Voici la 53e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 27e livre de nos Editions dans la collection L’Unité du Droit, publiée depuis 2012.
L’extrait choisi est celui de l’article de Mme Marie KOEHL à propos de résistance collective dans la websérie La Casa de Papel. L’article est issu de l’ouvrage Lectures juridiques de fictions.
Cet ouvrage forme le vingt-septième
volume issu de la collection « L’Unité du Droit ».
En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :
Volume XXVII :
Lectures juridiques de fictions.
De la Littérature à la Pop-culture !
Ouvrage collectif sous la direction de
Mathieu Touzeil-Divina & Stéphanie Douteaud
– Nombre de pages : 190
– Sortie : mars 2020
– Prix : 29 €
– ISBN / EAN : 979-10-92684-38-4
/ 9791092684384
– ISSN : 2259-8812
De la résistance collective
dans la Casa de Papel
Marie Koehl
Docteure en droit privé, Université Paris Nanterre,
Membre du Collectif L’Unité du Droit
« La lutte contre les inégalités sociales est le grand dessein
collectif qu’une nation devrait se donner[1] ».
Cette citation d’un académicien français du XXe siècle constitue l’essence
de la série Casa de Papel. La notion de « collectif », du
latin collectivius, signifie « ce qui groupe, ce qui rassemble »,
« qui concerne un ensemble de personnes unies par une communauté d’intérêts
ou impliquées par une action commune[2] ».
Le jeu collectif n’est pas réservé aux seuls sportifs : en atteste l’objectif
principal du Collectif L’Unité du Droit
(Clud[3]) de relier les juristes entre eux[4]. Le
collectif « relie » en effet les individus et c’est sur une
communauté d’intérêts que repose ce lien[5].
Casa de Papel peut être perçue comme une allégorie sur la résistance et
sur la nécessité d’inventer ensemble une autre organisation sociale. Au-delà de
l’intrigue, de l’action et de l’esthétique de cette fiction, c’est un acte
politique qui est donné à voir au spectateur. On peut y déceler un message
sur l’importance de penser par soi-même, d’abandonner la passivité et de s’indigner
contre l’oppression. L’indignation n’est-ce pas « le motif de base de
la Résistance[6] » ?
Dans notre monde actuel, les raisons de s’indigner sont nombreuses et diverses.
La crise des migrants, les écarts grandissants entre les plus pauvres et les
plus riches[7],
l’état de la planète, la financiarisation, etc. Il nous appartient donc
de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont
nous soyons fiers, dans laquelle les inégalités sociales demeurent fermement
combattues[8].
Chacun a ses motifs d’indignation fondant son engagement politique. Ceux des
braqueurs de la série résident essentiellement dans l’arbitraire étatique et la
faillibilité du système ultracapitaliste. L’histoire repose, en effet, sur la
préparation et le déroulement d’un spectaculaire braquage au sein de la Banque
d’Espagne[9] par
un groupe de braqueurs répondant aux ordres d’un seul homme : le Professeur.
Portant tous des combinaisons rouges et un masque de Dali, et affublés du nom d’une capitale, ils forment un tout
indissociable, un véritable « collectif » poursuivant un but
politique commun.
Si l’action collective est saisie par le droit qu’il appréhende pour
protéger des intérêts variés (syndicats, associations, collectivité des
salariés, action de groupe, etc.), elle est aussi parfois un projet
commun de ses membres réalisé en dehors du cadre légal. Tel est le cas de l’action
menée par l’équipe du Professeur. Le sujet se révèle d’une actualité
brûlante. Les actions collectives se font nombreuses pour pallier la carence de
l’Etat dans certains domaines : le mouvement des Indignés[10] et
de Nuit debout[11], l’« affaire
du siècle » en matière d’écologie[12], les
Collectifs anti-mafia[13] en
sont des exemples topiques. Aujourd’hui, ce sont les Gilets jaunes qui
essaiment leurs revendications sociales, aussi bien dans les campagnes que dans
les villes. Cette contestation collective citoyenne, née il y a tout juste un
an, nous servira d’ailleurs de fil conducteur pour la lecture de la troisième
partie de cette série éminemment engagée. En effet, il illustre la force du collectif
de se soulever en faveur de l’égalité. Pour ce faire, il conviendra, d’abord, d’appréhender
les raisons de la rébellion des braqueurs (I), tout en nous interrogeant sur
nos propres préoccupations actuelles. Nous verrons, ensuite, les moyens de la
révolte du groupe, fondée sur la non-violence (II). Pour, enfin, tenter de
comprendre ce que cette lutte collective révèle, notamment en restaurant le
lien social (III).
I. Les raisons : mettre au jour les abus de pouvoir
La
révélation des dérives du pouvoir étatique. Les deux premières parties[14] de
la série ont pour but de mettre en lumière la révolte contre la pensée
productiviste et la course à la compétitivité et à l’argent. La
troisième partie repose davantage sur l’opacité de l’Etat et la mise au jour
des « scandales » du pouvoir. A différents égards, la série nous
conduit à réfléchir sur le propre fonctionnement de notre Etat. En ce
sens, le cri de colère des braqueurs est à rapprocher de celui du
mouvement populaire des Gilets jaunes en France. La liste est longue
pour illustrer les dysfonctionnements du système étatique et l’absence de
confiance dans le système institutionnel et électoral français. Nombreuses sont
les affaires qui révèlent une « voyoucratie » patente dans les
dernières décennies : mises en examen d’un ancien président de la
République pour financement illégal de campagne et recel de fonds publics,
condamnations d’un ancien ministre de l’Economie et des finances et d’un maire levalloisien
pour fraude fiscale, emplois fictifs, la « Françafrique », écoutes
illégales d’opposants par la cellule de l’Elysée mitterrandienne, etc.
Ces affaires d’Etat montrent « un mélange des genres entre réseau
étatique et intérêts privés[15] ».
Dans la partie III de Casa de Papel, c’est ce même sentiment d’impunité
des représentants de l’Etat qui est mis en avant. L’équipe des braqueurs a une
arme fortement dissuasive à l’encontre des autorités : ils détiennent
24 mallettes rouges contenant les plus importants secrets d’Etat, aussi bien
nationaux qu’internationaux, pouvant ainsi mettre à mal la réputation de
nombreux gouvernements. L’un des éléments qui intrigue le spectateur réside d’ailleurs
dans le contenu de ces mallettes, resté inconnu. Ce que l’on voit, en revanche,
ce sont les abus à l’encontre des détenus. En effet, toujours dans un but
d’une transparence et d’exemplarité accrue de l’Etat, l’un des principaux
combats menés par le groupe est celui de la dénonciation de la torture des
détenus par la police. L’équipe du Professeur révèle l’affaire Cortés dans laquelle il est question
de traitements inhumains et dégradants sur le détenu Cortés, dit Rio,
membre du groupe des braqueurs lors du premier braquage[16].
Afin qu’il livre à la police des informations sur Le Professeur,
Rio a été détenu dans une cellule
sans lumière de la taille d’un cercueil, en étant privé de sommeil et drogué.
Résultant de « traitements inhumains délibérés provoquant de fortes
graves et cruelles souffrances », la torture est fermement sanctionnée
dans la réalité[17].
Sur un autre plan, ce message véhiculé par la série n’est pas sans rappeler
certaines « dérives » qui touchent l’institution policière en France.
Elles ne s’assimilent pas aux actes de « torture » vus dans la série
car elles concernent des faits de violence instantanés sans extorsion d’aveux[18].
Mais ces affaires constituent une autre forme de dérive étatique manifestant
une inégalité criante. D’autres abus de pouvoir, touchant les questions
fiscale, sociale et démocratique, sont également mis au jour dans cette
troisième partie.
Les questions fiscale,
sociale et démocratique. Né d’une contestation contre la hausse du
carburant, le mouvement des Gilets jaunes entend défendre l’égalité
sociale et lutter contre l’injustice fiscale et l’arbitraire étatique. La
question fiscale a, en effet, été le révélateur du mouvement avec notamment la
suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (Isf), remplacé par un impôt sur la fortune immobilière (Ifi), les cadeaux fiscaux faits aux
actionnaires du Cac 40 et aux
grandes entreprises, et « dans le même temps » l’augmentation
de la Csg, frappant les pensions
de retraite. L’incompréhension est d’autant plus importante que parallèlement
à ces mesures, l’Etat réduit les services publics[19]. Le mouvement révèle le sentiment d’injustice
et la volonté de protection des intérêts économiques d’une minorité. La révolte
populaire a pris peu à peu de l’ampleur avec, ensuite, en toile de fond la
question sociale et démocratique.
Le mouvement a conduit à mettre en exergue les déconstructions du
monde du travail et à réfléchir aux solutions qui s’imposent. Le marché du
travail est en tension : il évolue en opposant encore plus nettement,
comme aux Etats-Unis, des lovely jobs,
bien payés et protégés, d’un côté, et des emplois peu qualifiés, mal rémunérés,
les bullshit jobs, de l’autre côté.
Ces travailleurs d’un genre nouveau sont placés dans une situation de précarité
qui résulte de l’exclusion de la qualité de salarié ou d’un fractionnement des
périodes d’emploi par le recours au travail intérimaire, à durée
déterminée et à temps partiel[20]. Le
constat est aussi celui de la promotion des travailleurs indépendants mal
protégés, ne pouvant compter sur la propriété (d’un fonds de commerce par
exemple) et au service de leur unique donneur d’ordre, galvanisés par les
potentialités qu’offrent les plateformes numériques[21]. La
revendication des Gilets jaunes n’est donc pas tournée vers l’employeur
mais vers l’Etat, ce ne sont plus alors les patrons qui ont été visés mais
davantage les riches et les élites.
C’est ce sentiment d’injustice sociale, cette
incertitude du lendemain, de ces nouveaux travailleurs et de ceux qui opèrent
hors du modèle de l’emploi[22], qu’il
convient d’apaiser. Certains en appellent ainsi de leurs vœux d’une volonté
politique forte car « le marché du travail évolue sans intervention de
l’homme, alors que les institutions qui l’organisent nécessitent, elles, cette
intervention pour s’adapter. Cet aggiornamento imposerait assurément une
reprise en main étatique, le déploiement de services publics qui ne sont d’ailleurs
en rien contraires à un libre espace offert au marché, pour peu que l’on
souhaite un marché juste et non juste le marché[23] ». Cependant,
il ne semble pas que le Gouvernement ait pris cette voie : dès la fin du
grand débat national, c’est davantage celle de la remise en cause des « 35
heures » pour « remettre les Français au travail[24] » ainsi que la
réforme des retraites qui ont été prises.
Enfin, derrière le soulèvement des Gilets
jaunes se niche immanquablement la question démocratique. Malgré l’hétérogénéité
du groupe, les manifestants ont en commun, notamment, un désaveu des citoyens
envers la classe politique. Pour y pallier, des propositions sont faites dans des
« Cahiers de doléances » et un referendum d’initiative citoyenne est
souhaité. Plus globalement, ils s’emparent de la question institutionnelle en
remettant en cause le pouvoir présidentiel[25].
Dans la partie 3 de Casa de Papel, ces
questions sociale et démocratique sont moins mises en relief que dans les
parties précédentes mais elles sont tout au long des épisodes suggérées. Le
lieu du braquage, la Banque d’Espagne, n’est d’ailleurs pas anodin. Plus
encore, le réalisateur, Alex Pina,
s’est fortement inspiré du mouvement des Indignés, rassemblant, en 2011 à la
Puerta Del Sol à Madrid, des manifestants pacifistes contre l’austérité
et le chômage. Comme le masque de certains d’entre eux, les Anonymous,
le réalisateur a choisi pour ses braqueurs le masque de Dali, peintre excentrique du XXe siècle que l’on
surnommait « Avida Dollars » en raison de son rapport
particulier à l’argent. Ce symbole évoque donc l’acte politique derrière
le braquage, à savoir l’idée de la nécessité de réinventer une autre
organisation sociale et de démontrer la faillibilité du système capitaliste. Pour
révéler les limites du pouvoir étatique et de la recherche incessante du
profit, et afin d’être compris par le plus grand nombre, l’équipe du Professeur
a choisi la voie pacifique.
II. Les moyens : appeler à une insurrection pacifique
Une insurrection organisée.
A
la différence de la série où le groupe est organisé et sous les ordres du Professeur,
il y a une absence de structuration du mouvement des Gilets jaunes. On y
observe, en effet, un désordre dans l’ordonnancement des idées et dans l’organisation
générale. Il souffre de l’absence d’une ligne directrice claire et de
représentants officiels, malgré l’émergence de quelques figures médiatiques. Il
s’oppose en ce sens au mouvement des « coordinations » (Sncf, infirmières, etc.) des
années 1980, lequel a prospéré en dehors des syndicats, mais où existait de
véritables leaders.
Dans
Casa de Papel, les braqueurs agissent de concert, de façon précise et
méthodique, dans un but politique commun. Ils acceptent les règles du jeu dictées
par le Professeur en associant leurs forces. Ils sont ainsi unis
par-delà l’hétérogénéité du groupe où chacun poursuit un intérêt qui lui est
propre. Le Professeur réalise, lui, le plan de son père, mort dans un
braquage, quand Tokyo souhaite
libérer celui qu’elle aime. Mais au fond, tous résistent ensemble au pouvoir,
devenant les acteurs et maîtres des destins individuels et collectifs des « Autres ».
Cette idée du « collectif » défendue par le réalisateur conduit
ainsi le spectateur à s’insurger contre la politique de l’entre-soi.
Cette « désobéissance civile[26] »
organisée se propage au-delà des murs de la Banque d’Espagne puisque des
manifestations spontanées apparaissent rapidement en soutien à l’équipe.
Le droit de manifester porté à l’écran.
Les
scènes où l’on voit de nombreux manifestants, habillés comme les braqueurs et
brandissant l’image du visage de Dali, en appui à leur action, sont certes
courtes et rapides mais elles sont distillées tout au long de la série et dans
quasiment chaque épisode, ne manquant pas, encore, de faire écho à l’actualité.
Le mouvement des Gilets jaunes offre en effet un terrain nouveau d’analyse
au droit de manifester[27]. L’article
10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que « Nul
ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur
manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». La
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme protège également ce
droit dans son article 9 : « La liberté de manifester sa religion
ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui,
prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société
démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de
la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et
libertés d’autrui ». Le Code pénal ainsi que le Code de la sécurité
intérieure[28]
conditionnent le recours à la force aux principes d’absolue nécessité, de
proportionnalité et de réversibilité. Par exemple, le Code pénal en son article
431-1 punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende « le fait
d’entraver d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de
la liberté d’expression, du travail, d’association, de réunion ou de
manifestation ». L’alinéa 3 de l’article précise qu’est puni de trois
ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende l’entrave exercée « d’une
manière concertée et à l’aide de coups, violences, voies de fait,
destructions ou dégradations au sens du présent code ». En outre, en
France, les citoyens doivent déclarer préalablement les manifestations sur la
voie publique. Cette déclaration s’exerce en mairie ou en préfecture entre
trois jours francs (48h à Paris) et quinze jours francs avant la date
prévue. Depuis l’origine, le mouvement des Gilets jaunes est spontané et
un certain nombre de manifestations n’a pas été déclaré, au risque pour les
manifestants de se voir condamnés à une amende[29].
Malgré
cet encadrement textuel, le mouvement a mis en lumière la multiplication des
tensions et des incidents entre les forces de l’ordre et les participants aux
manifestations. L’état des lieux d’une année de mobilisations spontanées peut
effrayer : plusieurs centaines de blessés côté manifestants et côté forces
de l’ordre, deux morts « indirects », des milliers d’interpellations,
des gardes à vue, des procédures judiciaires, des biens détruits, des black blocs[30]
présents régulièrement en marge des cortèges[31]. Un arsenal
répressif lourd a, de ce fait, été mis en place rapidement afin de maintenir l’ordre
lors des manifestations. De nombreuses Ong,
dont Attac et Amnesty International[32], ont
dénoncé le gazage et l’encerclement des manifestants pacifiques. De même, la
commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe invitait, en février
dernier, les autorités françaises à « ne pas apporter de
restrictions excessives à la liberté de réunion pacifique » et
à « suspendre l’usage du lanceur de balle de défense »,
responsable de blessures et mutilations graves. La Haut-commissaire aux droits
de l’homme de l’Onu a également
enjoint la France à mener une enquête approfondie sur tous les cas d’usage
excessif de la force survenus pendant les manifestations des Gilets jaunes.
Ce
clivage entre forces de l’ordre et manifestants est notamment décrit dans le
rapport remis à l’Assemblée nationale en janvier 2018 sur le maintien de l’ordre,
par le Défenseur des droits. Il y reconnaît une « perte de confiance de
la population à l’égard des forces de l’ordre », tout en pointant
un véritable « malaise policier[33] ».
D’un côté, la population s’insurge contre les dérives policières et la rupture
d’égalité entre les manifestants et les forces de l’ordre face à la justice.
Sur ce dernier point, la mise en cause individuelle de policiers s’avère
complexe et peu de condamnations sont prononcées à leur encontre. Certains
avocats préconisent donc à leurs clients des actions collectives, au
tribunal administratif notamment, contre l’Etat, du fait de ses ordres dans le
cadre du maintien de l’ordre[34].
De
l’autre côté, les forces de l’ordre s’estiment « faire l’objet d’une
violence croissante et inédite », et ne se sentent pas « soutenues
par leur hiérarchie » ni « reconnues par la population, dans
un contexte de fortes sollicitations professionnelles[35] ».
Le rapport préconise alors diverses mesures comme le renforcement des exigences
de formation et de contrôle en matière de maintien de l’ordre, d’information
des manifestants afin de rendre l’action des forces de l’ordre plus
compréhensible et l’accomplissement de missions de prévention. Ces
préconisations faites dans une approche d’apaisement et de protection sont
à privilégier, tout comme des soulèvements non-violents.
Le
mouvement des Gilets jaunes évoque donc à bien des égards les
grandes émeutes populaires. De la Révolution française à mai 1968, en
passant par la période insurrectionnelle de la Commune de Paris de 1871
et les grèves de 1936, les droits ont souvent été conquis par des révoltes
agitées. D’ailleurs, la violence du peuple ne naît-elle pas de la violence
institutionnelle, celle qui entretient les dominations, de façon
silencieuse ? On peut y voir d’une certaine manière, la violence étatique
contre la violence sociale. En effet, « il faut comprendre la violence
comme une regrettable conclusion de situations inacceptables pour ceux qui les
subissent[36] ».
Si la violence est compréhensible, elle n’est pas acceptable. Surtout, elle ne
permet pas d’obtenir les résultats espérés.
Une insurrection non-violente.
Dans
la série, les différentes saisons offrent nombre de scènes violentes dans
lesquelles les braqueurs utilisent la force pour faire respecter l’ordre parmi
les otages. Ils n’hésitent pas à pointer leurs armes pour dissuader les
otages de se révolter. Certaines scènes mettent parfois le spectateur dans une
situation paradoxale : il est gêné, même embarrassé, de lire la peur dans
le regard des otages et, dans le même temps, il se place du côté des braqueurs,
espérant qu’aucun incident ne perturbe le déroulement de leur plan. Parfois,
donc, l’équipe est dépassée par des événements inattendus et fait montre d’autorité.
Toutefois, la série se veut pacifiste. C’est là même le cœur du scénario. Les
braqueurs font preuve d’un sens moral : même s’ils enfreignent le droit en
retenant des femmes et des hommes en otage, ils accomplissent leur plan
pacifiquement. Une scène de cette troisième partie résume bien leur dessein. Il
s’agit d’une vidéo envoyée par l’équipe du Professeur aux inspecteurs
dans laquelle on voit des policiers pris en otage et attachés torse-nu
délivrant un message pour le monde extérieur. De prime abord, la séquence
parait violente et choquante en raison de l’humiliation qu’ils subissent.
Néanmoins, les braqueurs font passer un message de non-violence en leur
demandant de confirmer qu’ils ne subissent aucun sévices et en leur faisant
chanter Bella Ciao, chant des résistants omniprésent dans les deux
premières parties. Cette chanson populaire venue d’Italie est un marqueur fort
de la série car elle est un hymne partisan de résistance au fascisme, devenue
par la suite une déclaration de refus de toute forme d’oppression. Dans Casa
de Papel, elle représente la révolte face à l’autorité financière et
à l’opacité du pouvoir étatique. En cela, elle est un véritable message d’espoir.
Sartre disait en ce sens qu’« il faut essayer d’expliquer pourquoi
le monde de maintenant, qui est horrible, n’est qu’un moment dans le long
développement historique, que l’espoir a toujours été une des forces dominantes
des révolutions et des insurrections[37] ».
Cette
insurrection pacifique et le message d’espoir qu’elle relaye permettent de
dépasser les conflits par une compréhension mutuelle. Les représentants de l’Etat
sont, dès lors, embarrassés par l’efficacité de cette voie de la non-violence
prise par les braqueurs car elle suscite l’appui et la compréhension de ceux
qui s’opposent à l’oppression[38]. En
effet, Le Professeur rend sa démarche légitime en cherchant le soutien
de l’opinion publique[39]. A
cet effet, un jeu avec les médias se joue tout au long de la série.
Les médias et les réseaux sociaux, relais essentiels
de l’information. En quête d’audiences, les
médias cèdent parfois à la facilité des commentaires au détriment de la
recherche de la vérité. Or, l’information est aussi « un champ de
bataille où se joue l’exercice d’un droit fondamental : le droit de savoir[40] »,
lequel est « du faible au fort, l’arme pacifique de l’émancipation par
la connaissance[41] ».
Ainsi, durant le mouvement des Gilets jaunes, on peut aisément constater
que certains médias ont « voulu vendre du papier » en
pointant essentiellement les faits de violence pendant les manifestations. Dans
une certaine mesure, cette stratégie a délégitimé les manifestations et
décrédibilisé le mouvement. Dans la série, on observe également l’importance
des médias, vrai relai de communication de l’équipe. Le Professeur a
bien compris que pour être efficace, il faut agir en réseaux. Il se sert donc
volontiers des médias et des nouvelles technologies de l’information pour faire
passer son message. A l’instar des lanceurs d’alerte, il souhaite par le biais
des chaînes d’information révéler les travers du pouvoir étatique. Sa méthode
de communication se révèle être un succès puisque l’opinion publique lui est
favorable au vu de la propagation de manifestations spontanées. Ce soutien se
ressent jusque dans les zones reculées du pays puisque des agriculteurs, dans
un coin semble-t-il isolé, viennent en aide au Professeur et à Lisbonne. La troisième partie rappelle
donc au spectateur l’importance des médias et la puissance de l’immédiateté des
réseaux sociaux, et sous-tend qu’une véritable démocratie nécessite
incontestablement une presse indépendante.
Quoi
qu’il en soit, le braquage aura au moins eu le mérite de porter aux yeux de
tous le combat de ces braqueurs, auparavant délaissés par l’Etat.
III. Les résultats : rendre visibles « les oubliés »
La légitimité démocratique.
L’embrasement populaire, à travers l’action des braqueurs et les
manifestations devant la Banque d’Espagne, rappelle que le peuple est la source
du pouvoir démocratique. Le « peuple » « ne s’appréhende plus
comme une masse homogène, il s’éprouve plutôt comme une succession d’histoires
singulières. […]. C’est pourquoi les sociétés contemporaines se
comprennent de plus en plus à partir de la notion de minorité. La minorité
n’est plus la « petite part » (devant s’incliner devant une « grande
part ») : elle est devenue une des multiples expressions diffractées
de la totalité sociale[42] ».
Aujourd’hui, la seule légitimité démocratique par l’élection est remise en
cause. L’élection a, en effet, une fonction plus réduite ne faisant que valider
un mode de désignation des gouvernants et n’impliquant pas qu’un gouvernement
soit au service de l’intérêt général. Partant, on assiste à l’apparition
de nouvelles attentes citoyennes à voir s’instaurer un régime serviteur de
l’intérêt général et, donc, à l’émergence de nouvelles figures
démocratiques. Ces autres formes d’investissement politique se sont donc
révélées, à la fois concurrentes et complémentaires à la figure du « peuple-électeur[43] ».
Pour le dire autrement, il s’agit d’une réinvention de la démocratie qui ne
saurait se limiter au droit de vote.
Les
Gilets jaunes incarnent, eux-aussi, dans son sens pratique, l’idée de
démocratie définie comme « l’action qui sans cesse arrache aux
gouvernements oligarchiques le monopole de la vie publique et à la
richesse la toute-puissance sur les vies[44] ».
C’est, en somme, la victoire des « oubliés », devenus de
véritables acteurs autonomes de leur propre histoire et non plus « sujets »
d’une histoire politique[45]. Les
actes de violence réalisés par des groupes irréductibles d’extrémistes ont
souvent masqué le fait que la grande majorité des manifestants ont pourtant
discuté pacifiquement des heures durant, souvent dans le froid et sous la
pluie, de revendications variées. Oubliées également les scènes de fraternité
observées sur les ronds-points ou dans les baraquements, rappelant que certains
Gilets jaunes souhaitaient seulement sortir de l’isolement. L’on
découvrait, notamment, à cette occasion l’isolement important des femmes :
plus d’une femme majeure sur deux, vit seule en France[46]. De
même, la rentabilité immédiate, les politiques ultra-libérales creusent les
inégalités contre les solidarités collectives[47]. Et
c’est parce que l’Etat a justement tourné le dos « au souci du commun[48] »
que la révolte des oubliés[49] a
tonné, créant un temps nouveau au dialogue.
L’arrêt du temps en
faveur du dialogue. Le temps est un facteur
primordial dans la série : les braqueurs doivent rester suffisamment
longtemps dans la Banque pour fondre l’or, sans dépasser la limite fixée par le
Professeur au risque d’une intervention des forces policières. Ce temps
est surtout nécessaire au Professeur pour négocier avec les inspecteurs.
En effet, le dialogue avec les autorités demeure encore le fil rouge de cette
troisième partie. Les échanges se font vifs avec l’inspectrice, figure féminine
puissante. A cet égard, bien que cela ne soit pas le message principal de la
série, certaines scènes et certains personnages[50]
conduisent le spectateur à réfléchir sur la société patriarcale. Les
négociations se poursuivent également avec des représentants du gouvernement.
Le Professeur parvient ainsi à changer la règle et la donne du jeu
politique. Du reste, cet arrêt du temps diffère avec l’immédiateté de certaines
décisions politiques. L’équipe de braqueurs laisse donc place à un autre
temps : celui de la pensée et du dialogue.
C’est
d’ailleurs le propre des soulèvements populaires que d’interrompre le temps. Le
mouvement des Gilets jaunes en atteste une nouvelle fois avec le blocage
du temps et de la circulation sur les ronds-points et aux péages occupés.
Au-delà du temps gagné et du dialogue engagé, s’insurger permet aussi et
surtout d’être libre à certains égards.
Révolte et liberté.
Le soulèvement de ces minoritaires leur assure la liberté[51].
Pour Hannah Arendt, la liberté n’est
pas d’abord un phénomène de la volonté intérieure, ce que l’on appelle le « libre-arbitre »,
mais est inhérente à l’action extérieure puisque « être libre et
agir ne font qu’un[52] ».
A cet égard, le politique est, selon elle, un espace pluriel de délibération,
un espace de liberté[53].
Aussi, une comparaison avec la série peut une fois de plus être faite ici. Et
ce notamment lorsque l’auteure rappelle que la polis grecque était autrefois une « forme de gouvernement »
qui procurait aux hommes, une scène où ils pouvaient jouer, une sorte de
théâtre où la liberté pouvait apparaître. Le groupe de braqueurs n’est autre
que des femmes et des hommes vivant en communauté, à la fois avant le
braquage pour le mettre en œuvre puis pendant. Les flashbacks, présents dans toutes les saisons et montrant la
préparation du braquage, révèlent que rien n’est laissé au hasard. Regroupés
tous ensemble dans une demeure isolée, les braqueurs sont comme des étudiants
auxquels le Professeur donne les directives à suivre. Il les invite
à réfléchir sur le sens de leurs actions et leurs conséquences. Quelle qu’en
soit l’issue, l’enfermement collectif, durant des jours dans la vaste demeure
puis au sein de la Banque d’Espagne, est finalement le prix à payer de
leur liberté.
Mais
toute révolution est-elle vraiment synonyme de liberté ? En d’autres termes, si
toute révolte est menée au nom de la liberté, est-elle réellement toujours un
processus menant à la liberté de ceux qui la poursuivent ? Si la question
mérite d’être posée et débattue, une certitude demeure : cette révolte
permet de rendre visible.
La visibilité des exclus.
Dans un essai inédit[54],
Hannah Arendt affirme qu’avant de
conduire à un régime démocratique, la révolution a d’abord libéré tout un
ensemble d’individus jusqu’ici invisibles. Ainsi, se manifeste dans l’acte même
de la révolution le fait de rendre visible, de donner naissance à des
individus jusqu’ici jamais réunis en un tout. L’auteure prend notamment acte du
fait que la Révolution française a libéré les pauvres de l’invisibilité, en les
faisant accéder à la vie publique : « un peuple frappé par la
pauvreté et la corruption est soudain délivré non pas de la pauvreté mais de l’obscurité »,
et entend « pour la première fois que sa situation est discutée
ouvertement et qu’il se trouve invité à participer à cette discussion[55] ».
Cette pensée résonne donc parfaitement avec les colères actuelles et les
ambitions du réalisateur de la série. En somme, la série invite à nous
interroger sur la liberté que le peuple a de s’organiser par lui-même pour s’emparer
de l’action politique.
C’est
en filigrane, l’idée de l’importance de se soulever, pour n’importe qui,
défendue par Michel Foucault[56]. Ce
dernier résume-t-il : « a-t-on raison ou non de se révolter ?
Laissons la question ouverte. On se soulève, c’est un fait ; et c’est par
là que la subjectivité (pas celle des grands hommes, mais celle de n’importe
qui) – quel qu’en soit le visage – s’introduit dans l’histoire et lui donne son
souffle. Un délinquant met sa vie en balance contre des châtiments abusifs ;
un fou n’en peut plus d’être enfermé et déchu ; un peuple refuse le régime
qui l’opprime. Cela ne rend pas innocent le premier, ne guérit pas l’autre, et
n’assure pas au troisième les lendemains promis ».
Mais
cela le rend libre et visible. La série illustre bien l’idée que ce ne
sont pas les « puissants » qui font le jeu démocratique mais bien les
« n’importe qui[57] ».
Les braqueurs dissimulent leur visage sous un masque de Dali, lequel devient un symbole jusqu’à être repris par une
partie de la population qui soutient leur action. Leur combinaison rouge et
leur masque marquent donc les esprits – entrant même dans notre propre réalité[58] – et
les rendent visible aux yeux de tous. Il leur permet également de se fondre
dans la masse des otages qui sont eux-aussi dotés dudit habit pour créer la
confusion chez les forces d’intervention de la police.
Tous,
otages et braqueurs confondus, forment une même et seule communauté et semble
sur un pied d’égalité. L’important est que ces « n’importe qui » sont
enfin visibles et entendus.
L’espoir d’un
avenir nouveau.
Bien que chaque épisode tienne le spectateur en haleine lui faisant espérer que
le groupe réussisse à finir de transformer l’or tout en sortant de la
Banque sans se faire arrêter, sur le fond le résultat du braquage importe peu.
En creux, ce qui compte c’est le but commun poursuivi : inquiéter les « puissants »
et montrer au peuple qu’une alternative au système existant est possible. Là
réside l’intérêt de l’œuvre commune.
Derrière
la défaite des Gilets jaunes se niche une victoire[59] car,
malgré les scories que comporte ce mouvement, la couleur du gilet a permis de
rendre visibles les invisibles[60] et
surtout de croire[61]
à un avenir nouveau[62].
Tout comme les braqueurs au visage de Dali.
Finalement,
la résistance collective permet la réunion des forces pour briser l’immobilité,
pour « inventer collectivement l’alternative » pour construire l’avenir[63].
Elle oblige à des remises en cause et ouvre des possibles.
[1] J. De Bourbon
Busset.
[2] V° Collectif, G. Cornu, Vocabulaire juridique, Puf, Quadrige, 12e éd., 2018.
[3] La présentation de l’association est claire sur ce
point : « Le Collectif L’Unité du Droit (Clud) a pour vocation de rassembler des universitaires
convaincus du nécessaire rapprochement des droits et de leurs enseignements
dans une unité et non dans leurs seules spécificités ». Ses membres
sont « convaincus de (re) créer des liens entre spécialistes du Droit
(dont privatistes et publicistes mais pas seulement) ainsi qu’entre praticiens
et universitaires (et réciproquement) ».
[4] Si la réflexion sur l’Unité du Droit est le cœur de
son action, le Clud permet un
véritable soutien des Universitaires à l’égard des jeunes chercheurs comme
en témoignent les Universités d’été et les nombreux ouvrages collectifs
auxquels ces derniers peuvent participer.
[5] A. Sotiropoulou,
« La collectivité », in Recueil de leçons de 24 heures, Agrégation
de droit privé et de sciences criminelles de 2015, Lgdj, 2015, p. 321.
[6] S. Hessel,
Indignez-vous !, Indigènes éditions, 2010.
[7] L’Ong
Oxfam annonce dans son dernier rapport, le renforcement de l’écart entre les
plus riches et les plus pauvres : en 2018, la fortune des milliardaires a
augmenté de 12 % (augmentation de 900 milliards de dollars) tandis que la
richesse des plus pauvres de la population mondiale (soit 3,8 milliards de
personnes), baissait de 11 %. Par ailleurs, seulement 26 personnes possédaient
en 2018 autant que la moitié la moins riche de la population mondiale : Rapport
« Services publics ou fortunes privées ? », Oxfam
International, janv. 2019, en ligne.
[8] S. Hessel,
Indignez-vous !, Indigènes éditions, 2010, p. 9.
[9] Dans les deux premières parties de la série, le
braquage se déroule dans l’Office de la Monnaie et du timbre.
[10] Mouvement de manifestations, non violent né sur la Puerta
del Sol, en Espagne, à Madrid le 15 mai 2011, rassemblant des
centaines de milliers de manifestants contre l’austérité.
[11] Ensemble de manifestations sur des places publiques,
en France, ayant commencé le 31 mars 2016 sur la Place de la République à Paris,
à la suite d’une manifestation contre la « loi Travail ».
[12] A la suite du « grand débat national » du
printemps 2019, une vaste pétition écologique a circulé pour obliger l’Etat
à prendre ses responsabilités face aux changements climatiques.
[13] Des Collectifs anti-mafia, dont le Collectif
anti-mafia « Massimu Susini »,
ont vu le jour récemment en Corse à la suite de l’assassinat d’un jeune
militant, Massimu Susini, en
septembre 2019. Plus de 800 personnes étaient réunies, le 29 septembre, à l’Université
de Corte pour débattre de l’emprise du grand banditisme sur l’île et dénoncer
la défaillance de l’Etat à protéger les insulaires des assassinats, des
menaces, des extorsions, des pressions diverses, des corruptions dont nombreux
sont victimes.
[14] La série se divise en « Parties » sur
Netflix.
[15] E. Plenel,
La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte,
2019, p. 124.
[16] Braquage de la Fabrique nationale de la Monnaie et du Timbre :
Partie 1 et 2 de la série.
[17] Code pénal, art. 222-1, al. 1er :
« Le fait de soumettre une personne à des tortures ou à des
actes de barbarie est puni de quinze ans de réclusion criminelle. ».
Art. 222-2, al. 1er : « L’infraction définie à l’article
222-1 est punie de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’elle
précède, accompagne ou suit un crime autre que le meurtre ou le viol. ».
La Cour de cassation est venue modifier sa jurisprudence dans un sens plus
sévère lorsqu’elle a condamné la France pour torture dans le cadre de la garde
à vue d’un étranger soupçonné de trafic de stupéfiants : « la
Cour estime que certains actes autrefois qualifiés de « traitements
inhumains et dégradants », et non de « torture »,
pourraient recevoir une qualification différente à l’avenir » (Cedh, grande ch., 28 juill. 1999, aff.
25803/94, Selmouni c/ France).
[18] Pour les affaires les plus médiatiques ces dernières
années : Affaire Zyed et Bouna : le 27 octobre 2005, Zyed Benna et Bouna Traoré sont morts électrocutés dans le transformateur Edf où ils s’étaient réfugiés pour
échapper aux policiers qui les poursuivaient. Trois semaines de révolte s’en
s’ensuivirent et dix années de procédure judiciaire. Malgré certaines
failles dans l’enquête, le tribunal correctionnel de Rennes a relaxé les
deux policiers jugés pour « non-assistance à personnes en
danger » ; Affaire « Théo » est une affaire judiciaire
relative à l’arrestation et au viol allégué d’un homme de 22 ans, Théodore
Luhaka, le 2 février 2017 ;
Affaire « Benalla »,
mettant en cause un chargé de mission, coordinateur de différents services lors
des déplacements officiels et privés du président de la République, accusé
d’avoir usurpé la fonction de policier, et violenté un couple de manifestants,
le 1er mai 2018, à Paris.
[19] La crise des hôpitaux publics et la grève récente des
pompiers sont des exemples parmi d’autres. V. not. Rapport de l’Académie
nationale de médecine (Anm),
Rapport 19-02. L’hôpital public en crise : origines et propositions,
du 12 fév. 2019, en ligne.
[20] L. Gamet,
« Les Gilets jaunes et la question sociale », Dr. social, 2019, p. 564.
[21] C. Larrazet,
« Régime des plateformes numériques, du non-salariat au projet de charte
sociale », Dr. social, 2019, n°
2, p. 167 ; F. Champeaux,
« L’occasion de déplacer les frontières du salariat », SSL 07 oct. 2019, n° 1877, p. 3 ;
P. Lokiec, « De la
subordination au contrôle », SSL
17 déc. 2018, n° 1841, p. 10 ; T. Pasquier
et A. Chaigneau, « Capital,
travail et entreprise numérique », in A. Jeammaud, M. Le Friand,
P. Lokiec, C. Wolmark (dir.), A droit ouvert, Mélanges
en l’honneur d’A. Lyon-Caen, Dalloz,
2018, p. 187 ; T. Pasquier,
« Le droit social confronté aux défis de l’ubérisation », Dalloz IP/IT,
n° 7, 2017, p. 368 ; B. Gomes,
Le droit du travail à l’épreuve des plateformes numériques, sous
dir. A. Lyon-Caen, Thèse Paris
Nanterre, 2018. V. not. Les décisions de justice rendues au sujet des
travailleurs des plateformes numériques : Take eat easy : Soc., 28 nov. 2018, n° 17-20.079 ;
Uber : CA Paris, pôle 6, ch. 2,
10 janv. 2019, M. X c/ Uber.
[22] L. Gamet, « UberPop (†) », Dr. social, 2015, p. 929.
[23] L. Gamet,
« Les Gilets jaunes et la question sociale », Dr. social, 2019, p. 564.
[24] Ch. Radé,
« Gilets jaunes et chiffon rouge », Dr. social, 2019, p. 369.
[25] E. Plenel, La victoire des vaincus. A propos des gilets
jaunes, La Découverte, 2019, p. 51.
[26] Terme créé par l’américain Henry David Thoreau en 1849 après avoir passé
une nuit en prison pour avoir refusé de payer l’impôt électoral au gouvernement
d’un Etat fédéral des Etats-Unis qui reconnaissait l’esclavage. La
désobéissance civile est le refus de se soumettre à une loi injuste et
à chercher à changer cette loi par des moyens non-violents :
H.-D. Thoreau, La désobéissance
civile, Gallmeister , coll. Totem, réed. 2017. Le philosophe rappelle
le caractère non-violent de la révolte : « Si un millier d’hommes
devaient s’abstenir de payer leurs impôts cette année, ce ne serait pas une
initiative aussi brutale et sanglante que celle qui consisterait à les
régler, et à permettre ainsi à l’Etat de commettre des violences et
de verser le sang innocent. Cela définit, en fait, une révolution pacifique,
dans la mesure où pareille chose est possible », spéc. p. 9.
[27]A. Coignac, « Droit de manifester : toujours une
liberté ? », Dalloz Actualité 04
oct. 2019.
[28] CSI, art. L. 211-1 à L.
211-4 (Manifestations sur la voie publique) ; art. L. 211-9 à L.
211-10 (Attroupements).
[29] Les articles 431-3 et suivants du Code pénal prévoient
les peines et amendes dans les hypothèses de participation délictueuse à un
attroupement. L’article 431-9 du Code pénal punit également de six mois
d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende le fait d’avoir organisé une
manifestation sur la voie publique n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration
préalable dans les conditions fixées par la loi ; d’avoir organisé une
manifestation sur la voie publique ayant été interdite dans les conditions
fixées par la loi ; d’avoir établi une déclaration incomplète ou inexacte
de nature à tromper sur l’objet ou les conditions de la manifestation
projetée.
[30] Le black bloc est un groupe d’individus sans
hiérarchie, habillés de noir, masqués, qui justifient la violence contre les
représentations de l’Etat par la violence intrinsèque de celui-ci.
[31] A. Coignac,
« Droit de manifester : toujours une liberté ? », Dalloz Actualité 04 oct. 2019 :
« Samedi 21 septembre, l’acte 45 des Gilets jaunes, la Marche pour le
climat et la manifestation contre les retraites dans Paris se sont soldées par
158 gardes à vue selon la Préfecture. Selon le parquet, 90 personnes se
sont vues notifier un rappel à la loi, parfois assorti d’une interdiction
de paraître à Paris pendant six mois, en application de la loi anticasseurs
du 10 avril 2019. ». Des médias relayent encore d’autres
chiffres : le journaliste David Dufresne
a recensé les cas documentés (vidéos, photos, certificats) de victimes des
forces de l’ordre, via un fil Twitter intitulé « Allô Place
Beauvau ». Le 23 septembre 2019, le décompte s’élevait, tous mouvements
sociaux confondus, à 860 signalements dont deux décès. Sur le site Mediapart,
la page « Allô Place Beauvau ? C’est pour un bilan provisoire »
fait état des derniers chiffres officiels du Ministère de l’Intérieur, au 29
août 2019 : soit 2 448 blessés, 561 signalements déposés à l’Igpn (Inspection générale de la police
nationale), 313 enquêtes judiciaires de l’Igpn,
8 enquêtes administratives, 15 enquêtes judiciaires de l’Iggn (Inspection générale de la gendarmerie
nationale), 180 enquêtes transmises au Parquet, 1 9071 tirs de Lbd, 1 428 tirs de grenades lacrymogènes
instantanées, 5 420 tirs de grenades de désencerclement, 474 gendarmes blessés
et 1 268 policiers blessés.
[32] Dans une tribune du 3 mai 2019, Amnesty International
se positionna pour l’interdiction du Lbd40
et des grenades lacrymogènes instantanées Gli-Fa
utilisés par les forces de l’ordre pendant les manifestations des Gilets
jaunes.
[33] « Le maintien de l’ordre au regard des règles
de déontologie », Rapport du défenseur des droits, Décembre
2017, p. 1, en ligne.
[34] A. Coignac,
« Droit de manifester : toujours une liberté ? », Dalloz
Actualité 04 oct. 2019. L’auteure enquête auprès de nombreux acteurs
(représentants des forces de l’ordre, avocats, universitaires pénalistes,
journalistes). Il est notamment relaté l’interview d’une avocate : Maître
Claire Dujardin constate que
« les textes sont assez flous sur l’usage de la force et le concept de
légitime défense, cela favorise des décisions comme le non-lieu dans l’affaire
Rémi Fraisse (militant écologiste,
tué en 2014 lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens) ».
Elle ajoute : « Je ne peux pas emmener mes clients pour quatre ans
en instruction avec un fort risque de non-lieu à la fin. Ça les laisse en
plus dans un statut de victime qui devient compliqué à gérer dans la vie ».
[35] « Le maintien de l’ordre au regard des règles
de déontologie », Rapport du défenseur des droits, Décembre
2017, p. 8, en ligne.
[36]S. Hessel, Indignez-vous !, Indigènes éditions,
2010, p. 18.
[37] J.-P. Sartre,
« Maintenant l’espoir… (III) », Le Nouvel Observateur, 24 mars
1980.
[38] Sur l’efficacité de la non-violence : S. Hessel, Indignez-vous !,
Indigènes éditions, 2010, p. 20.
[39] V. supra l’article
collectif : « Une lecture juridique au prisme du droit à la
désobéissance » : « C’est précisément sur ce point
décisif que le Professeur échafaude la légitimité de sa démarche pour s’en
incarner en héraut. Il le répète sans cesse… l’opinion publique est la seule
véritable arme, sa caution. Son soutien traduit et porte la voix indicible du
peuple concret. Son rejet, a contrario, pointerait un acte criminel ».
[40] E. Plenel,
La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte,
2019, p. 181.
[41]Ibid., p. 184.
[42] P. Rosanvallon,
La contre-démocratie. La politique de à l’âge de la défiance,
Paris, Seuil, Points, 2006, p. 14.
[43] Ibid., p. 108. L’auteur y décrit l’émergence des figures du « peuple-surveillant »,
du « peuple-véto » et du « peuple-juge » en
contrepoint de celle d’un « peuple-électeur ».
[44] J. Rancière,
La haine de la démocratie, La Fabrique, Paris, 2005, p. 105.
[45] E. Plenel,
La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte,
2019, p. 13.
[46] L. Gamet,
« Les Gilets jaunes et la question sociale », Dr. social, 2019, p. 564.
[47] La solidarité doit être revue à l’aune des défis
auxquels sont confrontées les sociétés actuelles modernes : V. l’ouvrage
collectif sous dir. S. Paugam,
Repenser la solidarité. L’apport des sciences sociales, Puf, 2007, réed. 2011.
[48] E. Plenel, op. cit., p. 159.
[49] V. Dossier Mediapart,
« Gilets jaunes : La révolte des oubliés ».
[50] Dans la saison un, Nairobi
crie : « place au Matriarcat ! ». De même, les
violences conjugales sont dénoncées à travers la violence de l’ex-mari de
l’inspectrice. V. sur le féminisme dans la série, supra, la
communication de Mme Stéphanie Willman-Bordat.
[51] « Résistance et obéissance, voilà les deux vertus
du citoyen. Par l’obéissance il assure l’ordre ; par la résistance il
assure la liberté » : Alain,
Propos sur les pouvoirs, Paris, Gallimard, coll. Folio/essais, 2014,
p. 162.
[52] H. Arendt,
La Crise de la culture,
« Qu’est-ce que la liberté ? », Folio, Gallimard, 2014 (1ère
éd. 1989), p. 198.
[53] H. Arendt,
La Crise de la culture,
« Qu’est-ce que la liberté ? », Folio, Gallimard, 2014 (1ère
éd. 1989), p. 190 : « la raison d’être de la politique est la
liberté, et son champ d’expérience est l’action ».
[54] H. Arendt,
La liberté d’être libre, Payot, 2019.
Cet essai inédit a été retrouvé récemment dans le fonds Arendt de la
Bibliothèque du Congrès à Washington. Ce texte a été probablement écrit
à la fin des années 1960, au moment de la crise de Cuba, des révolutions
en Amérique latine et de la décolonisation.
[55] H. Arendt,
La liberté d’être libre, Payot, 2019.
[56] M. Foucault,
« Inutile de se soulever ? », Le Monde, n° 10661, 11- 12 mai
1979, p. 1 et s., in Dits et Ecrits 1954-1988, t. III, Gallimard, Paris,
texte 269, p. 790-794.
[57] V. aussi sur
le « n’importe qui » : E. Plenel, La victoire des vaincus. A
propos des gilets jaunes, La Découverte, 2019, p. 59.
[58] La diffusion de la série a engendré une commercialisation
importante du costume rouge et du masque de Dali.
Certaines images montrent même des Gilets jaunes portant le masque de Dali.
[59] D’où le titre évocateur de l’ouvrage d’Edwy Plenel sur le mouvement des Gilets
jaunes : « La victoire des vaincus » : E. Plenel, La victoire des vaincus. A
propos des gilets jaunes, La Découverte, 2019.
[60] E. Morin,
« La couleur jaune d’un gilet a rendu visible les invisibles », Mediapart,
24 déc. 2018.
[61] « Si l’on ne croit à rien, si rien n’a de
sens et si nous ne pouvons affirmer aucune valeur, alors tout est permis et
rien n’a d’importance. Alors, il n’y a ni bien ni mal, et Hitler n’a eu tort,
ni raison. […]. On a tous à créer en dehors des partis et des
gouvernements des communautés de réflexions qui entameront le dialogue à travers
les nations et qui affirmeront par leur vie et leurs discours que ce monde doit
cesser d’être celui de policiers, de soldats et de l’argent pour devenir celui
de l’homme et de la femme, du travail fécond et du loisir réfléchi » :
A. Camus, « La crise de
l’homme », conférence donnée à l’Université de Colombia (New York),
28 mars 1946, in A. Camus, Conférences
et discours (1936-1958), Folio, 2017.
[62] Aujourd’hui le mouvement des Gilets jaunes fête
ses un an mais s’est largement essoufflé. Toutefois, malgré l’absence de
solution concrète aux attentes des manifestants et les frustrations qui vont de
pair, le mouvement vit toujours et a permis à de nombreuses personnes de
tisser des liens, de retrouver une fraternité longtemps oubliée. Plus encore,
il leur a permis d’être entendus. Et l’engagement se poursuit pour certains
autrement comme ce « Collectif citoyen Sélestat 2020 » crée en Alsace
appelant les citoyens à rejoindre une liste citoyenne pour les
municipales. V. l’article « Les gilets jaunes tentent d’entretenir
la flamme », DNA 9 nov. 2019, p.
13.
[63] E. Plenel,
La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte,
2019, p. 161.
Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso.
Vous pourrez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).