intérêt, intérieur ou extérieur, à obéir » (p. 285) et « Toutes les dominations cherchent à éveiller et à entretenir la croyance en leur légitimité » (p. 286). Id., Economie et société ; Paris, Plon ; 1995 ; t. 1.

[53] En ce sens, Charles Eisenmann souligne que le « pouvoir né d’une façon qui n’est ni irrégulière, c’est-à-dire contraire à des règles en vigueur, ni régulière, c’est-à-dire conforme à de telles règles ». Id., « Sur la légitimité juridique des gouvernements » in Ecrits de théorie du droit, de droit constitutionnel et d’idées politiques ; Paris, Ed. Panthéon-Assas ; 2002 ; p. 320.

[54] Maurice Duverger établit la différence entre un gouvernement de droit et un gouvernement de fait sur la base de l’existence dans le premier cas, et de l’inexistence dans le second d’« un ensemble de dispositions constitutionnelles qui viennent limiter leurs [des gouvernements] prérogatives et préserver les droits des individus », Id., « Contribution à l’étude de la légitimité des gouvernements de fait » in Rdp ; 1945 ;n°61,
p. 75.

[55] La troisième modalité de légitimation décrite par Max Weber, c’est-à-dire « l’observance sacrée de la tradition », ne concerne pas nos cas d’étude. V. Id., Economie et société ; op. cit ; p. 72.

[56] Idem, p. 326-329.

[57] Idem, p. 289.

[58] La transition française fait exception, étant donné que le charisme du Général de Gaulle a joué un rôle déterminant pour la légitimation du gouvernement provisoire et des premiers actes juridiques adoptés. Cependant, les élections législatives d’octobre 1945 modifient les équilibres et, à côté de la « légitimité historique du général », se dresse la légitimité démocratique des partis issus du suffrage universel (Morabito Marcel, Histoire constitutionnelle de la France ; op. cit. ; n° 409).

[59] En ce sens, Kelsen Hans, Théorie pure du droit (trad. Eisenmann Charles) ; Paris, Dalloz ; 1962 ; p. 280. V. également la conception positiviste de légitimité élaborée par Charles Eisenmann (Id., « Sur la légitimité juridique des gouvernements », cit., p. 322-325).

[60] Cohendet Marie-Anne, « Légitimité, effectivité et validité » ; op. cit. ; p. 203.

[61] Pour une critique de la conception positiviste de légitimité V. Troper Michel, « Le monopole de la contrainte légitime » in La théorie du droit, le droit, l’Etat ; Paris, Puf ; 2001 ; p. 251-265 et Habermas Jürgen, Théorie de l’agir communicationnel ; Paris, Fayard ; 1987 ; vol. 1, p. 272-276.

[62] V. supra.

[63] En effet, la Constitution provisoire albanaise a été adoptée par des organes élus, et donc déjà légitimés par le vote démocratique.

[64] Les art. 2 et 1er des Dispositions transitoires de la Ley para la Réforma Politica espagnole prévoient l’élection d’un Parlement nouvellement constitué, auquel est confié aussi le pouvoir constituant. Dans le cas égyptien, la Déclaration de 2011 organise l’élection de l’Assemblée du peuple et du Conseil consultatif (art. 41) ainsi que du Président de la République (art. 27). L’Assemblée constituante est nommée par la suite par l’Assemblée législatif et le Conseil consultatif réuni (art. 60). En Lybie, l’art. 30 de la Déclaration organise également les élections législatives après la fin des conflits.

[65] L’art. 4 de la loi constitutionnelle portugaise n° 3/1974 réglemente l’élection de l’Assemblée constituante, alors que les organes du gouvernement provisoire demeurent non élus. En Tunisie, la première Constitution provisoire se limite à prévoir l’élection d’une Assemblée constituante. Cette Assemblée, une fois élue, adopte la deuxième constitution provisoire et s’auto-attribue le pouvoir législatif.

[66] C’est le cas de l’Italie, de la France et de la Tunisie.

[67] C’est le cas de l’Espagne, du Portugal, de l’Albanie, de l’Egypte et de la Lybie.

[68] C’est le cas de la France, de l’Espagne et de l’Egypte (pour ce qui concerne la Constitution de 2012).

[69] C’est le cas de l’Italie, du Portugal, de la Tunisie et de l’Albanie.

[70] Comme l’affirme Charles Eisenmann : « si le premier acte constituant d’un Etat est susceptible de fonder un système légitime, ce n’est pas, ce ne peut pas être en raison de la légitimité juridique de sa naissance ». Id., « Sur la légitimité juridique des gouvernements » ; op. cit. ; p. 320.

[71] V. Zagrebelsky Gustavo, Manuale di diritto costituzionale, Il sistema delle fonti del diritto ; Turin, Utet ; 1988 ; vol. I, p. 29-31.

[72] Schmitter Philippe C., « La démocratisation au Portugal en perspective » in Mélanges Guy Hermet ; Paris, Karthala ; 2002 ; p. 291-315.

[73] Cette classification s’appuie sur les catégories établies par les politistes dans leurs études sur la transitologie (V. O’Donnell Guillermo, Schmitter Philippe C. et Whitehead Laurence, Transitions from Authoritarian Rule ; Londres,Jhu ;1986).

[74] V. Philippe Xavier, « Tours et contours des transitions constitutionnelles » in Philippe Xavier & Danelciuc-Colodrovschi Natasa (dir.), Transitions constitutionnelles et Constitutions transitionnelles ; op. cit. ; p. 17-18 ; Hermet Guy, Le passage à la démocratie ; Paris, Presses de la Fondation nationale de sciences politiques ; 1996 ; p. 77.

[75] Ben Achour Sana, « Le cadre juridique de la transition : entre légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », Nachaz Dissonances, décembre 2011, http://www.nachaz.org/index.php/fr/textes-a-l-appui/politique/34-sana1.html.

[76] JORT, n° 20 du 25 mars 2011.

[77] Blanco Valdés-Vicente Sanjurjo Rivo Roberto L., « Per comprendere la transizione politica spagnola » ;op. cit. ; p. 448-453.

[78] Kaminis Georges, La transition constitutionnelle en Grèce et en Espagne ; op.cit. ; p. 143-149.

[79] Pace Alessandro, « L’instaurazione di una nuova Costituzione » in Potere costituente, rigidità costituzionale, autovincoli legislativi ; Padova, Cedam ; 2002 ; p. 159.

[80] Mortati Costantino, « La Costituente » in Raccolta di scritti ; Milano, Giuffré ; 1972 ;vol.I, p. 121.

[81] L’idée que la transition est guidée par la lutte entre démocrates et autoritaires « pèche par simplification » (Hermet Guy, Le passage à la démocratie ; op. cit. ; p. 74). Le sociologue Michel Dobry explique qu’à l’approche de l’explosion de la crise, des « transactions collusives » tendent à s’opérer entre les modérés et les extrémistes des deux camps (Dobry Michel, Sociologie des crises politiques ; Paris, SciencesPo Presses ; 2009 ; p. 112-116 et p. 304-317).

[82] Duverger Maurice, « Contribution à l’étude de la légitimité des gouvernements de fait » ; cit. ; p. 89.

[83] Idem, p. 90.

[84] La transition démocratique égyptienne est loin d’être conclue. Après l’adoption de la Constitution du 26 décembre 2012 par le président élu Morsi, celui-ci est déposé le 3 juillet 2013 et la Constitution est suspendue. Une nouvelle phase intermédiaire s’ouvre, dans laquelle, toutefois, aucune Constitution provisoire n’est approuvée. Les 14 et 15 janvier 2014, est adoptée la Constitution actuellement en vigueur par référendum (De Cara Jean-Yves et Saint-Prot Charles, L’évolution constitutionnelle de l’Egypte ; Paris, Karthala ; 2014).

[85] Après l’organisation en mars 1992 de nouvelles élections anticipées, l’opposition s’empare de la majorité. Ramiz Alia démissionne. Quelques mois plus tard, Alia et plusieurs autres anciens dirigeants communistes sont arrêtés pour corruption.V. Carlson Scott N., « The Drafting Process for the 1998 Albanian Constitution » in Miller Laurel E. (dir.), Framing the State in Times of Transition ; Washington DC, US IPP ; 2010; p. 311-331.

[86] Lacher Wolfram, « Libye : révolution, guerre civile et montée en puissance des centres de pouvoir locaux » in Charillon Frédéric et Dieckhoff Alain (dir.), Afrique du Nord Moyen Orient. Printemps arabe ; Paris, La Doc. fr. ; 2012 ; p. 49.

[87] La Constitution de 1969 n’était plus en vigueur depuis 1977.

[88] Philippe Xavier, « Tours et contours des transitions constitutionnelles » ; cit. ; p. 18.

[89] A l’heure actuelle, deux gouvernements régissent le territoire libyen. L’un, reconnu par la communauté internationale, a son siège à Tobruk, à 1300 km de la capitale, et contrôle une partie infime du territoire. Tripoli, la capitale, depuis l’été 2014, est le siège d’un deuxième gouvernement philo-islamique, non reconnu. L’anarchie chronique du pays a représenté un terrain fertile pour l’implantation, tout récemment, d’une branche de l’Organisation de l’Etat islamique. Afp, « La Libye, un terrain fertile pour l’implantation de l’EI », France 24, http://www.france24.com/fr/20150216-libye-branche-ei-Etat-islamique-jihadistes-haftar-derna-egypte/.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

L’auteur de la semaine : Benjamin Ricou

Voici la 62e publication dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’une présentation de l’un de nos auteurs d’exception : M. Benjamin Ricou auteur d’une remarquable thèse (présentée ci-dessous) et co-directeur d’un ouvrage collectif dans nos collections.

Cet ouvrage, paru en juillet 2015, est le sixième
issu de la collection « L’Unité du Droit ».
En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume VI : Des politiques jurisprudentielles
de renforcement de la compétence
de la Juridiction administrative

Benjamin Ricou
Avant-propos : Bernard Stirn
Préface : Philippe Terneyre

– Sortie : juillet 2015
– nombre de pages : 528
– Prix : 59 €

  • ISBN : 979-10-92684-00-1
  • ISSN : 2259-8812

Présentation : La compétence de la juridiction administrative s’est considérablement renforcée ces trente dernières années. Dans certaines situations, le juge dispose d’une part de liberté plus ou moins importante dans la détermination de la compétence juridictionnelle, en dépit de l’existence de textes qui ont pour objet ou pour effet de répartir les compétences entre les juridictions.

Ce double constat conduit à s’interroger sur l’éventualité de l’existence d’une ou de plusieurs volontés jurisprudentielles de renforcer la compétence de la juridiction administrative et, le cas échéant, de s’interroger sur ce qui a pu les déterminer. L’étude tente de prendre la mesure la plus exacte possible de leur existence, à partir d’une analyse détaillée d’un corpus de décisions semblant être fortement imprégnées de considérations de politique jurisprudentielle.

Il en résulte qu’un renforcement de la compétence de la juridiction administrative a été réalisé au moyen d’une interprétation stratégique des normes (de valeur constitutionnelle ou législative) qui ont pour objet ou pour effet de répartir les compétences, et des catégories juridiques (organiques, formelles ou matérielles) qui ont cet objet ou cet effet.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

Cet ouvrage est le quatrième
issu de la collection « L’Unité du Droit ».
En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume IV :
Communications électroniques :
objets juridiques au cœur de l’Unité des droits 

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina & Benjamin Ricou)

– Nombre de pages : 176
– Sortie : octobre 2012
– Prix : 33 €

  • ISBN  : 978-2-9541188-3-3
  • ISSN : 2259-8812

Présentation :

A l’heure où, en France, le minitel s’éteignait pour toujours, il était temps que les juristes rendent une nouvelle fois hommage aux communications électroniques ainsi qu’à son ou à ses droit(s). En effet, grâce à l’ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications, ces dernières années ont vu se développer, de façon spectaculaire, les usages en matière de communications électroniques. Qu’il s’agisse du déploiement massif des réseaux de télécommunications mobiles, de la téléphonie fixe et de l’Internet ou encore de la télévision numérique : cette thématique est d’une actualité incontournable.

Il s’est alors agi, par les présents actes issus d’un colloque tenu le 01 juin 2012 à l’Université du Maine (en collaboration avec le Collectif L’Unité du Droit et le laboratoire Themis-Um), d’analyser l’évolution du marché, de la pratique et du droit des communications électroniques, lesquels doivent s’adapter en permanence au renouvellement rapide des différentes technologies. Les communications électroniques sont en effet au cœur des deux phénomènes contemporains les plus importants du Droit : la matérialisation de son Unité et sa globalisation.

Ont participé à l’analyse de ces phénomènes des enseignants-chercheurs mais aussi des praticiens afin de décrypter sous plusieurs angles le(s) nouveau(x) droit(s) des communications électroniques.


Nota Bene
:
le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).


Thèmes de recherche(s) :
Droit fiscal, procédures fiscales, contentieux administratif

Quelle a été votre première collaboration / publication aux Editions L’Epitoge ?
Je pense qu’il s’agissait de l’’organisation, avec Mathieu, du colloque « Des communications électroniques, objets juridiques au cœur de l’unité des droits »

Y en a-t-il eu d’autres ?
Quelques autres, oui.

Quelle est votre dernière publication ?
Un article sur la protection des données personnelles des décisions des juridictions ordinaires, issu de la communication présentée lors du colloque organisé par le Pr. Pierre Bourdon sur la communication des décisions du juge administratif, dont les actes ont été publiés aux éditions LexisNexis en 2019.

Quelle sera (en 2020, 21, etc.) votre future publication ?
Fin 2020, deux fascicules sur le domaine de la loi et du règlement en matière fiscale au JurisClasseur Procédures Fiscales

Quelle est la publication dont vous êtes le.la plus fier.e /heureux.se? Aucune en particulier. La prochaine, peut-être ?

Quel est – en droit – votre auteur.e préféré.e ?
Philippe Yolka et Jean-Pierre Marguenaud. Parce qu’avec eux, on apprend toujours beaucoup avec le sourire aux lèvres.

Quel est – en littérature – votre auteur.e préféré.e ?
Pour l’instant, il écrit sous couvert d’anonymat. Je mettrai à jour lorsque l’on découvrira son identité.

Quel est – en droit – votre ouvrage préféré ?
Droit administratif général de Chapus. J’ai bien conscience que ce n’est pas très original mais il est toujours une mine d’informations.  

Quel est – en littérature – votre ouvrage préféré ?
Beaucoup trop. Mais « Shining » m’aura marqué à jamais.  

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Léon & Maurice enfin réunis par l’épitoge !

Voici la 8e publication dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’une double présentation (oui, datée du 1er avril !) de deux de nos auteurs d’exception : MM. les doyens Maurice Hauriou & Léon Duguit, réunis par l’Epitoge (et aidés du professeur Grotoutou et du Colonel Bénel) ainsi que les deux publications que nous leur avons consacrées dans la collection Histoire(s) du Droit, publiée depuis 2013 et ayant précisément commencé par la mise en avant d’un face à face doctrinal à travers deux maîtres du droit public : Léon Duguit & Maurice Hauriou.

Interview de Léon Duguit
Questionnaire l’Epitoge
01 avril 2020

Profession :

Agent du service public de l’Université.

Thèmes de recherche(s) :

Service public – services publics – cannelés.

Quelle a été votre première collaboration / publication aux Editions L’Epitoge ?

Un ouvrage que Delphine Espagno-Abadie m’a consacré en tant que sommité du droit public interstellaire.

Y en a-t-il eu d’autres ?

Non, je n’écris pas (plus trop le temps dans mon cercueil) mais j’ai relevé que presque tous les ouvrages des Editions l’Epitoge me citaient au moins une fois.

Quelle est votre dernière publication ?

Pourquoi, vous êtes de l’AERES ?

Quelle sera votre future publication ?

J’attends une véritable nécrologie mais le Covid-19 va peut-être empêcher mes biographes les plus patentés d’écrire.

Quelle est la publication dont vous êtes le.la plus fier.e / heureux.se ?

Perso, il n’y a aucune publication dont je ne sois pas fier #micdrop.

Quel est – en droit – votre auteur.e préféré.e ?

Léon Duguit, doyen de la Faculté de Droit de Bordeaux.

Quel est – en littérature – votre auteur.e préféré.e ?

J’aime beaucoup feuilleter les mémoires du capitaine Meryl Stubing rapportées par le sieur Isaac…

Quel est – en droit – votre ouvrage préféré ?

Le Traité de droit constitutionnel du doyen Duguit. Un must have.

Quel est – en littérature – votre ouvrage préféré ?

J’ai entendu parler d’une pièce de théâtre extraordinaire et d’anticipation : une Antigone écrite par B. Pacteau et G. Koubi sur des décors de Donald Cardwell et des costumes de Roger Harth.

Interview
de Maurice Hauriou
Questionnaire l’Epitoge
01 avril 2020

Profession :

Titulaire de la puissance publique dans une Faculté de Droit dont je suis doyen et qui se trouve sur la Garonne mais qui n’est pas Bordeaux.

Thèmes de recherche(s) :

Puissance publique – souveraineté – service public – gestion administrative – saucisse – violette – propriété publique – Institution – exorbitance ; c’est d’jà pas mal non (jusqu’à Bordeaux) ?

Quelle a été votre première collaboration / publication aux Editions L’Epitoge ?

Le professeur Grotoutou m’a consacré des Miscellanées de toute beautey.

Y en a-t-il eu d’autres ?

Non, je n’écris pas (plus trop le temps dans mon cercueil) mais j’ai relevé que presque tous les ouvrages des Editions l’Epitoge me citaient au moins une fois.

Quelle est votre dernière publication ?

Pourquoi vous êtes de l’HCERES ?

Quelle sera votre future publication ?

J’hésite à faire publier une étude comparée entreprise avec mon collègue et néanmoins ami Robert Redslob à propos des usages des saucisses strasbourgeoise et toulousaine à l’aune de la sociologie et du Droit : mythes ou réalité ?

Quelle est la publication dont vous êtes le.la plus fier.e / heureux.se ?

Tout d’abord je voudrais m’insurger contre votre questionnement non académique formulé en écriture inclusive. Et pourquoi pas une femme professeur de Droit et agrégé.e. pendant qu’on y est ! A quand la doyenne des Facultés ? De qui se moque-t-on ? On nous change notre Université comme me le confiait encore mon ami Dicey : How do you Dare ?

Cela dit, la publication dont je suis le plus fier est certainement ma théorie de l’Institution en ce qu’elle permet un regard croisé sur la théorie parallèle de Santi Romano en Italie. Par ailleurs, j’aime à me gausser de ce que ledit Romano apporte ici un regard croisé eu égard au strabisme divergent dont il fait manifestement preuve (cf. infra cliché officiel du Consiglio di Stato).

Quel est – en droit – votre auteur.e préféré.e ?

Certainement pas Léon Duguit même si j’imagine qu’il a répondu « Maurice Hauriou » par amitié. En outre, arrêtez avec ce langage inclusif.

Il suffit.

Et pour vous répondre, parce que vous m’êtes sympathique malgré tout, je dirais qu’il s’agit d’Emile Ollivier en raison de son regard aiguisé bien que parfois divergent de mes propres doctrines sur la démocratie et la liberté dans son ouvrage Démocratie et liberté (1867).

Quel est – en littérature – votre auteur.e préféré.e ?

Mes …. sur ton précis : vous allez cesser avec cette écriture inclusive !

Sans hésitation aucune pour sa création fictionnelle réussie : Léon Duguit #whatelse?

Quel est – en droit – votre ouvrage préféré ?

On m’a parlé d’un futur ouvrage toulousain sur Toulouse par le droit administratif (aux Editions l’Epitoge). Cela m’a l’air passionnant.

Quel est – en littérature – votre ouvrage préféré ?

Le Traité de droit constitutionnel d’un obscur sociologue anarchiste de la chaire.

Les ouvrages
de Maurice Hauriou
& de Léon Duguit
aux Editions l’Epitoge

Volume I :
Miscellanées Maurice Hauriou

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina)

– Nombre de pages : 388
– Sortie : décembre 2013
– Prix : 59 €

  • ISBN / EAN : 978-2-9541188-5-7 / 9782954118857
  • ISSN : 2272-2963

Présentation :

Le projet de réunir dans un ouvrage publié des morceaux choisis ou Miscellanées parmi l’œuvre du doyen HAURIOU (1856-1929) coïncide avec la (re)découverte de sa sépulture (à Nonac en Charente) au moment où elle allait rejoindre l’indifférence d’un caveau municipal. La présente sélection est alors construite en trois parties : elle contient d’abord des extraits d’œuvres méconnues du maître (I) à l’instar de ce témoignage sur « les idées de M. DUGUIT » paru en 1911 au Recueil de Législation de Toulouse ; de l’article « le droit naturel et l’Allemagne » paru en 1918 dans le Correspondant. Ensuite, l’ouvrage propose la réimpression in extenso d’œuvres fondatrices (II) mais peu accessibles sur support papier et parfois mal connues. Ainsi en est-il de l’article mythique sur « la formation du droit administratif » paru en 1892 à la Revue générale d’administration puis en 1897 sous sa forme plus connue au Répertoire BEQUET. De même, pourra-t-on relire « la théorie de l’Institution et de la Fondation » paru en 1925 aux Cahiers de la nouvelle journée et « le pouvoir, l’ordre, la liberté et les erreurs des systèmes objectivistes » paru en 1928 dans la Revue de métaphysique et de morale. Enfin, les Miscellanées HAURIOU proposent également une sélection d’extraits d’œuvres cardinales (III) et ce, parmi les 370 notes d’arrêts du doyen de Toulouse publiées au Recueil SIREY entre 1892 et 1929.

Participent à cette « aventure HAURIOU » : Yann AGUILA, Jacques ARRIGHI DE CASANOVA, Emmanuel AUBIN, Karine BALA, Xavier BIOY, Elise CARPENTIER, Jean-Marie DENQUIN, Gilles J. GUGLIELMI, Hélène HOEPFFNER, Geneviève KOUBI, Valérie LASSERRE, Arnaud DE NANTEUIL, Benjamin RICOU, Julia SCHMITZ, Bertrand SEILLER, Jean-Gabriel SORBARA, Bernard STIRN, Mathieu TOUZEIL-DIVINA, Amaury VAUTERIN, Katia WEIDENFELD ainsi que des jeunes chercheurs en droit public.

L’ouvrage, officiellement présenté au public le 12 mars 2014 pour le 85e anniversaire de la mort du doyen de Toulouse et initié par le professeur TOUZEIL-DIVINA, a été réalisé grâce au soutien du COLLECTIF L’UNITE DU DROIT. Il a été publié en parallèle avec un second ouvrage sur l’autre géant du droit public français : Léon DUGUIT.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

Volume II :
Léon Duguit :

de la Sociologie & du Droit

Delphine Espagno

– Nombre de pages : 198
– Sortie : décembre 2013
– Prix : 39 €

  • ISBN / EAN : 978-2-9541188-6-4 /9782954118864
  • ISSN : 2272-2963

Présentation :

L’ouvrage que nous propose aujourd’hui Mme Delphine ESPAGNO, (…) est peut-être la plus belle des invitations qui ait été écrite afin d’inciter le lecteur, citoyen et / ou juriste, à comprendre la pensée du doyen de Bordeaux (…). Léon DUGUIT méritait effectivement [les présents] ouvrage et hommage (…) car le doyen, comme Jean-Jacques ROUSSEAU avant lui (…), a longtemps été et est encore souvent présenté soit comme un marginal de la pensée juridique, soit est même dédaigné de façon méprisante comme si sa qualité de juriste lui était déniée. HAURIOU, nous rappelle l’auteure, ira même ainsi jusqu’à affubler DUGUIT d’être un « anarchiste de la chaire » ce qui n’avait manifestement pas totalement déplu à ce dernier ! Car, ce que rappelle Mme ESPAGNO dès son introduction, c’est bien une nouvelle manière de penser et de réinventer le Droit dans son ensemble que nous invite à accomplir Léon DUGUIT. Il n’est pas qu’un faiseur de théorie(s) (comme celles du service public, des agents publics ou encore de l’Etat), il est – pour reprendre l’expression de CHENOT désormais consacrée – un véritable « faiseur de système » dans son sens le plus noble et mélioratif (…). DUGUIT assume en effet son rôle de guide et nous a donné à voir une nouvelle façon d’appréhender le Droit non pas tel qu’il est mais tel qu’il devrait être. Un Droit qu’il a comme réinventé en chaussant de nouvelles lunettes tel le spectateur qui verrait en deux dimensions et désormais en découvrirait – grâce à lui – une troisième. Après Léon DUGUIT, les juristes n’ont ainsi pu feindre de ne concevoir le Droit qu’à l’instar d’un artifice fictif, technique et juridique : le Droit est devenu indissociable de la Sociologie (…). Ce « droit duguiste » nous offre alors grâce à la lumière qu’y dépose avec délicatesse Mme Delphine ESPAGNO la vision renouvelée des relations existantes entre Droit, individu et collégialité ou société (…) En outre, ce que va construire le doyen de Bordeaux n’est pas – comme on le lit encore souvent – une « simple » théorie du service public mais une théorie réaliste de l’Etat par le service public ».

L’ouvrage, publié le 18 décembre 2013 pour le 85e anniversaire de la mort du doyen DUGUIT, a été réalisé grâce au soutien de SCIENCES PO Toulouse ainsi que du COLLECTIF L’UNITE DU DROIT. Il est en outre sorti en parallèle avec un second ouvrage sur l’autre géant du droit public français : Maurice HAURIOU.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Raphaël Maurel

Profession :

Pour l’instant, enseignant-chercheur vacataire & juge assesseur (CE) à la Cour nationale du droit d’asile.

Thèmes de recherche(s) :

Droit international, droit(s) administratif(s), théorie des sources du droit.

Quelle a été votre première collaboration / publication aux Editions L’Epitoge ?

Je participe à la relecture des ouvrages des Editions L’Epitoge depuis 2018 et ai eu l’occasion, le plaisir et le privilège d’en relire plusieurs, notamment l’excellent Droit(s) du bio (dir. H. Hoepffner, M. Touzeil-Divina).

Ma première publication aux Editions est L’eau et la forêt. Pistes pour une interaction en droit international !

Y en a-t-il eu d’autres ?

Pas encore !

Quelle est votre dernière publication ?

CHAUMETTE (A.-L.) & MAUREL (R.), Les contre annales du droit public. 66 erreurs que vous ne commettrez plus jamais, Paris, Enrick B. Editions, 2019, 443 p.

Quelle sera votre future publication ?

En 2020, il y aura :
« Les régimes d’inspection à travers le temps : regards sur l’évolution d’un mécanisme de garantie en droit international », in CHAUMETTE Anne-Laure, TAMS Christian (dir.), L’inspection internationale / International Inspection, Académie de droit international de La Haye, Centre for Studies and Research in International Law and International Relations Series, vol. 19, Leiden / Boston, Brill / Nijhoff.

« Le Système Antarctique, un laboratoire des régimes d’inspection internationale », in CHAN-TUNG Ludovic, CHOQUET Anne, LAVOREL Sabine, MICHELOT Agnès (dir.), Les apports du Traité de l’Antarctique au droit international, Paris, Pedone, 2020.

« La contribution de l’ordonnance Gambie c. Myanmar à l’élaboration d’un droit des mesures conservatoires », Revue du Centre Michel de l’Hospital, n°20, 2020.

Plusieurs notices : « inspection », « féminisme », « condoléances », « limogeage », « escalade » et « transparence », in NDIOR Valère (dir.), avec la collaboration éditoriale de MAUREL Raphaël et WEIL Élodie, Dictionnaire de l’actualité internationale, Paris, Pedone, 2020.

« Les Avengers et les compétences de l’État en droit international », in BASIRE Yann, CIAUDO Alexandre (dir.), Du Punisher au Lawyer : les super-héros au prisme du droit, Strasbourg, Presses universitaires de Bourgogne, 2020.

…et sans doute d’autres choses !

Quelle est la publication dont vous êtes le.la plus fier.e / heureux.se ?

Les contre-annales du droit public ! Un travail très efficace mené sur un an, avec une équipe d’auteurs au top, pour un résultat que nous espérons utile à tous !

Quel est – en droit – votre auteur.e préféré.e ?

Bonne question…malgré mon profil essentiellement internationaliste, je pense que c’est Léon Duguit !

Quel est – en littérature – votre auteur.e préféré.e ?

J’aime beaucoup, dans des styles très différents (et par ordre alphabétique), Tolkien, Voltaire, Zelazny et Zola. Mais mon auteur préféré reste Orwell.

Quel est – en droit – votre ouvrage préféré ?

Les transformations du droit public.

Quel est – en littérature – votre ouvrage préféré ?

La ferme des animaux ! Un bijou !

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

L’auteure de la semaine : Stéphanie Douteaud

Voici la 34e publication dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’une présentation de l’un.e de nos auteur.e.s d’exception : Mme Stéphanie Douteaud.

Profession :

Maître de conférences en droit public.

Thèmes de recherche(s) :

Le contentieux des contrats publics et le contentieux administratif. Je m’intéresse également au contentieux de l’environnement, au droit public économique et au droit des libertés fondamentales. 

Quelle a été votre première collaboration / publication aux Editions L’Epitoge ?

A vrai dire, je suis davantage une collaboratrice (occasionnelle? permanente?) du CLUD. Le professeur Mathieu Touzeil-Divina m’a fait confiance durant plusieurs années pour organiser et animer, à ses côtés, le marathon du droit (nouvelle mouture des 24 heures du droit). C’est au cours de l’année universitaire 2017/2018 que j’ai collaboré pour la première fois aux Éditions l’Epitoge (à l’occasion du colloque « Droit(s) du Bio »).

Y en a-t-il eu d’autres ?

J’ai coorganisé, l’an dernier, l’édition boulonnaise du marathon. Les actes du colloque ont été publiés dans l’ouvrage « Lectures juridiques de fictions. De la littérature à la pop-culture« , paru au mois de mars.

Quelle est votre dernière publication ?

Un commentaire de décision publié à l’AJDA (« Regard dubitatif sur l’introduction d’un critère intentionnel dans la caractérisation du vice d’une particulière gravité », commentaire sous C.E., 21 oct. 2019, Cne de Chaumont., A.J.D.A., 2020, p. 684).

Quelle sera votre future publication ?

Un commentaire de la décision QPC rendue par le Conseil constitutionnel le 31 janvier 2020 (décision n°2019-823 QPC « Union des industries de la production des plantes »). Cette affaire est connue pour avoir donné lieu à la reconnaissance d’un OVC de protection de l’environnement. Je vous propose de partager quelques observations à ce propos dans le prochain numéro de la RFDC !

Quelle est la publication dont vous êtes le.la plus fier.e / heureux.se ?

Sans aucune hésitation ma thèse de doctorat. Loin de moi l’idée de la placer sur un piédestal. Je lui trouve néanmoins quelques qualités et, surtout, elle me rappelle combien le parcours fut tout à la fois aride et délectable.
« La stabilisation des contrats par le juge administratif de la validité » rejoindra prochainement la collection bleue de la « Bibliothèque de droit public » des éditions LGDJ. Et j’en suis très heureuse.

Quel est – en droit – votre auteur.e préféré.e ?

Incontestablement le professeur Philippe Yolka. On est jamais déçu de le lire, toujours réjoui au moment où l’on s’empare de son papier. La signature de Philippe Yolka nous fait une promesse : celle de nous impressionner (par la puissance rhétorique de l’argumentation), celle de nous amuser (par le recours aux formules ironiques) et même celle de nous charmer (par les références artistiques distillées ça et là).

Quel est – en littérature – votre auteur.e préféré.e ?

Très sincèrement, je n’en sais rien. Je ne crois pas en avoir. Je ne saurais le dire.

Quel est – en droit – votre ouvrage préféré ?

La première édition du « Que sais-je? » de Droit administratif de P. Weil.

Quel est – en littérature – votre ouvrage préféré ?

Difficile d’y répondre ! Si je me fie à un critère objectif (le livre que je relis le plus régulièrement) je dirais qu’il s’agit de « l’Écume des jours », de Boris Vian. Mais la lecture de « La vie matérielle » de Marguerite Duras m’a laissé quelque chose, allez savoir quoi, en tous cas, j’y repense souvent.

Cet ouvrage forme le vingt-septième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XXVII :
Lectures juridiques de fictions.
De la Littérature à la Pop-culture !

Ouvrage collectif sous la direction de
Mathieu Touzeil-Divina & Stéphanie Douteaud

– Nombre de pages : 190

– Sortie : mars 2020

– Prix : 29 €

– ISBN  / EAN : 979-10-92684-38-4
/ 9791092684384

– ISSN : 2259-8812

Mots-Clefs : Droit & Littérature – webséries – Casa de Papel – Servante écarlate – Aya Nakamura – Fictions – pop-culture – féminisme

Présentation :

De la littérature à la pop-culture, voici un recueil de lectures juridiques de fictions.

S’il est évident que toute fiction ne « parle » a priori pas de « droit », certains supports fictionnels (ce qui est le cas de nombreux romans identifiés notamment par le mouvement américain puis international Law & Literature) se prêtent, à l’instar de prétextes pédagogiques, à l’étude du ou des droits.

C’est à cet exercice, au moyen de quatre supports distincts (un roman, une pièce de théâtre, deux webséries et un corpus de chansons) que se sont prêtés – de la littérature classique à la pop-culture la plus contemporaine – les auteurs du présent livre : Jean-Benoist Belda, Raphaël Costa, Stéphanie Douteaud, Julia Even, Marine Fassi de Magalhaes, Julie Goineau, Mélanie Jaoul, Marie Koehl, Dimitri Löhrer, Agnès Louis, Julien Marguin, Yohan Mata, Catherine Minet-Letalle, Marie-Evelyne Monteiro, Isabelle Poirot-Mazères, Sophie Prosper, Hugo Ricci, Catherine Roche, Florent Tagnères, Mathieu Touzeil-Divina, Julie Vincent & Stéphanie Willman-Bordat. Introduit par une préface relative à la pop-culture, au féminisme et au Droit, l’ouvrage est construit autour de trois parties. La première interroge les représentations (chez Duras et Ionesco) de l’administration dans deux ouvrages de la littérature française. Par suite, l’opus fait place aux contributions qui avaient été prononcées (le 15 mars 2019 sous la direction de Frédéric Davansant, Stéphanie Douteaud & Mathieu Touzeil-Divina) lors du colloque du deuxième Marathon du Droit consacré aux lectures juridiques de deux webséries : la Servante écarlate et la Casa de Papel. Enfin, le livre se referme avec une postface à deux voix consacrée à l’analyse hypothétique du Droit à travers les chansons (et donc ici encore les fictions) d’Aya Nakamura.

Le présent ouvrage, dédié à Bibie et à ses ami.e.s,
a été coordonnée et publié par et avec
le soutien du Collectif L’Unité du Droit.


Nota Bene
:
le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso.
Vous pourrez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Santé des Arbres & santé des hommes (par Arnaud Lami)

Voici la 7e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 10e livre de nos Editions dans la collection dite verte de la Revue Méditerranéenne de Droit public publiée depuis 2013.

L’extrait choisi est celui de l’article – ô combien d’actualité – de l’un des trois coordinateurs de l’ouvrage (M. Touzeil-Divina, A. Lami & M. Eude) dont il est issu : le volume consacré à l’Arbre, à l’Homme et au Droit. Il a été rédigé par M. Arnaud Lami et s’intitule : « santé des arbres & santé des hommes ».

Cet ouvrage est le dixième issu de la collection
« Revue Méditerranéenne de Droit Public (RM-DP) ».

Volume X :
L’Arbre, l’Homme
& le(s) droit(s)

ouvrage célébrant le 65e anniversaire
de la parution de L’Homme qui plantait des arbres
de Jean Giono & réalisé en hommage
au professeur Jean-Claude Touzeil.

Nombre de pages : 374
Sortie : avril 2019
Prix : 39 €

-ISBN  / EAN :
979-10-92684-34-6 / 9791092684346

-ISSN :
2268-9893

Santé des arbres
& santé des Hommes

Arnaud Lami
Maître de conférences de droit public
à l’Université d’Aix-Marseille, Hdr,
Directeur du Centre de Droit de la Santé (Umr Ades),
Laboratoire Méditerranéen de Droit Public

& Collectif L’unité du Droit

« L’arbre est deux fois plus utile que les fruits ».
Ciceron

Chacun d’entre nous a, à un moment de sa vie, eu un lien particulier avec un arbre. L’arbre que nous admirons par la fenêtre et qui nous permet de nous évader de notre quotidien, celui sur lequel nous grimpons pour ramasser ses fruits, et bien évidemment celui qui a supporté avec tant d’abnégation et de patience nos cabanes d’enfants. Arbre de la nostalgie, arbre d’évasion, arbre de vie, autant de qualificatifs qui attestent, pour ceux qui en douteraient encore, que les arbres jalonnent notre quotidien et contribuent, à leur manière, à l’évolution de notre condition. Dans toute sa plénitude, l’arbre a, à n’en pas douter, une fonction particulière qui touche autant au domaine philosophique, sentimental, qu’économique, social ou culturel[1].

Mais comme souvent, dès qu’il s’agit de la nature, l’Homme a tendance à oublier et fait preuve d’ingratitude coupable, donnant ainsi tout son sens à cette célèbre phrase d’Eschyle, selon laquelle : « il est dans la nature de l’Homme de piétiner tout ce qui est à terre ». La fatalité de la vie, le sentiment que l’arbre appartient au lointain passé de l’enfance favorise, quelquefois, sa relégation à un second plan. Les justifications pour couper nos arbres, les ignorer, les laisser pour compte, sans autre justification que la nécessité de satisfaire nos besoins bassement matériels, ne manquent pas (d’avoir une piscine, d’agrandir nos maisons ou de construire des immeubles…). Le paradoxe est ainsi posé, alors qu’il nous permet de nous construire, qu’il nous a élevé et nous élève encore, qu’il est souvent au centre de nos songes, l’arbre nous laisse d’ordinaire indifférent. Il est de fait un accessoire de nos vies, accessoire que l’on utilise à souhait et que l’on sacrifie à loisir sur l’autel de nos besoins. Après tout, le juriste doit-il s’étonner de cette situation ? L’arbre n’est qu’une « chose » et comme toute chose dont la valeur est, a priori, relative il n’est pas au centre des préoccupations de notre quotidien et ne suscite, en conséquence, que peu de considérations. Pourtant, derrière cette fatalité, volontairement provocatrice, l’arbre est, comme l’indique la célèbre formule populaire, une source de vie. Les contes, les histoires, et les mythologies, rapprochant l’arbre et la vie des Hommes sont légions. De la Bible, au Coran, en passant par les légendes celtes, l’arbre n’a cessé d’être spirituellement attaché à la vie des Hommes et, partant, à leur santé. En dépassant ces considérations littéraires, on peut constater que le lien entre l’arbre et la santé est bien réel, même si son identification n’est pas toujours évidente. On retiendra à titre d’exemple que la consommation des fruits – forcément issus des arbres – est recommandée par les pouvoirs publics afin de lutter contre les maladies chroniques. Le principe étant identifié à travers le, bien connu, slogan publicitaire « manger 5 fruits et légumes par jour ».

D’un autre côté, les arbres se voient eux aussi protégés par les Hommes. Les politiques publiques de défense des arbres à travers leur entretien, leur plantation, leur protection, contribuent indubitablement à assurer ce que nous appellerons désormais leur santé.

Le terme de santé, bien identifiable pour l’espèce humaine, peut être jugé surabondant pour les arbres, cela étant d’autant plus vrai lorsque l’on s’attache à leur qualification juridique, ou à l’absence de consécration normative du concept de « santé des arbres ». Il nous faudra considérer la santé des arbres avec une dose d’angélisme, un soupçon d’imagination, mais nécessairement avec clairvoyance.

Afin d’éviter tout méprise, nous partons du postulat que la santé, prise dans son acception la plus large (« sous son angle systémique ») correspond à une approche globale dans laquelle, les facteurs environnementaux jouent un rôle majeur. Il convient de garder à l’esprit que les espèces sont interdépendantes les unes des autres et que toute altération d’un des composants de l’écosystème peut, à un degré ou un autre, se répercuter en cascade sur d’autres composantes de celui-ci.

Malgré quelques relations plus ou moins identifiées, il convient de noter que, le lien entre la santé des Hommes et celle de l’arbre est sociologiquement, médicalement, économiquement, et juridiquement aléatoire et difficile à cerner. En s’en tenant au plan juridique, un rapide regard sur le droit positif français suffit à se convaincre de cet état de fait : les Codes ou la jurisprudence ne font pas grand cas de la relation entre la santé de l’Homme et les arbres. Mais cela ne signifie pas que le juriste ne considère pas ce lien ou qu’il l’ignore, mais seulement qu’il ne le consacre pas de façon directe. La relation entre la santé et l’environnement, abondamment consacrée par les textes internationaux ou internes, pourrait être considérée comme un moyen, détourné, d’affirmer le lien plus ténu entre la santé de l’Homme et l’arbre. Il est d’ailleurs fréquent que les juridictions dans leurs décisions évoquent en même temps la protection de la santé et celle des arbres[2].

Paradoxalement, le droit parait mieux appréhender la protection par les hommes de la santé des arbres. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter le seul Code Forestier dont de nombreuses dispositions visent à protéger les arbres. Ces mesures peuvent aller jusqu’à des sanctions pénales pour ceux qui porteraient atteinte à son intégrité[3].

Ainsi posé, la relation entre santé des hommes et des arbres est, pour le juriste, déroutante. La dialectique qu’impliquent la protection de la santé et celle de l’environnement est, en ce domaine, imparfaitement appréhendée. Dans ce mouvement de réciprocité, la santé des arbres à travers l’action des Hommes (I) est autant primordiale que l’action des arbres sur la santé des Hommes (II).

I. L’Homme et la santé des arbres

L’arbre en raison de ses caractéristiques est un élément important de la santé des Hommes. De nombreuses études scientifiques ont démontré que les arbres contribuent, entre autres, à lutter contre les maladies, à soigner, à améliorer la santé mentale, à protéger la biodiversité et, bien évidemment, à lutter contre le réchauffement climatique. Les arbres offrent des bienfaits importants et nombreux. Conscients des enjeux liés à la protection des arbres, les Hommes ont instauré une panoplie des règles visant à les protéger (A). Cependant, les mesures actuelles ne s’avèrent pas toujours suffisantes (B).

A. Le droit protecteur de la santé des arbres

i. La diversité des références juridiques

Historiquement, la France est un état particulièrement sensibilisé à la conservation des arbres et des massifs forestiers. L’Ordonnance royale de Brunoy du 29 mai 1346, invite déjà – dans son article 4 – les exploitants à agir « en regard de ce que lesdites forezs se puissent perpétuellement soustenir en bon estat ». Le bon état, pour ne pas dire la bonne santé de nos massifs, est alors un enjeu public qui sera relayé, au fil des siècles, par une règlementation qui deviendra de plus en plus dense.

Sans qu’il soit utile de faire la généalogie de cette réglementation, déjà excellemment exposée dans les articles de cet ouvrage, il convient néanmoins de constater que celle-ci s’est en partie orientée autour de considérations économiques[4]. La forêt bien précieux est aussi un objet de commerce attirant de nombreuses convoitises et imposant que les autorités publiques en règlementent l’usage commercial. La France s’est dotée, de longue date, d’une abondante règlementation en la matière[5].

Dans un tel contexte, il n’est dès lors pas étonnant que les normes visant à la protection des arbres soient, en l’état actuel du droit, fort nombreuses.

Au titre des symboles particulièrement parlant, on retiendra que l’occurrence « arbre » se retrouve d’ailleurs dans quasiment tous les Codes. A côté des attendus Code civil et Code forestier, d’autres, comme le Code du commerce ou encore celui de la propriété intellectuelle, s’y réfèrent[6]. L’arbre fait donc l’objet de nombreuses attentions juridiques[7]. Le droit des arbres est au final relativement disparate et, à notre sens, pas très bien codifié. Il ressort de ce grand ensemble que « les actions forestières (…) sont censées désormais provenir d’une construction rigoureuse de techniques et de modalités d’intervention permettant à la fois la viabilité économique, l’acceptabilité sociale et la conservation de la biodiversité et des services environnementaux[8] ».

Ces précisions générales amènent à une seconde, spécifique à notre étude : celle de l’absence de l’application de la notion de santé aux arbres. La santé, terme classiquement attaché à l’Homme, n’a pas fait l’objet d’une transposition aux arbres en droit positif. Cela n’a rien d’étonnant tant on sait que le pragmatisme n’est pas forcément favorable à l’extrapolation juridique et encore moins à l’application de concepts humains (comme la santé) à des choses (comme les arbres).

Cependant, à la lecture du droit, il nous paraît que la protection de la santé des arbres, bien que non évoquée en tant que telle, peut être identifiée à travers deux séries de mécanismes : le premier consiste à fixer des règles permettant de le protéger ; le second, qui doit s’envisager en complément du précédent, consiste à instaurer des mécanismes de sanction lorsque l’intégrité de l’arbre est atteinte.

ii. Les modes de protection de la santé des arbres

A l’image des politiques de santé publiques la protection de la santé des arbres peut s’envisager soit de manière individuelle, soit de façon collective en protégeant, par exemple, les espaces boisés.

De manière magistrale, le Code forestier reprenant à son compte certaines dispositions de la loi du 9 décembre 1789, consacre cette idée dans son article L. 112-1. Par une formule forte, ce dernier précise que « Les forêts, bois et arbres sont placés sous la sauvegarde de la Nation, sans préjudice des titres, droits et usages collectifs et particuliers ». La Nation est donc la protectrice des arbres. La formule, dont le symbole est important, admet le principe selon lequel la collectivité est garante du bien-être des arbres. Allant encore plus loin, le législateur reconnait, dans ce même article, comme « d’intérêt général… la protection et la mise en valeur des bois et forêts ».

Le principe est non seulement de sauvegarder l’arbre et l’espace boisé, mais également l’écosystème qui l’entoure[9]. La conservation de l’arbre implique donc une approche globale dans laquelle la gestion durable des espaces boisées présente un intérêt tout particulier dans la préservation de toute forme de vie. Le législateur rappelle que les arbres et leurs forêts concourent à fixer les sols, à assurer les ressources en eaux, à fixer le dioxyde de carbone, à lutter contre le changement climatique… L’ensemble de ces éléments contribue, in fine, à garantir la protection des milieux en général, et ceux dans lesquels les individus se meuvent en particulier. L’Homme protecteur devient aussi Homme protégé.

En ce sens, « La gestion durable signifie la gérance et l’utilisation des forêts et des terrains boisés d’une manière et à une intensité telles qu’elles maintiennent leur diversité biologique, leur capacité de régénération, leur vitalité et leur capacité à satisfaire actuellement et pour le futur les fonctions écologiques, économiques et sociales pertinentes, aux niveaux local, national et mondial : et qu’elles ne causent pas de préjudices à d’autres écosystèmes[10] ».

Par un lien causal, la Nation protège les arbres et les arbres quant à eux participent à la protection de ceux qui forment la Nation.

La préservation des arbres, ne se cantonne pas à la seule affirmation qu’il s’agit d’un objet d’intérêt général. En rester là n’aurait conduit qu’à affirmer un principe dont l’effectivité aurait été aléatoire. Le législateur a complété les principes généraux et les déclarations d’intentions par des mécanismes sanctionnant les atteintes au dit principe. Le législateur et la jurisprudence ont créé un véritable arsenal de protection de la forêt, au point que la doctrine n’hésite plus à parler de droit pénal forestier[11]. Une telle qualification n’est pas dénuée de sens si on la considère au regard de l’émergence de mécanismes de sanction exclusivement applicables à la matière forestière et détachés des règles générales applicables en droit pénal.

En ce sens, l’article L. 161-1 du Code forestier définit ce que sont les infractions forestières. Rentrent dans cette catégorie tous les délits et contraventions prévus par le Code forestier et les textes qui en découlent. Les sanctions applicables aux bois et forêts sont entendues de façon extensive. La jurisprudence considère, entre autres, que le droit pénal forestier s’applique au-delà de l’espace planté. La Chambre criminelle indique que l’infraction forestière est caractérisée quand la forêt et son sol sont atteints : « que le sol d’une foret doit s’étendre non seulement de l’espace plante mais aussi, notamment, des cours d’eau qui la bordent[12] ». Le droit pénal forestier protège les forêts et arbres qui la composent contre une série de périls portant atteinte à leur santé. Les incendies[13], la mutilation des arbres (exemple : enlèvement d’écorces), l’arrachage de plants sont de nature à entrainer des condamnations pénales.

Le droit parait bien armé pour protéger la santé des arbres et, partant, celle des hommes. Cependant, ce tableau idyllique masque une autre réalité, celle de la complexité à protéger la santé de l’arbre à une échelle supra nationale.

B. Le droit insuffisamment protecteur de la santé des arbres

i. De nombreuses législations nationales
ignorant la santé des arbres

La protection des forêts et des arbres qui les composent marque de nettes limites dès que l’on sort de nos frontières. Malgré une prise de conscience grandissante sur la nécessité de préserver les arbres, de nombreux Etats sont rétifs à imposer des règles de droit en la matière[14]. Le « droit à la santé des arbres » n’est pas égal en fonction que ces derniers poussent dans un endroit du globe ou dans un autre.

Les considérations économiques et les exigences de croissance ne favorisent pas toujours la préservation des espèces. L’idée que le développement durable puisse être un facteur de développement au sens large du terme n’est pas encore ancrée dans toutes les politiques nationales, ou n’y est ancrée que récemment, ce qui n’a pas permis d’adopter une règlementation suffisamment protectrice. « Souvent des conflits peuvent surgir (…) entre un aménagement forestier à long terme, et les exigences d’une expansion rapide de l’exploitation, ou entre une politique de classement des forêts permanentes et l’exercice de certains droits coutumiers de la population[15] ». Pourtant, les mécanismes de sauvegarde des espaces boisés présentent, sur le long terme, un enjeu central pour le développement d’un Etat et pour la santé de sa population. Quand un Etat ne protège pas ses ressources naturelles, les risques pour la santé de sa population sont réels.

Au terme d’études probantes, les scientifiques ont démontré[16] que la déforestation, constatée dans plusieurs endroits du globe, a des incidences directes sur les modes de vie des populations locales et sur leur santé. Le bouleversement d’un écosystème, imputable à la déforestation, à la suppression d’espèce arboricoles endémiques, prive non seulement les autochtones de la beauté des arbres et de leur cadre de vie – ce qui influe sur leur santé mentale – mais aussi atteint les ressources traditionnellement utilisées pour se nourrir, se vêtir…

La déforestation ou « la mauvaise santé des arbres » favorise également l’apparition de nouvelles maladies voire de pandémies[17].

En Amérique du Sud, « la déforestation de la forêt primaire à des fins de développement agricole et de l’élevage a indéniablement provoqué une augmentation du niveau de vie, mais les populations ont aussi payé un coût important en connaissant une augmentation importante de l’incidence du paludisme[18] ». Malheureusement, le constat ne s’arrête pas à ce seul cas. Les exemples analogues, à travers le monde, sont nombreux et tendent tous vers les mêmes conclusions. Celles que la santé des arbres, ou pire, la vie des arbres, n’est pas suffisamment protégée par les législations nationales et que, partant, ce sont les populations locales qui s’en trouvent atteintes.

Sans que nous puissions davantage insister sur ce point, nous pourrions dire qu’un Etat qui ne protège pas, juridiquement, ses arbres est un Etat qui met sa population en danger. L’immobilisme juridique est, ici, particulièrement coupable.

ii. Un droit international incomplet

La défaillance de nombreux Etats pourrait être palliée par la création d’un droit international forestier. Le principe est d’autant plus séduisant que l’on sait qu’en matière environnementale l’action supra nationale est la plus pertinente[19]. Pourtant, en ce domaine, le cadre juridique international est balbutiant et insuffisant[20]. L’après Seconde Guerre mondiale, qui a marqué un tournant dans les relations internationales, n’a pas mis au centre des débats les questions forestières. Dans les année 1990 les problématiques des gaz à effet de serre[21], de la qualité de l’air, de la pollution, du changement climatique, ont commencé à susciter un vif intérêt de la part de la communauté pour la forêt. Très rapidement, l’arbre, en raison de ses caractéristiques, a été considéré comme un des vecteurs primordiaux permettant de lutter contre ces nouveaux défis environnementaux. La Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (Cnued), tenue au Sommet de Rio en 1992, est le premier acte en la matière. Il a « permis une nette avancée sur les politiques forestières, les pays présents y affirmant leur engagement envers une gestion durable des forêts et adoptant la Déclaration de principes, juridiquement non contraignants, mais faisant autorité pour un consensus mondial sur la conservation et l’exploitation écologiquement viable de tous les types de forêts. Après le Sommet de Rio de 1992, la Fao est intervenue auprès des Etats pour les aider à concevoir, mettre en œuvre ou réviser leur Programme forestier national (Pfn). Dans cette optique le Groupe intergouvernemental des forêts (Gif) a adopté en 1997 des propositions d’action en matière de Pfn[22] ».

L’adoption de nouveaux textes n’a pourtant pas apporté une solution durable et pérenne. Derrière les intentions affichées dès 1992, le droit international s’est montré incapable de créer une stratégie permettant de promouvoir, à l’échelle mondiale, la protection de la santé des arbres. A l’échelle régionale, le droit de l’Union européenne, n’a pas été plus efficace[23]. C’est tout au plus si une stratégie forestière, essentiellement orientée sur des considérations économiques, a été instaurée[24]. De son côté, la jurisprudence européenne s’est montrée très fébrile à envisager le droit forestier[25]. Tempérant cette approche, La Cour de justice des Communautés européennes a toutefois considéré que les deux règlements relatifs à la protection des forêts contre la pollution atmosphérique et contre les incendies constituent des mesures de défense de l’environnement forestier qui, à ce titre, font partie de plein droit des actions de l’Union européenne[26] .

Il semble que les enjeux économiques liés à la ressource forestière aient eu raison de nombreuses tentatives de régulation internationales. La santé des arbres qui devrait, à notre sens, présenter une attention particulière, est ainsi reléguée à un second plan. Dans ce marasme, on retiendra comme lueur d’espoir que la Cour Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, a consacré le fait que « des impératifs économiques et même certains droits fondamentaux, comme le droit de propriété, ne devraient pas se voir accorder la primauté face à des considérations relatives à la protection de l’environnement, en particulier lorsque l’Etat a légiféré en la matière[27] ». Par cette affirmation, la Cedh a fait primer de manière courageuse la protection des arbres sur les intérêts économiques[28].

II. L’arbre et la santé de l’Homme

Par une formule – qui symbolise encore aujourd’hui la méconnaissance ou le mépris du phénomène écologique -, tombée depuis dans la postérité, Ronald Reagan affirmait, il y a plus de vingt ans, que les arbres produisent davantage de pollution aérienne que les usines. La phrase qui prête à sourire montre que l’impact des arbres sur la santé humaine est souvent minoré ou méconnu. Pourtant, les arbres concourent directement ou indirectement à protéger l’espèce humaine contre un nombre important de fléaux (A) Néanmoins, le droit éprouve des difficultés à appréhender ce phénomène (B).

A. L’arbre garant de la santé des Hommes

i. L’arbre au service de la santé des Hommes

La place des forêts dans le monde, quoi qu’importante, reste précaire. Pourtant, comme l’indique la Fao, « Il est important de mettre en valeur et de conserver les terres forestières, voire tout l’espace vert, non seulement pour leur aspect esthétique, mais aussi pour des raisons écologiques, économiques et sociales. En effet les arbres ont toujours été intimement liés à l’évolution de la biodiversité terrestre, surtout l’humanité car l’oxygène, l’eau, les aliments et les médicaments dépendent tous des forêts. Ces dernières constituent l’élément charnière dans l’adaptation et l’atténuation du réchauffement climatique[29] ».

En matière de santé, la forêt occupe une place centrale. Partant, l’importance de la forêt et des arbres pour la santé de l’Homme peut s’envisager à deux échelles.

D’abord, l’arbre influe sur la santé de l’Homme en intervenant sur son environnement[30]. Il intervient sur son écosystème, favorise la diversité des ressources alimentaires, est une source d’énergie… Il est alors possible d’écrire qu’en favorisant la diversité des espèces, l’arbre permet tout simplement d’assurer la vie de l’espèce humaine. « Si la diversité apparaît aussi omniprésente, constamment renouvelée, restaurée après chaque grande crise d’extinction c’est parce qu’elle assure une fonction essentielle pour l’expression et le maintien de la vie. De fait, il n’y a pas de vie sans diversité : c’est une caractéristique intrinsèque du vivant[31]».

Enfin, l’arbre est susceptible d’intervenir directement sur la physiologie de l’Homme. De nombreux médicaments, cosmétiques dispositifs médicaux sont fabriqués à partir d’arbres. On constate également, une augmentation du nombre de pratiques paramédicales utilisant l’arbre comme une source de guérison ou de bien-être[32].

Dans la relation entre la santé de l’Homme et l’arbre, chaque espèce d’arbre joue un rôle, exerce une fonction spécifique. Ce principe a d’ailleurs été théorisé, dans les années 1980, par l’intermédiaire du concept de service écologique, repris depuis dans le droit positif[33]. Le service écologique identifie alors le processus grâce auquel les écosystèmes, avec l’ensemble des espèces, satisfont les besoins des hommes[34]. Dans cette vision « de la nature utile », l’arbre est un acteur majeur dont l’utilité pour la santé n’a cessé de s’accroître.

ii. L’arbre remède aux maux des Hommes

Depuis plusieurs siècles, les civilisations se soignent à l’aide de plantes et d’arbres. Paracelse, au XVe siècle théorisa le principe de la signature, selon lequel chaque végétal en raison de ses caractéristiques intrinsèques est apte à soigner des maux déterminés.

A titre d’exemple, « le saule », arbre qui pousse dans les lieux humides est, en raison de sa signature, capable de soigner les maladies qui s’attrapent par des climats humides ou qui sont imputables à des pieds mouillés[35]. L’explication n’emprunte pas uniquement à l’anecdote historique. L’arbre, et la chose est peu connue, est un élément essentiel de la médecine. Quelques chiffres suffisent à comprendre l’ampleur du phénomène.

Les spécialistes estiment qu’aux Etats-Unis, 25 % des ordonnances prescrites comportent des médicaments dont les principes actifs sont tirés ou dérivés d’arbres et de plantes. En 1990, les médicaments à base d’arbres et de plantes y représentaient un budget de 12,5 milliards de dollars. Quotidiennement de nouveaux médicaments, de nouvelles molécules innovantes sont extraits d’arbres.

Récemment, la découverte du taxol, extrait de l’écorce de l’if du Pacifique, a permis de fournir un composant actif dans un nouveau traitement du cancer du sein et de l’ovaire. Les exemples en la matière sont nombreux et souvent spectaculaires.

Les arbres offrent donc de nombreux remèdes. Ils permettent, dans l’indifférence la plus générale de guérir des maladies, de soigner des pathologies avec une efficacité que les substances chimiques issues de l’industrie n’arrivent pas égaler.

B. L’arbre : un protecteur méconnu de la santé des Hommes

i. Un problème de reconnaissance de l’apport des arbres

Les arbres et les plantes constituent des objets d’études et de développements importants pour la médecine. Contrairement à une idée reçue, les arbres ne se retrouvent pas uniquement dans des médicaments traditionnels, fabriqués au milieu des fioles contenant des serpents, dans des petites échoppes des pays asiatiques. Cette vision, communément admise dans nos sociétés occidentales, ne correspond que peu à la réalité. L’industrie pharmaceutique et les grands groupes qui la composent ont bien compris l’intérêt et la valeur que pouvaient avoir les arbres pour leurs chiffres d’affaires.

Les pays dans lesquels la législation sanitaire est la plus avancée ont quasiment tous admis et réglementé la commercialisation de médicaments à base de plantes et d’arbres. L’Europe n’a pas échappé à la tendance. Le droit de l’Union définit les médicaments à base de plantes (incluant les arbres) comme « tout médicament dont les substances actives sont exclusivement une ou plusieurs substances végétales ou préparations à base de plantes ou une association d’une ou de plusieurs substances végétales ou préparations à base de plantes[36] ».

Les médicaments à base de plantes répondent, alors, à une réglementation similaire aux autres médicaments. Les règles de mise sur le marché, les mécanismes de vente, les vigilances sanitaires sont analogues à toutes les spécialités pharmaceutiques[37].

Malgré cette reconnaissance, de nombreux médicaments à base d’arbres sont exclus du marché européen et, plus globalement, des marchés pharmaceutiques occidentaux. Nombreuses sont les règlementations à refuser la commercialisation de médicaments traditionnels. Médicaments qui constituent pourtant la source de l’art médical dans de nombreux pays du monde. Selon certaines estimations, ce sont près de 80% des habitants des pays en développement qui dépendent des médicaments traditionnels dont 50% d’entre eux proviennent de la forêt.

ii. Un problème d’intégration juridique de l’apport des arbres

Les médicaments à base de plantes autorisées par notre droit ne représentent qu’une infime partie de l’immense masse qui rentrent dans la catégorie des produits pharmaceutiques similaires. En effet, de nombreux médicaments, qui sont pourtant fabriqués à partir d’essences naturelles (plantes, arbres…) sont tout bonnement exclus de la législation et par conséquent interdit à la vente dans nos pays. C’est ainsi, que les médicaments traditionnels à base de plantes, dont une partie importante sont issus de la médecine traditionnelle chinoise, peinent à être légalisés. La rigidité de la législation, l’inadéquation de ces spécialités avec les règles de la propriété intellectuelle, sont des obstacles importants pour les fabricants. L’Union européenne, nonobstant l’adoption de la directive du 31 mars 2004, n’a guère favorisé l’ouverture de son marché à ces produits. Les raisons commerciales, qui publiquement laissent place à des arguments de santé publique, expliquent en partie cette posture. Pourtant, à l’image de la Suisse ou de l’Australie, de nombreux pays à travers le monde ont ouvert leur marché aux médicaments traditionnels[38].

Antoine Leca, relève à juste titre « que l’industrie pharmaceutique occidentale, basée essentiellement sur la synthèse chimique, n’a pour l’instant rien de neuf, ni de convaincant à proposer contre plusieurs pathologies. Et l’occident est à la recherche de médicaments moins coûteux. Il y aurait donc de bonnes raisons pour faire collaborer les deux savoirs pharmaceutiques[39] ».

La législation européenne et française rechigne à faire une place plus importante aux médicaments confectionnés à partir d’arbres. La pression des grands groupes pharmaceutiques est sur ce point particulièrement forte. Les enjeux économiques deviennent alors prépondérants face aux possibles bienfaits que pourraient nous offrir ces ressources.

Alors qu’au moment où nous achevons cette étude notre regard se porte sur le Sapin de Noël, majestueusement décoré et qui dans quelques jours perdra de sa superbe et sera relégué au rang de déchet, nous ne pouvons que constater que l’arbre dans toute sa splendeur et son utilité n’a pas la place qu’il devrait avoir. Souvent considéré comme un vulgaire objet décoratif, il apparait en réalité bien plus essentiel que cela dans nos vies.


[1] Benoit Boutefeux, La forêt comme un théâtre ou les conditions d’une mise en scène réussie, Thèse Ens Lyon, 2007 ; Vincent Colson, Anne Marie, Sophie Vanwijnsberghe, Loisirs en forêt et gestion durable, Les Presses agronomiques de Gembloux, 2012 ; Jacques Liagre, « L’accueil du public en forêt : fonction sociale de la forêt française », in, La Forêt et ses enjeux, Presses Universitaires de Perpignan, 1996.

[2] CE, 17 décembre 2018, n°400311.

[3] Voir infra.

[4] Michel Badre, « Gestion et gouvernance forestières : l’évolution de l’action publique », Rev. for. Française, 2007, n° 5, p. 484.

[5] Philippe Lacroix, Jean-Louis Roque, Robert Izard, Michel Lacan, Voyage dans les forêts de l’Hérault : De Saint-Guilhem à l’Espinouse, Broché, 2011.

[6] Claude Durand-Prinborgne, « Aspect contemporain du droit de propriété en matière forestière », Rev. for. Française, déc. 1966, n° 12, p. 761.

[7] Louis Naud, De la protection des forêts, V. Giard et E. Brière, 1907.

[8] Gérard Buttoud, « Débat international sur les forêts et changement d’approche de la gestion de la politique et de la gestion forestière », Revue Forestière, 2007, p. 443.

[9] Michel Prieur, Droit, forêts et développement durable, éd. Bruylant, Bruxelles, 1996.

[10] Conférence interministérielle sur la protection des forêts en Europe, Helsinki juin 1993, résolution H1.

[11] Jacques Liagre, Bois et Forêts, Jcl. Environnement, 2016, Fasc. n°3725.

[12] Cass. crim., 22 févr. 1977, Bull. crim. 1977, n° 71.

[13] Cass. Crim., 21 janv. 2014, n° 13-81.280.

[14] Eric Glond (dir.), Forets et société au Canada, ressources durables ou horreur boréale ?, septentrion, 2008.

[15] Fao, Fao Forets, La législation forestière dans quelques pays africains, Etude 65, 1986, p. 7.

[16] David Braown, Bois légal : vérification et gouvernance dans le secteur forestier, CIFOR, 2009 ; Stéphanie Carrière, Les orphelins de la forets, Ird éd., 2017.

[17] Stéphane Blanc, Gilles Boëtsch, Martine Hossaert-McKey, François Renaud, Ecologie de la santé, Cherche midi, 2017, p. 30.

[18] Actes de la conférence internationale Biodiversité, science et gouvernance, Paris 24-28 juillet 2005, p. 201.

[19] Pierre-Marie Dupuy, « Où en est le droit international de l’environnement à la fin du siècle ? », Rgdip.,1997, p. 873 ; Maurice Kamto, « Les nouveaux principes du droit international de l’environnement », Rje, 1993, p. 11 ; Raphaël Romi, Droit international et européen de l’environnement, 2e éd , Montchrestien, 2013 ; Michel Pâques, La protection de l’environnement au cœur du système juridique international et du droit interne, acteurs, valeurs et efficacité, Bruylant , 2003.

[20] Stéphane Doumbe-Bille,Lecadre juridique international relatif aux forêts. Etat de développement. Actes du colloque des 5 et 6 décembre 2002. Le droit de la forêt au XXIe siècle – aspects internationaux, Coll. du droit du patrimoine culturel et naturel, L’Harmattan, 2004, p. 121.

[21] D’après de nouvelles recherches, les arbres joueraient un rôle bien plus complexe dans la pollution atmosphérique qu’on ne le pensait précédemment, et certaines espèces aggraveraient même le phénomène.

[22] Jacques Liagre, Bois et Forêts, Jcl. Environnement, 2016, Fasc. n°3725.

[23] Isabelle Michallet, La protection des forêts en droit communautaire. Actes du colloque des 5 et 6 décembre 2002. Le Droit de la forêt au XXIe siècle – Aspects internationaux, L’Harmattan, 2004, p. 169.

[24] Cons. UE, rés. 1999/C 56/01, 15 déc. 1998, relative à une stratégie forestière pour l’Union européenne : Joce n° C 56, 26 févr. 1999, p. 1.

[25] Cjce, 25 fev. 1999 Parlement c/Conseil rec. Cjce 1999, p. 1139.

[26] Ibidem.

[27] Cedh, 27 nov. 2007, déc. n° 21861/03, Hamer c/ Belgique, § 79.

[28] Ibidem.

[29] Fao, Fao Forets, La législation forestière dans quelques pays africains, op. cit.

[30] Voir Supra I.B.

[31] Robert Barbault, « Biodiversité, écologie et sociétés », Ecologie & politique, 2005, p. 27.

[32] Voir l’exemple de la sylvothérapie, Guillaume Decocq, Bernard Kalaora, Chloé Vlassopoulos, La forêt salvatrice. Reboisement, société et catastrophe au prisme de l’histoire, Champ Vallon, 2016.

[33] Dir. n° 2004/35/CE, art. 2, point 13.

[34] Gretchen Daily, Nature’s services. Societal dependence on natural ecosystems, Island Press, Washington, 1997.

[35] Jacques Pellecuer, « Arbres et médicaments », Aménagement et nature, 2004, p. 18.

[36] PE et Cons. UE, dir. 2004/24/CE, 31 mars 2004, art. 1er.

[37] Arnaud Lami, Antoine Leca, Droit Pharmaceutique, Leh, 2017.

[38] Antoine Leca (Dir.), Droit tradimédical, Leh, 2014.

[39] Antoine Leca, « Quel statut pour la médecine traditionnelle chinoise en droit français » in Antoine Leca, Droit tradimédical, op.cit., p. 65.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

L’auteure de la semaine : Delphine Espagno-Abadie

Voici la 6e publication dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’une présentation de l’un.e de nos auteur.e.s d’exception : Mme Delphine Espagno-Abadie.

Profession :

Maître de conférences à l’IEP de Toulouse.

Thèmes de recherche(s) :

Unité du droit, le droit du service public, puissance publique, fonction publique, éducation et enseignement supérieur, droit de l’action publique, droit(s) public(s) méditerranéen (s)…

Quelle a été votre première collaboration / publication aux Editions L’Epitoge ?

Ma première contribution aux Editions l’Epitoge a été la publication d’une contribution dans l’ouvrage Voyages en l’honneur du professeur Geneviève Koubi, un droit à l’évasion…circulaire, en 2012.

Y en a-t-il eu d’autres ?

Oui, la publication de mon ouvrage Léon Duguit : de la sociologie et du droit en 2013
et dans le cadre de la RMDP, Eléments bibliographiques
et les propos conclusifs dans la publication des actes du Colloque de Rabat (octobre 2015), publiés en octobre 2016.

Quelle est votre dernière publication ?

Ma dernière publication aux Editions l’Epitoge est une contribution dans l’ouvrage Le(s) droit(s) selon & avec Jean-Arnaud Mazères, octobre 2016.

Quelle sera votre future publication ?

Sans doute une contribution à l’actualisation des Eléments bibliographiques à la RMDP.

Quelle est la publication dont vous êtes le.la plus fier.e / heureux.se ?

Personnellement, je pense que c’est mon ouvrage individuel mais c’est toujours avec bonheur et fierté que je contribue aux éditions L’Epitoge.

Quel est – en droit – votre auteur.e préféré.e ?

Si c’est un auteur disparu, certainement Léon Duguit mais j’ai également une affection particulière pour les écrits de Jean Rivero.

Quel est – en littérature – votre auteur.e préféré.e ?

Difficile de faire un choix… : pour la littérature française, je pense que c’est Victor Hugo ; pour la littérature étrangère, je pense que c’est Philip Roth.

Quel est – en droit – votre ouvrage préféré ?

Les transformations du droit public de Léon Duguit.

Quel est – en littérature – votre ouvrage préféré ?

L’homme qui rit de Victor Hugo.

Volume II :
Léon Duguit :

de la Sociologie & du Droit

Delphine Espagno

– Nombre de pages : 198
– Sortie : décembre 2013
– Prix : 39 €

  • ISBN / EAN : 978-2-9541188-6-4 /9782954118864
  • ISSN : 2272-2963

Présentation :

L’ouvrage que nous propose aujourd’hui Mme Delphine ESPAGNO, (…) est peut-être la plus belle des invitations qui ait été écrite afin d’inciter le lecteur, citoyen et / ou juriste, à comprendre la pensée du doyen de Bordeaux (…). Léon DUGUIT méritait effectivement [les présents] ouvrage et hommage (…) car le doyen, comme Jean-Jacques ROUSSEAU avant lui (…), a longtemps été et est encore souvent présenté soit comme un marginal de la pensée juridique, soit est même dédaigné de façon méprisante comme si sa qualité de juriste lui était déniée. HAURIOU, nous rappelle l’auteure, ira même ainsi jusqu’à affubler DUGUIT d’être un « anarchiste de la chaire » ce qui n’avait manifestement pas totalement déplu à ce dernier ! Car, ce que rappelle Mme ESPAGNO dès son introduction, c’est bien une nouvelle manière de penser et de réinventer le Droit dans son ensemble que nous invite à accomplir Léon DUGUIT. Il n’est pas qu’un faiseur de théorie(s) (comme celles du service public, des agents publics ou encore de l’Etat), il est – pour reprendre l’expression de CHENOT désormais consacrée – un véritable « faiseur de système » dans son sens le plus noble et mélioratif (…). DUGUIT assume en effet son rôle de guide et nous a donné à voir une nouvelle façon d’appréhender le Droit non pas tel qu’il est mais tel qu’il devrait être. Un Droit qu’il a comme réinventé en chaussant de nouvelles lunettes tel le spectateur qui verrait en deux dimensions et désormais en découvrirait – grâce à lui – une troisième. Après Léon DUGUIT, les juristes n’ont ainsi pu feindre de ne concevoir le Droit qu’à l’instar d’un artifice fictif, technique et juridique : le Droit est devenu indissociable de la Sociologie (…). Ce « droit duguiste » nous offre alors grâce à la lumière qu’y dépose avec délicatesse Mme Delphine ESPAGNO la vision renouvelée des relations existantes entre Droit, individu et collégialité ou société (…) En outre, ce que va construire le doyen de Bordeaux n’est pas – comme on le lit encore souvent – une « simple » théorie du service public mais une théorie réaliste de l’Etat par le service public ».

L’ouvrage, publié le 18 décembre 2013 pour le 85e anniversaire de la mort du doyen DUGUIT, a été réalisé grâce au soutien de SCIENCES PO Toulouse ainsi que du COLLECTIF L’UNITE DU DROIT. Il est en outre sorti en parallèle avec un second ouvrage sur l’autre géant du droit public français : Maurice HAURIOU.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Existe-t-il un « modèle » de Justice constitutionnelle en Méditerranée ? (par Mélina Elshoud)

Voici la 5e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 4e livre de nos Editions dans la collection dite verte de la Revue Méditerranéenne de Droit public publiée depuis 2013.

L’extrait choisi est celui de l’article de Mme Mélina Elshoud à propos de l’existence interrogée d’un modèle de justice constitutionnelle en Méditerranée.

Cet ouvrage est le quatrième issu de la collection
« Revue Méditerranéenne de Droit Public (RM-DP) ».

Volume IV :
Journées Louis Rolland
le Méditerranéen
– dont –
Justice(s) constitutionnelle(s)
en Méditerranée

Ouvrage collectif
(dir. Laboratoire Méditerranéen de Droit Public
Mathieu Touzeil-Divina & Anne Levade)

– Nombre de pages : 214
– Sortie : juillet 2016
– Prix : 39 €

ISBN / EAN : 979-10-92684-08-7 / 9791092684087
ISSN : 2268-9893

Existe-t-il un « modèle »
de justice constitutionnelle
en Méditerranée ?

Mélina Elshoud
Doctorante en droit public
à l’université du Maine, Themis-Um, Clud
Membre du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public

A l’issue de cette journée de colloque, nous ne vous apprendrons plus, nous l’espérons, l’intérêt qu’il y a à faire de la recherche – et qui plus est juridique – sur un territoire tel que le bassin méditerranéen. « Dans ce bassin où jouent des enfants aux yeux noirs, il y a trois continents et des siècles d’histoire » chantait la Grecque Mélina Mercouri. La Méditerranée, littéralement la « mer entre les terres », est le point de rencontre entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie. De fait, elle est, depuis l’Antiquité, un vecteur de confrontations et d’échanges. Point stratégique et incontournable en matière commerciale et culturelle, la Méditerranée est, depuis l’Antiquité, un vecteur de confrontations et d’échanges.

Influences & confluences en Méditerranée. Populations, cultures, biens, institutions ; tout y est à la fois différent et familier. Il y a, en Méditerranée, une longue histoire d’influences, car en effet, des pays qui, par la force des choses, sont tournés vers les autres et se regardent d’un bout à l’autre du bassin, ne peuvent pas s’ignorer. Dans un contexte globalisé, elles se sont davantage développées. Multiples et permanentes, favorisées dans un contexte globalisé, les influences des uns ont suscité les changements de systèmes et de mentalités des autres (tantôt l’influence a conduit à un rapprochement, lorsqu’elle a obligé ou lorsqu’elle a convaincu, tantôt elle a éloigné et différencié, lorsqu’elle a suscité le rejet).

Coopérations économiques, culturelles, ou politiques, colonisations et décolonisations, construction européenne et relations diplomatiques, crises politiques et réformes nationales, relations professionnelles ou personnelles, nombreux sont les éléments qui ont joué un rôle direct ou indirect dans les mutations connues par la Méditerranée. Si toutes les sources d’influence ne sont pas évidentes à déterminer, et s’il est difficile d’identifier la portée précise de chacune d’entre elles dans les évolutions constatées, il est certain que les systèmes juridiques nationaux en portent également la marque.

La protection des droits fondamentaux, le pouvoir de l’Etat législateur et administrateur, et la justice constitutionnelle tels qu’ils existent en Méditerranée sont donc aussi le fruit des ces influences réciproques.

Mutations de la justice constitutionnelle. On constate que des organes opérant un contrôle de constitutionnalité des lois sont apparus les uns après les autres partout en Méditerranée et certains tout récemment, que le contrôle du respect de la Constitution s’est développé, amélioré, étendu dans chaque Etat méditerranéen et que le rôle des juges constitutionnels s’y est renforcé. Selon les pays, ces évolutions ont été lentes, ou brutales, consacrant un emprunt normatif plus ou moins important et assumé au(x) système(s) existant(s)[1]. Elles ont, pour beaucoup, été justifiées par la complexification de nos sociétés et la juridicisation des rapports humains. Elles sont aussi le fruit de la volonté partagée d’harmoniser et d’uniformiser les institutions et leur fonctionnement pour simplifier leur appréhension par autrui et leur collaboration entre elles. Plus globalement, ces évolutions s’inscrivent dans le mouvement d’émancipation des Hommes, qui implique dans nos pays – sous la contrainte douce ou violente, internationale ou populaire – la reconnaissance et la protection de droits de chaque individu et la démocratisation de nos institutions.

Ces influences ont-elles pu aboutir au développement d’un « modèle » de justice constitutionnelle propre à la méditerranée ?

Quel « modèle » ? Pour répondre à cette question, il faut nous entendre sur ce qu’est un « modèle ».

Si nous entendons « modèle » comme l’exemple type, le représentant ou la référence d’une catégorie[2], il faut rechercher s’il existe en Méditerranée un « modèle » de justice constitutionnelle qui serait caractéristique des pays méditerranéens c’est-à-dire qui serait partagé par eux et susceptibles de les distinguer d’autres pays, d’autres régions, et donc d’autres modèles.

C’est dans ce sens qu’ont été conceptualisés les modèles européens et américains de justice constitutionnelle[3]. Le modèle a pour but de simplifier l’appréhension du droit positif et résumer la réalité – surtout quand elle est complexe[4]. C’est d’ailleurs dans cette optique que la notion est utilisée à l’Université, auprès des étudiants. Cette modélisation permettrait de faire état, sous une forme sans doute simplifiée mais accessible et juste, du visage actuel de la justice constitutionnelle en Méditerranée.

Si nous retenons cette définition du terme « modèle », alors nous pouvons d’ores et déjà conclure qu’il n’existe pas de modèle de justice constitutionnelle en Méditerranée. (I)

Par contre, le terme « modèle » a aussi un autre sens : le « modèle » signifie l’idéal. Comme on évoquerait l’homme modèle, il pourrait y avoir une justice constitutionnelle modèle en Méditerranée. Les pays méditerranéens partageraient tous – ou à la grande majorité d’entre eux – une « affection » pour un modèle de justice constitutionnelle. Ils auraient aujourd’hui à l’esprit – si ce n’est sur le papier – la volonté de ressembler, d’aboutir à un modèle de justice constitutionnelle particulier.

Si nous retenons ce sens du mot « modèle », nous pensons qu’il existe aujourd’hui un modèle d’inspiration de justice constitutionnelle en Méditerranée, et qu’il s’est d’ailleurs construit par référence à une démocratisation souhaitée. (II)

I. L’absence d’un modèle de justice constitutionnelle caractéristique de la Méditerranée

D’une part, les modèles existants (c’est à dire européens et américains) ne conviennent pas à la réalité méditerranéenne (A) ; d’autre part, l’analyse des caractéristiques de la justice constitutionnelle des 22 pays bordant la méditerranée ne permet pas de créer un nouveau représentant type : un « modèle méditerranéen » de justice constitutionnelle (B).

A. Insuffisance des modèles européens et américains pour esquisser la réalité méditerranéenne

Il faut rappeler – en écho aux propos d’Antonin Gelblat[5] – que des juristes se sont évertués à faciliter l’étude des systèmes de justice constitutionnelle dans le monde en les modélisant. L’une de ces modélisations, sans doute la plus connue, repose essentiellement sur les caractéristiques du contrôle de constitutionnalité et veut résumer en deux modèles l’ensemble du droit positif :

Le modèle européen. Soit l’Etat a choisi de faire exercer son contrôle de constitutionnalité par un juge dont c’est la mission principale et qui est le seul à l’exercer (on dit que le contrôle est concentré). Ce juge ne peut être saisi que dans le cadre d’un recours direct (qui concerne directement une question de constitutionnalité) (c’est un contrôle par voie d’action) et il n’exerce cette mission qu’avant la promulgation de la loi (on dit que le contrôle est fait a priori). Enfin, la décision du juge a, dans ce cas, un effet erga omnes c’est-à-dire qu’elle vaut pour tous. C’est la description du modèle européen de justice constitutionnelle, tel qu’il a été inspiré par Hans Kelsen, dans les années 1920 avec la création de la Cour constitutionnelle autrichienne.

Le modèle américain. Soit l’Etat a choisi de faire exercer son contrôle de constitutionnalité par tous les juges ordinaires et en dernière instance par une Cour suprême – partant du principe que leur rôle est de faire respecter le Droit, et que la norme constitutionnelle en fait partie – (le contrôle est diffus). Ce juge est saisi après la promulgation de la loi (a posteriori donc), dans le cadre d’un recours incident c’est à dire au cours d’un procès dans lequel va se poser une question de constitutionnalité (recours par voie d’exception) et les décisions qu’il rend n’ont donc qu’un effet inter partes c’est à dire qui ne vaut que pour les parties au litige. C’est là, la description du modèle américain de justice constitutionnelle qui a résulté de la décision Marbury v. Madison rendue par la Cour suprême américaine en 1803.

Une réalité mal représentée. Sans nier la portée explicative de ces modèles qui permettent de dessiner les grandes lignes de la justice constitutionnelle établie, il est néanmoins objectivement constatable que :

– d’une part tous les pays européens n’empruntent pas au modèle dit européen ; ainsi le contrôle de constitutionnalité de la Grèce n’a jamais rien partagé avec le modèle européen puisqu’il est exercé par les juridictions ordinaires et, seulement en cas de conflits entre elles sur la solution à donner, par une Cour spéciale suprême.

– d’autre part, certains pays n’ont jamais réellement répondu aux critères de l’un ni de l’autre de ces modèles ; et c’est le cas d’un certain nombre de pays méditerranéens au nombre desquels l’Albanie qui, bien qu’ayant une cour constitutionnelle autonome depuis 1992, exerce un contrôle a priori (seulement pour les engagements internationaux) et un contrôle a posteriori des lois, actes administratifs, référendums, engagements internationaux et jugements, dans le cadre d’un procès ou non.

– enfin, la réforme constitutionnelle française de 2008 a retiré au modèle européen l’une de ses grandes figures pour la laisser devenir un exemple de « modèle hybride ». En effet, en introduisant la Question Prioritaire de Constitutionnalité, la France a cessé de répondre au critère d’un unique contrôle a priori mais contrôle la loi a posteriori, par voie de recours incident (dans le cadre d’un procès) et l’obligation pour les juges ordinaires de filtrer les questions laisse présumer que le contrôle de constitutionnalité n’est plus tout à fait l’apanage du seul Conseil constitutionnel.

Avec le temps et les réformes, c’est la quasi-totalité de la justice méditerranéenne qui n’est pas prise en compte par les modèles existants.

Si 16 pays sur 22 ont fait le choix d’une cour autonome spécialisée dans le contrôle de constitutionnalité (premier critère du modèle européen), aucun n’a fait le choix d’exercer uniquement un contrôle a priori (second critère du modèle européen). Pour beaucoup le contrôle y est exercé cumulativement a priori et a posteriori, avec des effets différents (inter partes et erga omnes). On peut citer l’Espagne, la France, l’Italie, l’Albanie, l’Algérie, la Bosnie, etc. A contrario sur les pays qui ont fait le choix de donner cette compétence à une cour suprême (Malte, Israël, Gibraltar, Grèce, Chypre), il faut souligner les particularismes grecs et maltais. En Grèce, il ne s’agit pas vraiment d’une cour suprême permanente et placée au sommet de l’ordre de juridiction : c’est une cour suprême ad hoc c’est à dire qui ne se réunit que lorsqu’il y a un litige sur une question de constitutionnalité, entre le Conseil d’Etat, la Cour de cassation et la Cour des comptes. Elle se compose alors de membres de ces trois juridictions, et se réunit dans les locaux du Conseil d’Etat. A Malte, la Cour constitutionnelle est une cour suprême qui rend des décisions sur appel des tribunaux ordinaires, mais uniquement en matière constitutionnelle – a contrario d’une vraie cour suprême. Enfin, si les recours a posteriori sont dans le modèle américain la porte ouverte à des recours individuels contre la loi – et c’est tout leur intérêt – dans plusieurs pays méditerranéens, le recours a posteriori reste exclusivement réservé aux pouvoirs publics.

Ces constats nous font définitivement penser que les modèles européens et américains sont dépassés pour rendre compte des entières réalité et complexité du fonctionnement de la justice constitutionnelle en Méditerranée, car ils en occultent trop d’éléments.

B. A la recherche du « modèle méditerranéen »

Mais alors existe-t-il un « air de famille » des juridictions constitutionnelles méditerranéennes susceptible de justifier la création d’un autre modèle : le « modèle méditerranéen » ?

Il nous semble que non. Si nous reprenons les quatre critères qui servent de fondement aux modèles européen et américain : 1. le lieu du contrôle (concentré/diffus) ; 2. le moment du contrôle (a priori/a posteriori) (par voie d’action/par voie d’exception) ; 3. la forme du contrôle (abstrait/concret) ; 4. la portée du contrôle (erga omnes /inter partes) notre état des lieux est le suivant :

En Méditerranée – et en mettant de côté la Libye eu égard aux événements qui la paralysent :

– 18 pays ont mis en place un contrôle concentré et 3 ont un contrôle diffus (Gibraltar, Grèce, Malte)[6]

– ils sont 10 juges constitutionnels à exercer le contrôle a priori et a posteriori (dont une cour suprême) et 11 juges constitutionnels à exercer seulement un contrôle a posteriori (dont quatre cours suprêmes). Il est intéressant de noter que si les réformes marocaines et tunisiennes aboutissent en fait, plus aucun pays méditerranéen ne se contentera d’un contrôle de constitutionnalité a priori c’est-à-dire d’un contrôle préventif avant la promulgation de la loi. En outre, il faut noter que sur 21 recours a posteriori, 6 juridictions ne proposent pas de recours individuels mais uniquement des recours ouverts aux pouvoirs publics.

– le contrôle a posteriori est lui même un contrôle qui peut prendre différentes formes : il est parfois exercé au soutien d’un recours incident (France) comme d’un recours direct (Albanie), par les individus seulement (Monaco) ou également par les pouvoirs publics (Monténégro).

Quant aux caractères abstrait et concret du contrôle, ils suivent logiquement le type de recours (incident : concret ; direct : abstrait) avec la donnée particulière que quelques fois les décisions rendues au terme d’un recours incident ont un effet erga omnes[7].

Nous ne cherchons pas de copies conformes ou de fonctionnements strictement identiques pour faire émerger un modèle, mais nous pensons qu’il ne faut pas a contrario devoir forcer le trait pour que des éléments qui ne présentent pas d’ « air de famille » se trouvent forcés d’en trouver. Le Pr. Olivier Jouanjan a dénoncé cette méthode consistant à déterminer les modèles avant d’en connaître les sujets ; et de faire les choses à l’envers en façonnant l’intéressé au modèle plutôt que le modèle à l’intéressé, car alors « la valeur explicative de ce modèle n’était pas interrogée ».[8]

Le recours à la modélisation se justifie par le besoin d’expliquer simplement les tenants et les aboutissants d’un système complexe pour faciliter son étude et sa promotion – et nous savons qu’une modélisation de la justice constitutionnelle en Méditerranée est aussi ce dont elle a besoin pour sortir de l’ombre et susciter des intérêts scientifiques dans les amphithéâtres et les travaux de droit comparé. Mais en l’occurrence, le contrôle de constitutionnalité n’est, à l’heure actuelle, définitivement pas le même de l’Italie au Liban en passant par la Grèce et les quatre éléments qui tiennent à la forme du contrôle de constitutionnalité ne rapprochent pas assez les juridictions constitutionnelles pour qu’il soit possible d’admettre l’existence d’un « modèle méditerranéen ».

Dire qu’il n’existe pas de « modèle méditerranéen », marquant une certaine uniformité du contrôle de la constitutionnalité des lois dans cette région, ne signifie pas qu’il n’y a pas des analogies et qu’on ne peut pas relever la volonté partagée de faire émerger un « modèle » commun. En effet, le terme « modèle » a aussi un autre sens : le modèle c’est aussi l’idéal, et en retenant ce sens du mot « modèle », nous répondrons oui à la question introductive de cette intervention : il y a sans doute un idéal de justice constitutionnelle qui justifie un certain nombre d’efforts et de réformes en Méditerranée.

II. Un idéal de justice constitutionnelle inspirant la méditerranée

Nous regrettons que la doctrine ait trop souvent résumé la justice constitutionnelle au contrôle de constitutionnalité et que ledit contrôle ait lui-même été trop souvent résumé aux quatre critères susmentionnés. Or, ces critères ne disent pas l’essentiel. Ils occultent beaucoup d’éléments sur lesquels les pays méditerranéens ont agi ces 50, ces 30, ces 10, ces 3 dernières années, et qui font le visage actuel et futur de la justice constitutionnelle. (A) C’est l’analyse de l’ensemble de ces éléments qui permet de révéler le rôle conçu par les sociétés méditerranéennes pour leur juge constitutionnel : il doit être un véritable garant dans la Cité. (B)

A. Au-delà du contrôle de constitutionnalité

Actuellement, on ne prend pas en compte, dans la modélisation proposée, un certain nombre d’éléments caractéristiques du juge constitutionnel lui-même (indépendance, impartialité, etc.), qui peuvent influer sur le contrôle de constitutionnalité des lois, et à propos desquelles, les Etats méditerranéens ont poussé de nombreuses réformes.

La recherche d’une plus grande indépendance[9]. Comme s’est notamment plu le Pr. Troper à le défendre, l’indépendance des juges sert ainsi avant tout à préserver les qualités de la loi.

D’abord, l’indépendance s’incarne en Méditerranée dans le libellé des textes et de la jurisprudence constitutionnelle. Elle s’incarne aussi dans des conditions de nomination et de révocation plus encadrées : en 2008, Israël imposait désormais la majorité qualifiée au comité parlementaire de nomination des juges constitutionnels. Elle s’incarne aussi dans la durée de la fonction et l’impossibilité d’y être renouvelé : à l’heure actuelle, seule la Syrie permet encore à un juge constitutionnel d’être renouvelé dans ses fonctions quand la possibilité a été retirée partout sur le bassin. Elle s’incarne enfin encore dans le changement de forme ou le changement de nom de l’organe constitutionnel : l’Egypte et le Maroc ont ainsi abandonné la chambre constitutionnelle de la Cour suprême pour y préférer une Cour constitutionnelle indépendante et les débats parlementaires grecs prouvent qu’on y a également songé il y a quelques années ; la Tunisie et le Maroc ont aussi fait le choix du symbole en décidant d’abandonner le nom de « Conseil constitutionnel » pour y préférer celui de « Cour constitutionnelle », tandis que la France l’a seulement évoqué[10].

La recherche d’une plus grande impartialité. Elle s’incarne comme l’indépendance, par une constitutionnalisation massive dans le bassin méditerranéen de mécanismes de révocation et de désistement, et d’une liste d’incompatibilités.

Un jugement de qualité. Dans la même idée, on relève un certain nombre de réformes qui ont recherché la qualité dans la fonction de juger. Ainsi, la désignation d’hommes et de femmes ayant une expérience de juriste est devenue une obligation partagée et de plus en plus de textes constitutionnels insistent sur leur intégrité. La collégialité du jugement est un préalable partout en Méditerranée. Les Etats ont eu tendance à augmenter le nombre de juges constitutionnels (de 7 à 9 pour l’Algérie, et de 5 à 13 pour Chypre) et ont développé la publication des opinions dissidentes (le Liban est le dernier pays à l’avoir prévu par une réforme de 2008).

L’accessibilité. On note une tendance à favoriser l’accès au juge constitutionnel, par la saisine individuelle évidemment mais également par le développement d’autres moyens de saisine protégés de la pression politique (ainsi, la Cour constitutionnelle de Croatie voit dans sa capacité de s’autosaisir, une garantie dans des situations d’instabilité politique). De nombreux Etats ont organisé la gratuité de la procédure devant le juge constitutionnel, amélioré le délai de saisine et de jugement, et ont permis l’accès à la jurisprudence constitutionnelle (sur internet notamment).

Tous ces éléments démontrent l’existence, en Méditerranée, d’une volonté de « juridictionnaliser » davantage le contrôle de constitutionnalité.

En outre, à l’analyse du droit positif, il est clair que la justice constitutionnelle ne se résume pas au contrôle de constitutionnalité des lois : d’une part, de nombreux juges constitutionnels sont également juges de la constitutionnalité des actes administratifs, des traités, des jugements des tribunaux ordinaires ou encore des référendums ; d’autre part, le juge constitutionnel méditerranéen est souvent plus qu’un juge de la constitutionnalité des normes, puisqu’il peut être aussi juge électoral, juge des conflits, ou juge de la légalité des actes.

Il faudrait pouvoir compter tous ces éléments comme nouveaux critères d’un modèle de justice constitutionnelle, parce qu’ils expriment le sens et le rôle donné à notre époque, et notamment en Méditerranée, à la justice constitutionnelle : un garant de la suprématie de la Constitution, un facteur de démocratisation par la promotion des droits de l’Homme et un outil de réalisation de l’Etat de droit.

Les efforts réalisés sur ces points prouvent qu’il y a une convergence vers un modèle au sens d’idéal de justice constitutionnelle en Méditerranée.

B. L’institution d’un juge constitutionnel, un indice de démocratisation ?

Si les gouvernants souverains ne sont pas obligés de créer une cour constitutionnelle mais qu’ils le font ; s’ils ne sont pas obligés de rendre leur fonctionnement effectif, mais qu’ils le font ; c’est qu’il y a, c’est une évidence, une volonté, une opinion éclairée et gouvernante, voire pragmatique, qui les y poussent.

des influences européennes. Nous dirons alors, à ce propos, un dernier mot de deux parties de la Méditerranée où les changements en matière de justice constitutionnelle ont été les plus récents et nombreux. Il s’agit des pays ayant connu les révolutions arabes, et des pays situés à l’est de la Méditerranée. Dans ces Etats, les changements relatifs à la justice constitutionnelle, sont le fruit de fortes influences, internes et externes : tantôt celle d’un peuple qui contraint à évoluer, tantôt celle d’un réseau international dont on souhaiterait obtenir la reconnaissance. La volonté d’intégrer l’Union européenne a ainsi par exemple beaucoup joué – et joue encore pour certains – dans les modifications opérées en Albanie, en Bosnie-Herzégovine, au Monténégro et en Croatie.

Les convergences constatées dessinent probablement un double mouvement de l’Europe vers la Méditerranée et des Etats méditerranéens vers l’Europe ; en ce sens, c’est l’Europe en tant qu’entité politique qui sert de point de repère pour les Etats qui veulent changer ou se voient contraints, par un monde changeant et globalisé, à changer.

Le juge aiguilleur. Enfin, il nous semble que si cet idéal de justice est recherché par les peuples et leurs gouvernants méditerranéens, le juge constitutionnel lui-même y contribue, lorsqu’il affirme son rôle et met en place de nouvelles garanties pour les citoyens. C’est le cas du Conseil constitutionnel libanais lorsqu’il impose au législateur de remplacer toute loi garantissant une liberté fondamentale abrogée par une loi offrant des garanties équivalentes. C’est le cas de la Cour constitutionnelle turque lorsqu’elle a ordonné le déblocage de Twitter et Youtube et ouvert son propre compte Twitter, confirmant ce faisant, son attachement à la liberté d’expression. C’est le cas encore de la Cour suprême d’Israël dont on reconnaît l’activisme parce que la Constitution est lacunaire et laisse un bon nombre de questions en suspens auxquelles ni le pouvoir exécutif ni le pouvoir constituant ne répondent.

Si, comme nous le pensons, cet idéal de justice constitutionnelle existe et est partagé en Méditerranée, nous pourrions être amenés, dans 5, 10 ou 20 ans, à revoir notre réponse à la question du « modèle », car cet idéal aura peut être conduit à l’apparition d’un vrai « modèle » – au sens premier du terme – de justice constitutionnelle.


[1] Pour ne citer que quelques exemples : il est communément admis que le Conseil constitutionnel libanais a été construit sur le modèle du Conseil constitutionnel français. M. Wajdi Mallat, ancien Président du Conseil constitutionnel, le surnommait d’ailleurs l’« enfant adoptif » du Conseil constitution français. Sur ce point, voir le rapport de la Commission des lois du Sénat n°111 intitulé « Quel avenir pour le Liban ? ». De même, on comprend logiquement que la Cour constitutionnelle maltaise, membre de la République du Commonwealth, se soit inspirée du modèle américain de justice constitutionnelle. Enfin, la présence de juges européens siégeant dans la cour de Bosnie-Herzégovine explique sans doute l’importance donnée à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme dans les décisions de la Cour constitutionnelle.

[2] C’est dans ce sens du terme « modèle », comme la « solution-type », que Guillaume Tusseau livre son analyse du choix d’un modèle de contrôle de constitutionnalité : « Les causes du choix d’un modèle de contrôle de constitutionnalité » in Jus Politicum ; n°13 ; 2014 ; p. 2. [En ligne : http://juspoliticum.com/numero/la-justice-constitutionnelle-contemporaine-modeles-et-experimentations-61.html]

[3] A propos de cette modélisation et de ses critiques, voir Eisenmann Charles, La justice constitutionnelle et la Haute cour constitutionnelle d’Autriche ; Paris, Lgdj ; 1928 ; Maulin Eric, « Aperçu d’une histoire française de la modélisation des formes de justice constitutionnelle » in Grewe Constance, Jouanjan Olivier, Maulin Eric, Wachsmann Patrick (dir.), La notion de « justice constitutionnelle » ; Paris, Dalloz ; 2005 ; p. 137 ; Tusseau Guillaume, « Les causes du choix d’un modèle de contrôle de constitutionnalité » in Jus Politicum ; n°13 ; 2014 [En ligne : http://juspoliticum.com/numero/la-justice-constitutionnelle-contemporaine-modeles-et-experimentations-61.html] ; Jouanjan Olivier, « Modèles et représentations de la justice constitutionnelle en France : un bilan critique » in Jus Politicum ; n°2 ; 2009. [En ligne :http://juspoliticum.com/numero/droit-politique-et-justice-constitutionnelle-5.html].

[4] L’effort de modélisation est un préalable nécessaire pour appréhender la justice constitutionnelle dans vingt-deux pays méditerranéens.

[5] Voir supra la contribution de Monsieur Antonin Gelblat intitulée « La saisine parlementaire du juge constitutionnel dans les Etats du bassin méditerranéen ».

[6] Si la République chypriote prévoit que le contrôle de constitutionnalité est exercé par la Cour constitutionnelle suprême, il faut souligner qu’elle n’est pas une cour autonome à l’ordre de juridiction en place, mais qu’elle est néanmoins la seule juridiction à pouvoir exercer cette compétence. Toute question relative à la constitutionnalité d’une loi qui serait soulevée dans une instance ordinaire devrait être transmise à la Cour constitutionnelle suprême, seule à même de statuer. Voir en ce sens l’article 144 de la Constitution de la République de Chypre. Cette remarque vaut également pour l’Etat d’Israël qui, dans le silence de la Loi fondamentale, voit la Cour suprême – également Haute Cour de Justice – exercer seule le contrôle de constitutionnalité des lois. Voir en ce sens : Navot Suzie, « La Cour suprême israélienne et le contrôle de constitutionnalité des lois » in Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n°35, avril 2012, (en ligne :
http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/nouveaux-cahiers-du-conseil/cahier-n-35/la-cour-supreme-israelienne-et-le-controle-de-constitutionnalite-des-lois.105488.html#_ednref6).

[7] Voir en ce sens Tusseau Guillaume, « Les causes du choix d’un modèle de contrôle de constitutionnalité » in Jus Politicum ; n°13 ; 2014 ; p. 14 [En ligne : http://juspoliticum.com/numero/la-justice-constitutionnelle-contemporaine-modeles-et-experimentations-61.html].

[8] Jouanjan Olivier, « Modèles et représentations de la justice constitutionnelle en France : un bilan critique » in Jus Politicum ; n°2 ; 2009 ; p. 9[En ligne :http://juspoliticum.com/numero/droit-politique-et-justice-constitutionnelle-5.html].

[9] Voir sur ce point supra la contribution du Pr. Fabrice Hourquebie.

[10] Sur ce point, voir la proposition de loi française n°1044 tendant à réformer le Conseil constitutionnel déposée le 17 mai 2013.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

De l’opposition parlementaire dans les séries télévisées (Dr. A. Gelblat)

Voici la 4e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 7e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

L’extrait choisi est celui de l’article du désormais docteur en droit public Antonin Gelblat à propos de l’opposition parlementaire dans les séries télévisées.

Volume VII :
Le Parlement aux écrans !

Ouvrage collectif
(Direction : Mathieu Touzeil-Divina)

– Sortie : automne 2013 / Prix : 39 €

  • ISBN : 979-10-92684-01-8
  • ISSN : 2259-8812

De l’opposition parlementaire
dans les séries télévisées

Antonin Gelblat
Ater de droit public à l’Université
Paris Ouest Nanterre La Défense, Credof,
Associé au laboratoire Themis-Um (ea 4333),

membre du Collectif L’Unité du Droit

« Il y a deux choses au monde dont il ne faut pas expliquer la fabrication :
les lois et les saucisses 
»[1] !

Ces propos du secrétaire général de la Maison-Blanche dans la série The West Wing semblent contredire l’ambition pédagogique de la série télévisée politique. Celle-ci est généralement considérée comme un genre moins noble que le cinéma mais elle n’en mérite pas moins une étude spécifique. D’abord parce qu’il s’agit d’un genre en pleine expansion (on en trouve aussi bien aux Etats-Unis qu’en Corée, en Israël ou en Australie) et que ces productions sont susceptibles de toucher un public plus large que le cinéma. Leur impact sur le spectateur (et le citoyen) est peut-être plus important. Elles prétendent ensuite, à la différence du film politique qui est le genre de l’exceptionnel et relate le plus souvent un évènement particulier, décrire la quotidienneté du travail politique et ses coulisses. Les séries politiques ont donc une prétention, fut-elle implicite, à révéler une certaine réalité du fonctionnement des institutions. Mais le traitement qu’elles réservent l’opposition peut aussi éclairer les représentations et les idéologies politiques que ces séries véhiculent. C’est ce dont cette étude cherchera à rendre compte.

Faute toutefois de pouvoir prétendre à l’exhaustivité, on s’en tiendra à comparer deux œuvres particulières, The West Wing[2] et Borgen[3]. Ce choix doit permettre de déterminer ce qui, dans la construction d’une représentation de l’opposition, relève du système institutionnel retenu et de la manière dont l’opposition s’y déploie d’une part, et ce qui relève de jugements de valeur, de prises de position sur ce que devrait être l’opposition, d’autre part. Toutefois, avant de justifier ce choix, il convient de lever un premier obstacle tenant à la définition de l’objet d’étude.

Il était fréquent, chez les constitutionnalistes français, de relever la pauvreté de la littérature juridique relative à l’opposition[4] et de l’expliquer par l’inconfort que suscite, pour la doctrine, une telle notion qui renverrait à « une réalité insaisissable quelque part entre droit et politique, entre le jeu des institutions et celui des rapports de forces »[5]. Dès lors, on peut constater que « définir l’opposition n’est pas chose facile»[6]. Difficulté accrue si l’on entend se doter d’une définition qui puisse rendre compte à la fois des systèmes américains et danois pris pour objet par les séries en question. Aucun de ces deux Etats ne traite, à la différence de la France depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, de l’opposition dans leurs textes constitutionnels. De surcroit, la définition courante, issue du modèle de Westminster, apparait inadaptée tant à la situation danoise qu’américaine. Pour la première, la difficulté vient du fait que, pour de nombreux auteurs, il ne peut y avoir d’opposition que minoritaire puisque le Gouvernement doit, en Angleterre tout du moins, bénéficier de la confiance explicite d’une majorité parlementaire. Or cette définition arithmétique échoue à rendre compte du régime parlementaire danois au sein duquel le gouvernement peut-être minoritaire. Dès lors, pour rechercher une définition de l’opposition applicable à ce système politique, on pourrait reprendre à notre compte les propositions du Professeur Jan : « L’opposition est autant une action qu’une institution, celle-ci précédant celle-là ; L’opposition […] consiste en une activité politique »[7]. Pour le professeur Pimentel, elle est « l’ensemble des groupes qui contestent le Gouvernement. Autant dire que l’opposition est un rôle, une fonction endossée par un groupe, mais non pas ce groupe lui-même » [8].Toutefois, ces définitions ne permettent pas de traiter de la seconde situation. Certains considèrent d’ailleurs qu’il n’existerait pas « de véritable opposition au sein du Congrès »[9], du fait de l’absence de discipline de vote en son sein[10] et de l’indépendance du Président. Pour les besoins de l’étude, on retiendra donc une conception ouverte de l’opposition qui renvoie à l’ensemble des parlementaires, quel que soit leur nombre et leur appartenance partisane, qui réprouve, ponctuellement ou systématiquement, l’action conduite par l’exécutif en usant des moyens politiques et juridiques que leur offre leur statut pour la contester.

Cette définition doit permettre de comparer les représentations de l’opposition produites par The West Wing et Borgen, deux séries politiques à succès, aussi bien populaire que critique[11]. On peut donc supposer que ce sont celles qui ont l’influence la plus grande sur le public, si tant est qu’elles puissent en avoir une. Ces fictions sont toutes deux focalisées sur l’Exécutif, le Président des Etats-Unis démocrate Josiah Bartlet et son staff d’une part, et le premier Ministre danois centriste Birgitte Nyborg de l’autre[12]. Cela ne constitue toutefois pas un obstacle à l’étude du traitement qu’elles réservent à l’opposition parlementaire. En effet, si le Parlement est rarement représenté directement, suggérant peut-être qu’il n’est pas le centre du pouvoir, l’opposition parlementaire est en revanche au cœur des préoccupations de l’Exécutif. Elle sera donc appréhendée à travers l’attitude que lui témoigne le gouvernement, ce qui permettra de s’intéresser plus particulièrement à la mise en scène des rapports de force politique. Ces deux séries dramatiques entretiennent en outre des liens complexes avec la réalité. Il s’agit bien évidemment de fictions, mais qui n’hésitent pas à entretenir une forme de dialogue avec l’actualité politique[13]. Il leur a même été prêté des capacités à anticiper, voire même à façonner le jeu politique. Ainsi, l’élection de Matt Santos, premier président hispanique des Etats-Unis dans la saison six de The West Wing, a été considérée comme la préfiguration de l’élection de Barack Obama (qui avait lui-même inspiré le personnage alors qu’il était encore sénateur de l’Illinois). De même la création de Borgen a précédé de peu, la nomination de Helle Thorning-Schmidt, première femme à diriger le gouvernement Danois. Il n’en fallait pas plus pour que ces séries se voient dotées d’une capacité d’influence politique, généralement considérée comme progressiste, sur son public. Il semble donc a priori que ces œuvres soient toutes deux empreintes d’un certain réalisme, mais aussi d’un certain activisme, qui justifient que l’on s’intéresse à la manière dont elles représentent l’opposition.

Ces deux séries présentent toutefois des différences notables, tant sur le fond que sur la forme, susceptibles de faire varier ces représentations. Sur la forme d’abord, elles n’adoptent pas tout à fait le même angle de vue, ce qui tient sans doute aux dix années qui les séparent. The West Wing emprunte à l’épopée et exalte la parole publique. Les personnages principaux n’ont quasiment pas de vie privée et apparaissent comme des surhommes très brillants intellectuellement (les femmes sont assez peu présentes et, pour la plupart, reléguées à des rôles secondaires, à l’exception notable de C.J. Cregg qui deviendra secrétaire générale de la Maison-Blanche). Borgen, au contraire, relève davantage de la tragédie et pose un regard plus critique et plus sombre sur la vie politique en s’attachant davantage aux affaires judiciaires et aux scandales médiatiques. La vie privée occupe une place plus importante et la difficulté à concilier les rôles de Premier ministre, de mère et d’épouse est au cœur du scénario. Sur le fond surtout, ces séries prennent pour objet deux systèmes politiques qui semblent, de prime abord, très différents : Les Etats-Unis d’une part, soit un Etat fédéral de trois cents quinze millions d’habitant mettant en œuvre un régime qualifié de présidentiel, bicaméral, et majoritaire; le Danemark de l’autre soit un Etat unitaire de cinq millions et demi d’habitants doté d’un régime qualifié de parlementaire, monocaméral et proportionnel.

Or il apparait pourtant que The West Wing et Borgen produisent une représentation relativement similaire de l’opposition. Elles offrent l’image d’oppositions parlementaires puissantes et respectées par un Exécutif soucieux de recueillir leurs consentements, ce qui revient à faire l’éloge d’une opposition constructive et à travers elle, d’un pouvoir exécutif garant du pluralisme (I). Mais lorsqu’un désaccord survient, l’opposition est surmontée et ne parvient jamais à reconquérir le pouvoir ; ce qui révèle la critique d’une opposition conflictuelle et, en filigrane, de l’institution parlementaire elle-même (II).

I. Eloge d’une opposition parlementaire constructive

L’opposition parlementaire est placée en situation de force politique (A). Elle met ainsi en valeur un pouvoir exécutif soucieux de respecter l’avis de son adversaire, conscient qu’il est des bienfaits du pluralisme des idées et des opinions (B).

A. La force politique des oppositions parlementaires au pouvoir Exécutif

Les oppositions parlementaires sont dans une position politique enviable. A la Maison-Blanche, le Président doit affronter une majorité hostile au Congrès (i), tandis que la coalition gouvernementale danoise est pour le moins fragile (ii).

i. Au Congrès : une majorité hostile

Si les élections constituent un moyen privilégié de représenter l’opposition, la place consacrée aux législatives est faible par rapport aux campagnes présidentielles qui, de la candidature à l’investiture occupent plusieurs saisons. Toujours est-il que dans The West Wing, ces élections tournent généralement en défaveur du camp démocrate auquel appartient le Président, qui verra face à lui, et pendant deux mandats, une majorité républicaine non seulement à la chambre des représentants mais aussi au Sénat. Un épisode relate notamment des midterms qui aboutissent à un statu quo parfait[14]. Un autre décrit les bénéfices politiques que la Maison-Blanche espère tirer de la lame duck session (période post-électorale au cours de laquelle le Congrès siège encore sans que les nouveaux élus ne soient entrés en fonction) mais un représentant démocrate désavoué dans les urnes refuse d’aller à l’encontre de la nouvelle volonté manifestée par ses électeurs en votant le projet défendu par la Maison-Blanche[15]. A cette majorité hostile s’ajoute, du fait de l’absence de discipline de vote, l’opposition ponctuelle de certains parlementaires démocrates. En témoigne la défection de cinq d’entre eux au soutien d’un projet de loi de lutte contre les armes, soutenu par l’Exécutif[16], qui doit en urgence identifier ces opposants de dernière minute et les convaincre de renoncer. Le Président se trouve donc en position de faiblesse face à l’opposition et doit continuellement composer avec elle pour mener à bien sa politique législative.

ii. Au Folketing : une coalition gouvernementale précaire

Dans la série Borgen, la création du cabinet Nyborg est extrêmement délicate. Le parti centriste a fortement progressé aux élections législatives et sa dirigeante a été nommée formatrice royale du Gouvernement. Mais le leader du parti travailliste, qui demeure le plus important de la coalition gouvernementale, revendique le poste de Premier ministre. Toutefois, la brusque chute politique de ce dernier et un « coup de bluff » de la centriste (qui laisse entendre à ses alliés qu’elle pourrait accepter une offre alléchante de l’autre camp et ainsi renverser la majorité) lui permettent de former un cabinet et de s’appuyer sur une majorité composite de 91 voix contre 88 à l’opposition[17]. La majorité gouvernementale est alors, dès l’origine, fragile tandis que l’opposition (constituée des libéraux, de la nouvelle droite et du parti de la liberté) se présente unie. La coalition ne résistera d’ailleurs pas longtemps puisque le retrait du parti de l’environnement conduit à un Gouvernement minoritaire. En vertu du parlementarisme négatif, le Gouvernement, même minoritaire, peut se maintenir tant qu’il ne dispose pas d’une majorité explicite à son encontre, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence.[18]. Mais dès lors, l’opposition presse le cabinet Nyborg d’organiser des élections législatives anticipées puisque la conjoncture politique lui est favorable[19]. Le pouvoir exécutif ne bénéficie du soutien déclaré que d’une minorité de parlementaire et doit lui aussi, pour mener à bien son programme législatif, coopérer avec ses adversaires.

B. La prise en compte des oppositions parlementaires par le pouvoir exécutif

Le pouvoir exécutif, qui fait l’apologie du pluralisme et affiche son respect de l’opposition parlementaire, cherche en permanence à prendre en compte son avis. Les compromis, à travers The West Wing (i), et les consensus, à travers Borgen, sont exaltés (ii).

i. A la Maison-Blanche : l’art du compromis

La présidence loue le bipartisme et affiche son respect de l’opposition. Mais ce n’est pas la situation politique qui conduit l’exécutif à adopter une telle attitude, qui n’apparait pas contrainte mais semble plutôt traduire sa croyance sincère dans les vertus du pluralisme et la confiance qu’il place dans le système institutionnel américain[20]. Ainsi le Président peut-il affirmer : « Partisan politics is good. Partisan politics is what the founders had in mind. It guarantees that the minority opinion is heard, and as a lifelong possessor of minority opinions, I appreciate it »[21]. Son secrétaire général apparait même prêt perdre le pouvoir à condition que le débat public en sorte grandi : « We’re going to lose some of these battles. We might even lose the White House. But we’re not going to be threatened by issues. We’re going to put them front and center. We’re going to raise the level of public debate in this country. And let that be our legacy »[22]. La présidence recherche donc constamment le compromis, comme l’illustre la nomination d’un Vice-président démocrate, pourtant jugé médiocre, à partir d’une liste de candidats établie par le speaker républicain de la chambre, pour recueillir la nécessaire approbation du Sénat[23]. La Maison-Blanche va plus loin et tend à reproduire, en son sein même, le dialogue qu’elle mène avec l’opposition parlementaire. Deux exemples permettent de l’illustrer. Il s’agit d’abord de l’embauche d’une conseillère juridique et même d’un secrétaire général adjoint républicains qui intègrent le staff présidentiel, et contribuent à ses débats[24]. Il s’agit ensuite du remplacement du Président par le principal leader de l’opposition. Suite à l’enlèvement de sa fille, le Président, conscient de son manque d’objectivité, invoque le XXVe amendement pour être temporairement suppléer par son Vice-président. Mais celui-ci ayant démissionné du fait d’un scandale sexuel sans avoir été déjà remplacé, c’est finalement au Président de la chambre, un républicain ultra-conservateur, que le Président démocrate transmet ses pouvoirs, au nom de l’intérêt général et au risque de renforcer l’opposition[25].

ii. A Christiansborg : l’importance du consensus

Dans Borgen, le Premier ministre danois affiche également son respect de l’opposition et exalte le consensus sans que, là encore, cette attitude semble uniquement dictée par la situation politique délicate qu’il affronte, mais aussi par une réelle conviction des bienfaits d’une telle démarche[26]. Ainsi, lors du discours d’ouverture de la session parlementaire, et suite à un remaniement ministériel, le Premier ministre célèbre l’unité du peuple danois et de sa classe politique obtenant les félicitations, officieuses, de l’opposition[27]. La priorité du cabinet Nyborg est d’ailleurs un ensemble législatif baptisé « avenir commun », auquel il souhaite associer l’opposition, pour obtenir une approbation parlementaire la plus large possible[28]. Cette volonté de consensus se retrouve également au sein du Gouvernement qui reflète les rapports de force au Parlement. Ainsi, dépendante du soutien du parti travailliste qui progresse dans les sondages, le Premier ministre est obligé de se séparer de son ministre des finances centriste pour céder le poste à un travailliste dont le parti menace, dans le cas contraire, de quitter la majorité[29]. Le consensus demeure donc une nécessité absolue pour la coalition gouvernementale si elle souhaite conserver le pouvoir face à la puissance de l’opposition, comme en témoigne l’apaisement des tensions entre travaillistes et écologistes au sujet de l’opportunité du retrait des troupes d’Afghanistan[30].

L’opposition est valorisée lorsqu’elle collabore avec le Pouvoir Exécutif et accepte la démarche constructive initiée par ce dernier qui a en face de lui un adversaire puissant et qu’il respecte. En conséquence, il recherche toujours une solution constructive et pacifique à leurs désaccords. Mais lorsque l’opposition refuse une telle solution, elle est inévitablement conduite à la défaite.

II. Critique d’une opposition parlementaire conflictuelle

Dans les deux séries, les conflits qui s’élèvent entre le Pouvoir exécutif et l’opposition naissent toujours de la volonté de cette dernière de faire prévaloir ses intérêts particuliers quand l’exécutif n’a de cesse de défendre l’intérêt général, révélant ainsi l’infériorité morale des parlementaires de l’opposition (A).Mais, fort heureusement, le sens tactique et politique de l’Exécutif lui permet toujours de faire triompher ses vues dans une arène parlementaire représentant la « politique politicienne » (B).

A. L’infériorité morale des parlementaires de l’opposition

Les parlementaires de l’opposition symbolisent les intérêts particuliers face à l’intérêt général incarné par l’Exécutif. Cette faiblesse morale de l’opposition prend la forme du clientélisme à la Maison-Blanche (i), et du carriérisme dans Borgen (ii).

i. Au Congrès : le clientélisme

Dans la série américaine, ce phénomène se manifeste par le lobbysme auquel cèdent les parlementaires de l’opposition prêts à sacrifier la défense de leurs convictions contre l’assurance d’une réélection. On peut ainsi voir des représentants démocrates s’opposer à une réforme des droits de succession initiée par la Maison-Blanche car « la 1ère génération de millionnaires noirs va bientôt mourir »[31]. D’autres, convaincus par un groupe d’intérêt féministe, refusent d’entériner le compromis trouvé avec les républicains qui acceptent de voter une loi de protection sociale en échange d’un amendement en faveur du mariage[32]. Ces évènements sont toujours dépeints négativement, comme autant d’entraves à la réalisation du projet présidentiel. Mais cette vision dépréciative ne se retrouve pas quand la Maison-Blanche agit elle-même comme un lobby vis-à-vis du Congrès[33]. D’ailleurs, elle peut tout à la fois initier officieusement un « non controversial bill » portant une réforme d’ampleur du système de retraites et renoncer à en tirer les bénéfices politico-médiatiques, démontrant ainsi la supériorité morale du Président sur le Congrès[34]. Les parlementaires sont prêts à toutes les manœuvres pour se maintenir dans leurs fonctions, contrairement à la Maison-Blanche qui ne manifeste pas un tel électoralisme. En refusant d’installer dans son Etat un lanceur de missile qui ne fonctionne pas, la Maison-Blanche fournit à un sénateur le prétexte attendu pour quitter le parti démocrate et rejoindre les Républicains. Il augmente ainsi ses chances de réélection et ruine celles des démocrates de reconquérir la majorité[35]. Un représentant accepte quant à lui de ne pas surmonter un véto présidentiel, à condition que l’Aile-ouest ne s’oppose pas à sa réélection[36]. Alors que le Président tente de mettre en œuvre son grand dessein pour le pays, les parlementaires se préoccupent avant tout de satisfaire leur électorat[37].

ii. Au Folketing : le carrièrisme

L’opposition permet à Borgen de mettre en scène l’autarcie d’une classe politique et de dénoncer les profits personnels que retirent de leur position des politiciens rongés par l’ambition. Peu avant les élections, tandis qu’il vient d’uriner dans la cour du Parlement, le leader du parti travailliste, alors dans l’opposition, peut affirmer au « spin doctor » de la leader centriste : « Le peuple décide que dalle, c’est un petit cercle de privilégiés qui décide de ce qui se passe au Danemark […] et aussi longtemps que je serai dans ce cercle, ils peuvent appeler ça démocratie ou comme bon leur semble ». Ce petit cercle fait d’ailleurs figure de véritable panier de crabes. Dans le même épisode, le Premier ministre libéral utilise malencontreusement, et dans la hâte, la carte bancaire du ministère pour régler les achats de sa femme, visiblement dépressive, et éviter ainsi le scandale. Mais la facture parvient au leader de l’opposition qui n’hésite pas à l’utiliser lors d’un débat télévisé pour discréditer son adversaire. Dans leur grande sagesse, les électeurs condamneront de telles pratiques, et renverront dos à dos les deux hommes, pour porter au pouvoir la centriste[38]. L’ambition des premiers ministrables est également illustrée à maintes reprises. Dans la minorité d’abord, l’ancien Premier ministre cherche à retrouver sa place en feignant un accord avec son successeur quant au retrait des troupes danoises d’Afghanistan[39]. Au sein même de la coalition gouvernementale ensuite, où se manifeste une opposition interne au Cabinet. Ainsi, le nouveau leader du parti travailliste peut-il faire entorse à la solidarité gouvernementale, désobéir au Premier ministre, et finalement lui avouer qu’il souhaite le remplacer dès à présent[40].

Les parlementaires qui refusent le dialogue et s’opposent à l’Exécutif sont donc toujours placés dans une situation d’infériorité morale vis-à-vis de ce dernier, justifiant le recours à des armes politiques plus lourdes pour surmonter ces oppositions.

B. L’infériorité tactique des oppositions parlementaires

Lorsque l’opposition tombe dans ces travers, elle est sanctionnée par le pouvoir exécutif qui triomphe de son ennemi, pourtant plus puissant et moins respectueux de la morale, grâce à son instinct politique et son talent tactique. La Maison-Blanche, surmonte les coups bas grâce à sa connaissance des rouages de la procédure parlementaire (i) tandis que dans Borgen, c’est la maitrise du temps parlementaire et politique qui constitue le moyen privilégié face à l’opposition (ii).

i. A la Maison Blanche : la maitrise de la procédure parlementaire

L’intelligence tactique du staff présidentiel lui permet de sortir vainqueur des conflits qu’il entretient avec l’opposition. Il n’hésite pas à recourir à la ruse en exhumant une loi sur le patrimoine qui permet au Président de créer un parc national, et ainsi faire obstacle à un amendement visant à autoriser des exploitations minières[41]. Il recourt au même moyen sur le terrain de la procédure parlementaire. Le Président républicain de la chambre ayant constaté que son camp était minoritaire pour un vote sur les cellules souches, il le reporte en espérant que les représentants démocrates rentreront dans leurs circonscriptions en cette période de campagne électorale. Mais ceux-ci vont feindre de quitter Washington et, avec la complicité de la Maison-Blanche, se cacher dans le bureau du Vice-Président au Congrès pour réapparaitre à l’annonce du scrutin[42]. Cet épisode a d’ailleurs trouvé un écho dans la réalité, inspirant une manœuvre à l’opposition britannique. En mai 2006, Le Premier ministre Blair dépose un projet de loi visant à criminaliser l’incitation à la haine religieuse. L’opposition y voit une atteinte à la liberté d’expression. S’inspirant de l’épisode, les conservateurs parviennent à faire rejeter ce texte, la manœuvre restera comme « The West Wing Plot »[43]. L’Aile ouest peut aussi recourir à l’obstruction si nécessaire. Le staff présidentiel souffle alors aux représentants démocrates des moyens pour gagner du temps afin de rallier des parlementaires à sa cause et éviter que le véto présidentiel ne soit surmonté (sortir une banderole dans l’assemblée, demander le vote du calendrier qui oblige la chambre à approuver les travaux de la veille, déposer massivement des amendements…)[44]. Il peut aussi aider un sénateur dans son entreprise de filibustering, en trouvant une astuce réglementaire pour lui permettre de se reposer[45].

ii. A Christiansborg : la maitrise du temps parlementaire

Le Premier ministre danois parvient, par son sens politique, à influencer le Parlement, l’opinion, et en conséquence à contrecarrer l’opposition. Elle use, au moment le plus opportun, des divers outils à sa disposition. Ainsi lorsque l’opposition suggère au Parlement d’adopter une proposition de résolution visant à obliger le Gouvernement minoritaire à légiférer pour abaisser la majorité pénale à 12 ans. Le Premier ministre parvient à y faire échec en proposant la création d’une commission parlementaire paritaire (composé d’experts et de représentants des différents partis) pour réfléchir à cette question. La création de cette commission « Théodule » sera finalement adoptée à une voix de majorité[46]. L’opportunité de procéder à la dissolution du Folketing témoigne également de la maitrise exécutive du temps parlementaire. Alors que le Premier ministre a longtemps résisté aux injonctions de l’opposition qui le presse d’organiser des élections anticipées, il y consent, mais au moment le plus opportun, après le vote du dernier volet de son ensemble législatif « avenir commun ». Il coupe alors l’herbe sous le pied de l’opposition qui reconnait l’habileté de la démarche au sein même de l’hémicycle[47]. Les manœuvres de l’opposition sont donc anticipées et déjouées, ce qui permet au Premier ministre de se maintenir au Pouvoir, ou de se présenter devant les électeurs dans une situation favorable.

Finalement, les représentations de l’opposition développées dans ces deux œuvres sont assez similaires, sans que l’on puisse véritablement déterminer ce qui relève des régimes représentés et ce qui relève des contraintes de production pesant sur ces séries. Si elles prétendent dévoiler une réalité complexe, elles ne peuvent toutefois s’affranchir d’une forme de simplification préjudiciable au Parlement. La préférence pour une opposition consensuelle, qui s’explique sans doute par la nécessité de réunir le plus grand nombre possible de téléspectateurs par-delà leurs préférences politiques particulières, si elle semble à priori louable, peut finalement s’avérer préjudiciable. Elle conduit en effet à présenter la décision politique idéale comme relevant des juristes et communicants de l’équipe exécutive, au terme d’un processus rapide et respectueux des minorités plutôt que le produit d’une délibération parlementaire longue, obscure, et rendue responsable de la fracture entre gouvernants et gouvernés. Le traitement réservé à l’opposition par ces séries politique dévoile alors des relents d’antiparlementarisme.


[1] D’après le secrétaire général fictif de la Maison-Blanche, Leo MacGarry : The West Wing (désormais : TWW) / Saison 1, Episode 4 (désormais : S1E4) : Cinq voix de moins (Five votes down).

[2] The West Wing (A la Maison-Blanche), créée par Aaron Sorkin, compte 155 épisodes et fut diffusé entre 1999 et 2006 aux Etats-Unis. L’aile ouest de la Maison-Blanche, qui donne son nom à la série, abrite l’équipe présidentielle.

[3] Borgen est une série danoise produite par Adam Price et diffusée depuis 2010 sur DR1. Elle compte 20 épisodes avant la troisième saison. Borgen qui signifie « Le château » est le surnom donné au Palais de Christiansborg qui abrite les institutions politiques danoises.

[4] Voir par exemple : Jan Pascal,« Les oppositions » in Pouvoirs, L’opposition, n°108, Janvier 2004, p. 26 : « La contribution des lectures produites par la doctrine juridique est décevante »; ou encore Ponthoreau Marie-Claire, « L’opposition comme garantie constitutionnelle » in Rdp n°4, 2002, p. 1128 : « L’opposition a été mise de côté par la doctrine constitutionnelle française car elle a repris à son compte l’objectif que s’étaient fixé les constituants de 1958 : La stabilité institutionnelle ».

[5] Pimentel Carlos-Miguel, « L’opposition ou le procès symbolique du pouvoir » in Pouvoirs, L’opposition, n°108, Janvier 2004, p. 45.

[6] Jan Pascal, « Les oppositions », op. cit., p. 24.

[7] Ibid.

[8] Pimentel Carlos-Miguel, « L’opposition ou le procès symbolique du pouvoir », op. cit., p. 48-49.

[9] Gilles William, « L’opposition parlementaire : étude de droit comparé » in Rdp, 2006, n°5, p. 1347-1386.

[10] Cette idée doit toutefois être relativisée. Le Congrès connait en effet depuis plusieurs années, un fort mouvement de polarisation partisane. Voir Maugin-Helgeson Murielle, « L’adoption de la loi relative à la réforme de la santé par le Congrès américain. Décryptage d’une bataille politique et procédurale » in RFDC n°91, 2012/3, p. 641-662.

[11] The West Wing réunissait entre 10 et 20 millions de téléspectateurs et a reçu un nombre impressionnant d’Emmy Awards et de Golden globe. Borgen, quant à elle, réunit plus d‘un million de téléspectateurs par semaine dans un pays qui compte 5,5 millions d’habitants et a déjà reçu de nombreuses distinctions.

[12] Le titre officiel est « Statsminister » ou Ministre d’Etat du Danemark.

[13] Martin Fitzwalter, attaché de presse du Président Reagan, et Dee Dee Myers, porte-parole de l’Administration Clinton furent consultants pour The West Wing. Cette dernière a d’ailleurs inspiré le personnage de C.J. Cregg.

[14] TWW / S2E3 : Le Candidat idéal (The Midterms).

[15] TWW / S2E6 : Le Congrès des sortants (The Lame Duck Congress). Cet épisode rappelle d’ailleurs une lame duck session de 2003 au cours de laquelle les démocrates, prenant acte de leur défaite promettaient de coopérer avec la majorité républicaine avant même le renouvellement officiel du Congrès. Voir Lauvaux Phillipe, Les grandes démocraties contemporaines, Paris, Puf, coll. Droit fondamental, 3ème édition, 2004, p. 357.

[16] TWW / S1E4 : Cinq voix de moins (Five votes down).

[17] Borgen (B) / S1E2 : Minimum 90 (Tæl til 90).

[18] Le Gouvernement n’a pas à être investi et n’a pas à s’appuyer sur une majorité explicite à l’Assemblée. Il peut se maintenir à condition de ne pas faire l’objet d’un vote de défiance. Voir : Waele Jean-Michel (de), Magnette Paul, Les démocraties européennes : Approche comparée des systèmes politiques nationaux, Paris, Armand Colin, 2008, p. 103 et s. Voir également, pour les différentes acceptions que peut recouvrir la notion de « parlementarisme négatif » : Le Divellec Armel, « Le parlementarisme négatif à la française » in Jus politicum n°6, 2011, p. 20. L’auteur considère d’ailleurs que le système danois ne s’identifie que partiellement au parlementarisme négatif.

[19] B / S2E5 : Plante un arbre (Plant et træ).

[20] Sur la question spécifique de la parole politique dans The West Wing, voir : Girard Charles, « « The World can move or not by changing some words » : La parole politique en fiction dans The WestWing » in Revue de recherches en civilisation américaine [en ligne], La culture populaire américaine, n°2, 2010, mis en ligne le 03 mai 2010, Disponible sur : http://rrca.revues.org/index310.html [consulté le 19 mars 2013].

[21] TWW / S4E6 : Les jeux sont faits ! (Game on).

[22] TWW / S1E20 : Minimum obligatoire (Mandatory minimum).

[23] TWW / S5E3 : Jefferson est vivant (Jefferson lives). Cette pratique rappelle le patronage par lequel le Président « s’engage à nommer à des postes vacants les candidats recommandés par certains membres du Congrès ». Lauvaux Philipe, Les grandes démocraties contemporaines, op. cit. ; p. 374.

[24] TWW / S2E4 : Une républicaine chez les démocrates (in this White House) et TWW / S6E16 : Sécheresse (Drought conditions).

[25] TWW / S4E23 : Le 25ème amendement (Twenty-five).

[26] D’ailleurs, le site internet officiel du Danemark considère que son système institutionnel se caractérise par « la recherche d’un consensus par-delà toutes les divergences politiques » et insiste sur la « culture du consensus ».Disponible sur : http://denmark.dk/fr/societe/gouvernement-systeme-politique [Consulté le 19 mars 2013].

[27] B / S1E10 : Premier mardi d’octobre (Første tirsdag i oktober). Le Premier Mardi d’octobre est le jour d’ouverture de la session parlementaire et débute traditionnellement par un discours du Premier ministre sur la situation générale du Danemark et les plans du Gouvernement pour l’année à venir.

[28] B / S2E3 : Le dernier prolétaire (Den sidste arbejder).

[29] B / S1E10 : Premier mardi d’octobre (Første tirsdag i oktober).

[30] B / S2E1 : 89 000 enfants (89.000 børn).

[31] TWW / S3E4 : Influences (Ways and means).

[32] TWW / S3E22 : Assassinat politique (Posse Comitatus).

[33] Voir : Lauvaux Philipe, Les grandes démocraties…, op. cit., p. 372-373 : « On dit du lobby présidentiel qu’il est le plus puissant de ceux qui existent à Washington ».

[34] TWW / S5E12 : Un jour sans (Slow News Day).

[35] TWW / S5E5 : Le poids lourd du Président (Constituency of one).

[36] TWW / S3E5 : L’immunité (On the day before).

[37] Voir : Meny Yves, Politique comparée, Montchrestien, coll. Domat politique, 8ème éd., 2009, p. 239-241. L’auteur indique que le Congressman efficace est celui qui « brings home the bacon » et agit pour sa propre circonscription.

[38] B / S1E1 : La dignité du centre (Dyden i midten).

[39] B / S2E1 : 89 000 enfants (89.000 børn).

[40] B / S2E4 : En ordre de bataille (Op til kamp).

[41] TWW / S1E7 : Un diner officiel (The state dinner).

[42] TWW / S6E17 : Une bonne journée (A good day).

[43] « Blair’s whips fooled by West Wing plot », Daily Telegraph, [en ligne], 2 février 2006, Disponible sur :

http://www.telegraph.co.uk/news/uknews/1509435/Blairs-whips-fooled-by-West-Wing-plot.html. On ignore en revanche si cet épisode a inspiré « le coup du rideau » des députés socialistes français lors du vote de la loi sur Hadopi.

[44] TWW / S3E5 : L’immunité (On the day before).

[45] TWW / S2E17 : Obstruction parlementaire (The Stackhouse filibuster). Lauvaux Philipe, Les grandes démocraties contemporaines, Paris, Puf, coll. Droit fondamental, 3ème édition, 2004, p. 298 : « La technique dite du filibustering permet d’empécher la mise aux voix d’un projet de loi ou le vote de crédits aussi longtemps qu’un sénateur exerce son droit à la parole. Cette pratique, lorsqu’elle est organisée par une équipe de sénateurs, peut retarder un vote très longtemps et permet ainsi d’obtenir le retrait d’un projet ».

[46] B / S2E6 : Eux et nous (Dem & Os). Les propositions de résolutions émanent le plus souvent de l’opposition et visent à forcer le Gouvernement à prendre en considération une question et à prendre des mesures pour la traiter. Elles ne font l’objet que de deux lectures au Folketing au lieu de trois pour les propositions de loi.

[47] B / S2E10 : Une communication de nature particulière (En bemærkning af særlig karakter).

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Dictionnaire amoureux du Clud !

Voici la 3e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 2e livre de nos Editions dans la collection « Académique » : un dictionnaire amoureux du Collectif L’Unité du Droit (Clud) !

Volume II :
Voyages en Unité(s) juridique(s)
pour les dix années du Collectif l’Unité du Droit

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina & Morgan Sweeney
Fabrice Gréau, Josépha Dirringer & Benjamin Ricou)

– Nombre de pages : 392
– Sortie : juillet 2015
– Prix : 69 €

  • ISBN / EAN : 979-10-92684-09-4 / 9791092684094
  • ISSN : 2262-8630

Dictionnaire amoureux  
du Collectif L’Unité du Droit

Dictionnaire réalisé par vingt-et-un membres du Collectif L’Unité du Droit,
le 14 mars 2015, afin de célébrer les 11 années du Clud.

Extraits du site Internet de l’Association
(dir. Sweeney Morgan & Touzeil-Divina Mathieu)
(www.unitedudroit.org ; mars 2015).

Les Présidents du Collectif L’Unité du Droit remercient les vingt-et-un auteurs
du présent dictionnaire amoureux :

Sabrina Alzais (SA), Benjamin Belhadj (BB), Magali Bouteille-Brigant (Mbb), Sébastien Brameret (SB), Thibault Cado (TC), Flavien Croisard (FC), Frédéric Davansant (FD), Josepha Dirringer (JD), Mélina Elshoud (ME), Juliette Gaté (JG), Antonin Gelblat (AG), Max Gemberling (MG), Sara Haidoune-Gasnot (Shg), Hélène Hoepffner (HH), Maxime Meyer (MM), Gérard Pitti (GP), Benjamin Ricou (BR), Catherine Roche (CR), Charikleia Vlachou (CV), Morgan Sweeney (MS) & Mathieu Touzeil-Divina (Mtd).

Ateliers du Clud

Si pour Proudhon l’atelier devait remplacer le gouvernement, pour le Collectif L’Unité du Droit l’atelier, lieu d’échange(s) et de travaux, est la première structure de l’association. Cette dernière a en effet deux objets : d’abord, il s’agit de permettre et de provoquer l’association d’universitaires et de praticiens persuadés d’une nécessaire collaboration des juristes de droits public et privé (par-delà les frontières académiques) ; objectif qui se matérialise notamment par la publication de manuels, d’essais ou l’organisation de manifestations (notamment des colloques) visant à promouvoir l’Unité du / des Droit(s). En outre, les membres du Collectif sont des hommes et des femmes déterminés à faire progresser le système contemporain d’enseignements du Droit. Ces deux objectifs sont déclinés sous forme d’ateliers thématiques. L’activité de recherche de l’association est ainsi déclinée en différents groupes (ou ateliers) ayant des thématiques qui concernent tant les publicistes que les privatistes : droits des travailleurs (publics et privés), enseignement(s) du Droit (Université), libertés fondamentales, droit(s) de l’environnement, droit(s) du football, Laboratoire Méditerranéen de Droit Public, 24 heures du Droit, Editions L’Epitoge, etc. Logiquement (selon son objet social même), le Clud possède deux ateliers principaux et permanents : Université(s) (enseignement(s) du Droit) & Droit des travailleurs (MS / Mtd).

Butinage(s) juridique(s)

L’un des objectifs du Collectif est de provoquer les rencontres entre spécialistes des différentes branches du Droit, par-delà les frontières académiques et intra-académiques même, pour susciter des recherches nouvelles et stimuler les analyses et prospectives des uns et des autres. A cette occasion, le cludien / la cludienne a l’occasion de butiner d’une étude de spécialiste(s) à une autre avec des thèmes ou des notions et concepts en partage(s). Ces rencontres font alors la sève de la recherche cludienne. Le butinage juridique nous nourrit en effet tous et permet l’enrichissement de chacun(e) par un va-et-vient permanent des spécialistes sollicités.

Le Collectif fuit en ce sens le dogme et réaffirme son Droit à l’échange perpétuel et renouvelé. Ainsi, le Clud est-il également persuadé que le métissage juridique est nécessaire. Pour ce faire, l’association ne se veut pas réservée à une parole sublimée et supposée évangélique ou mandarinale et acquise à des universitaires titulaires et agrégés des Facultés de Droit. Initialement fondée par un doctorant convaincu du service public de l’enseignement et de la recherche prêt à s’y investir, l’association reflète encore, y compris dans ses statuts, un dialogue permanent entre l’ensemble des acteurs volontaires de la communauté juridique (universitaire et praticienne). A cette fin, la Présidence du Collectif est-elle multiple et tend-elle à représenter non seulement la summa divisio public / privé mais encore l’intégration au processus de décision d’une Présidence « étudiante » précisément réservée aux usagers du service public concerné (MS / Mtd).

Colloques / conférences

Les colloques et conférences sont au Collectif l’Unité du Droit ce que le ballon est au foot ou le squelette au cadavre… Le « parler ensemble » et la discussion n’y sont pas de vains mots. Elle en constitue la substantifique moelle. Plus encore qu’un simple échange, les colloques et conférences sont un espace de liberté(s) où chacun doit se sentir libre de parler sans entrave, par-delà les frontières souvent trop rigides érigées entre les champs disciplinaires. On y parle de droit privé, de droit public, d’histoire du droit, bien sûr mais surtout on y parle de vie.

Les « 24 heures du droit » ont ainsi depuis 2011 pu mettre en avant le Droit dans les séries télévisées, le parlement aux écrans, le(s) droit du football… Les conférences Levasseur ont pu abolir les esclavages avec Mme la Garde des Sceaux ou encore être le témoin bavard des Révolutions Arabes. Des sujets parfois arides se sont en définitive avérés très fertiles. Les débats autour de la mort ont été des plus vivants. Ceux consacrés à la dissimulation du visage ont fait tomber les masques…Nul doute que les échanges à venir sur les chansons et costumes à la mode juridique se feront à l’unisson ! (Mbb).

Dix ans ! 

L’année 2014 fut un cru exceptionnel pour le Clud. Le 12 mars, en guise d’apéritif, il s’est offert le Conseil d’Etat pour accueillir la conférence Maurice Hauriou, avant de fêter son anniversaire le lendemain, dans les arcanes de la capitale. Le mois suivant, il organisait les désormais traditionnelles et célébrissimes « 24 Heures du Droit », leur conférant cette année une dimension encore plus magiques dans l’écrin du stade manceau MMArena. Et le millésime décennal ne saurait manquer de longueur, puisqu’il conviait la garde des sceaux Christiane Taubira à l’occasion de la conférence Levasseur sur les abolitions des esclavages. Au mois de mai, il se plaisait à abreuver ses jeunes lecteurs de savoir avec la sortie de la seconde édition du bestseller « Initiation au droit » (dont les droits d’adaptation cinématographique auraient été rachetés par Steven Spielberg !), avant de tenir son université d’été en pays sarthois. L’automne bien entamé, il marquait l’après Toussaint d’un colloque… mortel célébrant la sortie du Traité des nouveaux droits de la mort.

Et comme le Clud est touche à tout, il vous prépare même un best-of, comme un coquetel de ses plus belles réalisations ! (TC).

Etudiant(e)

1. « Etudiante », n.f. : le plus souvent ; « Etudiant », n.m. : de moins en moins ; « Etudiant(e)s », pl. : mode de déplacement préféré. Objet principal de l’attention des membres du Clud et, par extension, des enseignants-chercheurs des Facultés de droit. Ex. : les « 24h du Droit » « combinent trois moments-clefs distincts et réalisés en priorité par et pour les étudiants juristes » (extrait de la présentation desdites « 24h du Droit », www.unitédudroit.org, onglet Colloques, point 2).


2.
Adj. : qualité que trop peu d’étudiant(e)s – au sens premier – arrivent à atteindre au cours de l’année universitaire. Par extension, attitude espérée et encouragée par les enseignants-chercheurs, en début de chaque année. Et souvent démentie durant la période de correction des partiels…


3.
Adj. : qualité que recherchent les membres du Clud, à l’invitation de leur cher(s) Président(s). Ex. : « mes cher(e)s ami(e)s, soyons étudiant(e)s ! » (propos rapportés du pr. Mtd, tenus au balcon de l’hôtel de ville du Mans à une date inconnue) (SB).

Faculté de Droit

What’s the Fac ? La Faculté de Droit est l’ancienne dénomination des nos actuelles Unités de Formation et de Recherche (UFR) de Droit et de science(s) juridique(s).

Toutefois, l’usage a perduré, comme parfois en Droit, et l’on parle encore, dans les Universités de « Facultés de Droit et de leurs doyens » (à l’instar des doyens Brameret, Foucart et Bricou) plutôt que d’UFR et de leurs directeurs.

La Fac’ de Droit (ainsi plus communément appelée par ses pratiquants) constitue le lieu de vie(s) et d’étude(s) du Collectif L’Unité du Droit qui espère contribuer non seulement à sa bonne santé mais surtout au perfectionnement de son système d’enseignement.

A la Fac, on apprend le Droit, on le pratique et l’on y reçoit une attestation (un diplôme) reconnaissant ses aptitudes arrachées sinon triomphées des examens. A la Fac se côtoient personnels administratifs, enseignants-chercheurs et étudiants et le Collectif, partant de ce constat simple, affirme – depuis sa création – que ces trois communautés doivent, outre leur cohabitation, échanger et avancer ensemble et non de manières confrontées. La Fac’ de Droit ne doit effectivement pas être qu’un lieu de passage, elle est une étape et parfois une transformation dans la vie des citoyens juristes et elle se doit de s’ouvrir aux citoyens non inscrits à l’Université. La Faculté de Droit n’est donc pas qu’un bâtiment austère et le Collectif essaie, par ses membres, d’en vivifier et parfois d’en bouger un peu les murs. Par ses manifestations (colloques, publications, ateliers, journées d’études, ouvrages, etc.), le Clud met ainsi ses moyens au profit du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche et de sa promotion. Il se bat pour lui et pour son amélioration. Il recherche constamment (critique et propose) tout ce qui pourrait être fait pour que le système d’enseignement du Droit se perfectionne et ce, au profit de tous les membres de la communauté universitaire (enseignants-chercheurs, usagers et personnels administratifs).

L’association est ainsi profondément attachée et attentive à l’enseignement juridique au sein des Facultés devenues UFR de Droit et elle a décidé de faire sienne la maxime d’Edouard de Laboulaye selon laquelle : « le professeur est fait pour l’étudiant et non l’étudiant pour le professeur » (Mtd).

Goodies

1. Qu’est-ce qu’un goody et dans quels cas est-il distribué ? Le goody est soit un produit dérivé de film ou de séries télévisées, soit un cadeau destiné à promouvoir une marque, un label ou une société savante telle que le Clud. Parapluies, mugs, clefs USB, stylos, sacs, ballons et bientôt sans doute chargeurs mobiles de téléphones portables : ces cadeaux sont distribués à l’occasion de manifestations scientifiques ou envoyés pour séduire d’éventuels futurs membres de la communauté scientifique.

2. Comment utiliser le goody ? Le goody est destiné à être utilisé au quotidien (pour boire son café, aller faire ses courses ou aller faire cours) pour promouvoir le rayonnement du Clud grâce au logo de cette société savante apposé sur le goody.

3. Quels sont les effets indésirables éventuels ? Les goodies peuvent provoquer une tendance (aigüe) au « collectionnisme ». En cas d’aggravation des symptômes, consultez votre médecin (addictologue). Par ailleurs, il est recommandé de ne pas utiliser les goodies du Clud avec des goodies distribués par d’autres sociétés savantes ou institutions universitaires, les effets actifs des premiers risquant de limiter ceux des seconds.

4. Mise en garde supplémentaire. Il convient d’être particulièrement vigilant face aux imitations et produits génériques en circulation sur le marché. Ceux-ci peuvent provoquer une aggravation des effets indésirables ci-dessus évoqués (HH).

Histoire(s)

Multiple, comme l’indique le (s) cludien de l’occurrence, l’Histoire ose encore s’immiscer aujourd’hui dans les facultés de droit par le truchement de ses divers avatars juridiques : histoire des institutions, histoire du droit privé, histoire du droit public, droit romain…. L’Histoire du droit est donc doublement maltraitée entre les murs desdites facultés. Elle est tout d’abord perçue comme une matière supplétive, ornementale (si, si, vous savez bien, le truc qui sert à meubler les introductions…) et il est déconseillé aux vrais juristes de s’y égarer aux dépens des matières nobles.

Mais surtout, comble de l’outrage cludien, on s’entête à morceler l’Histoire juridique avec la même compartimentation que celle ayant cours dans le droit positif. Avoir soutenu une thèse sur un sujet d’histoire du droit privé d’Ancien Régime par exemple vous disqualifie encore, d’emblée, pour étudier une coutume médiévale ou une question contemporaine d’ordre constitutionnel. Appliquée à l’Histoire, la conception de l’Unité du droit aboutit pourtant à cette surprenante conclusion qu’il est possible d’être à la fois juriste et historien, et de s’intéresser à l’ensemble des sujets présents et passés, sans que le ciel nous tombe sur la tête… (FD).

Initiation (au Droit)

« Nous entrons dans l’avenir à reculons ». C’est pour conjurer cette malédiction de Paul Valery (Variété) que M. le Professeur Touzeil-Divina a orchestré la naissance de « l’introduction encyclopédique aux études et métiers juridiques » (Paris, Lextenso ; 2011 et 2014). De prime abord, les notions juridiques peuvent paraître tout à la fois obscures et inintéressantes. Une première immersion est alors nécessaire. L’initiation au droit, rédigé par de nombreux contributeurs s’efforce d’atteindre un tel objectif. La 2ème édition de 2014, préfacée par Monsieur Jean-Louis Debré, Président du Conseil constitutionnel, est une première visite du terrain juridique.

L’ouvrage se subdivise en trois parties distinctes. Les matières matricielles et dérivées, les disciplines unité du droit et le glossaire des études et des métiers du droit.

La première partie explore des domaines formant les piliers même du droit comme le droit administratif, le droit européen, le droit constitutionnel, l’histoire du droit… La deuxième partie permet de d’observer des disciplines juridiques exotiques en mouvement au-delà des divisions classiques. La dernière partie oriente l’intérêt vers les professions rendues accessibles par le droit. Les auteurs de cet ouvrage montrent que le droit repose sur des très larges concepts qui ne cessent de se mouvoir et d’évoluer de telle manière que certaines matières sortent des formes juridiques usuelles pour donner naissance à de nouvelles branches. Le Droit devient ainsi un organisme vivant qui ne cesse de se transformer pour tendre vers une structure d’équilibre ; y parviendra-t-il ? (MG).

Justice

La Justice, au sens cludien du terme, ne peut se conjuguer qu’au singulier, principe de parallélisme des formes oblige : l’unité de la Justice répond à l’unité du Droit. Malgré la pluralité des juges – constitutionnel, communautaire, européen, administratif et judiciaire –, le dualisme des ordres juridictionnels et la diversité des régimes juridiques applicables, le « dialogue des juges » – si cher aux membres du Clud – permet une convergence de jurisprudences dans des domaines aussi variés que les libertés fondamentales ou le droit du travail / droit de la fonction publique. L’Unité de la Justice reste ainsi préservée. La Justice demeure, toutefois, avant tout une vertu et un dessein à atteindre. Elle ne peut se fonder uniquement sur des sources juridiques formelles et ne se réalise véritablement qu’avec l’imagination. La Justice ne doit pas être seulement la justice rendue par le Droit mais aussi et surtout la Justice rendue et vue par les hommes. N’est-ce pas justement cette imagination que développe le Clud avec l’analyse des rapports entre l’opéra (ouvrage Droit & Opéra), le cinéma (rencontre du Clud avec le cinéaste Costa-Gavras), les médias (rencontre avec les journalistes de Public Sénat) et la littérature avec le Droit ? Sans imagination du Droit, sans imaginaire du juge, la justice ne serait rendue qu’en pointillés – mais ce ne serait point la Justice (GP).

Kakémono

Le kakemono ou kakémono est originellement une calligraphie accrochée ou suspendue à un mur. Il est par suite devenu un support publicitaire – pour les entreprises – ou de communication – pour les associations comme le Clud. Par extension, il désigne donc désormais tout panneau en général étroit, suspendu ou autoporté voire déroulable. Ce support a alors le grand avantage d’être maniable et de pouvoir véhiculer, en tous lieux, des éléments de communication comme le fameux logo du Clud ou la silhouette, désormais célèbre grâce à un kakémono dressé devant les conférenciers, de René Levasseur lors de toutes les conférences éponymes. En outre, la finition du kakémono permet de créer des effets d’optique qui permettent de le voir distinctement de prêt ou même de loin. Ainsi, pour le colloque de restitution du Traité des droits de la mort, on pouvait voir un kakémono composé de sépultures, elles mêmes composant une seule grande tombe. Au même titre que’avec leurs célèbres goodies, le Clud a toujours voulu (par le biais de leur(s) site(s) Internet également) communiquer et partager : leurs kakémonos en ont été de fiers représentants : présents à chaque importante manifestation du Collectif, ils en rythment la vie et offrent – sur les photographies – un sentiment de continuité (FC).

L’Epitoge

Rouge, vert, noir, violet. Une association de couleurs qui ferait hurler Cristina C. Elle est néanmoins le témoin de ce qu’en dix années, le Collectif L’Unité du Droit a beaucoup grandi. Il fallait en effet pas moins de quatre couleurs pour identifier les quatre collections regroupées par les éditions propres au Collectif : « Unité du Droit », « Revue Méditerranéenne de Droit Public », « Histoire(s) du Droit », « Académique ». La vingtaine d’ouvrages publiés par les Editions L’Epitoge, depuis leur création en 2012 en partenariat avec les Editions Lextenso, atteste de la richesse des membres du Collectif. De l’ouvrage Droits du travail et des fonctions publiques : Unité(s) du Droit au Traité des nouveaux droits de la Mort, la « voix officielle » du Clud résonne en transcendant les frontières académiques. Le catalogue, déjà bien nourri, a évidemment vocation à s’agrandir. Alors à vos plumes ! (BR).

Méditerranée(s)

La Méditerranée est, d’abord, une mer – ou plutôt la « mer au milieu des terres » (« mare medi terra ») – située entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Elle est, ensuite, un espace d’échanges économiques et surtout culturels ayant marqué la physionomie de la civilisation occidentale. Pour les objectifs du Clud, la Méditerranée est, surtout, un espace pertinent pour faire du droit public comparé au sein de l’atelier indépendant « Laboratoire Méditerranéen de Droit Public » (Lm-Dp). Créé en 2012 et basé sur un noyau dur de six pays désormais (France, Espagne, Grèce, Italie, Maroc, Tunisie), le Lm-Dp a en effet vocation à embrasser du bassin méditerranéen comme en témoigne son expansion récente en Grèce. Son objectif est de « comparer les comparaisons » afin de dresser, dans un premier temps, un état des lieux des droits publics autour de la Méditerranée et de proposer, à terme, le premier Traité méditerranéen de droit public. Ses premières réalisations en termes de colloques scientifiques (« Constitution(s) et Printemps arabe(s) » (2011), « Droits des femmes & révolutions arabes (2012), « Justice(s) constitutionnelle(s) en Méditerranée » (2015)) et de publications (« Eléments bibliographiques de droit public Méditerranéen » (2013) et colloque (précité) sur les droits des femmes (2013)) ainsi que ses projets courant 2015-2016 (« Influences et Confluences constitutionnelles en Méditerranée », colloque sur le sujet : « Existe-t-il un droit public méditerranéen ? L’exemple des droits fondamentaux ») ne sont que le début d’un beau voyage (CV).

Novation

Elle pourrait être le leitmotiv de la cludienne et du cludien. Certain(e)s investissent des champs de recherches audacieux : de l’opéra aux séries télévisées, on s’empare autant de la crème des bien-pensants que des paroxysmes de la bêtise. Sans complexe(s). D’autres innovent sur des terrains empestant la naphtaline – le Traité des nouveaux droits de la mort – jusqu’à oser dépoussiérer Duguit et Hauriou, ceux dont on pensait n’avoir plus rien à apprendre. Et pourtant ! La novation n’est pas que re-naissance, elle est aussi naissance. Le droit du football peut alors naitre, paraitre aussi, aux éditions l’Epitoge bien entendu. Qu’à cela ne tienne, les juristes aussi sont des supporters. D’autres préféreront supporter les droits des femmes, à bout de bras et difficilement tant le terrain est miné – révolution arabe oblige : terrain maintes fois exploré mais jamais essoufflé. Heureusement d’ailleurs. Certains s’arrogent même le droit d’étudier des objets non identifiés ou du moins dématérialisés – la communication électronique pour ne pas la citer – d’autres déterritorialisés – brandissant un droit à l’évasion … circulaire… Au demeurant, qu’il soit fragmenté ou unifié, le droit est partout.

C’est bien de cela dont il s’agit au sein du Collectif de l’Unité du droit : des membres unis – sans unanimisme non plus – autour d’une expression libérée du droit, des droits, sur le droit… Bref, un collectif dans l’air du temps ! Et si d’aucuns y perçoivent de la novlangue, alors, elle n’est au Clud qu’un moyen de briser les limites de la pensée – juridique du moins (SA).

Objet social

Contrairement à ce que d’aucuns pourraient dire, l’objet du Clud n’est pas d’organiser des coquetels ou des réceptions annuelles au Conseil d’Etat ou au Conseil constitutionnel (voire à la Cour de cassation ?). L’association vise plus modestement à réunir des juristes, universitaires ou non, spécialisés en droit public ou en droit privé (ou en histoire, etc.) afin d’échanger et de travailler ensemble. Au-delà de la partition juridictionnelle et de la scission académique, le Clud vise à susciter les recherches et les réflexions sur ce qui fait l’unité de ses travaux. L’association connaît un second axe, tourné spécifiquement vers l’université : réfléchir sur de nouvelles manières d’enseigner le Droit, élaborer de nouvelles méthodes pédagogiques et de nouveaux exercices plus didactiques. Le Clud vise également à ouvrir l’université à la société en suscitant des débats au-delà du seul public estudiantin (MS).

Pinardière

« Maison de charme du XIXe avec poutres apparentes et cheminées anciennes, située dans un cadre verdoyant et reposant, au coeur de la campagne sarthoise ». Au départ, La Pinardière c’est ce gîte locatif avec piscine situé sur la petite – toute petite – commune d’Amné, qui a emporté nos suffrages pour recevoir la 1ère « Université d’été du Clud ».

Trois jours et trois nuits d’un mois de juillet 2014 ont alors fait de La Pinardière – et de l’Université d’été dont elle n’est finalement que la matérialisation – une nouvelle institution cludienne. Si le succès de toute Université d’été dépend bien de la capacité des organisateurs à proposer le cadre accueillant et convivial – à l’image du temps estival – qui suscitera les réflexions et discussions des conviés, alors pour cette 1ère édition, le pari semble gagné. L’Université d’été du Clud a rassemblé de nombreux militants de l’Unité du Droit, juristes et amis de juristes qui, toutes générations confondues, sont convaincus de la nécessité de (re)créer du lien entre les acteurs et entre les branches du Droit. Au fil d’assemblées, d’ateliers de travail et de pique-niques champêtres, tous ont pris plaisir à partager expériences et opinions, et à revenir ensemble sur dix années de constructions. Les conseils, les photos et les oliviers se maintiendront bien après juillet, et questionneront dès la rentrée : même loin de la Pinardière, comme nouvelle(s) occasion(s) de butinage(s) juridique(s), le Clud pourra-t-il se passer demain d’Université(s) d’été ? (ME).

Quizz juridique

Il existe des jeux et des quizz juridiques destinés à faire réviser le Droit de façon ludique aux étudiants depuis que le Clud a été créé et ce, en 2004. Dès cette époque, à Poitiers puis à Nanterre, à Paris II et enfin au Mans, sous la houlette des présidents Touzeil-Divina & Sweeney, le Clud a cherché à donner vie à l’idée d’Unité du Droit. Telle est également l’ambition – toujours satisfaite – du Jeu de l’Unité du Droit autrement qualifié (aux « 24 heures du Droit » désormais chaque année) du jeu « Qui veux gagner des Foucart ? ». C’est ainsi que nous pouvons retrouver des quizz juridiques inspirés de jeux de plateau et télévisés, pour l’occasion revisités, tels que les désormais célèbres « Juridical Pursuit », « Mimes-Kelsen », « Le juriste faible », « Qui veut gagner des Duguit ? » et le redoutable « Question pour un juriste ». En 2015, en écho fidèle à la thématique annuelle, cet ordre viendra compléter cette fresque : « N’oubliez pas les paroles juridiques » !

Cet étonnant tableau personnifie remarquablement l’Unité du droit dans une triple dimension. Dimension scientifique d’abord, en ce qu’aucune branche du droit ne sera épargnée aux candidats : droit public et privé, international et interne, positif et historique ; le tout complété par des éléments de culture(s) générale, linguistique et même humoristique. Dimension humaine ensuite, alors que le jeu réunit des étudiants de tout niveau (de la première année de Licence au Doctorat) qui seront jugés par des enseignants-chercheurs parés de leurs atours académiques. Dimension géographique enfin, dans la mesure où cet événement à la fois ludique et savant réunit dans le lieu – quel autre ? – du savoir qu’est l’Université des équipes de toutes la France depuis la deuxième édition. Du local au national, un jour – rêvons-en – du national au global ? (MM).

Recour(s) contentieux

Recours contentieux … l’article aurait tout aussi bien pu avoir pour entrée « action militante ». L’unité du droit n’est pas simplement celle du droit public et du droit privé que les membres du Clud contemplent et promeuvent. Pour certains d’entre eux, l’unité du droit se situe dans l’affirmation du droit comme fait social. Il arrive en effet que le droit saisisse le juriste, en tant que travailleur et en tant que citoyen. En retour, le juriste se saisit aussi de lui.

Il ne s’agit plus alors d’un objet de savoir, ni non plus d’un outil de travail, mais un moyen d’action.

Le Clud a su s’engager et se lancer dans l’arène contentieuse. Il a milité contre la réforme Lru et, doit-on s’en étonner, une de ses armes fut le droit. Le recours contre le décret instituant un nouveau contrat doctoral a certes été rejeté par le Conseil d’Etat, mais ce dernier n’en a pas moins décidé d’appliquer, pour la première fois, les conventions Oit aux agents publics. Ainsi l’unité du droit se voit-elle réalisée par le droit lui-même ? Les recours contentieux auxquels a participé le Clud montrent aussi que l’unité du droit n’est pas une fin en soi. Ce qu’il faut retenir, c’est bien plus l’unité des droits sociaux fondamentaux, et ce qu’il faut viser, c’est l’égalité des travailleurs, qu’ils soient salariés ou agents publics, voire, si l’on se laisse un peu à rêver, une plus grande solidarité entre eux (JD).

« S » cludien

Le « S » cludien ou S entre parenthèses ( « (s) » ) est une technique rédactionnelle très prisée des cludistes alors même qu’il fait l’objet de vives critiques de linguistes intransigeants lui reprochant d’alourdir la phrase dans laquelle il s’insère, de ralentir la lecture et d’obscurcir le message.

Nonobstant, le « S » cludien présente l’immense avantage de laisser ouverte la question de l’unité ou de la pluralité d’une notion, d’un régime juridique, d’une branche du Droit ou du Droit dans son ensemble. Une telle problématique peut donc être suggérée à travers le titre d’une manifestation scientifique ou d’un ouvrage, sans avoir à préjuger de la réponse à y apporter. Le « S » cludien élargit donc le champ des possibles. On parlera ainsi au Clud « de(s) unité(s) du (des) Droits », « d’université(s) », « d’histoire(s) » ou encore « de(s) droit(s) du travail ou du football ».

Cependant, le « S » cludien n’est pas toujours disponible et se heurte, à l’occasion, au pluriel irrégulier, alors honni par le cludiste. Exemple : Ne dites pas « Cette définition était aisée à rédiger » mais plutôt « J’ai écrit cette définition le(s) doigt(s) dans le Clud » (AG).

Travailleur(s) / travailleuse(s)

L’un des axes premiers d’études du Clud a été (et est encore) la congruence ou la confluence entre les droits du travail et celui des fonctions publiques. Sur le fond, de plus en plus de règles sont en effet communes aux salariés, travailleurs de droit dit commun et aux agents des fonctions publiques. Il apparaît nettement que les deux corps de règles s’influencent et se stimulent réciproquement.

On notera cependant que l’expression de « droit des travailleurs » ici prônée pour traiter de toutes les relations de travail (de droit privé comme de droit public) est encore rarement utilisée en doctrine. Le droit du travail applicable aux salariés de droit privé et le droit des fonctions publiques auquel sont soumis les fonctionnaires et autres agents ont en commun d’encadrer une relation de pouvoir. Ils sont assujettis à un lien de subordination qui suppose le respect du pouvoir hiérarchique et du pouvoir de direction. En outre, l’employeur, privé comme public, exerce un pouvoir de contrôle sur la prestation de travail et peut, le cas échéant, sanctionner le travailleur fautif. La subordination permet à l’employeur d’assurer la direction du travail et de coordonner les travailleurs entre eux afin de permettre la réalisation de la finalité de l’organisation : assurer un service public aux usagers, produire un bien, fournir un service, etc. Réciproquement, le droit des travailleurs vise à encadrer l’exercice du pouvoir par l’employeur, afin que celui-ci ne soit pas arbitraire. Le droit des travailleurs dans un même mouvement légitime le pouvoir de l’employeur et protège les travailleurs.

Le Clud, par la rencontre initiale de ses Présidents fondateurs, en a fait l’un de ses objets premiers d’analyse. En résultent, matériellement, un atelier permanent, des actes de colloques ainsi qu’un projet de manuel ou de traité de droit des travailleurs (MS / Mtd).

Unité(s) du droit

L’Unité du Droit n’est pas un dogme. Le Clud est même convaincu qu’en tout endroit où une société d’êtres humains s’est constituée, il y a eu du / des droit(s) (Ubi societas, ibi jus). Nous affirmons de surcroît que si par « droit » (objectif ou même subjectif) on entend un corps de règles et parfois même de normes impératives, force est de constater que toutes les règles juridiques (quelle que soit leur qualification académique de droit privé, public ou autre) ont ceci de commun (d’où la référence à l’Unité) : il s’agit de composantes normatives destinées à régir les activités humaines. « L’objet du droit, c’est l’homme » affirmait déjà un certain doyen Foucart et l’on ne peut, croyons-nous, que partager ce constat des caractères normatifs et sociétaux de toutes les règles de Droit (d’où, là encore, une forme même primaire d’Unité).

Public ou privé, pénal ou international, malgré la diversité des règles et des applications, malgré la « multitude », il s’agit toujours et encore de Droit(s). En outre, ces règles comportent peut-être plus de points communs que leurs différences ne les laissent paraître.

Il existe vraisemblablement alors, selon les mots pertinemment choisis du Conseiller d’Etat Aguila une « grammaire commune » entre les droits (public et privé notamment). Ce sont alors à nos yeux les frontières et les classifications académiques qui sont à repenser car elles nous habituent à considérer le Droit (en son sens objectif et normatif) en tant que droits au pluriel, sans majuscules, et de plus en plus subjectivés (particulièrement en France). De surcroît, « le » Droit et son Unité ne doivent pas être confondus avec l’idée même de Justice ou d’Egalité de jugement qui correspondent à l’application humaine et diversifiée du Droit et non aux règles juridiques proprement dites. Enfin, l’Unité du Droit n’est en rien assimilable à son unicité. Le droit n’est pas « unique » et « uniforme » mais possède de multiples facettes ou visages ce qui rend malaisé sa compréhension. En effet, à regarder a priori et dans l’immédiateté le(s) Droit(s), ce n’est pas l’Unité qui s’impose mais bien la diversité sinon parfois le capharnaüm. Mais l’Unité n’est – redisons-le – pas synonyme d’unicité et – sauf erreur – personne parmi les tenants ou promoteurs de la notion d’Unité du Droit (pas même le Clud !) n’appelle à la réduction de toutes les branches et / ou spécificités juridiques en une seule et unique forme de règles. L’Unité n’empêche en rien la diversité (MS / Mtd).

24 heures du Droit

Temps fort(s) de la vie du Clud, les 24 heures du Droit trouvent logiquement leur place dans le paysage local de l’Université du Maine (Le Mans), dynamisé par les célèbres 24 Heures du Mans.

Si d’emblée l’événement revêt un esprit de compétition, il n’en reste pas moins un moment convivial ouvert à tous (juristes ou non) et poursuit l’objectif d’unité du Droit qui est cher au Clud. Présentant des thèmes artistique, juridiques, ludiques et novateurs, les 24 heures du Droit se veulent dans un premier temps scientifiques, au travers des colloques qui bénéficient de différentes communications de chercheurs, d’universitaires et de praticiens. Tous les intervenants ne sont cependant pas juristes, mais offrent un point de vue précieux pour aborder les thématiques retenues ; telle est la richesse de l’événement.

Les 24 heures du Droit sont aussi l’occasion pour les étudiants de s’affronter dans une ambiance décomplexée. Au travers du jeu, les équipes représentant différentes universités, s’appuient sur les connaissances de chacun pour espérer remporter la victoire.

Enfin, les 24 heures du Droit sont également un temps de fête, qui s’exprime au travers d’un Gala. C’est l’occasion pour tous les participants de se retrouver afin de prolonger les festivités et pouvoir échanger dans un cadre élégant et raffiné. Si la course originale éprouve l’endurance des pilotes, les 24 heures du Droit éprouveront également l’endurance des participants en récompensant ceux qui tiendront jusqu’au bout de la nuit… (BB).

Web

Etait-ce bien sérieux ? Créer un site web pour les juristes ?! En 2004 ? Et en plus sur un sujet relevant de la science fiction, l’Unité du droit ? Mais après une période « belle au bois dormant » c’est devenu du sérieux : les Cahiers du l’Unité du droit publiés en ligne, ça c’est du sérieux, les publications de l’Epitoge et les journées d’étude tout autant : ça paraît même être devenu trop sérieux.

Mais les apparences sont parfois trompeuses (ainsi si on tape le nom du Clud dans un certain moteur de recherches on tombe sur « Collectif l’Unité du droit – boîte de nuit » ou en version anglaise [parce que le cludiste est polyglotte « night-club], preuve qu’on sait toujours s’amuser au Clud). Le site web a comme l’association pris en maturité et en sérieux : encore plus sérieux qu’avant sur le fond, et un peu plus sur la forme. Il s’est étoffé aussi (ce qui comme chacun sait est un signe de maturité), il est devenu encore plus beau (comme ses membres) et tout ça c’est du sérieux ! (CR).

Genre XY

Le genre peut être entendu comme une nouvelle compréhension du mot « sexe », celui-ci ne renvoyant plus seulement à une notion strictement biologique, mâle ou femelle, mais à une notion sociopolitique traitant du féminin et du masculin et de ce que, dans un certain contexte culturel, on y associe. Il s’agit donc de démêler la nature de la culture, juridique notamment. Les travaux récents du Clud ont ainsi, par exemple, permis de montrer qu’être révolutionnaire ou fan de football pouvait être le propre du sexe féminin (« Droits des femmes et révolutions arabes », J. GatÉ, Revue Méditerranéenne de droit public, 2013 ; « Droits du football », M. Touzeil-Divina, 2014) à l’encontre des idées reçues, notamment dans les médias (« Le féminisme au prisme des séries télévisées », J. GatÉ, in Séries télévisées et idées politiques, Dir. M. Touzeil Divina, 2013).

En aucune façon, en revanche, on le comprendra, le genre n’est une théorie mais il peut être un précieux outil d’analyse pour faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes (« Ce que le genre fait au droit », Regine, Dalloz, 2013) (JG).

Z

Z comme Costa-Gravas, réalisateur cinématographique de grande renommée mais aussi comme tous ceux (juristes ou non) célèbres (nationalement ou plus) qui ont accepté de venir à l’un des événements organisés par le Clud (au Conseil d’Etat, au Conseil Constitutionnel, dans de prestigieuses Universités en France ou même en Méditerranée).

Z donc comme Costa-Gavras évidemment (qui nous a fait l’honneur de sa présence et de son soutien) mais aussi comme Christiane Taubira, Garde des Sceaux, comme la chanteuse Francesca Solleville, comme Geneviève Fraisse, comme Guy Carcassonne, comme Robert Badinter, comme Philippe Bilger, comme Jean-Louis DebrÉ, comme Jean-Marc SauvÉ, comme Bernard Stirn, comme de nombreux hommes et femmes politiques ou encore comme Maître Jacques Boedels. Tous sont intervenus dans le cadre des colloques ou conférences du Clud et ont fait partie des conférenciers – non membres du Collectif – ayant participé à un événement organisé par le Clud. Plusieurs personnes, venues ainsi d’horizons différents arrivent à se retrouver autour d’un seul et même sujet. On observe, alors, un Clud déclencheur de rencontre(s) puis d’unité, tant au niveau juridique, qu’au niveau humain.

En rassemblant juristes, économistes, artistes mais aussi – et dans tous les cas – citoyen(ne)s, le Clud permet de montrer une unité, humaine, infaillible autour de notions aussi diverses que le football, les séries télévisées, la mort ou encore l’abolition des esclavages (Shg).