ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Du Droit chez Aya Nakamura ?

Voici la 35e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du seul livre publié hors de nos quatre collections :

Deux auteurs du Collectif L’Unité du Droit ont symboliquement décidé, en ce 14 février 2020, jour de Saint-Valentin, de déclarer respectueusement leur flamme juridique à la chanteuse Aya Nakamura en rédigeant – en son hommage – un ouvrage (extrait d’un opus collectif sur les lectures juridiques de fictions et également publié aux Editions l’Epitoge du Collectif L’Unité du Droit).

Sérieusement ?
Du Droit chez Aya Nakamura ?
« Y’a pas moyen » vous dites-vous !

Et vous avez peut-être raison !

Le présent ouvrage, tiré à part collector des Editions L’Epitoge, publié dans le cadre des festivités dédiées aux 16 années du Collectif L’Unité du Droit, témoigne des habitudes de travail et de recherche(s) ainsi que de l’objet social même dudit Collectif : il est rédigé sur une forme parfois légère et enjouée tout en reposant, au fond, sur une analyse juridique rigoureuse et détaillée. Il se veut ainsi accessible sans renier sa vocation académique. Il a par ailleurs été conçu en binôme étroit et égalitaire par un professeur d’Université et par un doctorant.

L’opus est construit en trois parties qui interrogent respectivement (après avoir posé les enjeux de l’étude et son prétexte pédagogique au cœur du mouvement Droit & Littérature) : le droit administratif (I), le droit privé (II) et l’Unité du Droit (III) au cœur des chansons et des prises de position(s) de l’artiste Aya Nakamura ici décodée par deux juristes comme si – elle aussi – appartenait à la communauté juridique. Après cette lecture, « Y’a pas moyen Gaja ? », « J’veux du Sarl » et tant d’autres titres (vous faisant découvrir la chanteuse à travers les droits de la propriété intellectuelle, de l’espace ou encore des marchés publics) n’auront plus de secret pour vous ! Il paraîtrait même que la chanteuse serait hégélienne : « j’crois qu’c’est le concept » !

Prétexte(s) pédagogique(s). En adoptant le prisme de l’Unité du droit, en abordant la question du droit des femmes et celui des minorités qu’incarnent la chanteuse, en confrontant ses œuvres à des questions concrètes et contemporaines de droit (comme certaines des restrictions opérées en contentieux administratif et ici dénoncées), en faisant découvrir au lecteur des branches méconnues mais pourtant passionnantes (comme le droit de l’espace extra-atmosphérique), l’article fera réviser, réfléchir et apprendre. N’est-ce déjà pas si mal[7] ? Les auteurs de l’article et du présent ouvrage soutiennent en effet que l’étude du droit dans et par ou au moyen de la fiction classique comme contemporaine est un prétexte pédagogique permettant l’étude des disciplines académiques et des concepts et des notions juridiques en dehors de toute application positive. En d’autres termes, il s’agit d’une recherche juridique qui n’a d’autre fin qu’elle-même : le plaisir intellectuel de faire du droit. Par ailleurs, les auteurs ne moquent en aucun cas l’artiste, ses textes et ceux qui les écoutent. Ils ont conscience qu’ils jouent de fiction(s) eux-mêmes pour traiter de questions juridiques. Ils assument totalement le fait que le présent article n’est qu’une succession de prétextes pédagogiques à l’étude du / des droit(s) dans un cadre fictionnel et ce, au prisme de l’Unité du droit. Ils savent pertinemment qu’Aya Nakamura est une chanteuse mais ont décidé de l’envisager de manière fictive en juriste en analysant ses textes comme une doctrine juridique ou nakamurienne (sic) qui permettra d’interroger plusieurs pans du droit positif.

l’ouvrage a été publié avec le soutien
et en partenariat étroit avec le partenaire du Collectif L’Unité du Droit :
Curiosités Juridiques

Obsédés textuels. On dit parfois des juristes qu’ils sont des « obsédés textuels » et qu’ils réussissent à trouver sinon à voir du Droit partout y compris là où il n’y en aurait peut-être pas, de la même manière qu’un artiste verrait de l’art potentiel en tout chose. Il y a cependant aussi, à la seule lecture de l’intitulé de cette contribution, des juristes qui vont se sentir rétifs et réticents sinon frontalement hostiles à l’idée qu’on puisse rechercher et analyser des questions juridiques et politiques dans l’œuvre de Mme Aya Danioko dite Aya Nakamura, chanteuse – désormais internationale[1] et populaire – qui n’est effectivement ni juriste ni auteure de doctrine juridique reconnue comme telle.

Les auteurs de l’ouvrage
M. le pr. M. Touzeil-Divina & M. R. Costa

L’objet du droit, c’est l’activité humaine. Si l’on retient comme nous l’a appris le doyen Foucart[2] que « l’objet principal du droit est l’homme », alors il faut nécessairement que le juriste non seulement acte que toute activité humaine (y compris fictionnelle) est potentiellement un objet d’étude et d’application juridiques mais encore qu’il appartient au juriste, s’il veut rester connecté à la société dans laquelle il se trouve, de se préoccuper de tous les faits sociaux qui l’entourent. « Le juriste[3] (à nos yeux) est accompli lorsqu’il sait rester curieux et être attentif à celles et à ceux qui l’entourent. Le juriste n’est plus (ou ne devrait plus être) ce notable sciemment éloigné de la table du repas social. Il est (et doit être) ce commensal impliqué et soucieux des manifestations sociales ». Or, sur ce point, les faits sont indiscutables : Aya Nakamura est – depuis 2017 (avec la sortie de son premier album Journal intime) et singulièrement depuis que son deuxième opus éponyme (Nakamura) a été promu « disque de platine » en 2018 – un véritable phénomène de société[4]. Par ailleurs, la chanteuse est entrée en 2019 au classement des 500 artistes les plus écoutés de la planète ainsi qu’à celui des 50 personnalités françaises les plus influentes du monde, détrônant jusqu’à Edith Piaf de l’artiste française la plus écoutée dans certains pays étrangers.

Le juriste qui l’ignorerait ne vivrait ainsi pas dans son époque.

Droit & idées politiques dans des fictions modernes. Il est évident que toute fiction ne parle pas de droit. Certains supports fictionnels (ce qui est le cas des chansons) y sont en revanche plus propices et ce, précisément lorsqu’ils évoquent des phénomènes et des actions ou activités sociales.

En étant ainsi un reflet, un témoin, une citoyenne – parfois même engagée – dans ses textes, Aya Nakamura parle d’objets juridiques. Elle donne à jouer avec des images juridiques et judiciaires dès le titre de certaines pistes : La dot, Gangster, Gang (feat. Niska) ou encore Soldat. Puis dans les textes : « Ouais je sens t’as le seum, j’ai l’avocat » in Pookie, « A la Bonnie and Clyde, t’es validé […] Suis-moi, tu verras, ça d’viendra illégal » in La dot.

Droit(s) & Littérature(s). Dans un premier temps, plusieurs universitaires du mouvement Law & Literature[5]ont d’abord considéré les liens entre droit(s) et fiction(s) à travers les romans et le théâtre principalement. Depuis plusieurs années, ce sont les films de cinéma et les séries télévisées qui ont intégré ces études juridiques de fictions ce dont témoigne aisément tant pour les romans que pour les séries télévisées le présent ouvrage. La littérature classique comme la pop-culture sont donc bien au cœur de ces recherches tant juridiques que littéraires. Les chansons[6], en décrivant des réalités ou parfois des fictions courtes qui sont – en tout état de cause – des reflets de l’activité humaine rentrent donc également potentiellement dans cette analyse initiée par le mouvement Droit & Littérature.

On notera, et il est important de le souligner ici explicitement, qu’il existe encore dans l’Université française des collègues (qui ne se procureront pas d’eux-mêmes cet ouvrage jugé par eux sûrement insignifiant) qui considèrent encore non seulement qu’ils ont le monopole de ce qui mérite(rait) d’être étudié avec sérieux mais encore qui dénigrent celles et ceux – dont nous sommes – qui s’occupent de droit(s) dans des fiction(s) et ce, pour y mener des études juridiques (par eux niées). Il s’agirait, ont même dit certain.e, d’une utilisation détournée voire frauduleuse de l’argent public. Bien sûr que le présent article est – aussi – un divertissement. Bien sûr qu’il va parfois proposer des interprétations capillotractées dans le seul but d’intéresser un public estudiantin qui, de lui-même, n’aurait pas acquis un ouvrage juridique mais, précisément, tel est bien l’un des objectifs assumés par ses porteurs et notamment par le Collectif L’Unité du Droit organisateur : ne plus considérer les études de Droit comme nécessairement désagréables, techniques, surannées, déconnectées de la réalité et élitistes mais au contraire des études actionnées par des acteurs et des actrices de ce siècle à l’écoute de la société et de ses préoccupations et faisant venir à elles et à eux des étudiants qui auraient sinon été rebutés. Partant, les propositions ici faites ne sont pas que des élucubrations vides de sens.

Discours du Droit & sur le(s) droit(s). Interprétations réalistes. La présente contribution va donc rechercher dans les textes des chansons d’Aya Nakamura s’il existe – et c’est évidemment le parti pris annoncé – une ou plusieurs dimensions juridiques. Partant, on oscillera – sciemment et volontairement – entre de véritables positions juridiques que nous estimons percevoir chez l’artiste et ce, par exemple dans certains engagements en faveur des droit(s) des femmes mais aussi – ce dont on ne se privera pas – en dénichant parfois du droit là où la chanteuse n’en avait certainement pas volontairement mis ou perçu.

Cela dit, n’est-ce pas là – précisément – la force du pouvoir de l’interprétation juridique que de faire dire – parfois – à un texte ce que son auteur n’a pas nécessairement cru ou voulu ? Lorsqu’en 1962 le Général de Gaulle sachant parfaitement que l’article 89 de la Constitution rend impossible une révision de la norme fondamentale en proposant directement au peuple de procéder à un changement par voie référendaire, il interprète le Droit de façon singulièrement extensive, personnelle et largo sensu. Il est évident que les rédacteurs de 1958 ne voulaient pas que se réalise ce qui s’est pourtant accompli en 1962 mais l’interprétation juridique l’a matérialisé car – en droit comme en arts[8] – : « Fuori dell’interpretazione, non c’è norma » (hors de l’interprétation, il n’y a pas de norme) ! C’est donc en « interprètes réalistes » que nous allons vous proposer des lectures juridiques de l’œuvre d’Aya Nakamura essentiellement à partir de son album Nakamura (version jaune initiale et édition Deluxe de l’automne 2019) et ce, autour de trois temps que réunit l’Unité du Droit : en droit administratif (I), en droit privé de façon plus générale (II) ainsi que dans quelques matières dites de spécialité(s) juridique(s) (III). Partant, vous allez découvrir une Nakamura juriste et même spécialiste.

Voici la table des matières de l’ouvrage :

Introduction                                                                          

I. Aya & le droit administratif                       

     A. Oh ! Gaja !                                                                      

     B. Une nouvelle sélection administrative :
          la Sagaa                                                                           

     C. Nakamura, spécialiste du contentieux
          des contrats publics                                                 

II. Aya & le droit privé                                     

     A. Nakamura & le droit des personnes
          et de la famille                                                            

     B. Nakamura & le droit au respect
          de la vie privée                                                            

     C. Nakamura & le droit des sociétés                     

III. Aya & l’Unité du droit                                

     A. Nakamura & le droit aéronautique                  

     B. Nakamura & la propriété intellectuelle         

     C. Nakamura & la théorie du Droit                         


[1] On apprend même que l’artiste sera en vedette du mythique festival de Coachella en 2020.

[2] Foucart Emile-Victor Masséna, Eléments de droit public et administratif ; Paris, Videcoq ; 1834 ; Tome I.

[3] On reprend ici l’opinion qu’à défendue l’un des coauteurs de l’article in « Droit(s) & Série(s) télévisée(s) : mariage de, avec ou sans raison ? » in Jcp – édition générale ; n°8 ; 25 février 2019 (« libres propos »).

[4] Le présent article intègre a minima l’ensemble des titres de l’album Nakamura (2018 et édition Deluxe de 2019 avec ses cinq titres supplémentaires dont un remix).

[5] Parmi lesquels, l’un des moteurs de ce mouvement dont la collection « Unité du Droit » des Editions L’Epitoge a accueilli le très bel ouvrage suivant : Weisberg Richard, La parole défaillante ; Toulouse, L’Epitoge ; 2019.

[6] Ainsi que le Collectif L’Unité du Droit l’avait déjà abordé avec : Touzeil-Divina Mathieu & Hoepffner Hélène (dir.), Chansons & costumes « à la mode » juridique et française ; Le Mans, L’Epitoge ; 2015.

[7] On présentera ici ses excuses auprès du lecteur pour qui ces questions sont une évidence mais la récente altercation publique provoquée par une collègue procédurière qualifiant d’adolescents irresponsables et de juristes utilisant à tort les deniers publics au regard de sa vision nécessairement objective de l’Université a de quoi faire frémir.

[8] Ascarelli Tullio, « Giurisprudenza costituzionale e teoria dell’interpretazione » in Rivista di diritto processuale ; Anno XIII (1957), n°1-3, p. 10.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Entre art(s), cadavre(s) & droit(s) (par Mme & M. Bouteille-Brigant)

Voici la 32e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait des 11 & 12e livres de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

Il s’agit même ici de deux extraits, comme mariés, du Tome II (chapitre V, section 04) du Traité des nouveaux droits de la mort. En l’occurrence deux présentations entre art(s) & cadavre(s) de deux séries télévisées mêlant mort(s) & droit(s) ; le tout servi par les docteurs Magali Bouteille-Brigant & Jean-Marie Brigant.

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XI : Traité des nouveaux droits de la Mort
Vol I. La Mort, activité(s) juridique(s)

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina,
Magali Bouteille-Brigant & Jean-François Boudet)

– Sortie : 02 novembre 2014
– 430 pages
– Prix : 69 €

  • ISBN : 979-10-92684-05-6
  • ISSN : 2259-8812

Volume XII : Traité des nouveaux droits de la Mort
Tome II – La Mort, incarnation(s) cadavérique(s)

Ouvrage collectif
(Direction Mathieu Touzeil-Divina,
Magali Bouteille-Brigant & Jean-François Boudet)

– Sortie : 02 novembre 2014
– 448 pages
– Prix : 69 €

  • ISBN : 979-10-92684-06-3
  • ISSN : 2259-8812

Présentation :

« « Il ne suffit (…) pas au jurisconsulte de se préoccuper des vivants » affirme Gabriel Timbal dans l’introduction à sa célèbre (et controversée) thèse sur la condition juridique des morts (1903). Le Droit – ou plutôt les droits – s’intéressent en effet à toutes les activités humaines et sociétales. « L’objet du Droit, c’est l’homme » expliquait déjà en ce sens le doyen Foucart. Il importait donc de s’intéresser de la façon la plus exhaustive possible et ce, à travers le prisme de l’Unité du / des droit(s) à la matérialisation positive du ou des droit(s) relatif(s) à la Mort. A cette fin, les trois porteurs du Traité des nouveaux droits de la Mort ont réuni autour d’eux des juristes publicistes, privatistes et historiens mais aussi des praticiens du funéraire, des médecins, des anthropologues, des sociologues, des économistes, des artistes et des musicologues. Tous ont alors entrepris de présenter non seulement l’état positif des droits (publics et privés) nationaux concernant la Mort, le cadavre & les opérations funéraires mais encore des éléments d’histoire, de droit comparé et même quelques propositions normatives prospectives. Et si l’opus s’intitule Traité des « nouveaux » droits de la Mort, c’est qu’effectivement l’activité funéraire et le phénomène mortel ont subi depuis quelques années des mutations cardinales (statut juridique du cadavre, mort à l’hôpital, tabous persistants et peut-être même amplifiés devant le phénomène, service public des pompes funèbres, activité crématiste, gestion des cimetières, « prix » de la Mort, place et représentation de celle-ci et de nos défunts dans la société, rapports aux religions, professionnalisation du secteur funéraire, etc.). Matériellement, le Traité des nouveaux droits de la Mort se compose de deux Tomes : le premier envisage la Mort et ses « activités juridiques » et le second la Mort et ses « incarnations cadavériques » ».

Bones
ou Le cadavre sans tabou

présentation de Mme Magali Bouteille-Brigant
Maître de conférences de droit privé à l’Université du Maine,
Directrice adjointe du laboratoire Themis-Um (ea 4333),

Collectif L’Unite du Droit

572. « J’ai commis l’erreur de leur dire que je travaille sur les cadavres et les squelettes, ils me prennent pour un monstre »[1]. Si l’auteur du présent article aurait, à propos de la rédaction du Traité sur les nouveaux droits de la mort, pu prononcer cette phrase, la paternité de cette dernière est à attribuer à Zach, l’un des personnages récurrents de la série Bones. Librement adaptée des romans et de l’expérience de l’anthropologue et écrivaine Kathy Reichs[2], cette série, qui est encore en cours de tournage, s’étend pour le moment sur pas moins de dix saisons et de 190 épisodes. Elle met en scène les aventures de Temperance Brennan, alias Bones, une anthropologue judiciaire de l’Institut Jefferson, collaborant avec le FBI et l’agent spécial Seeley Booth, pour résoudre les enquêtes criminelles lorsqu’un corps résiste aux méthodes traditionnelles d’identification. La série utilise les ressorts bien huilés des séries américaines : sur fond d’enquête criminelle, elle met en scène une séduction larvée entre des héros que tout oppose : Bones, rationnelle à l’excès, relativement associale, et, au moins en apparence, insensible, et Booth, viril, attachant mais capable d’empathie, rapports que l’on a pu déjà observer entre les agents spéciaux Mulder et Skully. Toutefois, l’originalité de cette série devenue culte et l’intérêt de l’évoquer au sein du présent Traité, ne réside pas dans les relations amoureuses contrariées puis assumées de ce duo, mais plutôt dans le traitement qu’elle réserve à la mort, et ceci, sur deux aspects. En premier lieu, elle exploite et met en valeur une profession, qui bien qu’existant en France, reste pourtant marginale : l’anthropologie judiciaire encore appelée anthropologie médico-légale. En second lieu, contrairement à d’autres séries plus anciennes, qui ne faisaient que le suggérer, cette série montre le cadavre, en tant qu’objet d’étude, sans aucun détour ni artifice. C’est ainsi un cadavre sans tabou qui constitue l’ossature de la série, tant les techniques utilisées dans le cadre de l’anthropologie, le rendent prolixe (I) et tant l’utilisation et la monstration qui en sont faites sont dénuées de tout complexe (II).

I. Le cadavre très prolixe

573. Si les cadavres sont les « témoins muets du passé », Temperance Brennan, en tant qu’anthropologue judiciaire, a les moyens de les faire parler. En effet, l’anthropologie judiciaire est une discipline appliquant aux restes humains, dans le cadre d’une enquête judiciaire, les techniques de l’anthropologie physique et biologique, laquelle, tirée du grec « antropos », qui signifie « Homme » et logia, qui signifie « étude », peut se définir comme la science qui étudie les humains. L’anthropologie médico-légale est très utile lorsque l’identité de la personne décédée n’est pas connue. C’est le cas, notamment, en cas de découverte d’un corps entier à l’état de squelette ou de fragments d’os. A cet égard Brennan est à de nombreuses reprises sollicitée pour identifier l’un des squelettes victime du tueur en série dénommé Gormogon[3], un cannibale reconstituant un squelette en argent à partir des os de ses victimes. C’est le cas également lorsque le cadavre, encore recouvert de chair, est dans un état de putréfaction avancée rendant impossible la reconnaissance faciale ou digitale. Ainsi, l’équipe de l’Institut Jefferson contribuera à identifier un cadavre en décomposition retrouvé dans une baignoire, emplie d’un liquide visqueux. C’est encore le cas lorsque, dans le cadre des catastrophes aériennes ou des attentats terroristes, les corps non identifiées, sont désarticulés et disséminés. Ainsi, dans l’épisode intitulé « faux-frères », Bones est amenée à identifier les restes d’une personne ayant péri dans l’explosion de sa voiture[4]. Le rôle de l’anthropologue sera alors de déterminer l’origine humaine ou non des restes, et d’établir le profil de l’individu concerné en précisant ses origines, son sexe, son âge, sa taille et tout élément permettant de l’individualiser. Ainsi, Bones est amenée dans l’épisode intitulé « Beauté Fatale », a identifier les restes éparpillés d’une personne retrouvée autour de l’aéroport. L’étude, mettant en évidence les mutltiples interventions chirurgicales subies par la victime, permettra de déterminer que la personne décédée est une femme tombée aux prises d’une industrie du relooking peu scrupuleuse. De la même manière, l’équipe pourra à partir des restes humains retrouvés dans une fosse septique, identifier le corps du présentateur d’une émission de télévision controversée[5]. A l’écran comme dans la pratique réelle, l’anthropologue judiciaire peut, dans la réalisation de sa tâche être aidé par d’autres professionnels. Bones est ainsi entouré d’un entomologiste médico-légal, Hodgins. L’entomologie médico-légale ou forensic, développée en 1894 par le vétérinaire Jean-Pierre Megnin, permet, en étudiant les insectes intervenant aux divers stades de décomposition du cadavre, d’obtenir la date du décès, mais peut également apporter des informations sur d’éventuels transports ou manipulation du cadavre. Le professionnel de cette discipline s’attache, en observant les hyménoptères, coléoptères, lipédoptères ou autres diptères, colonisant le corps mort, à donner leur âge. Plusieurs espèces d’arthropodes participent ainsi à la datation du cadavre : les arthropodes nécrophages, comme les diptères, qui sont les premiers insectes intéresser par le cadavre frais ; les arthropodes nécrophiles, qui se nourrissent des insectes nécrophages, et ensuite les arthropodes omnivores qui se délectent à la fois du cadavre et des insectes l’entourant. De la même manière, Bones est aidée de son amie Angela, laquelle a mis au point un logiciel de reconstitution faciale en 3D à partir d’un crâne. Si cette technologie n’existe pas en tant que telle pour le moment, les auteurs de la série ont seulement fait preuve d’anticipation. En effet, il existe déjà des méthodes de reconstitution faciale. En effet la Méthode Guerrasimov, permet depuis le milieu du XXe siècle, de reconstituer par la sculpture les traits du visage d’un homme et de l’ensemble de sa tête[6]. C’est notamment en utilisant le logiciel de reconstitution faciale qu’elle a créée qu’Angela permettra d’identifier, à partir d’un crâne, la mère de Bones[7]. En mettant à l’écran des professions souvent méconnues, telles que l’entomologie forensic ou l’anthropologie judiciaire, suscitant ainsi des vocations, qui risquent toutefois d’être contrariées tant cette dernière discipline reste, dans le monde, marginale. Une autre originalité de la série Bones est d’exposer ou de montrer des cadavres sans détours.

II. Un cadavre sans complexe

574. La série Bones portant sur une activité à objet macabre, elle met en scène tous les états possibles du cadavre humain, mais dépasse également certains tabous[8], en ne s’interdisant de montrer le cadavre d’aucune catégorie humaine, participant de la sorte à une certaine banalisation de la mise en scène d’un corps mort. Les enquêtes du duo Brennan/Booth les amènent à découvrir les cadavres dans tous leurs états, du mieux conservés au plus altérés. Les scientifiques de l’institut Jefferson sont ainsi amenés, à étudier des cadavres aussi bien conservés que celui, congelé, d’un pompier volontaire retrouvé dans un lac gelé [9] d’une personne, momifié, retrouvé dans le mur d’une discothèque[10]. L’anthropologue judiciaire est également confronté à des cadavres plus altérés allant du corps en état de décomposition avancée retrouvé sur plage[11], à celui retrouvé liquéfié dans une baignoire[12] ou carbonisé par une clôture électrique[13], en passant par les corps digérés par des animaux[14] ou encore cuits en petits morceaux dans le micro-ondes d’un avion[15]. Les enquêtes de Bones mettent également en scène, toutes les catégories de cadavres, les auteurs ne s’interdisant n’y de montrer le corps d’un vieil homme, ni celui d’une femme enceinte retrouvée dans la baie du Delaware[16]. Allant un peu plus loin dans la transgression des tabous, les auteurs de la série n’hésitent pas à montrer, les cadavres en décomposition de jumeaux, adolescents retrouvés dans une cuve étanche, ni même dans l’épisode intitulé « Innocence perdue », le corps en décomposition d’un enfant[17] retrouvé dans un terrain vague.

En brisant les tabous et en s’attachant à montrer le cadavre de toute personne, dans tous ses états, les auteurs participent d’un mouvement de banalisation du cadavre. Alors que dans les séries des années 90, les cadavres n’étaient que suggérés, tout comme la violence à l’origine de ces morts, les séries plus récentes, à l’instar de certains longs métrages tels que le film Seven, mettant en scène des meurtres illustrant les sept péchés capitaux, s’attachent à montrer le cadavre sans détours ni artifices. D’autres séries iront encore plus loin, et notamment la très esthétique série Hannibal, laquelle filme des scènes de crimes toujours plus inventive et suggère le cannibalisme de l’un des protagonistes principal. Cette banalisation du cadavre interroge et confine au paradoxe. En effet, la place des morts dans la société actuelle est de plus en plus restreinte. Les morts, réels, ne font plus partie du décor. Le mort n’a plus droit de cité. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler le sort réservé à la très controversée exposition anatomique Our Body[18], ou de constater les questionnements éthiques récents suscités par la conservation et l’exposition des restes humains dans les musées[19]. Même les cendres sont aujourd’hui exclues des lieux de vie puisque, alors même que le défunt en aurait exprimé la volonté contraire, elles ne peuvent être conservées au domicile des proches de la personne disparue. A l’inverse, de la série Les Experts à Bones, en passant par NCIS, Six feet Under, Dead like me ou encore The Walking Dead, les morts virtuels envahissent nos salons, replaçant ainsi les morts au coeur même des vivants. Aussi pouvons-nous interroger sur le rôle de substitut des morts de nos fictions et sur l’utilité de ces séries quant à la construction de la représentation de la mort de chacun, représentation nécessaire l’apprivoisement de l’angoisse de la mort[20].

Dexter

présentation de M. Jean-Marie Brigant
Maître de conférences à l’Université de Lorraine,
associé Themis-Um (ea 4333)

575. Inspiré des romans de Jeff Lindsay[21], Dexter est une série américaine créée par James Manos Jr, diffusée sur les chaînes de télévision Showtime puis Cbs aux Etats-Unis puis sur les chaînes Canal + et Tf1 en France. S’étirant sur huit saisons et pas moins de quatre-vingt-seize épisodes, cette série met en scène un personnage Dexter Morgan, à la fois morpho-analyste le jour (il analyse les traces de sang sur les scènes de crimes) et tueur en série la nuit : « Dexter / Deux en un »[22]. Comme le souligne Martin Julier-Costes, « Déjà la dichotomie est significative et correspond trait pour trait aux caractéristiques du psychotique, malade typique du monde contemporain, tout en reprenant une figure célèbre, celle du Docteur Jekyll et de Mr Hyde »[23]. En journée, ce anti-héros joue à l’homme idéal feignant en effet de se conformer aux attentes sociales qui pèse sur lui en ayant une vie normale : en bref, un travail et une famille. Dès la nuit tombée, ce même individu se meut en serial killer justicier, ne tuant que les criminels qui « méritent », suivant ainsi le « Code »[24] inculqué par son père adoptif, Harry Morgan. A l’instar de ce que le jour doit à la nuit, « ce besoin de tuer (…) lui permet de se régénérer et de continuer ainsi sa vie normale »[25]. Pour ce personnage « complexe et bicéphale »[26] se cachant à la vue de tous, la mort est son véritable métier (I) tandis que les morts constituent son seul et unique loisir, son « hobby » (II).

I. La mort est son métier

Comme dans de nombreuses séries[27], la mort occupe une place non négligeable dans la vie de Dexter Morgan, expert médico-légal en analyses de traces de sang pour la police de Miami. Il ressort de ces huit saisons que ce phénomène qu’est la mort est indissociable de l’enfance du personnageet du caractère scientifique de sa profession.

576. La mort couplée à son enfance. Pour comprendre ce qui dans la construction du personnage de Dexter pouvait expliquer qu’il devienne un tueur mais également un expert en traces de sang (les deux étant liés), le spectateur est conduit dès la première saison, à se plonger dans son enfance. Dexter et son frère Brian Moser (alias Rudy Cooper) ont assisté à l’assassinat de leur mère, informatrice pour la police. Cette dernière est tuée par des narcotrafiquants à l’aide d’une tronçonneuse. La scène a lieu dans un container en présence de ses deux jeunes fils qui seront miraculeusement épargnés. Après avoir passé deux jours à baigner dans le sang de leur propre mère, Dexter et son frère vont depuis lors développer une obsession pour le sang. Si Dexter est adopté par le policier Harry Morgan, Brian quant à lui est laissé au motif qu’il est trop grand et ne peut plus être « sauvé ». Ce dernier deviendra par la suite « le tueur au camion frigorique » ou « tueur de glace » (Saison 01 (S01)). Si l’enfance n’explique pas tout, on y découvre bien souvent les racines du mal : « Il faut toujours regarder l’enfance d’un criminel pour savoir qu’un jour, il a été un enfant innocent » comme le souligne Robert Badinter[28].

577. La mort couplée à la science. Dans plusieurs séries, la science occupe une place importante, devenant parfois l’un des personnages comme dans la série « Les Experts »[29]. Dans la série Dexter, le héros est un technicien des scènes de crimes, analysant les projections de sang : « Sur une scène de crime, il est celui qu’on écoute. Il pratique son métier comme un art et lit dans le sang comme dans un livre »[30]. Pour lui, le sang ne ment jamais, il parle car le sang parle toujours, rappelle l’intéressé au gré des épisodes (E01S03). La figure de Dexter en tant qu’expert scientifique renvoie au couple « science/mort », qui « trouve dans ce type de série un terrain d’entente et illustre des invariants anthropologiques comme la peur de la contagion et le respect envers le mort. L’hygiène et la « maîtrise » de la science protègent les vivants d’une possible contagion et le corps (vivant ou mort) est finalement sacralisé, pour sa valeur scientifique ou esthétique »[31]. Cette plongée quotidienne de Dexter dans la mort constitue en effet le cadre dans lequel il évolue et sa raison de vivre. Son métier lui permet non seulement de faire le bien (retrouver les criminels) mais également de faire le mal (les punir définitivement). Grâce à son métier, il peut assouvir ses pulsions et sa passion.

II. Les morts sont sa passion

Alors que les morts se font rares dans la vie concrète des spectateurs, ceux-ci sont omniprésents dans les séries Tv. La série Dexter n’échappe pas à ce phénomène de compensation[32]. Chaque épisode, chaque saison fait apparaître son lots de cadavre : ceux qui sont vengés par ce sérial killer justicier et ceux qui sont laissés par celui-ci.

578. Les morts vengés par Dexter. Le métier de Dexter le conduit, ainsi que le téléspectateur, à découvrir les morts laissés par des criminels ayant échappé ou risquant d’échappé aux mailles de la Justice. L’accumulation des épisodes fait apparaître les cadavres dans tous leurs états : prostituée entièrement vidée de son sang et découpée en morceaux (S01), femmes écorchées/dépecées (S03), jeunes femmes tuées dans leur bain, mères de famille forcées à se jeter dans le vide et hommes frappés à coups de marteau (S04), femmes enlevées, torturées et placées dans des tonneaux (S05), personnes crucifiées (S06), maris empoisonnés (S07), victimes séquestrées puis trépanées (S08), … En définitive, « c’est toute l’échelle des états possibles de la condition post-mortem qui est ainsi donnée à voir »[33].Chaque saison de Dexter donnant naissance à un nouveau tueur en série, les manières de mourir comme celles d’être mort vont ainsi varier, à la différence du mode opératoire de ce anti-héros.

579. Les morts « laissés » par Dexter. Aux termes des huit saisons, Dexter a fait un total (hors animaux) de 132 victimes, depuis le meurtre de Mary, l’infirmière empoisonneuse (E03S01), jusqu’à celui d’Oliver Saxon (E12S08). A de rares exceptions[34] et contrairement à ce que laisse penser le générique[35], Dexter procède toujours de la même manière : il endort ses victimes, les attache avec de la cellophane à une table dans un endroit reculé et entièrement recouvert de bâches de plastique (« la killing room »), leur montre les photos de leurs propres victimes, leur prélève une goutte de sang en guise de trophée et enfin les poignarde en plein cœur. Les corps sont ensuite découpés en morceaux mis dans des sacs poubelles puis jeter dans les eaux de Miami. Comme on peut le constater, « ses mises à mort se font suivant un rituel précis qui ne laisse aucune place au hasard »[36]. Ce rituel se termine par une cérémonie à bord de son bateau ironiquement appelé « Slice au Life » (Tranche de vie) qui n’est pas sans rappeler la barque funéraire : « Destinée aux pérégrinations dans le monde des morts, la barque funéraire symbolise l’embarcation menant le défunt à sa sépulture »[37]. A deux reprises, Dexter va tenter d’emprunter cette même barque qui doit le conduire à sa propre sépulture mais en vain.


[1] Bones, saison 01, épisodes 06.

[2] Voir not. Déjà dead, Robert Laffont, 1997.

[3] Voir notamment Bones, S03E15.

[4] Bones, S01 E02 Faux Frères.

[5] S04E03, Les hommes de sa vie.

[6] Vue Marc, « Le crâne et le Savant : la méthode Guerrassimov », L’Histoire, 01 mars 1993, p. 64.

[7] S01E22, Passé composé.

[8] En ce sens voir Merckle Pierre, Dolle Thomas, « Morts en séries : représentations et usages des cadavres dans la fiction télévisée contemporaine », Raison Publique, n° 11, décembre 2009, p. 229 et s.

[9] S04E13, Le feu sous la glace.

[10] S01E06, La momie . Voir également S03E05, Super Héros.

[11] S06E03, Guido on the Rocks.

[12] S02E05 les femmes de sa vie.

[13] S05E05, Anock.

[14] S01E04, Dans la peau de l’ours.

[15] S04E10, Passager 3-B.

[16] S02E02, la place du père.

[17] S05E01, Innocence perdue.

[18] Sur cette exposition voir not. Claire Gwénaëlle, « L’exposition anatomique « Our body », une atteinte à la dignité du cadavre ? », Méd. et Droit 2011 n° 108 p. 136 et s.; Marrion Bertrand, Exposition Our body : corps ouverts mais expo fermée ! ; Jcp G, 2010 p. 2333 et s.; Labbee Xavier, « Interdiction de l’exposition « Our Body, à corps ouverts » », D. 2009 p. 1192 ; Pierroux Emmanuel, « « Our Body, à corps ouverts », l’exposition fermée », Gaz. Pal. 2009 n° 147-148 p. 02 et s.; Loiseau Grégoire, « Des cadavres mais des hommes », Jcp G 2009 p. 23 et s.

[19] Cadot Laure, « Les restes humains, une gageure pour les musées», La lettre de l’Ocim ; 2007 ; n° 109 p. 04 à 15. Voir également Des collections anatomiques aux objets de cultes, conservation et exposition des restes humains dans les musées ; Antz, Jean-Edouard, « Réflexions autour du statut juridique des collections muséales d’origine humaine »,  Rgdm 2012 n° 45, p. 07 et s.; Cornu Marie, « le corps humain au musée : de la personne à la chose », D. 2009 chron. p. 1907 et s.

[20] Sur ce point voir Martin, « le paradigme du déni social de la mort à l’épreuve des séries télévisées, Mise en scène et mise en sens de la mort » in La mort dans les jeux vidéo, L’esprit du temps, 2011.

[21] La saga comprend plusieurs tomes : Ce cher Dexter ; Paris, éd. Points ; 2005 – Dexter revient ! / Le Passager noir ; Paris, éd. Points ; 2005 – Les Démons de Dexter ; Paris, éd. Points ; 2008 – Dexter dans de beaux draps ; Paris, éd. Points ; 2010 – Ce délicieux Dexter ; Paris, éd. Points ; 2010 – Double Dexter ; Points ; 2013 ; Dexter fait son cinéma ; Paris, éd. Lafon, 2014.

[22] Titre de l’épisode 01de la Saison 01 (E01S01).

[23] Julier-Costes Martin, « Le paradigme du déni social de la mort à l’épreuve des séries télévisées. Mise en scène et mise en sens de la mort », L’esprit du tempsÉtudes sur la mort, 2011/1 n° 139, p. 155.

[24] Les commandements sont les suivants : « Ne te fais pas attraper – Ne tue que ceux qui le méritent – Sois totalement certain de leur culpabilité – Ne t’implique jamais émotionnellement – Contrôle tes pulsions, ne te laisse pas contrôler ».

[25] Julier-Costes Martin, art. précit., p. 156.

[26] Blum Charlotte, Dexter : le guide non officiel ; Paris, éd. Archipel ; 2011 ; p. 21.

[27] Merckle Pierre, Dolle Thomas, « Morts en séries : représentations et usages des cadavres dans la fiction télévisée contemporaine », Raison Publique, n° 11, déc. 2009, p. 233 : « A la suite de la diffusion des Experts, on a rapidement assisté à une multiplication des fictions télévisées plaçant les cadavres, et les professions organisées autour de leur traitement, au centre de leur dispositif narratif, de Six Feet Under à Dexter, en passant par quelques séries moins remarquées, mais tout aussi remarquables de ce point de vue, comme All Souls, Crossing Jordan (Preuves à l’appui), Dead Like Me, Tru Calling, Afterlife, et d’autres mieux connues des téléspectateurs français, comme Ncis et Bones ». V. égal. Pierre Langlais, « De Lost à Southcliffe : la place du mort dans les séries », Télérama, 05 septembre 2014.

[28] Grossmann Agnès, L’enfance des criminels ; Paris, Broché, 2012,

[29] Alh Nils C. et Fau Benjamin, Dictionnaire des séries télévisées ; Paris, Rey, 2011, p. 344 : « Les personnes principaux sont attachants (…). Certes, ils ne sont jamais, ou presque, au cœur de l’action ».

[30] Blum Charlotte, Dexter : le guide non officiel ; Paris, éd. Archipel ; 2011 ; p. 21.

[31] Julier-Costes Martin, « Le paradigme du déni social de la mort à l’épreuve des séries télévisées. Mise en scène et mise en sens de la mort », L’esprit du tempsEtudes sur la mort, 2011/1 n° 139, p. 155.

[32] En ce sens, Bersay Claude, « Le mort en spectacle », Etudes sur la mort, 2006/1 n° 129, p. 171 et s.

[33] Merckle Pierre, Dolle Thomas, « Morts en séries : représentations et usages des cadavres dans la fiction télévisée contemporaine », Raison Publique, n° 11, déc. 2009, p. 234.

[34] Découpage sauvage à la tronçonneuse pour le meurtrier de sa mère, Santos Jimenez (Episode 08 Saison 02) et étranglement pour le pédophile Nathan Marten (E03S03).

[35] « Dexter, le serial killer sublimé », Le Monde des séries, 17 mars 2011 : « La routine matinale de Dexter est un passage en revue de toutes les manières de tuer : l’étranglement, la suffocation, la noyade, l’arme blanche, la lacération, le broyage, la brûlure, le choc brutal (la coquille d’oeuf qui renvoie à l’idée d’un crâne qui se fend). Cela s’accompagne même d’une suggestion de réduction des chairs (gros plan sur l’orange pressée) et de cannibalisme : Dexter fait cuir un morceau de viande qu’il engloutit avec une évidente délectation ».

[36] Blum Charlotte, Dexter : le guide non officiel ; Paris, éd. Archipel ; 2011 ; p. 10.

[37] Thomas Louis-Vincent, « Mort – Les sociétés devant la mort », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 10 sept. 2014 (http://www.universalis.fr/encyclopedie/mort-les-societes-devant-la-mort/).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Remise des Mélanges en l’honneur du professeur Jean-Louis Mestre

Les Editions L’Epitoge du Collectif l’Unité du Droit sont très heureuses de vous annoncer la remise – à leur récipiendaire – des Mélanges en l’honneur de M. le professeur Jean-Louis MESTRE.

Ces Mélanges forment les huitième & neuvième
numéros issus de la collection « Académique ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volumes VIII & IX :
Des racines du Droit

& des contentieux.
Mélanges en l’honneur du professeur Jean-Louis Mestre

Ouvrage collectif

– Nombre de pages : 442 & 516

– Sortie : mars 2020

– Prix : 129 € les deux volumes.

ISBN / EAN unique : 979-10-92684-28-5 / 9791092684285

ISSN : 2262-8630

Mots-Clefs :

Mélanges – Jean-Louis Mestre – Histoire du Droit – Histoire du contentieux – Histoire du droit administratif – Histoire du droit constitutionnel et des idées politiques – Histoire de l’enseignement du Droit et des doctrines

Présentation :

Cet ouvrage rend hommage, sous la forme universitaire des Mélanges, au Professeur Jean-Louis Mestre. Interrogeant les « racines » du Droit et des contentieux, il réunit (en quatre parties et deux volumes) les contributions (pour le Tome I) de :

Pr. Paolo Alvazzi del Fratte, Pr. Grégoire Bigot, M. Guillaume Boudou,
M. Julien Broch, Pr. Louis de Carbonnières, Pr. Francis Delpérée,
Pr. Michel Ganzin, Pr. Richard Ghevontian, Pr. Eric Gojosso,
Pr. Nader Hakim, Pr. Jean-Louis Halpérin, Pr. Jacky Hummel,
Pr. Olivier Jouanjan, Pr. Jacques Krynen, Pr. Alain Laquièze,
Pr. Catherine Lecomte, M. Alexis Le Quinio, M. Hervé Le Roy,
Pr. Martial Mathieu, Pr. Didier Maus, Pr. Ferdinand Melin-Soucramanien, Pr. Philippe Nélidoff, Pr. Marc Ortolani, Pr. Bernard Pacteau,
Pr. Xavier Philippe, Pr. François Quastana, Pr. Laurent Reverso,
Pr. Hugues Richard, Pr. André Roux, Pr. Thierry Santolini, M. Rémy Scialom, M. Ahmed Slimani, M. Olivier Tholozan,
Pr. Mathieu Touzeil-Divina & Pr. Michel Verpeaux,

… et pour le Tome II :

M. Stéphane Baudens, M. Fabrice Bin, Juge Jean-Claude Bonichot,
Pr. Marc Bouvet, Pr. Marie-Bernadette Bruguière, Pr. Christian Bruschi,
Prs. André & Danielle Cabanis, Pr. Chistian Chêne, Pr. Jean-Jacques Clère, Mme Anne-Sophie Condette-Marcant, Pr. Delphine Costa,
Mme Christiane Derobert-Ratel, Pr. Bernard Durand, M. Sébastien Evrard, Pr. Eric Gasparini, Père Jean-Louis Gazzaniga, Pr. Simon Gilbert,
Pr. Cédric Glineur, Pr. Xavier Godin, Pr. Pascale Gonod,
Pr. Gilles-J. Guglielmi, Pr. Jean-Louis Harouel, Pdt Daniel Labetoulle,
Pr. Olivier Le Bot, Pr. Antoine Leca, Pr. Fabrice Melleray,
Mme Christine Peny, Pr. Laurent Pfister, Pr. Benoît Plessix,
Pr. Jean-Marie Pontier, Pr. Thierry S. Renoux, Pr. Jean-Claude Ricci,
Pr. Albert Rigaudière, Pr. Ettore Rotelli, Mme Solange Ségala,
Pdt Bernard Stirn, Pr. Michael Stolleis, Pr. Arnaud Vergne,
Pr. Olivier Vernier & Pr. Katia Weidenfeld.

Mélanges placés sous le parrainage du Comité d’honneur des :

Pdt Hélène Aldebert, Pr. Marie-Bernadette Bruguière, Pr. Sabino Cassese, Pr. Francis Delpérée, Pr. Pierre Delvolvé, Pr. Bernard Durand,
Pr. Paolo Grossi, Pr. Anne Lefebvre-Teillard, Pr. Luca Mannori,
Pdt Jean Massot, Pr. Jacques Mestre, Pr. Marcel Morabito,
Recteur Maurice Quenet, Pr. Albert Rigaudière, Pr. Ettore Rotelli,
Pr. André Roux, Pr. Michael Stolleis & Pr. Michel Troper.

Mélanges réunis par le Comité d’organisation constitué de :

Pr. Jean-Philippe Agresti, Pr. Florent Blanco, M. Alexis Le Quinio,
Pr. François Quastana, Pr. Laurent Reverso, Mme Solange Ségala,
Pr. Mathieu Touzeil-Divina & Pr. Katia Weidenfeld.

Ouvrage publié par et avec le soutien du Collectif L’Unité du Droit
avec l’aide des Facultés de Droit
des Universités de Toulouse et d’Aix-Marseille
ainsi que l’appui généreux du
Centre d’Etudes et de Recherches d’Histoire
des Idées et des Institutions Politiques (Cerhiip)
& de l’Institut Louis Favoreu ; Groupe d’études et de recherches sur la justice constitutionnelle (Gerjc) de l’Université d’Aix-Marseille.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

« LE PARLEMENT, ECRAN AU CARRE ? » par le pr. Guy Carcassonne

Voici la 25e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 7e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012 : Le Parlement aux écrans !

Au sein de ce opus, nous avons choisi de publier les conclusions à ce colloque du regretté professeur Guy Carcassonne.

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume VII :
Le Parlement aux écrans !

Ouvrage collectif
(Direction : Mathieu Touzeil-Divina)

– Sortie : automne 2013 / Prix : 39 €

  • ISBN : 979-10-92684-01-8
  • ISSN : 2259-8812


Présentation :

Le présent ouvrage est le fruit d’un colloque qui s’est déroulé à l’Université du Maine le 05 avril 2013 dans le cadre de la 2ème édition des « 24 heures du Droit ». Co-organisé par le Collectif L’Unité du Droit et le laboratoire Themis-Um (ea 4333), il est dédié à la mémoire du professeur Guy Carcassonne qui fut l’un des membres de son conseil scientifique et dont l’allocution de clôture est ici reproduite in extenso en hommage. Le colloque « Le Parlement aux écrans ! » (réalisé grâce au soutien de l’Assemblée Nationale ainsi qu’avec le concours des chaînes parlementaires Public Sénat & Lcp-An) s’est en effet proposé de confronter le droit parlementaire et ses acteurs à tous les écrans : de communication(s), informatiques, réels ou encore de fiction(s). Comment les délégués d’une Nation (en France mais aussi à l’étranger) sont-ils incarnés et / ou représentés dans et par les écrans ? Les médias leur sont-ils singuliers ? L’existence de chaînes à proprement parler « parlementaires » est-elle opportune et efficiente ? En particulier, comment y est gérée la question du pluralisme et de l’autonomie financière ? Comment le cinéma, la fiction et finalement aussi peut-être le grand public des citoyens perçoivent-ils le Parlement et ses acteurs, leurs rôles, leurs moyens de pression ? Y cède-t-on facilement à l’antiparlementarisme ? Comment y traite-t-on des enjeux et des phénomènes parlementaires historiques et / ou contemporains ? Quelle y est la « mise en scène » parlementaire ? Existe-t-il, même, un droit de ou à une télévision camérale ?

Telles sont les questions dont le présent colloque a traité avec la participation exceptionnelle du maestro Costa-Gavras, de parlementaires (dont le Président Delperee et la députée Karamanli), d’administrateurs des Chambres, de journalistes caméraux et directeurs de chaînes, d’universitaires renommés (dont les professeurs Benetti, Ferradou, Guglielmi, Hourquebie, Millard, de Nanteuil, Touzeil-Divina et Mmes Gate, Mauguin-Helgeson, Nicolas & Willman) ainsi que d’étudiants des Universités du Maine et de Paris Ouest.

« Les juristes (…) et les politistes s’intéressent à cette scène particulière [le Parlement] avec intelligence, distance et humour. Ils ne laissent jamais indifférents lorsqu’ils donnent un sens à l’action des politiques sur cette scène originale. Ils interprètent, c’est un trait des juristes, les positions des politiques et leur façon de se mouvoir entre eux devant les citoyens. Plus encore ils donnent à voir les relations que les écrans, la fiction, a et entretient avec une réalité qui ressemble, elle-même, à une scène. Il y a un effet de miroir et de lumières très original que le cinéma n’est pas / plus seul à donner. Pour le comprendre il faut lire l’ensemble des contributions de ce colloque original, intelligent et libre, et qui rend plus intelligent et plus libre ».   Costa-Gavras

Colloque réalisé et ouvrage publié avec le concours du Collectif L’Unité du Droit, du groupe SRC de l’Assemblée Nationale ainsi que du laboratoire juridique Themis-Um.

« Le Parlement, Ecran au carre ? »
Allocution de clôture au colloque « Le Parlement aux écrans ! »
par M. le Professeur Guy Carcassonne

Le 05 avril 2013, à l’Université du Maine, le pr. Guy Carcassonne nous avait fait l’honneur de clôturer la 2nde édition des « 24 heures du Droit ». Membre du comité scientifique qui avait permis à cette manifestation de se matérialiser, il avait prononcé avec la verve et le talent qu’on lui connaît les mots suivants[1] :

Le Parlement : écran au carré ?

« Je vais déjà commencer par me singulariser de tous mes préopinants en ne remerciant pas Mathieu Touzeil-Divina. Non, je ne peux pas lui dire merci, parce qu’il me force à prendre la parole en dernier, à un moment où nous sommes ensemble depuis plus de huit heures, et où il me faut commencer par rendre hommage à votre endurance ; mais à ne pas en abuser ! Alors rassurez-vous, de toute façon, j’ai un train à prendre, donc je ne risque pas de m’étendre trop longuement dans ce propos terminal. Propos terminal, c’est là un second motif pour ne pas remercier Mathieu. Je ne sais pas véritablement ce qu’est l’objet car évidemment dans le temps qui m’est imparti pour des raisons ferroviaires, et que je veux demeurer limité pour des raisons humanitaires, je ne pourrai pas faire une synthèse d’une journée aussi riche. Faute de cela, je vais me borner à quelques remarques que m’ont inspirées les propos que j’ai entendus, et éventuellement quelques réflexions personnelles que je pourrais avoir sur le sujet.

La première pour dire que, cela a été évoqué mais à demi-mot seulement, nous sommes dans une situation curieuse : « Le Parlement aux écrans ». Qu’est-ce qu’un écran si ce n’est le lieu d’une représentation ? Et qu’est-ce qu’un Parlement si ce n’est le lieu d’une autre représentation ?

Donc nous sommes là sur de la représentation au carré… De l’écran au carré. Le Parlement est un écran, il est supposé être celui qui reflète, quel que nom qu’on lui donne, la volonté nationale, la souveraineté populaire, les citoyens ou le suffrage universel, peu importe. Donc, oui, la représentation nationale est bien une représentation. Alors comment peut-on représenter la représentation ? On en arrive à ce qui a été évoqué ce matin, mais dans un autre contexte, à une forme de mise en abîme qui, évidemment, ne peut que laisser perplexe. Perplexe aussi pour ceux qui connaissent, peut-être mieux que d’autres, pour les avoir pratiqués, les us et coutumes parlementaires, et plus généralement d’ailleurs l’exercice du pouvoir.

J’ai eu la chance, indépendamment de ma carrière universitaire, de fréquenter des lieux de pouvoir, beaucoup au Parlement, un peu au Gouvernement. Et chaque fois qu’ensuite, et je sais n’être pas le seul dans ce cas, j’ai vu des films, des séries, des téléfilms, peu importe, français, j’ai toujours trouvé qu’ils sonnaient faux, qu’il manquait quelque chose. Même lorsqu’ils étaient très bien faits, lorsqu’ils étaient riches, lorsque le scénario était intéressant, lorsqu’ils relataient quelque chose de passionnant (par exemple La séparation), il manquait toujours quelque chose. Il y avait quelque chose de profondément infidèle. Donc je me suis parfois demandé pourquoi. Je suis arrivé à une réponse qui est assez fruste mais pas forcément fausse.

Qu’est ce qui fait du bon cinéma ? Je ne suis pas un cinéphile averti mais comme tout le monde je vais au cinéma (moins souvent d’ailleurs que tout le monde) ; enfin je regarde quand même pas mal de choses, j’aime ça. En outre, ce que je vais dire relève exclusivement du droit commun. .Ce qui fait du bon cinéma, de bons écrans, c’est une bonne histoire, une bonne lumière, un bon décor, une bonne musique, une bonne mise en scène, de bons acteurs et de bons dialogues. Alors, comment trouver tout cela au Parlement ?

De bonnes histoires, il y en a beaucoup. Mais, il faut le reconnaitre, ce ne sont pas toujours des histoires très drôles. En plus, ce sont, cinquième République et fait majoritaire aidant, très rarement des histoires à rebondissements. Le seul rebondissement consiste tout simplement à ce que la loi, adoptée un jour, est abrogée quelques années plus tard, avant d’être reprise quelques années après. Enfin, c’est un rebondissement qui peut très facilement lasser le téléspectateur et qui, de toute façon, serait assez difficile à scénariser. Il y a de belles histoires au Parlement, des grands moments. Il y a de grands moments humains et parfois même de grands moments politiques. Tout cela pourrait être parfaitement cinématographique mais ça ne va pas de soi et ce n’est pas le tout-venant, évidemment, de la réalité parlementaire.

Une bonne lumière, c’est encore plus difficile. Aussi bien à l’Assemblée Nationale qu’au Sénat, il y a une lumière blême, blafarde. D’ailleurs, c’est techniquement très difficile ce qui y est réalisé. L’objectif est de faire en sorte qu’en séance de jour ou en séance de nuit, on ne perçoive pas la différence. De fait on ne la perçoit pas. Mais, évidemment, esthétiquement c’est assez appauvrissant. Pour un réalisateur ce serait un peu frustrant.

Le décor. Il est plutôt joli, plutôt pas mal, aussi bien à l’Assemblée Nationale qu’au Sénat, aussi bien dans l’hémicycle qu’en dehors. Mais enfin, il est un peu statique. Surtout, d’un film à l’autre, il ne change pas beaucoup. Alors, évidemment, suivant les époques, on peut masquer les micros, écarter la modernité. Donc on peut à la rigueur avoir une chambre troisième République, une chambre quatrième République, une chambre cinquième République…Et encore. Mais enfin, on ne peut pas dire qu’on a le sentiment que le décorateur a été spécialement inspiré et pourrait aspirer ni à un César, ni à un Oscar.

La musique n’en parlons pas, il n’y en a pas. Alors vous me direz, il n’y a pas non plus de musique dans les plaines du Far-West et néanmoins on en met sur les images que l’on diffuse. Mais on ne voit pas très bien quelle musique pourrait coller à quelles images. Tout dépend bien évidemment du reste : la lumière, l’histoire, etc.

La mise en scène est quand même très codée. Elle aussi est extrêmement répétitive. Alors certes, on peut imaginer un réalisateur qui manie le talent avec une inventivité et une créativité admirables. Il n’empêche que, au bout du compte, il y aura toujours des gens assis et l’un d’entre eux qui est debout, peut-être deux, qui plus est au même endroit, figés, sans bouger, enfin, en faisant quelques mouvements de bras. Mais sans s’éloigner exagérément du micro car sinon on ne les entend plus… Est-ce bête ? Donc les ressources de la mise en scène sont quand même assez pauvres. Ça ne facilite pas les choses.

De grands acteurs… Il y en a… Peu. Je fréquente le Parlement depuis 1978 (c’est-à-dire un petit peu avant Mathusalem). En trente-six ans, j’ai entendu, allez, trois ou quatre très bon orateurs. Il y avait Maurice Faure, il y avait Aimé Césaire… Ce ne sont pas les plus grandes carrières. J’ai le regret de dire qu’il y avait Jean-Marie Le Pen. Mais c’est à peu près tout. Parfois François Mitterrand mais pas souvent parce qu’il ne se donnait pas beaucoup de mal à l’Assemblée nationale. Il réservait son talent à d’autres enceintes. En dehors, j’oublie certainement un ou deux noms, ça oscille entre le médiocre et l’insupportable. Alors vous me direz qu’il faut de grands talents pour arriver à jouer un orateur médiocre ou insupportable ; mais c’est assez peu réjouissant. Celui qui monte à la tribune pour ânonner un discours intégralement écrit (généralement ce n’est pas forcément du Bossuet), qui baisse les yeux en permanence, qui est tout simplement dérouté par n’importe quelle interruption qui est faite, n’est pas une figure à laquelle on ait envie de s’attacher, de s’identifier… Et certainement pas un bon matériau cinématographique ou audiovisuel d’une manière générale. Donc il y a un vrai problème de ce côté-là.

Surtout, il y a la difficulté majeure, ce sont les dialogues. Tout à l’heure, l’un des orateurs a fait référence, de manière très amusante au demeurant, aux Tontons flingueurs donc à Michel Audiard. Cela suffit, rien qu’à citer son nom, à évoquer les merveilles de ce que sont de bons dialogues. Mais par définition, à l’Assemblée nationale et au Sénat, il ne peut pas y avoir de dialogues. Il n’y a pas, il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais de dialogues. Il y a des débats. Mais que sont des débats si ce n’est une suite de monologues ? C’est une suite de monologues, dont chacun dure deux, trois, quatre minutes, souvent plus d’ailleurs dans les débats historiques, qui sont exactement aux antipodes de ce qu’est un échange, de ce qu’est un dialogue avec ce qu’il implique de vivacité, de tac-au-tac, de capacité de réaction, de créativité, de jaillissement. Tout cela est purement et simplement interdit, techniquement interdit par le genre parlementaire. Les plus grands débats de la troisième, de la quatrième, de la cinquième République, ceux dont l’Assemblée a publié d’ailleurs des recueils extrêmement intéressants, qui ont été absolument prodigieux, extraordinaires, sont fascinants et éclairants à lire. Ils seraient insupportables à filmer, ou plus exactement à regarder filmés. Car, sauf à ce que, là encore, les comédiens soient spécialement inspirés pour les prononcer de la même manière que les orateurs avaient pu le faire, ce serait beaucoup trop long. Chaque intervention serait trop longue. Et évidemment, la durée de toutes les interventions pour respecter leur intégrité les rend insusceptibles d’être montrées. Ou alors il faudrait des films aussi longs que les séances elles-mêmes donc ça n’a pas de sens.

Je crois donc tout simplement que les sources de la frustration occasionnelle que je ressens chaque fois que je vois le Parlement à l’écran tiennent tout simplement à des raisons techniques, objectives. Longtemps, sans doute dans l’inconscience de ma jeunesse – c’était peut-être aussi la suffisance de la jeunesse -, j’incriminais l’inexpérience du pouvoir qu’avaient les scénaristes, les réalisateurs ou les metteurs en scène. A la vérité, non. Elle est beaucoup plus simple. Ce sont des éléments techniques qui, selon moi, rendent largement le genre parlementaire incompatible avec le genre cinématographique. Il y a évidemment des exceptions et nous en avons parlé tout au long de la journée mais, comme par hasard ce sont des exceptions dans lesquelles le Parlement joue un rôle éminent mais extraordinairement restreint quant à la durée de ce qui en est montré.

Non, décidément, le Parlement ne se prête pas à l’écran. Du coup, il est finalement assez compréhensible que le cinéma ne s’intéresse pas exagérément au Parlement ou en tout cas pas assidûment. Et après tout, ça nous rassure, car cela peut donner à penser que, contrairement à une idée reçue, le Parlement ne fait pas tant de cinéma que cela ».


[1] Le style oral de la contribution a été sciemment et volontairement conservé afin que l’on puisse ainsi quasiment « entendre » l’orateur s’exprimer. La retranscription du texte a été réalisée par M. Antonin Gelblat. Mercis à lui ainsi qu’au professeur Julie Benetti pour ses relectures. MTD.


Nota Bene
:
le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Le pacte faustien du droit administratif (par le pr. F. Melleray)

Voici la 24e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait des 8e & 9e livres de nos Editions dans la collection « Académique » :

les Mélanges en l’honneur
du professeur Jean-Louis Mestre.

Mélanges qui lui ont été remis
le 02 mars 2020

à Aix-en-Provence.

Vous trouverez ci-dessous une présentation desdits Mélanges.

Ces Mélanges forment les huitième & neuvième
numéros issus de la collection « Académique ».

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volumes VIII & IX :
Des racines du Droit

& des contentieux.
Mélanges en l’honneur du professeur Jean-Louis Mestre

Ouvrage collectif

– Nombre de pages : 442 & 516

– Sortie : mars 2020

– Prix : 129 € les deux volumes.

ISBN / EAN unique : 979-10-92684-28-5 / 9791092684285

ISSN : 2262-8630

Mots-Clefs :

Mélanges – Jean-Louis Mestre – Histoire du Droit – Histoire du contentieux – Histoire du droit administratif – Histoire du droit constitutionnel et des idées politiques – Histoire de l’enseignement du Droit et des doctrines

Présentation :

Cet ouvrage rend hommage, sous la forme universitaire des Mélanges, au Professeur Jean-Louis Mestre. Interrogeant les « racines » du Droit et des contentieux, il réunit (en quatre parties et deux volumes) les contributions (pour le Tome I) de :

Pr. Paolo Alvazzi del Fratte, Pr. Grégoire Bigot, M. Guillaume Boudou,
M. Julien Broch, Pr. Louis de Carbonnières, Pr. Francis Delpérée,
Pr. Michel Ganzin, Pr. Richard Ghevontian, Pr. Eric Gojosso,
Pr. Nader Hakim, Pr. Jean-Louis Halpérin, Pr. Jacky Hummel,
Pr. Olivier Jouanjan, Pr. Jacques Krynen, Pr. Alain Laquièze,
Pr. Catherine Lecomte, M. Alexis Le Quinio, M. Hervé Le Roy,
Pr. Martial Mathieu, Pr. Didier Maus, Pr. Ferdinand Melin-Soucramanien, Pr. Philippe Nélidoff, Pr. Marc Ortolani, Pr. Bernard Pacteau,
Pr. Xavier Philippe, Pr. François Quastana, Pr. Laurent Reverso,
Pr. Hugues Richard, Pr. André Roux, Pr. Thierry Santolini, M. Rémy Scialom, M. Ahmed Slimani, M. Olivier Tholozan,
Pr. Mathieu Touzeil-Divina & Pr. Michel Verpeaux,

… et pour le Tome II :

M. Stéphane Baudens, M. Fabrice Bin, Juge Jean-Claude Bonichot,
Pr. Marc Bouvet, Pr. Marie-Bernadette Bruguière, Pr. Christian Bruschi,
Prs. André & Danielle Cabanis, Pr. Chistian Chêne, Pr. Jean-Jacques Clère, Mme Anne-Sophie Condette-Marcant, Pr. Delphine Costa,
Mme Christiane Derobert-Ratel, Pr. Bernard Durand, M. Sébastien Evrard, Pr. Eric Gasparini, Père Jean-Louis Gazzaniga, Pr. Simon Gilbert,
Pr. Cédric Glineur, Pr. Xavier Godin, Pr. Pascale Gonod,
Pr. Gilles-J. Guglielmi, Pr. Jean-Louis Harouel, Pdt Daniel Labetoulle,
Pr. Olivier Le Bot, Pr. Antoine Leca, Pr. Fabrice Melleray,
Mme Christine Peny, Pr. Laurent Pfister, Pr. Benoît Plessix,
Pr. Jean-Marie Pontier, Pr. Thierry S. Renoux, Pr. Jean-Claude Ricci,
Pr. Albert Rigaudière, Pr. Ettore Rotelli, Mme Solange Ségala,
Pdt Bernard Stirn, Pr. Michael Stolleis, Pr. Arnaud Vergne,
Pr. Olivier Vernier & Pr. Katia Weidenfeld.

Mélanges placés sous le parrainage du Comité d’honneur des :

Pdt Hélène Aldebert, Pr. Marie-Bernadette Bruguière, Pr. Sabino Cassese, Pr. Francis Delpérée, Pr. Pierre Delvolvé, Pr. Bernard Durand,
Pr. Paolo Grossi, Pr. Anne Lefebvre-Teillard, Pr. Luca Mannori,
Pdt Jean Massot, Pr. Jacques Mestre, Pr. Marcel Morabito,
Recteur Maurice Quenet, Pr. Albert Rigaudière, Pr. Ettore Rotelli,
Pr. André Roux, Pr. Michael Stolleis & Pr. Michel Troper.

Mélanges réunis par le Comité d’organisation constitué de :

Pr. Jean-Philippe Agresti, Pr. Florent Blanco, M. Alexis Le Quinio,
Pr. François Quastana, Pr. Laurent Reverso, Mme Solange Ségala,
Pr. Mathieu Touzeil-Divina & Pr. Katia Weidenfeld.

Ouvrage publié par et avec le soutien du Collectif L’Unité du Droit
avec l’aide des Facultés de Droit
des Universités de Toulouse et d’Aix-Marseille
ainsi que l’appui généreux du
Centre d’Etudes et de Recherches d’Histoire
des Idées et des Institutions Politiques (Cerhiip)
& de l’Institut Louis Favoreu ; Groupe d’études et de recherches sur la justice constitutionnelle (Gerjc) de l’Université d’Aix-Marseille.

Le pacte faustien
du droit administratif

Fabrice Melleray
Professeur des Universités
à l’Ecole de droit de Sciences Po

La parution en 1887 du tome premier de la première édition du Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux[1] d’Edouard Laferriere marque assurément une date essentielle dans l’histoire du droit administratif français. La Préface de l’ouvrage, outre des développements passés à la postérité sur la classification des recours contentieux, se risque à proposer ce que doit être selon l’auteur la « méthode » qui s’impose dans l’étude du droit administratif. Laferriere distingue à cet égard « l’organisation administrative » d’une part et le « contentieux administratif » d’autre part et estime que le second « est à la fois la partie la plus générale, la plus juridique du Droit administratif » et qu’il convient de privilégier l’étude de la jurisprudence : « Pour le droit codifié, l’exégèse des textes est la méthode dominante, et la jurisprudence ne peut être qu’un auxiliaire ; pour le Droit administratif, c’est l’inverse ; l’abondance des textes, la diversité de leurs origines, le peu d’harmonie qu’ils ont souvent entre eux, risquent d’égarer le commentateur qui voudrait leur appliquer les mêmes méthodes qu’au droit codifié. La jurisprudence est ici la véritable source de la doctrine, parce qu’elle seule peut dégager les principes permanents des dispositions contingentes dans lesquelles ils sont enveloppés, établir une hiérarchie entre les textes, remédier à leur silence, à leur obscurité ou à leur insuffisance, en ayant recours aux principes généraux du Droit ou à l’équité ».

Cette analyse a immédiatement fait l’objet d’un tir nourri de Théophile Ducrocq[2], alors professeur à la Faculté de droit de Paris. Celui-ci récuse non seulement « le rôle assigné par l’auteur à la jurisprudence » (car l’idée manque selon lui « de base légale et recèle un péril, dans le sens d’une notion excessive des pouvoirs du juge administratif ») mais également la césure entre « organisation administrative » et « contentieux administratif », considérant qu’ « entre le contentieux administratif et l’organisation, il y a la plus grande partie de la législation administrative, à laquelle cette division ne fait pas de place ou ne lui en laisse qu’une insuffisante, en n’y voyant que l’accessoire des questions de compétence et de juridiction[3] ».

Ducrocq n’a toutefois pas été entendu et l’on sait ce qu’il est advenu. Laferriere est aujourd’hui considéré comme « le fondateur de l’étude moderne et scientifique du droit administratif et du droit du contentieux administratif[4] ». Sans doute y-a-t-il une part d’injustice dans le propos toujours cité de Gaston Jeze : « Enfin Laferriere vint, et, le premier en France, essaya d’apporter de l’ordre et de la méthode, d’expliquer les solutions de la pratique ; son immense mérite a été d’apporter les idées générales, les principes généraux qui se trouvent derrière toutes les solutions[5] ». Le droit administratif a, évidemment, été étudié par de grands esprits avant la fin du XIXe siècle et l’on n’a pas attendu 1883 et le cours de doctorat dispensé par Laferriere à la Faculté de droit de Paris pour s’intéresser à la jurisprudence du Conseil d’Etat[6]. Jean-Louis Mestre, si fin et si convaincant défenseur de l’existence d’un droit administratif sous l’Ancien Régime, ne démentirait à cet égard probablement pas l’appréciation suivant de Benoît Plessix qui, après avoir affirmé la « capacité de rupture [de Laferriere] avec la tradition doctrinale », souligne la profonde continuité entre les auteurs de l’Ancien Régime et ceux du XIXe siècle :« il n’existe aucune différence, sur le fond et sur la forme, entre les œuvres de Loyseau, de Domat ou de Delamare et celles de Gérando, de Macarel, de Cormenin ou de Ducrocq : dans tous les cas, il s’agit de répertoires déguisés qui trahissent aisément une conception institutionnelle et matérielle du droit administratif[7] ».

Mais il n’en demeure pas moins que l’œuvre de Laferriere marque un tournant et annonce l’avènement de « l’approche contentieuse du droit administratif » dont nul ne disconviendra sans doute qu’elle est, depuis plus d’un siècle maintenant, « dominante en France » pour reprendre les mots de Pascale Gonod[8]. Ce tournant contentieux a été rapidement pris par Maurice Hauriou (même si celui-ci, contrairement à ses successeurs, développera une conception ouverte de son activité d’arrêtiste et ne se limitera pas à celle-ci), comme il l’a lui-même reconnu dans la préface du recueil de ses Notes d’arrêts où il explique s’être jeté dès 1892 « en plein dans la conception contentieuse du droit administratif, laissant à droite l’ancien concept de l’organisation administrative qui n’avait rien de juridique et laissant à gauche la conception civiliste qui anticipait par trop sur l’évolution possible du droit administratif vers le droit commun[9] ». Achille Mestre pouvait ainsi écrire au début des années 1920, après une critique au vitriol de la doctrine antérieure, que « L’ouvrage classique de M. Laferriere nous apparaît aujourd’hui moins comme un traité spécial de la juridiction administrative que comme une large synthèse du droit administratif réalisée du point de vue du contentieux[10] ».

Hauriou développe dès la fin du XIXe siècle le thème, passé à la postérité et objet d’infinis débats, du « caractère prétorien du droit administratif français » : « Le droit administratif français a quelque chose de prétorien en ce sens qu’il se développe par la jurisprudence du Conseil d’Etat, autant et plus que par la loi (…) la loi y a moins d’importance que dans le Droit privé et (…) le juge en a davantage[11] ». Il reviendra ensuite à Gaston Jeze, puis à Marcel Waline, de tirer les conséquences de cette focalisation des investigations doctrinales sur la jurisprudence et d’en accentuer la dimension technicienne. Jeze tout d’abord, dans la célèbre Préface de la deuxième édition de ses Principes généraux du droit administratif[12], affirme qu’« il n’y a pas, actuellement, d’étude théorique possible sans un examen approfondi de la jurisprudence administrative », celle-ci constituant « la base sinon exclusive, du moins prépondérante », des investigations du « théoricien ». Il dresse ensuite le portrait de ce que devrait être la relation entre ce dernier (qui désigne ce que l’on nomme aujourd’hui plus couramment la doctrine universitaire) et le « praticien » (que l’on qualifie désormais, à la suite de Jean-Jacques Bienvenu, de membre de la « doctrine organique »). Au premier le recueil, le classement, l’explication des « faits » et la « synthèse critique ». Au second un travail qui n’est pas systématique » mais « forcément fragmentaire et décousu ». Cette « collaboration » entre le Conseil d’Etat et la doctrine semble ainsi déséquilibrée comme il l’affirme encore en 1952, quelques mois avant son décès : « Les professeurs paraissent jouir, dans le travail de systématisation du Droit administratif, d’un avantage sur le juge. Ce dernier n’étudie un problème général qu’à l’occasion d’une espèce qui lui est soumise. Il est pressé par le temps, par les évènements. Le théoricien, au contraire, a plus de loisirs pour se livrer aux analyses juridiques fécondes, aux recherches historiques, économiques et sociales qui dominent le droit[13] ».

Cette perspective va être prolongée par Marcel Waline qui centre comme Jeze l’analyse sur la jurisprudence et adopte une conception plus technicienne encore de l’office de la doctrine (alors que Jeze essayait de rattacher son analyse de la jurisprudence à un cadre théorique très systématique en partie emprunté à Léon Duguit). Celle-ci doit selon lui non seulement – eu égard aux lacunes du droit positif –« préparer » les solutions jurisprudentielles mais il convient également qu’elle « les systématise après coup (…) Les auteurs étudient ces solutions en apparence éparses, rassemblent les pièces de la mosaïque pour en faire apparaître le dessin. Ils montrent que les décisions rendues dans des espèces très variées sont l’application d’un même principe directeur. Ils opèrent la synthèse des solutions jurisprudentielles pour dégager des règles par la méthode inductive[14] ».

La doctrine universitaire a ainsi résolument fait le choix de délaisser les « matières administratives » au profit de la jurisprudence administrative, et ce pour des raisons rappelées par François Burdeau : « Si la doctrine universitaire se montre si bien disposée, c’est qu’elle sait que la dignité qu’elle a acquise est à mettre au crédit de l’activité juridictionnelle du conseil. Elle concourt au sacre d’un juge qui l’a lui-même élevée au niveau de sa consœur du droit privé. Car, avant l’épanouissement de la jurisprudence, qui a rendu possible l’entreprise de systématisation logique conduite à partir de l’analyse du contentieux, la discipline du droit administratif n’avait qu’une place subalterne et décriée parmi les différentes branches du droit[15] ». Un tel choix, s’il lui évite les difficultés rencontrées par les civilistes avec la « crise de l’interprétation » et le débat sur le vieillissement du Code civil à l’occasion de son centenaire au début du XXe siècle, renforce assurément la position des spécialistes de droit administratif au sein des facultés de droit. Le droit administratif apparaît alors comme la sous-discipline matricielle[16] d’une discipline, le droit public, en plein essor. Un peu comme si, en se plaçant dans le sillage du Conseil d’Etat, la doctrine administrativiste avait bénéficié de son aspiration.

Cette médaille a cependant au moins deux revers. Le premier est que combiné avec une approche résolument technique cet « idéal juridictionnel » où « la doctrine répète a priori ou a posteriori et de manière plus ample le scenario intellectuel de l’acte juridictionnel » a abouti à « la réduction considérable du champ réflexif[17] ». Il suffit à cet égard de comparer les vastes édifices spéculatifs construits par Hauriou ou Duguit à ceux réalisés par la suite. Le second est qu’elle condamne à peu près inéluctablement la doctrine universitaire à évoluer dans la foulée et même à certains égards dans l’ombre de la doctrine organique. Sans doute Jean Rivero s’est-il, dans une étude restée célèbre, efforcé de théoriser le « chœur à deux voix » de la doctrine et de la jurisprudence[18]. Sans doute Jeze prétendait-il lui aussi, comme on l’a déjà mentionné, faire la part belle aux « théoriciens ». Pour autant, comme le relève lucidement Pierre-Nicolas Barenot, il s’agit ici d’« un pseudo-pacte que l’Ecole n’a en réalité jamais passé qu’avec elle-même »et on ne peut que constater qu’« en droit administratif, le rôle moteur du Conseil d’Etat et le développement de sa jurisprudence ont donc à la fois dynamisé la matière, et sensiblement restreint le magistère et l’espace intellectuel de la doctrine universitaire[19] ». Yves Gaudemet n’écrit pas autre chose lorsqu’il souligne que la « dichotomie au sein de la doctrine publiciste a évolué au cours du temps autour d’une hiérarchie de valeurs. D’une doctrine publiciste autonome (…) la doctrine publiciste s’est trop facilement convertie en une doctrine dépendante de la jurisprudence. Les commentaires de jurisprudence ont pris une place fondamentale dans ses travaux, au détriment d’une réflexion plus profonde (…) La doctrine publiciste est trop souvent une doctrine de l’immédiateté, en somme une doctrine qui s’en tient à « l’écume des jours » de la jurisprudence[20] ». Le commercialiste Edmond Thaller avait d’ailleurs perçu dès 1900 que la focalisation de la doctrine universitaire sur la jurisprudence remettait en cause son indépendance : « La Faculté se subordonne trop au Palais, elle se laisse prendre par lui en remorque. Nous critiquons ses arrêts, il est trop tard alors pour les changer. Je revendique pour nous une mission plus indépendante. Nous devons former le magistrat lorsqu’il est encore sur nos bancs. Le former au moyen de la jurisprudence elle-même, a tout l’air d’un cercle vicieux. Les arrêts ne doivent intervenir qu’au second plan, à titre de vérification d’une doctrine présentée d’abord en dehors d’eux[21] ». Il n’a pas été entendu par ses collègues publicistes…Ceux-ci se placent alors, comme l’a montré Xavier Magnon dans « une aporie. Le discours du juge est à la fois objet du discours doctrinal et instrument de la validité de celui-ci » et « la prétention à la scientificité du discours doctrinal à partir d’un empirisme jurisprudentiel apparaît comme un piège. La tentation empiriste conduit à une circularité de la pensée doctrinale[22] ».

C’est en ce sens que l’on peut parler de pacte faustien et il y a là une différence entre droit civil et droit administratif français. Si ces deux disciplines s’inscrivent en effet, comme on s’est efforcé de le démontrer avec Christophe Jamin[23], dans un même modèle doctrinal mêlant primat de la technique et de la systématisation et exclusion du politique ainsi que méfiance vis-à-vis des sciences sociales, elles se différencient sur la question ici en cause. Avec sinon un paradoxe au moins une ironie de l’histoire : pour essayer de s’élever au niveau des civilistes au sein des facultés de droit les administrativistes ont dû renoncer à exercer vis-à-vis du Conseil d’Etat le magistère que les civilistes jouent encore vis-à-vis de la Cour de cassation…


[1] E. Laferriere, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Berger-Levrault, tome 1, 1ère éd., 1887, p. IV-VII.

[2] Bibliographie, Rgd, 1887, p. 460-473, spéc. p. 466 et p. 471.

[3] Voir également sur ce point, exprimées de manière certes plus discrètes, les réserves convergentes de Léon Aucoc dans sa recension de l’ouvrage de Laferriere (Rclj, 1887, p. 57-64 et 1888, p. 690-701, spéc. p. 690‑691).

[4] R. Chapus, Droit administratif général, Montchrestien, tome 1, 1ère éd., 1985, n° 25.

[5] G. Jeze, Les principes généraux du droit administratif, préface de la deuxième édition, Giard et Brière, tome 1, 3e éd., 1925, p. XII.

[6] V. à cet égard la synthèse de M. Touzeil-Divina, La doctrine publiciste 1800-1880, préface J.-L. Mestre, Editions La Mémoire du Droit, 2009. Et sur l’originalité et l’apport de Laferriere, v. en particulier P. Gonod, Edouard Laferriere. Un juriste au service de la République, préface G. Braibant, Lgdj, 1997 et du même auteur « La place du Traité de la juridiction administrative d’Edouard Laferriere dans l’évolution du droit administratif français », Annuaire d’histoire administrative européenne, volume 8, 1996, p. 87-107.

[7] B. Plessix, L’utilisation du droit civil dans l’élaboration du droit administratif, Editions Panthéon Assas, préface J.-J. Bienvenu, 2003, spéc. n° 391 et 394. V. également B. Plessix, « Nicolas Delamare ou les fondations du droit administratif français », Droits, n° 38, 2003, p. 113-133, qui conclut que « la science du droit administratif moderne (…) n’est manifestement née qu’avec Laferriere et Hauriou ; car avant, de Gerando à Aucoc, c’est l’Ancien Régime qui s’est poursuivi » (spéc. p. 133).

[8] P. Gonod, « L’étude du procès administratif », in Un avocat dans l’histoire. En mémoire de Arnaud Lyon-Caen, Dalloz, 2013, p. 165-176, spéc. p. 165.

[9] Préface, in Notes d’arrêts sur décisions du Conseil d’Etat et du Tribunal des conflits publiées au Recueil Sirey de 1892 à 1928, tome 1, Sirey, 1929, p. VII.

[10] A. Mestre, « L’évolution du droit administratif (doctrine) de 1869 à 1919 », in Les transformations du droit dans les principaux pays depuis cinquante ans (1869-1919). Livre du cinquantenaire de la société de législation comparée, tome II, Lgdj, 1923, p. 19-34, spéc. p. 33.

[11] M. Hauriou, « Droit administratif », in Répertoire du droit administratif, tome XIV, Dupont, 1897, p. 1‑28, spéc. p. 10.

[12] Dont des extraits sont reproduits dans « De l’utilité pratique des études théoriques de jurisprudence pour l’élaboration et le développement de la science du droit public. Rôle du théoricien dans l’examen des arrêts des tribunaux », Rdp, 1914, p. 312-323.

[13] G. Jeze, « Collaboration du Conseil d’Etat et de la doctrine dans l’élaboration du droit administratif français », in Conseil d’Etat, Livre jubilaire publié pour commémorer son 150e anniversaire, Sirey, 1952, p. 347-349, spéc. p. 349 où Jeze ajoute cependant que « cet avantage disparaît peu à peu. Beaucoup de magistrats du Conseil d’Etat sont aussi professeurs, maîtres de conférences, ils écrivent assez régulièrement dans les revues juridiques ».

[14] M. Waline, Traité élémentaire de droit administratif, 6e éd., Sirey, 1950, spéc. p. 163.

[15] F. Burdeau, « Du sacre au massacre d’un juge. La doctrine et le Conseil d’Etat statuant au contentieux », in Mélanges Henri-Daniel Cosnard, Economica, 1990, p. 309-317, spéc. p. 314.

[16] G. Richard, Enseigner le droit public à Paris sous la troisième République, préface de J.-L. Halperin et E. Millard, Dalloz, 2015, spéc. p. 655 et s.

[17] J.-J. Bienvenu, « Remarques sur quelques tendances de la doctrine contemporaine en droit administratif », Droits, n°1, 1985, p. 153-160, spéc. p. 154.

[18] J. Rivero, « Jurisprudence et doctrine dans l’élaboration du droit administratif », Edce, 1955, n° 9, p. 27‑36.

[19] P.-N. Barenot, Entre théorie et pratique : les recueils de jurisprudence miroirs de la pensée juridique (1789-1914), thèse Bordeaux, 2014, spéc. p. 369-383.

[20] Y. Gaudemet, « Réflexions sur le rôle de la doctrine en droit public aujourd’hui », Revue de droit d’Assas, 2011, n° 4, p. 31-33, spéc. p. 31.

[21] E. Thaller, Préface au Traité de droit commercial, Rousseau, 2e éd., 1900, p. VI.

[22] X. Magnon, commentaire de G. Vedel, Les bases constitutionnelles du droit administratif, in W. Mastor et alii, Les grands discours de la culture juridique, préface de Robert Badinter, Dalloz, 2017, p. 841-865, spéc. p. 862-863.

[23] C. Jamin et F. Melleray, Droit civil et droit administratif. Dialogue(s) sur un modèle doctrinal, Dalloz, 2018.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

De la résistance collective dans la Casa de Papel (par Marie Koehl)

Voici la 53e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 27e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.

L’extrait choisi est celui de l’article de Mme Marie KOEHL à propos de résistance collective dans la websérie La Casa de Papel. L’article est issu de l’ouvrage Lectures juridiques de fictions.

Cet ouvrage forme le vingt-septième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».
En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume XXVII :
Lectures juridiques de fictions.
De la Littérature à la Pop-culture !

Ouvrage collectif sous la direction de
Mathieu Touzeil-Divina & Stéphanie Douteaud

– Nombre de pages : 190
– Sortie : mars 2020
– Prix : 29 €

– ISBN  / EAN : 979-10-92684-38-4
/ 9791092684384

– ISSN : 2259-8812

De la résistance collective
dans la Casa de Papel

Marie Koehl
Docteure en droit privé, Université Paris Nanterre,
Membre du Collectif L’Unité du Droit

« La lutte contre les inégalités sociales est le grand dessein collectif qu’une nation devrait se donner[1] ». Cette citation d’un académicien français du XXe siècle constitue l’essence de la série Casa de Papel. La notion de « collectif », du latin collectivius, signifie « ce qui groupe, ce qui rassemble », « qui concerne un ensemble de personnes unies par une communauté d’intérêts ou impliquées par une action commune[2] ». Le jeu collectif n’est pas réservé aux seuls sportifs : en atteste l’objectif principal du Collectif L’Unité du Droit (Clud[3]) de relier les juristes entre eux[4]. Le collectif « relie » en effet les individus et c’est sur une communauté d’intérêts que repose ce lien[5].

Casa de Papel peut être perçue comme une allégorie sur la résistance et sur la nécessité d’inventer ensemble une autre organisation sociale. Au-delà de l’intrigue, de l’action et de l’esthétique de cette fiction, c’est un acte politique qui est donné à voir au spectateur. On peut y déceler un message sur l’importance de penser par soi-même, d’abandonner la passivité et de s’indigner contre l’oppression. L’indignation n’est-ce pas « le motif de base de la Résistance[6] » ? Dans notre monde actuel, les raisons de s’indigner sont nombreuses et diverses. La crise des migrants, les écarts grandissants entre les plus pauvres et les plus riches[7], l’état de la planète, la financiarisation, etc. Il nous appartient donc de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers, dans laquelle les inégalités sociales demeurent fermement combattues[8]. Chacun a ses motifs d’indignation fondant son engagement politique. Ceux des braqueurs de la série résident essentiellement dans l’arbitraire étatique et la faillibilité du système ultracapitaliste. L’histoire repose, en effet, sur la préparation et le déroulement d’un spectaculaire braquage au sein de la Banque d’Espagne[9] par un groupe de braqueurs répondant aux ordres d’un seul homme : le Professeur. Portant tous des combinaisons rouges et un masque de Dali, et affublés du nom d’une capitale, ils forment un tout indissociable, un véritable « collectif » poursuivant un but politique commun.

Si l’action collective est saisie par le droit qu’il appréhende pour protéger des intérêts variés (syndicats, associations, collectivité des salariés, action de groupe, etc.), elle est aussi parfois un projet commun de ses membres réalisé en dehors du cadre légal. Tel est le cas de l’action menée par l’équipe du Professeur. Le sujet se révèle d’une actualité brûlante. Les actions collectives se font nombreuses pour pallier la carence de l’Etat dans certains domaines : le mouvement des Indignés[10] et de Nuit debout[11], l’« affaire du siècle » en matière d’écologie[12], les Collectifs anti-mafia[13] en sont des exemples topiques. Aujourd’hui, ce sont les Gilets jaunes qui essaiment leurs revendications sociales, aussi bien dans les campagnes que dans les villes. Cette contestation collective citoyenne, née il y a tout juste un an, nous servira d’ailleurs de fil conducteur pour la lecture de la troisième partie de cette série éminemment engagée. En effet, il illustre la force du collectif de se soulever en faveur de l’égalité. Pour ce faire, il conviendra, d’abord, d’appréhender les raisons de la rébellion des braqueurs (I), tout en nous interrogeant sur nos propres préoccupations actuelles. Nous verrons, ensuite, les moyens de la révolte du groupe, fondée sur la non-violence (II). Pour, enfin, tenter de comprendre ce que cette lutte collective révèle, notamment en restaurant le lien social (III).

I. Les raisons : mettre au jour les abus de pouvoir

La révélation des dérives du pouvoir étatique. Les deux premières parties[14] de la série ont pour but de mettre en lumière la révolte contre la pensée productiviste et la course à la compétitivité et à l’argent. La troisième partie repose davantage sur l’opacité de l’Etat et la mise au jour des « scandales » du pouvoir. A différents égards, la série nous conduit à réfléchir sur le propre fonctionnement de notre Etat. En ce sens, le cri de colère des braqueurs est à rapprocher de celui du mouvement populaire des Gilets jaunes en France. La liste est longue pour illustrer les dysfonctionnements du système étatique et l’absence de confiance dans le système institutionnel et électoral français. Nombreuses sont les affaires qui révèlent une « voyoucratie » patente dans les dernières décennies : mises en examen d’un ancien président de la République pour financement illégal de campagne et recel de fonds publics, condamnations d’un ancien ministre de l’Economie et des finances et d’un maire levalloisien pour fraude fiscale, emplois fictifs, la « Françafrique », écoutes illégales d’opposants par la cellule de l’Elysée mitterrandienne, etc. Ces affaires d’Etat montrent « un mélange des genres entre réseau étatique et intérêts privés[15] ».

Dans la partie III de Casa de Papel, c’est ce même sentiment d’impunité des représentants de l’Etat qui est mis en avant. L’équipe des braqueurs a une arme fortement dissuasive à l’encontre des autorités : ils détiennent 24 mallettes rouges contenant les plus importants secrets d’Etat, aussi bien nationaux qu’internationaux, pouvant ainsi mettre à mal la réputation de nombreux gouvernements. L’un des éléments qui intrigue le spectateur réside d’ailleurs dans le contenu de ces mallettes, resté inconnu. Ce que l’on voit, en revanche, ce sont les abus à l’encontre des détenus. En effet, toujours dans un but d’une transparence et d’exemplarité accrue de l’Etat, l’un des principaux combats menés par le groupe est celui de la dénonciation de la torture des détenus par la police. L’équipe du Professeur révèle l’affaire Cortés dans laquelle il est question de traitements inhumains et dégradants sur le détenu Cortés, dit Rio, membre du groupe des braqueurs lors du premier braquage[16]. Afin qu’il livre à la police des informations sur Le Professeur, Rio a été détenu dans une cellule sans lumière de la taille d’un cercueil, en étant privé de sommeil et drogué. Résultant de « traitements inhumains délibérés provoquant de fortes graves et cruelles souffrances », la torture est fermement sanctionnée dans la réalité[17]. Sur un autre plan, ce message véhiculé par la série n’est pas sans rappeler certaines « dérives » qui touchent l’institution policière en France. Elles ne s’assimilent pas aux actes de « torture » vus dans la série car elles concernent des faits de violence instantanés sans extorsion d’aveux[18]. Mais ces affaires constituent une autre forme de dérive étatique manifestant une inégalité criante. D’autres abus de pouvoir, touchant les questions fiscale, sociale et démocratique, sont également mis au jour dans cette troisième partie.

Les questions fiscale, sociale et démocratique. Né d’une contestation contre la hausse du carburant, le mouvement des Gilets jaunes entend défendre l’égalité sociale et lutter contre l’injustice fiscale et l’arbitraire étatique. La question fiscale a, en effet, été le révélateur du mouvement avec notamment la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (Isf), remplacé par un impôt sur la fortune immobilière (Ifi), les cadeaux fiscaux faits aux actionnaires du Cac 40 et aux grandes entreprises, et « dans le même temps » l’augmentation de la Csg, frappant les pensions de retraite. L’incompréhension est d’autant plus importante que parallèlement à ces mesures, l’Etat réduit les services publics[19]. Le mouvement révèle le sentiment d’injustice et la volonté de protection des intérêts économiques d’une minorité. La révolte populaire a pris peu à peu de l’ampleur avec, ensuite, en toile de fond la question sociale et démocratique.

Le mouvement a conduit à mettre en exergue les déconstructions du monde du travail et à réfléchir aux solutions qui s’imposent. Le marché du travail est en tension : il évolue en opposant encore plus nettement, comme aux Etats-Unis, des lovely jobs, bien payés et protégés, d’un côté, et des emplois peu qualifiés, mal rémunérés, les bullshit jobs, de l’autre côté. Ces travailleurs d’un genre nouveau sont placés dans une situation de précarité qui résulte de l’exclusion de la qualité de salarié ou d’un fractionnement des périodes d’emploi par le recours au travail intérimaire, à durée déterminée et à temps partiel[20]. Le constat est aussi celui de la promotion des travailleurs indépendants mal protégés, ne pouvant compter sur la propriété (d’un fonds de commerce par exemple) et au service de leur unique donneur d’ordre, galvanisés par les potentialités qu’offrent les plateformes numériques[21]. La revendication des Gilets jaunes n’est donc pas tournée vers l’employeur mais vers l’Etat, ce ne sont plus alors les patrons qui ont été visés mais davantage les riches et les élites.

C’est ce sentiment d’injustice sociale, cette incertitude du lendemain, de ces nouveaux travailleurs et de ceux qui opèrent hors du modèle de l’emploi[22], qu’il convient d’apaiser. Certains en appellent ainsi de leurs vœux d’une volonté politique forte car « le marché du travail évolue sans intervention de l’homme, alors que les institutions qui l’organisent nécessitent, elles, cette intervention pour s’adapter. Cet aggiornamento imposerait assurément une reprise en main étatique, le déploiement de services publics qui ne sont d’ailleurs en rien contraires à un libre espace offert au marché, pour peu que l’on souhaite un marché juste et non juste le marché[23] ». Cependant, il ne semble pas que le Gouvernement ait pris cette voie : dès la fin du grand débat national, c’est davantage celle de la remise en cause des « 35 heures » pour « remettre les Français au travail[24] » ainsi que la réforme des retraites qui ont été prises.

Enfin, derrière le soulèvement des Gilets jaunes se niche immanquablement la question démocratique. Malgré l’hétérogénéité du groupe, les manifestants ont en commun, notamment, un désaveu des citoyens envers la classe politique. Pour y pallier, des propositions sont faites dans des « Cahiers de doléances » et un referendum d’initiative citoyenne est souhaité. Plus globalement, ils s’emparent de la question institutionnelle en remettant en cause le pouvoir présidentiel[25].

Dans la partie 3 de Casa de Papel, ces questions sociale et démocratique sont moins mises en relief que dans les parties précédentes mais elles sont tout au long des épisodes suggérées. Le lieu du braquage, la Banque d’Espagne, n’est d’ailleurs pas anodin. Plus encore, le réalisateur, Alex Pina, s’est fortement inspiré du mouvement des Indignés, rassemblant, en 2011 à la Puerta Del Sol à Madrid, des manifestants pacifistes contre l’austérité et le chômage. Comme le masque de certains d’entre eux, les Anonymous, le réalisateur a choisi pour ses braqueurs le masque de Dali, peintre excentrique du XXe siècle que l’on surnommait « Avida Dollars » en raison de son rapport particulier à l’argent. Ce symbole évoque donc l’acte politique derrière le braquage, à savoir l’idée de la nécessité de réinventer une autre organisation sociale et de démontrer la faillibilité du système capitaliste. Pour révéler les limites du pouvoir étatique et de la recherche incessante du profit, et afin d’être compris par le plus grand nombre, l’équipe du Professeur a choisi la voie pacifique.

II. Les moyens : appeler à une insurrection pacifique

Une insurrection organisée. A la différence de la série où le groupe est organisé et sous les ordres du Professeur, il y a une absence de structuration du mouvement des Gilets jaunes. On y observe, en effet, un désordre dans l’ordonnancement des idées et dans l’organisation générale. Il souffre de l’absence d’une ligne directrice claire et de représentants officiels, malgré l’émergence de quelques figures médiatiques. Il s’oppose en ce sens au mouvement des « coordinations » (Sncf, infirmières, etc.) des années 1980, lequel a prospéré en dehors des syndicats, mais où existait de véritables leaders.

Dans Casa de Papel, les braqueurs agissent de concert, de façon précise et méthodique, dans un but politique commun. Ils acceptent les règles du jeu dictées par le Professeur en associant leurs forces. Ils sont ainsi unis par-delà l’hétérogénéité du groupe où chacun poursuit un intérêt qui lui est propre. Le Professeur réalise, lui, le plan de son père, mort dans un braquage, quand Tokyo souhaite libérer celui qu’elle aime. Mais au fond, tous résistent ensemble au pouvoir, devenant les acteurs et maîtres des destins individuels et collectifs des « Autres ». Cette idée du « collectif » défendue par le réalisateur conduit ainsi le spectateur à s’insurger contre la politique de l’entre-soi.

Cette « désobéissance civile[26] » organisée se propage au-delà des murs de la Banque d’Espagne puisque des manifestations spontanées apparaissent rapidement en soutien à l’équipe.

Le droit de manifester porté à l’écran. Les scènes où l’on voit de nombreux manifestants, habillés comme les braqueurs et brandissant l’image du visage de Dali, en appui à leur action, sont certes courtes et rapides mais elles sont distillées tout au long de la série et dans quasiment chaque épisode, ne manquant pas, encore, de faire écho à l’actualité. Le mouvement des Gilets jaunes offre en effet un terrain nouveau d’analyse au droit de manifester[27]. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme protège également ce droit dans son article 9 : « La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». Le Code pénal ainsi que le Code de la sécurité intérieure[28] conditionnent le recours à la force aux principes d’absolue nécessité, de proportionnalité et de réversibilité. Par exemple, le Code pénal en son article 431-1 punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende « le fait d’entraver d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la liberté d’expression, du travail, d’association, de réunion ou de manifestation ». L’alinéa 3 de l’article précise qu’est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende l’entrave exercée « d’une manière concertée et à l’aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations au sens du présent code ». En outre, en France, les citoyens doivent déclarer préalablement les manifestations sur la voie publique. Cette déclaration s’exerce en mairie ou en préfecture entre trois jours francs (48h à Paris) et quinze jours francs avant la date prévue. Depuis l’origine, le mouvement des Gilets jaunes est spontané et un certain nombre de manifestations n’a pas été déclaré, au risque pour les manifestants de se voir condamnés à une amende[29].

Malgré cet encadrement textuel, le mouvement a mis en lumière la multiplication des tensions et des incidents entre les forces de l’ordre et les participants aux manifestations. L’état des lieux d’une année de mobilisations spontanées peut effrayer : plusieurs centaines de blessés côté manifestants et côté forces de l’ordre, deux morts « indirects », des milliers d’interpellations, des gardes à vue, des procédures judiciaires, des biens détruits, des black blocs[30] présents régulièrement en marge des cortèges[31]. Un arsenal répressif lourd a, de ce fait, été mis en place rapidement afin de maintenir l’ordre lors des manifestations. De nombreuses Ong, dont Attac et Amnesty International[32], ont dénoncé le gazage et l’encerclement des manifestants pacifiques. De même, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe invitait, en février dernier, les autorités françaises à « ne pas apporter de restrictions excessives à la liberté de réunion pacifique » et à « suspendre l’usage du lanceur de balle de défense », responsable de blessures et mutilations graves. La Haut-commissaire aux droits de l’homme de l’Onu a également enjoint la France à mener une enquête approfondie sur tous les cas d’usage excessif de la force survenus pendant les manifestations des Gilets jaunes.

Ce clivage entre forces de l’ordre et manifestants est notamment décrit dans le rapport remis à l’Assemblée nationale en janvier 2018 sur le maintien de l’ordre, par le Défenseur des droits. Il y reconnaît une « perte de confiance de la population à l’égard des forces de l’ordre », tout en pointant un véritable « malaise policier[33] ». D’un côté, la population s’insurge contre les dérives policières et la rupture d’égalité entre les manifestants et les forces de l’ordre face à la justice. Sur ce dernier point, la mise en cause individuelle de policiers s’avère complexe et peu de condamnations sont prononcées à leur encontre. Certains avocats préconisent donc à leurs clients des actions collectives, au tribunal administratif notamment, contre l’Etat, du fait de ses ordres dans le cadre du maintien de l’ordre[34].

De l’autre côté, les forces de l’ordre s’estiment « faire l’objet d’une violence croissante et inédite », et ne se sentent pas « soutenues par leur hiérarchie » ni « reconnues par la population, dans un contexte de fortes sollicitations professionnelles[35] ». Le rapport préconise alors diverses mesures comme le renforcement des exigences de formation et de contrôle en matière de maintien de l’ordre, d’information des manifestants afin de rendre l’action des forces de l’ordre plus compréhensible et l’accomplissement de missions de prévention. Ces préconisations faites dans une approche d’apaisement et de protection sont à privilégier, tout comme des soulèvements non-violents.

Le mouvement des Gilets jaunes évoque donc à bien des égards les grandes émeutes populaires. De la Révolution française à mai 1968, en passant par la période insurrectionnelle de la Commune de Paris de 1871 et les grèves de 1936, les droits ont souvent été conquis par des révoltes agitées. D’ailleurs, la violence du peuple ne naît-elle pas de la violence institutionnelle, celle qui entretient les dominations, de façon silencieuse ? On peut y voir d’une certaine manière, la violence étatique contre la violence sociale. En effet, « il faut comprendre la violence comme une regrettable conclusion de situations inacceptables pour ceux qui les subissent[36] ». Si la violence est compréhensible, elle n’est pas acceptable. Surtout, elle ne permet pas d’obtenir les résultats espérés.

Une insurrection non-violente. Dans la série, les différentes saisons offrent nombre de scènes violentes dans lesquelles les braqueurs utilisent la force pour faire respecter l’ordre parmi les otages. Ils n’hésitent pas à pointer leurs armes pour dissuader les otages de se révolter. Certaines scènes mettent parfois le spectateur dans une situation paradoxale : il est gêné, même embarrassé, de lire la peur dans le regard des otages et, dans le même temps, il se place du côté des braqueurs, espérant qu’aucun incident ne perturbe le déroulement de leur plan. Parfois, donc, l’équipe est dépassée par des événements inattendus et fait montre d’autorité. Toutefois, la série se veut pacifiste. C’est là même le cœur du scénario. Les braqueurs font preuve d’un sens moral : même s’ils enfreignent le droit en retenant des femmes et des hommes en otage, ils accomplissent leur plan pacifiquement. Une scène de cette troisième partie résume bien leur dessein. Il s’agit d’une vidéo envoyée par l’équipe du Professeur aux inspecteurs dans laquelle on voit des policiers pris en otage et attachés torse-nu délivrant un message pour le monde extérieur. De prime abord, la séquence parait violente et choquante en raison de l’humiliation qu’ils subissent. Néanmoins, les braqueurs font passer un message de non-violence en leur demandant de confirmer qu’ils ne subissent aucun sévices et en leur faisant chanter Bella Ciao, chant des résistants omniprésent dans les deux premières parties. Cette chanson populaire venue d’Italie est un marqueur fort de la série car elle est un hymne partisan de résistance au fascisme, devenue par la suite une déclaration de refus de toute forme d’oppression. Dans Casa de Papel, elle représente la révolte face à l’autorité financière et à l’opacité du pouvoir étatique. En cela, elle est un véritable message d’espoir. Sartre disait en ce sens qu’« il faut essayer d’expliquer pourquoi le monde de maintenant, qui est horrible, n’est qu’un moment dans le long développement historique, que l’espoir a toujours été une des forces dominantes des révolutions et des insurrections[37] ».

Cette insurrection pacifique et le message d’espoir qu’elle relaye permettent de dépasser les conflits par une compréhension mutuelle. Les représentants de l’Etat sont, dès lors, embarrassés par l’efficacité de cette voie de la non-violence prise par les braqueurs car elle suscite l’appui et la compréhension de ceux qui s’opposent à l’oppression[38]. En effet, Le Professeur rend sa démarche légitime en cherchant le soutien de l’opinion publique[39]. A cet effet, un jeu avec les médias se joue tout au long de la série.

Les médias et les réseaux sociaux, relais essentiels de l’information. En quête d’audiences, les médias cèdent parfois à la facilité des commentaires au détriment de la recherche de la vérité. Or, l’information est aussi « un champ de bataille où se joue l’exercice d’un droit fondamental : le droit de savoir[40] », lequel est « du faible au fort, l’arme pacifique de l’émancipation par la connaissance[41] ». Ainsi, durant le mouvement des Gilets jaunes, on peut aisément constater que certains médias ont « voulu vendre du papier » en pointant essentiellement les faits de violence pendant les manifestations. Dans une certaine mesure, cette stratégie a délégitimé les manifestations et décrédibilisé le mouvement. Dans la série, on observe également l’importance des médias, vrai relai de communication de l’équipe. Le Professeur a bien compris que pour être efficace, il faut agir en réseaux. Il se sert donc volontiers des médias et des nouvelles technologies de l’information pour faire passer son message. A l’instar des lanceurs d’alerte, il souhaite par le biais des chaînes d’information révéler les travers du pouvoir étatique. Sa méthode de communication se révèle être un succès puisque l’opinion publique lui est favorable au vu de la propagation de manifestations spontanées. Ce soutien se ressent jusque dans les zones reculées du pays puisque des agriculteurs, dans un coin semble-t-il isolé, viennent en aide au Professeur et à Lisbonne. La troisième partie rappelle donc au spectateur l’importance des médias et la puissance de l’immédiateté des réseaux sociaux, et sous-tend qu’une véritable démocratie nécessite incontestablement une presse indépendante.

Quoi qu’il en soit, le braquage aura au moins eu le mérite de porter aux yeux de tous le combat de ces braqueurs, auparavant délaissés par l’Etat.

III. Les résultats : rendre visibles « les oubliés »

La légitimité démocratique. L’embrasement populaire, à travers l’action des braqueurs et les manifestations devant la Banque d’Espagne, rappelle que le peuple est la source du pouvoir démocratique. Le « peuple » « ne s’appréhende plus comme une masse homogène, il s’éprouve plutôt comme une succession d’histoires singulières. […]. C’est pourquoi les sociétés contemporaines se comprennent de plus en plus à partir de la notion de minorité. La minorité n’est plus la « petite part » (devant s’incliner devant une « grande part ») : elle est devenue une des multiples expressions diffractées de la totalité sociale[42] ». Aujourd’hui, la seule légitimité démocratique par l’élection est remise en cause. L’élection a, en effet, une fonction plus réduite ne faisant que valider un mode de désignation des gouvernants et n’impliquant pas qu’un gouvernement soit au service de l’intérêt général. Partant, on assiste à l’apparition de nouvelles attentes citoyennes à voir s’instaurer un régime serviteur de l’intérêt général et, donc, à l’émergence de nouvelles figures démocratiques. Ces autres formes d’investissement politique se sont donc révélées, à la fois concurrentes et complémentaires à la figure du « peuple-électeur[43] ». Pour le dire autrement, il s’agit d’une réinvention de la démocratie qui ne saurait se limiter au droit de vote.

Les Gilets jaunes incarnent, eux-aussi, dans son sens pratique, l’idée de démocratie définie comme « l’action qui sans cesse arrache aux gouvernements oligarchiques le monopole de la vie publique et à la richesse la toute-puissance sur les vies[44] ». C’est, en somme, la victoire des « oubliés », devenus de véritables acteurs autonomes de leur propre histoire et non plus « sujets » d’une histoire politique[45]. Les actes de violence réalisés par des groupes irréductibles d’extrémistes ont souvent masqué le fait que la grande majorité des manifestants ont pourtant discuté pacifiquement des heures durant, souvent dans le froid et sous la pluie, de revendications variées. Oubliées également les scènes de fraternité observées sur les ronds-points ou dans les baraquements, rappelant que certains Gilets jaunes souhaitaient seulement sortir de l’isolement. L’on découvrait, notamment, à cette occasion l’isolement important des femmes : plus d’une femme majeure sur deux, vit seule en France[46]. De même, la rentabilité immédiate, les politiques ultra-libérales creusent les inégalités contre les solidarités collectives[47]. Et c’est parce que l’Etat a justement tourné le dos « au souci du commun[48] » que la révolte des oubliés[49] a tonné, créant un temps nouveau au dialogue.

L’arrêt du temps en faveur du dialogue. Le temps est un facteur primordial dans la série : les braqueurs doivent rester suffisamment longtemps dans la Banque pour fondre l’or, sans dépasser la limite fixée par le Professeur au risque d’une intervention des forces policières. Ce temps est surtout nécessaire au Professeur pour négocier avec les inspecteurs. En effet, le dialogue avec les autorités demeure encore le fil rouge de cette troisième partie. Les échanges se font vifs avec l’inspectrice, figure féminine puissante. A cet égard, bien que cela ne soit pas le message principal de la série, certaines scènes et certains personnages[50] conduisent le spectateur à réfléchir sur la société patriarcale. Les négociations se poursuivent également avec des représentants du gouvernement. Le Professeur parvient ainsi à changer la règle et la donne du jeu politique. Du reste, cet arrêt du temps diffère avec l’immédiateté de certaines décisions politiques. L’équipe de braqueurs laisse donc place à un autre temps : celui de la pensée et du dialogue.

C’est d’ailleurs le propre des soulèvements populaires que d’interrompre le temps. Le mouvement des Gilets jaunes en atteste une nouvelle fois avec le blocage du temps et de la circulation sur les ronds-points et aux péages occupés. Au-delà du temps gagné et du dialogue engagé, s’insurger permet aussi et surtout d’être libre à certains égards.

Révolte et liberté. Le soulèvement de ces minoritaires leur assure la liberté[51]. Pour Hannah Arendt, la liberté n’est pas d’abord un phénomène de la volonté intérieure, ce que l’on appelle le « libre-arbitre », mais est inhérente à l’action extérieure puisque « être libre et agir ne font qu’un[52] ». A cet égard, le politique est, selon elle, un espace pluriel de délibération, un espace de liberté[53]. Aussi, une comparaison avec la série peut une fois de plus être faite ici. Et ce notamment lorsque l’auteure rappelle que la polis grecque était autrefois une « forme de gouvernement » qui procurait aux hommes, une scène où ils pouvaient jouer, une sorte de théâtre où la liberté pouvait apparaître. Le groupe de braqueurs n’est autre que des femmes et des hommes vivant en communauté, à la fois avant le braquage pour le mettre en œuvre puis pendant. Les flashbacks, présents dans toutes les saisons et montrant la préparation du braquage, révèlent que rien n’est laissé au hasard. Regroupés tous ensemble dans une demeure isolée, les braqueurs sont comme des étudiants auxquels le Professeur donne les directives à suivre. Il les invite à réfléchir sur le sens de leurs actions et leurs conséquences. Quelle qu’en soit l’issue, l’enfermement collectif, durant des jours dans la vaste demeure puis au sein de la Banque d’Espagne, est finalement le prix à payer de leur liberté.

Mais toute révolution est-elle vraiment synonyme de liberté ? En d’autres termes, si toute révolte est menée au nom de la liberté, est-elle réellement toujours un processus menant à la liberté de ceux qui la poursuivent ? Si la question mérite d’être posée et débattue, une certitude demeure : cette révolte permet de rendre visible.

La visibilité des exclus. Dans un essai inédit[54], Hannah Arendt affirme qu’avant de conduire à un régime démocratique, la révolution a d’abord libéré tout un ensemble d’individus jusqu’ici invisibles. Ainsi, se manifeste dans l’acte même de la révolution le fait de rendre visible, de donner naissance à des individus jusqu’ici jamais réunis en un tout. L’auteure prend notamment acte du fait que la Révolution française a libéré les pauvres de l’invisibilité, en les faisant accéder à la vie publique : « un peuple frappé par la pauvreté et la corruption est soudain délivré non pas de la pauvreté mais de l’obscurité », et entend « pour la première fois que sa situation est discutée ouvertement et qu’il se trouve invité à participer à cette discussion[55] ». Cette pensée résonne donc parfaitement avec les colères actuelles et les ambitions du réalisateur de la série. En somme, la série invite à nous interroger sur la liberté que le peuple a de s’organiser par lui-même pour s’emparer de l’action politique.

C’est en filigrane, l’idée de l’importance de se soulever, pour n’importe qui, défendue par Michel Foucault[56]. Ce dernier résume-t-il : « a-t-on raison ou non de se révolter ? Laissons la question ouverte. On se soulève, c’est un fait ; et c’est par là que la subjectivité (pas celle des grands hommes, mais celle de n’importe qui) – quel qu’en soit le visage – s’introduit dans l’histoire et lui donne son souffle. Un délinquant met sa vie en balance contre des châtiments abusifs ; un fou n’en peut plus d’être enfermé et déchu ; un peuple refuse le régime qui l’opprime. Cela ne rend pas innocent le premier, ne guérit pas l’autre, et n’assure pas au troisième les lendemains promis ».

Mais cela le rend libre et visible. La série illustre bien l’idée que ce ne sont pas les « puissants » qui font le jeu démocratique mais bien les « n’importe qui[57] ». Les braqueurs dissimulent leur visage sous un masque de Dali, lequel devient un symbole jusqu’à être repris par une partie de la population qui soutient leur action. Leur combinaison rouge et leur masque marquent donc les esprits – entrant même dans notre propre réalité[58] – et les rendent visible aux yeux de tous. Il leur permet également de se fondre dans la masse des otages qui sont eux-aussi dotés dudit habit pour créer la confusion chez les forces d’intervention de la police.

Tous, otages et braqueurs confondus, forment une même et seule communauté et semble sur un pied d’égalité. L’important est que ces « n’importe qui » sont enfin visibles et entendus.

L’espoir d’un avenir nouveau. Bien que chaque épisode tienne le spectateur en haleine lui faisant espérer que le groupe réussisse à finir de transformer l’or tout en sortant de la Banque sans se faire arrêter, sur le fond le résultat du braquage importe peu. En creux, ce qui compte c’est le but commun poursuivi : inquiéter les « puissants » et montrer au peuple qu’une alternative au système existant est possible. Là réside l’intérêt de l’œuvre commune.

Derrière la défaite des Gilets jaunes se niche une victoire[59] car, malgré les scories que comporte ce mouvement, la couleur du gilet a permis de rendre visibles les invisibles[60] et surtout de croire[61] à un avenir nouveau[62]. Tout comme les braqueurs au visage de Dali.

Finalement, la résistance collective permet la réunion des forces pour briser l’immobilité, pour « inventer collectivement l’alternative » pour construire l’avenir[63]. Elle oblige à des remises en cause et ouvre des possibles.


[1] J. De Bourbon Busset.

[2]Collectif, G. Cornu, Vocabulaire juridique, Puf, Quadrige, 12e éd., 2018.

[3] La présentation de l’association est claire sur ce point : « Le Collectif L’Unité du Droit (Clud) a pour vocation de rassembler des universitaires convaincus du nécessaire rapprochement des droits et de leurs enseignements dans une unité et non dans leurs seules spécificités ». Ses membres sont « convaincus de (re) créer des liens entre spécialistes du Droit (dont privatistes et publicistes mais pas seulement) ainsi qu’entre praticiens et universitaires (et réciproquement) ».

[4] Si la réflexion sur l’Unité du Droit est le cœur de son action, le Clud permet un véritable soutien des Universitaires à l’égard des jeunes chercheurs comme en témoignent les Universités d’été et les nombreux ouvrages collectifs auxquels ces derniers peuvent participer.

[5] A. Sotiropoulou, « La collectivité », in Recueil de leçons de 24 heures, Agrégation de droit privé et de sciences criminelles de 2015, Lgdj, 2015, p. 321.

[6] S. Hessel, Indignez-vous !, Indigènes éditions, 2010.

[7] L’Ong Oxfam annonce dans son dernier rapport, le renforcement de l’écart entre les plus riches et les plus pauvres : en 2018, la fortune des milliardaires a augmenté de 12 % (augmentation de 900 milliards de dollars) tandis que la richesse des plus pauvres de la population mondiale (soit 3,8 milliards de personnes), baissait de 11 %. Par ailleurs, seulement 26 personnes possédaient en 2018 autant que la moitié la moins riche de la population mondiale : Rapport « Services publics ou fortunes privées ? », Oxfam International, janv. 2019, en ligne.

[8] S. Hessel, Indignez-vous !, Indigènes éditions, 2010, p. 9.

[9] Dans les deux premières parties de la série, le braquage se déroule dans l’Office de la Monnaie et du timbre.

[10] Mouvement de manifestations, non violent né sur la Puerta del Sol, en Espagne, à Madrid le 15 mai 2011, rassemblant des centaines de milliers de manifestants contre l’austérité.

[11] Ensemble de manifestations sur des places publiques, en France, ayant commencé le 31 mars 2016 sur la Place de la République à Paris, à la suite d’une manifestation contre la « loi Travail ».

[12] A la suite du « grand débat national » du printemps 2019, une vaste pétition écologique a circulé pour obliger l’Etat à prendre ses responsabilités face aux changements climatiques.

[13] Des Collectifs anti-mafia, dont le Collectif anti-mafia « Massimu Susini », ont vu le jour récemment en Corse à la suite de l’assassinat d’un jeune militant, Massimu Susini, en septembre 2019. Plus de 800 personnes étaient réunies, le 29 septembre, à l’Université de Corte pour débattre de l’emprise du grand banditisme sur l’île et dénoncer la défaillance de l’Etat à protéger les insulaires des assassinats, des menaces, des extorsions, des pressions diverses, des corruptions dont nombreux sont victimes.

[14] La série se divise en « Parties » sur Netflix.

[15] E. Plenel, La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte, 2019, p. 124.

[16] Braquage de la Fabrique nationale de la Monnaie et du Timbre : Partie 1 et 2 de la série.

[17] Code pénal, art. 222-1, al. 1er : « Le fait de soumettre une personne à des tortures ou à des actes de barbarie est puni de quinze ans de réclusion criminelle. ». Art. 222-2, al. 1er : « L’infraction définie à l’article 222-1 est punie de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’elle précède, accompagne ou suit un crime autre que le meurtre ou le viol. ». La Cour de cassation est venue modifier sa jurisprudence dans un sens plus sévère lorsqu’elle a condamné la France pour torture dans le cadre de la garde à vue d’un étranger soupçonné de trafic de stupéfiants : « la Cour estime que certains actes autrefois qualifiés de « traitements inhumains et dégradants », et non de « torture », pourraient recevoir une qualification différente à l’avenir » (Cedh, grande ch., 28 juill. 1999, aff. 25803/94, Selmouni c/ France).

[18] Pour les affaires les plus médiatiques ces dernières années : Affaire Zyed et Bouna : le 27 octobre 2005, Zyed Benna et Bouna Traoré sont morts électrocutés dans le transformateur Edf où ils s’étaient réfugiés pour échapper aux policiers qui les poursuivaient. Trois semaines de révolte s’en s’ensuivirent et dix années de procédure judiciaire. Malgré certaines failles dans l’enquête, le tribunal correctionnel de Rennes a relaxé les deux policiers jugés pour « non-assistance à personnes en danger » ; Affaire « Théo » est une affaire judiciaire relative à l’arrestation et au viol allégué d’un homme de 22 ans, Théodore Luhaka, le 2 février 2017 ; Affaire « Benalla », mettant en cause un chargé de mission, coordinateur de différents services lors des déplacements officiels et privés du président de la République, accusé d’avoir usurpé la fonction de policier, et violenté un couple de manifestants, le 1er mai 2018, à Paris.

[19] La crise des hôpitaux publics et la grève récente des pompiers sont des exemples parmi d’autres. V. not. Rapport de l’Académie nationale de médecine (Anm), Rapport 19-02. L’hôpital public en crise : origines et propositions, du 12 fév. 2019, en ligne.

[20] L. Gamet, « Les Gilets jaunes et la question sociale », Dr. social, 2019, p. 564.

[21] C. Larrazet, « Régime des plateformes numériques, du non-salariat au projet de charte sociale », Dr. social, 2019, n° 2, p. 167 ; F. Champeaux, « L’occasion de déplacer les frontières du salariat », SSL 07 oct. 2019, n° 1877, p. 3 ; P. Lokiec, « De la subordination au contrôle », SSL 17 déc. 2018, n° 1841, p. 10 ; T. Pasquier et A. Chaigneau, « Capital, travail et entreprise numérique », in A. Jeammaud, M. Le Friand, P. Lokiec, C. Wolmark (dir.), A droit ouvert, Mélanges en l’honneur d’A. Lyon-Caen, Dalloz, 2018, p. 187 ; T. Pasquier, « Le droit social confronté aux défis de l’ubérisation », Dalloz IP/IT, n° 7, 2017, p. 368 ; B. Gomes, Le droit du travail à l’épreuve des plateformes numériques, sous dir. A. Lyon-Caen, Thèse Paris Nanterre, 2018. V. not. Les décisions de justice rendues au sujet des travailleurs des plateformes numériques : Take eat easy : Soc., 28 nov. 2018, n° 17-20.079 ; Uber : CA Paris, pôle 6, ch. 2, 10 janv. 2019, M. X c/ Uber.

[22] L. Gamet, « UberPop (†) », Dr. social, 2015, p. 929.

[23] L. Gamet, « Les Gilets jaunes et la question sociale », Dr. social, 2019, p. 564.

[24] Ch. Radé, « Gilets jaunes et chiffon rouge », Dr. social, 2019, p. 369.

[25] E. Plenel, La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte, 2019, p. 51.

[26] Terme créé par l’américain Henry David Thoreau en 1849 après avoir passé une nuit en prison pour avoir refusé de payer l’impôt électoral au gouvernement d’un Etat fédéral des Etats-Unis qui reconnaissait l’esclavage. La désobéissance civile est le refus de se soumettre à une loi injuste et à chercher à changer cette loi par des moyens non-violents : H.-D. Thoreau, La désobéissance civile, Gallmeister , coll. Totem, réed. 2017. Le philosophe rappelle le caractère non-violent de la révolte : « Si un millier d’hommes devaient s’abstenir de payer leurs impôts cette année, ce ne serait pas une initiative aussi brutale et sanglante que celle qui consisterait à les régler, et à permettre ainsi à l’Etat de commettre des violences et de verser le sang innocent. Cela définit, en fait, une révolution pacifique, dans la mesure où pareille chose est possible », spéc. p. 9.

[27]A. Coignac, « Droit de manifester : toujours une liberté ? », Dalloz Actualité 04 oct. 2019.

[28] CSI, art. L. 211-1 à L. 211-4 (Manifestations sur la voie publique) ; art. L. 211-9 à L. 211-10 (Attroupements).

[29] Les articles 431-3 et suivants du Code pénal prévoient les peines et amendes dans les hypothèses de participation délictueuse à un attroupement. L’article 431-9 du Code pénal punit également de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende le fait d’avoir organisé une manifestation sur la voie publique n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration préalable dans les conditions fixées par la loi ; d’avoir organisé une manifestation sur la voie publique ayant été interdite dans les conditions fixées par la loi ; d’avoir établi une déclaration incomplète ou inexacte de nature à tromper sur l’objet ou les conditions de la manifestation projetée.

[30] Le black bloc est un groupe d’individus sans hiérarchie, habillés de noir, masqués, qui justifient la violence contre les représentations de l’Etat par la violence intrinsèque de celui-ci.

[31] A. Coignac, « Droit de manifester : toujours une liberté ? », Dalloz Actualité 04 oct. 2019 : « Samedi 21 septembre, l’acte 45 des Gilets jaunes, la Marche pour le climat et la manifestation contre les retraites dans Paris se sont soldées par 158 gardes à vue selon la Préfecture. Selon le parquet, 90 personnes se sont vues notifier un rappel à la loi, parfois assorti d’une interdiction de paraître à Paris pendant six mois, en application de la loi anticasseurs du 10 avril 2019. ». Des médias relayent encore d’autres chiffres : le journaliste David Dufresne a recensé les cas documentés (vidéos, photos, certificats) de victimes des forces de l’ordre, via un fil Twitter intitulé « Allô Place Beauvau ». Le 23 septembre 2019, le décompte s’élevait, tous mouvements sociaux confondus, à 860 signalements dont deux décès. Sur le site Mediapart, la page « Allô Place Beauvau ? C’est pour un bilan provisoire » fait état des derniers chiffres officiels du Ministère de l’Intérieur, au 29 août 2019 : soit 2 448 blessés, 561 signalements déposés à l’Igpn (Inspection générale de la police nationale), 313 enquêtes judiciaires de l’Igpn, 8 enquêtes administratives, 15 enquêtes judiciaires de l’Iggn (Inspection générale de la gendarmerie nationale), 180 enquêtes transmises au Parquet, 1 9071 tirs de Lbd, 1 428 tirs de grenades lacrymogènes instantanées, 5 420 tirs de grenades de désencerclement, 474 gendarmes blessés et 1 268 policiers blessés.

[32] Dans une tribune du 3 mai 2019, Amnesty International se positionna pour l’interdiction du Lbd40 et des grenades lacrymogènes instantanées Gli-Fa utilisés par les forces de l’ordre pendant les manifestations des Gilets jaunes.

[33] « Le maintien de l’ordre au regard des règles de déontologie », Rapport du défenseur des droits, Décembre 2017, p. 1, en ligne.

[34] A. Coignac, « Droit de manifester : toujours une liberté ? », Dalloz Actualité 04 oct. 2019. L’auteure enquête auprès de nombreux acteurs (représentants des forces de l’ordre, avocats, universitaires pénalistes, journalistes). Il est notamment relaté l’interview d’une avocate : Maître Claire Dujardin constate que « les textes sont assez flous sur l’usage de la force et le concept de légitime défense, cela favorise des décisions comme le non-lieu dans l’affaire Rémi Fraisse (militant écologiste, tué en 2014 lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens) ». Elle ajoute : « Je ne peux pas emmener mes clients pour quatre ans en instruction avec un fort risque de non-lieu à la fin. Ça les laisse en plus dans un statut de victime qui devient compliqué à gérer dans la vie ».

[35] « Le maintien de l’ordre au regard des règles de déontologie », Rapport du défenseur des droits, Décembre 2017, p. 8, en ligne.

[36]S. Hessel, Indignez-vous !, Indigènes éditions, 2010, p. 18.

[37] J.-P. Sartre, « Maintenant l’espoir… (III) », Le Nouvel Observateur, 24 mars 1980.

[38] Sur l’efficacité de la non-violence : S. Hessel, Indignez-vous !, Indigènes éditions, 2010, p. 20.

[39] V. supra l’article collectif : « Une lecture juridique au prisme du droit à la désobéissance » : « C’est précisément sur ce point décisif que le Professeur échafaude la légitimité de sa démarche pour s’en incarner en héraut. Il le répète sans cesse… l’opinion publique est la seule véritable arme, sa caution. Son soutien traduit et porte la voix indicible du peuple concret. Son rejet, a contrario, pointerait un acte criminel ».

[40] E. Plenel, La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte, 2019, p. 181.

[41]Ibid., p. 184.

[42] P. Rosanvallon, La contre-démocratie. La politique de à l’âge de la défiance, Paris, Seuil, Points, 2006, p. 14.

[43] Ibid., p. 108. L’auteur y décrit l’émergence des figures du « peuple-surveillant », du « peuple-véto » et du « peuple-juge » en contrepoint de celle d’un « peuple-électeur ».

[44] J. Rancière, La haine de la démocratie, La Fabrique, Paris, 2005, p. 105.

[45] E. Plenel, La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte, 2019, p. 13.

[46] L. Gamet, « Les Gilets jaunes et la question sociale », Dr. social, 2019, p. 564.

[47] La solidarité doit être revue à l’aune des défis auxquels sont confrontées les sociétés actuelles modernes : V. l’ouvrage collectif sous dir. S. Paugam, Repenser la solidarité. L’apport des sciences sociales, Puf, 2007, réed. 2011.

[48] E. Plenel, op. cit., p. 159.

[49] V. Dossier Mediapart, « Gilets jaunes : La révolte des oubliés ».

[50] Dans la saison un, Nairobi crie : « place au Matriarcat ! ». De même, les violences conjugales sont dénoncées à travers la violence de l’ex-mari de l’inspectrice. V. sur le féminisme dans la série, supra, la communication de Mme Stéphanie Willman-Bordat.

[51] « Résistance et obéissance, voilà les deux vertus du citoyen. Par l’obéissance il assure l’ordre ; par la résistance il assure la liberté » : Alain, Propos sur les pouvoirs, Paris, Gallimard, coll. Folio/essais, 2014, p. 162.

[52] H. Arendt, La Crise de la culture, « Qu’est-ce que la liberté ? », Folio, Gallimard, 2014 (1ère éd. 1989), p. 198.

[53] H. Arendt, La Crise de la culture, « Qu’est-ce que la liberté ? », Folio, Gallimard, 2014 (1ère éd. 1989), p. 190 : « la raison d’être de la politique est la liberté, et son champ d’expérience est l’action ».

[54] H. Arendt, La liberté d’être libre, Payot, 2019. Cet essai inédit a été retrouvé récemment dans le fonds Arendt de la Bibliothèque du Congrès à Washington. Ce texte a été probablement écrit à la fin des années 1960, au moment de la crise de Cuba, des révolutions en Amérique latine et de la décolonisation.

[55] H. Arendt, La liberté d’être libre, Payot, 2019.

[56] M. Foucault, « Inutile de se soulever ? », Le Monde, n° 10661, 11- 12 mai 1979, p. 1 et s., in Dits et Ecrits 1954-1988, t. III, Gallimard, Paris, texte 269, p. 790-794.

[57] V. aussi sur le « n’importe qui » : E. Plenel, La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte, 2019, p. 59.

[58] La diffusion de la série a engendré une commercialisation importante du costume rouge et du masque de Dali. Certaines images montrent même des Gilets jaunes portant le masque de Dali.

[59] D’où le titre évocateur de l’ouvrage d’Edwy Plenel sur le mouvement des Gilets jaunes : « La victoire des vaincus » : E. Plenel, La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte, 2019.

[60] E. Morin, « La couleur jaune d’un gilet a rendu visible les invisibles », Mediapart, 24 déc. 2018.

[61] « Si l’on ne croit à rien, si rien n’a de sens et si nous ne pouvons affirmer aucune valeur, alors tout est permis et rien n’a d’importance. Alors, il n’y a ni bien ni mal, et Hitler n’a eu tort, ni raison. […]. On a tous à créer en dehors des partis et des gouvernements des communautés de réflexions qui entameront le dialogue à travers les nations et qui affirmeront par leur vie et leurs discours que ce monde doit cesser d’être celui de policiers, de soldats et de l’argent pour devenir celui de l’homme et de la femme, du travail fécond et du loisir réfléchi » : A. Camus, « La crise de l’homme », conférence donnée à l’Université de Colombia (New York), 28 mars 1946, in A. Camus, Conférences et discours (1936-1958), Folio, 2017.

[62] Aujourd’hui le mouvement des Gilets jaunes fête ses un an mais s’est largement essoufflé. Toutefois, malgré l’absence de solution concrète aux attentes des manifestants et les frustrations qui vont de pair, le mouvement vit toujours et a permis à de nombreuses personnes de tisser des liens, de retrouver une fraternité longtemps oubliée. Plus encore, il leur a permis d’être entendus. Et l’engagement se poursuit pour certains autrement comme ce « Collectif citoyen Sélestat 2020 » crée en Alsace appelant les citoyens à rejoindre une liste citoyenne pour les municipales. V. l’article « Les gilets jaunes tentent d’entretenir la flamme », DNA 9 nov. 2019, p. 13.

[63] E. Plenel, La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte, 2019, p. 161.

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso.
Vous pourrez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

DivinAkamuraCosta ?

Deux auteurs du Collectif L’Unité du Droit ont symboliquement décidé, en ce 14 février 2020, jour de Saint-Valentin, de déclarer respectueusement leur flamme juridique à la chanteuse Aya Nakamura en rédigeant – en son hommage – un ouvrage (extrait d’un opus collectif sur les lectures juridiques de fictions et également publié aux Editions l’Epitoge du Collectif L’Unité du Droit).

Sérieusement ?
Du Droit chez Aya Nakamura ?
« Y’a pas moyen » vous dites-vous !

Et vous avez peut-être raison !

Le présent ouvrage, tiré à part collector des Editions L’Epitoge, publié dans le cadre des festivités dédiées aux 16 années du Collectif L’Unité du Droit, témoigne des habitudes de travail et de recherche(s) ainsi que de l’objet social même dudit Collectif : il est rédigé sur une forme parfois légère et enjouée tout en reposant, au fond, sur une analyse juridique rigoureuse et détaillée. Il se veut ainsi accessible sans renier sa vocation académique. Il a par ailleurs été conçu en binôme étroit et égalitaire par un professeur d’Université et par un doctorant.

L’opus est construit en trois parties qui interrogent respectivement (après avoir posé les enjeux de l’étude et son prétexte pédagogique au cœur du mouvement Droit & Littérature) : le droit administratif (I), le droit privé (II) et l’Unité du Droit (III) au cœur des chansons et des prises de position(s) de l’artiste Aya Nakamura ici décodée par deux juristes comme si – elle aussi – appartenait à la communauté juridique. Après cette lecture, « Y’a pas moyen Gaja ? », « J’veux du Sarl » et tant d’autres titres (vous faisant découvrir la chanteuse à travers les droits de la propriété intellectuelle, de l’espace ou encore des marchés publics) n’auront plus de secret pour vous ! Il paraîtrait même que la chanteuse serait hégélienne : « j’crois qu’c’est le concept » !

Prétexte(s) pédagogique(s). En adoptant le prisme de l’Unité du droit, en abordant la question du droit des femmes et celui des minorités qu’incarnent la chanteuse, en confrontant ses œuvres à des questions concrètes et contemporaines de droit (comme certaines des restrictions opérées en contentieux administratif et ici dénoncées), en faisant découvrir au lecteur des branches méconnues mais pourtant passionnantes (comme le droit de l’espace extra-atmosphérique), l’article fera réviser, réfléchir et apprendre. N’est-ce déjà pas si mal[7] ? Les auteurs de l’article et du présent ouvrage soutiennent en effet que l’étude du droit dans et par ou au moyen de la fiction classique comme contemporaine est un prétexte pédagogique permettant l’étude des disciplines académiques et des concepts et des notions juridiques en dehors de toute application positive. En d’autres termes, il s’agit d’une recherche juridique qui n’a d’autre fin qu’elle-même : le plaisir intellectuel de faire du droit. Par ailleurs, les auteurs ne moquent en aucun cas l’artiste, ses textes et ceux qui les écoutent. Ils ont conscience qu’ils jouent de fiction(s) eux-mêmes pour traiter de questions juridiques. Ils assument totalement le fait que le présent article n’est qu’une succession de prétextes pédagogiques à l’étude du / des droit(s) dans un cadre fictionnel et ce, au prisme de l’Unité du droit. Ils savent pertinemment qu’Aya Nakamura est une chanteuse mais ont décidé de l’envisager de manière fictive en juriste en analysant ses textes comme une doctrine juridique ou nakamurienne (sic) qui permettra d’interroger plusieurs pans du droit positif.

l’ouvrage a été publié avec le soutien
et en partenariat étroit avec le partenaire du Collectif L’Unité du Droit :
Curiosités Juridiques

Obsédés textuels. On dit parfois des juristes qu’ils sont des « obsédés textuels » et qu’ils réussissent à trouver sinon à voir du Droit partout y compris là où il n’y en aurait peut-être pas, de la même manière qu’un artiste verrait de l’art potentiel en tout chose. Il y a cependant aussi, à la seule lecture de l’intitulé de cette contribution, des juristes qui vont se sentir rétifs et réticents sinon frontalement hostiles à l’idée qu’on puisse rechercher et analyser des questions juridiques et politiques dans l’œuvre de Mme Aya Danioko dite Aya Nakamura, chanteuse – désormais internationale[1] et populaire – qui n’est effectivement ni juriste ni auteure de doctrine juridique reconnue comme telle.

Les auteurs de l’ouvrage
M. le pr. M. Touzeil-Divina & M. R. Costa

L’objet du droit, c’est l’activité humaine. Si l’on retient comme nous l’a appris le doyen Foucart[2] que « l’objet principal du droit est l’homme », alors il faut nécessairement que le juriste non seulement acte que toute activité humaine (y compris fictionnelle) est potentiellement un objet d’étude et d’application juridiques mais encore qu’il appartient au juriste, s’il veut rester connecté à la société dans laquelle il se trouve, de se préoccuper de tous les faits sociaux qui l’entourent. « Le juriste[3] (à nos yeux) est accompli lorsqu’il sait rester curieux et être attentif à celles et à ceux qui l’entourent. Le juriste n’est plus (ou ne devrait plus être) ce notable sciemment éloigné de la table du repas social. Il est (et doit être) ce commensal impliqué et soucieux des manifestations sociales ». Or, sur ce point, les faits sont indiscutables : Aya Nakamura est – depuis 2017 (avec la sortie de son premier album Journal intime) et singulièrement depuis que son deuxième opus éponyme (Nakamura) a été promu « disque de platine » en 2018 – un véritable phénomène de société[4]. Par ailleurs, la chanteuse est entrée en 2019 au classement des 500 artistes les plus écoutés de la planète ainsi qu’à celui des 50 personnalités françaises les plus influentes du monde, détrônant jusqu’à Edith Piaf de l’artiste française la plus écoutée dans certains pays étrangers.

Le juriste qui l’ignorerait ne vivrait ainsi pas dans son époque.

Droit & idées politiques dans des fictions modernes. Il est évident que toute fiction ne parle pas de droit. Certains supports fictionnels (ce qui est le cas des chansons) y sont en revanche plus propices et ce, précisément lorsqu’ils évoquent des phénomènes et des actions ou activités sociales.

En étant ainsi un reflet, un témoin, une citoyenne – parfois même engagée – dans ses textes, Aya Nakamura parle d’objets juridiques. Elle donne à jouer avec des images juridiques et judiciaires dès le titre de certaines pistes : La dot, Gangster, Gang (feat. Niska) ou encore Soldat. Puis dans les textes : « Ouais je sens t’as le seum, j’ai l’avocat » in Pookie, « A la Bonnie and Clyde, t’es validé […] Suis-moi, tu verras, ça d’viendra illégal » in La dot.

Droit(s) & Littérature(s). Dans un premier temps, plusieurs universitaires du mouvement Law & Literature[5]ont d’abord considéré les liens entre droit(s) et fiction(s) à travers les romans et le théâtre principalement. Depuis plusieurs années, ce sont les films de cinéma et les séries télévisées qui ont intégré ces études juridiques de fictions ce dont témoigne aisément tant pour les romans que pour les séries télévisées le présent ouvrage. La littérature classique comme la pop-culture sont donc bien au cœur de ces recherches tant juridiques que littéraires. Les chansons[6], en décrivant des réalités ou parfois des fictions courtes qui sont – en tout état de cause – des reflets de l’activité humaine rentrent donc également potentiellement dans cette analyse initiée par le mouvement Droit & Littérature.

On notera, et il est important de le souligner ici explicitement, qu’il existe encore dans l’Université française des collègues (qui ne se procureront pas d’eux-mêmes cet ouvrage jugé par eux sûrement insignifiant) qui considèrent encore non seulement qu’ils ont le monopole de ce qui mérite(rait) d’être étudié avec sérieux mais encore qui dénigrent celles et ceux – dont nous sommes – qui s’occupent de droit(s) dans des fiction(s) et ce, pour y mener des études juridiques (par eux niées). Il s’agirait, ont même dit certain.e, d’une utilisation détournée voire frauduleuse de l’argent public. Bien sûr que le présent article est – aussi – un divertissement. Bien sûr qu’il va parfois proposer des interprétations capillotractées dans le seul but d’intéresser un public estudiantin qui, de lui-même, n’aurait pas acquis un ouvrage juridique mais, précisément, tel est bien l’un des objectifs assumés par ses porteurs et notamment par le Collectif L’Unité du Droit organisateur : ne plus considérer les études de Droit comme nécessairement désagréables, techniques, surannées, déconnectées de la réalité et élitistes mais au contraire des études actionnées par des acteurs et des actrices de ce siècle à l’écoute de la société et de ses préoccupations et faisant venir à elles et à eux des étudiants qui auraient sinon été rebutés. Partant, les propositions ici faites ne sont pas que des élucubrations vides de sens.

Discours du Droit & sur le(s) droit(s). Interprétations réalistes. La présente contribution va donc rechercher dans les textes des chansons d’Aya Nakamura s’il existe – et c’est évidemment le parti pris annoncé – une ou plusieurs dimensions juridiques. Partant, on oscillera – sciemment et volontairement – entre de véritables positions juridiques que nous estimons percevoir chez l’artiste et ce, par exemple dans certains engagements en faveur des droit(s) des femmes mais aussi – ce dont on ne se privera pas – en dénichant parfois du droit là où la chanteuse n’en avait certainement pas volontairement mis ou perçu.

Cela dit, n’est-ce pas là – précisément – la force du pouvoir de l’interprétation juridique que de faire dire – parfois – à un texte ce que son auteur n’a pas nécessairement cru ou voulu ? Lorsqu’en 1962 le Général de Gaulle sachant parfaitement que l’article 89 de la Constitution rend impossible une révision de la norme fondamentale en proposant directement au peuple de procéder à un changement par voie référendaire, il interprète le Droit de façon singulièrement extensive, personnelle et largo sensu. Il est évident que les rédacteurs de 1958 ne voulaient pas que se réalise ce qui s’est pourtant accompli en 1962 mais l’interprétation juridique l’a matérialisé car – en droit comme en arts[8] – : « Fuori dell’interpretazione, non c’è norma » (hors de l’interprétation, il n’y a pas de norme) ! C’est donc en « interprètes réalistes » que nous allons vous proposer des lectures juridiques de l’œuvre d’Aya Nakamura essentiellement à partir de son album Nakamura (version jaune initiale et édition Deluxe de l’automne 2019) et ce, autour de trois temps que réunit l’Unité du Droit : en droit administratif (I), en droit privé de façon plus générale (II) ainsi que dans quelques matières dites de spécialité(s) juridique(s) (III). Partant, vous allez découvrir une Nakamura juriste et même spécialiste.

Voici la table des matières de l’ouvrage :

Introduction                                                                          

I. Aya & le droit administratif                       

     A. Oh ! Gaja !                                                                      

     B. Une nouvelle sélection administrative :
          la Sagaa                                                                           

     C. Nakamura, spécialiste du contentieux
          des contrats publics                                                 

II. Aya & le droit privé                                     

     A. Nakamura & le droit des personnes
          et de la famille                                                            

     B. Nakamura & le droit au respect
          de la vie privée                                                            

     C. Nakamura & le droit des sociétés                     

III. Aya & l’Unité du droit                                

     A. Nakamura & le droit aéronautique                  

     B. Nakamura & la propriété intellectuelle         

     C. Nakamura & la théorie du Droit                         

& Voila notre grand jeu de la Saint-Valentin :

Pour gagner un exemplaire COLLECTOR numéroté et dédicacé par les deux auteurs de l’ouvrage (n° 90 / 99), il vous suffit de retweeter le post émis ce 14 février 2020 par Curiosités juridiques ….

Le ou la gagnant.e sera choisi.e. au hasard ….


[1] On apprend même que l’artiste sera en vedette du mythique festival de Coachella en 2020.

[2] Foucart Emile-Victor Masséna, Eléments de droit public et administratif ; Paris, Videcoq ; 1834 ; Tome I.

[3] On reprend ici l’opinion qu’à défendue l’un des coauteurs de l’article in « Droit(s) & Série(s) télévisée(s) : mariage de, avec ou sans raison ? » in Jcp – édition générale ; n°8 ; 25 février 2019 (« libres propos »).

[4] Le présent article intègre a minima l’ensemble des titres de l’album Nakamura (2018 et édition Deluxe de 2019 avec ses cinq titres supplémentaires dont un remix).

[5] Parmi lesquels, l’un des moteurs de ce mouvement dont la collection « Unité du Droit » des Editions L’Epitoge a accueilli le très bel ouvrage suivant : Weisberg Richard, La parole défaillante ; Toulouse, L’Epitoge ; 2019.

[6] Ainsi que le Collectif L’Unité du Droit l’avait déjà abordé avec : Touzeil-Divina Mathieu & Hoepffner Hélène (dir.), Chansons & costumes « à la mode » juridique et française ; Le Mans, L’Epitoge ; 2015.

[7] On présentera ici ses excuses auprès du lecteur pour qui ces questions sont une évidence mais la récente altercation publique provoquée par une collègue procédurière qualifiant d’adolescents irresponsables et de juristes utilisant à tort les deniers publics au regard de sa vision nécessairement objective de l’Université a de quoi faire frémir.

[8] Ascarelli Tullio, « Giurisprudenza costituzionale e teoria dell’interpretazione » in Rivista di diritto processuale ; Anno XIII (1957), n°1-3, p. 10.

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Jaurès en 2020 (par Mmes Mélina Elshoud & Marietta Karamani)

Voici la 51e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du quatrième livre de nos Editions dans la collection Histoire(s) du Droit, publiée depuis 2013 et ayant commencé par la mise en avant d’un face à face doctrinal à travers deux maîtres du droit public : Léon Duguit & Maurice Hauriou.

L’extrait choisi est celui de l’article de Mmes Marietta Karamanli & Mélina Elshoud publié dans l’ouvrage Jean Jaurès & le(s) Droit(s).

Volume IV :
Jean Jaurès

& le(s) droit(s)

Ouvrage collectif sous la direction de
Mathieu Touzeil-Divina, Clothilde Combes
Delphine Espagno-Abadie & Julia Schmitz

– Nombre de pages : 232
– Sortie : mars 2020
– Prix : 33 €

– ISBN  / EAN : 979-10-92684-44-5
/ 9791092684445
– ISSN : 2272-2963

Jaurès en 2020 :
entre instrumentalisation(s)
& héritage(s)

Marietta Karamanli & Mélina Elshoud
Députée de la 2e circonscription de la Sarthe
& Conseillère départementale de la Sarthe

Mesdames, Messieurs les Professeurs, Mesdames, Messieurs,

Vos contributions l’ont toutes très bien démontré : Jean Jaurès est bel et bien un acteur politique de notre temps, en ce sens que, nombreuses sont toujours les références à son travail, à sa pensée, à son action publique.

Parmi ces références, il est intéressant de constater que les discours des responsables politiques français lui réservent une place particulière, mais surtout grandissante ; certains commentateurs[1] ayant évoqué une « Jaurèsophilie » ou une « Jaurèsmania ».

Il n’y a pas de récente campagne électorale nationale française, et notamment présidentielle, qui échappe à une volonté d’appropriation, ou du moins à des manœuvres que nous qualifierons librement « d’assimilation » de la pensée de Jean Jaurès par les principaux courants politiques de notre vie nationale. Gilles Candar, un des meilleurs spécialistes de l’homme et de son œuvre – que nous saluons – a lui-même publié un long papier sur la campagne présidentielle de 2007 et la revendication par des partis de droite du tribun socialiste, un phénomène qu’il qualifie de « nouveau[2]», non pas dans son principe, mais dans son ampleur depuis le début de la Ve République.

En 2007, la droite scande « Je me sens l’héritier de Jaurès[3] » et la gauche conteste une « captation d’héritage[4]». Cette bataille mémorielle avait inspiré à Philippe Bilger cette question simple, bien qu’il la trouve lui-même « infiniment vulgaire[5]» : « A qui appartient Jaurès ? ».

Dans le cadre de cette intervention, nous n’avons pas cherché à répondre à cette question – non pas qu’elle soit mal posée car au contraire elle résume bien le « procès en légitimité[6] » qui est fait aujourd’hui à celui qui décide de citer Jaurès – mais parce que la réponse nous semble indubitable et donc dénuée d’intérêt : Jean Jaurès n’appartient à personne, ou plutôt, il appartient à tout le monde, en ce qu’il est, comme l’écrit Gilles Candar, « le patrimoine commun de l’humanité[7] ».

Nous avons eu à cœur toutes deux de faire œuvre d’analyse en soumettant à une démarche libre et contradictoire notre examen de la filiation revendiquée d’un homme, à la fois, acteur et décideur politique, et universitaire.

Nous avons souhaité, d’une part, mettre en exergue les motivations qui conduisent, quel que soit le bord politique, des responsables élus à se référer à Jaurès.

Nous avons souhaité, d’autre part, voir si ces citations correspondaient bien à la philosophie de Jaurès, mais non pas en passant chacune des assertions de nos responsables politiques à la moulinette critique de leur pertinence au regard des principes et propositions de Jean Jaurès – ce qui aurait demandé une grande familiarité avec l’œuvre de Jaurès que nous ne prétendons pas avoir et ce qui risquerait d’encourir le reproche d’une interprétation du passé à la lumière d’enjeux en opportunité du présent – mais, nous avons essayé de tirer des enseignements de la façon dont Jaurès lui-même a pu utiliser des références à une œuvre ou à un propos de ses prédécesseurs pour éclairer l’actualité politique contemporaine.

Evidemment, notre propos est « situé » c’est-à-dire que nous parlons d’une place particulière, élu-e-s toutes deux, avec des engagements partisans, et nous avons l’expérience de celles et ceux qui citent Jaurès avec parfois du talent mais surtout le souhait de trouver ou gagner une légitimité que donnerait l’Histoire en disant que lui, Jaurès, l’aurait ou pas, fait ou pensé.

Sans prétendre à l’exhaustivité, nous souhaiterions vous rappeler quelques exemples caractéristiques de cette « assimilation » politique des propos de Jean Jaurès.

En avril 2007, lors d’un meeting dans la région, Nicolas Sarkozy alors candidat à la Présidence de la République cite une trentaine de fois Jean Jaurès[8] déclarant qu’il s’en sent « l’héritier ». « Laissez dormir Jaurès » demande-t-il à la gauche d’aujourd’hui qui, selon lui, « n’aime pas le travail » contrairement à celle d’hier, et à la droite qu’il incarne et qui veut permettre à ceux qui veulent travailler plus pour gagner davantage de pouvoir le faire. Un peu plus tard, à l’occasion d’un meeting à Paris pour les législatives, François Fillon s’offusque[9] « Est-ce la faute des citoyens, si le parti de Jaurès et de Blum est devenu l’un des plus rétrogrades d’Europe ? ».

En janvier 2011, à Tours, Marine Le Pen évoque, lors du congrès de son mouvement, la pensée jaurésienne et déclare que Jaurès aurait dit en son temps « A celui qui n’a plus rien, la patrie est son seul bien », confirmant, selon elle, qu’il a été « lui aussi trahi par la gauche du FMI ». Cette référence n’est pas nouvelle puisqu’en 2007 déjà, son père Jean-Marie Le Pen avait fait valoir une pseudo filiation au patriotisme de Jaurès, et en 2009, cette citation avait orné les affiches de la campagne européenne de Louis Aliot et notamment à Carmaux, suppléée par la phrase « Jaurès aurait voté Front national ».

En 2012, à Toulouse, François Bayrou alors candidat à l’élection présidentielle et contestant le Président sortant, Nicolas Sarkozy, cite Jaurès, en reprenant son propos selon lequel « On doit les mener [les Français] sur le seul chemin qui soit le chemin de la République, on doit les mener vers les hauteurs […]. C’est trahir la République que de la tirer vers le bas[10] » !

Le 23 avril 2014, François Hollande, Président de la République, vient expliquer ses réformes à Carmaux et rappelle à cette occasion que Jaurès « enseignait la patience de la réforme, la constance de l’action, la ténacité de l’effort[11] ». En juillet 2014, Jean-Christophe Cambadélis en visite à Carmaux compare François Hollande, alors en difficulté face à sa propre majorité parlementaire et à l’opinion, à Jean Jaurès. Selon lui, les deux hommes partagent un destin commun ; ils auraient été de grands incompris de leur époque. Il déclare « Il est intéressant de constater que [Jean Jaurès], en son temps décrié, honni, vilipendé – on l’a même assassiné – soit devenu par la suite une figure de notre nation[12] ».

La même année, en juin, Manuel Valls, Premier ministre en visite au Centre des monuments nationaux pour inaugurer une exposition sur le centenaire de la mort de Jaurès, affirme que ce dernier aurait voté le « pacte de responsabilité », une mesure chère à François Hollande qui vise à alléger les charges sociales des entreprises s’engageant à embaucher, car il aurait été, selon lui, « de ceux qui veulent gouverner et qui veulent que la gauche gouverne dans la durée[13] ». En face, dans une tribune intitulée « Jaurès revient ! Ils ont changé de camps ! », Jean-Luc Mélenchon lui reproche de « Faire parler les morts pour endormir les vivants[14] ». Paradoxalement, il se soumet lui-même dans le reste de sa lettre à cet exercice délicat consistant à expliquer ce qu’aurait fait Jaurès s’il était encore vivant[15].

En juillet 2017, le même Jean-Luc Mélenchon, élu de son mouvement La France insoumise, aurait demandé au Président de l’Assemblée nationale la place dans l’hémicycle autrefois occupée par Jaurès[16].

Enfin, en mai 2017, quelques semaines avant, Emmanuel Macron, candidat à l’élection présidentielle en meeting à Albi, déclare que Jean Jaurès « n’est pas celui qu’on veut nous faire croireC’était un homme qui aimait la liberté beaucoup plus que ceux qui le citent à loisir aujourd’hui. C’était à ce titre un défenseur de l’entrepreneur ce qui surprend souvent […]. Il est en quelque sorte l’homme du « en même temps » que je porte aujourd’hui. Il n’était pas enfermé dans l’égalitarisme[17] ».

Autant d’égards et d’hommages peuvent surprendre[18].

Quatre motifs, qui peuvent se superposer et jouer ensemble, nous paraissent expliquer cet engouement au moins « facial » pour la place et la parole qu’incarne le philosophe et député que fut Jean Jaurès.

I.

La première raison est la conquête ou la reconquête en légitimité d’un électorat de gauche attaché à la tradition d’un socialisme français, indépendant, démocratique, exigeant quant aux finalités, et dépassant les appareils. Citer Jaurès c’est d’abord puiser dans l’imaginaire collectif de la gauche et renvoyer aux combats et aux idéaux de l’homme. De ce point de vue, on cite beaucoup Jaurès pour susciter de l’espoir et de l’effervescence. D’ailleurs, à gauche, chaque campagne nationale comprend son meeting à Toulouse, à Albi ou à Carmaux, lequel offre une occasion privilégiée de puiser dans l’œuvre de Jaurès : ce fut le cas pour François Hollande en 2012, pour Benoit Hamon et Jean-Luc Melenchon en 2017, ou encore pour Raphaël Glucksmann en 2019.

Toujours pour retrouver de la légitimité, on utilise aussi Jaurès comme « justification », comme pour dire qu’une mesure est « vraiment de gauche même si elle n’en a pas vraiment l’air ». Les propos précités de Jean-Christophe Cambadelis, de Manuel Valls ou de François Hollande, valorisant le pragmatisme de Jaurès et rappelant parfois l’impopularité de ses positions, peuvent facilement y trouver une raison d’être.

Enfin, et toujours dans cette volonté de légitimer ou justement de délégitimer, on cite Jaurès pour critiquer des politiques « pas assez de gauche ». Cette démarche a été beaucoup utilisée par La France insoumise ou le Front national pour fustiger les réformes prises sous le quinquennat de François Hollande, notamment dans l’objectif de s’adresser à un électorat ouvrier, qui constituait historiquement une base électorale du socialisme[19]. Les propos de Jaurès sur le protectionnisme, sur le travail, sur la patrie ont été beaucoup utilisés car ils servent des revendications sociales et donc une « une prolétarisation du discours[20] ».

II.

La deuxième raison est la volonté de rassemblement des candidats à l’élection présidentielle qui doivent dépasser leur camp et pour lequel la référence à Jaurès rend possible un ralliement au-delà du camp droite-gauche. Les propos tenus par les deux candidats qu’ont été successivement Nicolas Sarkozy ou Emmanuel Macron dans leur registre spécifique peuvent y trouver leur origine.

III.

La troisième raison s’apparente à une vision nationale dans laquelle la figure de Jaurès est consensuelle, même si marquée à gauche, une figure qui a fait la France au même titre que d’autres figures historiques et dont la mort au service de la paix transcende les différences et les oppositions mêmes violentes d’avant ! On cite Jaurès comme on cite de Gaulle, Aristote, Briand, etc. C’est un « marqueur » intéressant pour des partis qui veulent nourrir ou « se racheter » en quelque sorte une image républicaine.

IV.

Enfin, la quatrième raison tient moins au fond qu’à la forme : Jaurès rassemble car tout le monde lui reconnaît des qualités « politiques » essentielles.

Il est d’abord très bon orateur, surnommé Saint-Jean  Bouche d’Or. D’ailleurs, sa figure est souvent utilisée par des agences de communication, de management et de formation à la prise de parole en public et on le retrouve en librairie dans Convaincre comme Jaurès. Comment devenir un orateur d’exception[21].

Fondant son engagement sur des valeurs universelles – ses propos sur le courage, l’humanité ou l’optimisme sont ceux qui sont le plus cités par les élus de tous bords – il apparaît comme un homme de convictions tout autant que de consensus, un homme respectueux des traditions mais marquant par son originalité, et prouvant, s’il le faut, que ces qualités ne sont pas inconciliables.

Tout cela lui vaut d’être respecté et craint, admiré par ses soutiens et ses adversaires, faisant de lui un grand homme public. Citer Jaurès aujourd’hui pour un élu, c’est admettre de prendre en modèle un homme politique de son envergure.

Il s’agit là, nous semble-t-il d’une vision de Jaurès qualifiable de « patrimoniale » ; elle n’est, elle-même, pas exempte d’une vision partisane tendant à faire de Jaurès une référence évoquant davantage le passé de la France que son actualité. Cette vision peut être revendiquée à titre subsidiaire par les uns et les autres.

A l’évidence, certains responsables peuvent avoir un rapport personnel à l’auteur et acteur Jaurès pour l’avoir lu, avoir étudié son action et ses prises de positions sur le long terme, cela devient alors souvent plus intéressant.

A l’évidence aussi, certains responsables « font leur marché » dans une pensée qui reste vivante car elle pose des questions et tente de dessiner un chemin, mais les comparaisons s’arrêtent souvent sur un point, un sujet, une crise, et ils n’envisagent pas sa pensée comme un tout, un mouvement et c’est là que peuvent émerger des contre-sens majeurs.

La plupart de ces citations procèdent d’ailleurs, nous l’avons laissé percevoir, d’une logique de communication visant par une phrase à revendiquer une part de l’héritage sans même connaître les problématiques d’ensemble posées. On use de la légitimité de Jaurès pour en faire un « supporter » de renom.

Nombreuses sont, malheureusement, les références appartenant à cette dernière typologie de citations, utilisées non pas pour éclairer une vision et nourrir un débat, mais comme un argument d’autorité et un faire-valoir pour conforter une position que l’on veut indiscutable.

Ainsi, on constate avec désarroi que ceux qui mettent en avant l’intérêt porté au travail par Jaurès, le font au détriment de son souhait de mettre fin au salariat et de partager les moyens de production avec les travailleurs. Ceux qui mettent en avant le rôle et l’importance de la patrie pour Jaurès, oublient souvent sa conviction profonde que « le jour où un seul individu humain trouverait, hors de l’idée de patrie, des garanties supérieures pour son droit, pour sa liberté, pour son développement, ce jour-là l’idée de patrie serait morte[22] ».

Journalistes, universitaires, politiques ont souvent condamné les citations « tronquées » de Jaurès qui conduisent des responsables politiques à lui faire dire autre chose, comme François Fillon en 2007 dont l’article tronqué en faisait le défenseur du patronat[23], ou comme Marine Le Pen en 2011, citant une citation non référencée et en fait inexistante dans les écrits de Jaurès[24], ou qui conduisent à passer sous silence une partie de son propos, à l’image de Raphaël Glucksmann qui citait, à Toulouse, il y a quelques mois, Jaurès pour sa conviction dans le caractère réformateur du Parti socialiste, tout en taisant le fait que cette conviction tient à ce que le parti veut, à l’époque, nous citons, « abolir le salariat, résorber et supprimer tout le capitalisme[25] ».

Au cours de nos lectures, nous avons remis la main sur un texte de Jaurès, et plus précisément sur une conférence de philosophie qu’il donna à l’Université de Toulouse en 1893 sur « les idées politiques et sociales de Rousseau[26]», philosophe qu’il considère comme une de ses sources d’inspiration.

Nous l’avons trouvé intéressant car il donne une illustration de la façon dont Jaurès avait lui-même pu utiliser l’œuvre d’un de ses prédécesseurs au service d’une analyse de la politique contemporaine à laquelle il aimait se livrer, plus d’un siècle après.

Nous avons en effet tenté de voir si selon lui il était possible de juger les effets d’idées politiques énoncées pour changer un monde, alors même que ce monde a changé et peut encore être changé. Dans ce cours, Jaurès met en évidence quelques éléments significatifs de la pensée de Rousseau et établit une réelle continuité entre sa pensée socialiste et celle du philosophe des Lumières. Tout d’abord, il considère que Rousseau est au commencement de l’idée socialiste, je cite, « qui était en lui, par son désintéressement, son détachement personnel[27] ». Rousseau est un homme d’esprit « désintéressé », et c’est selon Jaurès, ce qui a donné de l’autorité à ses idées. Mais dans le même temps, c’est ce « désintéressement » qui l’a empêché, selon lui, d’être un « penseur d’action[28]» c’est à dire de « croire à la possibilité d’obtenir les transformations profondes exigées par le droit[29] ».

Le deuxième élément, c’est qu’il est un penseur de l’idéal de la liberté politique et de l’égalité sociale. Il pense les institutions comme régulant la société mais aussi comme pouvant enchaîner les individus. S’il se félicite des progrès, il connaît l’effet néfaste des passions qui se déchaînent. C’est ce qui nourrit chez lui la force de l’idée du Droit, notamment pour encadrer la question de la propriété individuelle, car il a ce mot fort : « la faiblesse humaine est disproportionnée au progrès humain[30] ». 

Dans son cours, Jaurès met en évidence la cohérence et la cohésion d’une pensée complète habitée par le souci de l’égalité et des solutions concrètes à y apporter, et dont le défaut majeur est pour Rousseau de ne pas avoir suffisamment « cru », nous citons Jaurès, « à sa chimère[31]! ».

Car Jaurès constate que Rousseau, qui a agi si puissamment sur la Révolution, ne croyait pas au succès possible de cette Révolution et, il confesse même qu’il n’est « pas sûr que pour cet homme concentré, fermé à certaines légèretés d’enthousiasme, la Révolution française n’eût pas été une nouvelle cause de désespoir[32]». Et, pourtant la liberté y a été acquise et persiste un siècle plus tard. Il constate aussi que si les clauses de son contrat social n’ont jamais été exposées, partout elles ont été facilement adoptées et reconnues. S’il n’y trouve pas de solution précise pour décliner son action politique, Jaurès puise dans Rousseau l’inspiration de la Justice, l’attachement au Droit, et il y puise aussi par expérience d’une Révolution que Rousseau n’a pas connue, l’optimisme et la conviction qu’un jour « la grandeur des événements répond à la grandeur de la pensée[33] ».

Ainsi si on veut établir une continuité, si ce n’est parfaite, du moins logique entre Jaurès et la politique d’aujourd’hui, on devrait rétablir un lien entre sa vision politique d’ensemble et son comportement et les enjeux du moment.

Comme l’a très justement écrit Gilles Candar, « la politique n’a de sens pour lui que rattachée à une conception générale de la vie et de l’humanité[34] ».

Ceux qui se revendiquent de Jaurès n’ont pas toujours eu la chance ou tout simplement le souhait de connaître « le socialisme des origines, qui avait une dimension internationale et portait un modèle de société[35] » comme le disait le socialiste et ancien Premier ministre Michel Rocard. Ce dernier insistait sur cette dimension essentielle : « Il y avait la conscience de porter une histoire collective, elle était notre ciment[36]».

A l’évidence, cet intérêt et ce désir n’existent pas toujours chez ceux qui le célèbrent ou lui empruntent un morceau d’intelligence ou de gloire. Ils n’existent pas chez ceux que Jaurès appelait les « hommes pratiques[37]» qui « emploient quelques mots humanitaires pour amorcer les suffrages du peuple, et qui, sous ces mots, ne mettent aucun sentiment ardent, aucune idée précise qui puisse inquiéter les privilégiés[38] ». Par ailleurs, la crise du socialisme démocratique actuelle dépasse largement la question des citations et de ceux qui les utilisent. 

Il faut néanmoins rappeler cette part manquante : citer Jaurès c’est peut-être en partie « du » Jaurès, mais c’est seulement en partie[39], sans le socialisme et la préoccupation de porter un regard sur un fait essentiel tel qu’il résumait la pensée de Rousseau : « Tout homme entrant dans l’ordre social doit y trouver l’égalité, en échange de la liberté dont il fait abandon[40] ».

Pour conclure, il nous semble que la pensée de Jaurès reste « dynamique » parce que ses propos peuvent faire écho à des évènements et questionnements contemporains variés posés par la mondialisation, par la recherche de la paix, par la paupérisation et la peur du déclassement qu’elle nourrit, par la montée des individualismes et des nationalismes, par le dérèglement climatique et la question de la décroissance, par le fonctionnement de nos institutions ou encore par la réglementation du droit du travail.

Nous ne prendrons qu’un exemple ; au moment où se discute la place et le rôle de la nature dans notre société et où l’avenir des territoires ruraux est interrogé, il est éclairant de relire une dernière fois Jaurès, que nous citons : « Demain, si comme l’espèrent tous les socialistes, un nouveau système social et le perfectionnement de tous les moyens de communication permettent aux hommes de se disséminer dans les campagnes au lieu de s’entasser dans des villes démesurées, l’humanité pourra revenir à un stade antérieur ; et ce sera pourtant un progrès immense, car pouvoir vibrer à la fois, par un double contact, de l’immense vie remuante des hommes et de l’immense vie paisible des choses, quelle plénitude et quelle joie[41] ! ».

Nous aimons à croire qu’il n’aurait pas vu d’un mauvais œil que ses idées soient reprises, citées, commentées, car il aimait nourrir le débat, enseigner pour cultiver, et partager ses sources d’inspiration et de questionnement. Il voulait nourrir des esprits libres, c’est ce qui justifiait aussi son amour et sa confiance dans la République.

Si le terme « instrumentalisation » renvoie à une connotation négative, elle ne désigne que le fait d’utiliser quelque chose ou quelqu’un comme un instrument, mais elle ne dit pas au service de quoi. Et il nous semble qu’utiliser Jaurès pour faire progresser les idées du socialisme, pour nourrir la réflexion politique et juridique comme aujourd’hui, pour « aller à l’idéal et comprendre le réel[42]», pour expliquer la complexité du monde tout en le rendant plus facile à vivre pour tous, pour exiger autre chose de nos modèles sociaux et économiques, pour faire vivre et démocratiser sa pensée, cet héritage ; pour toutes ces raisons au moins, utiliser Jaurès reste une belle façon de lui rendre hommage.


[1] Guguen Guillaume, « Ces politiques qui ne jurent plus que par Jean Jaurès » in Site du journal France 24 ; 2014 ; (https://www.france24.com/fr/20140730-centenaire-jaures-jean-assassinat-politique-france-ps-fn-sarkozy-valls-hollande-pen-melenchon) (consulté le 11/08/2019).

[2] Candar Gilles, « Jaurès en campagne » in Site de la société d’études jaurésiennes ; 2007 ; p. 1 ; [http://www.jaures.info/bibliotheque/File/etudes/Candar-Jaures-Sarkozy.pdf?PHPSESSID=e9cd28ba18abff6477acf79b38189479] (consulté le 08/08/2019).

[3] Propos tenus par Nicolas Sarkozy en 2007 lors d’un meeting à Toulouse, et contestés par le Premier secrétaire du Parti socialiste de l’époque, François Hollande. V. « Cent ans après la mort de Jaurès, les politiques se disputent son héritage » in Site du Journal Le Parisien ; 2014 ;

[http://www.leparisien.fr/politique/videos-cent-ans-apres-la-mort-de-jaures-les-politiques-se-disputent-son-heritage-28-07-2014-4033231.php] (consulté le 08/08/2019).

[4] Ibid.

[5] Philippe Bilger, « A qui appartient Jaurès ? » in Blog de Philippe Bilger ; 2007 ;

[https://www.philippebilger.com/blog/2007/01/index.html] (consulté le 22/08/2019).

[6] A propos d’une autre querelle autour de la figure de Jaurès lors des élections régionales de 2015, V. « A Carmaux, Louis Aliot et Carole Delga s’opposent autour de la figure de Jaurès » in Site du Journal France 3 ; 2015 ; [https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/tarn/carmaux-louis-aliot-et-carole-delga-s-opposent-autour-de-la-figure-de-jaures-832303.html] (consulté le 12/08/2019).

[7] Candar Gilles, « Jaurès en campagne » in Site de la société d’études jaurésiennes ; 2007 ; p. 5 ; (http://www.jaures.info/bibliotheque/File/etudes/Candar-Jaures-Sarkozy.pdf?PHPSESSID=e9cd28ba18abff6477acf79b38189479) (consulté le 08/08/2019).

[8] « 2007 : « je me sens l`héritier de Jaurès » (Sarkozy) » in Site du journal Challenges ; 2007 ; [https://www.challenges.fr/entreprise/2007-je-me-sens-l-heritier-de-jaures-sarkozy_387775] (consulté le 08/08/2019).

[9] Micoine Didier, « Fillon se fait le chantre de l’ouverture » in Site du journal Le Parisien ; 2007 ; [http://www.leparisien.fr/politique/fillon-se-fait-le-chantre-de-l-ouverture-15-06-2007-2008125323.php] (consulté le 08/08/2019).

[10] Guguen Guillaume, « Ces politiques qui ne jurent plus que par Jean Jaurès » in Site du journal France 24 ; (https://www.france24.com/fr/20140730-centenaire-jaures-jean-assassinat-politique-france-ps-fn-sarkozy-valls-hollande-pen-melenchon) 2014 ; (consulté le 11/08/2019).

[11] « Dans son hommage à Jaurès, Hollande demande « de la patience » aux Français » in Site du journal Le Parisien ; 2014 ; (http://www.leparisien.fr/politique/dans-son-hommage-a-jaures-hollande-demande-de-la-patience-aux-francais-23-04-2014-3789203.php) (consulté le 22/09/2019).

[12] Boni Marc (de), « Cambadélis tente une comparaison entre Hollande et Jaurès » in Site du Journal Le Figaro ; 2014 ; [http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/citations/2014/07/30/25002-20140730ARTFIG00069-cambadelis-tente-une-comparaison-entre-hollande-et-jaures.php] (consulté le 13/08/2019).

[13] Chazot Sylvain, « D’après Manuel Valls, Jean Jaurès aurait voté le pacte de responsabilité » in Site du journal Le Lab Europe 1 ; 2014 ; (https://lelab.europe1.fr/D-apres-Manuel-Valls-Jean-Jaures-aurait-vote-le-pacte-de-responsabilite-15227) (consulté le 09/08/2019).

[14] Mélenchon Jean-Luc, « Jaurès reviens ! Ils ont changé de camp ! » in Site du Journal du dimanche ; 2014 ; [https://www.lejdd.fr/Politique/Melenchon-Jaures-reviens-Ils-ont-change-de-camp-677766] (consulté le 22/08/2019).

[15] « Quand Hollande abdique le pouvoir des Français dans les mains des androïdes de la Commission européenne, Jaurès lui tire l’oreille […] Quand Hollande soutient le gouvernement Netanyahou, il se fâche » in ibid.

[16] Tronche Sébastien, « Où l’on apprend que Jean-Luc Mélenchon voulait le siège de Jaurès à l’Assemblée nationale » in Site du journal Le Lab Europe 1 ; 2017 ; [https://lelab.europe1.fr/ou-lon-apprend-que-jean-luc-melenchon-voulait-le-siege-de-jaures-a-lassemblee-nationale-3380561] (consulté le 22/08/2019).

[17] « Interview exclusive d’Emmanuel Macron : « Je suis un patriote réformateur » » in Site du journal La Dépêche ; 2017 ; (https://www.ladepeche.fr/article/2017/05/03/2567441-interview-exclusive-d-emmanuel-macron-je-suis-un-patriote-reformateur.html) (consulté le 22/08/2019). V. aussi Apel-Muller Patrick, « Comment Emmanuel Macron a kidnappé Jaurès » in Site du journal l’Humanité ; 2017 ; (https://www.humanite.fr/comment-emmanuel-macron-kidnappe-jaures-635748) (consulté le 22/08/2019).

[18] Il a été noté qu’aucun responsable politique national de l’extrême gauche (il en va ainsi des partis ou organisations politiques se réclamant du trotskysme) n’a cité ou n’a dit être inspiré par Jean Jaurès en 2007, en 2012 ou en 2017, pourtant Trotsky avait considéré en 1915 que Jaurès était bien un idéaliste démocrate même si la lutte des classes façon léniniste ne l’avait pas suffisamment gagné.

[19] Selon Florian Gougou, historien, cité par Le Figaro « les évolutions du vote des ouvriers sont portées par le renouvellement des générations » et « le recul du vote de gauche des ouvriers [est alimenté] par l’arrivée de nouvelles cohortes dans le champ électoral, qui n’ont jamais eu des habitudes de vote à gauche […] Ces nouvelles cohortes votent de plus en plus pour le Front national. Ce ne sont pas les mêmes ouvriers qui hier votaient pour la gauche qui aujourd’hui votent pour le FN » in site du Figaro ; 2014 ; (https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/07/31/01016-20140731ARTFIG00091-quand-le-front-national-reprend-jaures.php) (consulté le 23/08/2019).

[20] Nitkowski Octave, « Quand le Front national cite Jaurès » in Blog d’Octave Nitkowski ; 2014 ; [https://www.huffingtonpost.fr/octave-nitkowski/quand-le-front-national-cite-jean-jaures_b_4670481.html] (consulté le 17/08/2019) : « Le Front national à la sauce Marine Le Pen reprend non seulement, comme chacun le sait, des idées de gauche mais s’approprie désormais – chose nouvelle – l’imaginaire collectif de gauche ».

[21] Chanoir Yohann & Harlaut Yann, Convaincre comme Jean Jaurès : Comment devenir un orateur d’exception ; Paris, Eyrolles ; 2014.

[22] Jaurès Jean, Le socialisme et la vie : Idéalisme et matérialisme ; Paris : Editions Payot & Rivages ; 2011 ; p. 83.

[23] Candar Gilles, « Jaurès en campagne » in Site de la société d’études jaurésiennes ; 2007 ; p. 3 ; (http://www.jaures.info/bibliotheque/File/etudes/Candar-Jaures-Sarkozy.pdf?PHPSESSID=e9cd28ba18abff6477acf79b38189479) (consulté le 08/08/2019).

[24] Chamayou Grégoire, « Marine Le Pen et la fausse citation de Jaurès » in Site du journal Libération ; 2011 ; (https://www.liberation.fr/france/2011/01/21/marine-le-pen-et-la-fausse-citation-de-jaures_708831) (consulté le 17/08/2019).

[25] Extrait du discours de Jean Jaurès prononcé au Congrès de la Sfio à Toulouse en 1908. V. « Raphaël Glucksmann falsifie Jean Jaurès pour son premier meeting » in Site du média agauche.org ; 2019 ; (https://agauche.org/2019/04/07/raphael-glucksmann-falsifie-jean-jaures-pour-son-premier-meeting/) (consulté le 23/08/2019).

[26] Jaurès Jean, « Les idées politiques et sociales de Jean-Jacques Rousseau » in Revue de Métaphysique et de Morale ; 1912 ; n°3, p. 371 et s.

[27] Jaurès Jean, « Les idées politiques et sociales de Jean-Jacques Rousseau » in Revue de Métaphysique et de Morale ; 1912 ; n°3, p. 371 et s., édition numérique réalisée par Bertrand Gibier, publiée sur le Site de l’Université de Québec à Chicoumi ;

[http://classiques.uqac.ca/classiques/jaures_jean/idees_politiques_Rousseau/idees_politiques_Rousseau.html] (consulté le 23/08/2019).

[28] Ibid.

[29] Ibid.

[30] Ibid.

[31] Ibid.

[32] Ibid.

[33] Ibid.

[34] Candar Gilles, « Jaurès en campagne » in Site de la société d’études jaurésiennes ; 2007 ; p. 3 ; (http://www.jaures.info/bibliotheque/File/etudes/Candar-Jaures-Sarkozy.pdf?PHPSESSID=e9cd28ba18abff6477acf79b38189479) (consulté le 08/08/2019).

[35] Monod Jean-Claude, « Il y a du Ricœur dans Macron, le socialisme en moins » in Site du journal Libération ; 2017 ; (https://www.liberation.fr/debats/2017/10/23/il-y-a-du-ricoeur-dans-macron-le-socialisme-en-moins_1605122) (consulté le 23/08/2019).

[36] Ibid.

[37] Jaurès Jean, « La politique » in La Dépêche ; 23 janvier 1980.

[38] Ibid.

[39] Monod Jean-Claude, « Il y a du Ricœur dans Macron, le socialisme en moins » in Site du journal Libération ; 2017 ; (https://www.liberation.fr/debats/2017/10/23/il-y-a-du-ricoeur-dans-macron-le-socialisme-en-moins_1605122) (consulté le 23/08/2019).

[40] Jaurès Jean, « Les idées politiques et sociales de Jean-Jacques Rousseau » in Revue de Métaphysique et de Morale ; 1912 ; n°3, p. 371 et s., édition numérique réalisée par Bertrand Gibier, publiée sur le Site de l’Université de Québec à Chicoumi ;

[http://classiques.uqac.ca/classiques/jaures_jean/idees_politiques_Rousseau/idees_politiques_Rousseau.html] (consulté le 23/08/2019).

[41] Jaurès Jean, Le socialisme et la vie : Idéalisme et matérialisme ; Paris : Editions Payot & Rivages ; 2011 ; p. 66.

[42] Jaurès Jean, Le socialisme et la vie : Idéalisme et matérialisme ; Paris : Editions Payot & Rivages ; 2011 ; p. 137.


Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso.
Vous pourrez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Eloge du Droit (par le professeur Dominique Rousseau)

Voici la 19e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 9e livre de nos Editions dans la collection dite verte de la Revue Méditerranéenne de Droit public publiée depuis 2013.

L’extrait choisi est celui de l’article du professeur Dominique Rousseau dans l’ouvrage suivant :

Volume IX :
Liberté(s) !
En Turquie ?
En Méditerranée !

Ouvrage collectif
(dir. Laboratoire Méditerranéen de Droit Public)

Nombre de pages : 314
Sortie : juillet 2018
Prix : 33 €

ISBN  / EAN :
979-10-92684-33-9 / 9791092684339
ISSN : 2268-9893

Mots-Clefs : Turquie – Liberté d’expression – Université – Méditerranée – Justice – Libertés – droit constitutionnel – droit comparé –

Présentation :

Le présent ouvrage est un cri d’alarme(s) et de détresse(s) à destination de tous les citoyens, décideurs politiques et membres de la Communauté universitaire en France mais aussi et surtout autour du bassin méditerranéen. Matérialisé en urgence au mois de juin 2018 alors que la situation de plusieurs collègues turcs a attiré l’attention de nombreux réseaux académiques dont le Laboratoire Méditerranéen de Droit Public, il a été décidé d’offrir un témoignage d’amitié et de fraternité aux membres de la Communauté universitaire de Turquie, menacée de privation(s) de liberté(s) par le régime du Président Erdogan. En particulier, l’ouvrage est adressé à notre ami le professeur Ibrahim O. Kaboglu, directeur de l’équipe turque du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public. L’opus résolument tourné vers l’espoir, le Droit et les libertés, se compose de trois parties : la première revendique davantage de libertés d’expression(s) pour nos collègues turcs et offre au lecteur plusieurs points de vues comparés sur les libertés académiques en Méditerranée (Partie I). Par suite, le livre propose de façon militante et assumée des analyses et propositions en faveur du droit constitutionnel et des libertés en Turquie (Partie II) et en Méditerranée (Partie III). Comme l’espère le président Jean-Paul Costa dans son avant-propos, « puisse cet ouvrage collectif, cet hommage solidaire, dépasser le seul symbole ; puissent les témoignages de ces femmes et de ces hommes influer quelque peu sur le cours des choses ! Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre : il fallait en tout cas essayer ».

L’ouvrage comprend une trentaine de contributions auxquelles ont participé depuis plusieurs pays méditerranéens (Espagne, France, Italie, Liban, Maroc, Turquie, …) : le Président Costa, Mesdames et Messieurs les professeurs Afroukh, Basilien-Gainche, Bockel, Bonnet, Fontaine, Freixes, Gaillet, Groppi, Iannello, Larralde, Laval, Malaret, Marcou, Mathieu, Maus, Policastro, Prieur, Rousseau, Starck, Touzeil-Divina & Turk ainsi que Mmes Abderemane, Elshoud, Espagno-Abadie, Eude, Fassi de Magalhaes, Gaboriau, Kurt, Mestari, Perlo, Rota, Schmitz mais aussi MM. Altinel, Barrue-Belou, Degirmenci, Friedrich, Gelblat, Makki, Meyer, Ozenc & Sales.

L’image de première de couverture a été réalisée, à Beirut, par Mme Sara Makki. Le présent ouvrage a reçu le généreux soutien du Collectif l’Unité du Droit (Clud), du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public (Lmdp), de l’Association Française de Droit Constitutionnel (Afdc), de l’Association Internationale de Droit Constitutionnel (Aidc) & du Collège Supérieur du Droit de l’Université Toulouse 1 Capitole.

Eloge du Droit

Dominique Rousseau
Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne,
Directeur de l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne

Dans certains milieux, il est très tendance de critiquer le droit. Il serait la cause de tous les maux : l’économie de marché qu’il légitimerait, la dissolution des liens sociaux qu’il provoquerait, l’individualisme qu’il sacraliserait, l’Etat qu’il affaiblirait, … Et partout en Europe, les gouvernements s’en prennent au droit et à ceux qui le portent, les universitaires-juristes et les magistrats. La Pologne réduit la compétence des juges constitutionnels, la Hongrie remet en cause le principe d’indépendance de la Justice et des universitaires, …

« Le droit, le droit, le droit ! Si le politique veut, le droit ne doit-il pas s’incliner ! Le droit n’est-il pas là pour fournir au politique les moyens d’accomplir sa volonté ! » Certains le pensent. Malheureusement. Car le droit, et en particulier la constitution est, disait Benjamin Constant, « la garantie de la liberté d’un peuple ». Quand des hommes s’assemblent, cette réunion produit toujours la nécessité de règles qui fondent leur vie commune et organisent leurs rapports ; qui, pour reprendre l’article 2 de la Déclaration de 1789, les constituent en « association politique ». Et, dans les sociétés contemporaines, le droit est le seul médium où enraciner les règles d’intégration sociale, où fonder la démocratie.

Pour passer, en effet, de la multitude à la société, il faut, toujours et partout, qu’arrive un récit fondateur, un récit qui raconte une histoire dans laquelle chacun puisse se reconnaître, un récit qui symboliquement dit l’ensemble. Or, le récit dans lequel les sociétés se constituent en tant que telles est, précisément, une constitution ! Ce n’est par hasard si, dans ces moments politiques purs que sont les révolutions, quand tout est rapport de forces politiques, barricades, violences, il est fait appel au droit par les révolutionnaires. Les hommes de 1789 répondent au discours de Louis XVI du 5 mai par la rédaction, deux mois plus tard, de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ; les capitaines portugais de 1974 annoncent, aussitôt après avoir renversé le régime salazariste, la convocation d’une assemblée constituante comme les tunisiens après avoir chassé Ben Ali en 2011. Pas davantage un hasard si, après les attentats de janvier 2015, les mots entendus dans la marche du 11 janvier et qui disent l’idéal du moi collectif étaient des mots constitutionnels : « liberté d’expression », « liberté, égalité, fraternité », « liberté d’écrire et d’imprimer », toute expression qui renvoie explicitement aux articles pertinents de la Déclaration de 1789 ou à la devise de la République inscrite à l’article 2 de la constitution de 1958.

Pas un hasard parce qu’une constitution n’est pas seulement un texte « technique » ; elle est ce miroir magique qui fait advenir la figure du citoyen qu’elle expose dans ses valeurs. L’état de nature ne connait pas le citoyen mais l’être humain pris dans ses déterminations sociales – sexe, âge, profession, religion, revenus, … – qui font apparaître nécessairement les différences, les inégalités de fait dans la répartition du capital économique, culturel, symbolique. Si les sociétés en restaient à ce moment-là, elles produiraient une représentation d’elles-mêmes où l’inégalité des conditions aurait la place centrale en ce qu’elle fonderait et le principe de regroupement des hommes et le fondement légitime des règles. La fonction magique d’une constitution est, précisément, de faire passer de l’état de nature à l’état civil, de transformer les êtres humains en citoyens par la grâce des valeurs communes qu’elle énonce. Elle est ce miroir dans lequel l’égalité en droits construit la figure du citoyen. La force propre du droit, écrivait Pierre Bourdieu, est d’instituer, c’est-à-dire, de faire exister, de donner vie à ce qu’il nomme. Ainsi en est-il de la constitution qui nomme et en les nommant constitue – au sens premier du terme – le peuple.

Cette part du droit dans la construction du peuple est essentiel ; dans l’histoire et dans les philosophies politiques, une compréhension a-juridique sinon anti-juridique du peuple n’a jamais ouvert les chemins de la démocratie. Car si le peuple ne se construit pas par « un accord sur le droit » comme le dit Cicéron, sur quel lien symbolique va-t-il se constituer ? Par un accord sur le sang ? Par un accord sur la race ? Par un accord sur la religion – le peuple juif, le peuple musulman, le peuple chrétien, … ? Par un accord sur la personne du chef-incarnation-du-peuple ?

Eloge du droit donc. Attaquer le droit c’est attaquer la démocratie. Ce n’est pas le suffrage universel, ni les sondages, ni le référendum qui « agacent » les politiques ; c’est le Droit. Et les juges. Dans son ouvrage, L’invention du droit dans l’Occident, Aldo Schiavone montre avec justesse qu’à Rome le droit a été inventé en se séparant progressivement de la morale et de la religion, qu’il s’est inventé comme objet autonome par rapport à la religion, au politique et à la morale grâce aux magistrats. C’est lorsqu’il y a eu un corps de juristes qui a pensé les problèmes de la société en termes juridiques et non plus en terme moral, religieux ou politique que le droit est né, par la constitution d’un corps de magistrats comme producteurs du droit. Entre l’institution judiciaire, le droit et la démocratie, il y a un lien nécessaire.

Une pensée unique se diffuse ainsi dans toute l’Europe répétant à l’envi que les droits constitutionnels sont dangereux pour la démocratie oubliant que les détruire serait détruire une forme singulière d’organisation politique des sociétés : l’Etat de Droit. Les juristes distinguent, en effet, trois formes d’Etat. L’Etat de police d’abord, qui permet aux gouvernants de concentrer entre leurs mains le pouvoir de faire la loi, le pouvoir de faire exécuter la loi et le pouvoir de juger de son application selon leur seul bon vouloir et sans contrôle possible. L’Etat légal ensuite, qui soumet le pouvoir exécutif, l’administration et la justice au respect de la loi votée par le Parlement, loi qui, expression de la volonté générale, est incontestable et ne peut donc être jugée. L’Etat de Droit enfin. Ici, un débat se noue entre juristes. Pour les uns, la notion « Etat de Droit » est tautologique car tout Etat est nécessairement un Etat de Droit, avec un système normatif produit, appliqué et contrôlé par les autorités habilitées à ces différentes tâches. Pour d’autres, l’Etat de Droit ne peut pas être l’Etat de n’importe quelle loi ; les lois votées par le Parlement doivent être soumises au respect d’un Droit qui leur est supérieur et qui fonde en conséquence la légitimité d’un contrôle juridictionnel des lois.

Evidemment, par cette querelle juridique s’expriment plusieurs enjeux. Un enjeu politique puisque pour les premiers un Etat totalitaire, autoritaire ou fasciste peut être qualifié d’Etat de Droit dès lors qu’il a une constitution qui habilite les autorités à prendre les décisions alors que pour les seconds la qualification d’Etat de Droit dépend de la nature démocratique du Droit auquel l’Etat se soumet. Un enjeu philosophique dans la mesure où si un Droit s’impose à l’Etat, il convient de savoir quelle est la source de ce Droit, son contenu et sa nature. Certains vont chercher les réponses dans la Nature ; mais, disait Héraclite, elle aime à se cacher. D’autres vont les chercher dans un Dieu ; mais ses paroles sont souvent difficiles à décrypter. Plus simplement, il faut chercher ce Droit qui s’impose à l’Etat dans les déclarations des droits de l’homme écrites par les hommes et, pour les sociétés européennes, dans la Convention de 1950. Ces droits, écrivaient le doyen Vedel, sont immanents quand ils se font et transcendants quand ils sont faits. Ils sont le résultat des luttes sociales menées par quelques hommes pour tous les hommes.

Dans « Etat de Droit », il y a « Etat », c’est-à-dire, cette scène qui offre aux hommes la possibilité de « sortir » de leurs déterminations sociales, de ne plus se voir dans leurs différences sociales mais de se représenter comme des êtres de droit égaux entre eux. Sieyès le disait : du point de vue de la citoyenneté, les différences de sexe, d’âge, d’origine n’ont pas d’importance ; la qualité de citoyen est le schème par lequel les hommes peuvent se percevoir et se reconnaître comme des égaux. Le moment « Etat » est ainsi, dans la construction d’une société, le moment qui permet aux hommes de sortir du communautarisme « naturel » et de se percevoir dans une relation politique d’égalité. Mais il y a aussi « Droit », c’est-à-dire, cette scène qui empêche l’Etat de développer sa logique propre de forme organisatrice et totalisante de la société. Le moment « Droit » est celui qui garantit aux citoyens aussi bien le respect de la vie privée, la liberté d’aller et venir, l’inviolabilité du domicile que la faculté de s’exprimer et d’agir collectivement pour proposer des normes nouvelles.

L’homme n’est homme que par la conscience, conscience de lui-même et de lui-même parmi les autres. « Je est un autre » écrivait Rimbaud. Toutes les tragédies du XXe siècle ont pour cause l’oubli ou l’ignorance ou la destruction de la conscience de soi quand les hommes abdiquent ou sont contraints d’abdiquer leur moi dans un grand tout : le parti, l’Etat, la religion, la race, … Et ce qui fait la conscience humaine, c’est le sens critique, la tension permanente entre certitude et doute, c’est le fameux « Que sais-je ? » de Montaigne, l’interrogation continue sur les savoirs.

Les valeurs constitutionnelles expriment cette tension constitutive de la conscience humaine puisqu’elles sont des promesses que la misère de monde interroge sans cesse. L’égalité entre les hommes et les femmes, la liberté individuelle, la fraternité sont, entre autres, des valeurs constitutionnelles que l’exclusion, les injustices, l’arbitraire démentent quotidiennement. De cet écart entre les promesses constitutionnelles et la misère du monde naît la possibilité d’une critique de la positivité sociale, critique à l’autorité renforcée par le fait de pouvoir s’enraciner non dans un ailleurs idéologique mais directement dans les valeurs énoncées dans la constitution. Ainsi, les valeurs constitutionnelles permettent aux hommes de prendre conscience de leur statut de citoyen, c’est-à-dire, de sujets de droit autonomes, capables de s’autodéterminer, de maîtriser leur histoire, de la réfléchir, de la discuter et de la penser.

Dénoncer les droits constitutionnels serait enlever aux citoyens l’instrument qui les protège d’un Etat absolu. Sans ces droits, il resterait l’Etat, un monstre froid disait Nietzsche. A tous ceux qui envisagent de dénoncer les textes, les hommes et les institutions qui les portent, il convient de rappeler ce que déclaraient les hommes de 1789 : « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernants ».

Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).

ParEditions L'Epitoge (Collectif l'Unité du Droit)

Le vote du budget dans The West Wing (par M. Damien Connil)

Voici la 18e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 7e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012 : Le Parlement aux écrans !

Au sein de ce opus, nous avons choisi de publier le bel article de M. Damien Connil à propos du vote du budget dans la série The West Wing.

En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :

Volume VII :
Le Parlement aux écrans !

Ouvrage collectif
(Direction : Mathieu Touzeil-Divina)

– Sortie : automne 2013 / Prix : 39 €

  • ISBN : 979-10-92684-01-8
  • ISSN : 2259-8812


Présentation :

Le présent ouvrage est le fruit d’un colloque qui s’est déroulé à l’Université du Maine le 05 avril 2013 dans le cadre de la 2ème édition des « 24 heures du Droit ». Co-organisé par le Collectif L’Unité du Droit et le laboratoire Themis-Um (ea 4333), il est dédié à la mémoire du professeur Guy Carcassonne qui fut l’un des membres de son conseil scientifique et dont l’allocution de clôture est ici reproduite in extenso en hommage. Le colloque « Le Parlement aux écrans ! » (réalisé grâce au soutien de l’Assemblée Nationale ainsi qu’avec le concours des chaînes parlementaires Public Sénat & Lcp-An) s’est en effet proposé de confronter le droit parlementaire et ses acteurs à tous les écrans : de communication(s), informatiques, réels ou encore de fiction(s). Comment les délégués d’une Nation (en France mais aussi à l’étranger) sont-ils incarnés et / ou représentés dans et par les écrans ? Les médias leur sont-ils singuliers ? L’existence de chaînes à proprement parler « parlementaires » est-elle opportune et efficiente ? En particulier, comment y est gérée la question du pluralisme et de l’autonomie financière ? Comment le cinéma, la fiction et finalement aussi peut-être le grand public des citoyens perçoivent-ils le Parlement et ses acteurs, leurs rôles, leurs moyens de pression ? Y cède-t-on facilement à l’antiparlementarisme ? Comment y traite-t-on des enjeux et des phénomènes parlementaires historiques et / ou contemporains ? Quelle y est la « mise en scène » parlementaire ? Existe-t-il, même, un droit de ou à une télévision camérale ?

Telles sont les questions dont le présent colloque a traité avec la participation exceptionnelle du maestro Costa-Gavras, de parlementaires (dont le Président Delperee et la députée Karamanli), d’administrateurs des Chambres, de journalistes caméraux et directeurs de chaînes, d’universitaires renommés (dont les professeurs Benetti, Ferradou, Guglielmi, Hourquebie, Millard, de Nanteuil, Touzeil-Divina et Mmes Gate, Mauguin-Helgeson, Nicolas & Willman) ainsi que d’étudiants des Universités du Maine et de Paris Ouest.

« Les juristes (…) et les politistes s’intéressent à cette scène particulière [le Parlement] avec intelligence, distance et humour. Ils ne laissent jamais indifférents lorsqu’ils donnent un sens à l’action des politiques sur cette scène originale. Ils interprètent, c’est un trait des juristes, les positions des politiques et leur façon de se mouvoir entre eux devant les citoyens. Plus encore ils donnent à voir les relations que les écrans, la fiction, a et entretient avec une réalité qui ressemble, elle-même, à une scène. Il y a un effet de miroir et de lumières très original que le cinéma n’est pas / plus seul à donner. Pour le comprendre il faut lire l’ensemble des contributions de ce colloque original, intelligent et libre, et qui rend plus intelligent et plus libre ».   Costa-Gavras

Colloque réalisé et ouvrage publié avec le concours du Collectif L’Unité du Droit, du groupe SRC de l’Assemblée Nationale ainsi que du laboratoire juridique Themis-Um.

Quand le vote du budget se transforme en thriller
A propos de deux épisodes
de The West Wing

Damien Connil
Chargé de recherches (Cnrs) –
Université de Pau (Umr 7318 – Ie2ia)

Le vote du budget n’est pas, à première vue, le sujet parlementaire le plus télégénique. Pourtant, en s’appuyant sur la réalité et en présentant ce processus de manière très accessible, une série télévisée – The West Wing (A la Maison Blanche) – est parvenue, à travers deux de ses épisodes (les épisodes 7 et 8 de la saison 5[1]), à mettre en scène et à dramatiser cet évènement constitutionnel et parlementaire particulier qu’est l’adoption du budget. La série, qui raconte le fonctionnement quotidien de l’exécutif américain en mettant en scène le Président des Etats-Unis – un Président fictif, le Président Bartlet – et ses conseillers, transforme même l’élaboration du budget en un véritable thriller, un thriller budgétaire[2]. C’est, précisément, cette mise en scène du processus budgétaire qui mérite d’être examinée.

A titre liminaire, quelques précisions d’ordre général sont nécessaires. Aux Etats-Unis, de manière schématique, il appartient au Congrès de voter le budget tandis que le Président dispose, quant à lui, d’un droit de veto[3]. Plus précisément, en application du Budget and Accounting Act de 1921, le Président soumet au Congrès, le premier lundi de février de chaque année, un projet de budget. Assisté par l’Office of Management and Budget (Omb), le Président y détaille, notamment, les recettes et les dépenses envisagées ainsi qu’une estimation des emprunts et de la dette, des recommandations législatives et politiques ou encore une évaluation des performances économiques. A partir de ce projet, et depuis le Congresional Budget Act de 1974, le Congrès doit faire un choix : ou bien, il s’appuie sur la proposition du Président pour amender puis adopter le budget ; ou bien, le plus souvent, il élabore sa propre proposition de budget fédéral qu’il adopte sous la forme d’une concurrent resolution et qu’il élabore avec le Congressional Budget Office (Cbo) qui l’assiste. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’une loi mais d’une simple résolution conjointe qui échappe ainsi au veto présidentiel.

Le budget fédéral définitif est, quant à lui, adopté, dans un second temps, lorsque l’ensemble des dispositions législatives nécessaires et, en particulier, les différentes lois de répartition des crédits (appropiations bills) sont elles-mêmes votées et adoptées par les parlementaires pour former le budget ; c’est à cet ensemble législatif-là que le Président pourra, le cas échéant, opposer son veto.

Une difficulté – qui est également une nécessité – apparaît donc dans la procédure budgétaire américaine. Elisabeth Zoller l’a parfaitement soulignée : « au bout du compte, les deux pouvoirs doivent résoudre leurs différences et trouver des compromis sur le montant des dépenses à engager et sur les modifications à apporter à la législation fiscale ou sociale. Mais […] d’abord, ils s’affrontent»[4]. De très importantes négociations entre le Congrès et la Maison Blanche sont donc engagées : des négociations qui visent à obtenir soit un accord en vue de l’adoption définitive du budget fédéral avant le 1er octobre, date du début de l’année budgétaire aux Etats-Unis, soit un compromis en vue d’un budget provisoire, dans l’attente d’un accord définitif si l’année budgétaire a déjà commencé et qu’aucun accord définitif n’a, jusque-là, pu être obtenu.

Or, c’est précisément à ce moment-là de la procédure budgétaire – autrement dit, à ce moment de tension et d’opposition entre exécutif et législatif – que se situent les épisodes de The West Wing, ici, analysés. Il conviendra, dès lors, d’examiner la mise en scène de la procédure budgétaire proposée par la série A la Maison Blanche : d’abord, ce qu’elle traduit et ce qu’elle révèle des pouvoirs du Parlement et de ses rapports avec l’exécutif en matière budgétaire grâce à une mise en scène pédagogique (I) ; ensuite, ce qu’elle montre et ce qu’elle déforme de la réalité constitutionnelle et parlementaire à travers une mise en scène dramaturgique (II) ; enfin, ce qu’elle suggère et ce qu’elle provoque comme représentations de la vie institutionnelle en général et de l’élaboration du budget fédéral en particulier par une mise en scène constructive (III).

I. Une mise en scène pédagogique

Par les deux épisodes qu’elle consacre à la procédure budgétaire, la série A la Maison Blanche offre une véritable mise en image de ce moment constitutionnel et parlementaire si particulier qu’est l’élaboration du budget. Cependant, et c’est ce qui fait sa richesse pédagogique, la série ne se contente de porter à l’écran le processus budgétaire, elle en explique aussi les grandes lignes pour permettre au spectateur d’en comprendre tout à la fois les mécanismes et les enjeux.

Par exemple, les deux épisodes de la série expliquent, d’abord, les rôles respectifs du Président et du Congrès dans l’élaboration du budget. Une première discussion entre le Vice-Président et le Secrétaire général de la Maison Blanche permet de comprendre qu’il appartient au Congrès d’élaborer le budget et que le Président peut simplement y opposer son veto. C’est le Vice-Président qui présente cette répartition des compétences en prenant appui non seulement sur les dispositions de la Constitution mais aussi sur la volonté des Pères fondateurs. Il est, en particulier, fait référence à James Madison. Une seconde discussion, à la fin des deux épisodes, entre le Président Bartlet et le Président Haffley – le Président de la Chambre des Représentants – revient sur cette répartition des compétences entre le Président et le Congrès en soulignant, par la mise en scène, l’affrontement qui existe entre les deux pouvoirs. Le Président de la Chambre insiste : « la Constitution confie au Congrès le soin d’élaborer et d’adopter le budget » ; le Président Bartlet le coupe immédiatement pour lui rappeler que la Constitution donne, aussi, au Président un droit de veto.

La référence à la Constitution est donc présente et elle est même au cœur de l’intrigue. Le bras de fer entre le Congrès républicain et le Président démocrate ainsi que la répartition des compétences entre ces deux pouvoirs sont précisément le cœur de l’histoire qui nous est racontée[5]. C’est là une des caractéristiques de la série : l’élément constitutionnel est très souvent au cœur de la narration et le scénario l’intègre pour qu’il constitue un enjeu majeur de l’épisode et qu’il soit parfaitement compréhensible pour les spectateurs[6].

Ensuite, des éléments, plus techniques, relatifs au processus budgétaire, sont également expliqués et participent d’une mise en scène particulièrement pédagogique. La série permet, par exemple, de comprendre la pratique des continuing resolutions (des résolutions temporaires). Lorsque les négociations entre la Maison Blanche et le Congrès n’ont pu aboutir à l’adoption définitive du budget avant le début de la nouvelle année budgétaire (c’est-à-dire avant le 1er octobre), et pour permettre à l’Administration de fonctionner, une résolution temporaire est le plus souvent adoptée pour mettre en place un budget provisoire. Ce mécanisme – des continuing resolutions – est expliqué dans la série. Plusieurs scènes et, surtout, plusieurs conversations tout au long des deux épisodes, et entre différents personnages de la série, permettent aux spectateurs de saisir les grandes lignes du mécanisme et de comprendre qu’il s’agit de mesures temporaires adoptées le temps que les lois de crédits définitives soient elles-mêmes adoptées et qu’elles entrent en vigueur.

Un procédé explicatif récurrent de la série, que M. Winckler avait déjà observé, apparaît alors : « chacun [des personnages] a, à son tour, l’occasion de se faire la voix du spectateur (du citoyen) pour dire qu’il ne comprend pas ce qui se passe, et obtenir ainsi qu’on nous/qu’on le lui explique »[7]. De cette manière, les conversations entre les personnages d’A la Maison Blanche servent aussi bien le déroulement de l’intrigue que l’explication des mécanismes institutionnels qui sont parfois subtils mais dont la compréhension est néanmoins nécessaire aux spectateurs[8]. Un autre mécanisme, qui est lui aussi au cœur de l’intrigue (au point d’ailleurs de fournir le titre du second épisode), est également porté à l’écran et expliqué aux spectateurs : c’est ce que l’on appelle le shutdown. On l’a dit, lorsqu’un accord n’a pu être trouvé avant le début de l’année budgétaire, une résolution temporaire est, le plus souvent, adoptée. Mais, lorsqu’un accord ne peut même pas être trouvé en vue d’une simple résolution temporaire, l’Administration fédérale se trouve dans une situation particulièrement délicate qui est qu’elle ne peut plus fonctionner, faute de budget opérationnel, parce que, en application de la Constitution, « aucune somme ne sera prélevée sur le Trésor, si ce n’est en vertu de crédits ouverts par la loi »[9]. L’Administration se trouve alors dans l’obligation de fermer ses services : c’est le government shutdown.

Pour expliquer le mécanisme, la série utilise son procédé explicatif habituel mais au lieu d’être l’occasion d’une conversation entre deux personnages, l’un expliquant à l’autre la situation et ses enjeux, la mise en scène consiste à montrer le Secrétaire général de la Maison Blanche annonçant, au personnel de la Maison Blanche : le blocage des administrations fédérales, l’absence de budget opérationnel et, par conséquent, l’obligation pour l’ensemble du « personnel non-essentiel » de cesser le travail. L’aspect didactique de la scène se poursuit même avec une séance de questions-réponses sur la durée, l’étendue et les conséquences du shutdown ; des questions et des réponses qui permettent, en réalité, au spectateur de mieux comprendre ce qui se passe.

Plus encore, dans la suite de l’épisode, les conséquences du blocage sont également mises en évidence. Alors qu’habituellement dans la série, la Maison Blanche est un lieu plein d’activité, une véritable fourmilière avec des collaborateurs qui travaillent un peu partout et des couloirs très encombrés, l’épisode du shutdown montre, au contraire, un lieu extrêmement calme, presque désert avec des couloirs vides et des bureaux où seuls les plus proches collaborateurs du Président continuent de travailler, sans leurs assistants et avec des moyens visiblement réduits.

De la même manière, à l’extérieur de la Maison Blanche, par un procédé qui est lui-même intéressant puisqu’il s’agit des reportages des chaînes d’information que l’on voit à travers les écrans de télévision qui restent allumés dans les bureaux de la Maison Blanche ou dans les bureaux de la majorité au Congrès, sont montrés des touristes américains, venus à Washington pour visiter la ville, qui ne peuvent pas accéder à un certain nombre de Musées parce que ceux-ci sont fermés en raison du shutdown. Même le dîner officiel prévu avec le Premier ministre britannique se transforme, en raison du blocage, en un dîner, plus simple, préparé par la Première Dame elle-même, entre le Président, le Premier ministre et leurs épouses. L’explication du mécanisme, donnée dans un premier temps, est ainsi renforcée, ensuite, par la mise en image de ses conséquences.

La série propose donc une mise en scène particulièrement pédagogique en ce sens que, non seulement, elle met en images les mécanismes institutionnels et parlementaires nécessaires à la compréhension du processus budgétaire mais elle en offre également une explication in vivo, ce qui fait d’elle, aussi, un formidable instrument d’appréhension du droit constitutionnel. Cependant, et parce que la série reste une fiction et un divertissement, elle ne se contente pas d’une mise en scène purement pédagogique. Pour que le vote du budget se transforme véritablement en thriller budgétaire, il faut également que la mise en scène soit dramaturgique.

II. Une mise en scène dramaturgique

Pour les auteurs de la série, la mise en scène de la procédure budgétaire n’est peut-être, en réalité, qu’un prétexte dramaturgique.

D’ailleurs, l’extrême complexité du processus d’élaboration du budget fédéral est, à plusieurs reprises, soulignée. Joshua Lyman (le Secrétaire général adjoint de la Maison Blanche) affirme même, au début du premier épisode, que l’un des charmes de la procédure budgétaire est que, précisément, « personne n’y comprend rien ». Assez révélateur de l’effective complexité de la procédure, cela permet aussi – et, peut-être, surtout – aux auteurs de la série de ne pas développer certains aspects trop techniques du processus budgétaire.

En revanche, l’adoption du budget présente, en elle-même, un intérêt dramaturgique évident : dans un système institutionnel où il appartient au Congrès de voter le budget et au Président d’y opposer, s’il le souhaite, son veto et dans un contexte de gouvernement divisé (divided governement) où exécutif et législatif ne sont pas de la même couleur politique, rien n’illustre et ne cristallise plus et mieux les tensions qui opposent le Congrès républicain au Président démocrate que l’élaboration du budget fédéral. La « séparation des pouvoirs », titre original du premier épisode, se transforme ainsi à l’écran en un véritable « bras de fer » entre le Congrès et la Maison Blanche, pour reprendre le titre français du second épisode.

Plusieurs éléments participent à cette dramatisation de l’évènement.

Premièrement, le scénario lui-même sert la dramaturgie. Déjà, dans les épisodes qui précèdent ceux qui sont, ici, examinés, l’opposition entre le Président Bartlet et le Président Haffley avait été signalée et mise en évidence. Dès le début des deux épisodes consacrés au processus budgétaire, on comprend que les négociations durent depuis de nombreuses semaines, que des désaccords politiques majeurs persistent et, tout au long du premier épisode, les conseillers du Président s’exaspèrent de l’intransigeance des Républicains et des négociations qui ne permettent pas d’aboutir à un accord.

La tension atteint son paroxysme quand, à la toute fin du premier épisode, le Président Bartlet met fin, de façon spectaculaire, à une ultime réunion et déclare le blocage des Administrations. La dramaturgie est ici renforcée par le déroulement de l’intrigue sur deux épisodes grâce la fameuse accroche à la fin du premier (le cliffhanger), qui « oblige » le spectateur à regarder le second épisode pour connaître la fin de l’histoire. Le suspense est même accentué tout au long de ce second épisode parce que le spectateur ne sait pas comment tout cela va se terminer. Il est plongé dans une relative incertitude parce que la fébrilité de la Maison Blanche est mise en scène : les conseillers du Président s’interrogent eux-mêmes sur la stratégie à adopter, sur les solutions à envisager et sur les possibilités, plutôt réduites, qui s’offrent à eux. A tout cela, il faut encore ajouter les éléments classiques du film à suspense qui participent à la dramatisation de l’intrigue : la musique, les ralentis et les gros plans qui soulignent les tensions qui existent entre exécutif et législatif[10].

Deuxièmement, après le scénario, la dramaturgie de la série repose également sur une exagération de la réalité. Par la mise en image qu’elle propose du processus budgétaire, la série A la Maison Blanche offre un reflet de la réalité. Mais parce qu’il s’agit d’une mise en scène, elle en offre une image nécessairement déformée. Edgar Morin écrit que « le cinéma majore le réel »[11]. C’est exactement le cas ici aussi. La série s’appuie sur la réalité. Les tensions entre le Président démocrate, Jed Bartlet, et le républicain Haffley ne sont pas sans rappeler l’opposition très virulente qui existait au milieu des années 1990 entre le Président Clinton et le Congrès républicain et qui avait d’ailleurs conduit au plus long shutdown de l’histoire des Etats-Unis puisque l’Administration avait fermé ses services pendant 21 jours entre décembre 1995 et janvier 1996.

Parfois, la fiction se confond même avec la réalité. Les thèmes contemporains de la vie politique américaine réelle se retrouvent dans la série et, dans les épisodes qui sont consacrés à l’élaboration du budget, ce sont les principaux chevaux de bataille respectifs des démocrates et des républicains que l’on aperçoit et qui nourrissent les discussions : par exemple, l’éducation, les subventions agricoles et Medicaid, d’un côté ; les allègements d’impôts, la défense nationale et la sécurité intérieure, de l’autre.

La fiction va même plus loin dans la mesure où elle permet une forme d’idéalisation de la réalité. Le personnage de Josiah Bartlet en est l’illustration et Marjolaine Boutet l’a parfaitement remarqué : « Aaron Sorkin, démocrate convaincu, a en effet créé un président à la fois idéal et profondément humain jusque dans ses contradictions : prix Nobel d’Economie, érudit mais non coupé des réalités quotidiennes, […] animé d’un fort désir d’améliorer le sort des défavorisés et en même temps capable de se montrer ferme sur la scène internationale, autoritaire mais ouvert au dialogue, charismatique mais pas manipulateur. Jed Bartlet donne envie de croire que la politique peut changer le monde »[12]. Cette idéalisation de la réalité se retrouve dans les épisodes consacrés au processus budgétaire.

Mais surtout, la fiction peut aussi dépasser la réalité. La série aborde, ainsi, un nombre de situations constitutionnelles exceptionnelles bien plus importants que celles auxquelles un Président réel sera normalement confronté au cours de son mandat. La série présente des situations dramatiques ou pittoresques exacerbées. Ce procédé est connu et Sabine Chalvon-Demersay l’avait déjà observé à propos de la série Urgences[13] qui met en scène une médecine exagérée tout en s’appuyant sur « la précision technique de tout ce qui renvoie à la partie proprement médicale »[14]. Dans les deux épisodes consacrés au budget, la fiction dépasse la réalité lorsque le Président Bartlet prend la décision de se rendre, à pied, au Capitole pour rencontrer les chefs de file de la majorité, obtenir un compromis budgétaire et faire ainsi le premier pas vers un Congrès qui lui est pourtant hostile. On imagine mal le Président des Etats-Unis agir ainsi dans la réalité. The West Wing est donc bien une fiction, une mise en scène et une mise en scène dramaturgique, mais d’une réalité constitutionnelle et parlementaire. Or, par ses caractéristiques, parce qu’elle est tout à la fois pédagogique et dramaturgique, la série nous offre également une mise en scène particulièrement constructive en ce sens qu’elle participe aussi à la construction de notre imaginaire constitutionnel.

III. Une mise en scène constructive

Par les images qu’elle propose de la procédure budgétaire, la série A la Maison Blanche participe à la fabrication d’un certain nombre de représentations sociales quant à ce qu’est la présidence des Etats-Unis et ses relations avec le Congrès en matière budgétaire. Autrement dit, avec Denise Jodelet, la série participe d’une « forme de connaissance, socialement élaborée et partagée […] concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social »[15]. La série participe à la construction de notre imaginaire constitutionnel. Reste alors à savoir – au-delà des éléments déjà évoqués – de quelle manière cela se fait.

D’abord, la participation à une telle construction est possible parce que la série paraît vraisemblable. Certes, la réalité est exagérée ; certes, les situations sont dramatisées ; certes, les personnages sont idéalisés ; mais, l’ensemble paraît plausible, paraît réaliste.

Les sociologues, en particulier Jean-Pierre Esquenazi, ont bien montré que « l’opération représentationnelle caractéristique de la fiction consiste en l’ajustement d’une imitation et d’une invention : elle s’efforce d’imiter un monde réel qui est sa « base » et d’y insérer une narration inventée « saillante » »[16]. Or, le caractère vraisemblable de la série résulte précisément de cet ajustement entre le monde réel et le monde inventé.

Ensuite, les épisodes de la série participent également à la construction de notre imaginaire constitutionnel parce qu’ils nous permettent de voir ce que l’on ne peut, en principe, pas voir. The West Wing nous montre l’envers du décor et nous fait découvrir les coulisses du pouvoir[17]. C’est ainsi que l’on assiste, au gré des deux épisodes, à la préparation du budget, aux réunions des conseillers du Président et aux négociations entre la Maison Blanche et le Congrès. Le spectateur découvre en image ce qui se passe en amont et en coulisses de l’adoption du budget. De cette manière, il accède à une « scène » qui lui est, en principe, inaccessible : le bureau ovale, le QG de la majorité républicaine au Congrès et les lieux de réunion et de négociation. La série met en lumière les zones d’ombre de la vie institutionnelle et permet au spectateur d’imaginer la réalité et de passer, selon l’expression d’Edgar Morin, de « l’image à l’imaginaire »[18].

Enfin, la dimension constructive de la mise en scène du processus budgétaire dans la série A la Maison Blanche tient aussi aux caractéristiques des séries télévisées.

Par sa régularité, semaine après semaine, la série s’inscrit progressivement dans une forme de « ritualité familiale »[19] qui est d’autant plus forte qu’elle saisit naturellement le spectateur au domicile, c’est-à-dire dans sa propre vie quotidienne. De la même manière que les anthropologues, comme Georges Balandier ou Marc Abélès, ont pu observer que la télévision avait fait entrer dans les foyers des images médiatiques quotidiennes du politique[20], The West Wing offre des représentations régulières de la vie institutionnelle américaine et des rapports entre exécutif et législatif. Et, ce phénomène est même renforcé par le caractère saisonnier des séries télévisées qui permet de faire coïncider les évènements réels et la fiction. C’est assez peu significatif pour ce qui concerne les épisodes relatifs au budget[21] mais c’est, en revanche, beaucoup plus important quand il s’agit, par exemple, du discours sur l’état de l’Union ou de la rentrée solennelle de la Cour suprême.

Pédagogique, dramaturgique, constructive, la mise en scène du processus budgétaire proposée dans The West Wing est, à l’évidence, extrêmement riche pour qui cherche à comprendre le phénomène juridique dans son ensemble. Denys de Béchillon le disait déjà dans Qu’est-ce qu’une règle de droit ? :

« Le « vrai » Droit, objectif, se construit aussi avec des représentations, « fausses » ou pas. Nous avons donc besoin de comprendre ces dernières (et les modalités de leur construction sociale) si nous voulons saisir pleinement la réalité du Droit dont elles font leur objet »[22].


[1] « Separation of Powers » et « Shutdown ».

[2] En ce sens, v. M. Boutet, « Le Président des Etats-Unis, héros de séries télévisées. La figure présidentielle dans les séries américaines récentes », Le Temps des Médias, 2008, n°10, p. 156.

[3] V. Art. I. Sect. 8 de la Constitution des Etats-Unis : « The Congress shall have Power To lay and collect Taxes, Duties, Imposts and Excises, to pay the Debts and provide for the common Defence and general Welfare of the United States »et Art. I Sect. 9 : « No Money shall be drawn from the Treasury, but in Consequence of Appropriations made by Law ; and a regular Statement and Account of the Receipts and Expenditures of all public Money shall be published from time to time ». Sur l’ensemble du processus budgétaire, v. not., E. Zoller, « Les pouvoirs budgétaires du Congrès des Etats-Unis », RFFP, 2004, p. 267 (et les références citées) et B. Heniff Jr, M. S. Lynch et J. Tollestrup, « Introduction to the Federal Budget Process », CRS Report for Congress, R98-721.

[4] E. Zoller, art. préc., p. 277, nous soulignons.

[5] On peut toutefois noter que, contrairement à d’autres épisodes de la série, les dispositions elles-mêmes de la Constitution ne sont pas citées.

[6] Au fil des saisons et des épisodes, un nombre important d’éléments constitutionnels ont ainsi été évoqués : par exemple, l’Article I, Section 2 de la Constitution (« Mr. Willis of Ohio », épisode 6 de la saison 1) ; la protection des libertés individuelles (v. notamment « The Short List », épisode 9 de la saison 1) ; le discours sur l’état de l’Union (« He shall from time to time… », épisode 12 de la saison 1 ; « Bartlet’s Third State of the Union » et « The War at Home », épisodes 13 et 14 de la saison 2 ; « 100 000 airplanes », épisode 11 de la saison 3 ; « The Benign Prerogative » et « Slow News Day », épisodes 11 et 12 de la saison 5 ; « 365 days », épisode 12 de la saison 6) ; le veto législatif du Président (« On the Day Before », épisode 4 de la saison 3) ; le XXVe amendement (« Twenty Five », épisode 23 de la saison 5) et même la transition démocratique d’un Etat d’Europe de l’Est qui entraîne l’écriture d’une nouvelle Constitution (« The Wake Up Call », épisode 14 de la saison 6).

[7] M. Winckler, « Les coulisses du pouvoir », article paru in Le Monde Diplomatique en 2003 et désormais disponible sur http://martinwinckler.com/article.php3?id_article=39.

[8] S’agissant des continuing resolutions, la série met alors en scène un élément souvent méconnu du processus budgétaire et pourtant extrêmement important. En effet, en application de la Constitution, « aucune somme ne sera prélevée sur le Trésor, si ce n’est en vertu de crédits ouverts par la loi » (Art. I, Sect. 9 de la Constitution). Par conséquent, l’adoption des résolutions temporaires est nécessaire pour permettre à l’Administration fédérale de fonctionner lorsque le budget définitif n’est pas encore adopté au premier jour de l’année fiscale, le 1er octobre aux Etats-Unis. Cette pratique s’est progressivement banalisée (depuis l’entrée en vigueur du Congressional Budget Act, seuls trois budgets fédéraux ont été adoptés avant le début de l’année fiscale : 1989, 1995 et 1997) et, dans certains cas, des résolutions temporaires couvrent, en réalité, l’ensemble de l’année budgétaire (ce fut le cas, par exemple, pour l’année fiscale 2011). Une telle pratique n’est pas satisfaisante en ce qu’elle révèle des blocages institutionnels importants et en ce qu’elle limite l’action des pouvoirs publics – les CR ne permettant pas une mise en œuvre satisfaisante de l’action publique.

[9] Art. I, Sect. 9 de la Constitution.

[10] En ce sens, v. M. Boutet, « Le Président des Etats-Unis, héros de séries télévisées. La figure présidentielle dans les séries américaines récentes », Le Temps des Médias, 2008, n°10, p. 159-160 : « Les techniques de dramatisation des situations bien connues à Hollywood sont utilisées pour donner aux négociations sur le budget fédéral entre le Président et le Congrès – en réalité fastidieuses et techniques – des accents de thriller : les visages tendus sont filmés de près, la musique accentue les émotions, et la mise en scène souligne la lutte de pouvoir entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ».

[11] E. Morin, Le cinéma ou l’homme imaginaire, Essai d’anthropologie, Ed. de Minuit, 1958, réédition Ed. Gonthier, 1965, p. 40.

[12] M. Boutet, « Le Président des Etats-Unis, héros de série télévisée. La figure présidentielle dans les séries américaines », Le Temps des Médias, 2008, n°10, p. 158. L’auteur indique également que « les premiers épisodes de The West Wing se présentent très clairement aux Américains comme ce qu’aurait pu être la politique des Démocrates au pouvoir à la fin des années 1990, sans le parfum de scandale et la force d’opposition d’un Congrès républicain »(Ibid. p. 158).

[13] Urgences [E.R.] (1994-2009).

[14] S. Chalvon-Demersay, « La confusion des conditions, Une enquête sur la série télévisée Urgences », Réseaux, 1999, n°95, p. 237 et s., spécialement p. 255-257.

[15] D. Jodelet, « Représentations sociales : un domaine en expansion », in D. Jodelet (dir.), Les représentations sociales, Puf, 1997, p. 53.

[16] J.-P. Esquenazi, La vérité de la fiction, éd. Hermès, 2009, p. 111.

[17] En ce sens, Charles Girard écrit que « ce sont les coulisses ou plutôt les couloirs du pouvoir exécutif, rarement visibles à l’écran, que la fiction prétend mettre au jour » (C. Girard, « The world can move or not, by changing some words » : La parole politique en fiction dans The West Wing », Revue de recherche en civilisation américaine [En ligne], 2/2010, disponible sur http://rrca.revues.org/index310.html, §24).

[18] E. Morin, Le cinéma ou l’homme imaginaire, Essai d’anthropologie, Ed. de Minuit, 1958, réédition Ed. Gonthier, 1965, p. 65.

[19] J.-P. Esquenazi, Les séries télévisées, l’avenir du cinéma ?, Armand Colin, 2010, p. 24-25.

[20] V. not., M. Abélès, Anthropologie de l’Etat, Ed. Payot, 2004, p.159 et s. et Le spectacle du pouvoir, Ed. de L’Herne, 2007 ainsi que G. Balandier, Le Détour. Pouvoir et Modernité, Ed. Fayard, 1985, spécialement
p. 104-108 et Le pouvoir sur scènes, Ed. Balland, 1992, spécialement p. 107-138.

[21] Le seul élément à noter est, ici, que ces deux épisodes ont été diffusés, pour la première fois aux Etats-Unis, au mois de novembre, c’est-à-dire après le début de l’année fiscale, à un moment où, en l’absence de budget fédéral définitif, il est effectivement nécessaire de recourir aux résolutions temporaires dans l’attente d’un compromis budgétaire complet.

[22] D. de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, Ed. Odile Jacob, 1997, p. 152.


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